“ L Dépistage du VIH, stratégie ciblée ou généralisée ?

144 | La Lettre de l’Infectiologue Tome XXVII - n° 4 - juillet-août 2012
ÉDITORIAL
K. Champenois*,
Y. Yazdanpanah*, **
* ATIP-Avenir Inserm :
“Modélisation, aide à la décision,
et coût-efficacité en maladies
infectieuses” ;
** Service des maladies infectieuses
et tropicales, hôpital Bichat-Claude-
Bernard, Paris ; faculté de médecine,
université Paris-Diderot.
Dépistage du VIH, stratégie ciblée
ou généralie ?
HIV: targeted or universal testing?
Lors de la commercialisation des premiers tests de dépistage du VIH en France
en 1985, la quasi-absence de bénéfice pour le patient et la stigmatisation autour
decette maladie ont conduit à considérer le dépistage du VIH différemment
de celui des autres infections transmissibles : démarche volontaire, consentement
éclairé et création de consultations de dépistage anonyme et gratuit. Depuis1996,
les combinaisons antirétrovirales ont fait chuter la mortalité et la morbidité
(sidaetnon-sida) liées au VIH(1). Un diagnostic précoce, suivi d’un traitement
efficace, offre aux patients une espérance de vie très proche de celle de la population
générale(2). De plus, le dépistage est devenu un outil majeur de la prévention(3,4).
Lesnouvelles stratégies de prévention comme le “Test and Treat”(5) ou encore
lesstratégies innovantes de réduction des risques d’acquisition du VIH telles
quelaprophylaxie préexposition (PrEP) [6] s’appuient sur le dépistage.
En France, la situation épidémiologique de la fin des années 2000 atteste
deslimites du système de dépistage en place pour détecter les patients suffisamment
tôt : bienque5 millions de tests soient réalisés chaque année, on estime
que30 000personnes infectées par le VIH ignorent leur séropositivité(7).
Parmi les6 500 nouveaux diagnostics annuels, 30 % découvrent leur séropositivité
àun stade avancé de la maladie (sida ou CD4<200/mm3) [8, 9]. Il y a donc un écart
considérable entre le moment recommandé pour instaurer le traitement antirétroviral
(CD4<500/mm3) et le moment où le patient entre dans le circuit de soins.
Une stratégie de “Test and Treat” mise en place en France dans ce contexte ne serait
pas efficace. Lesmodélisations mathématiques montrent d’ailleurs une augmentation
del’incidence du VIH avec le temps chez les hommes qui ont des relations sexuelles
avec les hommes (HSH), malgré une instauration plus précoce du traitement(10) ;
cette situation illustre le fait que la stratégie “Test and Treat” ne fonctionnerait pas
pourle moment, probablement en partie à cause du dépistage tardif des patients.
En réponse à ces constats, la Haute Autorité de santé (HAS) a rendu public
enoctobre 2009 son rapport préconisant d’intensifier et de diversifier l’offre
dedépistage du VIH(11). Elle recommande tout d’abord de renforcer la politique
dedépistage ciblé des populations à risque d’acquérir le VIH en incitant à un dépistage
plus régulier : jusqu’à 1 fois par an pour les HSH, chez qui l’incidence du VIH est
60fois plus élevée que dans la population générale(10). Parmi les nouvelles stratégies
dedépistage ciblé mises en place, on peut citer le dépistage communautaire, médicalisé
ou non(12,13). Une étude française a montré qu’un dépistage communautaire
duVIH, effectué par des pairs (non médicaux) issus de la communauté, à l’aide
detests rapides d’orientation diagnostique (TROD), et accompagné d’un counseling
(entretien deprévention) adapté, était réalisable et bien accepté par la communauté
homosexuelle masculine. Cette offre a attiré à la fois deshommes qui se dépistaient peu
ou pas (1/3 des participants navaient pas fait dedépistage récemment) et des hommes
Références bibliographiques
1. Palella FJ Jr, Delaney KM, Moorman
AC et al. Declining morbidity
and mortality among patients with
advanced human immunodeficiency
virus infection. HIV Outpatient Study
Investigators. N Engl J Med
1998;338:853-60.
2. Bhaskaran K, Hamouda O, Sannes M
et al. Changes in the risk of death after
HIV seroconversion compared with
mortality in the general population.
JAMA 2008;300:51-9.
3. Attia S, Egger M, Müller M, Zwahlen
M, Low N. Sexual transmission
of HIV according to viral load
and antiretroviral therapy: systematic
review and meta-analysis.
AIDS 2009;23:1397-404.
4. Cohen MS, Chen YQ, McCauley M
et al. Prevention of HIV-1 infection
with early antiretroviral therapy.
N Engl J Med 2011;365:493-505.
5. Granich RM, Gilks CF, Dye C, De
Cock KM, Williams BG. Universal
voluntary HIV testing with immediate
antiretroviral therapy as a strategy for
elimination of HIV transmission: a
mathematical model. Lancet
2009;373:48-57.
6. Grant RM, Lama JR, Anderson PL et
al. Preexposure chemoprophylaxis for
HIV prevention in men who have sex
with men. N Engl J Med
2010;363:2587-99.
7. Supervie V, Ndawinz JD, Costagliola D.
How to estimate the size of the hidden
HIV epidemic? The case of France. HIV in
Europe Conference. Copenhague,
Danemark, 18-20 mars 2012.
La Lettre de l’Infectiologue Tome XXVII - n° 4 - juillet-août 2012 | 145
ÉDITORIAL
quipratiquaient le dépistage régulièrement (1/3 étaient dépistés au moins 1 fois
par an)[12]. Dans la continuité de ces études, des actions de prévention sur le terrain,
utilisant des TROD, ont été mises en place afin d’atteindre des personnes qui niraient
pas spontanément vers le dépistage ou une structure de soins.
En 2009, la HAS a également recommandé de dépister au moins 1 fois lapopulation
générale, hors notion de prise de risque. Proposer le dépistage à l’ensemble
delapopulation permet de rencontrer les personnes qui ne se considèrent pas
ou qui ne sont pas considérées comme étant à risque et celles qui échappent
audépistage ciblé. Une étude récente a évalué la capacité du système de soins à détecter
les personnes infectées par le VIH, et notamment les personnes à risque. Cette étude,
réalisée sur un millier de patients nouvellement diagnostiqués pour le VIH, montre
que 90 % d’entre eux voyaient un médecin généraliste au moins 1 fois par an avant
lediagnostic(14). Près de la moitié des participants étaient des HSH ; seuls 50 % d’entre
eux avaient mentionné être HSH à un médecin. Ce dernier, lorsqu’il connaissait
l’exposition au risque du patient, ne lui proposait un test qu’une fois sur deux.
End’autres termes, moins de 1patient HSH sur 4 était dépisté pour le VIH la première
fois qu’il rencontrait son médecin traitant. Cette étude apporte donc des arguments
enfaveur d’un dépistage généralisé hors notion de risque. Il a par ailleurs été démontré
qu'un tel dépistage est coût-efficace enFrance(15).
Deux études ont évalué un dépistage généralisé du VIH dans des services d’urgences
d’Île-de-France, région métropolitaine où la prévalence de la maladie est la plus
élevée(16,17). Elles rapportent des prévalences du VIH non diagnostiqué supérieures
à0,1 %. Sur des critères de coût-efficacité (0,1 % : valeur seuil de la prévalence du
VIHentermes de coût-efficacité), et selon le modèle des politiques de dépistage
auxÉtats-Unis et en Angleterre(18,19), on peut donc dire que ces études appuient
ledépistage généralisé, au moins en Île-de-France. Mais elles montrent également
desdifficultés en termes de faisabilité et, notamment, un essoufflement de la motivation
du personnel soignant devant l’utilité peu visible au quotidien d’un tel dépistage.
Par ailleurs, une stratégie de dépistage généralisé est une stratégie certes coût-efficace,
mais coûteuse. Comme cela a été soulevé par la Cour des comptes, on peut se poser
la question de l’impact budgétaire d’une telle stratégie, surtout en période de crise
financière.
Tout en ciblant les populations à risque d’acquérir le VIH avec un éventail d’offres
de dépistage adaptées à leur besoin, tendre vers un dépistage généralisé semble être une
des solutions les plus efficaces pour détecter le maximum de personnes infectées
parle VIH, quelles que soient leurs caractéristiques et leur perception du risque.
Mais les questions de faisabilité et de coût sont majeures. Pourquoi ne pas proposer
un dépistage qui soit à la fois généralisé et ciblé ? Il s’agirait deproposer le dépistage
defaçon généralisée, soit à une zone géographique où la prévalence du VIH
estélevée(20), soit à une population donnée, notamment les hommes,
chez qui l’incidence et la prévalence du VIH sont beaucoup plus élevées que chez
lesfemmes(9, 11, 21).
Quelle que soit la politique de dépistage envisagée, le choix doit être fait
enconcertation étroite avec les soignants, et notamment avec les médecins généralistes,
afin qu’ils adhèrent à ces nouvelles stratégies mises en œuvre contre le VIH.
8. Cazein F, Le Vu S, Pillonel J et al. HIV
testing activity in France, 2003-2009.
BEH 2010;45-46:451-4.
9. Cazein F, Lot F, Pillonel J et al.
Surveillance of HIV/AIDS infection in
France, 2009. BEH 2010;45-46:467-72.
10. Le Vu S, Le Strat Y, Barin F et al.
Population-based HIV-1 incidence in
France, 2003-08: a modelling analysis.
Lancet Infect Dis 2010;10:682-7.
11. Haute Autorité de santé. Recommanda-
tions en santé publique, octobre 2008.
Dépistage de l’infection par le VIH en
France : stratégies et dispositif
de dépistage (http://www.has-sante.fr/
portail/jcms/c_704257/depistage-de-
linfection-par-le-vih-en-france-strategie-
et-dispositif-de-depistage)
[consulté le 28 août 2012].
12. Champenois K, Le Gall JM, Jacquemin
C et al. ANRS-COM’TEST: description of
a community-based HIV testing
intervention in non-medical settings
for men who have sex with men.
BMJ Open 2012;2:e000693.
13. Rouzioux C, Le Tallec J, Kreplak G et al.
Frequent HIV testing in a community
setting improves detection of acute and
recent infections, among MSM in Paris,
France (checkpoint study). International
AIDS Conference. Rome, Italie, 17-20
juillet 2011.
14. Champenois K, Cousien A, Cuzin L et al.
Missed opportunities for HIV testing in
newly diagnosed HIV-infected patients in
France. HIV in Europe Conference.
Copenhague, Danemark, 18-20 mars 2012.
15. Yazdanpanah Y, Sloan CE, Charlois-Ou
C et al. Routine HIV screening in France:
clinical impact and cost-effectiveness.
PLoS One 2010;5:e13132.
16. D’Almeida KW, Kierzek G, de Truchis P
et al. Modest public health impact of
nontargeted human immunodeficiency
virus screening in 29 emergency
departments. Arch Intern Med
2012;172:12-20.
17. Casalino E, Firmin S, Delobelle A et al.
Routine HIV Screening in 6 emergency
departments in Paris area: the ANRS
URDEP Study, France. HIV in Europe
Conference. Copenhague, Danemark,
18-20 mars 2012.
18. Branson BM, Handsfield HH, Lampe
MA et al. Revised recommendations for
HIV testing of adults, adolescents, and
pregnant women in health-care settings.
MMWR Recomm Rep 2006;55:1-17.
19. UK National Guidelines for HIV Testing
2008 (http://www.bhiva.org/
HIVTesting2008.aspx) [consulté le
20 août 2012].
20. Yazdanpanah Y, Perelman J, Alves J et
al. Routine HIV screening in Portugal:
clinical impact and cost-effectiveness.
International AIDS Conference.
Washington DC, États-unis,
22-27 juillet 2012.
21. Haukoos JS, Hopkins E, Bender B,
Al-Tayyib A, Thrun M, the Denver
Emergency Dept HIV Testing Res
Consortium. Enhanced targeted HIV
screening using the Denver HIV risk score
outperforms the emergency department
nontargeted screening. 19th Conference
on Retroviruses and Opportunistic
Infections (CROI). Seattle, États-Unis,
5-8 mars 2012.
1 / 2 100%

“ L Dépistage du VIH, stratégie ciblée ou généralisée ?

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !