Cancer environnement Monographies du CIRC Vol.108 : Cancérogénicité de certains médicaments, plantes médicinales

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Cancer environnement > Monographies du CIRC > Vol.108 : Cancérogénicité de certains médicaments,
plantes médicinales
Cancérogénicité de certains médicaments et plantes
médicinales
En juin 2013, 23 experts venus de neuf pays se sont réunis au Centre international de Recherche sur le
Cancer (CIRC / IARC), à Lyon, en France, pour évaluer la cancérogénicité de 14 médicaments et plantes
médicinales (voir tableau). Certains agents sont discutés plus en détail à cause de la complexité des données
ou de l’ampleur de l’exposition humaine. Ces évaluations seront publiées dans le volume 108 des
Monographies du CIRC. 1 Les Thiazolidinediones (comme la pioglitazone et la rosiglitazone) ont été utilisées pour le traitement du diabète
de type 2. De nombreux patients ont pu prendre les deux médicaments successivement. Parmi les
utilisateurs de la rosiglitazone, les risques relatifs (RR) de cancer de la vessie dans deux études cas­témoins et
deux études de cohortes étaient proches de l’unité dans toutes les études à l’exception d’une étude au
Royaume­Uni. La pioglitazone a été évaluée dans l’analyse d’un vaste essai randomisé contrôlé, quatre études
de cohortes et trois études cas­témoins. La prise de pioglitazone a toujours été associée à un risque accru de
cancer de la vessie, dans toutes les études à l’exception d’une étude cas­témoins à Taïwan, et dans tous les
types d’études et toutes les régions géographiques, avec des RR allant de 1,2 pour les études d’observation
à presque 3 pour les essais randomisés contrôlés. Des associations dose­effet ont été analysées dans cinq
études, dont trois étaient des études de grande qualité menées au sein de la population. Des risques accrus
ont été rapportés avec des dosages plus élevés ou une utilisation prolongée dans une étude cas­témoins2 et
une étude de cohorte.3 Toutefois, le groupe de travail n’a pas pu exclure de façon systématique l’existence
de facteurs de confusion et de biais liés à la gravité ou à la détection de la maladie.
De manière notable, la pioglitazone a induit une incidence accrue de carcinomes à cellules transitionnelles de la
vessie4 ou de papillomes chez le rat mâle dans deux études distinctes par gavage. L’urolithiase ou des effets
par l’intermédiaire des récepteurs activés par les proliférateurs de peroxysomes semblent être les mécanismes
de cancérogenèse les plus probables5 ,6 La pioglitazone a été classée comme étant probablement
cancérogène pour l’Homme (groupe 2A), sur la base d’indications limitées chez l’Homme établissant qu’elle
induit des cancers de la vessie, et sur des indications suffisantes chez l’animal de laboratoire. La rosiglitazone a
été évaluée comme étant inclassable quant à sa cancérogénicité pour l’Homme (groupe 3), sur la base
d’indications insuffisantes chez l’Homme et d’indications limitées chez l’animal de laboratoire.
La digoxine, médicament largement prescrit qui est extrait d’une plante, la digitale, a une structure similaire
aux hormones stéroïdiennes. Une association avec le cancer du sein a été étudiée dans quatre études cas­
témoins (dont deux études sur des hommes) menées en Scandinavie, en France et en Suisse ; dans une
étude de cohorte à l’échelle nationale basée sur des dossiers concernant des femmes au Danemark ; et dans
deux études de cohortes aux Etats­Unis et en Norvège. Toutes les études cas­témoins mentionnaient des
augmentations importantes de l’incidence du cancer du sein. Les rapports de cote (ou odds ratio) étaient de
1,3 chez les femmes et de 2 à 4 chez les hommes. L’étude la plus vaste, qui incluait toutes les femmes
utilisatrices de médicaments à base de digitale au Danemark, a rapporté un risque accru pour les utilisatrices
actuelles seulement (rapport des risques de 1,39, IC 95% 1,32­1,46).7 Bien qu’aucun effet notable de durée
ou de dose n’ait été noté, la détection d’incidences de tumeurs a diminué après l’arrêt de l’exposition, ce qui
est cohérent avec la possibilité d’un effet promoteur de la digoxine. L’association était plus forte pour les
tumeurs du sein à récepteur d’œstrogènes (RO) positifs que pour celles à RO négatifs. Par ailleurs, l’incidence
du cancer de l’utérus était en augmentation chez les utilisatrices actuelles dans l’étude de cohorte danoise, et
le risque de cancer de la prostate, autre cancer lié aux hormones stéroïdiennes, était en baisse dans une
étude de cohorte de grande qualité réalisée aux Etats­Unis.8 Néanmoins, une étude de cohorte a rapporté
une association positive (RR 1,25) pour le cancer de la prostate. Une augmentation du risque de cancer du
sein chez les hommes fournit des éléments supplémentaires soutenant l’hypothèse de l’association notée chez
les femmes. Toutefois, les études fondées sur le couplage des dossiers qui ont fourni les indications clés
n’étaient pas ajustées sur les facteurs de risques reconnus de cancer du sein chez la femme, notamment
l’obésité et la consommation d’alcool. Il n’existe pas d’étude de cancérogénicité chez l’animal de laboratoire et
seulement quelques études mettent en évidence un mécanisme par l’intermédiaire des RO.
Tableau : Agents évalués par le Groupe de travail des Monographies du CIRC
Pioglitazone
Rosiglitazone
Digoxine
Hydrochlorothiazide*
Triamtérène
Sulfasalazine
Polysulfate de pentosan
sodique
Primidone
Bleu de méthylène
Extrait de feuilles entières
d’Aloe vera
Usage thérapeutique ou autre
Diabète de type 2 Insuffisance cardiaque chronique et
troubles du rythme cardiaque
Hypertension par diurèse
Hypertension par diurèse (en
association avec d’autres
médicaments y compris l’
hydrochlorothiazide
Arthrite auto­immune ; affections
inflammatoires de l’intestin
Prévention de caillots sanguins ;
cystite interstitielle
Tremblement essentiel
Antidote à l’intoxication au nitrite et
au cyanure ; méthémoglobinémie;
troubles psychiatriques ;
désinfectant ; agent de coloration
pour microscopie
Laxatif (composant du latex) ;
arôme alimentaire ; dans les
boissons et les compléments
alimentaires ; cosmétiques
Groupe
2A
3
2B
2B
2B
2B
2B
2B
3
2B
Extrait de Ginkgo biloba
Arôme alimentaire ; dans les
compléments alimentaires ;
plantes médicinales
(maladies artérielles périphériques
et insuffisance cérébrale)
2B
Poudre de racine d’hydraste
Prévention et réduction des
maladies inflammatoires et
pathologies liées
2B
Extrait de Kava
Dans les boissons et compléments
alimentaires ; cosmétiques ; plantes
médicinales (anxiété ou insomnie)
2B
Pulégone
Composant d’huiles essentielles de
pouliot (utilisées dans le traitement
de la dyspepsie et des troubles
menstruels) ; et plusieurs espèces
de menthe (utilisées dans
l’alimentation et les boissons)
2B
*Evalué précédemment comme « inclassable quant à sa cancérogénicité pour l’Homme » (groupe 3)
La digoxine a été classée comme cancérogène possible pour l’Homme (groupe 2B), sur la base d’indications
limitées chez l’Homme qu’elle induit le cancer du sein. Certains membres du Groupe de travail étaient
favorables à une classification dans le groupe 2A sur la base des données épidémiologiques.
Des associations entre l’utilisation d’hydrochlorothiazide (contre l’hypertension) et le carcinome épidermoïde
ont été évaluées dans deux études cas­témoins au Danemark et aux Etats­Unis. Dans l’étude danoise, les
chercheurs ont rapporté un risque accru de carcinome épidermoïde de la peau, avec augmentation du risque
liée à la dose. Une étude de cohorte sur dossiers aux Etats­Unis a détecté un risque accru de cancer de la
lèvre et d’autres types de « cancers cutanés ». Une étude cas­témoins nichée portant sur le cancer de la
lèvre au sein de la même population a rapporté un odds ratio ajusté de 2,0 (IC 95% 1,2­3,4) pour trois
ordonnances ou plus, et des odds ratios supérieurs avec un traitement prolongé dans le temps.9 De plus,
deux autres études cas­témoins en Europe et aux Etats­Unis ont rapporté des odds ratios supérieurs pour le
carcinome épidermoïde associé à la prise de thiazides. Bien que les données suggèrent que la prise
d’hydrochlorothiazide soit associée au carcinome épidermoïde, le nombre d’études était faible et les études
n’ont pas toutes évalué les effets des doses et des durées, ou contrôlé l’exposition au soleil. Un des
mécanismes possibles est la photosensibilisation liée à l’hydrochlorothiazide, qui induit des lésions à l’ADN et
pourrait aussi entraîner une réaction inflammatoire chronique,10 étant donné qu’en présence de rayons
ultraviolets A, l’hydrochlorothiazide favorise la production de dimères cyclobutaniques de pyrimidines, à la fois
dans l’ADN isolé et dans la peau de souris dont la réparation de l’ADN est déficiente. L’hydrochlorothiazide a
été classé dans le groupe 2B, sur la base d’indications limitées chez l’Homme suggérant qu’il induit le
carcinome épidermoïde de la peau et de la lèvre, et d’indications limitées de cancérogénicité chez l’animal de
laboratoire.
En l’absence d’études épidémiologiques suffisantes, les autres évaluations se sont appuyées principalement
sur des bio­essais de cancérogénicité chez l’animal.
A partir de feuilles d’Aloe vera, quatre produits sont fabriqués : la feuille entière et des extraits de feuilles
entières décolorées, du gel et du latex séché. La décoloration par charbon actif élimine les anthraquinones
toxiques du latex dans l’extrait de feuille entière. Les données relatives à l’exposition n’identifient pas le type
de produit utilisé par les nombreux consommateurs. Dans une étude de deux ans menée sur des rats, l’eau
de boisson contenant de l’extrait de feuille entière a induit, pour les deux sexes, des incidences accrues
d’adénomes et de carcinomes du gros intestin – tumeurs qui surviennent rarement chez le rat.11 Les C­
glycosides d'anthrone (l’aloïne A et l’aloïne B) que l’on trouve dans le latex, sont transformées en aloé­
émodine­9 anthrone par des bactéries présentes dans le tube digestif du rat et de l’Homme, puis sont ensuite
oxydées en aloé­émodine, qui est génotoxique et pourrait être responsable des tumeurs répertoriées.
Toutes les autres plantes médicinales et les médicaments (à l’exception du bleu de méthylène) ont provoqué
des tumeurs du foie chez les souris (et chez les rats, dans le cas de la poudre de racine d’hydraste et du
triamtérène), et souvent des tumeurs dans d’autres localisations. Ces agents et l’extrait de feuille entière
d’Aloe vera ont été classés dans le groupe 2B, sur la base d’indications suffisantes chez l’animal de laboratoire.
Le bleu de méthylène a été classé dans le groupe 3, sur la base d’indications limitées chez l’animal de
laboratoire.
Yann Grosse, Dana Loomis, Béatrice Lauby­Secretan, Fatiha El Ghissassi, Véronique Bouvard, Lamia
Benbrahim­Tallaa, Neela Guha, Robert Baan, Heidi Mattock, Kurt Straif, pour le Groupe de travail des
Monographies du Centre international de Recherche sur le Cancer, à Lyon, France.
Nous déclarons que nous n'avons aucun conflit d'intérêts.
Références
1. IARC. IARC monographs on the evaluation of carcinogenic risks to humans. Volume
108. Some drugs and herbal medicines. Lyon: International Agency for Research on
Cancer ​ (in press).
2. Azoulay L, Yin H, Filion KB, et al. The use of pioglitazone and the risk of bladder cancer
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with increased colonic neoplasia risk in patients with diabetes mellitus. Gastroenterology
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July 2,2013).
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the ​ tumorigenic potential of pioglitazone hydrochloride in the urinary bladder of male rats. Toxicol Appl
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Article disponible en anglais
Grosse Y, Loomis D, Lauby­Secretan B, Ghissassi FE, Bouvard V, Benbrahim­Tallaa L, et al. Carcinogenicity of
some drugs and herbal products. The Lancet Oncology. 2013 Aug 1;14(9):807–8:
https://doi.org/10.1016/S1470­2045(13)70329­2
Pour plus d’informations sur les Monographies du CIRC, lire : http://monographs.iarc.fr/ Membres du groupe de travail B W Stewart (Australie)–Chair; R J Biggar (Australie); D W Lachenmeier (Allemagne); S Singh (excusé; Inde); H
Tsuda (Japon); B Baguley (Nouvelle Zélande); M M Marques (Portugal); C­H Tseng (Taiwan, Chine); T L Knight
(RU); F A Beland, J M Betz, E J Carcache de Blanco, M L Cunningham, J K Dunnick, L Guo, C W Jameson, M Karagas,
R M Lunn, D L McCormick, S Singh, K L Witt (excusés), S Zhou (Etats­Unis)
Spécialistes invités
R S Stafford (Etats­Unis)
Représentants
Aucun
Observateurs
A Bertocco (Herbalife Europe Ltd, UK); P Dolin (Centre mondial de Recherche et Développement de Takeda [Europe]
Ltd, RU); O Kelber, E Koch (pour l’Industrie Mondiale de l’Automédication, France)
Secrétariat du CIRC
M Arnold, R Baan, H Bailey, L Benbrahim­Tallaa, V Bouvard, F El Ghissassi, A Ghantous,
Y Grosse, N Guha, B Lauby­Secretan, H­S Lee, D Loomis, H Mattock, D Puricelli Perin, M Sierra, K Straif, J Zavadil
Conflits d’intérêts
C­HT a reçu des honoraires pour sa participation aux réunions de comités consultatifs des sociétés
pharmaceutiques Bristol­Myers Squibb, Eli Lilly, et Tadeka. JMB est membre bénévole du comité consultatif
d’American Botanical Council. RSS a témoigné à titre d’expert en juillet 2011 pour les produits pharmaceutiques
Mylan dans un procès concernant la doxycycline.
Traduit de l’anglais par Anne BOSSE­PLATIERE et le Département Cancer Environnement
Relecture : Section des Monographies du CIRC ; Groupe Communication du CIRC.
21 déc. 2016
Copyright 2016 ­ Centre Léon­Bérard
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