Tr a u m a t i s m e ... Q

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U E S T I O N S
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S P O R T
Traumatisme du genou chez une skieuse
● P. Le Goux*, X. Chevalier**
Une femme de 40 ans ressent une douleur
brutale au genou lors d’une chute à ski
ayant entraîné un mouvement de rotation
de celui-ci, avec la sensation d’un craquement au moment de la chute. Elle n’a
pu continuer à skier et elle est redescendue
par le télésiège. La radio qui a été réalisée
au cabinet médical de la station est normale. On suspecte une lésion du ligament
croisé antérieur (LCA) et on lui conseille
de passer une IRM à son retour du ski.
➤ Quel est l’intérêt de la radio standard
dans les suites immédiates du traumatisme ?
Dans le cadre de tout traumatisme aigu du genou, le réflexe prioritaire doit être de demander des radios standard (face, profil, et si possible trois quarts), indispensables pour éliminer une
fracture contemporaine de l’accident. La présence de ce type de
complication entraîne alors une prise en charge spécifique en
milieu chirurgical, totalement différente de celle d’une entorse du
genou, que ce soit une atteinte isolée du ligament latéral interne
(LLI), dont le traitement est orthopédique, ou une rupture classique du LCA, qui n’est pas une urgence chirurgicale. Il faut
notamment penser à éliminer :
– une fracture-arrachement du massif des épines tibiales au
niveau de l’attache du LCA au plancher, qui peut nécessiter un
geste chirurgical de réinsertion;
– une fracture d’un plateau tibial, qui peut parfois nécessiter une
intervention de stabilisation.
D’autres lésions osseuses peuvent également s’observer à la radio,
comme la fracture de Segond, qui n’est autre qu’un arrachement
de la corticale externe du plateau tibial externe par le plan capsulaire latéral. Cette fracture, considérée comme pathognomonique
d’une rupture du LCA, n’entraîne pas pour autant un traitement
chirurgical particulier…
➤ Comment faire le diagnostic de rupMénisque
latéral
LCA
Ménisque
médial
ture du ligament croisé antérieur :
– dans les suites immédiates du traumatisme ?
– à distance du traumatisme,soit à J3 ou J5 ?
– plus à distance du traumatisme, soit à
un mois ?
intra-articulaire important qui signe dans quasiment tous les cas une
hémarthrose liée à la rupture et au saignement du LCA, comme cela
a vraisemblablement été le cas chez cette patiente. Cette hémarthrose ne s’extériorise pas cliniquement et il n’est pas habituel de la
ponctionner ; en revanche, le glaçage et la compression sont efficaces pour résorber le gonflement du genou qu’elle provoque. À ce
stade, le genou est mis au repos dans une attelle d’extension pour
3 à 4 semaines ; seule la radio, répétons-le, permet devant ce tableau
clinique d’éliminer une fracture qui compliquerait le pronostic et
modifierait l’attitude thérapeutique.
À J3 ou J5 après l’accident, il est possible dans un certain nombre
de cas d’examiner le genou blessé de façon satisfaisante pour établir un premier bilan. L’examen clinique, dont le rôle est primordial, pourra également être réalisé plus à distance du traumatisme
et de la phase aiguë, ce qui permettra de recueillir des informations
plus précises sur les circonstances du traumatisme et sur l’état évolutif du genou :
• L’atteinte du LCA est évoquée devant un genou qui peut être encore
un peu gonflé à distance du traumatisme. Le mécanisme de la rupture est évoqué devant une torsion du genou en flexion valgus, pied
bloqué en rotation interne ; parfois, la rupture du LCA se produit lors
d’une extension brutale forcée du genou.
• La recherche d’une instabilité du genou est indispensable, et
le test de Lachman (tiroir antérieur du genou dans les 30 premiers degrés de flexion), lorsqu’il est positif (arrêt mou du côté
atteint), est hautement spécifique d’une rupture complète du
LCA.
Il faut penser à examiner les autres structures du genou, qui peuvent
avoir été touchées lors de l’accident :
– les ligaments latéraux, notamment le LLI et le ligament latéral externe (LLE), sont testés et mis en tension par les manœuvres
de valgus ou de varus forcé du genou en légère flexion ;
– les lésions méniscales, même si elles sont difficile à affirmer
par l’examen clinique et plus faciles à diagnostiquer grâce à l’IRM,
doivent être systématiquement recherchées : présence d’un point
douloureux précis sur l’interligne articulaire, légère perte d’extension du genou, mesurée comparativement à l’autre genou ;
* Rhumatologue, médecin de la FFT, consultant de l’INSEP, attaché à
l’hôpital Ambroise-Paré, Boulogne.
** Chef du service de rhumatologie, hôpital Henri-Mondor, Créteil.
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Recherche de tiroir antérieur du genou en flexion à 30°- signe de Lachman (rupture du LCA).
La Lettre du Rhumatologue - n° 320 - mars 2006
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Schéma topographique du Dans les suites immédiates du trauligament croisé antérieur matisme, le genou est souvent difficile
à examiner, en raison d’un épanchement
et des ménisques.
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– enfin, dans tout contexte traumatique du genou, il faut penser à éliminer une pathologie de luxation (externe) de la rotule.
On recherchera alors une instabilité rotulienne lors des tests de
mobilisation de la rotule (test d’appréhension de Smilie) et l’on
complétera si nécessaire le bilan radio par des incidences axiales.
Parfois, la patiente peut consulter plus à distance du traumatisme, un mois ou plus après l’entorse qui a été traitée par
immobilisation, alors qu’elle présente des signes d’instabilité
persistants du genou. Dans ce contexte de suite d’accident, une
instabilité rotatoire avec sensations de dérobement du genou
et difficultés lors des changements d’orientation dans les activités quotidiennes est fortement évocatrice d’une rupture du
LCA passée inaperçue. Là encore, l’examen clinique du genou,
avec la recherche du signe de Lachman ainsi que la mise en
évidence d’un ressaut rotatoire externe (jerk test), est essentiel
au diagnostic.
➤ Qu’attendre de l’IRM du genou ?
Le but de l’IRM est de confirmer la rupture du LCA lorsqu’elle est suspectée ou diagnostiquée à l’examen clinique. Il
faut préciser que, bien que la prescription d’une IRM s’avère souvent indispensable, elle n’a aucun caractère d’urgence, car si la
décision d’une intervention chirurgicale est prise, cette opération
ne sera pratiquée que plusieurs semaines après l’accident. L’aspect est celui d’une rupture complète, concordant le plus souvent avec la clinique, avec disparition du ligament croisé de
l’échancrure. Les signes les plus pertinents d’une rupture complète sont l’horizontalisation du LCA et le signe du vide de
l’échancrure. La rupture siège fréquemment à la partie supérieure du ligament : on note l’effacement de l’hyposignal ligamentaire et l’existence d’un signal inflammatoire de l’échancrure.
La sensibilité de cet examen varie cependant selon les cas de 61 à
100 % et la spécificité peut être estimée de 82 à 100 %, ce qui
explique que dans certaines situations l’IRM soit prise en défaut.
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Dans les cas où l’examen clinique met formellement en évidence une rupture du LCA et pour lesquels l’imagerie est
contradictoire, le verdict est alors en faveur du diagnostic
clinique. Par ailleurs, certains aspects de l’IRM peuvent évoquer
une rupture “incomplète” du croisé : le LCA se mettrait en nourrice sur le ligament croisé postérieur (LCP) mais cette notion
controversée n’a pas de traduction clinique véritable. Enfin, dans
certaines situations où le diagnostic clinique est hésitant et l’IRM
non contributive, il faut s’abstenir de toute décision hâtive, surveiller l’évolution et proposer un traitement d’attente par rééducation fonctionnelle.
L’un des intérêts de l’IRM dans le bilan d’une entorse du
genou est bien sûr de rechercher les lésions méniscales. Elles
sont fréquentes lors d’un traumatisme du genou et s’associent
à la rupture du LCA dans 45 à 77 % des cas selon les séries.
Elles touchent le plus souvent la corne postérieure du ménisque
interne. Celle du ménisque externe peut également être lésée. Il
s’agit souvent de lésions traumatiques à trajet vertical intraméniscal. L’autre aspect possible est celui d’une désinsertion périphérique.
Les lésions ligamentaires périphériques sont elles aussi très fréquentes, notamment lors de la pratique du ski, et en particulier l’atteinte du LLI. L’IRM peut montrer les aspects suivants : épaississement, rupture complète, désinsertion condylienne.
Enfin, l’IRM peut également mettre en évidence des aspects de
contusions osseuses, non visibles à la radio, témoignant du choc
transmis au plateau tibial ou au condyle (elles sont parfois en miroir).
Ces images d’œdème osseux, qui traduisent souvent la violence de
l’impact sur l’os sous-chondral du traumatisme, doivent inciter à la
prudence, et leur disparition doit être recontrôlée à quelques mois
(3 à 6 mois) de l’accident avant toute reprise sportive.
Il faut également surveiller l’évolution des lésions ostéo-chondrales du condyle externe ou du rebord tibial postéro-externe
(plus rarement du compartiment interne) qui s’associent fréquemment aux lésions ligamentaires :
– dans 50 % des cas, il s’agit de ruptures fraîches du LCA ;
– on peut également les observer quand il y a un étirement du LLI
entraînant un traumatisme du rebord osseux externe du genou.
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➤ Quelles recommandations thérapeutiques
Disparition du LCA de l’échancrure intercondylienne après rupture.
La Lettre du Rhumatologue - n° 320 - mars 2006
devant une rupture complète du LCA chez cette patiente
de 40 ans ? Doit-elle se faire opérer ? Quand programmer
une reprise du sport, et notamment du ski ?
Dans les situations où un doute diagnostique persiste après IRM
du genou, ou en cas de discordance radioclinique, il est nécessaire
de réévaluer l’état clinique du patient et il est possible de lui proposer une solution d’attente au moyen d’un traitement fonctionnel
par rééducation qui fera ou non sa preuve lors de la tentative de
reprise du sport dans les deux mois. La rééducation est alors basée
sur une récupération des amplitudes, en évitant l’installation d’un
flessum, et sur le renforcement musculaire du quadriceps et des
ischio-jambiers ainsi que des rotateurs du genou. Elle sera pratiquée deux fois par semaine pendant 2 à 3 mois, puis la reprise sportive se fera progressivement, avec des activités douces dans un premier temps, puis, dans un deuxième temps, des activités sportives
plus contraignantes qui permettront de tester les possibilités réelles
du patient.
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En cas de certitude diagnostique de rupture complète du
LCA, plusieurs cas de figure peuvent se présenter en fonction
de l’âge, de la motivation du patient et de son niveau sportif.
Dans le cas de cette patiente de 40 ans, qui souhaite continuer à
skier de façon satisfaisante et qui pratique une certaine activité
sportive durant l’année, l’intervention chirurgicale paraît justifiée
(elle peut être réalisée chez des patients motivés au-delà de
50 ans). Elle consiste à reconstruire anatomiquement le LCA au
moyen d’un transplant tendineux (tendons de la patte d’oie droit
interne et demi-tendineuse [DIDT] ou tendon rotulien [technique
de Kenneth-Jones]). Cette patiente pourra ainsi continuer à pratiquer un sport de pivot (avec nécessité de verrouiller la rotation
du genou) et reprendre le ski à son niveau antérieur.
S’il existe un traumatisme complexe du LCA, avec notamment
association lésionnelle méniscale, une intervention chirurgicale
de stabilisation du genou est également conseillée. En cas de
lésion méniscale traumatique ou de désinsertion périphérique du
ménisque diagnostiquée à l’IRM, on évitera de “méniscectomiser” sur genou instable (rupture du croisé), et ce d’autant que le
sujet est jeune, la suture méniscale étant alors préférable. Dans
tous les cas où il y a association lésionnelle ménisque- LCA, la
reconstruction du croisé reste prioritaire par rapport au traitement
de la lésion méniscale, qui sera éventuellement effectué une fois
le genou stabilisé.
Enfin, quelle que soit la technique chirurgicale utilisée pour
reconstruire le LCA, il faut informer la patiente de la nécessité
d’une rééducation postopératoire longue, programmée et progressive, et la prévenir que la reprise sportive intensive ne peut
être envisagée qu’au bout de 8 mois. Pour cette raison, certains
patients, malgré un diagnostic certain de rupture du LCA, semblent hésiter à se faire opérer, manquant de motivation en raison
des sacrifices imposés par l’intervention. Dans ce cas, la seule
alternative est de leur proposer un traitement fonctionnel prolongé
basé sur une rééducation de renforcement des stabilisateurs du
genou, d’une durée de 3 à 4 mois, qui leur évite une intervention
chirurgicale et leur permet de reprendre le sport dans des conditions plus ou moins satisfaisantes.
Bibliographie
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cruciate tears: evaluation of standard orthogonal and tailored paracoronal
images. Acta Radiol 2005;46(7):729-33.
❏ Jee WH, Mc Cauley TR, Kim MJ. Magnetic resonance diagnosis of meniscal
tears in patients with anterior cruciate ligament tears. J Comput Assist Tomogr
2004;28(3):402-6.
❏ Damborg F, Nissen N, Kuur E. Reconstruction of the anterior cruciate ligament
in patients over 40 years of age. Ugeskr Laege 2002;164(9):1217-20.
L ’ E S S E N T I E L
La rupture du LCA est un accident fréquent du skieur.
Il faut savoir l’évoquer devant tout traumatisme douloureux survenu en torsion du genou ou en extension brutale.
■ La radiographie est indispensable pour éliminer une fracture associée.
■ L’examen immédiat est souvent difficile et il faut se
contenter d’immobiliser le genou dans un premier temps.
■ Ne pas oublier d’examiner les autres structures articulaires, en particulier ligamentaires et méniscales.
■ L’examen clinique à distance (plus aisé) repose sur le test
de Lachman qui détecte un tiroir antérieur témoin de l’atteinte du LCA.
■ L’IRM est recommandée devant la suspicion de rupture
du LCA : elle confirme le diagnostic, mais sa spécificité n’est
pas de 100 %.
■ L’IRM permet de faire le bilan des lésions associées,
notamment méniscales.
■ Le traitement est affaire de spécialiste. Il sera fonctionnel
ou chirurgical selon les cas : devant une rupture complète
chez un sujet jeune, demandeur et sportif, la reconstruction
chirurgicale du LCA par transplant tendineux est justifiée.
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La Lettre du Rhumatologue - n° 320 - mars 2006
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