
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVIII - n° 6 - juin 2014
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Les voies neurophysiologiques du plaisir alimentaire
charge de l’évaluation hédonique du stimulus plaisant
(anticipation, évaluation, expérience et apprentissage)
[12]. Par ailleurs, la régulation de la motivation inclut
un réseau plus large, qui comprend en plus l’amygdale
(régulation émotionnelle de la peur/anxiété) et le sys-
tème dopaminergique mésolimbique et glutamater-
gique corticolimbique (13). De manière attendue, les
signaux périphériques qui contrôlent la prise de nour-
riture comme la leptine ou la ghréline sont également
impliqués dans la modulation du circuit dopaminer-
gique mésocorticolimbique (fi gure 2) pour augmenter
ou diminuer la valeur motivationnelle de la nourriture
en fonction des besoins énergétiques. La stimulation
électrique ou chimique de ces régions peut conduire à
des comportements de “binge-eating” chez des rongeurs
nourris à satiété (14). Cela suggère que les eff ets induits
par l’obtention d’une nourriture plaisante sont une
force motivationnelle qui peut outrepasser les signaux
homéostatiques de satiété. La leptine et la ghréline
agissent directement sur les neurones dopaminergiques
de l’aire ventrale tegmentale (VTA). Le récepteur de la
leptine est exprimé sur des neurones dopaminergiques
qui projettent dans le noyau central de l’amygdale, et
pour une plus faible part sur des neurones qui pro-
jettent dans le noyau accumbens. L’activation de ce
récepteur conduit à une diminution des décharges
de neurones dopaminergiques, ce qui se traduit par
une moindre libération de dopamine dans le noyau
accumbens et donc à une diminution du renforcement
(15). De même, le récepteur à la ghréline est exprimé
dans la VTA et au niveau de sa cible principale, le noyau
accumbens. Cette hormone contribuerait à augmenter
la valeur récompensante d’une nourriture palatable en
modulant l’activité anticipatoire à la prise alimentaire
(16). Contrairement à la leptine, la ghréline augmente
la fréquence de décharge des neurones dopaminer-
giques de la VTA (15). Ces signaux périphériques du
métabolisme pourraient ainsi exercer une modifi cation
indirecte du niveau d’anxiété de l’organisme afi n que
ce dernier adopte le comportement le plus adéquat et
effi cace en termes de sélection et de prise alimentaire.
Trop manger par plaisir
etplaisirdeneplusmanger
De manière corollaire, un dysfonctionnement du circuit
de la récompense est associé à l’obésité et à l’anorexie
mentale : manger ou arrêter de manger pour atteindre
une sensation de plaisir. Dans le cas de l’obésité, les
autoévaluations et les études comportementales
révèlent des scores élevés lors de la consommation
anticipatoire de nourriture récompensante. Ces don-
nées sont confortées par des études de neuro-imagerie
réalisées chez des individus obèses, chez lesquels le
cortex gustatif (insula) et les régions somatosensorielles
recouvrant l’insula (operculum pariétal et rolandique)
sont davantage activés en réponse à la prise anticipée et
à la consommation de nourriture palatable par rapport à
des personnes minces. De plus, des études en imagerie
par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) menées
chez des sujets non obèses montrent que la présenta-
tion/ingestion de nourriture fortement palatable aug-
mente la transmission dopaminergique dans le striatum
ventral, alors que cette activation est émoussée chez les
sujets obèses. Cet eff et est accentué chez les individus
présentant un polymorphisme génétique associé à une
réduction de l’expression du récepteur dopaminer-
gique D2 (14). Chez des rats obèses, une diminution des
concentrations de dopamine dans le noyau accumbens,
en condition basale ou après stimulation avec de la
nourriture, ainsi qu’une baisse de la densité en récep-
teurs D2 sont décrites (14). Ainsi, le défi cit en récepteurs
dopaminergiques de type D2 pourrait prédisposer les
individus à rechercher des stimulations renforçantes
et donc à manger de manière excessive pour stimuler
un système dopaminergique de récompense défi cient.
Cette faible disponibilité en récepteurs D2 est égale-
ment associée à un hypo métabolisme dans le cortex
préfrontal, ce qui aurait pour conséquence de favoriser
l’hyperphagie par perte d’un contrôle inhibiteur per-
tinent (17). Dans le cas de l’anorexie mentale, cette
maladie psychiatrique présente une étiologie complexe
et comprend plusieurs sous-types. Les patients de type
restrictif, souvent hyperactifs, anhédoniques et ascé-
tiques, présentent une résistance à la prise alimentaire
et ne trouvent rien de plus récompensant que la perte
de poids physique, qui devient une obsession. Cela sug-
gère une altération des systèmes de récompense, donc
une altération du système dopaminergique, chargé de
lier l’évaluation hédonique d’un stimulus à une action
(“wanting”). Quelques rares travaux en neuro-imagerie
montrent une augmentation de la densité de récep-
teurs D2/D3 dans le striatum ventral associée à une
diminution des métabolites dopaminergiques dans le
liquide céphalorachidien et à une altération de la trans-
mission sérotoninergique dans le cortex préfrontal, qui
est corrélée positivement avec des scores d’évitement
(18). De plus, à la suite de la présentation de signaux de
nourriture, on observe chez les patients anorexiques
une plus forte activation du cortex préfrontal, du cor-
tex cingulaire et du striatum par rapport aux sujets
témoins (19). La consommation de nourriture entraîne
une hyperréactivité du striatum ventral, ce qui laisse