É D I T O R I A L Urgences vitales en gastroentérologie : le point de vue de l’urgentiste ● D. Pateron* a médecine d’urgence est la science de l’aigu, c’est-àdire de la prise en charge des motifs de recours non programmés. C’est la médecine des premières heures, avec un contexte spécifique dans le processus de décision : simultanéité de l’identification des signes de gravité et de la décision des actions diagnostiques et thérapeutiques à entreprendre. L’urgentiste est au cœur de cette organisation et du fonctionnement d’une filière centrée sur le patient, organisée autour de structures et d’acteurs aux compétences synergiques. L Les urgences vitales en hépato-gastroentérologie illustrent bien la collaboration étroite qu’il doit y avoir entre les médecins urgentistes et les spécialistes, qu’ils soient médecins ou chirurgiens. La médecine d’urgence doit souvent raisonner dans un premier temps en termes de motif de recours (ce qui amène le malade à consulter), et non pas en termes de pathologie. Les urgences vitales hépato-gastroentérologiques concernent un champ assez varié de situations. Il peut s’agir d’une hémorragie digestive extériorisée, d’une douleur abdominale intense, ou d’un état de choc. Il s’agit de motifs de recours aux soins qui amènent les malades à consulter au service des urgences ou à être pris en charge par les services d’urgences préhospitaliers et qui recouvrent de nombreuses maladies. Ils nécessitent une prise en charge immédiate et correspondent logiquement aux urgences immédiates ou absolues telles que définies par la classification d’accueil et d’orientation des malades urgents (1). thérapeutiques initiales spécifiques dont la mise en œuvre est essentielle, puisque, dans certains cas, elle influence directement le pronostic. Quelques exemples peuvent illustrer ce propos. – L’urgence abdominale suraiguë ne concerne qu’environ 1 % des douleurs abdominales. À ce stade, le rôle de l’urgentiste est de déterminer sans délai s’il s’agit d’un abdomen suraigu ou aigu. Il convient d’organiser “le chaos” par une évaluation structurée au moyen de paramètres objectifs. Lorsqu’il existe un état de choc, des signes de péritonite, le recours au chirurgien doit s’effectuer sans délai et surtout sans autre examen complémentaire qui retarderait ce recours (évidence de type I). Lorsqu’il existe une masse pulsatile, une suspicion de grossesse extra-utérine ou une ischémie mésentérique, la réalisation d’une échographie ou d’un scanner est demandée sur place tandis que le chirurgien est appelé. Un tympanisme abdominal, des vomissements survenant secondairement aux douleurs font rechercher un syndrome occlusif ou un pneumopéritoine, et l’appel du chirurgien aux urgences est alors nécessaire (évidence de type IIa). L’incidence de ces urgences digestives vitales n’est pas très élevée, mais celles-ci représentent environ 40 % de toutes les opérations effectuées pour une urgence vitale. La prise en charge de ces malades nécessite une organisation de la filière de soins et une collaboration entre médecins des services d’urgences, gastroentérologues, chirurgiens mais aussi radiologues et réanimateurs. Leur intervention spécialisée dans le processus de prise en charge peut être très précoce ou s’effectuer après une phase initiale de stabilisation du malade. De plus, les urgentistes doivent connaître certaines – Une étude récente a montré une amélioration du pronostic des hémorragies en termes de mortalité chez le malade atteint de cirrhose (2). Cela est probablement dû à la mise en œuvre très précoce des thérapeutiques spécifiques comme l’utilisation des vasopresseurs. De nombreuses études et des conférences de consensus récentes ont bien insisté sur le caractère essentiel de la précocité de mise en œuvre de ces thérapeutiques, y compris en préhospitalier. L’élaboration de protocoles pour la prise en charge de ces malades est essentielle et doit être l’aboutissement d’un travail coopératif étroit entre les gastroentérologues et les urgentistes. Dans le domaine des hémorragies digestives d’origine ulcéreuse, la connaissance ou l’information qu’a l’urgentiste de la classification de Forrest est un élément fondamental de l’orientation initiale du malade à partir de la zone d’accueil des urgences, et de son éventuelle sortie précoce s’il a été hospitalisé en unité d’hospitalisation de courte durée des urgences. * Service des urgences adultes, CHU Jean-Verdier, Bondy. – Les hépatites graves sont dominées par la décision de transplantation, qui n’est pas du ressort de l’urgentiste, mais dont les critères peuvent être influencés par l’action de ce dernier. Dans cette situa- La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VIII - juillet-août 2005 137 tion, le but essentiel de l’urgentiste est de ne pas être délétère et de préserver les critères qui permettront de prendre une décision. La collaboration avec les hépato-gastroentérologues passe par ce transfert de connaissances et par la mise en place d’une filière de prise en charge permettant le transfert du malade dans un centre spécialisé. – Le problème clé lors de la prise en charge d’une colite aiguë grave est de ne pas faire courir un risque vital au malade du fait d’une prise en charge insuffisante, en particulier d’une colectomie trop tardive, et d’éviter une colectomie à un malade dont la poussée pourrait guérir médicalement. Pour l’urgentiste, il convient donc de la reconnaître et d’affirmer sa gravité. La collaboration avec l’équipe médicochirurgicale spécialisée dans le tube digestif est essentielle, même si les échelles de gravité ont été développées à l’admission du malade (3). Tous ces exemples illustrent la nécessaire collaboration entre urgentistes et spécialistes médicochirurgicaux du tube digestif. Elle ne se limite pas à l’indication des examens endoscopiques. Elle passe 138 par l’élaboration de protocoles locaux, par l’intervention de spécialistes reconnus dans les congrès et par l’enseignement du DESC de Médecine d’urgence. Les urgences ne doivent pas être l’hôpital dans l’hôpital mais un lieu d’accueil et d’orientation dont la qualité dépend en grande partie de ses collaborations avec les spécialistes. Cela est particulièrement vrai pour ceux dont le domaine de compétence influence la prise en charge des premières heures comme dans le cadre des urgences digestives. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Société francophone de médecine d’urgence. Référentiel infirmière organisateur de l’accueil. Paris : Éditions scientifiques L&C ; 2004. 2. Carbonell N, Pauwels A, Serfaty L et al. Improved survival after variceal bleeding in patients with cirrhosis over the past two decades. Hepatology 2004;40:652-9. 3. Bouhnik Y, Cortot A. Diagnostic et prise en charge des colites aiguës graves au cours des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. In : Urgences 2002. Paris : Arnette, 2002. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VIII - juillet-août 2005