Ce qui m’intéresse aussi est de croiser les disciplines. Et à mon sens, la philosophie est discipline la plus adaptée pour
cela. La philosophie peut être un lieu d'échange qui permet aux gens de branches différentes de se comprendre, de se
parler, de mettre en rapport des manières de travailler très différentes. Entre un théologien et un scientifique, l'objet
d'étude peut être le même, mais les outils pour s'en approcher peuvent être différents. Et ce qui permet à ces personnes
de disciplines différentes de trouver un terrain de discussion, c'est la philosophie et l'épistémologie.
Avez-vous pu prendre contact avec des philosophes de l'ENS-LSH qui travaillent sur ces questions ?
Je n'en connais pas. J'espère que le contact pourra se faire. Cela se fera peut-être petit à petit. Comme je suis aumônier
de l'ENS, je connais les étudiants de l'aumônerie. Je pourrais leur en parler et ils contacteront ensuite des enseignants.
Vous avez deux expériences différences, une à Saint-Genis Laval et une à Gerland. Est-ce en raison du public
visé ?
A Saint-Genis Laval, lorsque j’y étais nommé, j'ai créé autre chose. Mais c'est drôle parce qu’en définitive, cela a abouti
un peu à la même question, mais par des voies différentes. On avait proposé une grande table ronde sur l'origine de
l'univers, la science et la religion. Mais c'était surtout parti d'un dialogue entre les religions, parce que j'avais été en
contact avec des responsables musulmans, de différents groupes d'ailleurs, et avec des chrétiens - des évangéliques et
des catholiques – et il y avait le souhait d'un dialogue avec la science du fait de la présence de l'observatoire. Ces
manifestations n’étaient pas destinées aux chercheurs eux-mêmes. C'était pour le « tout-venant » et en fait les gens se
sont énormément intéressés à la question. Mais la présence de l'observatoire a vraiment permis de mettre en place cette
forme de dialogue : on a pu vraiment discuter, même s'il y avait des réticences de la part de certains scientifiques. C'était
à l'échelle de la commune dans laquelle, il y a l'observatoire, des croyants qui sont intéressés par les sciences, des
non-croyants curieux, des scientifiques, etc. Ici, à Gerland, je ne le savais pas avant d'arriver, mais quand j'ai vu
concentration de chercheurs, je me suis interrogé. Comment faire pour les aider à réfléchir d’une autre manière ? Quand
ont-ils l'occasion de prendre du recul ? Accidentellement, j'ai vu qu'on avait un local et je me suis dit : autant se servir de
ça, le lieu existe déjà, il n'y a plus qu'à provoquer la rencontre.
Avez-vous l'impression que cela est bien accueilli ?
Pour l’instant oui. Tous les gens à qui j'en parle disent que l’idée est très intéressante. Je ne vois qu’un tout petit
pourcentage des gens qui travaillent ici, mais tous ceux que je rencontre sont intéressés. Je suppose qu'il y a une partie
des scientifiques qui pourront dire : « ah non s’il y a la religion, on ne doit pas y aller ». A Saint-Genis Laval, j’ai été
confronté à ce genre de problèmes et j’ai vu des astronomes qui écrivaient cela : « puisqu'il s'agit de discuter avec un
croyant, qui se revendique comme croyant, on ne doit pas y aller au nom de la science ». C'est une aberration parce
qu’au nom de la science justement on doit écouter tout le monde et on n'a pas peur. Il y a là une espèce de scientisme
qui me paraissait vraiment dépassé avant de me lancer dans de telles aventures, mais je me rends compte qu’en fait, il
ne l’est pas du tout. Donc je peux être confronté aussi ici à Gerland, à ce genre de réaction. Peut-être que je le saurai,
peut-être que je ne le saurai pas. Je verrai.
Vous avez choisi de destiner ces conférences à un public déjà engagé dans les sciences, et non pas au grand
public, pourquoi ?
La première raison est vraiment pragmatique. Il s’agit d’une question de place. Le lieu est trop petit. A Saint-Genis Laval,
j'avais demandé une salle à la mairie. Ils m'avaient réservé une salle de vingt personnes. J’ai estimé cela trop juste et j’ai
demandé plus. Au final, j’avais réussi à obtenir celle de 300 personnes et elle était pleine pratiquement à chaque
manifestation. On aurait pu avoir un millier de personnes. Dix jours avant la conférence, on a commencé à dire aux gens
: « ne venez pas, on n’a pas de place ». Je ne veux pas me retrouver dans la même position ici. Mais je pense qu'il y
aurait moins de monde de toute façon car la culture « gerlandaise » n'est pas la culture « saint-genoise ».
C'est-à-dire ?
A Saint-Genis Laval, il y a beaucoup de cadres de toutes professions qui aiment réfléchir, s’interroger, se questionner. A
Gerland, beaucoup moins. Ce n'est pas le même public. Donc, d’emblée je me suis dit qu’il y aurait à Gerland moins de
monde qu’à Saint-Genis Laval. Mais il n'empêche que si on ouvrait cela au grand public, ça ne tiendrait pas de toute
façon dans la salle que nous avons à disposition. De plus, le créneau est un vraiment dédié à ceux qui sont libres entre
midi et deux et donc qui travaillent ici. De plus, nous avons fait le choix de mettre en place des conférences de haut
niveau, alors qu'à Saint-Genis Laval, elles étaient vraiment du côté de la vulgarisation. Lors de la deuxième conférence,
nous aurons une personne d'Oxford. C'est une sommité mondiale sur l'histoire du dialogue sciences-religions. Il va falloir
écouter une conférence de trois quarts d'heure en anglais. Ce n'est, à mon sens, pas pour le grand public. Ce n'est pas
le but. Alors un jour peut-être, mais ça sera plutôt avec des acteurs locaux, le centre social par exemple. Pour l'instant, il
n’y a rien de prévu en ce sens.
En d’autres termes, l’idée aujourd’hui est vraiment de créer un dialogue science-religion avec les scientifiques
de Gerland ?