ARTICLE
LA CONSTRUCTION PAR LA DOCTRINE
DANS LES MANUELS DE DROIT CIVIL FRANÇAIS
ET QUÉBÉCOIS DU STATUT JURIDIQUE
DE L’EMBRYON HUMAIN
VOLET 1 : LA MAXIME « INFANS CONCEPTUS »*
par Gaële GIDROL-MISTRAL**
Anne SARIS***
En droit civil, « l'enfant à naître » est indissociablement lié à la maxime romaine
infans conceptus. C'est en effet à travers son prisme que les civilistes abordent la ques-
tion de la personnalité juridique de l'embryon. Pour mettre en œuvre cette technique juri-
dique, ces auteurs mobilisent différentes constructions de la personnalité juridique de
l'embryon. Ces dernières se rapportent à quatre courants interprétatifs préalablement
identifiés par les auteures : celui de la fiction stricto sensu, celui de la personnalité juri-
dique actuelle, et ceux de la personnalité juridique conditionnelle soumise à une condition
suspensive ou résolutoire. Derrière ces courants se profile le statut juridique de l’em-
bryon : « chose » pour la théorie de la fiction, « personne » pour les théories de la per-
sonnalité juridique actuelle et de la personnalité juridique soumise à condition résolutoire
(personnalité précaire); « catégorie sui generis » pour la théorie de la personnalité juri-
dique soumise à condition suspensive (personnalité fictivement anticipée).
À partir d'une étude des manuels de droit civil touchant au droit des personnes,
auxquels quatre articles d'auteurs québécois ont été ajoutés, cet essai synthétise les idées
de cette doctrine et mène une analyse minutieuse de la terminologie employée, identifiant
le courant interprétatif de la maxime infans conceptus dans lequel s'insère leur pensée.
Dévoilant ainsi leur qualification de l'embryon (chose, personne ou catégorie sui generis),
il questionne la cohérence de leur présentation du statut juridique de l'embryon pour re-
lever les dissonances entre sa nature et la description du régime juridique qui ressort du
droit positif. À ce titre, plusieurs controverses, illustrant la difficulté de proposer une théo-
rie cohérente de l'ensemble des règles qui régissent cet objet du droit, ont été mises à jour.
Elles concernent, entre autre, l’étendue des droits reconnus à l’embryon (droits patrimo-
niaux et/ou extrapatrimoniaux), l’identification des mesures visant à protéger les intérêts
de l’« enfant conçu » (mesures conservatoires ou exécutoires) ou encore la possibilité ou
non d’appliquer la maxime latine infans conceptus aux embryons ex utero.
*. Le deuxième volet de cet article sera consacré à l’embryon humain saisi
par le droit sous le prisme de la personne humaine. Cet article fait suite à
une conférence prononcée au Colloque du 50e anniversaire de l’AQDC à
l’Université de Sherbrooke le 28 octobre 2011, fruit d'une égale collabora-
tion entre les auteures.
** . Professeure de droit à l’Université du Québec à Montréal.
*** . Professeure de droit à l’Université du Québec à Montréal.