La théorie des actes de langage et l'héritage de Wittgenstein
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Prenons pour exemple la phrase suivante : "Je promets d'essayer de ne pas dépasser
mon temps de parole". On peut distinguer ici plusieurs actes, à savoir :
- l'acte d'énonciation qui se place à un niveau linguistique et sonore : c'est la
prononciation des phonèmes qui aboutit à la phrase complète.
- l'acte propositionnel, qui attribue une signification à ces mots, par exemple par la
référence à mon temps de parole. Le contenu propositionnel est représenté par p si je
symbolise ma phrase sous la forme "Je promets que p".
- l'acte illocutionnaire qui est, tel que le définit Searle, "l'acte de langage complet", ici
l'acte de promettre.
- l'acte perlocutionnaire qui est l'acte considéré du point de vue des effets attendus sur
l'auditoire. Ici l'acte perlocutoire effectué en prononçant ma phrase est de chercher à mieux
vous faire comprendre ce qu'on entend par acte perlocutoire. Placée au début de mon exposé,
cette même phrase aurait eu comme fonction perlocutoire de rassurer l'assistance, en
particulier les organisateurs de cette journée.
Le but de la théorie des actes de langage est donc de mettre à jour des distinctions
semblables, ou d'autres ayant trait à des mots que l'on pourrait dire caractéristiques de la
terminologie de la philosophie du langage, tels que "signification", "référence", "prédication",
etc., en prenant pour hypothèse que ce qui rend possible l'étude de ces divers actes et de
l'usage de ces termes est qu'ils sont régis par un système de règles. Pour cette raison, le
moyen adopté par Searle est de donner "une formulation exacte aux règles sous-jacentes". Et
c'est bien en effet ce qu'il tente de réaliser, comme nous le verrons.
Mais revenons un instant sur ce que Searle entend par l'expression "un système de
règles". Pour faire comprendre la signification du concept de règle, Searle distingue entre ce
qu'il appelle des règles normatives et des règles constitutives :
Les règles normatives gouvernent des formes de comportement préexistantes ou existant de façon
indépendante ; les règles de politesse, par exemple, gouvernent les relations inter-personnelles qui
existent indépendamment des règles. Mais les règles constitutives, elles, n'ont pas une fonction
purement normative, elles créent ou définissent de nouvelles formes de comportement. Les règles
du football ou du jeu d'échecs, par exemple, ne disent pas seulement comment on joue aux échecs
ou au football, mais elles créent pour ainsi dire la possibilité même d'y jouer.
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Pour reprendre le type d'exemples donnés par Searle, on peut expliquer la distinction en
envisageant une règle normative quelconque, par exemple la règle selon laquelle on doit, dans
certaines familles, se présenter à table à une heure précise. Cette règle n'a rien à voir avec le
fait que les membres de ces familles prennent effectivement des repas, c'est-à-dire qu'ils
s'alimentent à intervalles à peu près réguliers. La règle de la ponctualité régit les repas de ces
familles, mais pour ainsi dire de l'extérieur. Au contraire, la connexion existant entre les
règles constitutives et les comportements qu'elles régissent pourrait être caractérisée comme
étant une connexion interne. Ce qui signifie que ces règles sont d'une certaine manière
indispensables à l'accomplissement des actions dont elles constituent les règles. Ainsi, dans
l'exemple des échecs, on peut envisager deux personnes déplaçant des pièces sur un damier,
mais c'est précisément l'existence des règles des échecs qui permet de définir leur
comportement comme celui de joueurs d'échecs. Il en va de même lorsque nous parlons. A
savoir que certaines règles régissent notre emploi des mots. Les règles que Searle veut
exprimer sont des règles constitutives, celles qui régissent notre comportement lorsque nous
parlons, et plus précisément lorsque nous réalisons les divers actes de langage que j'ai
7 : idem, 72.