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Chapitre III - F. Berenbaum
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Données récentes sur la physiopathologie de l’arthrose :
rôle de l’inflammation
● F. Berenbaum*
Points forts
Une articulation arthrosique en poussée libère des
médiateurs pro-inflammatoires intervenant dans les processus de dégradation articulaire.
■
■ Le cartilage, par l’intermédiaire des chondrocytes, est
impliqué directement dans ces processus inflammatoires.
Le tissu synovial, activé par le cartilage, et l’os souschondral jouent également un rôle dans l’inflammation
arthrosique.
■
■ Les recherches actuelles portant sur la signalisation
intracellulaire des chondrocytes mise en jeu lors des poussées inflammatoires arthrosiques devraient aboutir, à
moyen terme, à de nouveaux médicaments antiarthrosiques.
Mots-clés : Arthrose - Inflammation - Chondrocyte Synoviocyte.
D‘
un point de vue purement nosologique, la pathologie arthrosique s’oppose à la pathologie arthritique, la première étant une pathologie mécanique, la seconde une pathologie inflammatoire. Ces notions
classiques s’appuient à la fois sur des données cliniques, biologiques et anatomiques. Un malade souffrant d’arthrose aux
membres inférieurs ressent la douleur essentiellement à la marche
(d’où le terme de pathologie “mécanique”) et est soulagé par le
repos. L’analyse du liquide synovial montre un liquide pauvre en
cellules et en protides ; l’observation anatomique révèle des
lésions dégénératives, et en particulier une usure du cartilage.
Cependant, l’évolution naturelle de l’arthrose est parfois émaillée
d’événements aigus, durant lesquels la douleur se fait plus intense.
Il est alors classique de parler de “poussées congestives” d’arthrose. L’examen clinique lors de poussées congestives peut révéler des signes assez comparables à ceux d’une arthrite : douleur,
chaleur, rougeur, tuméfaction, même si ces points cardinaux de
l’inflammation n’ont que rarement l’intensité d’une poussée de
polyarthrite rhumatoïde.
* Hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Fg-Saint-Antoine, 75012 Paris.
La Lettre du Rhumatologue - n° 250 - mars 1999
Durant les derniers mois, plusieurs auteurs ont montré une augmentation des taux de CRP sérique au cours de la gonarthrose
en poussée congestive, à l’aide de dosages ultrasensibles, allant
même jusqu’à considérer ce marqueur biologique d’inflammation comme un marqueur prédictif de dégradation articulaire (1).
Ces travaux suggèrent qu’une articulation arthrosique en poussée libère des médiateurs pro-inflammatoires intervenant dans
les processus de dégradation articulaire. Ainsi, une meilleure
connaissance des mécanismes qui sous-tendent ces phénomènes
inflammatoires devrait aboutir à de nouvelles cibles thérapeutiques.
Cet article se propose donc de réunir quelques travaux publiés
tendant à décrypter ces phénomènes inflammatoires ainsi que les
événements initiateurs de cette inflammation au cours de la poussée congestive d’arthrose.
INFLAMMATION : DÉFINITION
Au début de notre ère, Celcius définit le terme d’inflammation
par les fameux points cardinaux : douleur, rougeur, chaleur, tuméfaction. Il a fallu attendre le XVIIIe siècle pour qu’une relation
entre ces signes cliniques et l’existence d’une vasodilatation avec
extravasation locale soit suggérée. Durant les vingt dernières
années, cette définition s’est considérablement précisée grâce aux
progrès de la biologie moléculaire. Nous savons désormais que
les signes cliniques de l’inflammation sont liés à la présence de
médiateurs biochimiques, tels que des cytokines, des icosanoïdes,
des réactifs oxygénés, capables d’activer certaines cellules présentes au sein du foyer inflammatoire. Ces cellules, en retour,
deviennent elles-mêmes capables de sécréter ces médiateurs, activant à leur tour les cellules voisines. Ainsi, les signes cliniques
de l’inflammation sont le résultat de cette cascade. On peut donc
émettre l’hypothèse qu’un tissu macroscopiquement non “inflammatoire” puisse tout de même être un tissu “pro-inflammatoire”,
car capable de participer à cette cascade. Les travaux détaillés cidessous montrent que, dans l’arthrose, le cartilage et le tissu synovial sont capables de produire tout ou partie de ces médiateurs
pro-inflammatoires.
RÔLE DU CARTILAGE ARTHROSIQUE DANS LES PHÉNOMÈNES INFLAMMATOIRES ARTHROSIQUES
Le cartilage est un tissu non vascularisé et non innervé. Les seules
cellules résidentes sont les chondrocytes, cellules enfermées dans
des logettes entourées d’une riche matrice fibreuse empêchant
leur prolifération. Ainsi, l’aspect global du cartilage donne l’impression d’un tissu inactif. En fait, ces cellules sont douées d’un
métabolisme impressionnant : elles sont à l’origine du turnover
des protéoglycanes, elles produisent de nombreuses protéases et
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antiprotéases permettant l’autonomie du cartilage quant à son
homéostasie. Une fois activées, ces cellules sont capables de produire des cytokines telles que l’IL1 et le TNFα, deux cytokines
retrouvées dans le liquide synovial lors de poussées d’arthrose
(2). Au cours de l’arthrose, les chondrocytes sont capables de
produire des médiateurs lipidiques pro-inflammatoires, et en particulier la prostaglandine E2. Cette production chondrocytaire
accrue au cours de l’arthrose est due, au moins en partie, à une
augmentation de la synthèse de la phospholipase A2 (3) et de la
cyclooxygénase 2 (4) faisant intervenir le monoxyde d’azote
(NO) (4) par l’intermédiaire d’une NO synthase inductible chondrocytaire (5).
Plusieurs hypothèses, non exclusives, sont proposées pour
expliquer l’initiation de cette activation chondrocytaire.
– La première évoque la libération dans la cavité articulaire de
produits de dégradation de la matrice cartilagineuse. Ces produits
sont phagocytés par les macrophages du tissu synovial, qui amorcent une réaction immunitaire. Le tissu synovial est alors activé,
libérant différents médiateurs pro-inflammatoires tels que l’IL1,
le TNFα (6) et la prostaglandine E2 (7), qui viennent eux-mêmes
activer les chondrocytes par l’intermédiaire de leur récepteur spécifique présent à la surface chondrocytaire. On note d’ailleurs un
certain degré d’inflammation synoviale macroscopique au cours
de l’arthrose (8).
– La seconde hypothèse ne fait pas intervenir le tissu synovial
mais uniquement le cartilage. Si l’on en croit les modèles in vitro,
des pressions anormalement élevées appliquées sur le cartilage
aboutissent à un défaut de production de matrice. Cette modification métabolique pourrait être due à la stimulation de mécanorécepteurs récemment mis en évidence à la surface des chondrocytes. À l’inverse, une pression intermittente faible appliquée sur
les chondrocytes aboutit à une stimulation de la synthèse de
matrice et à une diminution de la production de cytokines proinflammatoires (9).
– Enfin, une troisième hypothèse ferait intervenir l’os sous-chondral. En effet, ce tissu est composé de divers types cellulaires dont
certains, comme les ostéoblastes et les ostéoclastes, sont capables
de produire différents médiateurs pro-inflammatoires et cytokines
(10). Cependant, son rôle dans les manifestations inflammatoires
de l’arthrose reste controversé.
RÔLE DE L’INFLAMMATION DANS LA DESTRUCTION DU
CARTILAGE
La difficulté d’établir une relation de cause à effet entre inflammation et destruction cartilagineuse réside dans le fait que ces
deux événements sont le produit de cascades d’activation complexes, parfois identiques, parfois indépendantes. Par exemple,
l’IL1 est une cytokine à la fois pro-inflammatoire (puisqu’elle provoque la libération de facteurs angiogéniques, chimiotactiques,
algogènes) et prodégradative par libération de diverses métalloprotéases (11). À l’inverse, des mécanismes indépendants de tout
élément inflammatoire sont proposés dans la physiopathologie de
la destruction articulaire. Par exemple, on s’intéresse actuellement
à d’éventuels facteurs génétiques responsables d’anomalies de la
matrice cartilagineuse ou de certains facteurs de croissance aboutissant à un déséquilibre de la balance protéase/antiprotéase.
Ces hypothèses, bien que contradictoires, pourraient être complémentaires : le cartilage pourrait se dégrader sans production massive de médiateurs pro-inflammatoires mais, lors d’une poussée
“congestive”, le processus dégradatif pourrait s’accélérer.
CONCLUSION
Ainsi, la destruction du cartilage observée au cours de l’arthrose
peut être la conséquence, au moins en partie, de phénomènes
inflammatoires locaux pouvant prendre l’aspect clinique d’une
poussée inflammatoire. L’approche biochimique de cet aspect clinique confirme le rôle majeur joué par le cartilage, et en particulier par le chondrocyte, dans ces phénomènes destructeurs mais
également inflammatoires. La recherche de nouveaux médicaments “antiarthrosiques” visant à diminuer la capacité des chondrocytes à synthétiser des médiateurs pro-inflammatoires devient
un objectif à moyen terme. Les recherches fondamentales actuelles
portant sur la signalisation intracellulaire des chondrocytes
devraient aboutir d’ici une dizaine d’années à de nouvelles molécules ciblant des voies de signalisation chondrocytaire.
■
.../...
Figure. Rôles du chondrocyte et du synoviocyte
dans la synthèse de médiateurs pro-inflammatoires
au cours de l’arthrose.
COX-2 = cyclooxygénase 2 ;
sPLA2 = phospholipase A2 sécrétée de type II ;
cPLA2 = phospholipase A2 cytosolique ;
IGFI = insulin-like growth factor I ;
PGE2 = prostaglandine E2.
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phiques
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C
FM
1. Quels sont les trois tissus articulaires qui pourraient être impliqués dans la poussée inflammatoire d’arthrose ?
2. Quelles sont les deux principales cytokines impliquées, à l’heure actuelle, dans l’inflammation arthrosique ?
3. Quels sont les principaux médiateurs pro-inflammatoires synthétisés par les chondrocytes ?
Réponses p. 47
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