Avant-propos
Essai de lecture des « figures du suspens » :
la source, le mont, l’arbre et l’oiseau (serpent)
prémices imagées du jardin
dans l’art de la Haute Antiquité du Moyen-Orient
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La source, le mont, l’arbre
Fig. 0.1. Milieu IIIe millénaire, Fig. 0.2. Début IIe millénaire, Fig. 0.3. Milieu Ier millénaire,
Mésopotamie (sceau-cylindre). Suse, Iran (pierre bitumineuse). Arjân, Iran (anneau d’or).
La source (un flux sinueux), le mont (une imbrication d’écailles montueuses), l’arbre (un rameau stylisé),
prémices imagées du jardin.
Fig. 0.4. Première moitié Ier millénaire, Suse, Iran. (bas-relief du palais d’Ashshurbanipal [668-627], Ninive).
Temple élamite, en forme de « mont à degrés », qualifié de « temple-dans-un-bosquet ».
Fig. 0.5. Fin XIVe siècle, Angers. La source, le mont, l’arbre et la « Jérusalem céleste »
(tapisserie de l’Apocalypse).
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La source, le mont, l’arbre
Fig. 0.6. Fin IVe millénaire, Uruk, Mésopotamie (sceau-cylindre).
Le roi-pasteur se saisit de la puissance de vie figurée par l’arbre et s’institue seul intercesseur entre la divinité (Inanna),
symbolisée par les hampes ourlées, et son peuple (les bêtes à cornes).
Fig. 0.7. Première moitié Ier millénaire, Dûr Sharrukîn (Khorsabad), Assyrie (bas-relief).
Première illustration d’un parc royal, création de Sargon II (721-705).
Fig. 0.8. Fin XVe siècle, Hérat. La source, le mont, l’arbre :
Nezâmî dans le jardin rêvé des grands poètes du passé (frontispice du manuscrit le Rempart d’Alexandre).
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En quête d’une archè, d’un principe « premier », au sens des philosophes présocratiques, permettant
de rendre compte de l’origine et du devenir du jardin dans les cultures de la Haute Antiquité du Moyen-
Orient, trois représentations conventionnelles se sont détachées de notre documentation pour forger ses
prémices imagées : un flux sinueux, valant pour la source, une imbrication d’écailles montueuses, ou de
quelques roches mêlées, figurant le mont et une représentation stylisée d’un rameau, illustrant l’arbre
(fig. 0.1, 0.2 et 0.3).
Toujours associées, ces figures « premières » la source, le mont et l’arbre, illustrés dans leur plus simple
expression traversent le temps et l’espace ; nombre de cultures les ont adoptées en sorte qu’on les voit,
étonnamment, perdurer dans les représentations graphiques de la fin du IVe millénaire avant notre ère
(fig. 0.6) à la fin du Moyen-Âge, tant en Orient (fig. 0.8) qu’en Occident (fig.0.5).
Élaborant, par leur riche articulation, un système de signes exprimant une abstraction universelle
saisissant le jardin dans sa dynamique en prise, à la fois, sur celle de la nature (dans ses métamorphoses
permanentes entre élan et déclin) et celle de l’imaginaire (entre rêve et réalité) , ces trois figures, selon la
façon dont elles apparaissent combinées dans les cultures de la Haute Antiquité, ont cette valeur
remarquable, sans pareil, d’illustrer, durant des millénaires, sur des supports extrêmement variés ou dans des
réalisations à l’échelle du paysage (fig. 04 et 07), tant la perception de l’environnement, rendue de façon
abstraite à l’aide de ces signes, que le processus de projection et d’identification de l’imagination dans et
avec la force vitale que celui-ci recèle en ses confins, à l’horizon du monde. Un horizon perçu à la façon
d’un espace matriciel, d’une bouche d’ombre étincelante en forme de mont à double cime (voir page de
couverture et fig. 09) la vie surgit, empruntant, chaque jour, entre ombre et lumière, le chemin des astres,
à la façon de Shamash, le soleil divinisé mésopotamien, s’extrayant d’imbrications d’écailles.
Fig. 0.9. Shamash surgissant de la bouche d’ombre étincelante du mont à double cime de l’horizon, en
compagnie d’Éa/Enki, le dieu des eaux vivifiantes, d’Ishtar/Inanna, la déesse de la vie et de la mort et de
Ninurta, le dieu de l’orage, l’archer cosmique activant les grands cycles de la nature, entre ombre et lumière.
Sceau-cylindre du scribe Adda, époque d’Akkad, vers 2300-2200, Mésopotamie.
Ouvrant sur une perception en miroir des rapports entre réel et imaginaire, objectivité et subjectivité, cette
projection-identification avec le « lieu sans lieu » de l’éclosion de la vie aux confins du monde conduit à une
« mise en abîme » du jardin associé, en son origine, à ces figures le muant en une « Terre de rêve »
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irréelle inscrite dans le suspens qui les constitue et les clive ; suspens entre profondeurs souterraines obscures
où elles s’ancrent, et sommités célestes lumineuses vers lesquelles elles s’élancent, à la manière de l’arbre se
dressant entre assise racinaire et houppier rien ou du mont, inscrit tant dans le tréfonds du sol qu’au sein
des nuées altières.
À ces figures s’adjoint celle de l’oiseau (serpent) se tenant entre terre (monde souterrain) et ciel qui rend
compte, elle aussi, de la dynamique tant de la nature que de l’imagination dans leurs relations et leurs
imbrications singulières produisant, en une boucle récursive, un nœud sans fin, l’engendrement réciproque
du monde et de soi, sous la figure privilégiée du jardin perçu en sa plus simple expression.
Ainsi agencées entre ombre et lumière, par leur propension à indiquer un horizon du monde en
suspens entre terre et ciel, nous avons qualifié ces représentations conventionnelles la source, le mont,
l’arbre et l’oiseau (serpent) de « figures du suspens ». Suspens qu’elles appellent tant par leur complexion,
entre profondeur et sommité, que par la dynamique qu’elles recèlent faisant dialoguer ces deux pôles
indiquant, de la sorte, une zone liminale, un seuil, un passage qui sépare et unit l’invisible et le visible au
« lieu sans lieu » de l’épiphanie, de l’apparition de la figure lumineuse qui se détache sur le Fond obscur
produisant un monde d’images, une imagerie propre à l’imaginaire, exaltant la vitalité que cet horizon recèle,
en faisant une source de vie.
Essai de lecture de ces « figures du suspens » annonciatrices du jardin ainsi établi au cœur de la relation
spéculaire entre nature et imaginaire, cet ouvrage tente de recueillir depuis les premières manifestations
graphiques inscrites tant sur la céramique (ou la poterie en pierre ou en bronze) que la glyptique (à travers les
splendides représentations d’empreintes déroulées sur l’argile des sceaux-cylindres) les témoignages
illustrant son origine et son premier devenir.
Cette approche, précisée et développée dans le prologue de la première partie (voir infra 2.4), nous a
conduits à interroger les grandes cultures du Moyen-Orient sur un arc de plusieurs millénaires, entre la fin du
Néolithique (VIIe-VIe millénaire) et l’avènement de l’empire perse, à la charnière du VIe et du Ve siècle avant
notre ère, afin de distinguer, en chacune d’elles, les prémices imagées du jardin illustrées par les « figures du
suspens ». Elles apparaissent, de façon remarquable, dans les cosmogonies égyptiennes, s’identifiant au
Noun (les Eaux primordiales) valant pour la source, au Tertre (la première butte émergeant du retrait des
eaux) équivalent au mont et au Lotus (la première végétation) illustrant l’arbre en devenir, ainsi qu’au
Faucon (Cobra), l’oiseau (serpent) qui s’élève au-dessus du marais primordial en un élan solaire (fig. 3.3).
Fig. 0.10. Lotus émergeant des Eaux primordiales pour donner naissance à la divinité solaire selon le papyrus
égyptien d’Ani, XVIIIe dynastie (1560-1306).
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