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En quête d’une archè, d’un principe « premier », au sens des philosophes présocratiques, permettant
de rendre compte de l’origine et du devenir du jardin dans les cultures de la Haute Antiquité du Moyen-
Orient, trois représentations conventionnelles se sont détachées de notre documentation pour forger ses
prémices imagées : un flux sinueux, valant pour la source, une imbrication d’écailles montueuses, ou de
quelques roches mêlées, figurant le mont et une représentation stylisée d’un rameau, illustrant l’arbre
(fig. 0.1, 0.2 et 0.3).
Toujours associées, ces figures « premières » – la source, le mont et l’arbre, illustrés dans leur plus simple
expression – traversent le temps et l’espace ; nombre de cultures les ont adoptées en sorte qu’on les voit,
étonnamment, perdurer dans les représentations graphiques de la fin du IVe millénaire avant notre ère
(fig. 0.6) à la fin du Moyen-Âge, tant en Orient (fig. 0.8) qu’en Occident (fig.0.5).
Élaborant, par leur riche articulation, un système de signes exprimant une abstraction universelle –
saisissant le jardin dans sa dynamique en prise, à la fois, sur celle de la nature (dans ses métamorphoses
permanentes entre élan et déclin) et celle de l’imaginaire (entre rêve et réalité) –, ces trois figures, selon la
façon dont elles apparaissent combinées dans les cultures de la Haute Antiquité, ont cette valeur
remarquable, sans pareil, d’illustrer, durant des millénaires, sur des supports extrêmement variés ou dans des
réalisations à l’échelle du paysage (fig. 04 et 07), tant la perception de l’environnement, rendue de façon
abstraite à l’aide de ces signes, que le processus de projection et d’identification de l’imagination dans et
avec la force vitale que celui-ci recèle en ses confins, à l’horizon du monde. Un horizon perçu à la façon
d’un espace matriciel, d’une bouche d’ombre étincelante en forme de mont à double cime (voir page de
couverture et fig. 09) où la vie surgit, empruntant, chaque jour, entre ombre et lumière, le chemin des astres,
à la façon de Shamash, le soleil divinisé mésopotamien, s’extrayant d’imbrications d’écailles.
Fig. 0.9. Shamash surgissant de la bouche d’ombre étincelante du mont à double cime de l’horizon, en
compagnie d’Éa/Enki, le dieu des eaux vivifiantes, d’Ishtar/Inanna, la déesse de la vie et de la mort et de
Ninurta, le dieu de l’orage, l’archer cosmique activant les grands cycles de la nature, entre ombre et lumière.
Sceau-cylindre du scribe Adda, époque d’Akkad, vers 2300-2200, Mésopotamie.
Ouvrant sur une perception en miroir des rapports entre réel et imaginaire, objectivité et subjectivité, cette
projection-identification avec le « lieu sans lieu » de l’éclosion de la vie aux confins du monde conduit à une
« mise en abîme » du jardin – associé, en son origine, à ces figures – le muant en une « Terre de rêve »