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DU 1ER AU 7 AOÛT 2012
Nathalie Blau
A
gression dans un train, plaque médicale
taguée, ces derniers temps, la France enre-
gistre une recrudescence des actes antisémites.
Plus 46 % entre janvier et avril 2012 par rapport
à 2011. Si elle n’est pas nouvelle, cette haine
du Juif semble trouver sa source dans un racisme
primaire, essentiellement confessionnel. Le 12 juillet
dernier, le Grand Rabbin de France faisait ainsi part de
son inquiétude au nouveau président de la République.
Certes, “la très grande majorité de la communauté musul-
mane vit en bonne entente avec la communauté juive”,
déclarait le leader cultuel, qui avait toutefois tenu à
dénoncer “certains propos qui tentent de mythifier la
personne de Merah”.
Mohammed Merah. L’assassin de Jonathan Sandler et
ses deux garçonnets, de la jeune Myriam Montenegro et
de trois gendarmes. Merah, la brute meurtrière, née sur
le sol français, qui semble bien faire des émules. Suite à
ses actes barbares de mars dernier, le ministère de
l’Intérieur a relevé “un pic” des agressions antisémites.
Récemment, à l’occasion des 70 ans de la Rafle du Vel’
d’Hiv, François Hollande prononçait un discours symbo-
lique et largement salué, hormis quelques voix discor-
dantes. Mais la demande du Grand Rabbin de France reste
plus actuelle que jamais : il appelle la communauté
musulmane à témoigner haut et fort “sa prise de distance,
sa récusation pleine et entière de tout ce qui peut de près
ou de loin rappeler l’intégrisme, le fondamentalisme et
la violence que portent certains courants de l’islam”.
S’il est un homme qui remplit précisément cette
mission, c’est bien Hassen Chalghoumi, l’imam solitaire,
le prêcheur de Drancy. Celui qui incarne aujourd’hui un
islam modéré et se bat depuis des années pour favoriser
le dialogue entre jeunes des banlieues, musulmans et
juifs.
“On n’est pas français”
En 1997, quand il pose ses valises en France, à Bobigny
où son frère réside, il sonde sa communauté : “connaissez-
vous d’autres religions ?” La réponse est non. Chalghoumi
n’aura alors de cesse que de créer des ponts inter-confes-
sionnels. Aller à la rencontre des hommes d’Eglises et de
synagogues.
Trois ans plus tard, il fait l’acquisition d’un petit
pavillon de banlieue et s’installe à Drancy. En 2002, à la
recherche d’un lieu de prière pour ses fidèles qui se comp-
tent en milliers, il reçoit l’aide du maire de l’époque, Jean-
Christophe Lagarde. Objectif : créer un foyer musulman
pour les jeunes du quartier à la dérive. Leur proposer une
alternative aux sirènes du fanatisme et qu’ils évitent
d’aller gonfler les rangs de l’islamisme radical.
Avant tout, martèle Chalghoumi, leur donner envie
d’être français. Très vite, ce Tunisien d’origine qui a
embrassé une nationalité française revendiquée, constate
un malaise dans sa banlieue. Un blocage identitaire et
social qui fait le lit, selon lui, des recruteurs d’Al-Qaïda.
Au sein de cette communauté maghrébine, d’origine
algérienne pour une bonne part, l’allégeance à la patrie
de Voltaire n’est pas systématique. “On n’est pas fran-
çais”, disent-ils. Beaucoup ont un père, un frère moudja-
hidin, assassiné par soldats de l’armée française.
Comment alors, pour eux, honorer ce pays d’adoption
sans avoir le sentiment de trahir leur famille ?
Chalghoumi parle aussi de ces Maliens, ou autres
Sénégalais qui ne se retrouvent pas dans la culture fran-
çaise. Des immigrés sans repères, en manque de recon-
naissance. “Il faut les valoriser”, pointe l’imam, “leur
rappeler que le chiffre zéro a été inventé par les Arabes”.
Et cette jeunesse à l’identité multiple et complexe se
caractérise aussi par une méconnaissance totale de
l’islam, note Chalghoumi. Elle constitue alors une proie
facile pour les rabatteurs des mouvances radicales, qui
viennent recruter leurs combattants de Dieu dans les
zones urbaines sensibles. En France, mais aussi en Europe.
“C’est plus simple qu’avec les jeunes des pays arabes, et
ce sont eux qui sont ensuite les auteurs de la majorité des
attentats commis”.
Chalghoumi s’échine, lui, à leur rappeler que la reli-
gion n’a rien à voir avec le pays d’adoption. “Aimez votre
patrie”, clame l’imam au discours républicain qui se
déclare en faveur de l’éducation dans les écoles publiques,
“on peut s’intégrer en gardant ses valeurs”.
Fermez ces sites, pour l’amour du Ciel !
Chaque vendredi, son prêche attire quelque 4 000
Musulmans : 2 000 dans l’édifice, et autant dans les
jardins de ce qu’il appelle la “mosquée de la paix”.
Chalghoumi parle d’amour, entre les hommes et envers
Dieu. Ses fidèles ? “La majorité silencieuse, celle qu’on
ne voit jamais à la télévision. On ne montre que les
barbus”, déplore-t-il, “les fanatiques, ceux qui affirment
que je suis isolé et font régner un climat de peur”.
En 2010, alors qu’il cristallise les passions par ses
prises de position en faveur de l’interdiction du niqab,
les caméras accourent à Drancy. Et ne montrent à
l’écran que cette minorité visible que Chalghoumi
dénonce pourtant. Les fils de Ouma.com, qu’il rebap-
tise “Haine.com”. Ou ceux du Collectif Cheikh Yassine.
L’imam en colère pointe du doigt cinq ou six sites fana-
tiques, connus de tous, financés par les Frères musul-
mans ou d’autres mouvances salafistes. Des vecteurs
d’intégrisme dont Merah serait le produit direct pour
s’y être gavé de vidéos, affirme-t-il. “Pourquoi, pour
l’amour du Ciel, le gouvernement ne ferme-t-il pas une
fois pour toutes ces plates-formes web ? Par manque
de courage politique ?”.
La France doit balayer devant sa porte, insiste-t-il. “Il
faut arrêter de chercher les coupables en Afghanistan, ils
sont chez nous, dans nos prisons”. Les cellules consti-
tuent les terres de chasse des Frères musulmans, estime
Chalghoumi. Et là encore, il en appelle au gouvernement :
“Nous devons protéger notre avenir pour que la France
reste la France de Voltaire”.
Sa solution : créer un islam de France. Former des
imams français. Car, explique-t-il, “on ne veut pas d’in-
gérence étrangère dans nos villes”. Celle de pays arabes,
“comme l’Algérie, qui gère la Grande mosquée de Paris”.
Ou celle, surtout, des Frères musulmans, ramifiés, infil-
trés, omniprésents dans la capitale et ses zones satellites,
mais aussi en province. Et de partir en croisade contre
ceux qui se revendiquent de l’islam, “mais ont vendu
leur âme à la haine, à l’antisémitisme”.
Il faut prendre exemple sur la communauté juive,
revendique Chalghoumi. Selon lui, “la communauté
musulmane est à la traîne”. Des propos chocs, encensés
par les uns, conspués par les siens. Peu importe, l’imam
se bat pour ses idées : ôter toute stigmatisation sur les
Juifs de la part des jeunes Arabes de banlieue qui expor-
tent le conflit moyen-oriental, une fois encore, en toute
méconnaissance du sujet.
La Shoah, cela fait près de dix ans qu’il essaie d’en parler
auprès des Musulmans de Drancy. Une évidence, selon
lui. Par respect, pour contrer l’oubli.
Et celui que d’aucuns taxent “d’islamo-guignol”, de
“Sioniste”, “d’imam des Juifs”, a même fait la démarche
de venir en Israël, en juin dernier. Invité par l’Institut
français, à l’occasion du Forum de la Démocratie,
Chalghoumi savait que son déplacement attiserait les
foudres de ses détracteurs. Aux Israéliens venus le saluer
et le remercier de ses prises de position courageuses, il
répondait, la main sur le cœur, “souhaitez-moi bonne
chance pour le retour”. Et de fait, il était attendu par des
articles incendiaires dans la presse tunisienne et des
insultes de certains groupes propalestiniens français.
Celle qui lui fait le plus mal ? “Traître”, répond-il. “Un
traître, c’est un homme politique qui a trahi son parti.
Je suis un homme de religion qui n’a jamais trahi sa foi.
Le Coran, c’est la paix. Certains le transforment en
haine”.
L’ennemi numéro 1
A ceux qui lui attribuent une période intégriste dans
sa jeunesse, il rétorque : “Il ne faut pas croire tout ce
que vous pouvez lire sur Internet. Je suis obligé de payer
une société pour remettre à jour régulièrement ma fiche
Wikipédia, hackée par les Frères musulmans”.
Certes, il a roulé sa bosse dans les madrasas de Syrie,
Turquie, Inde, Iran ou Pakistan. Mais ce Tunisien sunnite
d’origine, né dans une famille modeste traditionaliste,
inscrit dans un lycée alaouite jusqu’au bac, présente cela
comme un parcours initiatique. A la recherche de sa foi.
A Damas, il s’immerge pendant deux ans au cœur du
nationalisme arabe, évolue de mouvances en mouve-
ments, se familiarise avec les différents courants. Avant
de séjourner quelques mois en Turquie, où il sera “très
touché par l’islam turc, assez proche de l’islam tunisien”.
Puis l’Iran, en 1993. Un passage “terrible” pour celui
qui se déclare être en désaccord avec le Régime des
Mollahs et leurs manipulations de pouvoir, surtout
depuis l’avènement de Khomeiny. Il déplore le voile et
le sort réservé aux femmes, les barbus et leur “Islam de
l’apparence, fait de provocations”. Pour Chalghoumi,
la religion se porte dans le cœur et s’exprime par les
actes.
Aujourd’hui, cet imam de 40 ans est régulièrement
la cible des intégristes français dont il est devenu l’en-
nemi numéro 1. Sa vie est périodiquement menacée.
Sa femme a par deux fois été agressée, victime de
crachats au marché. Ses cinq enfants sont inscrits dans
une école catholique privée, “par mesure de sécurité”.
Et lui-même évolue sous protection policière.
Dans le camp extrémiste musulman, les appels à sa
démission sont légion. En vain, clame-t-il : “rien ne
saura me faire taire”. Chalghoumi refuse de céder à
l’intimidation. Bien décidé à parler, jusqu’au bout.
Pour distiller son message de paix, d’amour et de tolé-
rance, et contrer les déviances de l’islam. “Il faut avoir
le courage de dire la vérité”, ponctue l’imam, “peut-
être que le courage a manqué en France, en 1940, pour
dénoncer ce qui était en train de se passer. Aujourd’hui,
je suis prêt à parler envers et contre tout, pour que de
telles horreurs, comme la Shoah ou la tragédie de
Toulouse ne se reproduisent pas”.
France
Prêcher l’exemple
Alors que l’antisémitisme reprend du galon dans une France qui peine à gérer ses extrêmes,
Hassen Chalghoumi, l’imam qui dérange, confirme son discours pacifié
Hassen Chalghoumi aux côtés du Grand Rabbin de
France après l’attentat de Toulouse : “il faut prendre
exemple sur la communauté juive, la communauté
musulmane est à la traîne”. (© Reuters)
(© Reuters)
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