L BRCA et imagerie du sein DOSSIER

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DOSSIER
Mutations des gènes BRCA
et imagerie du sein
BRCA gene mutation carriers and breast imaging
A. Tardivon et le service de radiologie*
L
es recommandations publiées s’accordent
sur une stratégie de surveillance associant,
à partir de l’âge de 30 ans et à un rythme
annuel, IRM + mammographie avec ou sans échographie. Cette surveillance peut débuter plus tôt,
mais pas avant l’âge de 25 ans, et ce, après avis
oncogénétique, et seulement si une parente au
premier degré a été atteinte d’un cancer du sein
avant l’âge de 34 ans. Depuis 2004, plusieurs essais
prospectifs ont comparé l’IRM à la mammographie
± échographie dans la surveillance de populations à
risque (risque intermédiaire, haut risque, mutations
exclusivement). Tous ont démontré la supériorité
significative de l’IRM dans la détection des cancers
du sein, et la valeur ajoutée de la mammographie
(IRM + mammographie significativement supérieure
à IRM seule), l’échographie n’apportant quant à elle
aucune valeur ajoutée lorsque l’IRM était normale
(tableau) [1]. Cependant, en cas de contre-indication de l’IRM, l’échographie devra systématiquement
être associée à la mammographie. Une seule étude
prospective, l’essai EVA, n’a pas retrouvé de valeur
ajoutée à la mammographie (2). Le risque de faux
positifs en IRM, que l’on craignait en réalisant cet
examen chez des femmes jeunes en activité génitale,
reste tout à fait acceptable (environ 15 % pour la
prévalence et moins de 10 % pour l’incidence). Alors
que les cancers de l’intervalle représentaient plus
de la moitié des cancers des femmes porteuses de
mutations surveillées par mammographie, ce taux
était de moins de 2 % dans toutes les études évaluant l’IRM à un rythme annuel (1, 3). La stratégie
d’imagerie recommandée est de réaliser tous les
ans un examen IRM, programmé de préférence au
cours de la deuxième semaine du cycle menstruel
pour limiter le risque de faux positifs, suivi dans un
délai de 1 mois par une mammographie (par technique numérique à chaque fois que c’est possible)
avec ou sans échographie. Le choix de l’ordre (IRM
puis imagerie standard) est logique : la technique
la plus sensible est réalisée en premier, suivie de
l’imagerie standard, qui sera d’emblée ciblée en cas
d’anomalie IRM. Cette stratégie n’est performante
que si, et seulement si, un compte-rendu de synthèse est effectué à la fin de ce bilan d’imagerie,
ce qui souligne l’importance de réaliser l’ensemble
des examens dans un même centre et au cours du
temps (facilitant les comparaisons avec les bilans
antérieurs). De même, un accès à des procédures
interventionnelles sous guidage IRM doit être organisé pour prendre en charge les anomalies IRM
suspectes isolées (lorsque l’imagerie standard est
normale) [figure, P. 26] (4). Les patientes doivent
être informées du risque de faux positifs isolés en
IRM et de la nécessité d’un suivi rapproché. Certaines équipes préfèrent alterner l’IRM et l’imagerie
A. Tardivon déclare ne pas avoir
de liens d’intérêts.
* Institut Curie, Paris.
Tableau. Résultats des essais prospectifs évaluant les performances de l’IRM dans les populations à haut risque (1).
Kriege et
al. 2004
Warner et
al. 2004
Leach et
al. 2005
Kuhl et
al. 2005
Sardanelli
et al. 2006
Total
Nombre
1 909
236
619
529
278
3 571
Mutations (%)
18,8
100,0
37,2
8,1
62,9
29,2
Nombre de tours
par femme
2,7
1,9
3
3,2
1,4
2,7
Mammographie
40
36,4
40
32,6
58,8
39,5
Échographie
NA
33,3
NA
39,5
64,7
43,2
IRM
71,1
77,3
77,1
90,7
93,8
80,7
Mammographie
72
88,9
NA
23,7
76,9
47,2
Échographie
NA
29,2
NE
11,3
64,7
18,2
IRM
57,1
45,9
NE
50
62,5
53,1
Sensibilité (%)
VPP (%)
NA : non applicable (études n’ayant pas évalué l’échographie) ; NE : non évaluable ; tours : nombre de surveillances annuelles..
La Lettre du Sénologue • No 60 - avril-mai-juin 2013 |
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Résumé
Mots-clés
Mutations BRCA1/
BRCA2
IRM mammaire
Stratégies de
surveillance
Summary
Breast cancer screening in
BRCA gene-mutation carriers
starts at the age of 30 years
using breast MRI (first examination) followed by mammography (one view/breast
between 30 and 35 years)
± ultrasound every year. This
screening must be performed
by trained radiologists and
in a structure offering these
3 imaging modalities. This
strategy is efficient with less
than 2% of interval cancers
and detection of early- stage
breast cancers.
Keywords
Mutations BRCA1/ BRCA2
Breast MRI
Screening strategies
La surveillance en imagerie chez les femmes porteuses d’une mutation BRCA commence classiquement
à partir de l’âge de 30 ans, associant à un rythme annuel une IRM mammaire (premier examen) à une
mammographie (une incidence par sein entre 30 et 35 ans) avec ou sans échographie. Il est recommandé
que cette surveillance soit effectuée par des radiologues spécialisés et dans un site où ces 3 modalités
d’imagerie sont disponibles. Cette stratégie est efficace, avec moins de 2 % de cancers de l’intervalle et
des cancers détectés à un stade précoce.
standard tous les 6 mois. Chez des femmes porteuses de mutations, il semblerait que ce schéma
(étude de modélisation) de surveillance alternée
(IRM seule entre 25 et 29 ans puis alternance entre
IRM et mammographie tous les 6 mois à partir de
30 ans) soit le plus performant en termes d’espérance de vie (5). On dispose d’une seule étude rétrospective publiée, qui concluait à l’intérêt d’une telle
stratégie, mais dans laquelle les femmes n’avaient
pas eu d’IRM associée lors de l’imagerie standard.
Ainsi, le cancer détecté 6 mois après par l’IRM seule
aurait peut-être été repéré lors du suivi standard
si une IRM avait été effectuée (6). Tous les essais
publiés avaient un protocole de surveillance annuelle
(examens groupés sur une période de 1 à 2 mois) ;
seule 1 étude comptait un sous-groupe dans lequel
une échographie était effectuée à 6 mois lors de la
surveillance clinique, et ce sans valeur ajoutée à la
stratégie annuelle (2). Pour conclure quant à l’alternance des examens d’imagerie, le seul sous-groupe
qui pourrait en bénéficier serait celui des femmes
porteuses d’une mutation de BRCA1 (BReast CAncer
gene 1) entre 30 et 39 ans. En effet, les cancers du
sein sont, dans ce cas, particuliers : invasifs, triplenégatifs, de développement rapide, carcinomes
canalaires in situ (CCIS) de haut grade souvent sans
calcifications visibles à la mammographie. La limite
de 39 ans correspond à l’âge recommandé d’une
IRM
2e semaine du cycle
Commentaires
Imagerie standard
Mammographie
± échographie
Compte-rendu
de synthèse
avec, en cas d’anomalie,
une CAT claire et précise
Il est souhaitable que :
- l’ensemble des examens soit réalisé par
une même équipe
- le circuit de biopsies sous IRM soit
organisé (si non réalisées sur site)
CAT : conduite à tenir.
Figure. Surveillance par imagerie des patientes porteuses de mutation.
26 | La Lettre du Sénologue • No 60 - avril-mai-juin 2013
annexectomie prophylactique (ovaires et trompes)
pour les patientes porteuses d’une mutation de
BRCA1, geste qui divise par 2 le risque de cancer du
sein. En l’absence de données pertinentes, le choix
d’alterner ou non les examens doit être discuté
par les professionnels et la patiente. L’alternance
sous-entend un radiologue compétent en IRM (un
taux élevé d’IRM positives entraînant la nécessité
de refaire un bilan en imagerie standard). Si l’IRM
permet de dépister plus de cancers que l’imagerie
standard, améliore-t-elle pour autant la survie ? Une
étude récente a rapporté ses résultats à long terme
dans une cohorte de 496 femmes porteuses d’une
mutation de BRCA1 ou de BRCA2 et surveillées par
IRM (7). Cinquante-sept cancers (dont 65 % invasifs) ont été détectés : 53 par imagerie seule, 3 sur
mastectomie prophylactique et 1 cancer de l’intervalle. La sensibilité de l’IRM était significativement
supérieure à celle de la mammographie au cours du
suivi (p < 0,0001). La taille moyenne des cancers
invasifs détectés était de 10,2 mm (3-30 mm) ; 43 %
étaient de haut grade et triple-négatifs ; 97 % étaient
de stade 0 ou 1. Sur un suivi médian de 8,4 ans,
1 seule patiente est décédée de son cancer du sein,
ce qui correspond à un taux annuel de mortalité de
0,5 %. Lors du suivi de leur essai, les Néerlandais ont
quant à eux rapporté un taux annuel de 1,2 % dans
le sous-groupe avec mutation. Il semblerait donc
que cette stratégie soit efficace ; d’autres résultats
et un suivi à plus long terme sont cependant nécessaires pour confirmer ces résultats encourageants.
La problématique actuelle est la mise en évidence
de cassures double-brin de l’ADN à faibles doses
(basse énergie) et, donc, de l’effet potentiellement
délétère de mammographies répétées et débutant
à un âge jeune chez des femmes porteuses de mutations (les gènes BRCA intervenant dans la réparation
des cassures de l’ADN) [8]. Le groupe de l’EUSOMA
(European Society of Breast Cancer Specialists) ne
recommande ainsi l’ajout systématique d’une mammographie après un examen IRM normal qu’à partir
de l’âge de 35 ans ; d’autres proposent de réaliser une
seule incidence mammographique (oblique externe)
par sein entre 30 et 35 ans (lorsque l’IRM est normale)
[9]. L’Institut national du cancer va mettre en place
un groupe de travail en 2013 pour mettre à jour le
référentiel en cours (4).
■
DOSSIER
Prise en charge des seins
d’une “femme mutée”
Mutations des gènes BRCA et imagerie du sein
Mutations des gènes BRCA et imagerie
du sein
Références bibliographiques
1. Sardanelli F, Podo F. Breast MR imaging in women at
high-risk of breast cancer. Is something changing in early
breast cancer detection? Eur Radiol 2007;17(4):873-87.
2. Kuhl C, Weigel S, Schrading S et al. Prospective multicenter cohort study to refine management recommendations for women at elevated familial risk of breast cancer:
the EVA trial. J Clin Oncol 2010;28(9):1450-7.
3. Komenaka IK, Ditkoff BA, Joseph KA et al. The development of interval breast malignancies in patients with BRCA
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4. Comité d’oncogénétique de l’INCa. Principales recommandations de prise en charge des femmes porteuses d’une
mutation BRCA1 ou BRCA2. 2009. http://www.e-cancer.fr
5. Lowry KP, Lee JM, Kong CY et al. Annual screening strategies in BRCA1 and BRCA2 gene mutation carriers: a comparative effectiveness analysis. Cancer 2012;118(8):2021-30.
6. Le-Petross HT, Whitman GJ, Atchley DP et al. Effectiveness of alternating mammography and magnetic
resonance imaging for screening women with deleterious
BRCA mutations at high risk of breast cancer. Cancer
2011;117(17):3900-7.
4 | La Lettre du Sénologue • No 60 - avril-mai-juin 2013
7. Passaperuma K, Warner E, Causer PA et al. Long-term
results of screening with magnetic resonance imaging in
women with BRCA mutations. Br J Cancer 2012;107(1):24-30.
8. Colin C, Devic C, Noël A et al. DNA double-strand
breaks induced by mammographic screening procedures
in human mammary epithelial cells. Int J Radiat Biol
2011;87(11):1103-12.
9. Sardanelli F, Boetes C, Borisch B et al. Magnetic resonance
imaging of the breast: recommendations from the EUSOMA
working group. Eur J Cancer 2010;46(8):1296-316.
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