EDITORIAL
MAI 2010
MERKUR
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Jamais une déclaration de politique générale sur l’état
de la Nation n’avait été tant attendue que celle présentée
par le Premier ministre Jean-Claude Juncker le mercredi
5 mai 2010 à la Chambre des Députés. Une semaine après
le constat d’échec de la tripartite, le pays tout entier atten-
dait de connaître enfin la position du chef du Gouverne-
ment sur les trois enjeux de la tripartite qui avaient été dési-
gnés comme tels, à savoir la compétitivité de l’économie,
l’assainissement des finances publiques et le chômage. Le
constat amer est que le chef du Gouvernement n’a présenté
des réponses qu’aux deux derniers sujets et a renvoyé à un
demain ou à un surlendemain incertain le paquet de mesures
tellement nécessaires sur la compétitivité. Ceci est d’autant
plus douloureux que le déclin de productivité date du début
du siècle et atteint des niveaux très inquiétants. Cette ana-
lyse n’est d’ailleurs pas seulement un constat des entreprises
elles-mêmes, mais est confirmée par les institutions inter-
nationales (FMI, OCDE, UE, World Economic Forum),
les chambres professionnelles nationales, l’UEL, l’Obser-
vateur de la Compétitivité, le Statec, la Banque Centrale
Luxembourgeoise et finalement le Gouvernement luxem-
bourgeois lui-même. Cette énumération donne à elle seule
le vertige. Devant tant de convergences d’analyses et de pri-
ses de conscience, on aurait pu s’attendre à ce que la com-
pétitivité soit véritablement placée au coeur du paquet de
mesures proposées par le Gouvernement. Or c’est exacte-
ment l’inverse qui s’est produit.
Le résultat du paquet de mesures proposées ne manquera
pas d’augmenter le coût du travail, les charges des entre-
prises et les impôts, de gonfler l’inflation et de réduire la
croissance et la création d’entreprises, ce qui se répercutera
négativement sur l’emploi. Ces mesures produiront donc
l’effet inverse de ce qui était le but affiché de la Tripartite,
à savoir améliorer durablement la compétitivité des entre-
prises, préalable indispensable à l’assainissement des finan-
ces publiques et au rétablissement du marché de l’emploi.
Le corollaire inéluctable de cette dégradation de la situation
compétitive du Luxembourg sera une réduction de l’attrac-
tivité du pays pour les investisseurs étrangers et une dimi-
nution de l’investissement résident, qui inciteront à l’exter-
nalisation accrue des activités économiques.
On peut s’étonner de ce manque de courage pour s’atta-
quer aux réformes structurelles pourtant indispensables au
redressement économique du pays. Cette discussion ne doit
d’ailleurs pas se limiter à la seule indexation automatique des
salaires, même si ce sujet a parfaitement illustré l’immobi-
lisme du Gouvernement. Les deux propositions d’adaptation
du système d’indexation automatique des salaires, qui avaient
été mises sur la table des négociations tripartites, étaient des
suggestions de bon sens, qui n’ont d’ailleurs pas manqué de
trouver un écho favorable auprès d’une large partie de la
population luxembourgeoise, qui contrairement à certains
partenaires sociaux, semble bien avoir compris la gravité de
la situation et l’urgence de mesures de redressement.
Le maintien inchangé du mécanisme d’indexation actuel
est tout simplement insupportable et les conséquences de
l’indexation seront dramatiques pour les entreprises, et par-
tant pour l’emploi. En effet, une augmentation de l’ordre de
4 à 5 % (indexation + salaire social minimum + effets indi-
rects) des coûts du travail est incompatible avec la situation
tendue, voire dramatique dans laquelle se trouvent de nom-
breuses entreprises.
Pour certaines d’entres elles, il n’y aura pas d’autre alter-
native que de mettre la clef sous la porte. Le nombre de fer-
metures retentissant qui a déjà eu lieu jusqu’à présent ne
semble pas avoir réussi à capter l’attention des responsables
politiques et des syndicats. Cette tendance ne pourra que
continuer si le cadre légal n’est pas adapté d’urgence pour
donner aux entreprises l’oxaygène dont elles ont besoin. Le
paquet des 65 mesures du ministre de l’Economie est en large
partie une réponse au défi posé, mais les délais de transpo-
sition inquiètent. Quand et à quel degré ce paquet sera-t-il
mis en œuvre? Combien de faillites devront encore surve-
nir et quel seuil le chômage, déjà à un niveau record, devra-
t-il atteindre pour que le Gouvernement agisse?
La Chambre de Commerce garde néanmoins l’espoir que
le Gouvernement prendra les décisions justes d’ici l’automne,
car n’en déplaise à certains, la voie du salut passe bien par le
rétablissement de la situation compétitive du Luxembourg.
La compétitivité est la clef de voûte de l’économie luxem-
bourgeoise, car seule la croissance permettra de financer le
modèle social luxembourgeois et de garantir le développe-
ment durable avec des objectifs environnementaux ambi-
tieux. La Chambre de Commerce prendra ses responsabi-
lités en continuant d’esquisser des solutions qui répartiront
équitablement les efforts et les changements nécessaires pour
redonner aux entreprises l’avantage compétitif dont elles ont
besoin pour contribuer au bien-être de notre pays.
A défaut d’agir vite sur la compétitivité, le Luxembourg
risque de voir les mesures d’assainissement des finances
publiques être insuffisantes et le chômage augmenter encore
davantage. Les déséquilibres macroéconomiques deviendront
alors tels, qu’il n’y aura plus de marge de manœuvre et les
mesures à prendre ne seront plus du seul ressort de notre poli-
tique nationale. La grave crise qui secoue déjà plusieurs pays
européens montre que ce risque n’est pas hypothétique.
n
Etat de la Nation:
la grande déception des entreprises