L`ÉDUCATION ALIMENTAIRE POUR LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

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L’É D U C AT I O N A L I M E N TA IRE POUR LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE
Emily Doyle-Yamaguchi | Ressources pour repenser
Donnez un poisson à un homme, il aura à manger pour une
journée. Enseignez-lui à pêcher et il aura à manger pour la
vie.
C
e vieux proverbe fait ressortir l’importance de l’éducation
dans la réussite à long terme. Mais combien de fois
interprète-t-on ces mots littéralement? Bien que la pêche
ne soit plus une habileté essentielle à la survie, l’éducation
alimentaire revêt de plus en plus d’importance pour un monde
dont l’avenir écologique même est en jeu.
Pour mesurer efficacement la sécurité alimentaire, il faut tenir
compte de certains facteurs : la capacité de payer, l’accessibilité,
la disponibilité, la pertinence (du point de vue culturel, moral et
nutritif ), la salubrité et la durabilité. Même si l’on associe souvent
Imaginez un instant que tous les élèves canadiens de 3e année
sachent non seulement appliquer des régularités mathématiques
dans la vie quotidienne, mais aussi cultiver une carotte. Ou que
les élèves de 5e année, lorsqu’on leur demande d’où viennent
les bananes, ne répondent pas « du magasin d’alimentation ».
Ce dont je parle, c’est d’une situation où l’éducation alimentaire,
c’est-à-dire le fait de savoir comment cultiver et consommer la
nourriture de façon durable, tant pour sa santé que pour la santé
de la planète, serait considérée comme une partie aussi essentielle
du programme d’études que les mathématiques ou les langues.
Pourquoi l’éducation alimentaire?
L’augmentation des coûts de la nourriture, l’obésité chez les
enfants, le diabète, l’érosion du sol, le nombre croissant de cas
de contamination de l’eau et des aliments (Walkerton et les
épinards contaminés à la bactérie E-coli sont deux de nombreux
exemples) : ce sont là des signes que quelque chose ne tourne pas
rond. Plusieurs des méthodes de production, de distribution et
de consommation des aliments créent de graves problèmes dans
le monde entier, problèmes que l’on a regroupés sous le titre de
« sécurité alimentaire ».
la sécurité alimentaire à la pauvreté, une personne peut connaître
l’insécurité alimentaire sans être « pauvre ». Brent Skura, Ph.D.,
professeur agrégé à la Faculté des sciences de l’agriculture et
de l’alimentation de la University of British Columbia, fait
remarquer que l’insécurité alimentaire peut toucher tout le monde.
Deux enfants issus de milieux socioéconomiques très différents
pourraient éprouver des problèmes nutritifs également graves.
Le premier en consommant trop de nourriture malsaine et le
second en ne consommant pas assez de nourriture de qualité.
Qu’est-ce que la sécurité alimentaire?
Bien manger pour bien apprendre et bien vivre
On peut parler de sécurité alimentaire lorsque toute la population
a accès, à tout moment, à des aliments sains, nutritifs et
culturellement appropriés, qui sont produits de façon durable et
obtenus par des moyens autres que l’aide d’urgence. Un régime
qui comprend la consommation excessive d’aliments transformés,
à emballages multiples, n’est pas un régime qui favorise la sécurité
alimentaire. Une famille qui obtient la majorité de sa nourriture
dans une banque alimentaire ne jouit pas de sécurité alimentaire,
non plus qu’une personne qui vit dans un quartier où elle ne peut
pas s’approvisionner à pied en fruits et légumes frais.
Améliorer la sécurité alimentaire, ce n’est pas nécessairement
accroître l’accès à des aliments grandement transformés, à teneur
élevée en calories et faibles en éléments nutritifs essentiels.
En tant que professeur et chercheur en alimentation, en nutrition
et en santé, M. Skura souligne les effets du régime alimentaire
sur l’apprentissage et sur la santé à long terme. Qu’il s’agisse de
déséquilibre nutritionnel ou de manque de nourriture, la nutrition
affecte la vivacité d’esprit et l’énergie dont dispose l’élève pour
le travail et le jeu à l’école. Mais les élèves ne choisiront pas des
aliments qui nourrissent leur corps si on ne leur enseigne pas à
prendre de bonnes décisions dans ce domaine, précise M. Skura.
Définition adaptée de Food Security: Building Food Security in Canada, L. Kalina,
Kamloops, C.-B.
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L’école fait partie de la solution
Les enfants passent la moitié de leur journée à l’école et la plupart
d’entre eux y prennent au moins un repas. Cela constitue une
excellence occasion de leur transmettre des connaissances sur
l’alimentation, de dissiper les mythes à propos du coût élevé
d’une alimentation saine, de promouvoir de bonnes habitudes en
matière d’alimentation et de sécurité alimentaire et de faire des
liens entre les aliments que consomment les élèves et la terre qui
produit ces aliments. De plus, M. Skura estime que l’apprentissage
expérientiel constitue une importante façon de renforcer les
leçons apprises. Ligue Écolo, un programme d’apprentissage
pour un avenir durable, est un bon exemple de projet intégrant
l’apprentissage expérientiel.
Le 18 juin 2008, 31 élèves de 7e année de l’École catholique
Cardinal Léger de Toronto ont piloté un des huit projets d’action
proposés par Ligue Écolo, soit « Pour alimenter votre réflexion ».
Avant d’entreprendre ce projet, le personnel enseignant a reçu
de l’organisme diverses idées de leçons pour préparer les élèves,
lui suggérant par exemple de suivre le cycle de développement
d’une tomate ou de tenir un journal alimentaire. Durant la
journée consacrée au projet, les élèves ont participé à diverses
activités qui leur ont permis, entre autres, de découvrir comment
cultiver leurs propres légumes en classe et de se rendre compte du
caractère saisonnier des produits agricoles lorsqu’ils ont choisi les
ingrédients nécessaires pour faire une pizza « en partant de zéro ».
« Ce fut intéressant de voir les élèves se rendre compte que le prix
des aliments varie selon les saisons ou que certains aliments sont
importés, d’autres locaux », a déclaré Lidija Puteris, coordonnatrice
du programme « Nos jeunes à l’œuvre » de L’éducation au service
de la Terre. Non seulement les élèves ont-ils appris d’où viennent
les aliments, mais ils se sont aussi amusés. « J’ai aimé l’occasion
de planter et de ramener nos propres légumes à la maison. »
Pour plus d’information sur la Ligue Écolo, visitez le site
www.ecoleague.ca.
Deux autres projets font une différence en aidant les membres
de la profession enseignante à intégrer l’éducation alimentaire en
classe. En voici un aperçu.
Projet Intergenerational Landed Learning on the Farm à
la University of British Columbia
« J’ai faim. Puis-je aller me chercher une collation? » Lorsqu’un des
élèves participant au projet Intergenerational Landed Learning
on the Farm (apprentissage intergénérationnel à la ferme) de la
University of British Columbia (UBC) a posé cette question,
la coordonnatrice du projet, Stacy Friedman, ne s’attendait pas à
le voir revenir une feuille de chou frisé à la bouche.
C’est là une des nombreuses expériences d’apprentissage authentique
que procure le projet d’apprentissage intergénérationnel. « Ce
projet illustre les conséquences réelles de vos actions, déclare Mme
Friedman. Si vous ne vous occupez pas de votre jardin, les plantes
ne pousseront pas aussi bien. » Les quelque 80 à 90 enfants qui
participent chaque année au projet sont jumelés avec des fermiers
et des maîtres-jardiniers bénévoles, leurs « amis de la ferme »,
pour planifier, cultiver et gérer un potager. Nombre de personnes
participantes n’ont jamais vu comment se cultivent les aliments
avant de venir à la ferme, explique Stacey Friedman, mais « après
quelques visites, on voit les enfants cueillir les feuilles de certains
légumes et les manger avec plaisir ».
« Les élèves apprennent à réaliser des expériences et à répondre à
leurs propres questions », explique Mme Friedman. Mettre en place
ce type d’apprentissage basé sur la recherche ou la découverte peut
constituer tout un défi, mais les enseignantes et enseignants à qui
on a demandé ce qu’ils en pensaient ont répondu : « Je ne pourrai
jamais plus enseigner comme je le faisais auparavant... Même si
je ne pouvais pas ramener ma classe au jardin, cette expérience a
déjà transformé ma façon d’enseigner. » Il y a des façons de relever
ce défi, explique Mme Friedman. « Tirez parti des ressources
de la communauté, invitez des gens à venir parler à vos élèves
pour alléger votre tâche tandis que vous modifiez votre façon
d’enseigner. »
Les résultats en valent certainement la peine. Après avoir participé
au programme, une école du quartier de Collingwood à Vancouver
a continué à appliquer les leçons apprises en faisant son propre
jardin, en peignant une murale sur le thème de la culture des
aliments et en intéressant toute l’école. De plus, les élèves se sont
passé le mot. « Il y a maintenant des élèves qui veulent être dans la
classe de cette enseignante même s’ils ne sont pas au courant des
visites à la ferme de la UBC; ils ont simplement entendu dire que
c’est amusant », déclare Mme Friedman.
Projet Great Big Crunch de FoodShare
Un autre projet, réalisé à Toronto cette fois, aide à rendre concrètes
les questions d’alimentation dans la classe. En mars dernier, plus
de 130 écoles du Canada tout entier, y compris toutes les écoles de
l’Île-du-Prince-Édouard, ont participé à une activité proposée par
FoodShare et intitulée Great Big Crunch. « Chaque école a pris le
temps de se renseigner davantage sur les pommes – comment elles
sont parfaites comme collation nutritive, comment les cultiver, leur
histoire, et ainsi de suite », déclare Meredith Hayes, coordonnatrice
du programme scolaire « Field to Table » de FoodShare Toronto,
qui fait le lien entre les champs et les aliments consommés à la
maison. Pour aider le personnel enseignant à intégrer le projet
Great Big Crunch dans ses classes, FoodShare offre des activités
et des plans de leçon qui renforcent l’apprentissage centré sur les
pommes bonnes à croquer. Quand on lui demande le pourquoi
de cette activité, Mme Hayes répond qu’il s’agit d’une activité
« simple, qui nous rappelle que les pommes sont faciles à emporter,
ne coûtent pas cher et constituent une collation rapide et saine. »
Le programme est accessible et offre aux enseignantes et enseignants
des activités et un soutien pour les aider à initier les élèves au
système alimentaire.
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En plus de l’activité principale qui s’est déroulée à Toronto pour
« 80 élèves de 3e année qui ont appris comment on cultive, on
greffe, on féconde, on transporte, on prépare, on consomme et
on composte les pommes », d’autres écoles participantes ont
découvert plusieurs façons d’intégrer cette initiative dans leurs
classes. Selon Mme Hayes, une école de la Nouvelle-Écosse a
vendu des brochettes de pommes durant une semaine et a versé
l’argent recueilli à une aire de conservation locale. À Scarborough,
un cours de 12e année sur les aliments et la nutrition a également
comporté un projet sur les vergers et les fermiers locaux.
•
•
Selon M. Skura, il nous faut moins de discours et plus d’action
afin de promouvoir un apprentissage continu en ce qui concerne
les aliments, la santé et le lien entre la terre et les aliments. Ligue
Écolo, le projet d’apprentissage intergénérationnel de la UBC et
FoodShare aident la population enseignante à atteindre ce but.
Y a-t-il d’autres moyens d’intégrer l’éducation
alimentaire dans la classe?
•
Les ressources en ligne : Le site Ressources pour repenser
est une base de données gratuite qui offre sur Internet
des ressources évaluées par le corps enseignant et en
lien avec le programme d’études. On y trouve des plans
de leçon et des activités visant à intégrer les enjeux
agro-alimentaires et autres questions de développement
durable dans les classes partout au Canada. Pour
obtenir plus d’information, visitez le site
www.resources4rethinking.ca/fr/home.
•
Invitez des conférenciers et conférencières (p. ex. des
nutritionnistes, des agrologues, des professionnelles
et professionnels de la santé, etc.) pour parler de
l’alimentation et de la santé à l’occasion des journées
pédagogiques.
Allez-y progressivement. Commencez par quelque
chose de simple, que vous développerez graduellement.
Présentez d’abord les notions élémentaires et proposez
des exemples simples qui permettent aux élèves de faire
des travaux pratiques, comme cultiver des carottes ou
préparer un repas santé pour une excursion scolaire.
M. Skura fait remarquer que si on cultive les carottes à
l’intérieur, on peut intégrer ce projet à l’année scolaire :
si on les plante à la fin avril, on aura de quoi manger
à la fin juin. La laitue, les épinards et les germes sont
aussi faciles à cultiver.
Communiquez avec les projets et les organismes
locaux de produits alimentaires, tels que FoodShare
et la ferme de la UBC pour obtenir des idées et du
soutien. Vous pouvez joindre FoodShare à
www.foodshare.net et la ferme de la UBC à
www.landfood.ubc.ca/ubcfarm.
Au sujet de l’auteure
Emily Doyle-Yamaguchi est codirectrice du projet Ressources
pour repenser mis sur pied par L’éducation au service de la Terre.
L’éducation au service de la Terre est un organisme canadien à
but non lucratif qui a pour mandat d’intégrer les concepts et les
principes du développement durable aux programmes d’études
de la maternelle à la 12e année. Pour plus d’information, visitez
www.lsf-lst.ca.
Suite de la page 11
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