Rosetta QS juin-juillet 2014_Layout 1 14-05-07 11:19 AM Page 40 une virée de 6 milliards de kilomètres ROSETTA: L’AUDACIE U Après un voyage de 10 ans, la sonde Rosetta tentera de se mettre en orbite autour d’une comète. Mission inédite, périlleuse et incroyablement délicate! Par Marine Corniou Rosetta arrive à la comète – août 2014 « Réveil » de Rosetta – 20 janvier 2014 Orbite de la comète MERCURE TERRE VÉNUS Départ mars 2004 Entrée en hibernation – 8 juin 2011 MARS Trajectoire de Rosetta 40 Québec Science | Juin ~ Juillet 2014 Rosetta QS juin-juillet 2014_Layout 1 14-05-07 11:19 AM Page 41 E UX RENDEZ-VOUS D Centre national d’études spatiales (CNES), l’un des quatre centres européens impliqués dans la mission de l’ESA. Finalement, à 19 h 18, heure locale, un petit pic apparaît sur l’écran, déclenchant instantanément une explosion de joie dans la salle. Le signal est faible, mais le soulagement est immense! Sur le compte Twitter de Rosetta, la phrase « Hello, world ! » est relayée dans 23 langues européennes. Il faut dire que, depuis juin 2011, Rosetta avait été plongée dans un « coma artificiel » et n’avait donné aucun signe de vie. C’est que, pendant 31 longs mois, elle voyageait au-delà de l’orbite de Jupiter, beaucoup trop loin pour que ses panneaux solaires puissent lui fournir de l’énergie. AGENCE SPATIALE EUROPÉENNE ans la salle de contrôle, l’assemblée retient son souffle. Ce 20 janvier 2014, les yeux rivés sur l’écran géant, les ingénieurs et les physiciens de l’Agence spatiale européenne (ESA) sont fébriles. Il y a de quoi. Depuis maintenant presque 3 ans, ils attendent ce moment, celui où la sonde spatiale Rosetta, qui vogue à 670 millions de kilomètres de là, pointera son antenne vers la Terre afin d’indiquer que tout va bien à bord. « Nous étions dans l’angoisse : le signal avait 50 minutes de retard!» raconte Francis Rocard, directeur de programme au JUPITER Si les responsables de la mission ont pu souffler un peu après son réveil, déclenché par le réchauffement des instruments de navigation, leur répit aura été de courte durée. En effet, la fin de l’hibernation de Rosetta a marqué le début des choses sérieuses. Jusqu’au mois d’août, la sonde devra s’approcher progressivement de sa cible, la comète 67P/Tchourioumov-Guerassimenko, surnommée «Tchouri», l’étudier de près puis tenter, en novembre prochain, de larguer un atterrisseur à sa surface. Du jamais vu dans l’histoire de l’exploration spatiale ! Lancée en mars 2004 avec une fusée Ariane 5, la sonde aura voyagé pendant plus de 10 ans afin d’être à l’heure à son rendez-vous avec cette comète périodique qui met environ 6,5 ans à boucler sa course autour du Soleil. Comme il était impossible d’expédier Rosetta d’un seul coup sur l’orbite de Tchouri, il a fallu faire tourner la sonde quatre fois autour du Soleil, en profitant de ses trois passages près de la Terre et de son passage près de Mars pour la dévier et lui faire prendre de l’élan. Cette technique est appelée « assistance gravitationnelle » ou effet de fronde. «On n’aurait pas pu réussir cette odyssée en moins de 10 ans », soutient Philippe Gaudon, chef du projet Rosetta au CNES. Au total, la sonde aura parcouru 6,5 milliards de kilomètres, c’est-à-dire 15 600 fois la distance Terre-Lune ! Début mai, les caméras de Rosetta auront finalement repéré TchourioumovGuerassimenko, pourtant encore distante de 2 millions de kilomètres. Le 21 mai, la sonde aura amorcé ses délicates manœuvres d’approche. L’objectif : n’être plus qu’à 2 000 km de la comète le 30 juillet, puis à seulement 100 km en août prochain, tout en décélérant pour atteindre la même vitesse qu’elle, passant ainsi d’une vitesse relative de 800 m/s à seulement 1 m/s. «Rosetta est commandée depuis la Terre, par navigation optique. Les caméras nous Juin ~ Juillet 2014 | Québec Science 41 Rosetta QS juin-juillet 2014_Layout 1 14-05-07 11:19 AM Page 42 En Allemagne, une réplique grandeur nature de l’orbiteur (sans les panneaux solaires), se trouve dans le centre de mission de l’Agence spatiale européenne. Elle permet aux ingénieurs de tester les commandes et les logiciels avant de transmettre les ordres à la sonde Rosetta qui vogue dans l’espace. ASE permettent de repérer la position exacte du noyau cométaire et de corriger la trajectoire au fur et à mesure, explique Francis Rocard. En donnant des coups de moteur, on va lui faire décrire, autour de la comète, une sorte de spirale de triangles très complexe, qui va lui permettre de s’en rapprocher. » Si tout se déroule comme prévu, la sonde devrait ensuite se mettre en orbite autour de sa cible en septembre, à 25 km ou 30 km d’altitude, puis elle escortera l’objet céleste dans sa course autour du Soleil jusqu’en décembre 2015. Rosetta, cette grosse boîte de 12 m3 flanquée de deux immenses panneaux solaires – 30 m d’envergure au total –, ira donc bien plus loin que les missions cométaires précédentes, comme Giotto en 1986 ou Stardust en 2004, qui s’étaient « contentées » de survoler des comètes (dont celle de Halley) à 37 000 km/h et à quelques centaines de kilomètres de distance. En flirtant d’aussi près et pendant si longtemps avec Tchouri, la sonde européenne a l’ambition de dévoiler les mystères de l’origine du Système solaire. Rien de moins. « Nous voulons savoir de quoi sont faites les comètes, précise Francis Rocard. Ce sont les objets les plus primitifs du Système solaire, formés il y a 4,5 milliards d’années. C’est comme si les comètes étaient restées au congélateur depuis. Elles n’ont pas été altérées et elles ont conservé tous les composés volatils originaux que les planètes et les astéroïdes ont perdus. » Autrement dit, elles sont les témoins des premiers instants du Système solaire. « Dès juillet, on devrait commencer à collecter des données sur TchourioumovGuerassimenko, grâce aux premières images fournies par les caméras. Pour l’instant, on ne sait quasiment rien d’elle», précisait Philippe Gaudon lors d’une conférence donnée il y a quelques semaines depuis le centre spatial de Toulouse, en France. Découverte en 1969, Tchourioumov-Guerassimenko a un diamètre d’environ 4 km et tourne sur elle-même en 12,6 heures. C’est tout ce qu’on sait. «On ne connaît pas son axe de rotation, ni sa forme ni sa masse (sa densité peut varier de 0,1 à 1, soit un facteur 10!) et les scientifiques ne sont pas d’accord sur son niveau de dégazage», poursuit Philippe Gaudon. Autant de surprises qui inquiètent les scientifiques de l’ESA. Et pour cause. Les comètes sont des sortes de boules de neige sale, composées d’eau, de «Nous sommes assez préoccupés. Une comète, c’est imprévisible. Philaé pourrait être éjecté par un jet de gaz, pourrait rebondir et se perdre, ou même s’écraser.» 42 Québec Science | Juin ~ Juillet 2014 Rosetta QS juin-juillet 2014_Layout 1 14-05-07 11:19 AM Page 43 glace carbonique CO et CO2, le tout mélangé avec de la poussière et des molécules organiques. À mesure qu’elles s’approchent du Soleil, en suivant leur orbite, les comètes se réchauffent. Leurs glaces se subliment brutalement, c’est-à-dire qu’elles passent directement de l’état solide à l’état gazeux. Sous l’effet de cette « vaporisation », le noyau libère jusqu’à plusieurs centaines de tonnes de poussière par seconde. C’est justement cette traînée de particules et de gaz, sur laquelle la lumière du Soleil se reflète, qui constitue leurs queues étincelantes. « On va aborder la comète en ayant le Soleil dans le dos, pour éviter la queue. Mais cela reste un environnement hostile pour une sonde», ironise Francis Rocard. Hostile et imprévisible. Afin de minimiser les risques, la rencontre entre Rosetta et Tchouri aura lieu très loin, à 540 millions de kilomètres du Soleil, avant que la comète devienne trop active. Ce qui permettra aussi d’observer en direct l’augmentation progressive du dégazage cométaire. D otée de 11 instruments scientifiques, la sonde (en fait, sa partie orbiteur) collectera le plus de données possible cet été, durant la phase d’approche. Elle étudiera à distance la composition des particules de poussière et des gaz éjectés, leur interaction avec les vents solaires, et elle cartographiera le relief du noyau, pour sélectionner cinq sites d’at- terrissage. Car si la première phase de la mission est déjà périlleuse, la seconde bat des records d’audace ! Une fois en orbite, Rosetta est censée larguer un petit module appelé Philaé qui ira se cramponner à la comète, le 11 novembre. « On veut y descendre, car ce qui se passe à 100 km d’altitude est probablement très différent de ce qui se passe à sa surface. Le sol renferme beaucoup de molécules complexes », précise Philippe Gaudon. Philaé et ses 10 instruments devront donc, entre autres, forer le sol jusqu’à 23 cm de profondeur et analyser la composition de la matière organique. Noirs comme du charbon, les noyaux cométaires sont les objets du Système solaire qui contiennent le plus de carbone. « Ce carbone a peut-être contribué à l’émergence de la vie sur Terre, à l’époque où les comètes bombardaient la planète. Nous voulons donc savoir comment il est organisé, quelles sont les molécules présentes», ajoute Francis Rocard. L’atterrisseur devra aussi exécuter une prise de vue panoramique et étudier la structure interne du noyau avec un radar. «Cela devrait nous en apprendre beaucoup sur la formation des comètes, poursuit l’astrophysicien. Si le noyau est constitué de couches concentriques, on déduira qu’elles se sont formées par agrégation de petits grains, alors que s’il est très irrégulier, il y a plutôt eu une accrétion violente de blocs. » Nul n’en doute, l’intérêt scientifique de Rosetta, qui doit son nom à la pierre de Rosette ayant permis à Champollion de > 957 jours: Période d’hibernation de Rosetta entre juin 2011 et janvier 2014. > 6,5 milliards: Nombre de kilomètres parcourus par Rosetta depuis son lancement en 2004. > 300: Nombre de scientifiques mobilisés en Europe par la mission Rosetta. > 50 minutes: Temps qu’il faut pour envoyer une commande à Rosetta et en recevoir la confirmation. > 11: Nombre d’instruments scientifiques embarqués sur l’orbiteur Rosetta. > 10: Nombre d’instruments embarqués sur l’atterrisseur Philaé. > 18 mois: Temps pendant lequel Rosetta escortera la comète Tchourioumov-Guerassimenko. > 3,1 tonnes dont 1,7 tonne de carburant; poids de Rosetta à son départ. > 65 m2 : Surface des panneaux solaires de Rosetta. > 4: Nombre de centres de mission. Ce sont: l’ESOC (à Darmstadt, Allemagne) pour les opérations liées à la plateforme de l’orbiteur Rosetta; l’ESAC (à proximité de Madrid), pour les opérations scientifiques de ce même orbiteur; le LCC (à Cologne), pour la plateforme de Philaé ; enfin, le SONC (à Toulouse), pour le calcul des trajectoires de Philaé et le suivi des opérations scientifiques. traduire les hiéroglyphes égyptiens, est considérable. Mais les chances de réussite de l’opération sont difficiles à évaluer. «Nous sommes assez préoccupés, admet Francis Rocard. Une comète, c’est imprévisible. Philaé pourrait être éjecté par un jet de gaz, pourrait rebondir et se perdre, ou même s’écraser. On aimerait qu’il soit largué à 2,5 km d’altitude du noyau – soit 12 fois plus bas que l’altitude de l’orbite –, mais l’ESA n’est pas certaine de vouloir faire descendre Rosetta à ce point. Les poussières pourraient l’endommager ou la déséquilibrer. » Tombant pendant 2 à 10 heures, selon l’altitude de largage, Philaé suivra une trajectoire balistique (sans propulsion). À quelques mètres du sol cométaire, deux harpons seront lancés pour ancrer le moJuin ~ Juillet 2014 | Québec Science 43 SOURCE : CNES LA MISSION ROSETTA EN CHIFFRES Rosetta QS juin-juillet 2014_Layout 1 14-05-07 11:19 AM Page 44 une virée de 6 milliards de kilomètres dule puisque, la gravité étant très faible, l’engin qui pèse 100 kg sur Terre aura làbas un poids équivalent à quelques grammes seulement. « L’atterrissage est un moment assez incertain à cause du dégazage et de notre mauvaise connaissance de la distribution de la masse à l’intérieur de la comète. Mais, depuis 10 ans, on a fait des études en tenant compte de toutes les hypothèses et en variant tous les paramètres. En théorie, les logiciels devraient pouvoir s’adapter à tous les scénarios, se rassure Philippe Gaudon. Philaé peut atterrir sur une pente de 30°, mais on va viser une zone plate. On veut à tout prix éviter un rebond ou un renversement. » S’il parvient à s’arrimer, l’atterrisseur disposera d’une cinquantaine d’heures pour effectuer les opérations les plus gourmandes en énergie, comme le sondage radar du noyau, que seule la pile peut alimenter. Ensuite, les batteries solaires prendront le relais, jusqu’à ce que Philaé meure, brûlé par le Soleil, environ quatre mois après son atterrissage. On l’aura compris, la mission de l’atterrisseur est risquée et la sécurité de Ro- UN PREMIER RENDEZVOUS MANQUÉ Le lancement de Rosetta était initialement prévu en janvier 2003, avec comme destination la comète Wirtanen, qu’elle aurait dû rejoindre en 2011. Mais l’échec du premier tir du lanceur Ariane 5 ECA a bouleversé le calendrier. Dans l’urgence, il a fallu trouver une nouvelle cible pour Rosetta, et recalculer toutes les trajectoires : le choix s’est porté sur Tchourioumov-Guerassimenko, pour un départ le 2 mars 2004. «Tchouri» est plus grosse que Wirtanen, et sa gravité devrait être plus forte. Espérons que cela ne perturbera pas l’atterrissage de Philaé. setta passera avant tout. « Surtout que, sans Rosetta, Philaé ne peut pas transmettre d’informations à la Terre», précise Francis Rocard qui avoue n’être pas «très confiant » quant à la réussite de cet atterrissage de haute voltige. « De plus, Philaé est assez complexe, c’est un robot qui n’a pas beaucoup de souplesse, peu d’énergie et une mémoire RAM peu performante. » Il faut dire que la sonde européenne, partie il y a 10 ans, a été imaginée et conçue il y a presque 20 ans. Sur le plan technique, les instruments et les batteries sont loin d’être aussi performants que leurs équivalents contemporains. Mais pour Philippe Gaudon, il n’y a aucun regret à avoir. « C’est certain qu’on aurait pu gagner un facteur 10 sur tous les instruments, mais ils nous permettront quand même d’en apprendre énormément sur le phénomène cométaire. Aucune sonde cométaire n’a embarqué autant d’instruments scientifiques. J’ai compté qu’il y aura 48 types de mesures ! La mission sera déjà un succès si chacun des instruments fonctionne au moins une fois », assure-t-il. Si l’atterrisseur s’en sort, l’exploit n’en sera que plus remarquable. « Il faut voir Philaé comme la cerise sur le gâteau », résume Francis Rocard. Pour les 300 scientifiques européens impliqués dans le projet, QS le suspense promet d’être haletant. ■ 22e ÉDITION scienceontourne.com FI TIONALE A N E L A N 3 MAI 2014 R CÉGEP VANIE 44 Québec Science | Juin ~ Juillet 2014 Marc-André Cusson Carl Boucher Vincent St-Pierre Cégep de Drummondville