Le Gouessant Aquaculture – BP 228 – 22402 LAMBALLE Cédex – France Tél. (33) 02 96 30 74 74 – Fax (33) 02 96 30 74 32 – e.mail : [email protected] Inf’eau n°5 Pathologie L’IMMUNOSTIMULATION PAR VOIE ORALE CHEZ LE POISSON Ü RAPPEL SUR LE SYSTEME IMMUNTAIRE Comme chez les Mammifères, le système immunitaire du poisson est composé d’un système non-spécifique et d’un système spécifique (Figure 1). Figure 1 : REPONSE IMMUNITAIRE SPECIFIQUE ET NON SPECIFIQUE INFECTION RE-INFECTION IMMUNITE NON SPECIFIQUE Pas de Maladie Maladie IMMUNITE SPECIFIQUE MEMOIRE IMMUNITAIRE SPECIFIQUE Guérison Protection Contre la Maladie Ä LE SYSTEME IMMUNITAIRE NON SPECIFIQUE Il est le support de l’immunité naturelle. C’est la première ligne de défense contre les corps étrangers pénétrant l’organisme. A l’inverse des Mammifères, le système non-spécifique du poisson représente la majorité de la réponse immunitaire. Comme son nom l’indique, il s’attaque à tous les corps étrangers sans spécificité et n’est pas capable de les reconnaître en cas de récidive. Il est composé de : F La peau et son mucus. C’est le principal moyen de défense du poisson. En effet, d’une part le mucus empêche les bactéries d’adhérer aux cellules épithéliales, d’autre part, il convient des composants de la lutte immunitaire non-spécifique (complément, lysozyme, anticorps naturels – voir ci-dessous). F Les cellules vasculaires et tissulaires. Ce sont les macrophages et les PolyNucléaires Neutrophiles (PNN). Ils sont capables de reconnaître les particules étrangères à l’organisme tels que les bactéries, virus, parasites…, puis de les fixer à la surface de leur membrane pour enfin les phagocyter (du grec phagos =manger), c’est à dire les absorber. La particule est alors tuée puis digérée à l’intérieur du macrophage ou du PNN par différents mécanisme : enzymes, pH acide, production de radicaux libres oxydatifs (appelé « flambée respiratoire » car elle nécessite une consommation accrue d’O2 par la cellule). 1/5 Inf’eau n°5 Pathologie F Le complément. C’est un ensemble de protéines plasmatiques capables de s’auto-activer en chaîne, notamment après contact avec certains composants (polysaccharides) de la membrane des microbes. Son activation produit des enzymes attaquant la membrane des cellules étrangères. Toutefois, sa principale action se situe dans le cadre de la défense immunitaire spécifique (cf ci-dessous). F Le lysozyme. C’est une enzyme synthétisée par les phagocytes et permettant une première attaque des parois des cellules bactériennes. Ä LES SYSTEME IMMUNITAIRE SPECIFIQUE Quand un agent infectieux pénètre l’organisme, les mécanismes de défense non spécifique sont stimulés en premier. Cette seule activation peut s’avérer suffisante pour stopper l’infection. Sinon la maladie se développe et induit des mécanismes spécifiques. Il s’agit en particulier de la fabrication d’anticorps ou immunoglobulines. Ce sont des protéines spécifiques de l’agent infectieux, plus précisément d’une de ses parties caractéristiques (partie antigénique) nommée antigène. A un antigène correspond un et n seul anticorps, comme à une serrure correspond une seule clef. Les anticorps vont non seulement contribuer à la destruction de l’agent infectieux mais également rester « en mémoire » pour bloquer toute nouvelle infection causée par le même agent. Les cellules et composés impliqués dans la réponse immunitaire spécifique sont (figure 2) : F Les macrophages (1) qui interviennent aussi dans la réaction immunitaire spécifique en l’initiant. Après phagocytose (étape de la réponse immunitaire non spécifique), le macrophage digère le microbe et garde la partie antigénique afin de la présenter aux lymphocytes B producteurs d’anticorps. D’autre part, le macrophage secrète des substances (interleukines 1) capables d’activer les lymphocytes T. F Les lymphocytes B et T sont les véritables cellules de l’immunité spécifique : Ø Les lymphocytes B (2) sont le support de l’immunité à médiation humorale (=production d’anticorps libérés dans les « humeurs », c’est à dire le plasma). Après reconnaissance de l’antigène présenté par les macrophages, ces lymphocytes se différencient en 2 sous-populations : • Les plasmocytes qui produisent les anticorps. Ces anticorps libérés dans le plasma se fixent spécifiquement à leur antigène pour former des complexes immuns (clé-serrure). Ces complexes vont activer les macrophages et le complément provoquant la destruction du microbe porteur des antigènes recouverts de leurs anticorps spécifiques (le microbe est comme « hérissé » de complexes immuns). Les anticorps persistent plusieurs mois dans la circulation sanguine et confèrent ainsi une protection spécifique ; c’est l’effet recherché par la vaccination après introduction d’un agent pathogène sous forme atténuée ou tuée dans l’organisme du poisson. • Les lymphocytes B mémoire à durée de vie longue qui sont à l’origine de la re-circulation lymphocytaire (cf ci-dessous). Ø Les lymphocytes T (3) sont le support de l’immunité à médiation cellulaire (c’est la cellule qui agit directement dans la défense) et sont répartis eux aussi en 2 sous-populations : • • Les lymphocytes T effecteurs, avec en particulier les lymphocytes T cytotoxiques qui reconnaissent l’antigène spécifique de la cellule cible (bactérie, virus…), forment un complexe « clé-serrure » et détruisent la membrane de cette cellule étrangère, provoquant sa mort. Les lymphocytes T mémoire (cellule à vie longue) qui participent à la re-circulation lymphocytaire. La re-circulation lymphocytaire consiste en une redistribution permanente des lymphocytes B et T mémoire dans tout l’organisme. Ceci favorise la mise en jeu rapide et amplifiée des réactions immunitaires lors d’une 2ème stimulation. 2/5 Inf’eau n°5 Pathologie F Le complément (4) est activé par la présence de complexes immuns antigène-anticorps (principale voie d’activation) qui provoquent la réaction en chaîne et la libération des enzymes destructrices des particules étrangères. Figure 2 : L’IMMUNITE SPECIFIQUE Antigène Microbe phagocytose 1 Macrophage Lymphocyte B mémoire Lymphocyte B Prolifération Interleukine 1 : Activation Lymphocyte T mémoire 2 Lymphocyte T Plasmocyte Production d’anticorps libérés dans le milieu 3 Lymphocyte T cytotoxique 4 Formation de Complexes Immuns Activation du Complément Destruction du Microbe Le siège de la production des lymphocytes sont les organes lymphoïdes, le thymus (producteur des lymphocytes T, d’où leur nom), la rate et le rein antérieur. Quand bien même le système immunitaire des poissons ressemble beaucoup à celui des Mammifères, quelques différences sont à noter : La production d’anticorps est étroitement dépendante de la température, ce qui explique la prépondérance du système immunitaire non-spécifique par rapport à la défense spécifique. A titre d’exemple, la Carpe en produit jusqu’à 12°C et la Truite jusqu’à 5°C. Toutefois, il semblerait que si la phase d’induction (« vaccination » naturelle) a eu lieu à des température plus élevées, la production d’anticorps serait possible quelque soit la température par la suite. 3/5 Inf’eau n°5 Pathologie F La présence d’un tissu lymphoïde très développé associé à l’intestin (GALT = Gut Associated Lymphoid Tissu). Des cellules lymphoïdes et des macrophages intra-épithéliaux sont présents au niveau de l’intestin postérieur. Cette particularité renforce la possibilité d’une immunisation par voie orale. En effet, ces macrophages intestinaux pourraient être les cellules réceptrices de l’antigène ingéré et assurer la fonction de présentation aux lymphocytes (Ogier de Baulny, 1996). Ü L’IMMUNISATION PAR VOIE ORALE Un ensemble de macromolécules organiques (peptides, extraits végétaux, animaux –chitine-, bactériens, nucléotides, divers polysaccharides) peuvent être reconnus par l’organisme comme antigène (molécule étrangère) et activer les phagocytes, macrophages en particulier, qui sont alors « prêts » en cas d’agression pathogène. C’est ce qu’on appelle : élever le potentiel immunitaire de l’animal. Toutes ces molécules ont fait leur preuve par injection, avec de nombreuses études en cancérologie humaine et des applications comme adjuvants à des vaccins dans le but d’accompagner la réponse immunitaire spécifique d’une réponse nonspécifique. Parmi ces molécules, peu sont susceptibles d’être active par voie orale. En effet, qui dit immunisation par voie orale, dit : • • • Absorption intègre (sans attaque enzymatique) de l’agent d’immunisation à travers la paroi stomacale ou intestinale, Transport sanguin jusqu’aux organes lymphoïdes, Activation des macrophages ou présence de récepteurs spécifiques dans le cas de macromolécules. Trois types de molécules répondent à ces critères et ont fait l’objet de travaux de recherche : • • • Le lévamisole, Des polysaccharides, Les vitamines C et E. Ä LE LEVAMISOLE C’est un anti-parasitaire surtout utilisé pour les Ruminants et est connu pour ces vertus immunostimulantes par injection chez les Poissons (Ogier de Baulny, 1996). Les résultats par voie orale sont plus aléatoires. Les travaux les plus récents à ce sujet de M. Ogier de Baulny (1996) mettent en évidence la problématique de la dose de produit actif, sachant qu’au delà d’un certain seuil le Lévamisole devient immunodépressif. Ä LES POLYSACCHARIDES Les polysaccharides antigéniques sont des extraits de paroi cellulaire de levure, champignons, bactéries, algues ou crustacés. La reconnaissance par le système immunitaire non-spécifique de ces molécules semble être un mécanisme précoce dans l’évolution des organismes supérieurs, utilisé comme mode de défense contre les levures et les champignons pathogènes. Les plus connus sont les glucanes (glucans en anglais). F Les glucanes Ce sont des polymères de glucose et mannose pouvant varier par leur type de liaisons (B1-3 ou B1-6) et leur nombre, fonction de leur origine (levure, champignon, algue). Ils ont fait l’objet de nombreux travaux avec des résultats particulièrement intéressants sur le B1-3D-glucane extrait de levure de bière (produit commercial Macrogard). Son assimilation, transport et réception par les cellules de l’immunité ont été démontrés (Engstad & al, 1993 ; Sveinbjornsson & al, 1995). Cependant l’intérêt pour le pisciculteur réside dans la prescription de la molécule immunostimulante : à quelle dose ? Pendant combien de temps ? F Les peptidoglycanes Extraits de la paroi de bactéries non pathogènes, ces molécules ont surtout fait l’objet de recherches privées, conduites en premier lieu par le laboratoire du Ministère de l’Agriculture en Israël à partir de 1995. 4/5 Inf’eau n°5 Pathologie Ainsi chez le Tilapia, l’addition d’un peptidoglycane à l’aliment a permis d’accroître l’activité des macrophages (mesurée par la production de radicaux oxydatifs) et de réduire la mortalité de 70 à 40% suite à un challenge par injection de Streptocoque. Plusieurs travaux ont suivi celui-ci, sur la Carpe, la Sériole et la Truite avec l’étude des paramètres sanguins de l’immunité et la résistance aux challenges bactériens… Ä LA VITAMINE C La vitamine C est impliquée dans la plupart des fonctions vitales : croissance, reproduction, cicatrisation, réponse au stress, métabolisme des lipides, immunité… Elle est donc essentielle à la survie des poissons qui, contrairement à la très grande majorité des Mammifères, sont incapables de la synthétiser. Concernant l’immunité plus particulièrement et sur le plan biochimique, la vitamine C a deux grands modes d’action : F Elle agit comme co-facteur dans certaines réactions : • • Dans la synthèse de cortisol et catecholamine, hormones stéroïdes secrétées en cas de stress. Le cortisol a un effet dépressif sur le système immunitaire. Or en captivité, toute agression se traduit par d’importantes secrétions de cortisol qui n’ont pas lieu d’être dans le milieu naturel où le poisson a la possibilité de fuir. Il est donc important, pour le bon fonctionnement du système immunitaire, que la production de ces hormones stéroïdes soit en permanence bien régulée, d’où un besoin accru en vitamine C chez les poissons d’élevage. Dans la synthèse du collagène, principal constituant de la peau, des os, du cartilage. Elle joue donc un rôle important dans l’intégrité de la 1ère ligne de défense de l’organisme (la peau) et dans le processus de cicatrisation en cas de blessure. F C’est un puissant anti-oxydant biolgique, qui protège les membranes des cellules vivantes. On la trouve stockée en quantité importante entre autre dans les macrophages, les leucocytes, le thymus. Elle contribue ainsi au maintien de l’intégrité et de la fluidité des membranes cellulaires mises à rude épreuve au cours de la flambée respiratoire. F La présence de vitamine C dans les tissus lymphoïdes, le thymus en particulier, suggère que cette vitamine aurait un rôle dans la stimulation de la production et la prolifération des anticorps. Doses, mégadoses et durée d’emploi : L’étude du besoin des Salmonidés en vitamine C indique une valeur de 50 mg/kg d’aliment (NRC, 1993). Les spécifictés de l’élevage aquacole conduisent à des supplémentations supérieures à cette norme (aliments Le Gouessant : 100 mg/kg). De nombreux travaux ont conduit à une pratique aujourd’hui courante : celle de l’emploi de mégadoses de 1000 mg de vitamine C/kg d’aliment en prévention, voire curation de problèmes pathologiques, pendant une durée minimale de 2 semaines. Ä LA VITAMINE E Comme la vitamine C, la vitamine E est un puissant anti-oxydant biologique, dont le rôle dans l’immunité a été démontré chez les Mammifères mais aussi chez les Poissons (Waagbo, 1994). Chez les Volailles par exemple, les doses sont doublées (26 mg/kg d’aliment) au démarrage ou augmentées de façon imprécise (eau de boisson) au moment des vaccinations. Le besoin des Salmonidés est de l’ordre de 50 mg/kg (NRC, 1993), mais il augmente avec la teneur et la qualité (insaturation) des lipides des régimes, d’où les valeurs actuellement rencontrées dans les aliments commerciaux, d’au moins 100 mg/kg dans les aliments à 20-22% de matière grasse et jusqu’à 350 mg/kg dans les aliments saumons à 30% et plus de matière grasse. Les études concernant la fonction immunitaire de la vitamine E n’abordent pas l’emploi pratique de mégadoses. Si des doses de 300 à 400mg/kg semblent avoir un effet positif sur certains paramètres de l’immunité, d’autres travaux soulignent l’effet préjudiciable sur la coagulation et le production d’anticorps (Waagbo & al, 1993d). 5/5