La Société d`Anthropologie de Paris de 1859 à 1920

publicité
Cet article est disponible en ligne à l’adresse :
http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RHSH&ID_NUMPUBLIE=RHSH_010&ID_ARTICLE=RHSH_010_0125
La Société d’Anthropologie de Paris de 1859 à 1920
par Jean-Claude WARTELLE
| Sciences Humaines | Revue d’histoire des sciences humaines
2004/1 - N° 10
ISSN 1622-468X | pages 125 à 171
Pour citer cet article :
— Wartelle J.-C., La Société d’Anthropologie de Paris de 1859 à 1920, Revue d’histoire des sciences humaines 2004/1,
N° 10, p. 125-171.
Distribution électronique Cairn pour Sciences Humaines.
© Sciences Humaines. Tous droits réservés pour tous pays.
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des
conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre
établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière
que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur
en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Revue d'Histoire des Sciences Humaines, 2004, 10, 125-171.
La Société d’Anthropologie de Paris de 1859 à 1920
1
Jean-Claude WARTELLE
Résumé
Fondée par Paul Broca en 1859, la notoire Société d’Anthropologie de Paris connut
quatre secrétaires généraux entre sa naissance et son périlleux déclin de l’entre-deuxguerres, ce qui structure cette étude en quatre principales séquences. S’y intercale un
développement sur le matérialisme scientifique, travers fréquent de l’intelligentsia
française de l’époque. L’article interroge l’inscription initiale de cette discipline dans le
domaine des sciences naturelles, ce qui entraîna la considérable différence avec les
anthropologies anglo-saxonnes ainsi qu’avec l’orientation moderne de cette discipline.
Mots-clés : Anthropologie – Broca – Manouvrier.
Abstract : History of the Société d’Anthropologie de Paris from 1859 to 1920
Founded by the surgeon Paul Broca in 1859, the quite famous Société d’Anthropologie
de Paris was managed by four secretaries till its sort of lethal doom during the
twentieth century’ nineteen thirties. The study is divided into five parts, one for each
secretary and in-between a special record of the « matérialisme scientifique », a typical
atheistic group within French intelligentsia. The study ponders over the original
location of French anthropology inside natural sciences, a fact which produced a
marked difference with its Anglo-saxon sisters and with the modern anthropological
vision.
Key-words : Anthropology – Broca – Manouvrier.
1
Elle sera désignée comme la SAP ; les références aux Bulletins de la SAP ont été simplifiées et ne
mentionnent ni la série ni le tome – par exemple, BSAP, 1891, 285, renvoie aux BSAP 4ème série, tome 2,
1891, page 285 ; RÉA = Revue de l’École d’Anthropologie. Abréviations concernant les membres de la
SAP : T = Titulaire, H = Honoraire, AE = Associé étranger, CN = Correspondant national et CÉ =
Correspondant étranger.
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
Il en est des sociétés savantes comme de toutes les institutions humaines : leur
existence connaît une succession d’épanouissement puis de déclin, avec ou sans survie. La SAP fondée en 1859 par Paul Broca, première société au monde à utiliser le
vocable de cette nouvelle science, connut son apogée autour de la période du décès du
fondateur en 1880. Elle déclina ensuite en nombre d’adhérents, en créativité et en influence jusqu’à la grande guerre pour tenter à l’issue de celle-ci un nouveau départ sur
des bases internationales. Elle affronta un permanent problème de définition de sa
propre matière, de ses limites, de sa nomenclature. Profondément marquée par la primauté des recherches sur les caractères physiques du corps humain, primauté impulsée par son créateur, elle se débattit après la mort de ce dernier dans les difficultés
d’une adaptation de son objet scientifique. Société du glorieux XIXème siècle, elle contribua à certaines de ses avancées (le préhistorique), participa à plusieurs de ses victoires (le transformisme), épousa quelques-uns de ses travers (?) (le patriotisme, la
colonisation). La qualité initiale de ses adhérents établit sa renommée mais l’atrophie
progressive d’envergure des successeurs précipita sa décrépitude. Joua également une
orientation erronée : définissant l’anthropologie comme une des sciences naturelles, la
SAP privilégia la recherche anatomique et physiologique et lui subordonna l’ethnologie culturelle. Elle s’empêtra en outre dans la raciologie. Le XXème siècle établit une
approche inverse : Paul Rivet, Arnold Van Gennep et Marcel Mauss, tous trois adhérents marginalisés, écartèrent ou réduisirent la raciologie et affirmèrent la primauté de
l’ethnographie et de la sociologie. Ces orientations se réalisèrent finalement en dehors
de la société de Broca.
La gloire centenaire de Paul Broca
Paul Mengal 2 fait remonter au tout début du XVIème siècle l’usage du terme anthropologie, nom d’une nouvelle discipline scientifique appelée à se diviser dans les
décennies suivantes entre anatomie ou science du corps et psychologie ou science de
l’âme. Homo duplex offrant par sa nature deux pistes de connaissances, la science
épousa cette bivalence, examinant d’une part le corps, son squelette et ses fluides,
traquant d’autre part pensées, sentiments, passions ainsi que leur prolongement dans
les cultes et institutions. Le réel ancrage scientifique de cette discipline se réalisa au
XVIIIème siècle avec Buffon : la science de l’homme quittait les récitations ontologiques de la métaphysique pour s’installer au Jardin du Roi. Le XIXème siècle allait
précipiter les choses. La monarchie de Juillet créa une chaire d'histoire naturelle de
l'homme rebaptisée d’anthropologie par son troisième titulaire Armand de
Quatrefages. Sous le Second Empire naissaient quasi simultanément (1858-1859)
deux sociétés savantes, la Société d’ethnographie orientale et américaine 3 tournée en
priorité vers l’approche religieuse et culturelle des sociétés humaines, l’autre, la
Société d’anthropologie de Paris, fondée par le chirurgien Paul Broca, penchée bien
davantage sur la réalité anatomique de cette espèce. Cette dualité correspondait,
2
MENGAL, 2000.
Cf. tableau ci-dessous : la SEOA eut son impulsion d’origine du côté de l’Institut et de l’École des
Langues Orientales. L’animateur en fut Léon de Rosny, secrétaire général de 1859 à 1902. Des appuis
aristocratiques en facilitèrent la naissance à l’inverse de la SAP qui fut initialement surveillée par la police
du Second Empire. De Rosny eut à l’occasion des rapports orageux avec Paul Broca au sujet de
l’importance de la craniologie.
3
126
Jean-Claude Wartelle
pourrait-on dire en parodiant Charles Letourneau (le troisième secrétaire général) à
l’atavisme hérité de la naissan-ce du XVIème siècle. Quoiqu’ayant quelques membres
communs, les deux sociétés furent rivales, clamant chacune la supériorité de ses
recherches avec une ombre d’in-tolérance mutuelle.
Pierre Paul Broca était originaire de Sainte-Foy-la-Grande, une modeste ville
d’Aquitaine où les clivages religieux (catholiques contre protestants) gardaient leur
virulence, utile prise de conscience initiale des passions sociales et de leur effet destructeur. Homme de grande intelligence et de culture remarquablement étendue, méticuleux bourreau de travail, médecin puis chirurgien hors pair, il devint membre fort
actif des Sociétés de biologie et de chirurgie. Son intérêt s’ouvrit alors davantage aux
sciences naturelles. Broca s’aperçut notamment que la définition classique de l’espèce, fondée sur la fécondité, souffrait des exceptions. Il observa également à quel point
le milieu peut altérer la taille et l’aspect d’une espèce dûment enregistrée, aster tripolium en l’occurrence. Les réticences du président de la Société de biologie à lui laisser
exposer ses vues, les manœuvres pour la création de la Société d’ethnographie commencées en 1857 le pressaient d’agir. En outre, les travaux de Boucher de Perthes
dans le diluvium de la vallée de la Somme, la découverte des fragments du squelette
de Néanderthal (1856), la multiplication des autres fouilles en Scandinavie, Suisse ou
dans le Sud-Ouest français, dévoilaient les premières richesses d’une discipline nouvelle, celle des vestiges préhistoriques de l’homme. Broca s’engagea donc en 1858
dans la fondation d’une société savante qui tenterait d’incorporer à côté d’un descriptif naturaliste de l’espèce humaine, ses variétés géographiques et la connaissance de
son plus lointain passé. Il choisit le nom de Société d’anthropologie de Paris.
La difficulté consistait à s’aventurer dans une science largement à créer, l’anthropologie n’ayant à l’époque pour antécédents que les désirs et projections de Buffon
(1749-1778), Chavannes (1787), Blumenbach (1795) et pour seule base d’exercice la
chaire du Muséum. Quoiqu’en rupture avec la Société de biologie, la SAP naquit dans
le milieu universitaire médical qui allait, de pair avec les convictions du fondateur,
marquer profondément son état d’esprit et ses orientations. Assumant fondamentalement l’impulsion donnée par Buffon et corroborée par l’adhésion d’Armand de
Quatrefages, titulaire de la chaire du Museum, la SAP affirma vouloir développer
l’option science naturelle : elle se consacrait à l’histoire naturelle de l’Homme et
visait la biologie du genre humain, insistant sur ce qui faisait la singularité et la
supériorité de ses représentants (l’emplacement du trou occipital, les mains, les jambes) relevant aussi parentés ou éloignements avec les espèces de proximité (grands
singes). Monographie d’une espèce ou d’un genre (l’emploi de l’un ou de l’autre
terme impliquait des retombées mono ou polygénistes) elle devait fournir la description physique, puis les modes d’existence et les mœurs de ce groupe.
Alors que la SAP était encore embryonnaire, Broca fit en deux fois, les 7 et
21 juillet 1859 le seul exposé de ces réunions de mise en route. Ce galop d’essai,
moyennement original, concernait l’ethnologie de la France. Il partait des deux races
mentionnées par César, Celtes et Belges (Kymris) et tentait d’affiner le tableau par
des inductions sur les races antérieures ou sur les métissages ultérieurs. La démarche
révélait les bases de ce qui, dans la pensée du fondateur, formait un chapitre essentiel
du sous-ensemble ethnologie contenu dans la nouvelle discipline : Broca tirait en effet
de William Edwards, fondateur admiré de la Société (française) d’ethnologie en 1839,
cette définition qu’elle consistait en la science des races. L’anatomie et la craniologie
127
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
permettraient donc d’assurer d’une manière scientifique l’approche de la variété humaine. Broca assurait que le recours au terme races fournissait une solution d’attente
à l’imbroglio des nomenclatures et ainsi amortissait les passions : « Le genre humain
lui aussi se décompose en un certain nombre de groupes secondaires, distingués les
uns des autres par des caractères héréditaires. Ces différences sont-elles primordiales ? Il y aurait alors plusieurs espèces d’hommes ; c’était l’opinion des polygénistes. Sont-elles au contraire l’effet d’influences séculaires qui auraient modifié
suivant plusieurs directions divergentes, un type primitivement unique ? S’il en est
ainsi, les groupes secondaires du genre humain ne sont plus des espèces, mais seulement des variétés ; c’était l’opinion des monogénistes. On ne pourrait donc désigner
ces groupes ni sous le nom d’espèces, ni sous le nom de variétés, sans supposer résolue à l’avance une question très controversée ; c’est pourquoi l’on est convenu de leur
donner le nom de races, qui ne préjuge rien, et laisse la question ouverte » 4.
Si on représente l’anthropologie Broca sous la forme d’un bloc carré de disciplines et connaissances (cf. figure 1), cinq sous-ensembles y apparaissent, quatre
d’entr’eux marqués par une allégeance à l’anatomie (surtout crânienne), chacun affecté par la possibilité de dérive raciologique. Sûr de son fait cependant, connaissant la
valeur contraignante des nomenclatures (Blanckaert), le créateur en réitéra de
multiples fois la définition et les limites : l’anthropologie était la science de l’homme
pris dans sa collectivité d’espèce, elle rassemblait les données fournies par une douzaine de sciences, de la médecine à la sociologie en passant par la paléontologie.
Après avoir écarté de ces sciences ce qui était trop spécialisé ou seulement consacré à
l’homme individuel, elle se devait d’introduire classement et hiérarchie parmi les
multiples frondaisons de ses branches et rameaux (l’anatomie craniologique ne devait
certes pas être loin de constituer la tige principale). L’anthropologie coiffait la science
préhistorique encore dans les limbes ; la linguistique et l’ethnologie lui étaient subordonnées. Tributaire d’une douzaine d’autres sciences, mais les supervisant cependant,
cette science nouvelle devait déboucher sur une synthèse cruciale pour la connaissance et la réflexion puisque, tel un très positif miroir, elle réfléchissait l’image
recomposée de l’espèce qui l’étudiait.
L’inclination positiviste de la SAP est peut-être un artefact d’historien 5. Le terme
de positiviste enregistra cependant une telle amplitude d’adhésions, semi-adhésions et
de parcours d’accompagnement qu’il peut à bon droit être maintenu. Quelques déclarations et débats en illustrèrent l’écho. L’épistémologie comtienne proscrivait toute
spéculation métaphysique sur les causes premières ou finales. Lagneau, dans son allocution de président sortant de la SAP s’en félicitait le 2 janvier 1875 : « Depuis sa
fondation, notre société, en s’efforçant d’écarter de ses discussions tout surnaturalisme, en s’attachant surtout à recueillir, à comparer, à discuter des faits observés, est
parvenue à donner à ses travaux ce double caractère de positivisme et de scepticisme
propre à la science véritable » 6. Cette positivité, Broca était fier de l’avoir renforcée
par l’exigence de méthodes d’observation méticuleuses : « ce qui a fait la force de
cette science, ce qui lui donne un caractère positif, ce qui lui a permis de passer rapidement de l’enfance à la maturité, c’est l’emploi des méthodes rigoureuses d’observa-
4
BROCA, 1876, 16-17.
BLANCKAERT, 2003.
6
BSAP, 1875, 2.
5
128
Jean-Claude Wartelle
tion 7. Il voyait dans les caractères physiques du squelette, des tissus et des relations
organiques « un groupe central de connaissances positives » 8.
Ni Lagneau, ni surtout Broca n’auraient accepté le point de dogme de Comte que
la sociologie coiffât la biologie comme science suprême, mais cependant ils pouvaient
trouver utile et réconfortant qu’une doctrine de leur siècle permette de contrer l’aspiration de certains des membres de la SAP à conserver des inclinations métaphysiques
(une des phobies de Comte). Pourfendeur implacable de la métaphysique, le positivisme permettait de déclasser ces aspirations romantiques. C’est ce que de Jouvencel,
ce jour-là porte-parole de Broca, exprima très durement à Gratiolet le 21 mars 1861 9.
La SAP visait un homme différent de celui de la métaphysique, affirma-t-il impérieusement. L’encyclopédisme de l’anthropologie correspondait à un autre fondement positiviste. Régulièrement acariâtre contre le monde de la science académique, Auguste
Comte dénonçait systématiquement « la spécialisation aveugle et dispersive » 10. Rassemblant des médecins, des linguistes, des palethnologues, des administrateurs, des
artistes, etc., la SAP constituait une réaction contre la parcellisation croissante du travail intellectuel. Elle revendiquait une impérieuse visée de synthèse scientifique et
philosophique.
L’anthropologie posséda avec Broca un animateur doté d’esprit créatif, d’énergie
inlassable et de sens pratique. Dans sa spécialité craniologique et anatomique, il créa
ou améliora plus de trente appareils. Ses prises de mesures se comptèrent en dizaines
de milliers. Converti (en partie par son ami Adolphe Bertillon) à l’importance des
statistiques, il en généralisa l’usage en anthropologie physique et en fit ressortir les
bénéfices épistémologiques. Secrétaire sténographe des séances, esprit ouvert à la pluralité des disciplines inscrites dans la science qu’il fondait, Broca utilisa régulièrement la méthode des récapitulations de l’activité, mise au point éclairante des problèmes posés, des questions résolues et de celles à poursuivre. Ces comptes rendus de
travaux s’organisèrent soit dans le cadre interne des réunions de la SAP soit éventuellement dans un cadre externe, manifestations liées aux expositions internationales
ou congrès. L’anthropologie bénéficia en effet très vite de divers types de congrès internationaux, soit ceux initiés par Édouard Desor et Gabriel de Mortillet 11 et concernant l’anthropologie préhistorique 12, soit ceux de l’Association Française pour
l’Avancement des Sciences, créée sur le modèle britannique en 1872 et où l’anthropologie fut instituée 11ème section 13, soit enfin les congrès d’anthropologie générale,
réunis comme tels, ainsi le Congrès de l’Exposition de 1878, puis celui de Moscou en
1879 14.
La renommée de la SAP, devenue modèle pour toute une pléïade de sociétés
européennes et américaines d’anthropologie, devait beaucoup à l’énorme culture
7
CONGRÈS INTERNATIONAL DES SCIENCES ANTHROPOLOGIQUES, 1880, 20.
BROCA, 1989, 7ème texte, 501.
9
BSAP, 1861, 284.
10
COMTE, 1995, 191.
11
Tous deux membres de la SAP. Gabriel de Mortillet mb T 2.2.1865 ; Édouard Desor AÉ 15.10.1874.
12
KAESER, 2001, 201-230.
13
BLANCKAERT, 1998.
14
Le livre de J. Harvey sur Clémence Royer (bibliographie) reproduit une photo de l’équipe dirigeante
de la SAP au Congrès de Moscou en 1879 (hors-texte). Broca, Quatrefages et Gabriel de Mortillet y
représentent le centre de la vieille génération. Cette photo est également reproduite dans le livre de HECHT
2003 (figure 5, hors texte et jaquette).
8
129
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
scientifique de son secrétaire général, à son intelligence des questions fondamentales
et à la dialectique scientifique avec laquelle il savait les faire progresser. La dialectique en sciences naturelles s’appuie sur une foison de cas d’observation et aborde
nécessairement des questions référentes, multipliant alors des détours qu’il faut savoir
utiliser sans s’y perdre. Un remarquable exemple en est donné dans la communication
Sur le tranformisme 15. Broca s’adressait à Darwin et rivalisait avec lui dans le
développement d’exemples précis (en l’occurrence les caractères anatomiques de
Prosatyrus, l’orang-outang). La chance de la SAP-Broca fut de regrouper une pléïade
d’interlocuteurs aussi férus que le secrétaire général, aussi bien dans le domaine des
sciences naturelles et médicales que dans celui des sciences sociales, sorte de savants
universels capables de suivre l’inventaire exhaustif des ossements d’un squelette animal ou humain comme d’intervenir dans la description des pratiques tribales primitives, ainsi Adolphe Bertillon, médecin et démographe, Prüner-bey, médecin, craniologue et linguiste d’origine bavaroise régulièrement encensé pour son encyclopédisme,
Armand de Quatrefages naturaliste et ethnologue, Édouard Lartet et Gabriel de
Mortillet précurseurs de la science préhistorique… Parmi les médecins, se trouvaient
d’éminents spécialistes de tératologie et d’embryologie 16 comme Dareste, Giraldes,
Gratiolet, etc. Du coup la renommée venait de la haute qualité fréquente des débats,
marqués par la précision, la vivacité des répliques et l’élégance d’expression des
intervenants. Courtoisie et tolérance étaient de règle.
La SAP atteignait une plaisante allure de croisière dans des débats contradictoires
de qualité. Les deux représentants monogénistes, Quatrefages et Prüner-bey, s’avéraient dotés du même génie dialectique méticuleux que le secrétaire général dont ils
étaient régulièrement les adversaires courtois mais résolus. Nombre de leurs affrontements restèrent des modèles exemplaires de duels mi-académiques mi-mondains.
Dans la discussion sur les crânes des Eyzies, discussion légitimant la reconnaissance
d’une nouvelle race préhistorique, celle de Cro-Magnon, Broca et Prüner-Bey
apparurent nettement comme deux partenaires d’un jeu oratoire impliquant politesse
ampoulée, contre-argumentation serrée et petites perfidies destinées à déconsidérer
l’adversaire 17. À l’issue de l’une de ces joutes oratoires, celle sur le sentiment religieux, Broca adressa ce compliment sincère aux esprits si déliés de sa société : « Chacun a su respecter les convictions de son voisin, et l’urbanité du langage, conséquence
d’une estime réciproque, a constamment maintenu la lutte dans les hauteurs sereines
de la science » 18.
Si l’anthropologie de Broca répudiait la métaphysique, elle accrochait l’intérêt du
public en croisant fréquemment de questions fondamentales. L’origine de l’espèce humaine et de ses variétés interpellait toutes les curiosités. Le grand débat hérité de la
première moitié du siècle concernait la querelle monogénistes contre polygénistes. Le
camp spiritualiste restait monogéniste, convaincu de l’unité de l’espèce humaine et de
sa souche. Broca affichait avec éclat des sympathies polygénistes, fondées sur
15
BROCA, 1989, 3ème texte.
Deux sous-disciplines en pleine expansion aussi bien à la Société de biologie qu’à la SAP :
Tératologie = science des monstruosités naturelles ; embryologie, science du développement des œufs ou
des fœtus.
17
BSAP, 1868, 561-574.
18
BROCA, 1989, 6ème document, 486.
16
130
Jean-Claude Wartelle
l’antiquité de la distinction des races 19. L’enjeu de l’affrontement était évident au
sujet des inégalités raciales. Ce débat perdit progressivement de son acuité, relayé par
celui du transformisme. Les principaux livres de Charles Darwin parurent en effet
pendant la période Broca. La sélection naturelle brouillait les pistes précédentes car
elle pouvait expliquer la constitution de races différentes (et inégales) à partir du
monogénisme. Cependant l’adoption de la théorie darwinienne rencontra de longues
résistances à la SAP. Quatrefages la voyait dépourvue de preuves quant à son mécanisme. Broca la jugeait utile mais insuffisante en tant que seul élément d’évolution.
Giraldès, Lartet et Sanson, respectivement professeur de chirurgie, paléontologue et
zoologiste, professaient une opposition résolue. Ces réticences françaises stimulaient
Darwin qui développa la théorie complémentaire de la sélection sexuelle. Broca et
Quatrefages demeurèrent non convaincus. Les supporters les plus déterminés de la
nouvelle théorie furent les matérialistes, heureux d’évacuer tout plan divin sur la vie
et sur l’homme ; encore ce groupe se rallia-t-il à une position mitigée, faisant la part
belle à Lamarck, précurseur français de Darwin. Finalement Broca orienta le long et
passionné débat vers une issue où il se sentait plus à l’aise, celle d’un transformisme
polygénique 20. Problème en corrélation, l’ordre des primates resta fluctuant : dans sa
dernière proposition (1877-1880) Broca y introduisait les anthropoïdes entre les
hommes et les singes 21. D’autres controverses, plus spécialisées car provenant de la
nouvelle science préhistorique, de l’ethnologie, de la linguistique, etc., naissaient à
l’occasion du progrès des recherches.
Dans son personnel, la SAP innova en accueillant une femme, Clémence Royer.
Cela se produisit logiquement car tout au long de l’année 1869 s’était développé le
débat sur le darwinisme. Or, Clémence Royer, première traductrice de L’origine des
espèces, venait d’en terminer la troisième traduction. Elle fut reçue à la SAP en janvier 1870 22 premier et seul membre féminin jusqu’à la mort de Broca dans « cette
petite église ». Malgré les préjugés favorables qui accompagnèrent cette admission, sa
présence fut une source régulière de perplexités pour le savant auditoire. D’abord et
malgré sa culture en sciences naturelles, elle intervenait essentiellement comme philosophe et non pas vraiment comme scientifique. Son système philosophique était d’un
monisme radical, partant des molécules mises en giration lors du refroidissement de la
terre pour aboutir aux sociétés évoluées. Si, par cette phylogenèse de la vie, elle se
trouvait en avance sur la pensée scientifique du temps, une curieuse lecture de Darwin
(et qui irritait celui-ci) inclinait Clémence Royer au social-darwinisme. La lutte entre
espèces ou entre variétés (races) constituait une loi de la vie, spécialement quand ces
espèces ou ces races étaient éloignées. Cette lutte était non seulement légitime mais
recommandable, car constituant le bien de l’espèce ou de la race en question. Dérive
annexe, celle de l’eugénisme : une espèce consciente comme celle des hommes, se devait de limiter les risques de produire des handicapés naturels et se méfier des outrances de la pitié envers les infirmes et les malades. Dans une assemblée médicale, ce
genre d’opinion était forcément malvenu. L’écriture et les interventions de Madame
Royer présentaient enfin un aspect touffu et déroutant, le raisonnement poussant
fréquemment des branches parasites comme ornements du discours.
19
BLANCKAERT, 1996b, 3031-3033.
BSAP, 1870, 165.
21
TOPINARD, 1891, 168-170 ; BLANCKAERT, 1995c, 130.
22
HARVEY, 1997, 105.
20
131
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
Le principal accrochage se produisit en juillet 1874. Féministe, Clémence Royer
laissa éclater son irritation lorsque l’assemblée de ses confrères disserta de la baisse
de la natalité en France sans s’interroger sur les motivations des femmes 23. Le compte
rendu du débat fit l’objet de la seule décision de censure interne de l’histoire de la
SAP 24. L’interpellation resta célèbre sous le titre d’une remarque employée vers le
début, habile projectile de l’intervenante contre la bonne conscience masculine et
anthropologique : « De tout ce qui a été écrit sur la femme, il faut conclure qu’elle est
l’animal de la création que l’homme connaît le moins ». Clémence Royer, à côté de
remarques pertinentes, aborda sans retenue le domaine dangereux de la sexualité féminine, à l’époque plutôt tabou. Le démarrage était louable : l’absence d’une information minimale sur la nature d’un accouchement accentuait le danger de celui-ci. L’intervenante bondissait ensuite dans la question des plaisirs sexuels que les maîtresses
offraient à leurs amants, plaisirs jugés légitimes : désireuse d’éviter un trop grand
nombre d’enfants, souvent convaincue des infidélités du mari, la femme en prend à
son aise… se fait maîtresse parce qu’elle ne veut plus être mère. Aux yeux de
Clémence Royer, la femme française se trouvait être la moins femelle de toutes les
femmes : la dégénérescence de ses activités de reproductrice accompagnait la chute
du civisme des jeunes hommes, désireux d’échapper au service militaire. Spectre de la
décadence ! Les mentalités restaient sous l’influence catholique, laquelle exaltait le
célibat. Et de proposer les voies du salut suivantes : l’émancipation de la femme dans
le futur couple moderne, la promotion des droits maternels dans ou hors mariage, la
conquête de nouvelles terres par les races supérieures (ce qui fouetterait les vertus de
leur sang), la vie des jeunes couples résidant séparément pendant plusieurs années
chez leurs parents respectifs (les bébés de ces couples séparés maternés par les
aïeules)… un eugénisme de type carcéral imposé aux débiles… On comprend que devant un tel amphigouri, garni d’analyses et de suggestions provocantes, Broca qui en
outre développait des négociations pour l’expansion de son groupe anthropologique,
ait demandé à Clémence Royer de revoir profondément sa copie. N’acceptant de faire
que des coupures partielles, l’auteur enregistra avec dépit le refus de publication.
Broca nourrissait d’ambitieuses visées pour l’avenir de l’anthropologie française
qu’il parvint en grande partie à réaliser par le développement d’un complexe d’institutions. Il enregistrait avec une légitime satisfaction la croissance de la société-mère.
La SAP passa de 19 membres fondateurs en 1859 (dont trois fictifs qui ne donnèrent
leur nom que par courtoisie) à 676 membres en 1880. Sur ces 676, 450 à peu près
étaient les véritables membres, nommés Titulaires (T), payant 20 francs de droit d’entrée et 30 francs de cotisation annuelle 25. Les Correspondants nationaux (CN) ne
payaient que le droit d’entrée. Les autres, membres Honoraires (H), Associés étrangers 26, Correspondants étrangers (CÉ) ne payaient rien. La structure de direction de
la SAP était originale (cf. tableau 2 : cinq sociétés savantes parisiennes). Le Comité
Central, institué en 1863 sur proposition de Bureau primitif, formait l’instance principale, limitée à trente membres. Il décidait lui-même du remplacement de ses membres
décédés ou démissionnaires. Toutefois, les anciens présidents en devenaient automati23
HARVEY, 1997, 125-133 et 193-203.
DUCROS, BLANCKAERT, 1991.
25
La SAP était donc une société chère (le franc 1860 est estimé par l’INSEE à 2,2 €uros et celui de
1880 à 2,4 €uros). L’assiduité aux séances s’imposait, sous peine d’amendes.
26
Charles Darwin, AE le 7.12.1871.
24
132
Jean-Claude Wartelle
quement membres. Chaque année, le Comité Central préparait les élections du
Bureau. Le vote, limité aux membres T, survenait à la fin de l’année. Quoique secret,
il n’était qu’une formalité, avec sa liste unique quasi-officielle. Celle-ci passait sans
problème, les ratures sur certains noms étant négligeables. Le Bureau comportait un
président et deux vices-présidents, fixant ainsi l’ordre des présidents pour trois ans.
Avant la SAP, la Société de géographie avait établi la règle des présidents non rééligibles. Broca, qui n’ambitionna jamais le titre et resta vingt-et-un ans secrétairegénéral, pariait avec raison que ce système de présidence annuelle permettait une rotation des talents et pouvait satisfaire le goût des titres qui sommeille en beaucoup de
personnalités. Le filtrage des candidatures et des nominations garantissait que la société restait dans la ligne de ses créateurs. Originalité notable dans le système scientifique français, la SAP et plus tard son satellite l’École d’Anthropologie échappaient au
monde académique et universitaire (quoique Broca fût membre de l’Académie de médecine et professeur à la faculté de médecine) et en conséquence, ces deux institutions
fonctionnèrent avec une confiance spontanée envers la décentralisation 27. La SAP
disposait d’une bibliothèque, en grande partie alimentée par les dons des membres.
En créant la SAP, Broca l’avait fait bénéficier de son laboratoire de professeur :
celui-ci devint rapidement le Laboratoire d’Anthropologie. Lorsqu’en 1868 fut organisée l’École des Hautes Études, le laboratoire y fut rattaché, ce qui permettait d’obtenir la rémunération publique de deux préparateurs. La Revue d’Anthropologie fut
créée en 1872. Outre la possibilité de fournir des études plus développées que les interventions à la SAP, lesquelles étaient reproduites sous deux séries de publications
Bulletins et Mémoires, la Revue d’Anthropologie offrait un cadre international. Le
Musée d’Anthropologie fut la quatrième institution, réalisé à partir des dons de Broca
à sa Société et continuellement enrichi par les offrandes d’autres membres ou de voyageurs. Une allocation de 10 000 francs du ministère de l’Instruction publique permit de l’aménager en 1872. Broca couronna son œuvre institutionnelle en lançant la
Société pour l’enseignement des sciences anthropologiques alias l’École d’Anthropologie 28. Celle-ci put naître grâce à la fortune de plusieurs des membres de la SAP (la
part de fondateur était à 1 000 francs) et à la générosité de quelques mécènes libéraux 29. Ses six chaires initiales, dont les professeurs étaient rémunérés, comportaient
deux enseignements d’anthropologie physique, correspondant aux sciences naturelles
et médicales, puis deux enseignements d’anthropologie socio-culturelle (linguistique
et ethnologie) et deux disciplines intermédiaires (préhistorique et démographie).
Intermédiaires entre matières scientifiques et sociales, ces deux disciplines récentes
étaient en outre novatrices par leurs méthodes (statistique, fouilles et exploration). Les
cours de l’École permettaient d’obtenir en une année universitaire de six mois une
initiation jugée suffisante à ce qui était la dernière des sciences encyclopédiques.
27
BLANCKAERT, 1998, 168.
Le titre d’École fut proscrit pour des raisons d’opportunité politique. On était sous l’Ordre Moral et
les cléricaux auraient pu s’alarmer de cette École de la Libre Pensée. Administrativement, une École à
l’intérieur de l’École de Médecine posait d’ailleurs problème. Au bout de quelques années, l’Ordre Moral
s’étant dissipé, le terme École fut utilisé couramment, sans devenir officiel.
29
SALMON, 1896, 8. L’industriel du chocolat Menier, l’homme d’affaires et amateur d’art Cernuschi et
quatre des Rothschild furent fondateurs-donateurs c’est-à-dire qu’en plus de leur part de 1 000 francs, ils
firent des donations de plusieurs milliers de francs. Cette double entrée avait été imaginée pour empêcher le
contrôle financier du Conseil d’Administration par les gros investisseurs : en effet, seule la part de
fondateur donnait une voix au Conseil.
28
133
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
L’équilibre approximatif entre ces trois soubassements correspondait en gros à celui
des développements réalisés devant la SAP et consignés dans les Bulletins.
Grâce aux fonds récoltés en 1875 et avec l’appui bienveillant du doyen Würtz,
l’ensemble de institutions anthropologiques de Broca put se regrouper dans la chapelle des Cordeliers. Ce logement dans l’enceinte de la faculté de médecine révélait
l’inclination médicale de la Société. Lors du jubilé de 1909, le secrétaire général
Manouvrier établit que 609 des 1102 membres reçus comme titulaires en cinquante
ans étaient des médecins civils ou militaires, soit 55 % du recrutement 30. L’École
quant à elle, trouvait ses plus nombreux étudiants parmi les jeunes médecins. Broca
cautionnait ce recrutement, source d’une formation réaliste et scientifique, mais il appréciait tout autant la formation largement autodidacte des anthropologues de terrain,
ceux qui avaient voyagé, fouillé, observé, négocié, mesuré. Broca avait baptisé l’ensemble de ces institutions regroupées sous ses yeux (lui-même venant fréquemment
travailler au Laboratoire) Institut anthropologique de Paris, appellation qui ne pouvait
être que formelle, vu la diversité des statuts et l’enchevêtrement des intérêts publics et
privés.
L’apothéose de Paul Broca en tant qu’anthropologue survint lors du Congrès
international des sciences anthropologiques tenu à Paris en août 1878 dans le cadre
de l’Exposition universelle. Président du Comité d’organisation, il en prononça le
discours d’ouverture. Après un satisfecit sur « un essor… presque sans exemple dans
l’histoire des sciences », il discernait trois raisons à ce succès éclair : d’une part l’emploi de méthodes rigoureuses d’observation, et sa modestie ne lui permettait pas de
mentionner son insigne contribution, d’autre part le développement des collections et
dans l’actualité du Congrès, leur présentation en parallèle dans une vaste galerie du
Trocadéro, et enfin l’écho provoqué chez l’honnête homme moderne, par des questions souvent de nature à soulever « des controverses dont tous les esprits cultivés
comprennent la portée » 31. Ce discours rendait un hommage appuyé à l’Abbé
Bourgeois, préhistorien récemment décédé. Broca saluait sa mémoire pour avoir
donné « ce noble et rare exemple d’un esprit profondément religieux dont la foi est
assez solide pour ne pas craindre la vérité scientifique ».
Officier de la Légion d’Honneur le 27 juillet 1879, Broca fut élu sénateur inamovible le 5 février 1880, sur présentation de l’Union républicaine, la coalition centre
gauche au pouvoir. Cet aboutissement politique d’une carrière jusque-là exclusivement scientifique n’était point une déviation. De nombreux membres de la SAP
avaient déjà accepté d’assumer les responsabilités de députés ou de sénateurs. Cela
traduisait davantage un sens civique qu’un calcul d’ambition, caution pour la
République modérée et laïque qui était en train de s’installer. L’élection de Broca fut
d’ailleurs la source d’un minuscule remue-ménage politique, l’ancien ministre
Dufaure ayant cherché à la faire échouer 32. Ayant montré qu’il avait à cœur la promotion de l’éducation féminine (il avait appuyé la promotion de Madeleine Brès, première femme docteur en médecine, 1875), il fut rapporteur du projet de loi sur l’enseignement secondaire des jeunes filles. Par prudence tacticienne, son projet de loi du
30
Des sondages réalisés sur les Titulaires montrent qu’effectivement en additionnant les DMP
(docteurs en médecine pratiquant), plus les professeurs de médecine, plus les hauts responsables ayant une
formation médicale, l’ensemble constitua un peu plus de 50 % des membres tout au long de la période.
31
CONGRÈS INTERNATIONAL DES SCIENCES ANTHROPOLOGIQUES, 1880, 19.
32
DICTIONNAIRE DES PARLEMENTAIRES, 1889, 501.
134
Jean-Claude Wartelle
21 juin 1880, envisageait un enseignement plutôt orienté vers les responsabilités familiales 33. Depuis une année, la santé du Maître s’altérait. Frappé d’un malaise cardiaque au Sénat dans la séance du 8 juillet 1880, il mourut dans la nuit, âgé de 56 ans.
Paul Broca resta un notable honoré voire glorifié jusqu’aux fastes (modestes) des
centenaires : centenaire de sa naissance le 3 décembre 1924 (discours de Manouvrier),
cérémonie du centième anniversaire de la naissance de la SAP en 1959 (article de
H. Vallois), exposition du centenaire de l’École d’Anthropologie aux Cordeliers en
1976. Dans cette manifestation organisée sur les lieux-mêmes de l’ex-Institut anthropologique, 80 des 120 objets exposés le concernaient directement. Le virage se
produi-sit après le centenaire de sa mort : bien que l’exposition à la faculté de
médecine fin juin 1980 affirmât que « son activité, son rayonnement comme sa
personnalité furent exceptionnels ». Claude Blanckaert reconsidéra et dénonça les
positions contestables et surtout les comportements de mauvaise foi du maître. Le
polygénisme aux accoin-tances racistes constituait son péché majeur : ne fut-il pas
coupable d’avoir cautionné « sur le terrain scientifique les auteurs esclavagistes
américains (Nott et Gliddon) (ou le britannique James Hunt, du même acabit) ? » 34.
N’a-t-il pas biaisé avec l’honnêteté intellectuelle en insistant sur la permanence des
types humains « qu’il n’a jamais dési-gnés, ni tenté de définir vraiment » pour
s’opposer au transformisme ? « C’est affir-mer qu’il refuse, au regard de la pluralité
des types, la communauté d’origine des hommes » 35.
Cette sévérité peut sembler excessive envers un homme soucieux d’ouverture à
toutes les opinions, un homme capable de faire amende honorable une fois fournies
les preuves de son erreur 36, un homme engagé dans le premier âge d’une discipline
forcément incertaine sur plusieurs questions fondamentales. Le monogénisme par
exemple ne sera pas universellement accepté par la communauté scientifique avant le
début du XXème siècle. D’ailleurs, ce monogénisme, à partir de quand faut-il le faire
démarrer ? À partir de sapiens antiqua et des deux centres repérés de l’Afrique
australe et du Moyen-Orient ? Broca abusa il est vrai du mot race concernant les
variétés de l’espèce humaine, mais, si ce terme était déjà tenu comme très discutable
de son temps 37, il n’était pas encore frappé de l’ostracisme du politiquement correct
(le terme racisme n’apparut en français qu’en 1901). En outre, ayant sollicité l’engagement à ses côtés de son ami Louis Adolphe Bertillon, médecin devenu expert en
démographie, Broca avait institutionnalisé la valeur des statistiques dans les sciences
d’observation : or, le recours aux statistiques nourrit par essence une épistémologie de
l’approximatif et de l’indécis puisque la théorie est forcée d’une part de prendre en
compte et d’expliquer les écarts et que d’autre part, la pratique pousse à affiner sans
cesse les nuances pour mieux exprimer la complexité et les transitions du réel. En
démographie comme en craniologie, les statistiques s’opposaient à toute échelle
simpliste de valeur comme le sera celle du racisme. Certes Broca fut peut-être pris
plus d’une fois en flagrant délit de jonglerie avec des résultats statistiques qui ne lui
convenaient pas, ainsi sur le trou occipital 38 ou sur les cerveaux germaniques 39. Mais,
33
SCHILLER, 1990, 360.
BLANCKAERT, 1995a, 416.
35
BLANCKAERT, 1989a, XXV.
36
BLANCKAERT, 1989a, XXVI ; 1994a, 53.
37
TOPINARD, 1879, 657.
38
BLANCKAERT, 1990, 289.
34
135
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
par un juste retour des choses, « la méthode numérique donnait à lire les destins singuliers et la lente érosion des types. L’anthropologie physique… s’obligeait à penser
l’histoire réelle des hommes sous les espèces du désordre » 40.
Le Secrétariat Général de Topinard (1880-1886)
Deux personnages marquèrent la période de transition 1880-1886. Ils sont tous
deux présents sur la photo du Congrès de Moscou (1879) mentionnée dans la note 14.
Le docteur Gustave Le Bon (1841-1931) suivit les Cours de l’École dès la première
année de fonctionnement (1876-1877) et s’avéra doué pour les recherches au
Laboratoire. Reçu membre T le 18.7.1878, il postula l’année suivante pour le prix
Godard. Ce prix, nommé d’après le donateur Ernest Godard (1826-1862), l’un des
créateurs de la SAP en 1859, récompensait des recherches originales sur l’anthropologie au sens large. Il fut attribué à Le Bon qui avait fait paraître dans la Revue
d’anthropologie de Broca un article assez technique sur la pondération et les capacités
du cerveau : Recherches… sur les lois de variation du volume du cerveau et sur leurs
relations avec l’intelligence 41. L’auteur y rendait hommage à la collaboration étroite
qui s’était instaurée entre son professeur et lui. Broca avait apprécié une étude qui
valorisait son registre personnel d’intérêt, étude qui en outre se montrait inventive au
point de vue de l’approche mathématique (l’article était illustré de graphiques originaux) et développait une problématique qui depuis longtemps attirait les réflexions du
Maître (comment obtenir un poids relatif sincère du cerveau ?). Pourtant la brutalité
de formulation des résultats amenait le rapporteur du prix (sur demande même de
Broca) à exprimer des réserves. Elles concernaient l’infériorité de poids relatif du
cerveau féminin et donc selon Le Bon, l’infériorité intellectuelle flagrante de ce sexe.
Le jury du prix trouvait abusif le lien automatique établi entre poids du cerveau et
intelligence (il y a bien des formes d’intelligence 42) et refusait de partager le pessimisme de l’auteur sur l’impossibilité de corriger ce handicap par le développement de
l’instruction féminine. Dans les années suivantes, Le Bon allait s’accrocher plusieurs
fois avec Manouvrier sur cette question technique et morale 43. Par ailleurs, Le Bon
suivit la veine de vulgarisation de Clémence Royer et publia en 1881 L’homme et les
sociétés, état des connaissances anthropologiques de l’heure. Déjà y perçaient ses
convictions sur l’importance de la question raciale (une marque indélébile de l’homme) ; bien sûr les races pures n’existaient plus mais l’auteur rajeunissait le concept
avec la notion de race historique, qui acquerrait autant de force que l’ancienne notion
de race anatomique. À concept élastique, réalité sociale de même : Le Bon appuyait
les recherches de psychologie collective. Après son départ de la SAP en 1888, il allait
faire carrière dans la prospection de l’anthropo-sociologie, discipline qui prétendait
inventorier les caractères des groupes sociaux, nationaux, raciaux, pseudo-science
destinée aux gogos selon Manouvrier. Le Bon publia en 1895 un best-seller encore
39
HECHT, 1997, 223.
BLANCKAERT, 1991b, 235.
41
LE BON, 1879, 27-104.
42
BSAP, 1879, 383.
43
BSAP, 1882, 97-100 ; HECHT, 2003, 217-227.
40
136
Jean-Claude Wartelle
réédité, La psychologie des foules. Il reste de nos jours un des garants scientifiques de
l’extrême-droite nationaliste 44.
Également présent sur la photo du Congrès de Moscou, se trouvait Paul Topinard.
Né à L’Isle-Adam en 1830, l’installation provisoire de sa famille en NouvelleAngleterre (États-Unis) pour l’exploitation d’une grande propriété fit de sa jeunesse et
de son adolescence une attachante existence de jeune pionnier qui le rendit bilingue.
Ses études médicales débutées à Paris furent poursuivies en Angleterre. Revenu à
Paris, il fut séduit par le prestige de Broca et devint l’un de ses préparateurs. Converti
à l’anthropologie, il en rédigea en 1876 un livre programmatique L’Anthropologie,
dûment salué par son Maître et qui fut un indiscutable succès éditorial. Assumant des
responsabilités au Laboratoire et à la Revue d’Anthropologie, il fut naturellement proposé à la fonction de secrétaire général après la mort du Maître, d’autant qu’initialement ses relations avec les Matérialistes étaient confiantes. Théoriquement Topinard
aurait dû convenir à la réorientation nécessaire de l’anthropologie française car il
avait regretté dès 1876 l’abus d’interprétation raciologique que Broca avait donné à
l’ethnologie en reprenant le thème de science des races de William Edwards. Cette
interpellation, mal reçue par le Maître 45 demeura ensuite une des lignes de conduite
méthodologiques du nouveau secrétaire général. Topinard répéta fréquemment que
comme Gerdy (l’un des professeurs de Broca), il ne croyait plus à l’existence de races
pures et que déjà depuis l’Antiquité, l’humanité n’était formée que de métis. Les races
représentaient pour lui le très lointain passé. La réalité contemporaine observable
offrait le spectacle des peuples. Corollairement, Topinard ne voyait aucune substance
sérieuse derrière le thème tellement en vogue de l’inégalité raciale. Dans un but
d’enquête ethnographique, il alla visiter plusieurs fois en 1881 les Fuégiens parqués
au Jardin d’acclimatation. Il déclara dans son compte rendu : « Je ne crois pas plus
que M. Bordier aux races supérieure et inférieure d’une façon absolue » 46.
La mise en garde contre les dangers de la raciologie était d’autant plus nécessaire
que l’actualité enregistrait le développement en Europe des perversions pangermaniste et antisémite. Le 1er février 1883, le secrétaire général mentionnait que « Renan
a établi que le judaïsme n’est pas une race… Évidemment M. Renan est dans le
vrai ». L’orateur prit même le soin de réfuter la question du faciès au nez crochu 47.
Quant à l’ouverture des domaines ethnographique, sociologique voire psychologique,
une adaptation nécessaire consistait à corriger les questionnaires existants et à en
créer d’un type nouveau. Fort de son expérience de déchiffreur d’enquêtes menées à
partir des questionnaires de la période Broca, Topinard révélait l’impossibilité fréquente d’exploitation de questions trop ambitieuses, démesurées dans leur volume et
ne s’adaptant pas du tout aux conditions pratiques du travail sur le terrain. Plus l’uniformisation des techniques de mesures visait la précision, plus la réalité de la pratique
se compliquait et moins on obtenait de résultats utilisables. Il fallait élaguer, se contenter au besoin du coup d’œil. Invité au Congrès de l’Association Française pour
l’Avancement des Sciences 48 qui se tenait en Algérie en 1881, il désira en profiter
pour mener une enquête ethnographique rapide sur les types berbère et arabe. Son
44
TAGUIEFF, 1998, 89-90.
BSAP, 1876, 216.
46
BSAP, 1881, 787.
47
BSAP, 1883, 84.
48
BLANCKAERT, 1998, 153-172.
45
137
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
compte rendu mettait en cause une précédente enquête du colonel Duhousset
(T 1861). Celui-ci, soutenu par la majorité, étrilla l’imprudent qui avait effectivement
fait preuve de légèreté dans son repérage des types au jugé 49. Les questionnaires physiques furent cependant allégés. La grande affaire concernait la mise au point de questionnaires de sociologie et d’ethnographie dont l’élaboration se réalisa en 1882-1883.
Le principal rédacteur en fut Charles Letourneau, qui reprit et adapta une première
rédaction italienne 50.
Ce questionnaire fit l’objet d’un débat animé mais en partie de grande mauvaise
foi, amorce d’un règlement de comptes entre matérialistes et positivistes 51. Il se présentait sous un volume maniable, 17 pages rassemblant près de 350 questions. L’approche des groupes ethniques à étudier y était réalisée sous cinq rubriques de vie (vie
nutritive, vie sensitive, vie affective, vie sociale, vie intellectuelle ; cette dernière
fournissait le plus étendu des questionnements mais elle consacrait quatre pages à
l’industrie, chasse, pêche, agriculture, métallurgie…). Le questionnaire se voulait un
guide pratique pour son utilisateur et lui donnait quelques conseils sur la façon de
procéder. Cela accentuait d’ailleurs le clivage observateur européen-indigène observé
(« Supporte-t-on la lumière solaire plus ou moins bien que nous autres Européens ? »)
mais les affirmations de supériorité civilisée étaient pour ainsi dire absentes sauf dans
le détour, fréquent à l’époque, sur l’anthropophagie qui procurait un frisson d’exotisme 52. In fine, l’observateur était invité à bâtir un schéma du fonctionnement de la
langue du groupe visité. Dans l’ensemble, le questionnaire Letourneau offrait un outil
de travail peu ambitieux, utile pour la phase de collecte de données ethnographiques.
Dans les dix ans qui suivirent sa publication, il connut plusieurs utilisations in extenso
lues en séance de la SAP (les Fuégiens, les Néo-Calédoniens…). Réédité en 1889, il
ne déboucha cependant sur aucune synthèse.
Dans son discours d’installation du 7 janvier 1881, Topinard avait tenu à glisser in
fine une mise en garde au sujet de la prudence nécessaire des prises de position publiques : « certainement rien ne nous est interdit ; notre but c’est la recherche de la vérité
sur l’homme, dans le présent, dans le passé et dans l’avenir ; nous avons le droit de
tout examiner. Mais il faut de la mesure : la première condition pour convaincre, c’est
de ne pas froisser. Travaillons, luttons d’ardeur, mais entre nous. Ne prêtons pas l’oreille aux bruits extérieurs, ne faisons pas une vaine parade de nos idées, ménageons
les croyances des autres, et, comme me le disait fréquemment Broca à propos du
transformisme : n’affirmons pas bruyamment, prouvons ! » 53. En fait un antagonisme
de zizanies s’installait dans l’édifice anthropologique privé de son modérateur. Les
partisans de la tradition Broca s’opposaient aux matérialistes scientifiques. Ces deux
courants se choisirent chacun une bannière emblématique. Deux séries de conférences
annuelles furent en effet organisées : les matérialistes suscitèrent la conférence transformiste (première le 10 mai 1883), les fidèles du Maître disparu répliquèrent par la
conférence Broca, dont la première fut un éloge du fondateur de la SAP prononcé par
49
BSAP, 1881, 472-476.
Dénoncé comme ayant eu des sympathies communalistes, Letourneau préféra s’exiler en Italie après
1871 et y vécut jusqu'en 1878. Il y travailla avec Paolo Mantegazza (1831-1910) AE de la SAP depuis
1863. Les deux hommes rédigèrent un questionnaire de psicologia comparata en 1873.
51
BLANCKAERT, 1995b, 53-55.
52
BOETSCH, FONTON, 1994, 145.
53
BSAP, 1881, 9.
50
138
Jean-Claude Wartelle
Dally (27 novembre 1884). Face à ces querelles, Topinard était loin d’avoir la puissance, le prestige et les talents d’arbitrage de son ancien maître. Une certaine infatuation lui faisait multiplier les éloges sur sa propre action (l’abus de la 1ère personne du
singulier était révélateur) et le rendait occasionnellement insupportable aux deux
camps. À la différence de Broca, il ne savait pas prodiguer les compliments, étant facilement cassant dans ses appréciations. Les incidents de séance se multiplièrent.
Après avoir réalisé la nouvelle mouture d’un manuel d’anthropologie générale (1885,
1157 pages !), il affirma son intention de se consacrer à une gigantesque enquête sur
les couleurs des yeux et des cheveux en France ; pour lui, l’anthropologie quittait désormais la phase de construction et entrait dans sa phase adulte. Fatigué par les fréquentes et malveillantes interpellations, il annonça ne pas se représenter comme secrétaire général. En quittant son poste, il renouvelait ses réticences raciologiques :
« l’une des vérités dernières les mieux démontrées, c’est que les races ne se présentent
nulle part à l’état de chose tangible » 54.
Cependant dans une des dernières séances où il siégeait encore comme secrétaire
général, le 2 décembre 1886, Topinard annonça favorablement l’ouverture par un des
anciens élèves de l’École, M. Vacher de Lapouge, d’un cours libre d’anthropologie à
l’université de Montpellier. Il lui avait déjà demandé quelques comptes rendus de
lecture pour la Revue d’Anthropologie. Il maintint ensuite cette collaboration 55 et
poussa la complaisance jusqu’à accepter la publication des cours de Montpellier. Les
deux cours de 1887 reproduits en 1888 offraient pourtant matière à faire sursauter le
lecteur, véritables surgeons du darwinisme social qui bousculaient l’appréciation morale de la nature humaine et édifiaient une géopolitique raciale de l’Europe et du monde. La nouvelle géo-ethnologie européenne affichait une race supérieure, les dolichocéphales blonds, restés tant soit peu préservés des métissages, une autre race de
valeur, les Juifs, à qui il manquait cependant deux ou trois qualités maîtresses, une
race méditerranéenne très affaiblie et décadente au sud et une masse majoritaire de
brachycéphales bruns, braves gens assez limités et marqués par l’esprit de troupeau.
En conséquence, la nouvelle science politique devait proscrire le dogme métaphysique de l’égalité des hommes, et fonder une politique eugénique s’inspirant de
Galton 56 ainsi que de la technique des éleveurs : Lapouge croyait aux vertus de la
consanguinité et souhaitait une stricte limitation des croisements. Comme plusieurs
naturalistes de la SAP, il pensait que les métissages étaient source de dégénérescence,
voire de retour à la plus grossière des races primitives, dégénérescence prétendue
manifeste par l’infécondité au bout de quelques générations. La présence de tels articles dans la Revue d’anthropologie oblige à s’interroger sur la clairvoyance de
Topinard.
54
BSAP, 1886, 590.
MASSIN, 2001, 299.
56
Francis Galton (1822-1911) explorateur, savant et inventeur britannique était le cousin de Darwin. Il
créa en 1884 un laboratoire qui se spécialisa dans la science « eugénique », science d’étude de l’hérédité
nourrissant le projet d’amélioration de l’espèce humaine.
55
139
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
Le matérialisme scientifique
Au sein de cette galaxie que Broca avait voulu nommer l’Institut anthropologique,
s’était développée une véritable nébuleuse parasite, Le Matérialisme scientifique,
maintenant très bien connu 57. Lorsqu’il le dénonça ultérieurement, Topinard mentionna que l’activité de ce groupe commença à se manifester du vivant de Broca par des
dîners d’abord informels puis intitulés de la Libre pensée. Lui-même y assistait, sympathisant d’ailleurs avec le dynamisme des convives et vaguement encouragé par son
Maître. La création de la Société d’Autopsie mutuelle fut la seconde étape. Le quotidien de centre gauche Le Bien Public, dirigé par Yves Guyot, l’annonça le 24 octobre
1876. Cette société que Le Gaulois épingla comme « Le cadavre mutuel » engageait
ses membres à léguer leur dépouille mortelle aux bons soins des services d’autopsie
du Laboratoire d’Anthropologie 58. Elle revendiquait l’honneur d’apporter ainsi une
contribution précieuse à la science médicale en fournissant une sauvegarde contre le
développement des maladies héréditaires et en même temps, d’être un stimulant privilégié pour l’essor des sciences du cerveau. C’était en effet essentiellement cet organe
que le futur autopsié devait léguer pour étude. L’origine socio-culturelle des donateurs était assurément prometteuse, « individus appartenant à la classe cultivée…
ayant eu une valeur comme savants, littérateurs, industriels, politiques, etc. L’étude
comparative des circonvolutions saines et facultés en action, devra conduire à des notions positives 59 ». Quoique les buts affirmés fussent proclamés exemplairement utilitaristes, il n’échappait à personne que la retombée incidente d’un tel militantisme fût
celle d’un combat contre les pratiques funéraires traditionnelles, en particulier
religieuses.
La liste des vingt membres fondateurs de la Société d’Autopsie mutuelle, permet
de cerner le noyau du groupe matérialiste au sein de la SAP ; le tableau ci-dessous
inscrit au regard de leurs nom et activité, leur date d’adhésion à la SAP.
57
HAMMOND, 1980, 122-127 ; HARVEY, 1984, 387-405 ; BLANCKAERT, 1995b, 55-57.
DIAS, 1991, 26-36 ; HECHT, 2003, 8-39.
59
Statuts de la Société d’Autopsie mutuelle, extraits du Bien Public du 24 octobre 1876, feuillet
publicitaire de 4 pages, Archives de la SAP, Musée de l’Homme.
58
140
Jean-Claude Wartelle
Membres fondateurs de la Société d’Autopsie Mutuelle
Date d’adhésion éventuelle
à la SAP
Dr Adolphe Bertillon
Fondateur 1859
Dr Paul Topinard
19.07.1860
Dr Charles Letourneau
19.01.1865
Gabriel de Mortillet
02.02.1865
Dr Auguste Coudereau
20.07.1865
Abel Hovelacque, linguiste
17.01.1867
Dr Alfred Collineau
04.06.1867
Dr Henri Thulié
07.05.1868
Ernest Chantre, chercheur
07.05.1868
Cyprien Issaurat, pédagogue
07.05.1874
Yves Guyot, publiciste
07.05.1874
Louis Asseline, publiciste
07.05.1874
Edmond Barbier, publiciste
07.05.1874
Th.Gillet-Vital ingénieur
20.05.1875
Dr Michel Obédénare
02.12.1875
Dr Gaétan Delaunay
16.11.1876
Eugène Véron, publiciste
07.12.1876
Jacquet (?)
(non)
Robert Halt, publiciste
(non)
Giry (?)
(non)
Légende : (non) : non adhérent de la SAP
Nom et titre
Ainsi, sur vingt membres fondateurs de la Société d’Autopsie Mutuelle, dix-sept
étaient membres de la SAP. La chronologie des admissions dans la SAP révèle que ce
noyau matérialiste résultait de l’agrégat de deux groupes : le premier, constitué
progressivement entre les années 1859 et 1868 eut pour activistes l’étoile montante de
l’archéologie française Gabriel de Mortillet, le docteur pharmacien Coudereau et le
linguiste Abel Hovelacque. Le second était formé des amis du journaliste politique
Yves Guyot, que l’industriel du chocolat Menier, entré lui-même en politique après la
crise de 1871, avait installé à la tête d’un groupe de presse ad hoc. Guyot, homme aux
profondes convictions matérialistes et individualistes 60 était entré à la SAP en même
temps que trois de ses amis qui, pas plus que lui n’avaient de lumières spéciales sur
l’anthropologie, Louis Asseline polémiste, Edmond Barbier, second traducteur de
Darwin et Cyprien Issaurat, instituteur attiré par la pédagogie. Actif recruteur, Guyot
avait par la suite aiguillé le médecin d’origine roumaine Obédénare ainsi que le
philosophe et critique d’art Eugène Véron vers la double adhésion à la SAP et à
l’Autopsie mutuelle.
Assistant aux dîners, Paul Topinard était inscrit parmi les signataires de la Société
d’Autopsie mutuelle, mais il expliqua ultérieurement qu’il ne l’avait fait qu’avec
réticence : « La proposition en fut faite par Coudereau. Notre but dit-il est de procurer
au Laboratoire de Broca des cerveaux d’hommes plus intelligents que ceux qu’on a
généralement dans les hôpitaux. Mais il est évident qu’il y avait un second objectif,
celui de s’élever contre l’une des croyances les plus respectables de la société : le
respect des morts. Je ne pouvais que me rallier au premier mais le second ne m’allait
60
WARTELLE, 1998, 97.
141
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
pas » 61. En conséquence il refusa de signer le testament spécial demandant l’opération
de collecte du cerveau post mortem. Après un succès d’annonce initial, la Société
d’Autopsie mutuelle n’eut qu’un recrutement restreint (une centaine de personnes),
freiné par les réticences des pouvoirs publics et par de nombreux obstacles pratiques.
Ces difficultés d’application furent levées lorsque deux des membres devenus députés, Gabriel de Mortillet et Yves Guyot, obtinrent le vote de la loi du 15 novembre
1887 sur la liberté des funérailles, loi que Mathias Duval salua au nom de la SAP 62.
L’analyse des cerveaux récupérés donna matière régulièrement à des communications
très détaillées et la Société d’Autopsie Mutuelle put disposer d’une vitrine spéciale à
l’exposition de 1889. Par décence, on n’y montrait que des moulages. Le plus célèbre
de ces pionniers utilitaristes fut le général Faidherbe, adhérent de la SAP en 1867 et
son président en 1874. Il rédigea le 28 avril 1878 un codicille à son testament, indiquant sa volonté expresse que son cerveau et son crâne soient légués au Laboratoire
d’anthropologie. La pièce fut reproduite en fac-similé dans la notice nécrologique que
la SAP consacra à son glorieux adhérent, qui échappa néanmoins à l’autopsie pour
cause de funérailles nationales 63.
En plus de leurs affinités philosophiques, les membres du groupe matérialiste,
qu’ils fussent de la génération de Bertillon et de Mortillet (nés dans les années 1820)
ou de celle de Guyot et Hovelacque (nés dans les années 1840) partageaient un idéal
d’engagement politique démocratique qu’ils avaient amorcé soit en participant à la
révolution de 1848 et à la résistance au coup d’État de 1851, soit vingt ans plus tard
en s’opposant à l’Empire puis en rejoignant la Défense Nationale. Lorsque la
Commune avait pris possession de Paris tandis que le gouvernement de Thiers rassemblait son armée à Versailles, plusieurs membres de cette future obédience avaient
créé un organe de négociation pour tenter d’éviter la guerre civile : La Ligue d’Union
républicaine des Droits de Paris. Celle-ci réussit bien à contacter les instances
dirigeantes des deux camps mais ne put empêcher le déclenchement des hostilités.
L’un des membres les plus actifs du Matérialisme scientifique, André Lefèvre fut ultérieurement le mémorialiste de cette Ligue 64.
L’engagement politique des membres de ce groupe se situait indubitablement à
gauche mais dans le sens que le radicalisme donnait à ce mot : la justice sociale y dépendait des préalables politiques démocratiques. Cet engagement s’accentua pendant
la période d’incertitude que connurent les institutions entre 1873 et 1877 où, par deux
fois, les tenants de l’Ordre Moral songèrent à rétablir la monarchie. Après le succès
républicain aux élections d’octobre 1877 et contre les catholiques qui avaient surtout
incliné vers Mac Mahon, le groupe matérialiste se retrouva pour communier dans la
victoire en lançant le projet du centenaire de la mort de Voltaire pour l’année 1878.
Dans le comité de cinq personnes qui lança la souscription nationale pour l’organisa-
61
TOPINARD, 1890, 15.
BSAP, 1989, 5.
63
LABORDE, HERVÉ, 1889, 5.
64
Membres de la Ligue d’Union républicaine des Droits de Paris retrouvés à la SAP, avec date
d’adhésion à celle-ci : Adolphe Bertillon, membre Fondateur 1859 ; Émile Brelay 3.6.1875 ; Georges
Clemenceau 16.12.1875 ; Dr Collineau 4.6.1867 ; Dr Coudereau 20.7.1865 ; Th.H. Gillet-Vital 20.5.1875 ;
Léon Laurent-Pichat 4.3.1875 ; André Lefèvre 7.5.1874 ; Dr Letourneau 19.1.1865 ; Yves Guyot 7.5.1874.
(Papiers Floquet 49 AP 1 aux A.N).
62
142
Jean-Claude Wartelle
tion de la fête, se trouvaient quatre membres de la SAP 65. L’inspiration de cette
célébration était explicitement celle du combat anticlérical.
Face à ces démonstrations militantes des membres de sa société, Broca ne se
manifestait pas : Topinard prétendit qu’il en était cependant irrité, spécialement contre
les meneurs Hovelacque et Mortillet 66. Ces deux chefs de file avaient à l’époque une
solide réputation scientifique : ils faisaient autorité dans leur discipline d’origine, ce
dont témoignait le succès de leurs livres d’initiation, La Linguistique et Le Préhistorique. Leur triomphe anthropologique fut de pronostiquer dès 1873 la découverte d’un
des chaînons entre singe et homme, événement qu’ils purent savourer après l’exhumation des vestiges du pithécanthrope de Java, officialisé en 1893 67. De formation non
médicale, ils avaient accepté les préalables physiques de l’anthropologie fixés par
Broca et acquis une remarquable maîtrise en anatomie. Ils en avaient hérité une vision
assez globale de l’anthropologie, équilibrant données physiques et socioculturelles.
Auteurs érudits et prolixes, directeurs de revues 68, ces deux hommes aux engagements politiques notables professaient un athéisme de combat, non exempt de ridicule, qui provoqua plusieurs fois tollés et sarcasmes. Les réticences de Paul Broca
face aux incartades du groupe matérialiste venaient de ses convictions tolérantes. Il
devait aussi tenir compte de la diversité de la SAP qui rassemblait un éventail très
contrasté d’opinions politiques.
Après la mort de Broca, le groupe matérialiste formalisa davantage ses dîners qui
prirent le nom de dîners du matérialisme scientifique. L’admission de nouveaux convives y était filtrée par une enquête qui portait sur les idées philosophiques, opinions
et actes politiques, titres ou travaux scientifiques ou littéraires 69. L’esprit carabin s’y
manifestait à l’occasion par des mises en scène d’un goût douteux 70. Le groupe développa fortement sa production d’œuvres imprimées, soit qu’elles fussent écrites en
collaboration, soit qu’elles fussent intégrées dans des collections à thèmes.
Le Dictionnaire des sciences anthropologiques fut édité en fascicules entre mai
1881 et mai 1889 71. Son comité de publication 72 comprenait initialement neuf membres mais trois d’entre eux moururent en cours de publication. Sa composition montrait une prise de distance avec l’anthropologie physique puisqu’aucun de ces hommes
n’était anatomiste ou biologiste ; en conséquence les développements physiques de ce
Dictionnaire furent limités tandis que l’anthropologie sociologique (ethnologie et
linguistique) ainsi que l’archéologie préhistorique eurent des références nombreuses
et des développements abondants. Le Dictionnaire remplissait son rôle de faire cons65
Comité d’organisation du centenaire de la mort de Voltaire (avec date d’adhésion à la SAP) :
Dr Gavarret (23.8.1860) ; Gillet-Vital, ingénieur (20.5.1875) ; le chocolatier Menier, député (15.10.1874) ;
Wilson, député (1.06.1876). Le cinquième était le député Dréo, non membre de la SAP.
66
TOPINARD, 1890, 17.
67
DUCROS, DUCROS, 1993, 458.
68
Mortillet lança deux revues anthropologiques Les Matériaux pour l’Histoire positive et philosophique de l’Homme, en 1864, puis L’Homme en 1884. Pour celle-ci, cf. RICHARD, 1989, 231-256.
Hovelacque dirigeait depuis 1867 la Revue de linguistique et de philologie comparée, cf. DESMET, 1994,
49-80.
69
Archives Yves Guyot (AD Paris) n° 732.
70
RICHARD, 1989, 235.
71
HECHT, 2003, 97-102.
72
Comité de publication du Dictionnaire des sciences anthropologiques (O. Doin, éditeur) :
A. Bertillon (<) ; A. Coudereau (<) ; C. Issaurat ; A. Hovelacque, A. Lefèvre ; Ch. Letourneau ; G. de
Mortillet ; Dr Thulié ; E. Véron (<) [(<) : décédé avant que la publication ne soit achevée].
143
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
ciencieusement le point des connaissances dans ces rubriques, mais il s’écartait de la
bonne tenue scientifique par son militantisme politique et ses ardeurs anti-religieuses.
Charles Letourneau se chargeait des articles de sociologie : ses prises de position se
ressentaient de son ancienne sympathie pour les thèses communalistes et inclinaient
vers le socialisme de Proudhon (cf. article « Industrie-sociologie »). Le philosophe
André Lefèvre était le lancinant porte-plume de l’athéisme et de l’anticléricalisme. Il
jubilait particulièrement d’enregistrer le déclin des pratiques religieuses et de pronostiquer la fin prochaine de cette aliénation.
En plus, de la revue L’Homme de leur affidé Mortillet, les auteurs du Dictionnaire
pouvaient développer leurs idées dans les ouvrages monographiques de La Bibliothèque anthropologique 73. Le tract publicitaire de 1889 qui présentait les dix volumes
déjà édités assurait que le Comité éditorial veillait « au maintien de l’homogénéité
entre les ouvrages ». Les volumes de cette collection eurent heureusement davantage
de tenue que le Dictionnaire. Les matérialistes pouvaient également se faire éditer
chez leur ami Reinwald (reçu à la SAP le 03.02.1876) dans la collection Bibliothèque
des sciences contemporaines qui, si elle débordait l’anthropologie offrait néanmoins
sur sa liste des vingt-deux premières parutions, dix-neuf écrits des membres de la SAP
(dont le fameux Préhistorique de Mortillet). Dernière manifestation notable du groupe, la Réunion Lamarck naquit en octobre 1884 : quoique comptant quelques sympathisants extérieurs, son encadrement était fortement assuré par le cénacle matérialiste
qui en 1889 fournissait vingt des vingt-six membres du comité. Le président en était
Gabriel de Mortillet. La réunion Lamarck se voulait spécialement militante sur le
transformisme et sur l’origine française de son précurseur. Sur ce point elle manifestait une certaine susceptibilité cocardière qui avait eu un premier résultat : lorsqu’à la
mort de Darwin et après lui avoir rendu hommage, la SAP avait décidé d’instituer une
conférence annuelle illustrant le bien-fondé de la nouvelle doctrine, Mortillet avait
obtenu que l’appellation de conférence darwiniste soit repoussée au profit de conférence transformiste 74. Cette prise de distance avec Darwin correspondait également
au plus grand optimisme de l’évolutionnisme classique, convaincu que « la vie humaine sur terre n’était pas gouvernée par des processus darwiniens opérant au hasard
mais qu’elle avait une direction globalement progressive » 75. La réunion Lamarck
produisit une biographie réparatrice, dans laquelle les mécomptes et les tribulations
d’existence de ce pionnier offraient une édifiante symétrie de style avec les publications saint-sulpiciennes 76. Elle obtint un petit espace dans l’exposition de 1889.
Un ciment complémentaire du groupe se trouva dans la franc-maçonnerie. Depuis
le mémorable convent de 1877, le Grand Orient de France avait répudié la croyance
au Grand Architecte De L’Univers (GADLU) et s’était résolument engagé dans la
voie de la laïcisation de la société 77. Rejeté pour cela par les principales obédiences
maçonniques internationales, sa fuite en avant vers un anticléricalisme de combat fut
appuyée par un certain nombre de Loges progressistes. Parmi celles-ci, Le matéria73
Bibliothèque anthropologique : dirigée par Messieurs M. Duval (T 19.06.1873) ; G. Hervé
(T 05.11.1880) ; A. Hovelacque, Ch. Letourneau, G. de Mortillet et H. Thulié (l’adhésion de ces quatre
derniers déjà mentionnée), éditée par Lecrosnier et Babé.
74
BSAP, 1882, 416 ; BLANCKAERT, 1994b, 614.
75
STOCKING, 1987, 325.
76
Lamarck par un groupe de transformistes, ses disciples – brochure, 1887.
77
WARTELLE, 1993.
144
Jean-Claude Wartelle
lisme scientifique naquit en 1886 comme une émanation directe du noyau matérialiste
de la SAP : on y trouvait en effet l’encadrement suivant (tous membres de la SAP) :
Le matérialisme scientifique (à l’Orient de Paris)
Vénérable : Docteur Henri THULIÉ
Premier surveillant :
Th. Henri GILLET-VITAL
Orateur : Julien VINSON
Deuxième surveillant :
Abel HOVELACQUE
Secrétaire : Georges HERVÉ
Cette Loge eut cependant des difficultés à se constituer d’une manière active et ne
démarra qu’en 1887. Son recrutement n’était pas uniquement anthropologique mais
en plus des précités, la SAP lui fournit les docteurs Collineau, Marmottan, Fauvelle et
Letourneau, lequel y fût initié le 4 mai 1887, ainsi que Cyprien Issaurat et Yves
Guyot. Elle enregistra même l’adhésion de Félix Flandinette, préparateur et appariteur
à l’École d’Anthropologie. Par suite sans doute des multiples activités de ses principaux adhérents, elle souffrit d’une assiduité médiocre et fut mise en sommeil en
1899 78.
La nébuleuse matérialiste était donc étoffée et multiforme. Activée par une trentaine de membres de la SAP, elle cherchait incontestablement à noyauter cette dernière et à y imposer ses vues. Elle développait une pratique engagée de la science qui
était évidemment grosse de risques pour la qualité de la recherche, car celle-ci n’était
plus à perspective ouverte comme sous Broca, mais plombée par des hypothèses préalables qu’on ne voulait remettre en cause.
Cependant, la volonté de dépasser le positivisme pour s’épanouir dans le matérialisme ouvrait l’éventail socio-culturel de la discipline, un objectif jusque-là affiché
mais en fait minoré par l’anthropologie française. L’offensive de Charles Letourneau
qui en 1882 élabora les questionnaires ethnologiques de la SAP, ancra les prémisses
de l’anthropologie culturelle en France 79, valant à son auteur la réputation de créateur de la socio-anthropologie. Dans le fond, le groupe matérialiste cherchait une sorte de nombre d’or, un principe unitaire qui aurait fourni la base de compréhension de
l’humain dans sa totalité, clé d’interprétation du fonctionnement tant physiologique
que cérébral et moral. Letourneau croyait tenir une amorce de cette pierre philosophale avec le terme de besoins, dont il fit la définition dans le Dictionnaire des
sciences anthropologiques et qui apparaît comme le mot-clé de son questionnaire et
de sa sociologie : « La gradation des besoins… est en rapport avec le perfectionnement et la spécialisation des tissus et des organes. Plus un besoin se relie étroitement à
la vie de conscience, plus il est élevé, noble, moins nombreux sont les êtres susceptibles de l’éprouver » 80. Ces besoins enclenchaient l’évolution. Pour la plupart des
matérialistes, la théorie transformiste agrémentée de son postulat spencérien que tout
évoluait vers la complication croissante des attributs et des mécanismes, suffisait à
tout expliquer et le deuxième mot-clé du savoir était ainsi évolution qu’ils déclinaient
sous toutes ses formes ainsi qu’en témoignèrent plusieurs titres des conférences
transformistes.
78
BN Manuscrits Rés. FM 2 –23.
BLANCKAERT, 1995b.
80
LETOURNEAU, 1878, 23-24.
79
145
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
5 mai 1884
9 mai 1885
27 mai 1886
12 mai 1887
15 juin 1892
Charles Letourneau
Abel Hovelacque
Gabriel de Mortillet
Clémence Royer
Julien Vinson
L’évolution de la morale
L’évolution du langage
L’évolution paléontologique
L’évolution mentale dans la série organique
L’évolution du bouddhisme
Le groupe du matérialisme scientifique n’eut cependant qu’une quinzaine d’années de relatifs succès entre 1886 (avènement de Letourneau à la présidence puis au
secrétariat général) et le début du siècle suivant. La mort de ses membres les plus
marquants, Jean-Louis Fauvelle (1892), Abel Hovelacque (1896), Gabriel de Mortillet
(1898), Cyprien Issaurat (1899), Charles Letourneau (1902) et André Lefèvre (1904),
l’absence d’issue d’une position aussi rigide que fermée, conduisirent à ce que les
francs-maçons dénomment joliment sa mise en sommeil. Si ses positions de fond
étaient intenables car finalement stérilisantes, ce courant légua plusieurs avancées
bénéfiques à la SAP : d’abord le refoulement de l’anti-féminisme. Mortillet et
Letourneau insistèrent dans leurs écrits pour expliquer l’infériorité du statut de la
femme par l’héritage d’un rapport de force et non par un quelconque handicap
physiologique ou intellectuel. Les adhésions féminines à la SAP augmentèrent sensiblement, trois pendant le secrétariat de Topinard, quinze pendant celui de Letourneau.
Le deuxième legs des matérialistes à la SAP fut la volonté de rééquilibrer l’anthropologie du côté culturel et l’accompagnant, une insistance accrue sur la vulgarisation :
les Mortillet par exemple, avaient constitué une remarquable collection de photographies et d’objets ethnographiques et archéologiques. Pour l’exposition de 1889, ils
lancèrent l’original projet de réalisation d’un Album des plus beaux types de femmes.
Ils sollicitèrent le public pour la collecte des documents. N’aboutissant pas en 1889,
ce projet fut néanmoins relancé avec l’appui de Manouvrier lors des préparatifs de
l’exposition de 1900, sans plus de suite 81. Paul Sébillot 82 (1843-1918), ancien artiste
peintre (T 1878), grand collectionneur de récits et d’objets folkloriques ouvrit un domaine nouveau : il créa en mars 1886 la Revue des Traditions populaires, appelée à
un long avenir. À la SAP il était secondé par Lionel Bonnemère (1843-1905), artiste
et homme de lettres (T 1880). La collaboration des artistes fut entretenue. Le peintre
Paul Jamin (T 1892) travailla quasiment sous la dictée de son ami le préhistorien
Capitan (T 1881) pour réaliser entre autres la célèbre fuite devant le mammouth 83.
Rééquilibrée du côté de la « sociologie » (au moins celle de culture générale, diffusée par exemple par la Revue internationale de sociologie 84) l’anthropologie gagna
aussi le stimulant de la recherche mésologique (la science de l’action des milieux sur
l’homme et les sociétés). En ce sens le ralliement à Lamarck fut positif pour la SAP 85.
Le refoulement du physique au bénéfice du social recelait cependant un risque,
inhérent à la nature spéciale de cette branche des sciences humaines. Y trouvant des
81
Il déboucha finalement lorsqu’Adrien de Mortillet fit à la fête de la Société Préhistorique Française
en 1910 un exposé illustré de projections sur La femme et la beauté dans le monde.
82
Paul Sebillot était le beau-frère d’Yves Guyot et devint son directeur de cabinet quand ce dernier fut
appelé comme ministre des Travaux Publics entre 1889 et 1892.
83
Reproduction in POUTRIN, 1995, 2.
84
Le directeur de cette revue, René Worms, se fit recevoir à la SAP en 1893. La Revue internationale
de sociologie visait l’œcuménisme pour l’élaboration de la nouvelle science, citant Spencer, Durkheim,
Tarde, Delbet (positiviste) et… Letourneau.
85
BLANCKAERT, 1994b, 624-625.
146
Jean-Claude Wartelle
anomalies, elle était rapidement tentée d’y offrir des diagnostics et des remèdes. De
science pure ( !) elle devenait science appliquée, avec le risque supplémentaire de se
muer en anthropotechnie et de fournir des recettes pour corriger les tares physiques
ou sociales. Broca avait bien veillé à limiter ce risque : quoique conscient de promouvoir une science d’observation « qui touchât de tous côtés à des questions spéculatives », sa prudence le portait à fermer l’oreille aux bruits du dehors, contenant par
exemple dans des limites prudentes les débats sur la taille des conscrits ou sur l’acclimatement des Européens aux colonies 86. Or, les militants du Matérialisme scientifique se faisaient un devoir de l’engagement civique ou social 87.
La SAP de Charles Letourneau (1886-1902)
Quoiqu’étant un des piliers du Matérialisme scientifique, Charles Letourneau fut
un secrétaire général tolérant. Depuis 1885 une chaire nouvelle de sociologie avait été
créée pour lui à l’École d’Anthropologie. Curieuse sociologie ! Basée sur l’histoire,
l’archéologie, les évocations préhistoriques et l’ethnographie des sauvages contemporains, elle devait permettre de suivre la marche du progrès et ainsi apprendre aux
contemporains l’évolution progressivement perfectionnée du mariage, de la propriété,
de la famille. Analyse dynamique de l’humanité, elle devait enseigner aux sociétés
civilisées à éviter leur déclin. Affectionnant les collections de faits, d’épisodes, de
portraits singuliers, peu portée aux analyses, la sociologie matérialiste était linéaire,
« fluctuant indifféremment entre le niveau biologique et le niveau culturel » 88. Elle
expliquait les situations, les rapports sociaux par une évolution logique des comportements, forcés de s’adapter à telle situation, de donner réponse à tel ou tel problème.
Ses preuves se fondaient sur le bon sens de l’introspection ainsi que sur les analogies
établies avec le comportement des primitifs ou des enfants. Délivrée des superstitions
et des préjugés religieux, ayant régulièrement la dent dure contre le libre-arbitre d’héritage métaphysique, le nouveau secrétaire général ne s’écartait point pour cela du
consensus raciologique. Sa Physiologie des passions éprouva le besoin de consacrer
un chapitre aux races humaines (livre V, chapitre 1). Il tirait les clichés de sa vulgate
de la première génération de la SAP, Broca, Pruner-bey, Gratiolet. Physiquement et
psychologiquement, le nègre, le canaque et l’aborigène australien (le type humain le
plus simien) n’avaient plus qu’à bien se tenir devant « le type humain le plus parfait,
celui de l’Indo-Européen » 89. Lui-même peut-être un modèle de cette race privilégiée,
vaguement socialiste, jamais véhément, enclin aux généreuses projections utopiques,
Charles Letourneau développa des rapports courtois avec tous les membres de sa société (Topinard y compris). Il exerça sa tutelle sur la SAP dans un sens libéral, peu
directif.
En 1876, un de ses amis italiens, le docteur Cesare Lombroso fit paraître L’uomo
delinquente, partout salué initialement avec faveur. L’auteur y développait la thèse
qu’une partie majoritaire (60 %) des délinquants dangereux présentait une innéité criminelle, offrant ici un faciès, là des tares physiologiques, ailleurs une hérédité voire
86
BLANCKAERT, 2001, 106 et 114.
BLANCKAERT, 1994c, 79.
88
ZERILLI, 1998, 25.
89
LETOURNEAU, 1878, 333.
87
147
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
un atavisme (marque héréditaire ayant sauté une ou plusieurs générations) qui les prédisposaient au crime. Les sociétés civilisées recelaient en leur sein des criminels nés,
véritables sauvages dont les souches remontaient peut-être à Néanderthal à moins
qu’ils ne fussent épileptiques ou fous. Cela contribua à lancer une branche nouvelle,
quoiqu’annexe, l’anthropologie criminelle.
En honneur à la primauté de l’École italienne, le premier Congrès d’anthropologie criminelle se tint à Rome en 1885. Le professeur Lacassagne y mena un assaut
peu convaincant contre les thèses lombrosiennes. Le débat était en effet faussé d’une
part parce que Lombroso avait nettement baissé, de 60 à 30 % sa proportion de
criminels-nés et que d’autre part il ne niait nullement l’influence multiforme du
milieu sur le crime. Rivalité d’école, l’antagonisme franco-italien se trouvait claironné et évolua vers une victoire tactique des Français qui tablaient sur la division des
Italiens 90. L’opinion nationale s’y sentait concernée par les discussions ouvertes à
propos de la Loi sur les récidivistes (1885). Une édition française de L’homme
criminel suivit. Letourneau, ami de l’auteur, en écrivit la préface. S’il pondérait les
suggestions de l’auteur jugées trop rigoureuses en matière de répression, il saluait
avec estime la partie descriptive et la thèse de l’ouvrage : « cette enquête scientifique,
minutieusement faite, a mis en lumière l’existence d’un type humain voué au crime
par son organisation même » 91. L’approche anthropologique du livre devait plaire à
Letourneau car elle offrait un tour d’horizon complet du criminel, partant de ses
caractères physiques et examinant ensuite ses travers psychologiques (le goût des
tatouages) et la restructuration sociale instituée par la pratique d’un argot joliment
expressif. Malgré ses changements depuis la première édition, le livre restait cependant vulnérable par ses excès de vulgarisation populiste, établissant une sorte de portrait caricatural du criminel, créature patibulaire à l’inquiétant faciès de vampire. Analysant le livre pour la Revue d’Anthropologie 92 Topinard en relevait facilement « le
manque de sérieux anthropologique » et pointait « les excès de Lombroso sur
l’atavisme ».
Manouvrier entra alors en scène. Ancien adjoint de laboratoire de Broca comme
Topinard, il venait de débuter en 1887 comme professeur d'anthropologie physiologique à l’École d’Anthropologie. Il avait initialement reconnu la légitimité de l’étude
craniologique des criminels mais, après avoir lu Lombroso, il estima nécessaire de
marquer ses distances, fût-ce contre les opinions du secrétaire général. Son virage
s’amorça au deuxième Congrès d’anthropologie criminelle en 1889 (en parallèle à
l’Exposition Universelle) et se mua en opposition résolue au troisième Congrès, celui
de Bruxelles en 1892, où d’ailleurs les Italiens déclarèrent forfait. L’arlequinade
italienne manquait de sérieux avec ses imputations en partie métaphysiques sur l’atavisme. Cependant l’étude craniologique et physiologique des criminels révélait de
fréquentes et indubitables altérations, et il convenait de maintenir une position ouverte
sur les inductions de la néo-phrénologie : sans le nommer et sans doute sans l’estimer
beaucoup, Manouvrier ne voulait point rompre avec Lacassagne 93. Le milieu social et
souvent le propre comportement des malandrins (alcoolisme) constituaient un élément
prégnant du crime. L’anthropologie criminelle française renouait par là avec l’inspi90
MUCCHIELLI, 1994, 203.
LETOURNEAU, Préface, in LOMBROSO, 1887, IV.
92
LOMBROSO, 1887, 658-691.
93
RENNEVILLE, 1994, 124.
91
148
Jean-Claude Wartelle
ration lamarckienne. La criminologie naissante montrait la nécessité d’une collaboration de l’anthropologie et de la sociologie. Pas plus que les matérialistes, Manouvrier
ne croyait au libre-arbitre intégral. Cependant, face à l’héritage que chacun réalisait
de son organisme physique, de l’influence de son éducation, du jeu de ses relations
personnelles, il voyait subsister une marge de manœuvre où pouvait se loger un éventail assez ouvert voire contrasté de comportements. Quoique certains aient des prédispositions au crime, nul n’y était prédestiné 94. Ainsi s’élabora dans les années 1890
une position originale de l’anthropologie criminelle française, fondée sur la légitimité
de l’étude physique des délinquants, sur les analyses d’éventuelles dégénérescences
provoquées par le milieu social (exemple inquiétant à l’époque des maladies vénériennes), sur la reconnaissance des milieux criminogènes.
À propos de ce long débat, Manouvrier avait parlé d’une anthropotechnie, supputant et espérant sa naissance mais redoutant des imprudences possibles dans ses manipulations. Sous-produit utilitaire de la criminologie, l’anthropotechnie criminelle vit
en effet le jour à cette époque et la « gloire » de la SAP fut d’en héberger le deus ex
machina, membre d’ailleurs d’une véritable lignée anthropologique. Le père, Adolphe
Bertillon, membre fondateur de la SAP et grand adepte de l’outil statistique, poussa en
effet deux de ses fils à adhérer : Jacques, éminent démographe (T 07.02.1878) fut
suivi par son frère Alphonse le 1er avril 1880, peu de temps après l’entrée de ce dernier au service des fichiers de la Préfecture de police. Initialement conseillé par son
père, Alphonse mit progressivement au point de 1882 à 1886 les procédés de l’anthropométrie judiciaire, laquelle fut officialisée en 1887 par le lancement d’un vaste
fichier de tous les détenus. L’identification s’appuyait sur neuf mesures disparates
(tête, auriculaire, pied…) mais à la conjonction efficace : les délinquants dissimulateurs s’y trouvèrent piégés. Alphonse Bertillon mit au point le dossier de base du
détenu (une fiche individuelle criminologique en 271 questions ! plus un aperçu
héréditaire). Lacassagne baptisa cette littérature bertillonnage, terme péjoratif qui
subsista.
Entre les deux grands débats de la période Letourneau se plaça un épisode
déplaisant, l’éviction de Topinard du personnel enseignant de l’École. Ce dernier
restait en butte à l’hostilité de la coterie matérialiste qu’il désignait sous le nom de
groupe Mortillet 95. Dans le fond, il accusait ce groupe d’être intransigeant. La création de la conférence transformiste lui semblait vouloir forcer la SAP à se donner une
doctrine trop astreignante : « C’était absolument contraire aux traditions les mieux arrêtées de la Société qui avait toujours évité de prendre collectivement position dans
n’importe quelle question, surtout de doctrine. Tout corps savant en est là. L’erreur
aujourd’hui peut être la vérité de demain » 96. En dehors du sectarisme des matérialistes intransigeants, Topinard discernait une autre source de tension dans la situation
disparate de l’héritage Broca : le Maître avait selon lui, toujours rêvé d’unifier les
diverses composantes créées au fil du temps, la SAP, le Laboratoire, l’École, le Musée
et les Revues dans un Institut anthropologique. La diversité de leurs statuts et de leur
financement rendit l’unification impossible. Ce morcellement laissait la porte ouverte
aux rivalités.
94
BLANCKAERT, 1994c, 74.
TOPINARD, 1890, 14.
96
Ibid., 22.
95
149
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
La préparation de la section d’anthropologie pour l’exposition de 1889 activa les
animosités : la Commission de préparation se scinda en deux et il y eut ainsi dans des
salles attenantes, deux expositions jointives se présentant toutes deux sous les auspices de la SAP 97. Le groupe matérialiste tenait l’une des salles où il exposait les travaux et références de ses différents satellites ; la Société d’autopsie mutuelle présentait des moulages de cerveaux et leur descriptif ; la Réunion Lamarck et la Bibliothèque d’Anthropologie montraient leurs publications ; le Dictionnaire des sciences
anthropologiques, juste terminé, était évidemment à la place d’honneur. Topinard,
responsable de l’autre salle, davantage tournée vers le grand public, fut à cette occasion décoré de la Légion d’Honneur. Sans doute voulut-il mettre à profit cette marque officielle d’estime : il écrivit un rapport confidentiel au Directeur de l’Enseignement supérieur (Louis Liard), dont dépendait l’École, pour lui proposer de réaliser
une épuration anti-matérialiste puis « de mettre par contrat les choses au net entre la
Société, le Laboratoire, l’École et le Musée 98 ». Ce grave manquement aux règles
confraternelles fut éventé et la sanction tomba le 18 décembre 1889 : après un conseil
de discipline tenu à huis clos en l’absence de l’intéressé, l’École d’Anthropologie
congédiait le professeur Topinard.
Ce dernier ameuta immédiatement la presse nationale (Rappel, Matin, Paix) et
anglo-saxonne, rédigeant lui-même un pseudo-reportage pour la revue Nature sur le
« great hurricane » qui venait de se produire à ses dépens. Il écrivit peu après la
brochure justificative La Société, l’École, le Laboratoire et le Musée Broca. Parue en
mars 1890, celle-ci fut analysée au Comité central de la SAP le 10 juillet 1890 99 :
après s’être défoulés un long moment sur les défauts de caractère et d’organisation de
leur ancien secrétaire général, les membres présents jugèrent que ses allégations sur
l’existence d’une coterie étaient « des propos de concierge, des racontars » mais ils
suivirent la sage suggestion du rapporteur Julien Vinson de ne pas envenimer la querelle par le vote d’un blâme et de passer à l’ordre du jour. On n’osa pas exclure
Topinard de la SAP (dont il était d’ailleurs membre à vie, ayant racheté ses cotisations) et où il gardait des appuis, notamment Arthur Chervin. La brouille se résorba
cependant et Topinard revint aux réunions du Comité central à partir de janvier 1892,
n’assistant plus désormais qu’à la première réunion de l’année. Estimant son renvoi
de 1889 abusif et injustifié, il avait intenté une action en justice mais le tribunal le
débouta en 1893. Cette querelle fréquemment sordide précipita un certain nombre de
démissions et inhiba le recrutement : les lendemains de l’Exposition de 1889 ne virent
pas l’afflux d’inscriptions qui avait caractérisé l’après 1878.
Avec l’entrée d’Adolphe Bertillon dans la SAP, puis le renfort de Gustave
Lagneau, d’Arthur Chervin, de Jacques Bertillon, d’Arsène Dumont et d’Émile
Macquart 100, la SAP de la fin du XIXème siècle vit se constituer en son sein une équipe
de démographes scientifiques de valeur. Par suite de l’ébranlement provoqué dans les
97
Ibid., 23.
Le brouillon est dans les papiers Topinard au Musée de l’Homme. Non daté, il fait une allusion à
l’exposition (de 1889).
99
Registre des procès-verbaux du Comité central 1890-1901 ; Archives de la SAP au Musée de
l’Homme.
100
Adolphe Bertillon médecin et démographe, Mb fondateur 1859 ; Gustave Lagneau médecin, savant,
T 20.12.1860 ; Arthur Chervin, directeur de l’Institut des bègues, T 15.02.1877 ; Jacques Bertillon,
démographe, T 07.02.1878 ; Arsène Dumont, démographe, T 02.05.1889 ; Émile Macquard, économiste,
T 04.01.1900.
98
150
Jean-Claude Wartelle
consciences nationales par la défaite de 1870, l’amputation alsacienne-lorraine et
l’érection du puissant Empire allemand, la stagnation démographique française accentuait une préoccupation diffuse qu’Adolphe Bertillon avait développée à la suite du
recensement de 1872 101. Un premier débat avait eu lieu, débordant sur les questions
de société 102. Cela avait été circonscrit en 1874-1875 lorsque Broca avait censuré les
propos provocants de Clémence Royer sur l’évolution souhaitable des mœurs (cf. plus
haut). L’inquiétude patriotique restait mesurée et incidente et le questionnement ne
sortait pas des problèmes de démographie générale.
Les résultats des recensements de 1881 et 1886 relancèrent le débat en constatant
que le décalage démographique entre la France et ses voisins s’accentuait. La question
du recul de la natalité française taraudait désormais l’opinion et était débattue dans
les grandes institutions comme l’Académie des sciences morales et politiques. Elle
s’installa comme débat d’envergure à la SAP entre 1888 et 1901, atteignant un pic
d’intensité en 1891. Elle avait nettement changé de perspective depuis l’époque de
Broca : l’inquiétude patriotique y était systématiquement proclamée 103. Elle était le
péril national selon le titre de la brochure (1890) que le marquis de Nadaillac offrit à
la SAP. Ainsi, pendant ces quinze ans qui correspondirent au secrétariat général de
Letourneau (1887-1902), la SAP se trouva emportée par son inclination patriotique et
ses aspirations aux responsabilités civiques : elle se retrouvait partie prenante d’une
grande anxiété nationale, la peur de la disparition de la France.
Par le nombre et la fréquence des interventions et discussions, ce débat-fleuve
provoqua à vingt-cinq ans de distance une mobilisation aussi intense que les échanges
sur le transformisme. L’intérêt scientifique en était malheureusement moindre, limité
à une situation nationale particulière même si, comme on le soupçonnait, cette
évolution française était une devancière du comportement moderne des couples. La
modification de portée et d’éclairage des exposés et discussions illustrait un réel
danger pour la SAP, celui de quitter les hauteurs scientifiques de l’analyse pour se
soumettre aux aléas du débat d’actualité. Piège incident, le problème de la natalité
ouvrait la porte aux prises de position passionnelles ou aberrantes, qui par leur
extrémisme ou leur médiocrité portaient ombrage à la réputation de la Société. Les
prophéties de Vacher de Lapouge en fournissaient témoignage. De même, l’exposé de
Clémence Royer le 2 octobre 1890 104 relancé cinq ans plus tard par l’envoi d’une
lettre ouverte 105 restait dans la ligne d’un parcours touche-à-tout tel qu’elle les affectionnait. La dénatalité relevait pour elle des conditions de logement à Paris, du coût
croissant de la vie, des criailleries insupportables des enfants mal élevés, des déficiences pédagogiques de nombreux parents, des tares inévitables de l’aristocratie, de
l’hypocrisie du refus légal de toute recherche en paternité pour les enfants naturels, de
la sourde oreille des Compagnies de chemins de fer pour établir des billets de famille
à prix réduit, de l’injustice flagrante du Code civil concernant les femmes (elle restait
adepte de l’héritage en ligne féminine exclusive). Le panorama apparaissait cependant
moins sombre à la conférencière car « la race française » s’avérait « plus intellectuelle, plus artiste, plus cérébrale » que ses voisines, à qui elle donnait d’ailleurs un
101
BSAP, 1873, 463.
LAGNEAU, 1873, 22-24.
103
BSAP, 1891, 285 ; 1892, 148 ; 1894, 659…
104
BSAP, 1890, 680-701.
105
BSAP, 1895, 653-656.
102
151
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
modèle de comportement démographique qui serait suivi, et « peut-être, le goût de la
guerre passera-t-il aux Allemands comme à nous » 106.
Le débat fut heureusement remis à chaque fois sur les rails par les interventions
des démographes professionnels ou simplement des observateurs sensés. La communication de Blanche Edwards 107 était basée sur ses observations hospitalières. Elle
mentionna les réseaux d’avortement clandestin et le taux incroyablement élevé de la
mortalité infantile qu’elle avait enregistré : 1 100 décès de moins d’un an sur 4 000
naissances 108. Elle conclut sobrement sur la mortalité des jeunes adultes « La misère
physiologique, la syphilis et l’alcoolisme, voilà trois grands ennemis qu’il est du
devoir de l’hygiéniste de signaler au législateur soucieux de relever la natalité ». Se
penchant sur l’écheveau des causes de la chute de la natalité française depuis le début
du XIXème siècle, les observateurs éprouvaient du mal à les débrouiller et à les hiérarchiser. Cependant un point rallia assez vite leurs suffrages au sujet de la cause numéro
1 : la décroissance de la natalité représentait un phénomène volontaire et sa motivation égoïste se lisait parfaitement sur les cartes. Les bourgades de petite bourgeoisie
aisée et les campagnes où la petite propriété paysanne dominait se classaient
championnes des couples à enfant unique.
Suivaient légitimement les causes sociologiques et morales : la dénatalité accompagnait la mutation économique du XIXème siècle et les grandes villes comme Paris
apparaissaient comme des foyers de démographie négative, d’autant que la mise en
nourrice en banlieue ou dans les départements s’avérait particulièrement meurtrière.
Au creux de la crise morale de leur temps, les démographes voyaient surtout (et ils
rejoignaient par là les affirmations de Clémence Royer) l’essor de l’individualisme
qui, tacitement ou explicitement, encourageait la limitation des « charges de famille ».
Pour le démographe Arsène Dumont, le bilan s’avérait inquiétant d’autant que les
symptômes du mal restaient invisibles : « La dépopulation est une maladie uniquement sociale, maladie abstraite qu’aucun sens ne perçoit ; on ne la voit pas, surtout à
Paris, on ne l’entend pas. Elle peut tuer une nation sans causer ni souffrance ni préjudice à aucun des individus dont elle se compose » 109. Si, culturellement le sort de la
civilisation française était en jeu, géopolitiquement le destin de la nation était directement menacé : « Dans vingt ans calculait Jacques Bertillon en 1894, il y aura deux
conscrits allemands contre un français ».
Un tel débat, et c’était là son piège, débouchait forcément sur des propositions de
réformes et d’action. Le volontarisme du comportement malthusien des Français apparaissait tellement évident que Chervin, faisant la conférence annuelle Broca du
13 décembre 1894 sur ce sujet 110, ne crut pas pouvoir attendre beaucoup des incitations matérielles venues des pouvoirs publics. Remarquant par contre qu’il y avait
déjà plus d’un million de non-nationaux en France (sur 39 millions d’habitants), il
appuyait le recours accru à la population immigrée, « seul moyen pratique, facile, non
seulement de faire monter la natalité française mais aussi d’acquérir des habitants
106
BSAP, 1890, 701.
BSAP, 1890, 838-845. Interne des hôpitaux, fille du savant Henri Milne Edwards (1800-1885) luimême membre de la SAP. Blanche Edwards devint membre titulaire le 21.04.1887 mais abandonna la SAP
après son mariage (Madame Pilliet, radiée 1896). Elle demeura une amie attentionnée de Clémence Royer.
108
La moyenne nationale était à cette époque de 165 décès pour 1 000 naissances, ce qui donnerait 660
pour 4 000.
109
DUMONT, 1898, 29.
110
BSAP, 1894, 648-686.
107
152
Jean-Claude Wartelle
adultes ». Il savait cependant que la mesure touchait un domaine sensible : déjà
plusieurs émeutes anti-italiennes avaient éclaté dans le midi. La modulation de la
fiscalité en faveur des familles nombreuses ou les vertus d’un dynamisme économique encadré par un minimum de législation sociale furent également considérées.
Les effectifs de la Société connurent une progression régulière depuis la cinquantaine de membres de la première année (1859) jusqu'en 1885, où ils atteignirent le
total de 757 (dont 489 T). Ils décrurent ensuite assez régulièrement pour revenir à
501 membres en 1902 (dont 301 T). Il est sans doute significatif que le tournant de
fortune de la SAP se situe dans la décennie 1880-1890, alors que le Dictionnaire des
sciences anthropologiques était en cours de publication : le groupe matérialiste qui le
publiait manifestait alors une belle vitalité mais celle-ci n’était attirante que pour une
minorité. Les billevesées anticléricales d’André Lefèvre (1834-1904) ne pouvaient
passer pour de la science. Curieusement, le courant régulier de démissions qui allait
ronger une partie des effectifs de la SAP commença en 1886 111. Entre 1886 et 1902,
la SAP enregistra près de 85 démissions officiellement transmises et procéda à plus de
50 radiations pour non-paiement de cotisation. Encore le Comité central, cherchant à
limiter l’image des dégâts, repoussait-il de plusieurs années l’application de l’article
16 concernant la radiation. Le résultat fut que la SAP gardait un stock de membres
fictifs. À ces désertions s’ajoutait un net fléchissement du recrutement : celui-ci avait
connu son apogée entre 1875 et 1880, c’est-à-dire entre la création de l’École et la
mort de Broca, culminant très précisément avec le Congrès anthropologique de
1878 112. Le grand fléchissement se produisit vers le milieu des années 1880 et le
recrutement tomba à moins de 25 par an entre 1885 et le début du siècle. En fait la
moyenne de recrutement des véritables membres (les titulaires) fut de moins de 15 par
an sur la période 1885-1902 contre 22 pour la période ascensionnelle de 1859 à 1884.
111
Cette année porrait être caractérisée comme l’année Fauvelle, vu la participation très active de JeanLouis Fauvelle (1830-1892), membre T depuis 1883 (RICHARD, 1989, 236-240). Animé d’une boulimie
d’interventions au point de gêner ses amis du Matérialisme historique, ses affirmations audacieuses et son
toupet irritant contribuèrent à ternir le renom de la SAP. Ses antécédents se présentaient pourtant comme
édifiants : médecin rural dans le département de l’Aisne, il avait décidé de reprendre ses études après la vie
active afin de se mettre au diapason de la modernité scientifique : il suivit des cours en faculté de médecine
ou au Muséum, participa à des opérations chirurgicales, à des dissections, travailla au Laboratoire, lut beaucoup. Son radicalisme au sujet de l’intelligence, sous-produit des échanges cellulaires d’oxygène ne heurtait pas la logique. Mais, tempérament impulsif, vibrion anarchisant, Fauvelle attaquait tous azimuts, les
hommes comme les idéologies. Parmi ses cibles de prédilection, se trouvait volontiers tout ce qui s’apparentait aux pouvoirs établis, les universitaires en particulier. Il fit quatorze interventions de longue durée en
1886. On le nomma secrétaire de séance pour tenter de restreindre ce déluge oratoire. Point n’y fit, il resta
prolixe et agressif, attaquant le 21 avril 1887 les philosophes comme des individus atteints de difformité cérébrale, ravalant les positivistes au rang de gens aussi bornés que les catholiques. Cette pétulance de grossièretés lui mettait la majorité de l’auditoire à dos. Plusieurs fois des appréciations cinglantes (Sanson,
Clémence Royer, Manouvrier…) le reprirent mais son tempérament réagissait comme fouetté par l’outrage
et chaque fois, l’enfant terrible du matérialisme contr’attaquait (BSAP, 1887, 279, 285 et 323). Devenu
trésorier de la SAP, il remit les finances en ordre. Président de la Société d’Autopsie mutuelle, il s’affirma
cependant opposé aux longs descriptifs post-mortem du cerveau des adhérents : cette anatomie statique ne
mènerait à rien tant que la physiologie de fonctionnement des réseaux nerveux ne serait pas débrouillée. À
sa mort en 1892, il légua un capital pouvant alimenter un prix triennal de 2 000 francs. Le prix Fauvelle,
décerné par un jury de la SAP, couronnait les meilleures études d’anatomie ou de physiologie du système
nerveux.
112
BSAP, 1902, 375.
153
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
Ami de Topinard, Arthur Chervin 113 président en 1901, porta hardiment le fer sur
la plaie de la décadence numérique qu’il fut le premier à révéler publiquement 114.
Voulant réagir vigoureusement il mentionnait d’abord quelques critiques accessoires :
prix élevé de la cotisation, 30 francs par an, irrégularité de publication des Bulletins,
rôle restreint des échanges avec les sociétés étrangères similaires, insuffisance de publicité sur la matière par absence de conférences de vulgarisation. Il proposa d’accorder une sorte de prime aux nouveaux adhérents en leur offrant un lot d’anciens bulletins, il stimula la Commission de publication pour sortir du lancinant problème des
retards, il développa les échanges d’information avec quelques sociétés du Vieux et
du Nouveau continent ; il échoua par contre sur le projet de conférences de vulgarisation car les professeurs de l’École craignaient une concurrence néfaste pour leurs
cours. Sa critique principale portait beaucoup plus profond : il affirma que les malheurs de la SAP provenaient en partie de la structure quasi féodale du pouvoir, avec
un Comité Central « qui se recrute de lui-même » et dont les pouvoirs s’exerçaient
« sans contrôle » 115. En conséquence il demandait la démocratisation dudit Comité par
l’élection annuelle du tiers au moins de ses membres. D’ailleurs l’actualité de la loi
sur les Associations (1901) y poussait. Cette déclaration effaroucha la majorité conservatrice et fut repoussée.
Charles Letourneau mourut le 21 février 1902. Il léguait 5 000 francs à sa chère
société plus 5 000 francs à l’école. Sa photo agrandie fut placée dans la salle des
séances. Il avait produit l’année précédente un onzième volume de sociologie (La sociologie d’après l’ethnographie) 116. Sa renommée paraissait solide (un Spencer français pour d’Écherac). Pourtant à l’extérieur de la SAP, la valeur de sa sociologie fut
d’emblée contestée, moins pour les convictions matérialistes qui y affleuraient que
pour sa faiblesse intellectuelle, classée à juste titre par l’école durkheimienne comme
une œuvre simpliste de vulgarisation 117. Professeur d'histoire des civilisations (puis de
sociologie), il restait par exemple assez indifférent à la psychologie allemande et aux
méthodes expérimentales de la psychologie anglaise et écossaise malgré la présence
de Théodule Ribot 118 dans la SAP.
Dévoué corps et âme (!) à la SAP, Letourneau en fut un honnête gestionnaire. Au
point de vue scientifique et philosophique, le bilan de ses quinze ans de secrétariat
n’était pas négligeable : le matérialisme connut son apogée, le transformisme (à dominante lamarckienne) prit valeur officieuse, l’anti-féminisme fut refoulé en paroles et
en actions, l’anthropologie criminelle s’institutionnalisa quoique faiblement, le darwinisme social outrancier fut écarté (mais pas l’eugénisme) et la démographie nationale
devint un étendard de ralliement. S’y ajoutaient les acquis d’une anthropologie mieux
équilibrée du côté socio-culturel et la modernité muséographique et pédagogique : la
SAP innovait avec la création d’une collection glosso-phonographique (1900) c’est-à-
113
Arthur Claudius Félix Chervin (1850-1921) directeur de l’Institut des bègues, démographe, membre
T de la SAP le 15.02.1877.
114
BSAP, 1902, 4-12.
115
Ibid., 10.
116
Le douzième volume fut posthume et présenté à la SAP le 8 janvier 1903 par le fils de l’exsecrétaire général. Il s’agissait de La condition de la femme dans les diverses races et civilisations.
117
BLANCKAERT, 1995b, 65-66.
118
Théodule Ribot (1839-1916) adhéra à la SAP le 05.02.1880 mais sans guère y venir. Il estimait
élogieusement Léonce Manouvrier.
154
Jean-Claude Wartelle
dire de rouleaux d’enregistrements sonores dont le docteur Léon Azoulay fut le
promoteur. Le recours au cinéma fut également très tôt encouragé.
Manouvrier ou la non-mutation de la SAP (1902 à 1914)
Secrétaire général adjoint depuis une dizaine d’années, Léonce Manouvrier succéda sans difficulté à Letourneau. La netteté du signal d’alarme que Chervin avait tiré
en quittant son poste en janvier 1902, le fait aussi qu’il communiqua ses appréciations
à d’autres revues, ce dont il fut expressément blâmé, obligèrent le nouveau secrétaire
général à établir un diagnostic détaillé 119 sur L’état de la Société d’Anthropologie en
1901, texte lu à la séance du 1er mai 1902. Chervin y était étrillé pour avoir dénoncé
un danger imaginaire et surtout pour l’avoir « crié par dessus les toits. Car si notre situation est excellente, il ne faudrait pas beaucoup de publicité de ce genre pour la rendre moins bonne ». Manouvrier ne contestait pas la diminution d’effectifs, il en déplaçait la cause : là où Chervin imputait le recul à la série de démissions, Manouvrier
arguait du taux de décès, qui effectivement avait enregistré un accroissement sensible
depuis 1884 par suite des tranches d’âge. Le secrétaire général voulait surtout panser
le moral des membres et, manipulant les chiffres et pourcentages avec habileté (illustrant son exposé de graphiques), alors qu’il avait justement accusé Chervin d’avoir
pris trop de liberté avec les statistiques, il parvenait à leur faire dire qu’après une
décroissance « inévitable », l’amélioration était déjà perceptible et que « non seulement la Société n’est pas en danger, mais encore que notre prétendue malade est en
parfaite santé » 120. Tout juste concédait-il que « pendant un certain nombre d’années
son recrutement pourrait s’affaiblir encore » mais la tonalité optimiste restait maintenue grâce à un vœu pieux « qu’il suffirait que les 300 membres titulaires actuels
réunissent leurs efforts pour attirer un seul entrant de plus du nombre moyen annuel
pour que la décroissance commencée en 1885 fût arrêtée complètement » 121. Quant
aux causes de cette « décroissance numérique », le secrétaire général affirmait qu’il
était « facile » de les découvrir : il citait la mort de Broca tout en en minimisant les
effets, puis parlait du stock non extensible de candidats suscités par l’École
d’Anthropologie et de l’apparition de Sociétés savantes concurrentes et en particulier
des sociétés d’anthropologie de Lyon et Grenoble. Sur le fond, la réplique de
Manouvrier aux rudes imputations de Chervin concernant le féodalisme des structures
de direction et le conservatisme d’une partie des membres, relevait de l’escamotage.
Le volumineux rapport regrettait que les statuts rédigés par Broca aient été remis en
cause et affectait de voir des menaces de désintégration dans la proposition de leur
révision. Le lénifiant secrétaire général optait pour le statu quo. Question certainement tabou, que d’ailleurs Chervin n’avait lui-même pas osé aborder, Manouvrier se
gardait bien d’envisager la baisse de qualité des travaux et débats.
Le relatif optimisme du secrétaire général ne se vérifia pas et les effectifs
continuèrent à baisser, passant d’un total de 501 en 1902 (dont 301 T) à 405 en 1914
(dont 235 T), chiffres qui demeuraient assez fictifs vu la répugnance du Comité
Central à radier ceux qui étaient en retard de cotisation. En 1911, les retards allaient
119
BSAP, 1902, 371-384.
BSAP, 1902, 379.
121
Ibid., 381.
120
155
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
de trois à neuf ans de cotisation ! Cause certainement sensible de ce nouveau recul, la
SAP avait perdu début 1904 le monopole national de fait qu’elle exerçait sur la
palethnologie et sur la science préhistorique. En effet, la Société Préhistorique
Française naquit cette année-là et connut tout de suite un vif essor d’effectifs 122
l’amenant à parité d’adhérents avec la SAP à la veille de la guerre. Heureusement la
matière était riche et plusieurs ténors restaient affiliés des deux côtés, ce qui permettait de maintenir des publications préhistoriques suffisamment volumineuses dans le
BSAP. Malgré le déclassement des vestiges soi-disant tertiaires de Thenay, une querelle nouvelle se développait, celle des éolithes 123. Elle ajoutait son lot d’animosités à
une atmosphère déjà frelatée 124.
L’incidence du déclin numérique se répercutait évidemment dans le budget de la
Société dont les recettes d’inscription et de cotisation réellement encaissées chutaient
de 6 500 francs en 1902 à 4 100 francs en 1913. Un autre embarras frappa d’ailleurs
la Société, victime d’un important détournement (9 000 francs) commis par son secrétaire, Lerouge, et découvert au début 1904 125. Heureusement l’importance des dons et
legs permit d’atténuer ces baisses de ressources. Praticien soucieux de redresser l’état
physique du malade en revigorant son moral, Manouvrier joua systématiquement le
rôle du docteur Tant-mieux, heureux d’affirmer le sérieux (incontestable) des travaux
de la Société, le volume positivement appréciable de ses publications mesuré au nombre de pages éditées et l’état satisfaisant de ses finances. Le déclin continuait cependant à aigrir les relations internes. Plus grave et plus révélatrice certainement fut la
baisse d’assiduité aux deux réunions mensuelles : après lamentations de quelques
membres, Manouvrier fit des pointages qui donnèrent une présence moyenne de 25 à
30 membres par séance. Si le présent portait ce goût d’amertume, restait le refuge du
passé : cette même année 1909 où la faible assiduité faisait rougir d’Échérac, fut
l’occasion d’une double cérémonie. Le 6 juin 1909, les deux statues de Buffon et
Lamarck furent inaugurées au Jardin des Plantes. Le Comité central de la SAP avait
voté à l’unanimité 200 francs pour la statue du second. L’inauguration se déroula en
présence du président de la République Armand Fallières. Un mois plus tard, du 6 au
11 juillet 1909 eurent lieu les fêtes du Jubilé du cinquantenaire de la SAP, en présence
d’une foule de délégations anthropologiques internationales. Les mânes de Broca
furent copieusement encensés.
Léonce Manouvrier allait rester secrétaire général jusqu’à sa mort le 18 janvier
1927 soit vingt-cinq ans de mandat et donc un terme plus long que celui de Broca
(21 ans) dont il s’honorait d’avoir été l’élève puis le préparateur. De tempérament 126
122
Sur les 73 membres de la liste initiale de la Société Préhistorique française, 30 appartenaient à la
SAP.
123
Ce terme inventé par Gabriel de Mortillet désignait les pierres de petite taille ou grossièrement
travaillées qui auraient pu provenir des plus anciennes périodes du paléolithique. Le problème consistait à y
prouver la réalité de l’intervention humaine.
124
À l’origine collaborateur loué par Mortillet père et fils, Thieullen (T 1883) devint l’ennemi venimeux d’Adrien de Mortillet qui refusait la légitimité de sa collection de petits cailloux. Le naturaliste belge
Rutot (CÉ 1901) demeura un propagandiste convaincu des éolithes tertiaires.
125
Le Comité Central extraordinaire du 20.2.1904 vota pour le dépôt d’une plainte judiciaire. Topinard,
particulièrement énergique, y fut applaudi (Registre des procès-verbaux 1901-1917, Archives de la SAP au
Musée de l’Homme).
126
Terme valorisé par Manouvrier comme on va le voir pour son programme de recherche. Dans ses
cours de psycho-physiologie à l’École d’Anthropologie en 1895-1896, il avait présenté « le tempérament »
(REA, 1896, 425-449).
156
Jean-Claude Wartelle
incliné vers la modestie et la discrétion, il demeure assez peu connu 127. Comme les
deux précédents secrétaires généraux, l’anthropologie fut en tout cas sa seule ligne de
vie. Disciple direct de Broca, il épousait absolument la conviction du Maître que cette
discipline avait prioritairement une base physique et médicale : « la seule présence de
tant de médecins ou de naturalistes a contribué à maintenir chez nous le caractère
fondamentalement biologique dont Broca indiquait avec tant de soin l’importance
capitale » 128. En conséquence l’anthropologie physique reprit un peu du terrain perdu
sous Letourneau, surtout à partir de 1908.
Postulant en 1904 pour une chaire d’Histoire des sciences au Collège de France,
Manouvrier s’auto-décernait ce compliment : « il (lui-même) sait détecter les incompétences pernicieuses ». En dehors de Le Bon, il faisait par là allusion à sa dénonciation de quelques autres supercheries anthropologiques. Son duel contre Lombroso 129
a été examiné. Puis était venu le darwinisme social, fruit vénéneux de la greffe de l’économie politique sur l’anthropologie. Un des premiers adeptes du message eugénique avait été Vacher de Lapouge au temps de sa collaboration avec L’Anthropologie.
Obnubilé par la primauté du fait racial dans les sociétés humaines, et s’appuyant sur la
vision pessimiste de la décadence démographique française, Lapouge recommandait
une double sélection, positive en faveur de la natalité de l’élite, et négative contre les
métissages et les dégénérés. Il acceptait bien l’idée de Broca que la sélection sociale
était plus importante dans l’espèce humaine que la sélection naturelle mais, il en faisait ressortir les nombreux fléaux 130. D’où pour lui la nécessité de l’eugénisme, dont il
ne voyait l’application possible que sous un régime socialiste autoritaire, sans doute
avec un anthroposociologue dans le rôle de Big Brother. Cette société produirait des
humains améliorés, des eugéniques, voués à la béatitude et au sacerdoce de la reproduction 131. Avec l’Affaire Dreyfus, son œuvre d’anthroposociologie dériva vers l’antisémitisme 132, et s’enjoliva de onze lois fondamentales à fondement craniologique.
Ses élucubrations anti-démocratiques et pro-aryennes furent disqualifiées sans ménagement par l’article de Manouvrier sur « L’indice céphalique et la pseudosociologie ». Après avoir flétri l’inacceptable simplification racialiste de Le Bon 133,
l’article s’en prenait surtout à Lapouge, qui avec quelques autres, prétendait fournir
des chiffres explicitant les impressions de voyage de Gobineau. Manouvrier développait une critique implacable contre les analyses et les prévisions de l’anthroposociologue de Montpellier 134. Le secrétaire général rejetait comme s’écartant de la réalité
toute vision de hiérarchie raciale, fût-ce celle à laquelle adhérait son prédécesseur
Letourneau.
Fier d’être un rigoureux détecteur de faussaires, contempteur des erreurs de Le
Bon ou de Vacher de Lapouge, sourcilleux défenseur des traditions d’une anthropologie d’abord physique, le secrétaire général voulait cependant rester fidèle à l’esprit
de synthèse relationnelle si cher à Auguste Comte. Invité officiel à l’exposition de
127
HECHT, 1997, 221.
BSAP, 1909, 323.
129
L’expression est de lui.
130
CLARK, 1984, 146.
131
TAGUIEFF, 1998, 128-130.
132
Dans son système, les Juifs restaient classés comme une race supérieurement douée et donc d’autant
plus menaçante.
133
MANOUVRIER, 1899, 239.
134
Ibid., 284-293.
128
157
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
Saint-Louis (États-Unis), il concluait son adresse de salut au gotha de l’anthropologie
mondiale en disant « Qu’il s’agisse des sexes, des races, des classes ou des couches
sociales, des criminels, de catégories humaines ou de personnes quelconques, cette
liaison entre les points de vue somatologique, mental, sociologique ne doit jamais être
oubliée » 135. Il était sans doute convaincu que l’anthropologie physique pouvait désormais outrepasser son point de départ anatomique pour s’ancrer dans la physiologie
et mettre en évidence certaines connexions psychologiques.
Les recherches de psycho-anthropologie de Manouvrier furent sérieuses. À l’inverse de Letourneau, il suivait et pratiquait régulièrement les expérimentations de
psychologie inspirées des Écossais ou des Allemands et recommandées par son ami
Théodule Ribot. Il rattachait cette piste de recherche aux analyses des dizaines de
cerveaux qu’il avait autopsiés. Cela s’apercevait déjà dans l’étude comparative des
cerveaux de Gambetta et de Bertillon 136 où il cherchait dans les circonvolutions du
premier si l’on pouvait déceler pourquoi il était « hardi, entreprenant, communicatif,
loquace » et dans celles du second pourquoi celui-ci se montrait « réfléchi, réservé,
silencieux et si mauvais orateur ». L’honnêteté intellectuelle le forçait à reconnaître la
maigreur des observations significatives. Il devint également l’ami de J.M. Charcot et
membre de la Société de psycho-physiologie. Manouvrier suivait avec attention les
expériences du célèbre aliéniste. Déjà l’une des pratiques préalables de Charcot lui
apparaissait comme positive, celle de faire déambuler nu devant lui le malade mental
examiné pour la première fois, examen qui pouvait révéler plusieurs anomalies de
démarche ou d’organes ; en outre et très spectaculaires, les fameuses expériences
d’hypnose et de délire provoqué montraient dans les contractions et déformations de
telle ou telle partie du corps, de significatives associations du physique et du mental.
Mais la psycho-physiologie ne procédait pas uniquement sur des malades et
Manouvrier eut le plaisir d’être choisi pour établir les mesures des athlètes en
compétition lors des championnats du monde allant de pair avec l’exposition de 1900.
Il sympathisa par exemple avec l’Américain Sheldon, magnifique vainqueur et champion du monde pour le lancer du disque et du poids 137. Et cependant, le résultat de ses
mesures et de ses enquêtes aussi bien sur les malades que sur les athlètes le conduisait
à une néces-saire humilité. De même que pour les criminels, aucun élément physique
n’apparaissait totalement déterminant. Finalement la psycho-physiologie devait, au
delà d’un certain nombre d’observations fragmentaires utiles, reconnaître la force des
contraintes sociologiques et la capacité des aptitudes morales individuelles.
Léonce Manouvrier se voyait forcé de s’éloigner des certitudes de l’analyse chiffrée pour s’engager dans une anthropologie indéterminée 138.
La « crise » de l’anthropologie traditionnelle française se révélait par de multiples
craquements. L’arrière-plan raciologique des études craniométriques faisait l’objet de
contestations. Depuis l’origine de ces études, l’impossibilité d’un accord sur le nombre de races existantes introduisait des doutes sur l’importance réelle des différenciations. L’article « race » de J. Deniker (T 1881, président de la SAP en 1904) dans
la Grande Encyclopédie reconnaissait d’ailleurs l’impasse. Puis, si certains anthropologues comme Vacher de Lapouge enseignaient le racisme (le mot apparut au début
135
In REA, 1904, 410.
REVUE PHILOSOPHIQUE, 1888, 453-461.
137
In REA, 1911, 419.
138
HECHT, 2003, 255.
136
158
Jean-Claude Wartelle
du siècle) une large majorité d’entre eux le refusaient ou à l’instar de Manouvrier, le
disqualifiaient. Un double sursaut moral s’affirmait en philosophie (le solidarisme
d’Alfred Fouillée) comme dans l’opinion publique : de ce côté le dynamique animateur en fut le publiciste Jean Finot, auteur du livre Le préjugé des races en 1905 139 et
co-organisateur du premier Congrès universel des races à Londres en 1911. L’anthropologie racialiste s’y trouvait nettement dénoncée. L’un des repères les plus usités de
l’héritage Broca-Topinard était l’angle facial, qui offrait le double avantage de
distinguer la structure de la tête humaine de celle des primates et des singes et d’autre
part de proposer un classement sériaire des différents groupes humains. Or, l’angle
facial mettait en relief le prognathisme de certains indigènes et incitait facilement les
commentateurs polygénistes à y détecter une parenté simiesque plus forte. Venu à la
SAP par le biais du laboratoire du Muséum, Paul Rivet (T 1902) reprit la question :
après la prise de mesures sur plus de 6 000 crânes humains et animaux, il établit en
1910 que si l’angle facial permettait de différencier hommes et primates, il ne permettait pas de sérier les races 140. Élargissant ensuite ses conclusions, il en venait à
conclure que les mesures physiques pouvaient prouver des atavismes mais non des infériorités intellectuelles. Ainsi, à l’équivalence prognathe donc inférieur, Rivet substituait l’hypothèse du prognathisme comme un indicateur de divers degrés de
métissage.
Pour une connaissance plus effective et plus riche (plus signifiante) de l’humain,
deux courants modernes de la recherche accaparaient l’attention. Ces deux courants,
liés entre eux, représentés quoique marginalement dans la SAP de Manouvrier, n’y
furent pas suivis ni même écoutés. Le premier concernait l’ethnographie, non pas
celle de l’ancienne rivale de la SAP, elle-même en crise, mais celle que voulait développer l’approche d’Arnold Van Gennep (1873-1957 ; T 1904) dénonciateur régulier
du retard de l’ethnographie française. La brochure qu’il offrit en 1905 à la Société et
qu’il y commenta 141, révélait l’originalité de son approche. Il s’agissait De l’héraldisation de la marque de propriété et des origines du blason. Il relevait l’ancienneté et
l’universalité de la pratique : depuis l’Antiquité, de l’Europe au Japon et à l’Afrique
noire, les chefs ou les riches propriétaires ont imposé des marquages bien visibles sur
les domestiques, le bétail, les armes, les outils, les véhicules leur appartenant. Réalisés
sous des formes très diverses, ces marquages ont généralement évolué vers une simplification les rapprochant du blason, y compris par exemple les fers rougis au feu
pour marquer le bétail. À partir de cette constatation dont l’analyse pouvait s’affiner,
une discussion sur la nature humaine risquait d’être plus enrichissante que d’argumenter sur la dolichocéphalie en Europe 142. Lié d’amitié avec l’administrateur colonial
Maurice Delafosse, Van Gennep pensait comme lui que « la prétendue simplicité des
primitifs mesure surtout l’ignorance des observateurs » 143.
La deuxième piste de rénovation possible de l’anthropologie provenait de la sociologie de Durkheim, dont le neveu et bras droit Marcel Mauss adhéra à la SAP en
139
HECHT, 2003, 269-272.
ZERILLI, 1998, 66.
141
In BSAP, 1905, 103-112.
142
Van Gennep présenta encore un ouvrage à la SAP, Mythes et légendes d’Australie (05.07.1906 ;
BSAP, 291-292). Trois ans plus tard, en 1909, mais il avait alors quitté la SAP, il fit paraître son livre le
plus célèbre Les rites de passage, classique de la littérature ethnographique. Ce livre fut toutefois analysé in
REA, 1909, 141-142.
143
SIBEUD, 1998, 182.
140
159
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
1905. Leur revue, L’Année Sociologique fixait d’abord une méthode beaucoup plus
active et synthétique que les pratiques énumératives et descriptives dans lesquelles la
SAP aimait désormais à se cantonner. À la réflexion, cette méthode recroisait la dialectique de la grande époque Broca-Quatrefages. La seconde aspiration de la sociologie durkheimienne consistait à restreindre autant que possible (mais non pas à éliminer ainsi que le désirait Van Gennep) les développements physiques de l’anthropologie pour fonder la connaissance de l’homme sur l’ethnographie, recueil de faits sociaux, et créer une véritable ethnologie, science débarrassée de ses superfluités raciales. Comme Franz Boas, Frazer et Van Gennep, Mauss était convaincu de l’unité
psychique fondamentale de l’espèce humaine. Il affirmait qu’il n’existait pas de peuples non civilisés. Pour comprendre les « primitifs » il importait de les observer sans
préjugé de supériorité et avec bienveillance, seul moyen d’ailleurs d’en tirer un profit
tout autant moral que documentaire.
Cependant, de même que Van Gennep ne pouvait être suivi en exigeant la mise à
l’écart de l’anthropologie physique, un des obstacles du ralliement de la SAP aux
idées de Mauss tenait aux ambitions nouvelles de la sociologie. Durkheim le percevait
bien : faisant appel à l’économie sociale, au droit, aux religions, puis recourant systématiquement aux données de l’ethnographie, la sociologie devenait la nouvelle science de synthèse de l’Homme 144. La SAP ne pouvait entériner de telles prétentions. Cependant un timide écho des positions nouvelles résonnait parfois, comme lorsque
Piéron fit référence à Lévy-Bruhl et à Mauss pour qu’on veillât à se débarrasser de
l’européomorphisme dans l’appréciation des mentalités primitives 145.
La SAP avait toujours flirté soit avec la bio-sociologie soit avec l’anthroposociologie, fruits tant soit peu empoisonnés du darwinisme social. La bio-sociologie
recoupait une question assez trouble que la SAP traînait depuis son origine, marque
atavique de son penchant pour le polygénisme : quelle était la valeur ou le danger des
métissages ? Georges Hervé (1855-1932 ; T 05.11.1880) professeur d’ethnologie à
l’École d’anthropologie restait convaincu de la dégénérescence ethnique causée par
les métissages trop éloignés. Il relança le débat en 1906 par un article sur la situation
des mulâtres aux États-Unis 146. Convaincu de leur faible fécondité et de leur dégradation morale, il pronostiquait un échec de la politique de fusion ethnique rêvée par
certains libéraux. Paul Rivet, fort de son expérience andine, contesta que ces observations puissent être généralisées. Le métissage général de l’Amérique andine lui semblait au contraire avoir amélioré les deux races d’origine 147. Une commission d’enquête fut décidée au sein de la SAP (1908). Elle n’aboutit qu’à envenimer les relations
personnelles entre les tenants de la tradition (spécialement l’École d’anthropologie) et
l’équipe du Muséum (Rivet, Verneau) qui finalement préféra démissionner de cette
Commission (1910). Cette année-là, le Comité Central de la SAP était devenu un
champ clos d’affrontements et d’insultes, voire de horions 148.
144
ZERILLI, 1998, 42.
BSAP, 1910, 175-178.
146
REA, 1906, 337-358.
147
ZERILLI, 1998, 87.
148
La séance du 25 avril 1910 fut particulièrement mouvementée. Adrien de Mortillet ayant précédemment accusé Verneau de vouloir prendre le contrôle de la SAP, Verneau avait fait connaître sa démission. Mortillet continuant son attaque contre Piéron qu’il accusait d’être l’homme lige de Verneau, Piéron
de rage se précipita sur Mortillet et un bref pugilat s’ensuivit, interrompu par l’appariteur de l’École, stupéfait de ces mœurs de terrassiers. L’affaire provoqua huit démissions dans le groupe issu du Museum.
145
160
Jean-Claude Wartelle
L’ethno-sociologie pouvait se recommander de Letourneau (mais aussi de Le Bon
et de Vacher de Lapouge), chercheurs soucieux de faire l’inventaire des qualités et défauts des peuples et des races. Elle recoupa l’inquiétude qui alimenta le long débat sur
le péril de l’évolution démographique française. La conjoncture de rivalité internationale qui s’installait autour de la Méditerranée et en Afrique noire ainsi que le débat
national sur la durée du service militaire accentuaient de nouveau cette préoccupation.
Par ailleurs, sans adhérer activement à l’exaltation de la nouvelle grandeur coloniale
de la France, la SAP y était de plus en plus liée, ne fût-ce que par l’adhésion chez elle
de nombreux médecins militaires ou administrateurs coloniaux. Ce fut dans ces circonstances qu’elle fut victime consentante du coup médiatique d’un véritable lobby
colonial. Ce lobby, formé d’officiers et de hauts fonctionnaires, s’était rallié aux vues
que le colonel Charles Mangin exposait dans son livre de 1910, La force noire, favorable à l’emploi de troupes noires sinon immédiatement dans un conflit européen, au
moins au titre de maintien de l’ordre dans les territoires d’Afrique du nord. Le livre
préfacé par le général Louis Archinard avait soulevé un débat politique 149 tandis que
le colonel avait été chargé d’une mission officielle d’étude des conditions de recrutement. Rentré d’Afrique en 1911, il était désireux de faire la promotion de ses idées.
La SAP, présidée alors par Henri Weisgerber, Alsacien d’origine, accueillit avec faveur la demande d’une intervention. Ainsi survint l’étonnante conférence du 2 mars
1911. La salle de réunion de la SAP fut ce jour-là l’objet d’un investissement militaire
impressionnant, puisque cinq généraux, huit autres officiers supérieurs et quelques
hauts fonctionnaires étaient venus accompagner le colonel Mangin dont l’exposé
portait sur L’utilisation des troupes noires 150. Le bénéfice anthropologique n’était
qu’un alibi et fut expédié en quelques minutes. Le conférencier sollicita cependant in
fine l’aide des ethnologues pour une meilleure connaissance des ethnies de l’Afrique
de l’Ouest. Manouvrier, sans se dissocier diplomatiquement des louanges faites au
conférencier, refusa tout net d’organiser une séance ultérieure sur le même sujet car
« l’on sortirait du domaine anthropologique pour pénétrer sur le terrain du droit, de
l’art militaire et de la politique » 151. Il appliquait par là un principe hérité disait-il, de
Broca : « La sociologie et l’anthropologie sont des sciences, tandis que la politique est
un art » 152.
Outre le camp des anthropologues patriotes, la SAP conservait un noyau laïque qui
aimait cultiver ses phobies anticléricales. Le groupe du matérialisme scientifique était
désagrégé par la mort de ses membres les plus notoires. Le flambeau demeurait pourtant vivace, porté soit par les libres-penseurs de la vieille génération (Yves Guyot, Dr
Thulié, Julien Vinson), soit par de nouvelles recrues comme Ch. Lejeune et
A. Guebhard. Certes le prestige nouveau du sacré et de la religion dans les hautes
études imposait désormais une retenue dans l’approche de ces domaines et l’effort
pour limiter les commentaires dégradants fut sensible. Véritable croisé laïque, Charles
Lejeune avait dû à regret reconnaître les erreurs de Mortillet sur l’absence de pratiques religieuses au paléolithique 153 et celles de Hovelacque sur le grand nombre de
149
MICHEL, 1982, 10.
La prestation du colonel Mangin, préparée avec des photos de tirailleurs, fut reproduite à la fois in
BSAP, 1911, 80-95, et in REA, 1911, 113-128.
151
BSAP, 1911, 99.
152
REA, 1906, 250.
153
BSAP, 1903, 628.
150
161
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
tribus primitives athées 154. Il fit le 7 juillet 1910 le compte rendu du livre Orpheus de
Salomon Reinach, consacré à l’histoire et à l’analyse incidente du rôle des religions
comme matrices des civilisations. Bien sûr Lejeune multipliait les réserves, spécialement à l’égard du christianisme, bien sûr il regrettait que les historiens maison comme
Lefèvre, Letourneau ou Vinson ne fussent pas même cités en bibliographie mais finalement l’œuvre était louée comme un « excellent ouvrage » et le rôle (très) occasionnellement méritoire du clergé reconnu.
Si la SAP vivait dans la quiétude de son héritage, l’évolution de l’anthropologie et
de l’ethnologie ne s’arrêtait pas : simplement, elle se faisait désormais en dehors des
sociétés lancées par Broca. L’impulsion venait soit du Muséum soit de certaines
instances universitaires, soit de chercheurs indépendants. L’équipe de L’Année
Sociologique, le tandem Rivet Verneau du Muséum ou les initiatives de publication
d’Arnold Van Gennep jouaient un rôle actif. Le début de l’année 1911 vit ainsi une
nouveauté institutionnelle, la naissance de l’Institut Français d’Anthropologie, conçu
comme une Académie au petit pied et rassemblant les sommités de l’archéologie, de
la sociologie et de l’ethnologie 155. Commentant l’apparition de ce nouveau venu, le
docteur Verneau qui en était membre et avait démissionné de la SAP, parlait de cette
dernière avec condescendance, notant que de nombreux savants faisant autorité se
tenaient systématiquement à l’écart de la vieille société fondée par Broca 156.
L’Institut français d’anthropologie hérita des difficultés françaises concernant la
définition, la hiérarchie et les rapports entre les trois termes ethnographie, ethnologie,
anthropologie 157. La place (voire l’existence) de l’anthropologie physique demeurait
incertaine. Pour Van Gennep, elle devait disparaître de l’ethnographie. Pour Mauss
comme pour Rivet et Verneau, la race n’était pas une imposture théorique. Catégorie
biologique, il s’agissait de la fonder et de la cerner avec discernement 158. Ils affirmaient en outre que l’anatomie demeurait indispensable pour la sûreté de l’archéologie. La SAP passa sous silence la naissance de cet organisme concurrent : prisonnière
de ses traditions, tétanisée, elle ne participait plus au renouvellement de sa propre
matière.
Initialement le secrétaire général Manouvrier revenait avec satisfaction sur le refus
manifesté très majoritairement par ses collègues de suivre les conseils de Chervin et
de modifier les statuts d’origine. Pourtant la chose devint nécessaire à cause de la loi
de 1901 sur les Associations. Après l’avoir souhaité verbalement plusieurs fois, la
Préfecture de la Seine le demanda officiellement à l’été 1909. Indubitablement conservatrice, la SAP procéda avec lenteur. Les nouveaux statuts avec Assemblée générale élisant directement un Conseil d’administration furent votés le 9 avril 1914 et
approuvés par décret du 25 décembre 1914. Une série d’accrochages assez vifs eut
lieu au printemps 1915 pour savoir s’il convenait de les appliquer immédiatement ou
d’attendre pour cela la fin de la guerre : un compromis décida de laisser le Comité
Central en place mais avec l’appellation de « faisant fonction de Conseil d’administration ». La guerre mit de toute façon la SAP en veilleuse réduisant présences, activi154
BSAP, 1906, 197.
Premier président Salomon Reinach ; Vice-président Marcelin Boule ; Conseillers : Durkheim,
Verneau ; Archiviste Rivet ; parmi les adhérents : M. Mauss. L. Lévy-Bruhl… (ZERILLI, 1998, 95).
156
L’ANTHROPOLOGIE, 1911, 110.
157
ZERILLI, 1998, 103-106.
158
JAMIN, 1989, 285.
155
162
Jean-Claude Wartelle
tés et cotisations (un moratoire fut décidé pour les mobilisés). Les prix Godard,
Broca, Bertillon, Fauvelle, récompensant des travaux de recherche furent suspendus,
les publications furent comprimées par la raréfaction des études, la cherté nouvelle du
coût de la vie et les difficultés matérielles de toutes sortes. La guerre instilla en outre
un ferment d’animosité internationale bien éloigné de la communion scientifique qui
avait prévalu jusque-là : le 1er octobre 1914 on décida de radier les Allemands de la
liste des Associés étrangers et de décrocher les portraits de Haeckel et de Virchow de
la salle des séances (l’épuration des Autrichiens eut lieu en 1916). Pour meubler
l’ordre du jour de l’automne 1914, Yves Guyot et Chervin firent des exposés géopolitiques sur la situation ethnique de l’Europe centrale et balkanique. Les interventions
plus nettement anthropologiques ne reprirent le dessus qu’en décembre 1914. Ayant
cependant abordé la question sensible du sort des femmes françaises violées par les
soldats allemands et pris position contre l’avortement et contre l’incitation à l’abandon 159, le Bulletin fit en 1915 l’expérience de la censure (4 mars 1915 : 4 blancs entre
les pages 61 et 66). Le XXème siècle était là. Bénéfice assez atroce du conflit, la chirurgie progressa fortement et par exemple les milliers de trépanations permirent une
meilleure connaissance du fonctionnement du cerveau 160.
Dès 1917, plusieurs professeurs de l’École (dont Yves Guyot assura la direction
pendant toute la durée du conflit) envisagèrent des pourparlers pour une Société interalliée d’anthropologie. Cela se concrétisa avec la victoire et un Appel aux anthropologistes alliés fut lancé le 20 novembre 1918 161. En septembre 1920, dans les locaux
mêmes de la Société et de l’École d’Anthropologie, douze délégations scientifiques
provenant des états vainqueurs et des nouveaux venus protégés de la France (Pologne,
Roumanie, Tchécoslovaquie, Yougoslavie…) créèrent l’Institut International d’Anthropologie. Les Français le dominaient davantage pour des raisons de circonstance
que scientifiques. Le prince Roland Bonaparte (T 1884), mécène et providence de
plu-sieurs sociétés savantes, président élu de la SAP, accepta également de diriger son
prolongement international. Mais, à son handicap d’être limité au camp des vainqueurs, le nouvel organisme ajoutait celui de maintenir l’idéologie scientifique des ténors de la raciologie et de la tradition. Accueillant les délégations étrangères, Capitan
fit un vigoureux plaidoyer pour dégager l’ethnologie de l’ornière où elle était enlisée
et pour en faire la véritable « science des races humaines » 162. La socio-ethnologie, la
hantise des dégénérescences demeuraient à ses yeux des orientations capitales : la
SAP et l’École d’Anthropologie ne sortant pas des concepts de l’époque Letourneau,
le déclin ne pouvait que se poursuivre. L’Institut International d’Anthropologie se
désagrégea.
Et pourtant la SAP ne disparut pas. Le déclin se poursuivit 163 jusqu’à l’avant
Deuxième Guerre mondiale, époque ou, en face, s’imposait la vision « d’ethnologie
au sens large » de Paul Rivet, qui triompha avec l’ouverture du Musée de l’Homme
(1937-1938). La SAP fut sauvée de l’extinction par Henri Vallois (T 1912), secré-taire
159
L’incitation à l’avortement, venue de certains milieux patriotes était répudiée par les pouvoirs publics. Ceux-ci favorisaient l’abandon des enfants à la naissance car les orphelinats les intègreraient plus
facilement dans la masse des petits Français.
160
BSAP, 1917, 40-66.
161
REA, 1919, 52-54. Elle était devenue Revue Anthropologique.
162
REA, 1920, 213.
163
En 1933 par exemple, le Bulletin n’a plus que 39 pages et 7 articles. La SAP annonce 220 membres,
mais 75 d’entre eux ont 2 ou 3 années de retard de cotisation.
163
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
général à partir de 1939, qui parvint à maintenir la société en activité à travers les
tribulations de la deuxième guerre (déménagement) puis impulsa son renouveau à
partir de 1946. Le recrutement reprit, une forte subvention publique remit les finances
à flot, puis le CNRS prit en charge les frais de publication à partir de 1947. Curieusement, le contenu des bulletins retrouvait une partie de l’héritage Broca, maintenant les
recherches anatomiques et physiologiques en tête de leurs préoccupations.
Née sous l’emprise d’un homme remarquable, fière d’être française, la SAP eut à
subir les assauts de ce virus typiquement français qu’était l’anticléricalisme dégénérant en athéisme de combat. Il était d’autant plus valorisé qu’il se paraît d’une impeccable parure matérialiste et scientifique. La SAP parvint à sortir de ce fâcheux guêpier, mais elle en fut diminuée. L’air du temps volontiers cocardier lui laissa aussi un
héritage politique et patriotique plus difficile à évacuer.
Sa grande époque fut celle, initiale, des savants polyvalents et des débats fondamentaux sur la phylogénèse de l’homme (mono ou polygénisme), sur les rapports de
l’espèce humaine avec les espèces animales proches (la question des primates), sur
l’évolution des espèces, ses causes et ses mécanismes. Ensuite les dirigeants
rétrécirent et les problèmes traités suivirent malheureusement la même évolution.
Au début du XXème siècle, le déclin était avéré, reconnu avec tristesse par les adhérents. Ce travail suggère qu’il y eut une erreur initiale qui tient à son positionnement dans les sciences naturelles. La connaissance physique de l’anatomie et de la
physiologie humaines, l’analyse physique du cerveau de cette espèce, la recherche
scientifique de ses différences raciales, poussèrent à la promotion du matérialisme
puis facilitèrent à la longue une méthodologie descriptive qui négligea le principal, à
savoir la richesse sociale de l’homme, sa créativité en matière d’institutions, d’explications, ainsi que la correction de ses tendances meurtrières ou égoïstes par le sens de
l’entraide.
Comme l’a pointé Stocking (what’s in a name ?), comme y a insisté Zerilli, la
question du vocabulaire de dénomination constitua en permanence un détour crucial
de ce faisceau de sciences. Trois mots s’y retrouvaient en rivalité, anthropologie,
ethnographie et ethnologie. Fallait-il les intégrer par le biais des sciences naturelles
ou celui des sciences humaines ? À distance il apparaît que Paul Broca n’a choisi ni
les bonnes définitions ni la bonne hiérarchie.
Jean-Claude WARTELLE
[email protected]
Bibliographie
BLANCKAERT C., 1982, L’anthropologie au féminin, Clémence Royer (1830-1902), Revue de
Synthèse, 105, 23-38.
BLANCKAERT C., 1989a, L’anthropologie personnifiée : Paul Broca et la biologie du genre
humain. Préface, in BROCA P., Mémoires d’Anthropologie, Paris, J.M. Place (Les Cahiers
de Gradhiva), i-xliii.
BLANCKAERT C., 1989b, L’Anthropologie en France, BMSAP, 1, 3-4, 12-43.
BLANCKAERT C., 1989c, L’indice céphalique et l’ethnogénie européenne, BMSAP, 1, 165-202.
164
Jean-Claude Wartelle
BLANCKAERT C., 1990, Le trou occipital et la craniotomie comparée des races humaines, in
HAINARD J., KAEHR R., Le trou, Neuchâtel, MEN, 253-299.
BLANCKAERT C., 1991a, Les bas-fonds de la science française. Clémence Royer, l’origine de
l’homme et le darwinisme social, BMSAP, 3, 1-2, 115-130.
BLANCKAERT C., 1991b, Méthode des moyennes et notion de série suffisante en anthropologie
physique (1830-1880), in FELDMAN J., et al., Moyenne, Milieu, Centre, Paris, ÉHESS, 213243.
BLANCKAERT C., 1994a, La mesure de l’intelligence, Ludus Vitalis, 2, 3, 35-68.
BLANCKAERT C., 1994b, L’anthropologie lamarckienne à la fin du XIXème siècle. Matérialisme
scientifique et mésologie sociale, 119ème Congrès National de Sociologie et d'Histoire
Scientifique à Amiens (Lamarck), 611-629.
BLANCKAERT C., 1994c, Des sauvages en pays civilisé. L’anthropologie des criminels (18501900), in MUCCHIELLI L., (dir.), Histoire de la criminologie française, Paris, l’Harmattan,
55-88.
BLANCKAERT C., 1995a, L’esclavage des noirs et l’ethnographie américaine : le point de vue de
Paul Broca en 1858, in COLLECTIF, Nature, histoire, société (Hommage à Jacques Roger),
Paris, Klincksieck, 391-417.
BLANCKAERT C., 1995b, Le premesse dell’antropologia culturale in Francia, La Ricerca
Folklorica, 32, 51-70.
BLANCKAERT C., 1995c, La question du singe et de l’ordre des primates à la SAP (1865-1870),
Ape, Man, Apeman, changing views since 1600, Leiden, Leiden University, 117-137.
BLANCKAERT C., 1995d, Le système des races, in POUTRIN I., (dir.), Le XIXème siècle, Science,
politique et tradition, Paris, Berger-Levrault, 21-41.
BLANCKAERT C., 1996a, Le manuel opératoire de la raciologie, in BLANCKAERT C. (dir.), Le
terrain des sciences humaines, Paris, l’Harmattan, 139-173.
BLANCKAERT C., 1996b, Renan et l’ethnographie 1848-1865, Études Renaniennes, 102, 62-89.
BLANCKAERT C., 1998, Activisme et paradoxes de la 11ème section de l’AFAS (1872-1880), in
Colloque sur l’AFAS (Association Française pour l’Avancement des Sciences), Paris,
GFDSO Université Paris XI-Sud, 153-172.
BLANCKAERT C., 2001, La crise de l’anthropométrie, in BLANCKAERT C., (dir.), Les politiques
de l’anthropologie, Paris, l’Harmattan, 95-172.
BLANCKAERT C., 2003, Un artefact historique, in PETIT A., (dir.), Auguste Comte, trajectoires
positivistes 1798 1998, Paris, l'Harmattan, 253-283.
BOETSCH G., FONTON M., 1994, L’ethnographie criminelle, in MUCCHIELLI L., (dir.), Histoire
de la criminologie française, Paris, l’Harmattan, 139-156.
BROCA P., 1876, Le programme de l’anthropologie (Leçon d’ouverture du 15 novembre 1876),
Paris, Imprimerie Cusset et Cie.
BROCA P, 1989, Mémoires d’Anthropologie, Paris, Jean-Michel Place (Les Cahiers de
Gradhiva).
BUICAN D., 1994, Darwin et le darwinisme, Paris, Presses Universitaires de France (Que SaisJe ?).
CAROL A., 1995, Histoire de l’eugénisme en France, Paris, Seuil (Univers Historique).
CLARK L.L., 1984, Social Darwinism in France, Tuscaloosa, University of Alabama Press.
COMTE A., 1995, Discours sur l’esprit positif, Paris, Vrin.
CONGRÈS INTERNATIONAL DES SCIENCES ANTHROPOLOGIQUES, 1880, Congrès tenu du 16 au
21 août 1878, Paris, Imprimerie Nationale.
DARWIN F., 1995, The Life of Charles Darwin, London, Senate.
165
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
DESMET P., SWIGGERS P., 1993, La nature et la fonction du langage dans l’œuvre linguistique
d’Abel Hovelacque, Münsterches Logbuch zur Linguistik, 4, 129-148.
DESMET P., 1994, La revue de linguistique et de philologie comparée 1867-1916, Orbis, 37,
345-388.
DIAS N., 1989, Séries de crânes et armées de squelettes. Les collections anthropologiques en
France dans la seconde moitié du XIXème siècle, BMSAP, 1, 3-4, 203-230.
DIAS N., 1991, La société d’autopsie mutuelle, Gradhiva, 10, 26-36.
DROUIN-Hans A.M., 2001, La physiognomonie des anthropologues, in BLANCKAERT C., (dir.),
Les politiques de l’anthropologie, Paris, l’Harmattan, 29-53.
DUCROS A., BLANCKAERT C., 1991, L’animal de la création que l’homme connaît le moins. Le
mémoire refusé de Clémence Royer sur la femme et la natalité, BMSAP, 3, 131-144.
DUCROS J., DUCROS A., 1993, L’année de l’homme-singe, BMSAP, 5, 457-473.
DUMONT A., 1898, Natalité et démocratie, Paris, Schleicher.
FAUVELLE J., 1887, Mélanges d’anthropologie, Paris, Hennuyer.
FOURNIER M., 1994, Marcel Mauss, Paris, Fayard.
GAUCHER G., 1993, Henri Breuil, Abbé, Bulletin de la Société Préhistorique Française, 104112.
HAMMOND M, 1980, Anthropology as a weapon of social combat in late-nineteenth century
France, Journal of the History of Behavioural Sciences, 16, 118-132.
HARVEY J., 1984, L’évolution transformée. Positivistes et matérialistes dans la Société
d'Anthropologie de Paris du Second Empire à la Troisième République, Histoires de
l’Anthropologie, Paris, Klincksieck, 387-405.
HARVEY J., 1997, Almost a Man of Genius. Clémence Royer, Feminism and NineteenthCentury Science, New Brunswick-New Jersey-London, Rutgers University Press.
HECHT J.M., 1997, A vigilant anthropology : Léonce Manouvrier and the disappearing
numbers, Journal of the History of Behavioural Sciences, 33, 3, 221-240.
HECHT J.M., 2003, The End of the Soul, New York, Columbia University Press.
JANIN J., 1989, Paul Rivet 1876-1958), BSAP, 1, 277-294.
KAESER M.A., 2001, L'internationalisation de la préhistoire, in BLANCKAERT C., (dir.), Les
politiques de l'anthropologie, Paris, l'Harmattan, 202-230.
LABORDE J.V., HERVÉ G., 1889, Le Général Faidherbe, Brochure SAP, 8 pages + 1 hors-texte.
LAGNEAU G., 1873, Situation de la population de la France, Paris, Masson.
LAURENT G., 1993, Édouard Lartet et la paléontologie humaine, Bulletin de la Société
Préhistorique Française, 90, 22-30.
LE BON G., 1879, Recherches… sur les lois de variation du volume du cerveau et sur leurs
relations avec l’intelligence, Revue d'Anthropologie, 27-104.
LETOURNEAU Ch., 1878, Physiologie des passions, Paris, Reinwald (Bibliothèque des Sciences
Contemporaines).
LETOURNEAU Ch., 1887, Préface, in LOMBROSO C., L'homme criminel, étude anthropologique
et médico-légale, Paris, Félix Alcan, 333-334.
LOMBROSO C., 1887, L'homme criminel, étude anthropologique et médico-légale, Paris, Félix
Alcan.
MACQUART É., 1902, Mortalité, natalité et dépopulation (exposé du 3 avril à la SAP reporté au
1er mai 1902).
MANOUVRIER Ch., 1899, L’indice céphalique et la pseudo-sociologie, REA, 239-294.
166
Jean-Claude Wartelle
MASSIN B., 2001, Vacher de Lapouge et l’échec de l’anthroposociologie en France (18861936), in BLANCKAERT C., (dir.), Les politiques de l’anthropologie, Paris, l’Harmattan,
269-334.
MAUSS M., 1971, Essais de sociologie, Paris, Seuil (Points-Sciences Humaines).
MENGAL P., 2000, La constitution de la psychologie comme domaine du savoir (XVIèmeXVIIème siècles), Revue d'Histoire des Sciences Humaines, 2000, 2, 5-27.
MICHEL M., 1982, L’appel à l’Afrique…, Paris, Publications de la Sorbonne.
MOUSSA S., (dir.), 2003, L’idée de « race » dans les sciences humaines et la littérature
(XVIIIème et XIXème siècles), Paris, l’Harmattan.
MUCCHIELLI L., 1994, Hérédité et milieu social. Le faux antagonisme franco-italien, in
MUCCHIELLI L., (dir.), Histoire de la criminologie française, Paris, l’Harmattan, 189-214.
PAPILLAULT G., 1911, Galton et la bio-sociologie, Revue Anthropologique, 2, 56-65.
PAUTRAT J.Y., 1989, L’homme antédiluvien, BMSAP, 1, 131-152.
PAUTRAT J.Y., 1993, Le Préhistorique de G. de Mortillet, Bulletin de la Société Préhistorique
Française, 90, 50-59.
PENNIMAN T.K., 1965, A Hundred Years of Anthropology, London, Cox-Wyman.
POUTRIN I., (dir.), 1995, Le XIXème siècle. Science, politique et tradition, Paris, Berger-Levrault.
QUATREFAGES A. de, 1892, Darwin et ses précurseurs français, Paris, Félix Alcan
(Bibliothèque Scientifique Internationale).
QUATREFAGES A. de, 1988, Hommes fossiles et hommes sauvages, Paris, Jean Michel Place
(Les Cahiers de Gradhiva).
RENNEVILLE M., 1994, La réception de Lombroso en France (1880-1900), in MUCCHIELLI L.,
(dir.), Histoire de la criminologie française, Paris, l’Harmattan, 107-135.
REINACH S., 1996, Cultes, mythes et religions, Paris, Robert Laffont (Bouquins).
REY R., 1995, Organisme et milieu, in POUTRIN I., (dir.), Le XIXème siècle. Science, politique et
tradition, Paris, Berger-Levrault, 169-187.
RICHARD N., 1989, La revue L’homme de G. de Mortillet, BMSAP,1, 3-4, 231-256.
RICHARD N., 1995, La fondation de la préhistoire, in POUTRIN I., (dir.), Le XIXème siècle,
Science, politique et tradition, Paris, Berger-Levrault, 43-65.
RICHARD N., 2001, Les lieux de mémoire de l’anthropologie 1859-1900, in BLANCKAERT C.,
(dir.), Les politiques de l’anthropologie, Paris, l’Harmattan, 337-363.
ROYER C., 1990, Origines de l’homme et des sociétés, Paris, J.M. Place (Les Cahiers de
Gradhiva).
SALMON Ph., 1896, L’École d’Anthropologie de Paris, Paris, Félix Alcan.
SANSON A., 1900, L’espèce et la race en biologie générale, Paris, Reinwald-Schleicher.
SCHILLER F., 1990, Paul Broca, explorateur du cerveau, Paris, Odile Jacob.
SIBEUD E., 1998, Les étapes d’un négrologue, in AMSELLE J.L., SIBEUD E., (dir.), Maurice
Delafosse, Maisonneuve et Larose, 166-190.
STOCKING G.W. Jr., 1973, James Cowles Prichard, Chicago, University Chicago Press.
STOCKING G.W. Jr., 1984, What’s in a name ?, Histoire de l’Anthropologie XVIème-XIXème
siècles, Paris, Klincksiek, 421-431.
STOCKING G.W. Jr., 1987, Victorian Anthropology, London, Macmillan.
STOCKING G.W. Jr., 1992, Essays (n° 8 Paradigmatic traditions in the history of anthropology),
Madison, University of Wisconsin Press.
TAGUIEFF P.A., 1998, La couleur et le sang. Doctrines racistes à la française, Paris, Les Mille
et une Nuits, Collection « Les Petits Livres ».
167
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
THULIÉ H., 1885, La femme, essai de sociologie physiologique, Paris, Delahaye (Bibliothèque
Anthropologique).
TOPINARD P., 1879, De la nation de race en anthropologie, Revue d’Anthropologie, 2, 589-660.
TOPINARD P., 1885, Éléments d’anthropologie générale, Paris, Delahaye et Lecrosnier.
TOPINARD P., 1890, À la mémoire de Paul Broca. La Société, l’École, le Laboratoire et le
Musée Broca, Paris (pas de nom d’éditeur).
TOPINARD P., 1891, L'homme dans la nature, Paris, Félix Alcan.
TOPINARD P., 1900, L’anthropologie et la science sociale, Paris, Masson.
WARTELLE J.C., 1993, Les tribulations de GADLU, Grand architecte de son état. Le problème
de Dieu dans la Franc-Maçonnerie, Le Mans, Borrego.
WARTELLE J.C., 1998, Yves Guyot ou le libéralisme de combat, Revue Française d’Histoire
des Idées Politiques, 7, 73-109.
ZERILLI F.M., 1998, Il lato oscuro dell’etnologia, Roma, Cisu.
168
Jean-Claude Wartelle
figure 1
L’ANTHROPOLOGIE BROCA
Il ne s’agit pas de l’anthropologie telle que Broca la subdivise théoriquement
(générale, spéciale) mais telle qu’elle apparaît à la lecture des Bulletins et Mémoires
de la SAP. Les tailles des quatre compartiments périphériques suggèrent leur importance rédactionnelle. La linguistique, dépourvue de flèche est pénalisée.
Légende : souligné = rubrique fondamentale
recours auxsciences naturelles et médicales
dérive raciologique possible (r)
ANTHROPOLOGIE PHYSIQUE
ANATOMIE (r)
SQUELETTE(r)
CRANIOMÉTRIE (r)
ENCÉPHALOMÉTRIE
(r)
MÉDIAS
Vocabulaire
PHYSIOLOGIE
Instruments,
TÉRATOLOGIE
méthodes
- Usage des statistiques
- Questionnaires
ARCHÉOLOGIE
Congrès
HISTORIQUE
PRÉHISTORIQUE (r) Institutions
PALÉONTOLOGIE
DATATION DES
ÉTAGES
ARCHÉOLOGIE
LINGUISTIQUE
PHYSIOLOGIE DU
LANGAGE
CLASSEMENT DES
LANGUES (r)
PHYLOGÉNIE LINGUISTIQUE (r)
CHEMINEMENT
DES MIGRATIONS
MŒURSPRIMITIVES (r)
MESURE DESINDIGÈNES
FOLKLORE
DÉMOGRAPHIE
PSYCHOLOGIE
SOCIOLOGIE
MŒURS —CULTURE
169
fig u re 2
C IN Q S O C IÉ TÉ S S AVA N TE S PA R IS IE N N E S
B ib l io g ra p h ie : G L E Y E., 1 9 00 , La s o c ié t é d e b io lo g ie , R e v u e S c i e n ti fi q u e , 3-1 1, 4 8 1- 4 91 , 52 0- 5 28 e t 5 5 2- 56 3.
L A C O M B E R ., 1 98 0, Es s a i s u r le s o rig in e s e t le s p re m ie rs d é v e lo p p e me n ts d e la S o c ié t é d ’ Eth n o g ra p h ie , L ’ E t h n o g ra p hi e , L X X V I , 83 , 3, 3 29 -3 4 1.
F I E R R O A ., 1 9 83 , L a S o c ié t é d e G é o g ra ph i e ( 18 2 1 -19 4 6) , Ge n è v e , D ro z- Ch a mp io n .
S O U L I E R P h ., 1 99 3, A u x o r ig in e s d e la S o c ié té P ré h is to riq u e F ra n ç a is e , B u ll e t in d e l a S o cié té P ré h isto riq ue F ra n ç a ise , 90, 1 - 2.
B S A P , 19 8 9, n u mé ro s s p éc ia u x 3 - 4.
NOM
AS S EM B LÉE
G ÉN ÉR ALE
C O N ST IT U T IV E
O R G A N IS AT IO N
15 d é c e mb re 18 2 1
C o n s e il 36 mb ; é le c t io n e t re n o u v . 5 a n s
B u r e au à p ré s id e n t
n o n ré é lig ib le
ma i 1 84 8
?
fo n c tio n n e e n 184 8
30 me mb re s
18 6 8 : 1 s e c r . g é n é r al
18 8 7 : 1 c on s e il + 1
p ré s id e n t q u in qu e n na l
H o n o ra ria t o b l ig a t o ire
18 5 7
14 ma i 18 5 9
C o n s e il d e 20 mb
B u r e au d e 1 1 mb
t o us d e u x à re n o u v e lle me n t a n n u e l
S O CI ÉT É
D ’A N T H R O PO L O G IE D E PA R IS
18 5 8
19 ma i 18 5 9
C o m i té C e n tr al d e 3 0
mb (a u t o re c ru te me n t)
B u r e au 8 mb ; p d t n o n
ré é l ig ib le ; s e c r . g l
d é s ig n é po u r tro is a n s
S O C I É T É PR É –
H IS T O R IQ U E
FR A N Ç A IS E
19 0 3
6 ja n v ie r 1 90 4
S O CI ÉT É D E
G É O G R A PH IE
S O CI ÉT É D E
B IO L O G I E
S O CI ÉT É
D ’E T H N O G R A
PH I E (in itia le me n t
C O NTACTS
IN IT IA U X
ju il le t 1 82 1
a mé ric a in e - a s ia t iq u e )
C o n s e il d’ a d m i n is tr ati on 7 mb
B u r e au 5 mb
P d t n o n ré é lig ib le
HO M M ES C LÉ S
R ÉF OR M E
D E S ST AT U T S
U T IL IT É
P U B L IQ U E
18 5 3
14 d é c e mb re 18 2 7
Ch a r le s Ro b in
Ra y e r
C la u d e Be rn a rd
18 8 7
15 n o v e mb re 1 86 4
Lé o n d e Ro s n y
18 6 4
14 ju in 1 8 80
P a u l Bro c a
19 1 4
21 ju in 1 8 64
P a u l Ba u d o in
19 0 9
23 n o v e mb re 1 91 0
1 ) Ba rb ié d u Bo c a g e ,
Jo ma rd
2) Ch a r le s M a u n o ir
Ch a s s e lo u p -La u b a t
Jean-Claude Wartelle
figure 3
REPÈRES DE BIOGRAPHIE ÉPISTÉMOLOGIQUE
Pierre Paul BROCA
(1824-1880) ; Fondateur
secr. général, 1859-1880
BLANCKAERT , 1989a, i-xliii.
BLANCKAERT , 1990, 282289.
BLANCKAERT , 1991b, 222232.
BLANCKAERT , 1994a, 48-49 et 52-55.
BLANCKAERT , 1995a, 398-406 ; 1996a, 143-152.
DESMET , 2001, 57-62 ; BLANCKAERT , 2001, 99-111.
Paul TOPINARD
(1830-1911); T 19.07.1860
secr. général, 1880-1886
DIAS, 1990, i-xi.
BLANCKAERT , 1994c, 80-82 ; 1996a, 152-156.
Z ERILLI, 1998, 55-58.
Charles LETOURNEAU
(1831-1902) ; T 19.01.1865
secr. général, 1887-1902
BLANCKAERT , 1995b, 51-60. DROUIN-HANS , 2001, 32-35.
BLANCKAERT , 2001, 127BLANCKAERT , 2003a, 277-279.
132.
HECHT , 2003, 143-144.
Léonce MANOUVRIER
(1850-1927) ; T 05.01.1882
secr. général, 1902-1927
RENNEVILLE, 1994, 118HECHT , 1997, 221-239.
124.
Z ERILLI, 1998, 58-63.
BLANCKAERT , 1994b, 625- BLANCKAERT , 2001, 133-135 ; HECHT , 2003, 211-256.
628.
BLANCKAERT , 1994c, 70-75.
Jacques BOUCHER de
PERTHES (1788-1868)
H 02.02.1860
PAUTRAT , 1989, 131-152.
PAUTRAT , 1997, 93-108.
DELPORTE, 1997, 47-52.
Pierre GRATIO LET
(1815-1865) ; Fondateur
Président, 1864
BLANCKAERT , 1994a, 38-45 et 58-59.
BLANCKAERT , 1995c, 120-121.
Armand de QUATREFAGES M OÏSSEFF, 1988, i-xiii.
(1810-1892)
Z ERILLI, 1998, 17-19.
T 02.02.1860 ; Président, 1863 DICTIONNAIRE DU DARWINISME, 1996, 3032-3033.
Édouard LARTET
(1801-1871)
T 16.03.1865 ; Président, 1869
LAURENT , 1993, 22-30.
Clémence ROYER
(1830-1902)
T 20.01.1870 ; H 1885
BLANCKAERT , 1982, 23-38 ; LENCLUD, 1990, i-xviii ; HARVEY, 1997 (biographie) ;
BLANCKAERT , DUCROS, 1991, 115-130 et 131-144 ; T AGUIEFF, 1998, 107-111.
Adolphe BERTILLON
(1821-1883) ; Fondateur
Président, 1873
BLANCKAERT , 1994b, 622634.
HECHT , 2003, 147-151.
Eugène DALLY
(1833-1887)
T 21.03.1861 ; Président,
1875
Gustave LE BON
(1841-1931)
T 18.07.1878 ; Démission en
1888
DUVERGER, 1988, i-iv.
T AGUIEFF, 1998, 59-90.
Paul RIVET
JANIN, 1989, 277-294.
(1876-1958)
Z ERILLI, 1998, 72-96 ; 118T 1902 ; Démission en 1910, 120 et 141-192.
puis retour
André LEFÈVRE
(1834-1904)
T 07.05.1874 ; Président, 1896
DESMET , 2001, 78-84.
HECHT , 2003, 140-142.
Th. Ernest HAMY
(1842-1908)
T 20.03.1867 ; Président,
1884
DIAS, 1988, i-iv.
Gabriel de MORTILLET
(1821-1898)
T 02.02.1865 ; Président, 1876
REINACH, 1899, 3-31.
PAUTRAT , 1993, 50-59.
GROENEN, 1994, 158-162.
PRÜNER-BEY, né Franz
Brünner (1808-1882)
T 24.05.1860 ; Président,
1865
BLANCKAERT , 1995c, 121123.
Abel HOVELACQUE
(1843-1896)
T 17.01.1867 ; Président, 1890
DESMET , SWIGGERS, 1993,
129-133.
DESMET , 2001, 65-78.
Georges VACHER de
LAPOUGE
(1854-1936)
non membre
T AGUIEFF, 1998, 91-106 et
111-143.
M ASSIN, 2001, 269-334.
HECHT , 2003, 176-210.
Jules FAUVELLE
(1830-1892)
T 04.01.1883
RICHARD, 1989, 236-240.
BLANCKAERT , 2001, 136138.
BLANCKAERT , 1995b, 60-64.
171
Revue d'Histoire des Sciences Humaines
172
Téléchargement