Escherichia coli est l’une des bactéries qui composent
la flore intestinale humaine. Eric Erbe/Wikipédia
Ces populations de bactéries très diverses sont souvent gravement perturbées par le mode de vie occidental moderne, du fait d’une alimentation
déséquilibrée surtout, mais aussi de toxiques biologiques de l’environnement et peut-être du stress psychologique. Tous ces éléments peuvent
expliquer que le système digestif et son contenu jouent un rôle important, notamment via des processus inflammatoires, dans l’apparition de maladies
neurologiques et mentales.
Moi-ventre
Mais longtemps avant d’avoir eu accès à ces connaissances nouvelles et passionnantes, les médecins et les psychiatres connaissaient l’importance
du ventre et des « tripes » dans les souffrances psychiques. On pourrait passer en revue, dans presque toutes les pathologies psychiatriques, les
signes digestifs qui en sont plus ou moins caractéristiques. Nous nous contenterons ici d’insister sur les plus importantes et les plus insolites.
À l’instar du , il existe un moi-ventre, reflet à la fois de notre identité et de notre vie émotionnelle. Onmoi-peau décrit par les psychanalystes (Anzieu)
peut se représenter le système digestif comme une gigantesque peau internalisée, qui partage d’ailleurs beaucoup de similarités embryonnaires avec
le revêtement cutané (épithélium), mais avec une surface de contact beaucoup plus étendu et une fonctionnalité beaucoup plus riche et complexe.
Pas étonnant alors que les intestins occupent encore plus, et plus douloureusement parfois, notre espace psychique que le derme, même s’ils sont
(en général) moins visibles pour autrui.
Sueur aux tripes
Les premiers coupables potentiels dans les souffrances du ventre (ou « bidalgies » pour certains) sont les émotions. On pense bien sûr surtout à la
peur et à ses divers avatars, anxiété, angoisses, phobies et terreurs diverses, celles qui prennent les tripes sous forme de douleur intense, sensation
de torsion et répercussions diverses sur le transit intestinal. Il peut s’agir de signes très intenses et violents, lors d’une crise d’angoisse ou d’une
attaque de panique, mais aussi de douleurs plus lancinantes et durables que l’on attribue souvent au stress ou à une anxiété chronique (les fameux
troubles psychosomatiques).
Preuve que tout cela n’est pas que « dans la tête », le stress intense peut provoquer des ulcères de l’estomac, que l’on se fait fort de prévenir par
exemple dans les services de réanimation en prescrivant des pansements gastriques aux malades hospitalisés sur des temps longs avec des soins
invasifs. Le stress et l’anxiété jouent un rôle aussi important dans l’expression des très fréquentes colites spasmodiques (dites aussi colopathie
fonctionnelle ou ), qui se manifestent par des douleurs abdominales répétées accompagnées de troubles du transit. Lesyndrome du « colon irritable »
mot irritable en dit long sur la symbolique émotionnelle et relationnelle attribuée à cet organe.
D’autres émotions s’expriment aussi par le ventre : le dégoût peut donner envie de vomir, la tristesse et la mélancolie peuvent engendrer de la
constipation (c’est le cas souvent dans les véritables dépressions), et beaucoup d’émotions fortes coupent l’appétit. Les liens entre tube digestif et
émotions, et plus globalement les styles de personnalité, sont tellement classiques qu’on parle couramment du tempérament constipé d’une personne,
ce qui en général n’est pas un compliment. Plus rarement, certains états dépressifs se manifestent par des douleurs extrêmement fortes et réfractaires
de la bouche et notamment de la langue ( ).glossodynie
Apopathodiaphulatophobie
D’autres pathologies psychiques comportent un excès de préoccupation pour le système digestif. Beaucoup de formes d’hypocondrie, avec ou sans
dépression, conduisent à une focalisation obsédante sur le bon fonctionnement de cet organe, et surtout du transit quotidien. La phobie de la
constipation ( , incasable au Scrabble) est un grand classique de la médecine des personnes âgées, mais pas uniquement,apopathodiaphulatophobie
et se traduit par une surveillance continue du nombre, de la quantité et de la qualité des selles, avec des demandes répétées de solutions
thérapeutiques diverses en cas de besoin (ou justement non…).
En psychiatrie, nous connaissons le qui est un signe de dépression très grave dans lequel les malades sont convaincus que leurssyndrome de Cotard
organes, et notamment leur système digestif, ne fonctionnent plus du tout, sont détruits, pourris, ont totalement disparu. Il faut alors intervenir très vite
car ce symptôme témoigne d’une souffrance intense qui s’accompagne fréquemment de conduites suicidaires.