S Éditorial Des signes cliniques et des images Pr Y. Pouliquen

Images en Ophtalmologie
Vol. IV
n° 1
janvier-février-mars 2010
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Éditorial
Des signes cliniques et des images
Pr Y. Pouliquen
de lAcadémie française
Sous le titre si précis
de cette revue qui offre
à l’image une présence
dominante en notre discipline,
celle qui me convie en son
éditorial, serait-il incongru, pour
l’ophtalmologiste du XXesiècle
que je fus, d’en commenter
l’intrusion si prégnante en notre
discipline et pourquoi pas, à côté
des avantages insignes qu’elle
porte en sa diversité et sa qualité,
les nuances dont elle teinte notre
pratique médicale ?
L’image est un cadeau pour l’œil et nous
sommes particulièrement bien placés
pour le savoir. Voir, c’est admettre sans
conteste possible la réalité d’une situa-
tion. En matière de pathologie, substituer
à l’hypotse la réalité d’une image, c’est
donner à la vérité son incontestable légi-
timité et aux déductions cliniques et
thérapeutiques qui découlent de son
analyse une valeur sans pareille. En
science ou par nature, le discours est
abstrait, la métaphore constitue souvent
une étape du raisonnement à partir de
laquelle l’image qu’elle suggère d’un
état, d’une situation en permet une dif-
fusion pédagogique aisée. Elle peut
même, par la simplicité du concept
formel qu’elle porte, entraîner la pene
vers d’autres horizons prometteurs. Pour
nos prédécesseurs, appartiendraient-ils
me à lAntiquité, l’œil malade fut tou-
jours accessible à leur propre vision, tout
comme la peau et les signes que tous
deux, contrairement aux organes
internes, offraient aisément au regard.
Mais on peut imaginer combien ils
eussent été heureux d’en savoir davan-
tage sur ce qui se passait derrière cette
pupille, au travers de laquelle il ne leur
était pas permis de passer. Certes, la
science arabe et les anatomistes qui sui-
virent portèrent à la connaissance des
oculistes d’alors lagencement des struc-
tures qui composaient cet œil qu’ils pré-
tendaient soigner, mais n’est-il pas
troublant de constater que ce ne fut qu’en
1705 que l’on sut attribuer au cristallin
la responsabilité de la cataracte ? Il fallut
attendre le XIX
e
siècle pour qu’enfin on
pût, grâce à Helmholtz, examiner avec
quelque précision la rétine et donner à
ce “fond d’œilune valeur iologique
précise. L’invention de la lampe à fente
allait permettre d’explorer plus précisé-
ment les segments antérieurs et de
s’aventurer jusqu’aux premres couches
du vitré. Ce qui n’était jusqu’alors
qu’hypo thèses devint, grâce à ces inven-
tions, certitudes, et les images normales
ou pathologiques ouvrirent pour les des-
sinateurs –qu’ils fussent ophtalmolo-
gistes ou non– l’occa sion de consigner
dans de superbes ouvrages ce que leur
propre œil avait pu remarquer. On alla
jusqu’à mouler dans la porcelaine ces
représentations pathologiques, qui
constituèrent les remarquables collec-
tions de vitrines comme il en existait
encore en nos hôpitaux au début du
XX
e
siècle. J’en déposais un magnifique
exemplaire que possédait encore l’Hôtel-
Dieu, lorsque j’y exerçais au musée de la
Médecine de Paris (rue de l’École-de-
Médecine). Il faut bien dire que l’on en
resta longtemps et que, si l’on excepte
la radiologie, qui profita à notre discipline
comme aux autres, ce n’est qu’après la
fin de la Seconde Guerre mondiale que
naquit notre ère, celle de l’imagerie
dicale. Mais avant que l’on en analyse
les étonnantes retombées, j’aimerais
Images en Ophtalmologie
Vol. IV
n° 1
janvier-février-mars 2010
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Éditorial
revenir sur ce temps où l’ophtalmolo-
giste ne disposait que de rares images,
ce temps de la séméiologie, cette
science des signes que l’on était obligé
de posséder si l’on voulait avoir
quelque chance de faire d’heureux dia-
gnostics. Elle nous transformait en fins
limiers, traqueurs des moindres symp-
tômes dont la somme nous orientait
vers une probable vérité que ne cou-
ronneraient que le succès d’un traite-
ment approprié ou les preuves
anatomiques d’une nécropsie de
routine. Elle avait de vrais avantages
car elle procédait d’un long contact
avec le malade, dun examen rigoureux
dont les conclusions étaient souvent
d’une grande précision. Cette méio-
logie, par le jeu qu’elle sous-tendait,
les compétitions qu’elle suscitait, liait
les decins entre eux et donnait lieu
à ces fameuses présentations qui firent
la gloire des grands services de nos
pitaux. Il n’est bien r pas question
de regretter qu’il n’en soit plus ainsi,
ni même de penser que sormais les
immenses progrès dont ficia notre
discipline pendant les quarante der-
nières années et dans lesquels la part
de l’imagerie devint dominante aient
supprimé ces utiles confrontations
dicales ; mais ils en ont indiscuta-
blement changé la nature. Comment,
en effet, résister à l’intérêt d’une image
en trois dimensions d’un cerveau,
dune tine, à la couverte par
l’image de ce que peut être une coupe
histologique vivante d’un tissu qu’au-
trefois on n’analysait que fixé après son
prélèvement, forcément agressif ?
Comment nier l’intérêt des images
dynamiques d’un angle iridocornéen
que l’on suppose trop étroit ? Comment
ne pas s’extasier devant l’IRM fonction-
nelle, qui révèle à nos yeux les mys-
tères que comportent la perception
visuelle, voire la conscience de celle-
ci ? Comment ne pas penser à l’éton-
nement de notre maître, GuyOffret, qui
savait si bien nous montrer pourquoi
il portait tel diagnostic de tumeur orbi-
taire plutôt qu’un autre, s’il avait entre
les mains les images que l’on en tire
aujourd’hui ? Les images sont deve-
nues l’élément majeur du diagnostic et
confirment ou inrment à l’évidence les
apports séméiologiques. N’y aurait-il
pas alors cette tentation de sauter à
pieds joints par-dessus ce trop long
préambule qu’est la complainte du
malade, l’examen de cet œil dont on
saura bientôt les malheurs et de se
précipiter vers ces appareils qui non
seulement fabriquent l’image, mais
révèlent lexacte lésion ? Mais n’en sim-
plifions-nous pas dangereusement
notre capacité de raisonner ? En un
mot, en jetant la séméiologie aux
orties ? J’aurais parfois tendance à le
penser. Quoique tout à fait du siècle
précédent, comme je le disais –qui ne
se termina cependant qu’il y a dixans,
j’exerce encore, et avec plaisir, et il
m’arrive de constater que, malgré une
longue liste d’examens complémen-
taires farcis d’images, le diagnostic
retenu par un confrère fort attentif n’a
pourtant pas trouvé sa vérité, celle que
quelques questions bien posées, un
regard plus attentif auraient révélée
sans trop d’effort ! Je m’étonne parfois
qu’un diagnostic évident au premier
regard, à la première question, ait
motivé autant de passages derrre ces
merveilleuses machines à images,
toutes belles en vérité mais en ce cas
inutiles. Certes, le principe de précau-
tion ne quitte plus l’esprit de nos
confrères quand on sait que leurs
patients avides d’informations cueillies
sur Internet les accablent de questions
plus ou moins déstabilisantes ! De
me que l’arrière-pensée qui sor-
mais fait pour eux de la possible erreur
diagnostique une source de revenus
probable avec laide de la justice ? C’est
dire que l’on peut comprendre leur
goût de ces images, qui, dans un
dossier, peuvent un jour les protéger.
C’est dans “la nature des choses”
comme l’on dit. Toutefois, je terminerai
ce long propos par cette petite anec-
dote. Un jour, l’un de mes compagnons
d’équitation, l’un de ceux qui m’accom-
pagnaient dans mes longues et déli-
cieuses promenades en forêt, me
demanda de l’orienter vers un spécia-
liste de notre discipline, auquel je le
recommande chaleureusement, ayant
en ce dernier une confiance totale et
justifiée. Quelques semaines plus tard,
m’étonnant de son silence et l’interro-
geant sur les résultats de sa démarche,
je sollicitais de lui qu’il confirme l’es-
time que je portais à l’élève auquel je
l’avais recomman, tout en rappelant
combien j’étais sensible moi-même à
ses fons, à son talent. Quelle ne fut
pas ma surprise quand mon cavalier
me répondit qu’il n’avait guère d’avis
sur sa personne, car
“il ne l’avait pas
bien vu”. Je suis pas,
dit-il,
derrière
plusieurs coupoles, il en est sorti des
tas d’images superbes dans lesquelles
il a plongé son regard avant de
retrouver son ordinateur. De tous ces
instants, qui furent pourtant longs, je
ne garde que le souvenir de ces pas-
sages derrière des instruments et la
moire de leur éblouissement, mais,
de cet homme entrevu seulement un
court instant, je ne puis rien te dire, je
ne l’ai pas vu
.
Son verdict était pour-
tant d’une grande valeur, mais, derrière
les images synthétiques instrumen-
tales, celle du médecin, celle de son
regard, de son esprit s’étaient effacées.
Ce fut pour moi lobjet d’une ditation
morose durant tout le temps pendant
lequel mon cheval me ramena à
l’écurie. De toutes les images, celle du
médecin (riche de toutes celles qu’il
peut collationner), avec tout ce qu’elle
exprime d’attention, de générosité,
d’engagement, ne devrait-elle pas, en
n de compte, rester la principale dans
le souvenir du patient ?
II
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