Sous la direction de Olivier Compagnon et Marie Laure Geoffray Introduction La fin de l’euphorie Olivier Compagnon et Marie Laure Geoffray Cuba Reconfiguration des relations avec les États-Unis Amérique latine Marie Laure Geoffray Bolivie La réélection d’Evo Morales Hervé do Alto Salvador Les élections de 2014 et 2015 David Garibay Nicaragua Le projet de canal interocéanique Kevin Parthenay Amérique latine 2015-2016 2015 - 2016 2 0 1 5 - 2 0 1 6 Amérique latine Mondes émergents Amérique latine Fin d’un cycle de croissance Vera Chiodi et Carlos Winograd Chronologie L’Amérique latine en 2014 Sous la direction de Olivier Compagnon et Marie Laure Geoffray Juliette Dumont Diffusion Direction de l’information légale et administrative La documentation Française Téléphone : 01 40 15 70 10 www.ladocumentationfrancaise.fr Imprimé en France Directeur de la publication : Bertrand Munch DF : 1ME39020 ISBN : 978-2-11-009915-0 Prix : 19,50 € 9:HSMBLA=U^^VZU: dF La documentation Française Amérique latine Édition 2015-2016 Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 1 02/03/2016 16:27:27 Annuaires parus chez le même éditeur • Afrique du Nord–Moyen-Orient Afrique du Nord–Moyen-Orient. Édition 2015-2016 Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff (dir.), coll. « Mondes émergents », 2015 L’échec du rêve démocratique. Édition 2014-2015 Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff (dir.), coll. « Mondes émergents », 2014 La double recomposition. Édition 2013-2014 Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff (dir.), coll. « Mondes émergents », 2013 Printemps arabe : trajectoires variées, incertitudes persistantes. Édition 2012-2013 Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff (dir.), coll. « Mondes émergents », 2012 Révolutions civiques, bouleversements politiques, ruptures stratégiques. Édition 2011-2012 Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff (dir.), coll. « Mondes émergents », 2011 Entre recompositions et stagnation. Édition 2010-2011 Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff (dir.), coll. « Mondes émergents », 2010 Vers une nouvelle donne ? Édition 2009 Frédéric Charillon (dir.), coll. « Mondes émergents », 2009 • Amérique latine Amérique latine. Édition 2014-2015 Sébastien Velut (dir.), coll. « Mondes émergents », 2014 2012, année charnière. Édition 2013 Georges Couffignal (dir.), coll. « Mondes émergents », 2013 Une Amérique latine toujours étonnante. Édition 2012 Georges Couffignal (dir.), coll. « Mondes émergents », 2012 L’Amérique latine est bien partie. Édition 2011 Georges Couffignal (dir.), coll. « Mondes émergents », 2011 Une Amérique latine toujours plus diverse. Édition 2010 Georges Couffignal (dir.), coll. « Mondes émergents », 2010 La nouvelle donne politique et économique. Édition 2009 Georges Couffignal (dir.), coll. « Mondes émergents », 2009 • Asie Asie. Édition 2015-2016 Jean-Luc Racine (dir.), coll. « Mondes émergents », 2015 Asie. Édition 2014-2015 Jean-Luc Racine (dir.), coll. « Mondes émergents », 2014 Asie. Édition 2013-2014 Jean-Luc Racine (dir.), coll. « Mondes émergents », 2013 Une Asie toujours plus centrale. Édition 2012-2013 Sophie Boisseau du Rocher (dir.), coll. « Mondes émergents », 2012 Catastrophes naturelles, dynamisme socio-économique et questionnements politiques. Édition 2011-2012 Sophie Boisseau du Rocher (dir.), coll. « Mondes émergents », 2011 Forces et incertitudes de la locomotive du monde. Édition 2010-2011 Sophie Boisseau du Rocher (dir.), coll. « Mondes émergents », 2010 Crise économique, incertitudes politiques. Édition 2009 Sophie Boisseau du Rocher (dir.), coll. « Mondes émergents », 2009 Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 2 02/03/2016 16:27:27 Amérique latine Édition 2015-2016 Sous la direction de Olivier Compagnon et Marie Laure Geoffray La Documentation française, 2016 Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 3 02/03/2016 16:27:27 Collection dirigée par Frédéric Seigneur © Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2016 ISBN : 9782110099150 DF : 1ME39020 Les opinions exprimées dans cet ouvrage n’engagent que leurs auteurs. « Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle, de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Il est rappelé également que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuit s du livre ». Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 4 02/03/2016 16:27:27 Amérique latine Édition 2015-2016 sous la direction de Olivier Compagnon et Marie Laure Geoffray Ont collaboré à cet ouvrage : Vera Chiodi Maîtresse de conférences à l’Université Sorbonne-Nouvelle, Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL) Olivier Compagnon Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3, directeur de l’IHEAL et membre du Centre de recherche et de documentation des Amériques (Creda), UMR 7227 Hervé do Alto Doctorant en science politique à l’Université Paris-Ouest-Nanterre Juliette Dumont Docteure en histoire à l’IHEAL Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3, chercheure rattachée au Centre de recherche et de documentation des Amériques (Creda) (UMR 7227) David Garibay Professeur des universités en science politique à l’Université Lumière Lyon 2, Triangle Marie Laure Geoffray Maîtresse de conférences en science politique à l’Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3, IHEAL et membre du Creda, UMR 7227 Kevin Parthenay Docteur associé au Centre de recherches internationales (Ceri), enseignant à Sciences Po, responsable pédagogique du campus euro-latino-américain de Sciences Po (Poitiers) et membre de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (Opalc) Carlos Winograd Chercheur et professeur à l’École d’économie de Paris, ancien secrétaire d’État à la Concurrence, à la Régulation et aux Consommateurs d’Argentine Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 5 02/03/2016 16:27:27 Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 6 02/03/2016 16:27:27 Sommaire Amérique latine : la fin de l’euphorie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Olivier Compagnon Marie Laure Geoffray « Todos somos Americanos » : les nouvelles relations Cuba–États-Unis. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .19 Marie Laure Geoffray Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 Hervé do Alto Les élections de 2014 et 2015 au Salvador : polarisation partisane, nouveaux comportements électoraux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 David Garibay Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 Kevin Parthenay L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 Vera Chiodi Carlos Winograd Amérique latine : 1er janvier 2014-31 décembre 2014. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 Juliette Dumont Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 7 02/03/2016 16:27:27 Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 8 02/03/2016 16:27:27 Amérique latine : la fin de l’euphorie ❮ 9 Amérique latine : la fin de l’euphorie O L I V I E R C O M PA G N O N Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3, directeur de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL) et membre du Centre de recherche et de documentation des Amériques (Creda), UMR 7227 M A R I E L A U R E G E O F F R AY Maîtresse de conférences en science politique à l’Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3, Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL) et membre du Centre de recherche et de documentation des Amériques (Creda), UMR 7227 Entre le milieu des années 2000 et le début des années 2010, un vent d’optimisme a soufflé parmi les observateurs et les commentateurs de l’actualité latino-américaine. En dépit de conjonctures nationales différenciées invitant à ne pas penser la région comme un bloc homogène, la croissance économique globale, le niveau d’endettement relativement faible et la réelle capacité de résistance face à la crise financière de 2008 furent interprétés comme les signes d’une bonne santé recouvrée, voire d’un avenir radieux, après les « décennies perdues des années 1980 et 1990 », liées à la crise de la dette et au choc des ajustements structurels imposés notamment par le Fonds monétaire international (FMI). Dans le contexte du basculement à gauche de nombreux gouvernements à partir du tournant du xxie siècle, la redistribution d’une partie des fruits de cette croissance aux secteurs les plus défavorisés des sociétés permit de réduire presque partout les taux de pauvreté et d’extrême pauvreté d’année en année, voire de commencer à résorber la très inégale distribution des revenus telle que mesurée par l’indice de Gini. Politiquement, de nombreux indices paraissaient converger vers un diagnostic, une consolidation ou un approfondissement de la démocratie – depuis l’alternance chilienne de 2010 portant au palais de la Moneda le libéral Sebastián Piñera après vingt ans de gouvernement de la Concertation 1 jusqu’à l’ouverture de l’espace politique mexicain entamée en 2000 après sept décennies d’hégémonie du Parti révolutionnaire institutionnel. En termes de relations internationales, l’émancipation conduisant la région à quitter la matrice états-unienne, qui avait déterminé une large part des politiques extérieures et des relations diplomatiques depuis la fin 1 . Voir Georges Couffignal et Sébastien Velut, « Le Chili déconcerté », Cahiers des Amériques latines, no 68, 2011/3, p. 23-141. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 9 02/03/2016 16:27:27 10 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 du xixe siècle, consécutive à l’effondrement de l’Union soviétique et au redéploiement de la diplomatie de Washington vers le Moyen-Orient, au début des années 1990, avait ouvert la voie au multilatéralisme, au développement de relations Sud-Sud et à une présence jusque-là inédite dans l’ordre mondial 2. Si l’on ajoute à ce tableau le fait que la plupart des pays de la région semblaient alors décidés à solder les comptes de leur passé autoritaire, si l’on songe aux innombrables procès intentés contre les bourreaux des années de plomb dans l’Argentine de Nestor et Cristina Kirchner, à l’inauguration du Museo de la Memoria y los Derechos Humanos à Santiago du Chili en janvier 2010 ou à l’installation de la Comissão Nacional da Verdade 3 au Brésil en mai 2012, l’Amérique latine pouvait aisément « apparaître comme la région des grands espoirs à la fin de l’année 2012 » 4. Croissance en berne et déclin des pratiques redistributives Toutefois, les temps ont manifestement changé en l’espace de quelques années puisque la croissance moyenne de la région latino-américaine, supérieure à 5 % au tournant des années 2000 et 2010, sera sans doute de 1 % – dans le meilleur des cas – pour l’année 2015. La première matrice des transformations actuelles réside, comme le montrent Vera Chiodi et Carlos Winograd dans ce volume (p. 87), dans la baisse continue du cours des matières premières sur les marchés mondiaux, associée au ralentissement de la croissance chinoise, qui avait considérablement stimulé les exportations latino-américaines depuis une décennie. Véritable soubassement de l’économie vénézuélienne depuis les années 1920, le pétrole – qui représente plus de 95 % des recettes d’exportation – tend ainsi vers le seuil des 40 dollars par baril dans la seconde moitié de l’année 2015 alors qu’il culminait aux alentours de 100 dollars au début de l’année 2012, expliquant ainsi le déclin du produit intérieur brut (- 5,5 % entre 2012 et 2014), une croissance négative, de - 4 % en 2014, et un risque de plus en plus élevé de défaut de paiement. De son côté, le Brésil, premier exportateur mondial de sucre, a souffert d’une baisse des cours de ce produit d’environ 25 % entre septembre 2014 et 2 . Sur ce point, voir G. Couffignal, « L’Amérique latine sur la scène internationale », in Pierre Hassner (dir.), Les relations internationales, coll. « Les Notices », Paris, La Documentation française, 2012, 2e éd., p. 283-296. 3 . Créée pour enquêter sur les crimes commis sous le régime militaire (1964-1985). 4 . Pour reprendre la formule d’Alain Delétroz, vice-président de l’International Crisis Group, dans un texte intitulé « L’Amérique latine, une bouffée d’optimisme » publié le 21 décembre 2012 (http://www.crisisgroup.org/fr/regions/amerique-latine-caraibe/op-eds/deletroz-ameriquelatine-bouffee-optimisme.aspx, consulté le 2 novembre 2015). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 10 02/03/2016 16:27:27 Amérique latine : la fin de l’euphorie ❮ 11 septembre 2015 – dans une conjoncture plus généralement baissière depuis le début de l’année 2011. Historiquement dépendante de ses exportations de matières premières comme l’avait démontré en son temps la brutalité de la crise de 1929 5, la région latino-américaine le demeure au milieu des années 2010, d’autant que de nombreux pays ont connu depuis une décennie une tendance certaine à la reprimarisation de leur économie. Si le Mexique, le Panamá, la Colombie ou la Bolivie parviennent à conserver un taux de croissance relativement plus élevé en raison de leurs relations commerciales privilégiées avec les États-Unis ou d’une plus grande diversité de leurs produits d’exportation, la tendance régionale est bel et bien marquée par une nette décrue de la croissance – voire, dans certains cas, par une véritable récession. Ce ralentissement économique a d’importantes conséquences en termes de finances publiques puisque toute l’Amérique latine, à des degrés divers, est de nouveau confrontée à une dynamique de creusement des déficits budgétaires. Outre l’effet négatif que cela induit sur les investissements étrangers et le possible retour du spectre de l’endettement à moyenne échéance, c’est surtout la capacité des États à redistribuer les recettes tirées des exportations et à continuer à résorber la pauvreté qui est mise à mal. Au Venezuela où les taux de pauvreté et d’extrême pauvreté étaient respectivement passés de 42,8 % et 16,6 % de la population totale au premier semestre 1999 à 26,5 % et 7 % au deuxième semestre 2012, les chiffres du second semestre 2013 – 27,3 % et 8,8 % – attestent un retournement de tendance 6 que ne dément pas l’évolution récente du coefficient de Gini (0,5 en 2000 et 0,394 en 2010, mais 0,405 en 2012 et 0,448 en 2013) 7. On observe dans ce cas précis une corrélation évidente entre le niveau des revenus de la rente pétrolière et la possibilité de déployer des programmes de redistribution, autrement dit une solution de continuité dans les politiques publiques de lutte contre la pauvreté et les inégalités, de nature surtout assistancielle et dépourvues d’une véritable durabilité, faute d’investissements de long terme dans la diversification de la production économique du pays et de réformes fiscales susceptibles de déprendre les finances publiques des variations du cours des matières premières. Il en va de même au Brésil où la profonde crise politique que doit affronter la présidente Dilma Rousseff depuis 2013 trouve une partie de ses racines dans les coupes drastiques – imposées par la récession économique – effectuées dans les nombreux programmes sociaux qui avaient assuré l’immense popularité de l’ancien président Lula dans les années 2000 et permis de réduire la pauvreté. Il reste à savoir si cette fragilisation régionale 5 . Voir Paulo Drinot et Alan Knight (dir.), The Great Depression in Latin America, Durham, Duke University Press, 2014. 6 . D’après les chiffres de l’Instituto Nacional de Estadística de Venezuela (www.ine.gov.ve). 7 . D’après les chiffres du Programme des Nations unies pour le développement (www.undp.org). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 11 02/03/2016 16:27:27 12 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 va encore gagner du terrain dans les mois qui viennent, par exemple en Bolivie où, comme le montre Hervé do Alto dans ce volume (p. 35), la réélection triomphale d’Evo Morales en octobre 2014 a largement reposé sur la bonne santé économique du pays et sur le succès des politiques redistributives et infrastructurelles lancées depuis la nationalisation des hydrocarbures, décidée en mai 2006. Un changement de conjoncture politique ? Si le « virage à gauche » de l’Amérique latine dans les années 2000 est né de la contestation croissante des politiques d’ajustement structurel menées dans les années 1980 et 1990, mais a aussi conquis une partie de sa légitimité dans sa capacité à redistribuer les richesses dans un contexte de forte croissance 8, on peut légitimement se demander si le ralentissement de cette dernière va induire une inversion des tendances politiques que l’on a pu observer depuis une quinzaine d’années. Le large soutien des classes les plus défavorisées et des classes moyennes dont bénéficiait le Parti des travailleurs (PT) brésilien depuis la première élection de Lula, en 2002, déjà érodé en 2014, lors de la réélection de D. Rousseff, qui n’avait attiré que 51,64 % des suffrages exprimés, semble avoir fait long feu au milieu de l’année 2015, alors que, selon plusieurs sondages, l’actuel gouvernement ne bénéficie plus que de 10 à 20 % d’opinions favorables. La réduction des transferts sociaux ne constitue toutefois pas, dans ce cas, le seul facteur d’explication de cette perte de légitimité : la révélation d’immenses scandales de corruption impliquant des cadres du PT aux divers échelons de l’État fédéral, des États fédérés et des municipalités a également joué un rôle majeur dans la désaffection de l’opinion et le retour sur le devant de la scène d’une opposition virulente réclamant la mise en place d’une procédure d’impeachment, et qui obtient gain de cause, puisque celle-ci a été déclenchée le 2 décembre dernier. Plus généralement et à quelques exceptions près comme en Uruguay, la corruption demeure un véritable fléau régional, en raison de la faiblesse historique d’États, souvent incapables de mettre en place des structures efficaces de contrôle des finances publiques, et elle constitue un mode de fonctionnement du politique parmi d’autres. On peut par exemple observer cette évolution au Guatemala, où des détournements de fonds massifs ont marqué le mandat d’Otto Pérez Molina, interrompu par la démission de ce dernier entre janvier 2012 et septembre 2015, et où 8 . Pour une synthèse sur cette conjoncture, voir Olivier Dabène (dir.), La gauche en Amérique latine, Paris, Presses de Sciences Po, 2012 ; ainsi que Gustavo A. Flores-Macías, After Neoliberalism ? The Left and Economic Reforms in Latin America, New York, Oxford University Press, 2012. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 12 02/03/2016 16:27:27 Amérique latine : la fin de l’euphorie ❮ 13 la crise de la représentation politique qui s’en est suivie a conduit à l’élection, au second tour du scrutin présidentiel d’octobre 2015, de l’acteur comique Jimmy Morales – archétype de l’outsider dépourvu d’une réelle expérience de la politique et ayant conquis sa notoriété dans les arènes télévisuelles du divertissement. Dans son article consacré au Nicaragua et au projet de nouveau canal interocéanique, Kevin Parthenay (p. 69) met également en exergue les multiples pratiques népotiques qui ont cours dans ce pays et qui contribuent à une fragilisation des institutions. Malgré les nombreux procès faits aux anciens dirigeants des régimes autoritaires et la mise en place de politiques de mémoire des dictatures, les violations des droits humains demeurent constantes dans le sous-continent. Les ONG font notamment état d’un usage disproportionné de la force par la police lors de manifestations en Équateur et au Pérou 9, de conditions de détentions inhumaines au Brésil 10, des assassinats particulièrement fréquents de journalistes dans ce même pays, au Honduras, au Mexique et en Colombie 11 (le taux d’homicides de la région est l’un des plus élevés au monde 12). Dans le cas du Mexique, les atteintes récurrentes aux droits humains et l’incapacité de l’État à rendre la justice ont connu un paroxysme avec la disparition, en septembre 2014, de quarante-trois étudiants (très certainement assassinés) de l’école normale Isidoro Burgos d’Ayotzinapa, près d’Iguala, dans l’État de Guerrero. L’impunité presque totale dont jouissent les auteurs et les commanditaires d’assassinats dans de nombreux pays de la région vient ternir l’image d’un sous-continent dont les politistes louaient la consolidation démocratique depuis une dizaine d’années. La prégnance de ces violences multiformes et séculaires au cœur des sociétés latino-américaines, contre laquelle les gouvernements peinent à mettre en œuvre des politiques efficaces et durables comme en témoigne le cas du Salvador – analysé par David Garibay (p. 55) – où le taux d’homicides est reparti à la hausse en 2014 après quelques années de diminution, contribue en effet à une fragilisation des gouvernements au pouvoir et à une crise 9 . Voir les rapports d’Human Rights Watch, “Peru, Police open fire on protesters”, 6 octobre 2015 (https://www.hrw.org/news/2015/10/06/peru-police-open-fire-protesters) et Ecuador, Crackdown on protesters, 10 novembre 2015 (https://www.hrw.org/news/2015/11/10/ ecuador-crackdown-protesters, consultés le 11 décembre 2015). 10 . “The state let evil take over”, Human Rights Watch, 19 octobre 2015 (https://www.hrw. org/node/281914, consulté le 11 décembre 2015). 11 . « Infographie. Les pays les plus meurtriers en Amérique latine pour les journalistes », Reporters sans frontières, 30 septembre 2014 (http://fr.rsf.org/ameriques-infographiepays-les-plus-30-09-2014,47027.html, consulté le 11 décembre 2015). 12 . 14 des 20 pays les plus dangereux du monde (en termes de taux d’homicides) sont situés en Amérique latine, qui concentre 8 % de la population mondiale mais 33 % des homicides commis dans le monde. Voir l’infographie de l’Institut de recherche brésilien Igarapé (http:// www.igarape.org.br/pt-br/observatorio-de-homicidios/, consulté le 11 décembre 2015). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 13 02/03/2016 16:27:27 14 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 de la représentation politique 13. De nouveaux travaux soulignent cette permanence ou ce retour de pratiques autoritaires héritées du passé – ce dont témoigne d’ailleurs le déclin de l’indice de développement démocratique, élaboré par la Fondation Konrad Adenauer et l’équipe de consulting politique PoliLat, en 2013 et en 2014 14. L’émergence de problèmes économiques nouveaux (crise ou stagnation économique et remise en question des politiques redistributives) ainsi que la prégnance de maux anciens (corruption, violations des droits humains, violences) ont récemment mené à la défaite électorale de gouvernements de gauche. Certes, des présidents en exercice disposent toujours d’une forte légitimité politique (comme Daniel Ortega au Nicaragua, E. Morales en Bolivie ou Rafael Correa en Équateur) et d’autres ont été récemment élus comme Tabaré Vásquez, candidat du Frente Amplio en Uruguay. Cependant, plusieurs consultations électorales récentes tendent à montrer que le temps des gauches triomphantes est révolu. En Argentine, la victoire du candidat de centre droit Mauricio Macri lors du second tour de l’élection présidentielle argentine, le 22 novembre 2015, associée à la perte du gouvernement de la province de Buenos Aires par les péronistes un mois plus tôt, clôt le cycle politique kirchnériste inauguré en 2003 et laisse présager un retour à une certaine orthodoxie libérale. Au Venezuela, le Partido Socialista Unido de Venezuela enregistre une lourde défaite lors des élections législatives du 6 décembre 2015 et perd, pour la première fois depuis l’accession du défunt Hugo Chávez au pouvoir en 1999, la majorité à l’Assemblée nationale. Sans doute les gouvernements de Cristina Kirchner et de Nicolás Maduro payent-ils le prix d’une conjoncture économique défavorable, mais aussi celui de la lassitude qu’éprouvent de larges secteurs de la société vis-à-vis de dérives autoritaires qu’incarnent par exemple, au Venezuela, la mise en place de l’état d’urgence dans deux provinces gouvernées par l’opposition et la lourde peine de prison infligée à l’opposant Leopoldo López en septembre 2015 au terme d’un procès dénoncé et considéré comme inique par de nombreux observateurs. 13 . Sur le lien entre politiques économiques, redistribution sociale et stratégies de lutte contre la violence, voir William Asher, Natalia Mirovitskaya (éd.), Economic Development Strategies and the Evolution of Violence in Latin America, New York, Palgrave Macmillan, 2012. 14 . Indice de desarrollo democratico de América Latina 2014, Konrad Ademanuer Stiftung/ PoliLat, Montevideo/Buenos Aires, 2014 (http://www.idd-lat.org/2014/downloads/idd-lat2014.pdf, consulté le 7 novembre 2015). Cet indice prend en compte la légalité du régime démocratique, le respect des droits politiques et des libertés civiles, la qualité institutionnelle et l’efficacité politique, les capacités à mettre en place des politiques destinées au bien-être social et des politiques efficaces d’un point de vue économique. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 14 02/03/2016 16:27:28 Amérique latine : la fin de l’euphorie ❮ 15 Enjeux internationaux Enfin, le contexte de moindre croissance économique a un impact important au-delà des cadres nationaux de l’analyse. Certes, la volonté de consolider les nombreuses institutions d’intégration régionale – que celles-ci aient une simple vocation économique ou ambitionnent également de se développer sur le terrain politique – demeure à l’ordre du jour comme l’a montré, par exemple, l’inauguration en grande pompe et en présence de nombreux chefs d’État du siège permanent de l’Union des nations d’Amérique du Sud (Unasur) à Quito en décembre 2014. Cette « grand-messe » a toutefois eu lieu peu de temps après que le gouvernement équatorien de R. Correa a renforcé les mesures protectionnistes prises à l’encontre de multiples produits péruviens et colombiens, ce qui a porté un coup supplémentaire à une Communauté andine des nations (CAN) déjà mal en point. En cette même année 2014, la célébration du vingtième anniversaire de l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) a été l’occasion de dresser un bilan contrasté, mettant l’accent sur l’explosion des échanges commerciaux et des investissements croisés entre le Mexique, les États-Unis et le Canada, mais aussi de pointer de nombreux points de blocage – au-delà même de la question migratoire – témoignant d’un processus d’intégration qui semble actuellement au point mort 15. De son côté, le Marché du Sud (Mercosur) est également confronté à une crise institutionnelle majeure qu’a notamment illustrée, en août 2015, la proposition du président du Sénat brésilien, Renán Calheiros, de mettre fin à l’union douanière afin que le Brésil puisse signer des accords bilatéraux sans dépendre de l’appui des autres membres du bloc régional. Enfin, le fait que de très nombreux pays d’Amérique latine ont signé des accords bilatéraux avec les États-Unis, conjugué à l’importance prise par la Chine dans le marché d’exportation des pays latino-américains, vient par ailleurs contredire les efforts d’intégration régionale. Ces États continuent de se concurrencer les uns les autres pour accéder à ces marchés plutôt que de travailler à la complémentarité de leurs économies respectives comme le proposait H. Chávez en créant l’Alianza Bolivariana de los Pueblos de las Américas (Alba). Si ce modèle d’intégration, plus politique que celui du Mercosur, a fêté son dixième anniversaire à La Havane en décembre 2014, c’est sur fond de crise pétrolière et de la réduction des moyens d’action. En effet, la promotion de la complémentarité économique et de la solidarité entre partenaires – fondements de ce modèle d’intégration présenté comme alternatif – s’est en réalité le plus souvent réduite à la distribution, par le 15 . Voir notamment Marc Weisbrot, Stephan Lefebvre, Joseph Sammut, Did NAFTA help Mexico ? An Assessment after 20 years, Washington, Center for Economic and Policy research, février 2014 (http://cepr.net/documents/nafta-20-years-2014-02.pdf, consulté le 14 octobre 2015). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 15 02/03/2016 16:27:28 16 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 Venezuela, de la manne pétrolière à ses alliés politiques (Cuba, Nicaragua, Bolivie, Équateur) ainsi qu’aux petits pays insulaires et économiquement dépendants de la Caraïbe. Par ailleurs, la disparition de H. Chávez en mars 2013, l’essoufflement du « virage à gauche » et le rétablissement des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis ne sont probablement pas non plus étrangers à cette dynamique de repli. En matière de politique internationale, c’est plutôt vers les relations entre la région latino-américaine et le reste du monde qu’il faut regarder pour relever les évolutions récentes les plus notables. De ce point de vue, la politique de Barack Obama marque un tournant dans les relations entre les États-Unis et le sous-continent. En premier lieu, la réforme de la politique migratoire devrait permettre à près de quatre millions de migrants illégaux, la plupart latino-américains, de régulariser leur situation sur le territoire états-unien. Cette politique constitue une certaine rupture par rapport à celle des administrations antérieures, qui pratiquaient une politique avant tout répressive (construction d’un mur à la frontière entre États-Unis et Mexique, expulsion des migrants sans papiers) dans le but de contenir les flux de population en provenance de l’Amérique latine (et avant tout d’Amérique centrale et du Mexique). Cette rupture n’est cependant que relative. D’une part, la sécurisation croissante de la frontière sud des États-Unis sous l’administration Obama a entraîné la diminution du nombre d’entrées par cette zone (comparativement à la présidence de George W. Bush 16). D’autre part, la résolution de la crise humanitaire causée par l’arrivée massive de mineurs non accompagnés à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, en 2014, n’est due qu’au fait que Washington a confié la gestion de ce dossier à Mexico. En effet, le plan Frontera Sur, mis en place par le gouvernement d’Enrique Peña Nieto, à la demande de B. Obama et grâce au financement américain, a tout à la fois pour objectif de renforcer les contrôles à la frontière sud du Mexique et d’empêcher les migrants qui arriveraient au nord du pays d’entrer sur le territoire américain 17. La seconde grande mesure prise par B. Obama envers l’Amérique latine est donc probablement la plus forte en termes à la fois politiques et symboliques. En effet, le rétablissement inattendu des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis, annoncé le 17 décembre 2014 et analysé dans ce volume par Marie Laure Geoffray (p. 19), vient enfin mettre un terme à une confrontation héritée de la Guerre froide. Ce rapprochement a des conséquences majeures à la fois pour l’île et pour l’Amérique latine. 16 . “2,5 million illegals cross border under Obama, less than Bush”, Washington Times, 20 juillet 2015, (http://www.washingtontimes.com/news/2015/jul/20/number-of-illegalslevels-off-fewer-crossing-mexic/?page=all, consulté le 11 décembre 2015). 17 . “A year after Obama declared a ‘humanitarian situation’ at the border, child migration continues”, NACLA report, 27 août 2015, (https://nacla.org/news/2015/08/27/ year-after-obama-declared-%E2%80%9Chumanitarian-situation%E2%80%9D-borderchild-migration-continues, consulté le 11 décembre 2015). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 16 02/03/2016 16:27:28 Amérique latine : la fin de l’euphorie ❮ 17 En ce qui concerne Cuba, le rétablissement des relations diplomatiques, avec la réouverture des ambassades respectives, a offert aux entrepreneurs américains la possibilité d’investir dans le pays, malgré le maintien de l’embargo mis en place en 1962. Il a également facilité la reprise de négociations bilatérales sur de nombreux sujets comme les flux migratoires, le trafic de drogue, les questions environnementales et climatiques. En ce qui concerne le sous-continent, ce rapprochement est le signe que les diplomaties latino-américaines font désormais quasiment jeu égal avec la diplomatie américaine. En effet, si aucun expert n’attendait un rapprochement aussi rapide entre les deux pays ennemis, les chefs d’État et les ministres des Affaires étrangères latino-américains avaient, depuis plusieurs années déjà, préparé le terrain à cette ouverture, notamment en demandant de manière pressante et en obtenant l’annulation de l’exclusion (prise en 1962) de Cuba de l’Organisation des États américains (OEA) en 2009, face à une administration américaine hostile, et en imposant la présence de Raúl Castro au dernier Sommet des Amériques, tenu à Panamá en 2015. Si cette introduction conclut en soulignant que 2015 marque la fin de l’euphorie en Amérique latine, il faut cependant saluer le fait que la région est désormais largement indépendante, sur les plans politique et diplomatique, de son puissant voisin du Nord, et que les différents gouvernements latino-américains disposent d’une assise de plus en plus solide dans les enceintes internationales. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 17 02/03/2016 16:27:28 18 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 L’Amérique latine Cuba Mexique République Dominicaine Honduras Guatemala Salvador Costa Rica Haïti Nicaragua Venezuela Panamá Colombie Équateur Brésil Pérou Bolivie Paraguay Chili Argentine Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 18 Uruguay 02/03/2016 16:27:28 « Todos somos Americanos » : les nouvelles relations Cuba–États-Unis ❮ 19 « Todos somos Americanos » : les nouvelles relations Cuba–États-Unis M A R I E L A U R E G E O F F R AY Maîtresse de conférences en science politique à l’Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3, Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL), et membre du Centre de recherche et de documentation des Amériques (Creda), UMR 7227 Introduction L’annonce simultanée du rétablissement des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis, faite le 17 décembre 2014 par Barack Obama et Raúl Castro et symbolisée par cette courte phrase prononcée par le président des États-Unis, « Todos somos Americanos », a pris de court tant les journalistes que les universitaires spécialistes de la politique cubaine. Les négociations se sont en effet déroulées de manière secrète, pendant près de dix-huit mois, au Canada, grâce à la médiation du pape François. Il est cependant possible d’identifier, a posteriori, des signes avant-coureurs de cette nouvelle entente entre les deux gouvernements. Le premier signe visible et largement commenté de ce rapprochement fut la poignée de main échangée entre R. Castro et B. Obama le 10 décembre 2013 lors des obsèques de Nelson Mandela en Afrique du Sud. Si le Département d’État souligna, à l’époque, l’aspect fortuit de la rencontre, les négociations entre les deux pays étaient entamées depuis près de six mois. Tout au long de l’année 2014, les signes d’un dégel s’étaient également multipliés. Des parlementaires proches des milieux agricoles aux États-Unis avaient accru leur lobbying auprès du président pour assouplir l’embargo mis en place en 1962 et ensuite renforcé (voir infra). Dans la presse, le Financial Times et surtout le New York Times avaient publié des éditoriaux qui soulignaient la nécessité, pour les États-Unis, de changer de politique vis-à-vis de Cuba 1. Enfin, les gouvernements cubain et américain 1 . “Time for US policy change on Cuba”, Financial Times, Londres, 22 février 2014 ; “Obama should end the embargo on Cuba”, New York Times, 11 octobre 2014 ; “Cuba’s impressive role on Ebola”, New York Times, 19 octobre 2014 ; “The shifting politics of Cuba policy”, New York Times, 25 octobre 2014 ; “In Cuba, misadventures in regime change”, New York Times, 9 novembre 2014 ; “Cuba’s economy at the crossroads”, New York Times, 14 décembre 2014. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 19 02/03/2016 16:27:28 20 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 s’étaient déclarés prêts à envisager un échange de prisonniers, alors que la détention du citoyen états-unien Alan Gross à Cuba d’une part, et celle de trois agents cubains (Antonio Guerrero, Ramon Labañino, Gerardo Hernandez) aux États-Unis d’autre part, constituaient une pierre d’achoppement dans les discussions bilatérales depuis plusieurs années. Au-delà de l’intérêt d’une reconstitution a posteriori, ce décryptage des premiers signes du rapprochement cubano-américain doit surtout permettre de souligner l’existence d’un processus de négociation de long terme, dont l’aboutissement ouvre une nouvelle ère dans les relations entre l’île et son grand voisin du Nord. Ce tournant est à la fois historique, car il en finit avec une diplomatie héritée de la Guerre froide, et il s’inscrit en même temps dans la continuité de politiques d’ouverture envers Cuba menées par B. Obama et des réformes promues dans l’île par R. Castro. Dans ce texte, nous analyserons d’une part les raisons de la décision prise par B. Obama (l’isolement croissant des États-Unis sur le continent américain et l’inefficacité de l’embargo en tant qu’instrument de politique extérieure) et, d’autre part, nous reviendrons sur les calculs économiques des autorités cubaines et les enjeux actuels en termes de démocratisation du gouvernement de l’île. De l’isolement de Cuba à l’isolement américain La rupture des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis, l’exclusion de Cuba de l’Organisation des États américains (OEA), puis l’embargo décrété unilatéralement par l’administration américaine contre le gouvernement révolutionnaire cubain en 1962 avaient mené à l’isolement de l’île. En effet, la quasi-totalité des États américains s’étaient, à cette époque, alignés sur la politique états-unienne, exceptés le Mexique et le Canada. Mais, depuis une dizaine d’années, la donne s’est inversée et les États-Unis se retrouvent, à leur tour, progressivement isolés en raison du maintien de cette politique obsolète dans un contexte continental considérablement transformé. Lorsque, en 1961, le gouvernement américain de John Kennedy fait le choix d’isoler Cuba du reste du continent américain, c’est pour contrer la politique d’expropriation et de nationalisation de propriétés américaines menée dans l’île durant l’été 1960. L’arrêt abrupt des importations de sucre cubain (les États-Unis étant alors le premier importateur de ce produit) met l’économie cubaine en grande difficulté et contribue à rapprocher l’île de l’URSS. Alors qu’une partie des pays latino-américains n’était pas hostile au renversement de Fulgencio Batista et à la mise en place d’un gouvernement progressiste à Cuba, ce rapprochement entraîna leur Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 20 02/03/2016 16:27:28 « Todos somos Americanos » : les nouvelles relations Cuba–États-Unis ❮ 21 alignement – parfois contraint, sur la pression des États-Unis – sur la politique extérieure américaine 2. Cette politique mena à un isolement de plusieurs décennies du gouvernement révolutionnaire cubain dans les Amériques, avant que, dans les années 1980, la situation géopolitique de Cuba s’améliore. En premier lieu, la victoire de la révolution sandiniste au Nicaragua (1979-1989) et le développement d’une guérilla au Guatemala permettent de reconstituer des alliances révolutionnaires latino-américaines (et non seulement avec des pays africains comme l’Angola ou l’Éthiopie). En second lieu, le rétablissement progressif des relations diplomatiques avec plusieurs pays du sous-continent, dans la dynamique des transitions à la démocratie, autorise la réinsertion de Cuba dans les échanges sous-continentaux. Enfin, c’est surtout l’élection de présidents de gauche inspirés par les idéaux de justice sociale et de souveraineté nationale portés par la révolution cubaine (Hugo Chávez au Venezuela en 1998, Lula da Silva au Brésil en 2002, Evo Morales en Bolivie en 2005, Rafael Correa en Équateur en 2006, etc.), qui permet la pleine réintégration de l’île dans les échanges diplomatiques, politiques et économiques en Amérique latine. Cette réinsertion de Cuba en Amérique latine est liée à une volonté croissante d’autonomisation des gouvernements de la région face aux États-Unis. Alors que l’administration américaine tente de maintenir son hégémonie sur le sous-continent, notamment en proposant, dès 1994, la création de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA ou Alca en espagnol – sur le modèle de l’Alena, accord de libre-échange conclu entre les États-Unis, le Mexique et le Canada), les pays latino-américains mettent en échec les ambitions nord-américaines 3 et lancent leurs propres dynamiques d’intégration régionale. Contre l’Alca, Cuba et le Venezuela de H. Chávez créent l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (Alba) en 2004, dont l’objectif est de nouer des liens de solidarité et de complémentarité économiques entre pays membres. Puis, sur l’impulsion de H. Chávez, Cuba participe à la création de la Communauté des États latino-américains et caribéens (Celac), en 2011. Après l’Union des nations sud-américaines (Unasur) instituée en 2008, la Celac consacre l’unité et l’autonomie retrouvée de l’Amérique latine. Non seulement cette nouvelle institution régionale intègre pleinement Cuba et lui donne, dès sa création, 2 . Pour les années 1960, voir Philip Bonsal, Cuba, Castro and the United States, Pittsburgh, University of Pittsbugh Press, 1971. Pour les relations entre Cuba et les États-Unis depuis 1959, voir William LeoGrande et Peter Kornbluh, Back channel to Cuba, The hidden Story of Negotiations between Washington and Havana, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2014. 3 . L’absence de consensus trouvé entre les États-Unis et les pays d’Amérique latine au Sommet des Amériques de 2005, organisé à Mar del Plata en Argentine, enterre définitivement le projet de la ZLEA. Les États-Unis se lancent alors dans une diplomatie économique et commerciale fondée sur des relations bilatérales avec les pays latino-américains. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 21 02/03/2016 16:27:28 22 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 une place de choix, en lui octroyant la seconde présidence tournante de l’organisation, après le Chili de Sebastián Piñera, mais elle exclut les États-Unis, le Canada ainsi que les territoires d’outre-mer français, néerlandais, danois et britanniques. Cette autonomisation croissante des gouvernements latino-américains vis-à-vis de l’hégémonie des États-Unis sur le continent, avec une insistance de plus en plus marquée sur la défense de la souveraineté nationale, tant politique qu’économique, les amena à formuler de manière de plus en plus visible leur soutien au gouvernement cubain et leur hostilité envers la politique américaine d’isolement à son encontre. Lors de l’avant-dernier sommet des Amériques, tenu à Carthagène (Colombie) en 2012, ce positionnement se fit particulièrement patent : le Canada et les États-Unis se trouvèrent marginalisés sur la plupart des dossiers traités, notamment sur la réintégration diplomatique de Cuba dans les instances régionales délibératives comme l’OEA et sur la politique américaine de gestion du problème du narcotrafic. Cette détermination des gouvernements latino-américains leur permit notamment d’imposer la levée de l’exclusion de Cuba à l’OEA en 2009 et l’invitation de R. Castro au sommet des Amériques tenu à Panamá en avril 2015. Face à la capacité des États latino-américains – malgré leurs différends politiques – de faire désormais front face aux États-Unis et devant la présence économique de plus en plus marquée de la Chine sur le sous-continent 4, les États-Unis se retrouvaient donc de plus en plus isolés par leur diplomatie obsolète, héritée de la Guerre froide. Si B. Obama avait, dès son élection en 2008, plaidé en faveur d’une nouvelle politique latino-américaine des États-Unis, il avait pourtant peu œuvré en ce sens jusqu’en 2014, avec la réforme de la politique migratoire (qui profite majoritairement aux immigrés latino-américains), et la main tendue envers Cuba. C’est pourquoi plusieurs universitaires, comme Emir Sader au Brésil ou Noam Chomsky aux États-Unis 5, estiment que cette main tendue constitue une tactique de repositionnement diplomatique des États-Unis en Amérique latine, plutôt qu’une véritable ouverture au dialogue. 4 . Carlos Quenan et al. « La présence de la Chine dans la Caraïbe », Document de travail, no 144, Agence France Développement, février 2015. 5 . « El hecho de que Washington busque abrir conversaciones diplomaticas con Cuba es un intento de no aislarse completamente de Latinoamerica », entretien de Ignacio Ramonet avec Noam Chomsky, Cronicon.net, avril 2015 ; Maria José Castro Lage, « Nunca Estados Unidos estuvo tan aislado con ahora en América latina », Cronicon.net, avril 2015. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 22 02/03/2016 16:27:28 « Todos somos Americanos » : les nouvelles relations Cuba–États-Unis ❮ 23 Un embargo inefficace et coûteux Cette tactique de repositionnement demeure cependant entravée par l’impossibilité, pour le président américain, de lever l’embargo contre Cuba sans l’aval du Congrès. En effet, une clause a été ajoutée à la loi sur l’embargo en 1996, qui exige un vote favorable des deux tiers des élus au Congrès pour l’abolir. Si B. Obama a publiquement admis l’échec de cette politique d’isolement de Cuba, nombreux sont encore les Républicains – mais aussi les Démocrates – qui souhaitent la maintenir. Et quand bien même cet embargo n’a pas entraîné un changement de régime politique dans l’île, qu’il participe à nourrir le discrédit dont pâtit Washington en Amérique latine et dans le monde et qu’il est coûteux pour les États-Unis sur le plan économique. L’embargo unilatéral imposé par l’administration américaine à Cuba est le plus long de l’histoire moderne. C’est aussi le seul embargo qui viole délibérément le droit international en instaurant des clauses d’extraterritorialité, qui contraignent de nombreuses entreprises étrangères à refuser de commercer avec Cuba sous peine de ne pouvoir le faire avec les États-Unis (lois Torricelli de 1992 et Helms-Burton de 1996). Ces clauses stipulent qu’aucun produit manufacturé dans un pays tiers comprenant des composants cubains (comme le nickel par exemple) ne peut être exporté aux États-Unis. Les banques qui opèrent à Cuba peuvent de plus se voir imposer de fortes amendes, comme cela a été le cas pour HSBC et la BNP. En outre, des parlementaires américains anticastristes font un lobbying permanent pour décourager les entreprises étrangères d’investir à Cuba. Ces dispositions sont extrêmement dissuasives et pèsent d’un poids démesuré sur l’économie de l’île 6. D’une part, le manque à gagner en termes d’investissement et de commerce est très important, d’autre part le gouvernement cubain est contraint de s’approvisionner pour ses importations sur des marchés lointains et plus onéreux. Les autorités cubaines estimaient en 2010 que, pour l’économie de l’île, le coût total cumulé de l’embargo était de 104 milliards de dollars (chiffres repris par l’ONU) depuis sa mise en place. La cruauté particulière de cet instrument de politique extérieure – qui affecte durement la population civile – et son maintien pendant plus de cinq décennies ont été utilisés comme des arguments majeurs par le gouvernement cubain pour s’assurer le soutien de nombreux mouvements sociaux et de pays du Sud, et pour obtenir la condamnation des États-Unis, à partir de 1991, lors de votes annuels sur la question à l’Assemblée générale des 6 . Rapport de Cuba, sur la résolution 65/6 de l’Assemblée générale des Nations unies, « Nécessité de lever le blocus économique, commercial et financier appliqué à Cuba par les États-Unis d’Amérique », juillet 2011. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 23 02/03/2016 16:27:28 24 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 Nations unies. Non seulement, chaque année, la quasi-totalité des États membres condamnent la politique menée par les États-Unis, mais les soutiens à l’administration américaine se sont progressivement étiolés. Seul Israël vote désormais avec les États-Unis contre la résolution qui blâme ces derniers, et quelques pays confettis comme les îles Fidji, les îles Marshall, Palau ou encore la Micronésie s’abstiennent. Si le coût de l’embargo est exorbitant pour Cuba, il est également dommageable pour les intérêts américains. Outre son inefficacité, son maintien écorne l’image des États-Unis dans le monde et il est coûteux à la fois pour l’État (264 millions de dollars ont été dépensés en vain depuis 1996 pour promouvoir une transition à la démocratie 7) et pour les entrepreneurs américains. Ceux-ci se retrouvent privés d’un marché encore relativement vierge à proximité immédiate des frontières du pays, dans une conjoncture économique mondiale peu favorable à l’expansion commerciale, alors que d’autres pays sont devenus des partenaires de premier plan pour l’île. Certes, le Trade Sanctions Reform and Export Enhancement Act adopté sous l’administration Clinton en 2000 avait autorisé le commerce bilatéral pour les médicaments et les produits agricoles, sous des conditions strictes. Mais ces restrictions, comme l’interdiction de faire crédit à Cuba (qui doit payer comptant et à l’avance toutes les importations) pèsent lourdement sur la possibilité d’extension de ces échanges. Selon le US-Cuba Trade and Economic Council, après une première période de croissance (2001-2008), les exportations américaines vers Cuba ne cessent de diminuer, tant en valeur qu’en poids relatif, par rapport à l’ensemble des autres marchés d’exportation des États-Unis 8. Le Council attribue cette diminution au poids croissant d’autres puissances, tout particulièrement le Venezuela et la Chine, mais aussi l’Union européenne (UE, premier investisseur dans l’île), le Brésil, la Russie ou le Mexique, dans le commerce avec Cuba. Dans cette conjoncture de concurrence accrue pour l’accès au marché cubain, plusieurs grandes entreprises américaines se sont organisées en lobbies, comme l’US Agriculture Coalition for Cuba, et ont dépensé des dizaines de milliers de dollars pour tenter de convaincre l’administration américaine d’assouplir l’embargo. Ces efforts ont été payés de retour puisque plusieurs mesures ont été prises par B. Obama, dès son élection en 2008, pour relâcher au maximum les contraintes pesant sur le commerce avec Cuba, dans la limite des prérogatives qui sont les siennes. En 2009, déjà, le président avait réduit les restrictions pesant sur l’envoi de remesas et sur 7 . “In Cuba, misadventures in regime change”, New York Times, 9 novembre 2014. Ce budget est utilisé pour promouvoir des médias d’opposition et pour financer certaines initiatives des opposants (voyages à l’étranger, réunions à Cuba). 8 . Voir le tableau des exportations en valeur (dollars) et en rang de marché d’exportation (http:// www.cubatrade.org). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 24 02/03/2016 16:27:28 « Todos somos Americanos » : les nouvelles relations Cuba–États-Unis ❮ 25 les voyages des Cubano-Américains dans l’île. Il avait également autorisé les investissements américains à Cuba dans le domaine des télécommunications. Ces dispositions ont été reconduites et approfondies en 2014. Non seulement une ligne téléphonique directe a été rétablie entre les deux pays, mais une autorisation spéciale a été accordée aux entreprises américaines de télécommunication pour négocier directement avec le gouvernement cubain. Par ailleurs, il est désormais possible, pour les firmes américaines, d’exporter et d’investir dans les secteurs de l’agriculture et des voyages. En outre, la levée des sanctions sur les entreprises étrangères qui commerçaient avec Cuba, annoncée par l’Office of Foreign Asset Control (Ofac) 9 va dans le sens de la suppression de la clause concernant l’extraterritorialité. Enfin, le fait que l’exécutif américain a, le 29 mai 2015, retiré Cuba de la liste des « pays terroristes » constitue bien sûr un signal politique positif, mais qui a aussi des répercussions économiques. En effet, être désigné par les États-Unis comme un État promoteur du terrorisme empêchait Cuba d’avoir accès au crédit international. Cette politique d’ouverture est cependant perçue, par le gouvernement cubain, comme une politique des petits pas. R. Castro a ainsi exhorté, en janvier 2015, les États-Unis à aller plus loin, en mettant fin à l’embargo 10. Mais l’abolition de cette mesure dépend d’un vote du Congrès américain, dont la majorité est actuellement détenue par les Républicains, qui promeuvent encore la vieille politique de confrontation avec l’île. Si les lobbies favorables à la levée de l’embargo ont réussi à médiatiser largement leur combat depuis le 17 décembre 2014, en s’appuyant sur la décision politique de B. Obama et sur des argumentaires qui démontrent que l’abolition de l’embargo bénéficierait à l’économie américaine 11, les réticences face au rapprochement bilatéral demeurent fortes. La diaspora d’origine cubaine a, en effet, fortement investi la sphère politique américaine et reste très attachée à la dimension symbolique de l’embargo comme instrument de coercition contre le gouvernement cubain. Marco Rubio, sénateur républicain d’origine cubaine et candidat à la prochaine élection présidentielle aux États-Unis, a ainsi annoncé qu’il utiliserait tous les moyens à sa disposition pour empêcher le rétablissement des relations diplomatiques et la libéralisation du commerce entre Cuba et les États-Unis. Dans son optique, les mesures prises par B. Obama encouragent les gouvernements autoritaires à se perpétuer au pouvoir par 9 . « US/Cuba : levée des sanctions sur les entreprises, Le Figaro, 24 mars 2015 (http://www. lefigaro.fr/flash-eco/2015/03/24/97002-20150324FILWWW00494-cubaus-levee-dessanctions-sur-les-entreprises.php). 10 . « Cuba : Raúl Castro demande la fin de l’embargo américain », Le Monde, 28 janvier 2015. 11 . La levée de l’embargo ferait croître les exportations agricoles de 365 millions de dollars et créerait 6 000 nouveaux emplois, selon une étude du Center for North American Studies, Texas University, en 2010 (http://cnas.tamu.edu/Presentations/SAEA%2011%20Cuba%20 Poster%20Web.pdf ). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 25 02/03/2016 16:27:28 26 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 la force et la tyrannie 12. Ce type de position perd cependant progressivement en légitimité. Nombreux sont les observateurs qui soulignent que la politique anticubaine n’est plus aussi déterminante dans les enjeux de politique intérieure aux États-Unis 13 car la diaspora cubaine établie en Floride a fortement évolué en termes culturels et générationnels. Elle est aujourd’hui favorable à 51 % au dégel des relations entre Cuba et les États-Unis 14. Enfin, la constitution d’une coalition bipartisane (Républicains et Démocrates) qui souhaite la levée de l’embargo rend désormais moins impensable l’abandon de cet instrument obsolète de la politique extérieure américaine 15. Les calculs des autorités cubaines Le rétablissement des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis survient dans un contexte économique de crise dans l’île. Aussi, malgré le maintien de l’embargo, les mesures d’assouplissement des règles du commerce entre les deux pays vont déjà permettre de desserrer l’étau dans lequel est prise l’économie cubaine. Celle-ci est en effet structurellement fragile depuis la chute de l’URSS en 1991 : 85 % du commerce de l’île se faisait dans le cadre du Conseil d’assistance économique mutuel (CAEM) avant cette date, et les exportations de l’île étaient essentiellement constituées de sucre. Si le gouvernement cubain a progressivement diversifié ses partenaires commerciaux au cours des années 1990, c’est l’élection de H. Chávez à la présidence du Venezuela en 1998 et sa politique de solidarité envers Cuba qui ont véritablement permis au pays de survivre dans une économie mondiale compétitive. Non seulement, le gouvernement vénézuélien envoie depuis le début des années 2000 plus de 100 000 barils de pétrole par jour à un prix subventionné, mais il paie aussi très cher les services de dizaines de milliers de professionnels cubains de la santé et de l’éducation employés dans le cadre des « missions » (politiques publiques dans les quartiers populaires), notamment dans les barrios de Caracas. Or, le décès de H. Chávez a créé beaucoup d’incertitude quant à la poursuite des échanges bilatéraux entre Cuba et le Venezuela. D’une part, la légitimité 12 . Bryan Llenas, “Marco Rubio calls Obama’s Cuba deal ‘absurd,’ says will ‘make every effort’ to block it”, Fox News, 17 décembre 2014. 13 . Patrick Howlett Martin, « La défense de l’embargo n’est plus un atout électoral aux États-Unis, Le Monde diplomatique, novembre 2014. 14 . Zach C. Cohen, “Poll : Cuban-Americans shift in favor of normalizing US-Cuba relations”, National Journal, 2 avril 2015. 15 . “Klobuchar leads bipartisan coalition to introduce major legislation to lift Cuba trade embargo”, annonce faite sur la page personnelle de la sénatrice Amy Klobuchar sur le site du Sénat, 12 février 2015 (http://www.klobuchar.senate.gov/public/2015/2/klobuchar-leadsbipartisan-coalition-to-introduce-major-legislation-to-lift-cuba-trade-embargo). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 26 02/03/2016 16:27:28 « Todos somos Americanos » : les nouvelles relations Cuba–États-Unis ❮ 27 locale du gouvernement de Nicolás Maduro est relativement faible, ce qui pourrait mener à une défaite électorale lors des prochaines élections, d’autre part l’économie du Venezuela est chancelante. En avril 2015, le pays a même dû s’endetter auprès de la Chine pour honorer ses accords avec Cuba ! 16. Il est dorénavant évident que les autorités cubaines ont cherché à anticiper ces difficultés. En effet, les négociations avec les États-Unis ont commencé au printemps 2013, presque au lendemain de la mort de H. Chávez. Le gouvernement cubain a, de plus, travaillé à rendre l’économie locale plus attractive pour les investisseurs. Ce dont témoigne le vote d’une loi sur les investissements étrangers le 29 mars 2014 (la dernière datait de 1995). Alors que l’État contrôlait jusqu’à maintenant systématiquement 51 % du capital des entreprises en joint-venture, la répartition de ce capital est désormais négociée entre l’État et les entreprises qui investissent. La diminution des impôts sur les bénéfices (de 30 à 15 %) et sur l’emploi de main-d’œuvre (de 11 à 0 %) va dans le même sens. Et la création d’une zone franche, dans le cadre du grand projet d’aménagement du port de Mariel financé par une banque brésilienne, montre que Cuba entre de plain-pied dans la tactique des avantages compétitifs pratiquée par de nombreux pays du Sud. Enfin, la négociation en cours d’un accord de coopération avec l’UE et la visite du président François Hollande dans l’île en mai 2015 constituent également les signes d’une ouverture toujours plus grande de l’économie cubaine et de la volonté du gouvernement de diversifier plus avant ses partenaires économiques. Les autorités cubaines ont aussi été actives sur de nombreux autres fronts. Elles ont obtenu l’annulation de 70 % de la dette contractée envers le Mexique en 2013 et 90 % de la dette contractée auprès de l’URSS en 2014 17. Elles ont également repris, en 2013, les discussions avec l’UE en vue d’aboutir à un accord de coopération. Enfin, elles restent très actives dans l’exportation de services médicaux à l’étranger, notamment vers l’Afrique, ce qui leur permet de diversifier plus avant les partenaires économiques de l’île. Si les États-Unis constituent un partenaire naturel pour Cuba, du fait des liens historiques qui unissent les deux pays, de leur proximité géographique, et de l’existence d’une puissante diaspora cubaine, ils ne redeviendront pas sans effort un partenaire économique de premier plan. 16 . « Venezuela se endeuda con China para cumplir con el envio de petroleo a Cuba », Infobae, 6 avril 2015 (http://www.infobae.com/2015/04/06/1720405-venezuela-seendeuda-china-cumplir-el-envio-petroleo-cuba). 17 . “Russia writes off $32 billion Cuban debt in show of brotherly love”, The Guardian, 10 juillet 2014 ; “Mexico says it will waive most of $487 million debt owed by Cuba”, Reuters, 1er novembre 2013. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 27 02/03/2016 16:27:28 28 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 Vers une démocratisation de l’exercice du pouvoir à Cuba ? Le rétablissement des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis a soulevé de nouveau la question de la démocratisation de l’exercice du pouvoir à Cuba. Bien qu’elle soit récurrente, il est impossible d’y répondre autrement qu’en proposant des scénarios 18 et en envisageant des comparaisons. Une comparaison diachronique permet d’établir par exemple que les gouvernements autoritaires du Cône Sud en Amérique latine ont longtemps pratiqué le libéralisme économique (le Chili sous Augusto Pinochet, l’Argentine des généraux) tout en réprimant toute opposition politique, tout comme Zine-el Abidine Ben Ali en Tunisie ou Hosni Moubarak en Égypte, ce qui montre qu’il n’y a pas d’incompatibilité en soi entre autoritarisme politique et libéralisme économique. La comparaison synchronique, avec la Chine ou le Vietnam contemporains, est plus intéressante encore car elle donne à voir qu’il est possible de conduire un processus de libéralisation économique sous un gouvernement communiste, sans pourtant que le parti perde le monopole de l’exercice du pouvoir, grâce à un encadrement strict des revendications sociales et politiques émergentes. À Cuba, il existe de fait, et depuis plusieurs années, une libéralisation de l’exercice du pouvoir, en amont du dialogue entamé en 2013 par les présidents cubain et américain, qu’il faut prendre soin de distinguer d’un processus de démocratisation. En effet, s’il est désormais possible, et parfois même encouragé, d’exprimer certaines opinions critiques, la formulation de ces critiques demeure très codifiée. Sur le plan politique, R. Castro gouverne de manière plus collégiale que ne le faisait Fidel Castro. Moins omniprésent dans les médias que son frère, il a remis le Parti communiste au centre de la politique cubaine et a incité les militants, les intellectuels et les journalistes à élaborer une vision constructive des problèmes économiques de l’île. Cet appel au débat a par exemple mené les médias officiels à exiger plus de transparence de la part des administrations et à réaliser des reportages sur les problèmes rencontrés par les Cubains dans leur vie quotidienne. Un nouveau programme télévisé (Cuba dice) a, par exemple, été créé pour donner la parole à des Cubains « ordinaires » et inciter les administrations à répondre à leurs demandes de manière plus efficace. Des forums en ligne sont désormais organisés par les journaux officiels pour favoriser le débat et recueillir l’opinion des Cubains sur des sujets autrefois tabous comme le système 18 . Voir les propositions de Marifeli Perez-Stable (ed.), Looking Forward. Comparative perspectives on Cuba’s transition, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 2007 et de Lenier Gonzalez Medeiros, “From collision to covenant : challenges faced by Cuba’s future leaders”, Cuba Study Group. From the Island, no 19, août 2013. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 28 02/03/2016 16:27:28 « Todos somos Americanos » : les nouvelles relations Cuba–États-Unis ❮ 29 électoral ou la société civile 19. Par ailleurs, la presse officielle elle-même se diversifie pour s’adapter à ce début de libéralisation de l’économie. Ainsi, deux nouvelles revues d’économie ont été récemment lancées (On Cuba Real Estate et Ofertas) afin de faire de la publicité pour la vente de biens, notamment immobiliers, et des services d’entreprises publiques et privées. Sur le plan de la communication, les réformes mises en œuvre depuis 2008 ont permis un accès accru aux services de téléphone et d’internet (à cette date seuls 20 % des Cubains disposaient d’une ligne fixe et moins de 2 % avaient accès à la Toile mondiale), ce qui a facilité la consolidation de réseaux de citoyens et de mouvements relativement autonomes et critiques vis-à-vis du gouvernement. La figure la plus connue est celle de Yoani Sanchez, célèbre blogueuse et désormais directrice du journal en ligne 14ymedio : mais, outre les réseaux de blogueurs (Voces, Havana Times, BloggersCuba, La Joven Cuba) et les mouvements dits « dissidents » (Les Dames en blanc, le syndicat Unpacu, les partis d’opposition, les associations de défense des droits humains), qui sont les plus connus, il existe également des collectifs antisexistes (Arcoiris), antiracistes (Cofradía de la Negritud, collectifs de hip-hop), socialistes (Socialismo Participativo y Democrático), libertaires (Cátedra Haydée Santamaria, Observatorio Crítico), écologistes (Guardabosques, Ahimsa), libéraux (Estado de Sats), etc. En bref, on observe une pluralisation politique croissante de la société cubaine depuis le milieu des années 2000, avec l’émergence de collectifs de mieux en mieux organisés et de plus en plus politisés, critiques de droite comme de gauche du gouvernement cubain. Si ces collectifs prennent de réels risques en cherchant à repousser les limites de la liberté d’expression à Cuba, ces risques sont aujourd’hui relativement calculables. D’une part, les normes d’expression ont changé et certaines formes de critique sont désormais tolérées 20 (notamment ce qui a été appelé « l’opposition loyale » par les éditeurs de la revue Espacio Laical 21). D’autre part, les mouvements critiques émergents ont, grâce à leur présence sur la Toile, obtenu une forte visibilité internationale, ce qui rend les formes classiques de répression (procès, emprisonnement) longtemps pratiquées par le gouvernement cubain plus coûteuses en termes d’image et de légitimité. Il faut ici souligner que l’Église joue un rôle notable dans ces changements. Elle a exercé une fonction de médiateur dans deux dossiers particulièrement difficiles : la libération des prisonniers politiques en 2010 et le rétablissement du dialogue avec les États-Unis en 2014. Elle ouvre de plus les colonnes de ses journaux (comme Espacio Laical) à de nombreux 19 . « Foro interactivo sobre sociedad civil en Cuba », Trabajadores, 8 mars 2015 ; « Concluyó entrevista online sobre sistema electoral cubano », Juventud Rebelde, 28 février 2015. 20 . Yvon Grenier, Cultural policy, participation and the gatekeeper state in Cuba, Miami, ASCE conference, 2014. 21 .www.espaciolaical.net Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 29 02/03/2016 16:27:28 30 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 intellectuels et universitaires critiques, et participe ainsi à la reconstruction d’un débat public hors du parti. Le gouvernement cubain travaille cependant à tracer une distinction relativement nette entre la critique sectorielle (antiraciste, antisexiste ou écologiste par exemple), qui est acceptée car elle peut contribuer à renouveler sa légitimité interne, et l’opposition politique construite, qui remet frontalement en question cette légitimité. Ainsi, tandis que les collectifs et individus qui formulent des critiques non systémiques du gouvernement cubain sont tolérés, quoique parfois censurés et menacés (quand les autorités estiment qu’ils ont franchi des limites), les syndicats et partis d’opposition et les mouvements qui se revendiquent du libéralisme politique sont encore fortement réprimés. S’il n’y a plus de grands procès, tels que ceux de 2003 qui avaient envoyé en prison soixante-quinze opposants condamnés à des peines de six à vingt-huit ans, les forces de l’ordre recourent de plus en plus à des moyens moins visibles de répression comme le harcèlement de rue, les gardes à vue ou les détentions de courte durée (de quelques jours à quelques semaines). Le dialogue mis en place avec l’administration américaine n’a pas fait diminuer ce type de répression, au contraire. Certes, cinquante-trois opposants ont été libérés, en marge des accords conclus avec les États-Unis, mais les arrestations et les agressions physiques ont augmenté au début 2015 par rapport aux mois précédents 22, et plusieurs artistes ont été brutalement censurés ou emprisonnés. Ainsi, Danilo Maldonado, connu sous le nom de El Sexto, est toujours en prison depuis son arrestation, le 26 décembre 2014. Appréhendé alors qu’il préparait une performance qui consistait à lâcher en plein centre-ville deux porcs peints en vert et sur lesquels étaient inscrits les prénoms Fidel et Raúl, il est accusé d’outrage envers l’État et attend son procès en prison. Une autre artiste, Tania Bruguera, a également été arrêtée quelques jours plus tard, alors qu’elle se rendait place de la Révolution où devait se tenir une performance d’expression libre : un micro était tenu à disposition de tout passant qui souhaitait l’utiliser pour exprimer ses demandes ou ses revendications dans le contexte du rapprochement avec les États-Unis. Si l’artiste a été rapidement relâchée – elle jouit d’une grande notoriété internationale – son passeport lui a été retiré et elle ne peut quitter le territoire cubain, alors qu’elle réside depuis de longues années aux États-Unis. On note donc que l’émergence de voix dissonantes à Cuba conduit certes à une adaptation des autorités politiques, qui sont contraintes de prendre en compte cette pluralisation sociale et politique dans leur mode d’exercice du pouvoir face à des publics locaux plus critiques et à des institutions et à des ONG internationales qui scrutent toujours de près les violations 22 . Violations of human rights in Cuba, Institute for Cuban and Cuban American Studies, University of Miami, janvier 2015. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 30 02/03/2016 16:27:28 « Todos somos Americanos » : les nouvelles relations Cuba–États-Unis ❮ 31 des droits humains perpétrées dans l’île. Si cette adaptation ouvre des espaces d’expression et a permis la consolidation de nouveaux réseaux et de mouvements sociaux critiques du gouvernement, il n’y a pas encore de processus institutionnel de démocratisation à Cuba. Il est d’ailleurs ironique de constater que le dialogue entre R. Castro et B. Obama est désormais plus courtois que celui, inexistant, entre les militants anticastristes et responsables d’organisations sociales para-étatiques (comme la Fédération des femmes cubaines ou bien les Comités de défense de la révolution). Les invectives échangées et les empoignades (physiques) entre délégués cubains mandatés par le gouvernement pour assister au Sommet des Amériques organisé à Panamá en avril 2015 et membres de mouvements d’opposition témoignent de cette difficulté à établir un dialogue interne dépassionné à Cuba même. Non seulement les opposants y furent brutalement attaqués en sus d’être caractérisés de « mercenaires au service des ennemis de la nation » par les membres officiels de la délégation cubaine, mais cette délégation prit la décision de boycotter le Forum de la société civile organisé en marge du sommet 23. En même temps, il est essentiel de ne pas héroïser la « société civile cubaine », car une partie des mouvements d’opposition professent des convictions largement réactionnaires et parfois même peu démocratiques. Certes, seule une minorité fraye avec des militants anticastristes qui se sont rendus coupables d’actes de sabotage et de terrorisme lors des débuts de la révolution sans être jamais extradés par les États-Unis pour être jugés, mais plus nombreux sont ceux qui ont déclaré être déçus par le rapprochement entre Cuba et les États-Unis et s’être sentis trahis par la décision de B. Obama 24. Sans considération pour les effets concrets de l’embargo sur leurs concitoyens, ils soutiennent encore le maintien de cette politique obsolète à l’inefficacité avérée. Conclusion Le rapprochement historique entre les États-Unis et Cuba, sous les présidences respectives de B. Obama et de R. Castro, est à saluer. Il ouvre non seulement une nouvelle ère dans les relations entre les deux pays, mais également entre les États-Unis et l’Amérique latine. En revanche, il n’est pas pertinent d’observer tout changement social et politique à Cuba et en Amérique latine au prisme de ce rapprochement. Tout d’abord, les sanctions décidées par B. Obama contre de hauts fonctionnaires vénézuéliens montrent que la volonté de l’administration 23 . « Porque se enfrentan los Cubanos en la cumbre de Panama », BBC Mundo, 9 avril 2015. 24 . Mark Thiessen, “Cuban dissidents blast Obama’s betrayal”, Washington Post, 29 décembre 2014. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 31 02/03/2016 16:27:29 32 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 américaine d’intervenir politiquement dans les affaires du sous-continent latino-américain reste forte. En même temps, le tollé général provoqué par ces sanctions, qui ont indisposé l’ensemble de la classe politique latinoaméricaine (y compris des pays traditionnellement alliés des États-Unis comme la Colombie et le Mexique) témoignent du fait que la détermination des gouvernements latino-américains à faire respecter leur souveraineté nationale ne faiblit pas face aux arguments présentés par les États-Unis (qui accusent le gouvernement de N. Maduro de violations des droits humains) 25. Ensuite, en ce qui concerne spécifiquement Cuba, l’embargo est toujours en place, quoique la probabilité de sa levée soit de plus en plus tangible. Enfin, l’absence de démocratie demeure patente dans l’île malgré la mise en place de modalités relativement moins répressives d’exercice du pouvoir. Il faut toutefois souligner pour conclure que le changement est permanent à Cuba depuis que R. Castro est devenu le chef de l’État cubain, en 2008, et il n’est pas impossible qu’il finisse par investir le terrain politique. La loi électorale en préparation pourrait par exemple faciliter les candidatures dissidentes, jusqu’à présent marginalisées, ou encore inscrire dans les textes la limitation de la carrière politique à deux mandats, comme l’avait déjà évoqué R. Castro en 2013. Mais nous ne pourrons évaluer l’impact de ces changements progressifs, à la fois sur les plans économique, politique et diplomatique, que lors des prochains rendez-vous de R. Castro avec l’Histoire : lors du congrès du Parti communiste en 2016 et lors des élections nationales de 2018, puisque le président a d’ores et déjà annoncé qu’il ne se représenterait pas aux plus hautes fonctions de la République de Cuba. BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE Velia Cecilia Bobes (ed.), Ajuste o transición ? Impacto de la reforma en el contexto del reestablecimiento de las relaciones con Estados Unidos, San José, Flacso, 2015. Marie Laure Geoffray, Contester à Cuba, Paris, Dalloz, 2012. William LeoGrande et Peter Kornbluh Back Channel to Cuba. The Hidden History of Negotiations between Washington and Havana, Chapel Hill, NC, University of North Carolina Press, 2014. Carmelo Mesa Lago et Jorge Pérez-Lopez, Cuba under Castro. Assessing the reforms, Boulder, Lynne Rienne, 2013. 25 . “Latin American leaders back Venezuela over US spat”, BBC News, 18 mars 2015. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 32 02/03/2016 16:27:29 « Todos somos Americanos » : les nouvelles relations Cuba–États-Unis ❮ 33 ■■ Déjà publié sur Cuba • Cuba après Fidel Castro : des changements politiques et sociaux limités Marie Laure Geoffray Édition 2009, collection « Mondes émergents » Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 33 02/03/2016 16:27:29 Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 34 02/03/2016 16:27:29 Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 35 Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire H E R V É D O A LT O Doctorant en science politique à l’Université Paris-Ouest-Nanterre Dans un pays longtemps réputé pour son instabilité chronique, Evo Morales fait presque figure d’anomalie : réélu triomphalement avec 61,4 % des suffrages, l’ancien cultivateur de coca a remporté, le 12 octobre 2014, sa troisième élection présidentielle consécutive, obtenant de nouveau une majorité absolue qu’aucun de ses prédécesseurs n’était parvenu à atteindre avant lui depuis la transition démocratique entamée au début des années 1980. Non content de résister à l’usure du pouvoir, le premier mandataire bolivien consolide même son hégémonie sur la scène politique. Quelles sont les raisons d’un tel succès après neuf ans de présence à la tête de l’État, dans un pays qu’on crut pourtant au bord de la guerre civile quelques années plus tôt, en raison des conflits qui opposaient le gouvernement à une droite principalement concentrée dans les régions amazoniennes ? En Bolivie et au-delà, les analyses d’un tel triomphe se sont fréquemment centrées sur la réussite du pouvoir en matière économique, illustrée par une croissance soutenue et une redistribution des richesses significative 1. Un tel constat conduit pourtant à négliger la spécificité du travail politique développé par le Mouvement vers le socialisme (MAS), le parti de E. Morales, afin de capitaliser cette réussite économique sur le plan politique. Depuis son arrivée au pouvoir en 2005, le MAS n’a eu de cesse d’ajuster ses stratégies électorales à une configuration politique particulièrement mouvante. Avec, du reste, des résultats inégaux puisque, si l’ancien syndicaliste paysan remporte régulièrement haut la main les scrutins nationaux, son parti rencontre plus de difficultés à l’échelle locale, comme en témoigne son incapacité presque chronique à gagner dans les grands centres urbains lors des scrutins municipaux. S’il est donc évident que la 1 . Fernando Molina, « ¿Por qué Evo Morales sigue siendo popular? Las fortalezas del MAS en la construcción de un nuevo orden », Nueva Sociedad (Buenos Aires), n° 245, 2013, p. 4-14. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 35 02/03/2016 16:27:29 36 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 période faste que traverse l’économie bolivienne bénéficie sans doute à l’équipe en place, elle ne saurait pour autant être érigée au rang de seule variable explicative de ses triomphes. C’est pourquoi, dans le cadre de cette analyse des élections générales boliviennes de 2014, nous nous proposons de souligner le poids joué par le « politique » dans ce succès. Ainsi, après une présentation du bilan du gouvernement Morales qui permettra de saisir quelques-uns des ressorts de sa popularité, nous nous pencherons successivement sur la stratégie électorale poursuivie par le MAS, puis sur les recompositions profondes traversées par l’opposition, avant de nous livrer à une analyse plus fine des résultats de cette échéance. Le bilan d’Evo Morales au cœur de la campagne électorale Si, habituellement, en Bolivie, les campagnes électorales sont des moments d’effervescence populaire particulièrement aiguë, celle de 2014 n’a guère connu les élans épiques des scrutins précédents, malgré un taux de participation parmi les plus élevés pour une élection nationale (87,9 %). Ainsi, comme le suggère l’analyste politique argentin Pablo Stefanoni, en 2014, le profil du candidat Morales n’a que peu à voir avec ceux affichés lors des scrutins précédents. Alors qu’il apparaissait comme un résistant à l’ordre néolibéral en 2005 comme en 2009, c’est revêtu des habits d’un « bon gestionnaire » que l’ancien syndicaliste paysan aborde l’échéance de 2014, comme l’illustre le principal slogan de campagne du MAS : « Con Evo, vamos bien » (avec Evo, nous nous portons bien). Un contraste patent qui révèle le succès remporté par E. Morales sur le plan de la conduite des affaires de l’État, dans une période qualifiée par Fernando Molina de « post-polarisation » 2. Pour saisir les raisons de ce triomphe, il convient de revenir sur trois éléments clés : la réussite rencontrée par les politiques national-développementistes mises en œuvre par le gouvernement (nationalisation des hydrocarbures et d’autres ressources naturelles ; rôle prépondérant de l’État dans l’économie…), l’importance de l’investissement public dans les infrastructures et les politiques sociales et, enfin, les premiers changements sociaux qui résultent de l’exercice du pouvoir par le MAS. 2 . F. Molina, « Elecciones bolivianas: el fin de la polarización », Infolatam, 27 septembre 2014 (http://www.infolatam.com/2014/10/12/elecciones-bolivianas-el-fin-de-la-polarizacion/). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 36 02/03/2016 16:27:29 Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 37 Neuf ans après la mise en œuvre d’une mesure à la fois polémique et symbolique, force est de constater que le pari est gagné : c’est bien la nationalisation des hydrocarbures réalisée le 1er mai 2006 (dans les faits, une renégociation radicale des contrats liant l’État aux multinationales du secteur) qui a permis à la Bolivie de bénéficier, entre 2006 et 2013, de niveaux d’exportations records de plus de 23 milliards de dollars, contre à peine 1,7 milliard entre 2001 et 2005. Complétée par la nationalisation d’autres secteurs (mines, téléphonie…), la stratégie économique nationaliste du gouvernement a permis de contenir les menaces de fuite de capitaux, comme en atteste le niveau record des réserves internationales dont dispose aujourd’hui la Bolivie : plus de 15 milliards de dollars, soit 51 % du PIB. De fait, avec un taux de croissance de l’ordre de 5 % en moyenne, un PIB qui a doublé depuis 2006 et un contexte de quasi-plein emploi, c’est l’ensemble de l’économie nationale qui se trouve dopé par cette ressource – en dépit de craintes liées à une dépendance accrue au gaz. Graphique 1. Rente pétrolière de l’État bolivien (en millions de dollars) 6 000 5585 • 5 500 5 000 4393 • 4 500 4 000 3 500 2959 • 3 000 2 500 2099 • 2 000 1474 • 1 500 1000 500 0 223 • 188 • 245 • 555 • 2158 2235 • • 1533 • 675 • 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Source : Yacimientos Petrolíferos Fiscales de Bolivia (YPFB). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 37 02/03/2016 16:27:29 38 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 Graphique 2. Évolution du taux de croissance en Bolivie 7 6,15 • 6 5 4,17 • 4 4,80 • 4,56 • 5,20 • 5,50 • 4,13 • • 3,36 3 2,49 • 2 4,42 • 5,17 • 2,71 • 1,68 • 1 0 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Source : Institut national de statistiques de Bolivie (INE). Cette manne énergétique permet, depuis 2006, de porter l’investissement public à des niveaux inédits jusque-là : de 6 milliards à l’arrivée de E. Morales au pouvoir, celui-ci atteint désormais 20 milliards, soit l’équivalent de 11 % du PIB. Cet effort a conduit l’État bolivien à s’engager sur de nombreux fronts : construction de routes et d’infrastructures ; contrôle des prix des produits de première nécessité et des transports, soutien aux petits producteurs agricoles ; création de nombreux bons destinés à des secteurs vulnérables de la population (retraités, écoliers ou mères d’enfants en bas âge). Ces mesures ont eu un impact indéniable, comme en témoigne la réduction en à peine six ans de l’extrême pauvreté, passée de 38,2 % en 2005 à 18,8 % en 2012. L’amélioration concrète des conditions de vie de la paysannerie et des secteurs populaires boliviens se double qui plus est d’une modernisation tout aussi importante de la vie quotidienne dans des domaines aussi variés que la téléphonie (satellite permettant aux campagnes d’être reliées au réseau national de télécommunication) ou les transports (lignes de téléphérique entre les villes voisines de La Paz et El Alto, dotant la métropole d’un moyen de transport public accessible et de qualité). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 38 02/03/2016 16:27:29 Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 39 Tableau 1. Les indicateurs de pauvreté en Bolivie (en % de la population) Évolution de la pauvreté modérée (moins de 2 dollars par personne et par jour) 2005 60,6 51,1 77,6 National Urbain Rural 2012 43,4 34,7 61,1 Évolution de l’extrême pauvreté (moins de 1 dollar par personne et par jour) National Urbain Rural 2005 38,2 24,3 62,9 2012 21,6 12,2 40,9 Source : Ministère de l’Économie et des Finances publiques de Bolivie. On ne saurait non plus négliger la force de l’imaginaire modernisateur qui accompagne l’action du gouvernement : ces succès concourent en effet à valider l’orientation national-développementiste poursuivie par E. Morales et son équipe, suscitant de la sorte un « consensus productiviste » au sein du MAS comme dans l’ensemble de la population 3. Après le gaz (2005), puis le fer et le lithium (2009), c’est le nucléaire qui a fait son apparition dans la campagne. Au mois d’août 2014, le vice-président Álvaro García Linera annonçait en effet que le gouvernement souhaitait mettre en œuvre un programme de développement du nucléaire à des fins civiles. La proposition du pouvoir exécutif a certes donné lieu à une modeste polémique entretenue tant bien que mal par l’opposition. Elle demeure toutefois inscrite à l’agenda politique et n’a guère engendré de rejet particulier de la part d’une population majoritairement séduite par l’idée d’une « Bolivie puissance » (Bolivia potencia), autre slogan de campagne du MAS. Du reste, ces politiques national-développementistes suscitent une certaine fierté au sein de la majorité des Boliviens, tout particulièrement parmi les secteurs populaires : la modernisation économique dont ces derniers constituent les cibles privilégiées s’apparente à bien des égards à la seconde étape d’un processus plus large de démocratisation, lancé sur un strict plan politique en 2005 par l’arrivée au pouvoir de E. Morales. Fort d’excellents résultats sur le plan économique comme sur le plan social, le bilan du gouvernement permet certes de comprendre la popularité dont celui-ci bénéficie. Mais pour en saisir les ressorts, il convient également de se pencher sur le travail de mobilisation électorale réalisé par le MAS, et de s’intéresser aux stratégies mises en œuvre par la direction du parti en vue des élections générales de 2014. 3 . H. do Alto, « Construire l’après-libéralisme sous l’ère Morales : défis et paradoxes de l’expérience bolivienne », Regards sociologiques, no 43-44, 2012, p. 61-79. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 39 02/03/2016 16:27:29 40 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 Le MAS : une machine de guerre électorale convertie en espace de réconciliation nationale Les succès électoraux du MAS doivent beaucoup à l’ingénierie politique que cette formation donne à observer. Cette ingénierie est en grande partie le fruit de l’histoire du mouvement. Né en 1995 comme un « instrument politique » au service des principaux syndicats paysans du pays, le parti ne constitue initialement qu’une coordination relativement souple d’organisations sociales, restreinte dans un premier temps au syndicalisme paysan, puis progressivement ouverte à d’autres secteurs sociaux : comités de quartier, syndicats ouvriers ou organisations indigènes – un projet d’« autoreprésentation populaire » que l’intégration des classes moyennes urbaines n’a jamais remis en cause et qui est apparu comme étant de plus en plus attractif, les succès électoraux aidant 4. À l’approche des élections générales de 2014, force est de constater que ce processus cumulatif d’alliances reste d’actualité. Pourtant, l’adoption d’une nouvelle Constitution, le 25 janvier 2009, à l’occasion d’un référendum, puis la confortable réélection de E. Morales en décembre de la même année ont marqué une rupture par rapport aux périodes antérieures : alors que la confrontation entre le gouvernement et l’opposition avait agi comme un catalyseur sur cette dynamique, le second mandat de E. Morales est quant à lui caractérisé par la résurgence de conflits entre le pouvoir exécutif et des organisations sociales. Une fois la défaite de la droite et la promulgation de la Constitution acquises, les antagonismes propres à l’espace des mouvements sociaux bolivien ont refait surface, ces organisations n’hésitant plus à redescendre dans la rue pour faire valoir leurs intérêts, indépendamment de leur rapport au MAS. La démultiplication de ce type de confrontation a même contribué à l’établissement d’un niveau record de conflits sociaux en Bolivie au terme de l’année 2011 (884) 5. Les protestations concernant le Territoire indigène et parc national Isiboro Secure (Tipnis) constituent à cet égard un cas d’école. En 2010, le gouvernement exhume un projet de route traversant ce parc abritant plusieurs communautés indigènes ainsi qu’une biodiversité d’une rare richesse, au prétexte qu’il s’agit d’une opportunité pour le développement de la région. Or, une fraction significative des habitants, soutenue par les 4 . H. do Alto et P. Stefanoni, Nous serons des millions. Evo Morales et la gauche au pouvoir en Bolivie, Paris, Raisons d’agir, 2008. 5 . Fundación Milenio, Informe nacional de coyuntura – Gobernar obedeciendo, n° 86, 2011. D’après ce rapport, le niveau de conflictualité atteint en 2011 est ainsi supérieur à celui que l’on connut lors des périodes telles que la transition démocratique au début des années 1980. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 40 02/03/2016 16:27:29 Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 41 principales organisations indigènes nationales 6, se mobilise en août 2011 afin d’exprimer son opposition à la route. Si, dans un premier temps, E. Morales maintient son projet tout en essayant de contenir les protestations locales (la police allant même jusqu’à susciter un profond émoi en réprimant une marche indigène pacifique dans la localité de Chaparina le 25 septembre), le pouvoir exécutif se voit finalement contraint de le suspendre, sous la pression conjointe de l’opposition, d’ONG écologistes et des organisations indigènes. Graphique 3. Nombre de conflits sociaux en Bolivie 1 000 884 • 900 800 759 • 700 745 • 654 • 600 535 • 500 400 811 • 335 • 401 • 414 • 2002 2003 • 471 507 • 496 • 2007 2008 300 200 100 0 2001 2004 2005 2006 2009 2010 2011 2012 Source : Fundación Milenio. Malgré la résurgence de tensions avec quelques-unes des composantes du mouvement social bolivien, le MAS sert pourtant toujours de référent à ce dernier au sein du champ politique. Ainsi, dans la perspective des élections, le parti de E. Morales est parvenu à attirer sur ses listes des dirigeants pourtant peu avares de critiques à l’encontre du gouvernement par le passé. Parmi eux, Franklin Durán, dirigeant de l’un des principaux syndicats de transports de La Paz, ou encore Pedro Montes, ancien secrétaire exécutif de la Centrale ouvrière bolivienne (COB). Ces quelques exemples de ralliements révèlent combien la temporalité propre au champ politique ne se déduit pas mécaniquement de celle de l’espace des mouvements sociaux, la période pré-électorale s’apparentant à une fenêtre de négociations et de 6 . Le Conseil national des ayllus et markas du Qullasuyu (Conamaq), dans les Andes, et la Confédération des peuples indigènes de l’Orient bolivien (Cidob), en Amazonie, organisations distinctes des syndicats paysans à l’origine du MAS. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 41 02/03/2016 16:27:29 42 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 réajustements mutuels entre parti et organisations potentiellement alliées. Les tensions pouvant exister entre ces entités, quelle qu’en soit l’origine (affrontements entre organisations, débats sectoriels avec l’exécutif, luttes territorialisées), n’hypothèquent donc pas nécessairement un éventuel accord. La gestion de ces conflits éclaire d’autant mieux le pragmatisme dont font preuve les dirigeants d’organisations sociales comme ceux du parti : pour les premiers, il s’agit d’obtenir une position institutionnelle pouvant permettre au groupe de mieux faire entendre sa voix au sein du MAS ; pour les seconds, il s’agit de mobiliser un réservoir de voix et de s’assurer une loyauté minimale vis-à-vis de l’exécutif. Du reste, on retrouve cette logique au cœur même du Tipnis : ainsi, si les directions des organisations indigènes ont pris leurs distances par rapport au MAS au terme de la crise, la réalité sur le terrain a laissé apparaître des fractures au niveau local, comme l’illustre le cas de Justa Cabrera, l’une des représentantes des communautés affectées par le projet de route, qui finit par annoncer son ralliement au parti de E. Morales le 20 juillet, à quelques semaines à peine du lancement officiel de la campagne 7. Parallèlement à cette stratégie traditionnelle relative aux organisations sociales, le MAS a également développé une autre stratégie plus audacieuse vis-à-vis de l’opposition, qui découle de la crise politique de 2008. Jusqu’à cette date, en effet, l’opposition est dominée par une droite conservatrice rétive à toute collaboration avec le gouvernement, comme l’illustra l’obstruction systématique à toute initiative émanant du MAS au sein du Congrès comme de l’Assemblée constituante 8. À l’intérieur de cette opposition, le leadership est assumé par les élites des régions de la « Media Luna », regroupant les départements amazoniens du Beni, du Pando et de Santa Cruz, ainsi que ceux de Tarija et de Chuquisaca, dans les vallées du sud du pays – autant de régions où le MAS peine à s’enraciner électoralement. Visant à faire de l’échelon local un cadre de résistance à l’hégémonie de E. Morales, cette droite entend forcer la reconnaissance de statuts d’autonomie régionale 9 tout en retardant autant que possible le référendum, qu’elle considère illégitime, sur la Constitution. Le climat de tension croissante fait même peu à peu planer la menace d’une sécession. Via le groupe parlementaire du principal parti d’opposition, Pouvoir démocratique et social (Podemos), la droite parvient à imposer à E. Morales l’organisation d’un référendum révocatoire pour le contraindre 7 . Le 14 octobre, on vota à plus de 60 % pour E. Morales dans le Tipnis, preuve que le conflit n’a pas entamé la crédibilité du gouvernement auprès d’une majorité de la population locale. 8 . L’Assemblée constituante a été tenue à Sucre, capitale constitutionnelle de la Bolivie, d’août 2006 à décembre 2007. 9 . Lors des différents référendums réalisés entre mai et juin 2008 dans les départements de Santa Cruz, Beni, Pando et Tarija – référendums déclarés illégaux par la Cour nationale électorale –, les statuts sont approuvés avec des résultats de l’ordre de 80 %. Ces scrutins sont marqués par de forts taux d’abstention, avoisinant la barre des 50 %. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 42 02/03/2016 16:27:29 Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 43 à la démission – référendum qu’elle pense pouvoir gagner tant la perte de légitimité de Morales lui semble irrémédiable. Las, tenu le 10 août, ce scrutin conforte le président, qui recueille 67,4 % des voix. Les gouverneurs régionaux de la Media Luna tentent alors un coup de force et annoncent la mise en œuvre des statuts d’autonomie récemment approuvés, ainsi que l’occupation des sièges d’institutions publiques et le blocage des voies de communication, aéroports inclus. Tandis que la situation s’enlise et que des confrontations se multiplient au sein de la population, c’est finalement une tragédie qui scelle le destin de l’opposition. Le 11 septembre 2008, alors qu’ils essayent de rejoindre la capitale du Pando, Cobija, des paysans sont pris dans une embuscade par un groupe de fonctionnaires du gouvernement régional dans une localité voisine, affrontement qui se solde par la mort de 19 personnes, dont 18 paysans partisans de E. Morales. Le lendemain, l’état de siège est déclaré dans toute la région, tandis que le gouverneur partisan de l’autonomie, Leopoldo Fernández (Podemos), est accusé d’être de facto le responsable du massacre et incarcéré le 16 septembre. Cet événement marque la fin de la stratégie de confrontation frontale majoritairement poursuivie par la droite jusqu’alors, cette dernière se voyant contrainte de reprendre le dialogue avec le gouvernement dans un rapport de force qui lui est clairement défavorable. C’est dans ce contexte que le MAS, E. Morales en tête, décide de faire du parti un lieu de mise en scène de la réconciliation nationale dès les élections générales de 2009. Il s’agit d’ouvrir les portes du parti aux « ennemis d’hier » prêts à faire amende honorable. Pour la direction du MAS, le but est simple : se donner les moyens d’être une force politique majoritaire dans la Media Luna, où le parti plafonne généralement à 40 % dans les scrutins locaux et nationaux, et approfondir du même coup la crise de la droite 10. Cette stratégie est reconduite lors des élections municipales et régionales de 2010 : le MAS confie ainsi le soin de mener ses listes à d’anciens dirigeants de partis néolibéraux, tels Luis Flores pour le gouvernement régional du Pando ou Roberto Fernández pour la mairie de Santa Cruz. Les résultats sont relativement encourageants puisque, outre une amélioration générale de ses résultats, le MAS réussit à s’emparer de la région du Pando et de la mairie de Cobija. Si cette tactique engendre d’évidentes tensions dans les rangs du parti, particulièrement parmi les paysans qui ont si souvent été la cible de la violence exercée par des groupes de choc liés à l’opposition, les succès électoraux acquis ou à venir ont dans une grande mesure permis de les contenir. À l’occasion des élections générales de 2014, et sans que cela suscite autant d’émoi qu’en 2010, cette opération de réconciliation symbolique est très largement reproduite, comme en 10 . H. do Alto et P. Stefanoni, « El MAS: las ambivalencias de la democracia corporativa », in Alberto García Orellana et Fernando García Yapur (dir.), Mutaciones del campo político en Bolivia, La Paz, PNUD Bolivia, 2010, p. 303-363. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 43 02/03/2016 16:27:29 44 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 atteste la présence sur les listes du MAS de figures de l’opposition comme Carlos Subirana et Muriel Cruz à Santa Cruz, Francisco Navajas et Neila Lenz à Tarija, ou encore Milton Barón dans la région de Chuquisaca. On mesure ainsi combien le travail politique développé par E. Morales et les siens, vis-à-vis de ses alliés traditionnels comme de son opposition, joue un rôle capital dans la consolidation de l’hégémonie du MAS dans le champ politique bolivien. Une opposition empêtrée dans ses dilemmes Les initiatives d’ouverture prises par le MAS ont ainsi affaibli un peu plus des adversaires politiques déjà divisés et délégitimés. Les contours du projet politique de la droite sont quant à eux largement limités par les succès des politiques gouvernementales, si éclatants qu’il devient impossible de les nier. Ne reste donc à l’opposition que les faux pas de l’administration Morales pour tenter de se rebâtir un capital politique, comme elle tenta de le faire lors de la crise du Tipnis. À cette occasion, on put entendre les principales critiques dont l’exécutif est régulièrement la cible depuis 2010, tels son inclination productiviste à courte vue ou ses penchants autoritaires. Par ailleurs, le gouvernement est également accusé d’entraver le fonctionnement des institutions et de ne pas respecter l’indépendance des pouvoirs. Il est notamment suspecté d’avoir mis sous tutelle le pouvoir judiciaire depuis la mise en œuvre d’une réforme permettant l’élection des membres des organes judiciaires au suffrage universel direct, après une sélection préalable par le Congrès, conformément aux dispositions de la nouvelle Constitution. Cette défiance s’est exprimée à l’occasion des premières élections judiciaires, tenues le 16 octobre 2011, lors desquelles le pourcentage de votes blancs et nuls émis à l’appel de l’opposition s’est approché de la barre des 50 %, dans un pays où les scrutins sont généralement marqués par des taux de participation très élevés. La controverse autour de la candidature de E. Morales à l’élection présidentielle de 2014 a alimenté à son tour les soupçons sur la réalité de la neutralité du pouvoir judiciaire. À la suite d’un accord entre le MAS et l’opposition, les dispositions transitoires de la nouvelle Constitution interdisaient au chef de l’État sortant de se porter de nouveau candidat à l’occasion de cette échéance. Pourtant, le Tribunal constitutionnel a finalement invalidé cette disposition, jugeant que l’adoption d’une nouvelle Constitution conduisait logiquement à considérer le mandat de 2009-2014 comme un premier mandat. Toutefois, si les critiques contre le pouvoir exécutif sont nombreuses et mettent parfois en lumière des dysfonctionnements réels, elles apparaissent souvent comme le seul « programme » d’une droite peinant à s’imposer comme une alternative crédible à E. Morales. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 44 02/03/2016 16:27:29 Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 45 À ces difficultés s’ajoute un dilemme d’ordre stratégique : faut-il ou non une candidature unique afin de contraindre a minima E. Morales à un second tour, ce qui semble être la seule ambition que la droite puisse avoir ? Une telle perspective est rendue compliquée par les multiples clivages qui traversent l’opposition. Parmi ceux-ci, le clivage régional est le plus significatif. La stratégie du « retrait vers le local », qui apparaît dès 2005 comme une arme efficace pour endiguer l’expansion électorale du MAS, a largement conduit l’ensemble de la droite à négliger tout projet de dimension nationale. Le clivage politique a également un rôle fondamental : ainsi, cette droite achoppe-t-elle sur la tactique à opposer à l’hégémonie du MAS et de E. Morales. Au sein de cette famille politique, c’est une opposition radicale à E. Morales qui s’est longtemps montrée la plus efficace. Incarnée tour à tour par Jorge « Tuto » Quiroga et Manfred Reyes Villa dans les Andes, ou Rubén Costas et Leopoldo Fernández en Amazonie, cette droite dure a longtemps relégué le projet d’« opposition raisonnable » de Samuel Doria Medina, chef d’entreprise et ancien ministre de l’Économie (1991-1993) à une position marginale dans cet espace politique. Cependant, la crise politique de 2008, qui a contraint la droite à normaliser ses relations avec le pouvoir central, a complètement renversé le rapport de force au profit de S. Doria Medina, qui ne pouvait jusque-là que se prévaloir d’être arrivé en troisième position lors des élections présidentielles de 2005 et 2009. C’est du reste S. Doria Medina qui prend l’initiative, à la fin de l’année 2013, de la constitution d’un front commun, le Front large (Frente Amplio), afin d’aboutir à une candidature unique de l’opposition – un front où l’on retrouve des figures liées à l’« ancien régime » néolibéral, mais aussi d’anciens alliés du MAS comme le dirigeant indigène Rafael Quispe. Surtout, il obtient le ralliement du plus important regroupement politique amazonien, le Mouvement démocrate social (MDS), qui réunit la plupart des dirigeants régionalistes des années 2005-2008, tels le gouverneur de Santa Cruz R. Costas, ou l’ancien gouverneur du Beni, Ernesto Suárez. Au terme d’une primaire organisée en avril 2014, S. Doria Medina endosse ainsi le rôle d’opposant à vocation unitaire, avec un sigle créé pour l’occasion : Unité démocrate (UD). En choisissant E. Suárez pour compléter son « ticket » présidentiel, il consolide l’alliance avec les régionalistes de l’Orient amazonien et s’y assure la mobilisation d’un appareil partisan au maillage territorial sans égal. Toutefois, cette alliance avec certains des radicaux d’hier n’a guère influencé la ligne politique du candidat de l’UD : comme en 2009, S. Doria Medina ne propose pas d’en finir avec les programmes sociaux gouvernementaux, mais bien de les améliorer, en privilégiant tout particulièrement la lutte contre l’extrême pauvreté. De fait, les attaques de S. Doria Medina contre le MAS portent moins Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 45 02/03/2016 16:27:29 46 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 sur le « fond » que sur le « style » de l’action gouvernementale, l’exécutif étant décrit comme autoritaire, corrompu, inefficace sur le terrain 11 et complaisant vis-à-vis du narcotrafic 12. L’initiative unitaire de l’UD n’a toutefois pas permis de regrouper l’ensemble de la droite bolivienne : J. « Tuto » Quiroga, ancien président par intérim (2001-2002) et ancien rival de E. Morales lors de l’élection de 2005, se lance dans la course à la présidence en empruntant le sigle du Parti démocratechrétien (PDC), qui n’était plus qu’une coquille vide, et glane le soutien de bon nombre de partis qui composaient autrefois l’ossature de la configuration partisane antérieure à 2005 – d’ailleurs, il est à souligner que les listes du PDC se distinguent de celles proposées par S. Doria Medina par une présence plus marquée de personnalités étroitement associées à l’ère néolibérale (Roxana Sandóval, Otto Ritter). J. Quiroga avance un programme volontiers plus libéral que l’UD en économie, avec la mise en place d’un système d’actionnariat populaire dans les compagnies publiques, et plus conservateur sur les questions de société (telle la remise en cause du caractère laïque de l’État, introduit en 2009). Bien qu’il ne dispose pas du même réseau militant que par le passé – réseau dont les membres sont massivement partis à l’UD en Amazonie –, J. Quiroga présente donc un profil en bien des points similaire à celui qui était déjà le sien en 2005. Parallèlement à cette offre ancrée à droite, les élections générales de 2014 ont également vu l’émergence d’un espace politique pour des formations se revendiquant du proceso de cambio (processus de transformation sociale) 13 tout en étant opposées au gouvernement Morales. Parmi elles, le petit Parti vert (PV) et son candidat Fernando Vargas, indigène issu d’une communauté du Tipnis et ancien animateur des luttes contre le projet de route. F. Vargas s’est érigé en trait d’union entre indigènes et paysans en rupture de ban avec le MAS, écologistes effrayés par le productivisme du gouvernement, ou militants de gauche estimant que l’administration de E. Morales a « trahi » les mouvements sociaux. Autre candidat se positionnant dans cet espace, Juan del Granado : l’ancien maire de La Paz revendique en effet le bilan économique et social d’un gouvernement du 11 . S. Doria Medina s’en est ainsi pris, en juin 2013, à un programme d’action publique consacré à l’exécution de travaux publics, Bolivia cambia, Evo cumple (La Bolivie change, Evo tient ses promesses), pourtant réputé pour son efficacité. Le dirigeant de l’UD a dénoncé à cette occasion les malfaçons ou les retards affectant environ 400 des 4 000 projets d’infrastructures financés dans le cadre de ce programme. 12 . Si la question du narcotrafic en Bolivie demeure un sujet de préoccupation pour la communauté internationale, elle ne fait plus autant l’objet de controverses sur la scène politique nationale, et s’avère donc être un argument moins efficace que par le passé pour attaquer E. Morales en sa qualité de représentant des cultivateurs de coca, responsabilité qu’il assume encore aujourd’hui. 13 . C’est en ces termes que l’on évoque, dans le langage courant, la période ouverte par le cycle de protestations antilibérales des années 2000-2005, et poursuivie par l’élection en 2005 de E. Morales, porte-voix de ces mouvements sociaux au sein des institutions. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 46 02/03/2016 16:27:29 Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 47 MAS avec lequel son parti, le Mouvement sans peur (MSM), a collaboré de 2005 à 2009, mais rejette catégoriquement l’autoritarisme qui caractériserait aujourd’hui le pouvoir exécutif 14. Le pari du dirigeant du MSM semble d’autant plus tenable que son parti a réussi à résister au MAS en 2010 en conservant la mairie de La Paz et en enlevant celle d’Oruro. En espérant « mordre » sur un électorat urbain, grâce notamment à un petit appareil partisan présent dans l’ensemble du pays, J. del Granado compte disposer d’atouts suffisants pour s’imposer comme l’« opposant de gauche » à E. Morales. Comme le PV, il engrange le ralliement d’anciens militants du MAS, tel Roberto Coraite, ancien dirigeant syndical paysan. Comme le suggère ce panorama, la domination du MAS à l’échelle nationale résulte également de la difficulté éprouvée par l’opposition pour sortir de la crise dans laquelle elle se trouve plongée depuis 2008, et à s’unir autour d’un projet commun. C’est dire si la campagne s’annonce sous les meilleurs auspices pour E. Morales et les siens. Les élections générales de 2014 : un triomphe pour le MAS, une impasse pour l’opposition Au terme de plusieurs mois de tractations, ils sont finalement cinq à être officiellement intronisés candidats au mois de juillet 2014 : E. Morales (MAS), S. Doria Medina (UD), J. « Tuto » Quiroga (PDC), J. del Granado (MSM) et F. Vargas (PV). Toutefois, la campagne à proprement parler n’enflamme guère l’espace public, tant le suspense entourant l’élection se limite à savoir si E. Morales sera contraint à un second tour, inédit 15. Un objectif que seul S. Doria Medina semble en mesure d’atteindre, ce qui n’a pas manqué de peser sur les campagnes respectives de J. Quiroga et J. del Granado, chacun sommé en permanence de justifier le maintien de sa candidature. En réalité, l’enjeu de l’élection est moins de connaître l’identité du vainqueur du scrutin – qui ne peut être que E. Morales qui, du reste, refuse de prendre part au moindre débat –, que de savoir si le processus de recomposition de l’opposition entamé en 2005 finira par déboucher sur l’émergence d’un leadership incontestable en son sein. 14 . Le MAS et le MSM rompent leur alliance au terme des élections générales de 2009, sur fond de tensions croissantes entre les deux partis à l’approche des élections municipales et régionales. 15 . La loi du régime électoral du 30 juin 2010 introduit pour la première fois un 2e tour au suffrage universel direct pour l’élection du président, autrefois désigné par le Congrès lorsque la majorité absolue n’était pas atteinte. Pour être élu dès le 1er tour, il faut soit obtenir la majorité absolue, soit franchir le cap des 40 % des suffrages et compter plus de dix points d’avance sur le concurrent arrivé en seconde position. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 47 02/03/2016 16:27:30 48 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 Tableau 2. Les résultats des élections générales de 2014 Voix % Sièges à la Chambre des députés Sièges au Sénat 3 173 304 1 253 288 467 311 140 285 137 240 316 248 5 487 676 61,36 24,23 9,04 2,71 2,65 88 32 10 0 0 25 9 2 0 0 100 130 36 Candidats Evo Morales (MAS) Samuel Doria Medina (UD) Jorge Quiroga (PDC) Juan del Granado (MSM) Fernando Vargas (PVB) Votes nuls ou blancs Total Source : Tribunal suprême électoral. Dans un tel contexte, il est devenu difficile d’imaginer un autre scénario que celui esquissé par les instituts de sondage 16. De fait, le 12 octobre, jour du scrutin, le verdict des urnes confirme ces tendances, E. Morales étant largement réélu avec 61,4 % des suffrages. Dans son sillage, le MAS l’emporte également et conserve le contrôle du Congrès en obtenant de nouveau la majorité à la Chambre des députés (88 sur 130) et au Sénat (25 sur 36) 17. Surtout, E. Morales et les siens réalisent une percée inédite dans l’Orient amazonien : seul le Beni échappe au raz-de-marée électoral favorable au MAS, la formation de E. Morales parvenant à faire tomber dans son escarcelle la région de Santa Cruz, autrefois considérée comme un bastion imprenable, et ce pour la première fois lors d’une élection nationale. Si E. Morales perd quelques points par rapport aux 64,1 % atteints en 2009, cette stabilité apparente cache en fait une évolution significative de la géographie du vote pour le MAS. Dans les régions andines, le parti connaît en effet une légère érosion et enregistre des pertes de l’ordre de 10 % dans des départements comme ceux de La Paz, Oruro et Potosí. Il faut toutefois garder en mémoire que les résultats exceptionnels, autour de 80 %, obtenus en 2009 étaient en partie le fruit d’un contexte politique particulier, où l’opposition était affectée par un discrédit sans précédent. Ces pertes de voix sont en revanche largement compensées par une nette avancée dans l’Orient amazonien et, au-delà, dans la Media Luna hier ancrée à droite. Les victoires serrées de 2009 à Chuquisaca et à Tarija sont confirmées grâce à des résultats en nette amélioration. Surtout, le MAS remporte son premier succès à Santa Cruz en y frôlant la majorité absolue (49 %). Malgré une progression de quatre points, en revanche, le Beni reste à droite et s’impose comme le dernier bastion de la résistance à E. Morales. Au terme de ce scrutin, l’évidente homogénéisation de la carte électorale du MAS, autrefois marquée par une véritable césure entre les 16 . Toujours donné en tête à partir d’avril 2014, le candidat Morales est crédité de scores allant au-delà des 50 % dès le mois d’août. 17 . Le système électoral bolivien est un système mixte à finalité proportionnelle, calqué sur le modèle allemand. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 48 02/03/2016 16:27:30 ❮ 49 Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire Andes et l’Amazonie, semble donc valider les choix stratégiques effectués par la direction du parti depuis 2009. Par ailleurs, cette homogénéisation s’accompagne d’une véritable territorialisation du vote puisque le MAS remporte 49 des 63 circonscriptions en jeu, révélant ainsi une croissante implantation dans ces territoires hier aux mains de l’opposition. Résultats des élections générales par département : 2005, 2009 et 2014 2009 2005 2014 do do do Pan La Pa ba m ba a ch Co ca sa ui q hu Potosi C Tarija Régions remportées par E. Morales Régions remportées par J. Quiroga ba m ba a ch Santa Cruz Oruro Beni La Pa z Beni La Pa z Beni Pan z Pan Co Oruro ca isa qu u Potosi Ch Tarija Régions remportées par E. Morales Régions remportées par M. Reyes Villa ba m ba a ch Santa Cruz Santa Cruz Co Oruro ca isa qu u Potosi Ch Tarija Régions remportées par E. Morales Régions remportées par S. Doria Medina À droite, ces élections valident également les tendances avancées par les sondages : avec l’arrivée en tête de S. Doria Medina (24,2 %), devant J. Quiroga (9 %), le renversement du rapport de force entre hardliners et softliners s’opère pour la première fois au profit des seconds à l’occasion d’un scrutin national. Cependant, il s’agit d’une victoire à la Pyrrhus pour S. Doria Medina, dont la deuxième place s’explique surtout par la mobilisation des réseaux de ses alliés amazoniens, et ce alors même que deux départements ont été perdus. Si la défaite dans le Pando était prévisible après la perte du gouvernement régional en 2010, la déroute inédite enregistrée à Santa Cruz, en revanche, s’apparente à un véritable camouflet, que la seule victoire dans le Beni (avec 51,4 %) ne parvient guère à compenser. Surtout, tout indique que la guerre pour le leadership à droite risque à nouveau d’éclater lors des prochaines échéances électorales. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 49 02/03/2016 16:27:30 Graphique 4. Les élections générales : 2005, 2009 et 2014 70 64,1 60 50 61,4 53,7 40 30 28,6 26,6 24,2 20 10 9 7,8 5,7 0 2005 Evo Morales 2009 Jorge Quiroga/ Manfred Reyes Villa 2014 Samuel Doria Medina Source : Tribunal suprême électoral. À gauche, les résultats sont encore plus calamiteux pour J. del Granado : avec à peine 2,7 % des voix, l’ancien allié de E. Morales se voit contraint de hâter sa retraite politique, tandis que son parti, le MSM, est appelé à disparaître 18. La sentence est identique pour le Parti vert, en dépit du score honorable de F. Vargas (2,7 % également), qui va jusqu’à devancer J. del Granado dans son ancien fief de La Paz (4,6 % contre 4 % pour le candidat du MSM). En dépassant à peine la barre de 5 % des voix à eux deux, J. del Granado et F. Vargas ont montré à leurs dépens combien il était délicat, voire impossible à ce jour, de prétendre concurrencer E. Morales sur ses plates-bandes. Surtout, la perte de la personnalité juridique de leurs formations respectives prive d’emblée les acteurs de cet espace politique si particulier, « l’opposition de gauche » à E. Morales, d’une structure mobilisable à l’occasion des prochains scrutins – ce qui constitue un véritable obstacle compte tenu du cadre contraignant imposé par la loi sur les partis politiques. 18 . La loi sur les partis politiques impose aux candidats à des élections générales d’être soutenus par des partis. Or, ces partis doivent eux-mêmes remplir un certain nombre de critères (nombre de militants, ressources financières, etc.) afin de pouvoir obtenir une personnalité juridique synonyme d’existence légale. Pour conserver celle-ci, un parti se présentant à des élections générales doit obtenir au moins 3 % des voix sous peine de devoir verser une pénalité financière à l’État. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 50 02/03/2016 16:27:30 Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 51 Conclusion Durant les premières années de gouvernement Morales, il était de coutume d’évoquer une polarisation politique extrême, cristallisée par une fracture territoriale entre l’Occident andin et l’Orient amazonien 19. Au risque d’essentialiser un tel clivage et d’en ignorer les ressorts spécifiquement politiques. Le grand acquis du MAS, lors de ces élections générales, est évidemment d’avoir étendu un peu plus son hégémonie aux régions de la Media Luna. Mais on ne peut imputer cette évolution à la seule bonne santé de l’économie bolivienne, ni même à la seule reconfiguration brutale du champ politique en 2008. En effet, il convient d’indiquer ici que les élections subnacionales (régionales et municipales) de mars 2015 ont été marquées par un léger recul du MAS qui, tout en conservant un grand nombre de régions (5 sur 9) et de municipalités (225 sur 339), s’avère néanmoins encore incapable de l’emporter dans les grands centres urbains, où les leaderships locaux lui résistent encore efficacement, y compris dans les Andes 20. Pour saisir les ressorts de l’expansion de l’hégémonie du MAS, il faut donc prendre en compte trois facteurs explicitement politiques : d’abord, le choix stratégique de la direction du MAS d’ouvrir les portes du parti aux « adversaires repentis » et d’approfondir ainsi la crise de l’opposition, en multipliant les alliances sur le terrain. Un choix pragmatique qui n’allait pas de soi pour une formation qui, autrefois, bâtissait sa crédibilité sur le fait de ne pas négocier avec les « néolibéraux ». Un choix par ailleurs difficile tant il engendre de fortes tensions au sein du parti. Si ces alliances sont néanmoins possibles, et cela constitue le second facteur, c’est aussi parce qu’une partie significative de l’opposition s’est convaincue qu’elle devrait composer avec le MAS pour quelques années au moins, et qu’une ligne politique fondée sur la confrontation pouvait s’avérer fatale à la droite comme aux groupes sociaux que celle-ci représente. Sur la base de cette anticipation, une fraction de la droite cherche ainsi à rétablir avec le MAS la relation qui était la sienne avec les partis qui structuraient la configuration politique antérieure à 2005, lorsque les élites locales amazoniennes tendaient à se « distribuer » entre les principaux partis afin de se prémunir contre toute surprise issue des urnes 21. Enfin, le troisième facteur concerne le cadre institutionnel imposé par les élections générales : la dynamique de « repli vers le local » qui a découlé de la stratégie autonomiste a conduit 19 . Daniel Dory, « Polarisation politique et fractures territoriales en Bolivie », Hérodote, no 123, 2006, p. 82-87. 20 . Depuis sa fondation, les seules grandes municipalités remportées par le parti de E. Morales sont Cochabamba, El Alto et Cobija en 2010, puis Potosí et Sucre en 2015 – les villes précédemment mentionnées ayant été immédiatement perdues au terme d’un seul mandat. 21 . Zéline Lacombe, « Ni syndical, ni politique. Le champ civique comme espace de pouvoir spécifique du régionalisme crucénien », in Joëlle Chassin et Denis Rolland (dir.), Pour comprendre la Bolivie d’Evo Morales, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 147-157. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 51 02/03/2016 16:27:30 52 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 la droite, historiquement constituée en partis dotés d’une implantation nationale, à un émiettement devenu structurel, qui oblige l’ensemble de ces acteurs à renégocier entre eux des alliances conjoncturelles fragiles, d’élection en élection. Tout aussi fortes sont les contraintes qui pèsent sur l’« opposition de gauche », notamment en termes de ressources financières et militantes, et qui constituent un obstacle de taille à son institutionnalisation dans le champ politique national. Et ce alors même que cette opposition est d’ores et déjà parvenue à obtenir d’éclatants succès lors des subnacionales de mars 2015, lors desquelles le regroupement citoyen Souveraineté et Liberté (SOL.bo), né sur les cendres encore brûlantes du MSM, a réussi à conserver la mairie de La Paz et à conquérir le gouvernement régional 22. Il ne faut cependant pas omettre une variable qui pourrait rendre l’échelon national bien plus gagnable par ces oppositions à moyen terme : le leadership de E. Morales. Clé de voûte d’un édifice partisan hétérogène et complexe, le chef de l’État demeure également le meilleur atout électoral du MAS, ce dont les résultats des élections générales attestent : alors que l’ensemble des candidats à la députation présentés par le parti dans les 63 circonscriptions locales ont rassemblé un peu plus de deux millions de voix (2 203 629) lors de ces élections générales, le président en a obtenu presque un million de plus sur son seul nom (3 173 304). L’avenir du MAS, parti pourtant solidement implanté sur l’ensemble du territoire national, continue à dépendre de la popularité du président. Un constat qui n’aura guère échappé à l’opposition, qui sait que E. Morales aura besoin d’une réforme constitutionnelle pour pouvoir briguer un quatrième mandat consécutif en 2019. BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE John Crabtree, George Gray Molina et Laurence Whitehead (dir.), Tensiones irresueltas. Bolivia, pasado y presente, La Paz, PNUD Bolivia/Plural, 2009. Alberto García Orellana, Fernando García Yapur et Marizol Soliz Romero (dir.), MAS legalmente, IPSP legítimamente. Ciudadanía y devenir Estado de los campesinos indígenas en Bolivia, La Paz, PIEB/PNUD Bolivia, 2014. Pablo Stefanoni, « Posneoliberalismo cuesta arriba. Los modelos de Venezuela, Bolivia y Ecuador en debate », Nueva Sociedad (Buenos Aires), n° 239, 2012, p. 51-64. María Teresa Zegada Claure, « El rol de la oposición política en Bolivia (2006-2009) », in A. García Orellana et F. García Yapur (dir.), Mutaciones del campo político en Bolivia, La Paz, PNUD Bolivia, 2010, p. 151-239. 22 . Introduit dans la Constitution en 2004, le regroupement citoyen consiste en une forme juridique de représentation politique plus souple que le parti, admise pour tous les scrutins à l’exception des élections générales. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 52 02/03/2016 16:27:30 Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 53 ■■ Déjà publié sur la Bolivie • Les grands chantiers de la Bolivie d’Evo Morales Laurent Lacroix Édition 2013, collection « Mondes émergents » Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 53 02/03/2016 16:27:30 Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 54 02/03/2016 16:27:30 Les élections de 2014 et 2015 au Salvador : polarisation partisane, nouveaux comportements électoraux ❮ 55 Les élections de 2014 et 2015 au Salvador : polarisation partisane, nouveaux comportements électoraux D A V I D G A R I B AY Professeur des universités en science politique à l’Université Lumière Lyon 2, Triangle Au Salvador, l’accord de paix de 1992 a mis fin à douze ans de guerre civile. La négociation de ce texte a conduit à une réduction des effectifs de l’armée, à une démobilisation de la guérilla, à la mise en place de programmes de réinsertion et à des réformes institutionnelles. Du point de vue militaire, la démobilisation a eu effectivement lieu et il n’y a eu ni reprise des hostilités, ni instauration d’un climat de violence politique. Le bilan social est beaucoup plus mitigé. Les programmes de reconstruction et de réinsertion ont très vite manqué de financements. Ces difficultés se sont ajoutées à une situation sociale et économique difficile, avec des niveaux de pauvreté très élevés. Par ailleurs, pendant l’après-guerre, une forme de violence dite sociale ou quotidienne s’est développée de manière très importante, avec en particulier l’apparition des maras, groupes de jeunes fort violents qui vivent de l’extorsion. Le pays connaît ainsi des taux d’homicides extrêmement élevés. Toutefois, du point de vue politique et institutionnel, les accords de paix ont mené à la mise en place d’une démocratie remarquable : les acteurs (gouvernement et guérilla) qui étaient hier des ennemis militaires sont devenus des adversaires politiques, et la vie partisane est aujourd’hui construite autour d’une forte polarisation entre la gauche et la droite, sans que pour autant ce clivage fort ait conduit à une remise en question de la stabilité des institutions démocratiques. En 1994, date des premiers scrutins organisés après la signature de la paix, le parti au pouvoir, Alianza Republicana Nacionalista (Arena) l’emporte largement tant lors de l’élection présidentielle que des élections législatives. La création de ce parti, dans les années 1980, a marqué l’évolution de certains secteurs de la droite nationaliste et entrepreneuriale. Adepte au début du conflit armé de la mise en œuvre d’une stratégie anti-insurrectionnelle, en particulier par l’intermédiaire des Escadrons de la mort dont elle était proche, celle-ci a en effet choisi ensuite de jouer le jeu institutionnel. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 55 02/03/2016 16:27:30 56 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 Parvenue au pouvoir en 1989, Arena incarne alors une droite néolibérale, proche de Washington, mais dont les dirigeants, pragmatiques, acceptent la possibilité de négocier avec la guérilla. De son côté, la guérilla du Frente Farabundo Marti para la liberación nacional (FMLN) est une organisation politico-militaire qui rassemble des groupes d’extrême gauche aux orientations idéologiques diverses. Devenu parti politique, le FMLN parvient à conserver son unité, en dépit de tensions internes. Ainsi, à de nombreuses reprises, des dirigeants et des militants, en désaccord avec la direction, quittent le parti. Mais ces dissidents ne parviennent pas à constituer une formation concurrente et beaucoup d’entre eux abandonnent la politique. Le FMLN élabore un programme politique qui affirme la continuité avec l’organisation révolutionnaire qu’il était tout en s’inscrivant dans une ligne économique plutôt modérée. L’affirmation selon laquelle l’État doit mettre en œuvre une politique keynésienne classique apparaît néanmoins comme très radicale face au programme ouvertement néolibéral de son adversaire de droite 1. Les deux formations restent très marquées, dans leur imaginaire et leur culture partisane, par la mémoire de la guerre et de leur opposition armée : les campagnes électorales constituent en particulier un moment où réapparaissent les slogans martiaux de la guerre civile. Entre 1994 et 2009, l’équilibre entre les deux forces est plutôt stable : l’un et l’autre des deux partis peuvent compter sur un électorat fidèle et dont l’importance est comparable (autour de 35 % des voix chacun). Toutefois, Arena est en mesure d’attirer un électorat plus large lors des élections présidentielles et l’emporte avec une marge appréciable, d’autant que les candidats choisis ne sont pas des dirigeants historiques du parti et peuvent présenter un profil assez nouveau, reflétant ainsi une prise de distance par rapport aux années de la guerre civile (Francisco Flores en 1999, Tony Saca en 2004). De son côté, le FMLN remporte des succès probants aux élections municipales, en particulier dans les grandes villes, tout en restant dans l’opposition. La gestion de la capitale, San Salvador, et de nombreuses villes de sa périphérie, dès 1997, constitue une vitrine pour ce parti, qui innove en mettant en œuvre des politiques participatives 2. 1 . Pour une analyse de l’évolution du FMLN depuis la fin de la guerre civile, dans une perspective comparée avec le reste de la région, voir Martí Salvador, “The Central American Left” in S. Martí, Diego Sánchez-Ancochea, Handbook of Central American governance, London, New York, Routledge, 2014. 2 . D. Garibay, « La diffusion des modèles de démocratie participative au niveau local au Salvador », Participations, 2015/1, no 11. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 56 02/03/2016 16:27:30 Les élections de 2014 et 2015 au Salvador : polarisation partisane, nouveaux comportements électoraux ❮ 57 2009 : le FMLN au pouvoir… ou presque Mais les élections de 2009 et, surtout, le scrutin présidentiel marquent un tournant. Les élections législatives et municipales ont lieu en janvier 3. Aux législatives, la progression de l’ancienne guérilla est notable. Avec 42 % des voix et 35 députés sur 84, le FMLN obtient son meilleur résultat depuis 1994 et le groupe parlementaire le plus important. Arena (38 % des voix) obtient 32 élus. Toutefois, comme lors des législatures précédentes, les petits partis sont indispensables pour pouvoir constituer des majorités et, avec 11 sièges, le Partido de Conciliación Nacional (PCN, ancien parti des militaires, incarnant une droite traditionnelle et aujourd’hui construit autour de quelques figures exerçant des leaderships locaux) devient un pivot : l’un ou l’autre des deux partis dominants ont besoin de lui pour obtenir une majorité. Aux élections municipales, le FMLN gagne une trentaine de nouvelles mairies, mais perd San Salvador, qu’il administrait depuis 1997, et sept villes de l’aire métropolitaine. Figure importante d’Arena, Norman Quijano l’emporte dans la capitale, avec 49,8 % des voix contre 46,5 % pour le candidat du FMLN. La perte de la capitale par l’ancienne guérilla était annoncée par une longue crise interne au sein des instances locales du parti – deux des maires antérieurs (Hector Silva de 1997 à 2003 et Carlos Rivas de 2003 à 2006) ayant tous deux achevé leur mandat alors qu’ils étaient en conflit ouvert avec leur propre parti. Mais il est aussi possible de relier cette défaite aux évolutions de la composition socio-économique de la capitale, dont la population rajeunit et où les classes moyennes se développent. La région métropolitaine, et en particulier les villes à l’habitat plus populaire de la banlieue, a formé historiquement le bastion électoral du FMLN. En cela, les défaites essuyées dans de nombreuses villes sont plus préoccupantes pour le parti car elles rendent compte des difficultés que rencontre cette formation en matière de gestion locale et de renouvellement des réseaux militants. Les résultats des législatives placent toutefois le FMLN en position de force dans la perspective de l’élection présidentielle. Néanmoins, cette victoire électorale est marquée par une participation faible (51,9 %). Pour l’élection présidentielle, où la participation est plus forte, le FMLN peut certes compter sur un socle électoral fidèle, mais il a jusque-là peiné à rallier de nouveaux électeurs. 3 . Au début de la décennie 1980, des élections sont mises en place avec un calendrier différent pour les législatives et les municipales (tous les 3 ans à partir de 1982) et présidentielles (tous les 5 ans à partir de 1984). Ces élections ont donc lieu la même année tous les 25 ans (1994, 2009, 2024, etc.). Les élections législatives sont organisées sur la base de circonscriptions qui correspondent aux 14 départements du pays. Le mode de scrutin proportionnel au plus fort reste ainsi que l’existence d’un nombre important de circonscriptions qui élisent un nombre réduit de députés garantissent une représentation au parti tiers. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 57 02/03/2016 16:27:30 58 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 Tableau 1. Résultats des élections présidentielles 2004 voix Inscrits 2009 % 3 442 330 voix 2014 % 4 294 849 1er tour voix 2e tour % voix % 4 955 107 Suffrages exprimés/Taux 2 277 473 de participation 66,2 2 638 588 61,4 2 689 204 54,3 2 985 266 60,25 FMLN 812 519 35,7 1 354 000 51,3 1 315 768 48,9 1 495 815 50,1 Arena 1 314 436 57,7 1 284 588 48,7 1 047 592 39,0 1 489 451 49,9 150 518 6,6 Gana Autres 307 603 11,4 18 241 0,7 Les deux seuls candidats à se présenter à la présidentielle sont ceux d’Arena et du FMLN. Après avoir exercé la magistrature suprême durant vingt ans, Arena est marquée par une usure du pouvoir. Les choix économiques (adoption du dollar comme monnaie nationale, ouverture commerciale, appui aux industries d’assemblage) ne se traduisent pas par une croissance soutenue. Le gouvernement semble incapable d’enrayer la violence sociale. Le candidat Rodrigo Avila est une figure classique du parti. Le choix d’investir le ministre de l’Intérieur sortant est à double tranchant, car si cela est conforme avec les thématiques centrales du parti sur une ligne répressive contre la violence, R. Avila va également souffrir du fait qu’il est accusé de ne pas avoir pu contrer l’insécurité. Inversement, le FMLN fait un choix notable, celui d’un candidat qui n’est pas un de ses membres historiques. Cette décision est le résultat de l’analyse des élections précédentes et de l’échec de candidats issus du parti, mais s’explique aussi par le fait que les autres candidats potentiels étaient a priori peu nombreux. Le décès de Shafick Hándal, dirigeant historique de la guérilla, en janvier 2006, a privé le FMLN à la fois d’une de ses figures les plus visibles et de l’un des plus fervents opposants à une candidature extérieure. Le FMLN sollicite Mauricio Funes, journaliste, considéré comme une voix indépendante et critique. Ce dernier forme un « ticket » avec l’un des derniers dirigeants historiques du FMLN encore en vie, Salvador Sanchez Cerén. À l’issue d’une campagne où sont mises en avant les thématiques du changement, le FMLN l’emporte, toutefois avec une marge bien plus étroite que ne l’annonçaient les sondages (51,3 % des voix). Pour la première fois dans l’histoire du pays, un candidat présenté par le FMLN gagne donc l’élection présidentielle. Plus largement, c’est le premier candidat présenté par un parti de gauche à s’imposer au Salvador depuis les années 1930. M. Funes a su, par-delà la base militante du FMLN, séduire un électorat plus large. L’équipe de campagne puis par la suite la composition du gouvernement reflètent toutefois une union hétérogène entre, d’une part, la direction du Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 58 02/03/2016 16:27:30 Les élections de 2014 et 2015 au Salvador : polarisation partisane, nouveaux comportements électoraux ❮ 59 parti, capable de mobiliser sa base militante, et, d’autre part, le candidat devenu président, entouré d’un groupe de cadres, au profil plutôt technocrate, provenant surtout des classes moyennes intellectuelles et qui vont occuper des positions stratégiques. Ce groupe est un réseau informel surnommé Los amigos de Mauricio (Les amis de Mauricio) mais qui jouit d’une forte visibilité, du fait des trajectoires professionnelles de ses membres et de leurs liens importants dans le pays et à l’étranger, notamment dans les réseaux de la coopération internationale – les personnes qui constituent ce groupe ont pu être proches de la guérilla pendant la guerre civile, mais sans en être membres 4. Toute la présidence de M. Funes est marquée par cet équilibre précaire entre ces deux composantes, qui ne s’entendent pas, ne partagent ni la même vision, ni la même culture politique et militante, mais cohabitent et ont besoin l’une de l’autre. La direction du parti souhaite mettre en œuvre des politiques marquées à gauche, en particulier au niveau social, et rendre visible un engagement international proche de la gauche radicale latino-américaine, à partir des ministères chargés des questions sociales, où sont les dirigeants du parti, et en s’appuyant aussi sur le groupe parlementaire. Le ministre des Relations extérieures, Hugo Martinez, dirigeant du FMLN, mais longtemps opposant interne à la direction, incarne une ligne intermédiaire. Ceux qui sont proches du président occupent plutôt les ministères économiques et suivent une ligne centriste, plus soucieuse de l’image et de l’attractivité du pays auprès des organismes internationaux et des investissements étrangers, et cherchent à maintenir de bonnes relations avec le secteur privé. Le bilan de la présidence est le résultat de cette relation souvent tendue. Les grandes orientations économiques des gouvernements précédents ne sont pas remises en cause. La dollarisation, fortement contestée par le FMLN quand il était dans l’opposition, est maintenue, de même qu’une politique de promotion active de l’entreprise privée et des investissements étrangers. Par contre, le gouvernement accroît de manière significative les dépenses publiques, en ayant recours à l’endettement, et met en place d’importants programmes sociaux, en particulier en matière de lutte contre la pauvreté. Des mesures sont ainsi prises pour faciliter l’accès aux soins, en contrôlant le prix des médicaments, ou pour inciter les populations les plus pauvres à scolariser leurs enfants grâce à une distribution de fournitures et d’uniformes scolaires et au subventionnement des repas pris dans les écoles. Les programmes en faveur des femmes font l’objet d’un soin attentif, avec la construction d’une infrastructure dédiée (Ciudad Mujer), 4 . Pour une analyse des modes de reconversion d’une partie des anciens cadres du FMLN, voir Benjamin Moallic, « La reconversion militante des acteurs politico-militaires : une remobilisation ambiguë au lendemain des guerres internes (Nicaragua-Salvador) », Cahiers des Amériques latines, 2010, no 60-61, p. 59-76 et B. Moallic, « Victoire des anciens révolutionnaires ou ascension d’un nouveau personnel politique ? Les réaménagements de l’espace politique salvadorien après les élections de 2009 », Problèmes d’Amérique latine, 2010, 78, p. 113-129. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 59 02/03/2016 16:27:30 60 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 à l’extérieur de la capitale, avec un ensemble de programmes destinés à aider les femmes, du point de vue social et économique. Les résultats économiques pour l’ensemble du mandat sont globalement satisfaisants, le Salvador ayant retrouvé un taux de croissance de 2 % en moyenne par an après avoir été fortement affecté par la crise mondiale de 2008. Mais le pays continue à être très largement dépendant des transferts familiaux envoyés par les migrants installés aux États-Unis. Les effets couplés de ces remesas et des politiques sociales ciblées ont néanmoins eu pour conséquence de diminuer la proportion de la population au-dessus d’un seuil de pauvreté établi à un revenu de 2,50 dollars par jour. Cette proportion est passée de 20,2 % en 2008 à 15,1 % en 2013, selon les données de la Banque interaméricaine de développement (BID). Toutefois, cette évolution est à peu près équivalente à celle de l’ensemble de la région latino-américaine. Quelques actions fortement symboliques sont prises au niveau international (reprise des relations avec Cuba, reconnaissance de l’État de Palestine) mais sans un véritable rapprochement avec le Venezuela ou le Nicaragua. Lors de la crise hondurienne, le gouvernement condamne très vivement le coup d’État perpétré contre Manuel Zelaya en juin 2009. Mais il se range derrière les États-Unis et les organisations régionales (l’Organisation des États américains, OEA), en reconnaissant le président issu des élections organisées fin 2010, alors même que la légitimité de ce scrutin est contestée par les partis et les mouvements de gauche de l’ensemble de la région. Le Salvador est parmi les premiers à demander la réintégration du Honduras dans les instances d’intégration régionales. Il maintient de même des relations avec Taïwan, héritage de la Guerre froide. Le gouvernement donne une impulsion forte à l’intégration centraméricaine, mais de manière assez classique, sans un affichage radical ou progressiste, préférant le renforcement des liens politiques et économiques entre les pays de l’isthme centraméricain, indépendamment de l’orientation de leur gouvernement, à celle impulsée par le Venezuela autour de l’Alba 5. La gestion de l’aide vénézuélienne illustre la recherche de l’équilibre poursuivie par le gouvernement : les municipalités administrées par le FMLN constituent une entreprise mixte (Alba Petroleos), qui a accès au pétrole vénézuélien, distribue de l’essence bon marché et finance également des programmes sociaux locaux. L’État ne fait pas partie de ce montage, mais les ministres membres du FMLN l’appuient ouvertement. Enfin, sur la question de la sécurité, le gouvernement s’inspire dans un premier temps de mesures plutôt axées sur la prévention, expérimentées 5 . K. Parthenay, « La gauche centraméricaine et le renforcement de l’intégration sociale centraméricaine », in Olivier Dabène, La gauche en Amérique latine, 1998-2012, Paris, Presses de Sciences Po, 2013. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 60 02/03/2016 16:27:30 Les élections de 2014 et 2015 au Salvador : polarisation partisane, nouveaux comportements électoraux ❮ 61 au niveau municipal 6. Toutefois, ces programmes ne parviennent pas à réduire l’insécurité. C’est par une mesure ambiguë et longtemps tenue secrète que le gouvernement va obtenir des résultats dans ce domaine : en 2012, un accord conclu avec les principaux dirigeants des maras prévoit une amélioration des conditions de détention pour ceux d’entre eux qui sont détenus en échange d’une réduction du recours à la violence de la part de ces groupes. Cette « trêve » a des résultats directs sur la réduction du nombre d’homicides, une grande partie d’entre eux s’expliquant par les actions des maras, en particulier les affrontements entre bandes rivales. Le taux d’homicides qui se situait aux alentours de 70/100 000 dans les années 2009 à 2011 baisse et atteint environ 40/100 000 en 2012. Une fois connu, cet accord est fortement critiqué par Arena. D’autant que ses effets sont limités dans le temps : les niveaux d’homicides augmentent à nouveau à partir de 2014. En dépit de ces résultats contrastés, l’ensemble du gouvernement bénéficie d’une certaine cote selon les enquêtes d’opinion réalisées à la fin du mandat et M. Funes conserve, en particulier, une popularité élevée. Pendant cette période, Arena découvre avec difficulté le statut de parti d’opposition. Sa défaite est suivie de vifs débats internes. Un secteur important, dirigé par l’ancien président T. Saca, décide de quitter la formation et de former un nouveau parti, Gran Alianza Nacional (Gana). Près d’un tiers des députés du groupe parlementaire d’Arena le suivent. L’impact est très fort au sein d’une organisation jusque-là solide. Parallèlement, une enquête judiciaire vise à partir de septembre 2013 l’ancien président F. Flores, qui est par ailleurs le directeur de campagne du parti pour l’élection de 2014 – il est accusé de détournement de fonds et de corruption dans une affaire liée à la gestion de dons provenant de la coopération taïwanaise. Son attitude contribue à affaiblir son image, car il cherche dans un premier temps à fuir la justice. Il se rend finalement aux autorités, et est mis en examen en mai 2014. Là encore, l’effet est important, car il s’agit du premier président salvadorien inculpé pour corruption. La direction du parti, gênée par cette affaire, tente d’en minimiser la portée et entend couvrir son dirigeant. 6 . Louise Bosetti, Nordine Lazreg, « Le FMLN au pouvoir au Salvador. La difficile invention d’une sécurité de gauche », in O. Dabène, La gauche en Amérique latine 1998-2012, op. cit. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 61 02/03/2016 16:27:30 62 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 2014 : l’élection que le FMLN a failli gagner au premier tour et perdre au second La campagne pour l’élection présidentielle de 2014 reflète les tensions existant entre le président et le FMLN 7. Confiant dans sa popularité, M. Funes entend peser sur les débats, alors que la réélection est prohibée et que la Constitution interdit au président en exercice de prendre part à la campagne électorale. C’est lui qui, à l’occasion d’un programme de télévision, et alors que la campagne a commencé, accuse directement son prédécesseur d’être corrompu. L’intervention est diversement appréciée, et la droite lui reproche de sortir de son rôle présidentiel. Mais M. Funes cherche aussi à prendre ses distances avec le FMLN et envisage un temps d’appuyer un autre candidat. II ne parvient cependant pas, finalement, à imposer une ligne autonome, et soutient le candidat du FMLN : son appui se concrétise par la présence très remarquée dans les meetings de campagne de son épouse, Vanda Pignato, responsable des politiques de développement social et en particulier du programme Ciudad Mujer. Le FMLN met un terme à sa stratégie d’alliance. S. Sanchez Cerén s’impose comme le candidat naturel. Il choisit comme candidat à la vice-présidence Oscar Ortiz, le charismatique maire de Santa Tecla, ville importante de l’agglomération de la capitale – membre du FMLN, celui-ci avait un temps incarné une forme d’opposition interne à la direction du parti et n’avait pas de fonctions dans le gouvernement sortant. Tout en étant issu du parti, ce tandem cherche à représenter deux générations de dirigeants, celle issue de la direction historique de la guérilla et celle, plus jeune, qui, tout en ayant participé à la lutte armée, a construit sa légitimité politique dans des mandats électoraux locaux. Arena présente N. Quijano, le maire de San Salvador, qui tire parti de sa popularité comme élu local et met en avant les thématiques classiques de sa formation pour restructurer un parti affaibli par les tensions internes. Il avait réussi, en 2012, à être réélu lors des municipales, avec 63 % des voix. Il oriente dans une grande mesure sa campagne sur la question de l’insécurité. La rhétorique anticommuniste, qui est au cœur de l’identité partisane d’Arena, est largement mobilisée et actualisée à partir des liens supposés entre le FMLN et le Venezuela. 7 . Pour une analyse de l’élection de 2014, voir Alvaro Artiga, « El sistema electoral puesto a prueba », Estudios centroamericanos, 69, 736, 2014 ; Nivaria Ortega, « El Salvador, retos a los partidos politicos », Revista de ciencia política, Santiago, 34, 1, 2014 ; Erica Guevara, Eduardo Malpica, « Salvador. Les élections présidentielles de 2014 : les défis de la continuité », in O. Dabène, (dir.), América Latina Observations électorales, Paris, Opalc, 2015 (http://www. sciencespo.fr/opalc/sites/sciencespo.fr.opalc/files/LAOE%202013-14_0.pdf ). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 62 02/03/2016 16:27:31 Les élections de 2014 et 2015 au Salvador : polarisation partisane, nouveaux comportements électoraux ❮ 63 De son côté, T. Saca, dirigeant du nouveau parti Gana, se présente comme le « troisième homme » de la campagne, à l’écart de la polarisation entre Arena et le FMLN, sous l’étiquette du Mouvement de l’unité. Le FMLN fait habilement campagne sur les acquis de la présidence sortante, et en particulier les politiques sociales que celle-ci a menées, tout en inscrivant les résultats de ces politiques à son seul crédit et à celui de son candidat. Cela porte d’autant plus ses fruits que les politiques les plus visibles et les plus appréciées par la population dans les enquêtes d’opinion 8 sont celles qui concernent la distribution de matériel scolaire. Or, S. Sanchez Cerén a cumulé au sein du précédent gouvernement les fonctions de vice-président et celles de ministre de l’Éducation. Cette campagne fondée sur les réalisations d’une présidence finalement assez modérée réduit la portée des thématiques anticommunistes de la campagne d’Arena quant au danger que représenterait le FMLN au pouvoir. S. Sanchez Cerén, âgé de 70 ans au moment de l’élection, incarne davantage un patriarche bienveillant qu’un dangereux chef de guerre. Pendant toute la campagne, les enquêtes montrent que les citoyens sont bien plus préoccupés par les questions de violence et de délinquance que par les questions sociales et économiques – cela est le reflet à la fois de la détérioration de la situation en matière d’insécurité du fait de la fin de l’accord avec les maras, mais aussi d’une amélioration globale de la situation économique et d’une forme de réussite des politiques sociales du gouvernement Funes. Quant aux prévisions, les sondages sont contradictoires, certains donnant une légère avance au FMLN, d’autres mettant les deux principaux candidats à égalité. Mais aucun ne prévoit le résultat à venir. Au soir du premier tour (2 février), dans un contexte de participation relativement faible (54 %, en recul de 7 points par rapport à 2009), non seulement le FMLN est très largement en tête, avec 10 points d’avance sur Arena mais, surtout, il obtient 48,9 % des voix – il rate l’élection dès le premier tour à 1 point de pourcentage (30 000 voix). Avec 38,9 % des voix, N. Quijano obtient un résultat décevant, le plus faible obtenu par un candidat d’Arena depuis 1994. T. Saca (11,4 %) est très largement distancé : s’il a réussi à capter une partie de l’électorat d’Arena, il échoue à incarner une alternative aux deux grands. L’entre-deux tours constitue pour les deux partis principaux une période d’intense mobilisation. Même s’il a frôlé la victoire au premier tour, le FMLN ne dispose pas de réserves de voix et doit par conséquent compter sur les abstentionnistes. N. Quijano s’adresse directement aux électeurs de 8 . Dans les enquêtes d’opinion sur le bilan du gouvernement Funes, la politique éducative est considérée comme constituant la principale réussite, très loin devant toutes les autres mesures. Voir IUDOP, Boletín de prensa, 28, 3, 2014 (http://www.uca.edu.sv/publica/iudop/archivos/ boletin4_2014.pdf ). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 63 02/03/2016 16:27:31 64 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 T. Saca pour vaincre celui qu’il présente comme leur adversaire commun ; il entend également mobiliser les électeurs qui n’ont pas participé au premier tour, pensant qu’ils lui seront en majorité favorables. Si, cette fois-ci, les sondages vont tous dans le même sens, leurs prévisions vont s’avérer erronées. Ils annoncent tous une large victoire du candidat du FMLN, avec une marge de 10 points. Or, au soir du 9 mars, et avec une participation en forte hausse (60,2 %, plus 6 points) les autorités électorales déclarent qu’un premier décompte donne le FMLN légèrement en tête, mais que le résultat est trop serré pour pouvoir désigner officiellement un vainqueur, et elles recommandent aux candidats de ne pas faire de déclaration sur le résultat. Les deux candidats se proclament cependant victorieux, dans un contexte très tendu. Dans un discours aux tonalités particulièrement martiales, N. Quijano revendique la victoire et en appelle à l’armée pour faire respecter le suffrage et éviter une fraude de la part du FMLN qui conduirait le pays à une situation « à la vénézuélienne ». Plus prudent, et sur un ton beaucoup plus conciliateur, S. Sanchez Cerén cale ses déclarations sur les annonces des autorités électorales. Dans la semaine qui suit le scrutin, les autorités confirment officiellement la très courte victoire du candidat du FMLN, qui l’emporte avec 50,11 % des voix, et seulement 6 364 voix d’avance sur son concurrent. Ce n’est pas la première fois que, au Salvador, des élections se soldent par un résultat très serré : en 2009, lors des élections municipales, dans la capitale, le FMLN l’avait emporté avec 54 voix d’avance sur plus de 144 000 suffrages exprimés (soit 0,04 %). Mais c’est la première fois qu’un scrutin présidentiel présente cette particularité. La marge très étroite qui sépare les deux candidats conduit Arena à dénoncer des fraudes. Ce parti saisit la justice électorale et la Cour suprême pour demander le recompte des bulletins et l’annulation de l’élection : comme souvent à l’occasion des élections salvadoriennes, le dépôt de plaintes s’accompagne de manifestations, vives, bruyantes et parfois violentes, devant les tribunaux compétents. Les observateurs électoraux ont néanmoins tous signalé que l’élection s’était déroulée dans le calme, dans des conditions correctes 9. À l’issue des opérations de vérification, le FMLN est proclamé vainqueur. L’ambassade des États-Unis, jusque-là très discrète, intervient alors pour reconnaître la victoire de S. Sanchez Cerén. Et, malgré les déclarations martiales de son candidat le soir de l’élection, la direction d’Arena accepte le résultat. Les résultats du deuxième tour expriment de manière éclatante la polarisation entre les deux principaux partis. Une comparaison rapide des résultats entre les deux tours montre que les deux partis ont été en mesure de capter 9 . Voir par exemple le rapport de l’OEA (http://www.oas.org/es/sap/deco/MOE_informe/ InformeVerbal_El_Salvador.pdf ). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 64 02/03/2016 16:27:31 Les élections de 2014 et 2015 au Salvador : polarisation partisane, nouveaux comportements électoraux ❮ 65 de manière à peu près égale les 300 000 nouveaux électeurs qui se sont déplacés pour le deuxième tour, contrairement aux calculs du candidat d’Arena. Au vu du positionnement idéologique des candidats et de la forte polarisation, il est très vraisemblable que les électeurs des candidats éliminés au premier tour, tous de droite, ont voté pour Arena au deuxième tour. Or, si on ajoute les voix obtenues par Arena et par les trois autres candidats au premier tour, on constate que, par rapport à ce potentiel de voix « à droite », N. Quijano ne progresse que de 116 000 voix. Le FMLN progresse quant à lui de 180 000 voix 10. Toutefois, les bastions électoraux des deux partis évoluent : on ne retrouve plus les zones traditionnelles d’influence de l’un ou l’autre des partis. Arena l’emporte dans les trois départements les plus peuplés du pays (San Salvador, La Libertad, Santa Ana). Dans l’ensemble de l’aire métropolitaine de la capitale, où résident 36 % de la population du pays, le candidat d’Arena rassemble 51,4 % des voix. À San Salvador, Arena est largement en tête (55 %), de même, résultat plus surprenant, qu’à Santa Tecla, la ville qui avait été dirigée par O. Ortiz, pourtant candidat à la vice-présidence (55 %). Dans les villes plus populaires de l’aire métropolitaine où le FMLN l’emportait aisément par le passé mais où il a été battu lors des municipales de 2012, l’avance de l’ancien dirigeant de la guérilla n’est pas très marquée (par exemple 52,3 % à Soyapango ou 53,4 % à Mejicanos). En revanche, le FMLN l’emporte avec une grande avance dans la ville de San Miguel (60 %), alors même que celle-ci est gouvernée par un dirigeant local solidement implanté depuis quatre mandats grâce à des logiques clientélistes, et qui a été membre de plusieurs partis de droite. Tableau 2. Résultats des élections législatives, en nombre de sièges (total : 84) FMLN Arena 2003 2006 2009 2012 2015 31 32 35 31 31 34 32 33 35 11 11 Gana PCN 10 11 6 6 Autres 8 6 3 1 Les élections législatives et municipales de mars 2015 constituent le premier test électoral pour le gouvernement Sanchez Cerén, à peine un an après la présidentielle. Comme dans toutes les élections organisées en cours de mandat, elles sont une étape difficile à franchir pour le pouvoir en place. La surprise n’est toutefois pas venue des résultats en tant que tels, mais plutôt de l’incapacité des autorités à les annoncer rapidement. Comparées aux 10 . Il faudrait bien sûr une enquête sortie des urnes pour pouvoir vérifier cette analyse et en particulier confirmer le report des voix d’un tour à l’autre. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 65 02/03/2016 16:27:31 66 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 autres pays de la région, les autorités électorales salvadoriennes sont pourtant plutôt reconnues pour leur efficacité dans l’organisation du vote, dans le dépouillement et l’annonce des résultats. De nombreuses améliorations ont été progressivement apportées à propos de la tenue du scrutin, en suivant les recommandations des différentes missions d’observation électorale. Le nombre de bureaux a été accru afin de permettre l’inscription des électeurs dans des bureaux proches de leur domicile. De même, le vote préférentiel a été mis en place en 2012, les électeurs pouvant modifier, dans une liste, l’ordre des candidats présentés par les partis – cette préférence étant prise en compte dans l’attribution des sièges. Trois innovations ont été introduites en 2015. Pour les deux élections, un quota de genre est mis en place et fixé à un minimum de 30 % de femmes (le FMLN était jusque-là le seul parti à avoir institué un tel quota dans ses propres listes) 11. Aux élections législatives, les électeurs ont désormais la possibilité de voter soit pour une seule liste (liste bloquée), soit pour une liste mais en modifiant l’ordre (vote préférentiel), soit pour des candidats de différentes listes (modalité dite du voto cruzado, ou panachage). Aux élections municipales, l’élection prévoit pour la première fois la répartition proportionnelle de l’ensemble des sièges du conseil. Avant cette élection, le parti arrivé en tête gagnait tous les sièges du conseil – le Salvador était le dernier pays d’Amérique latine à conserver ce système qui privait l’opposition de représentation. Désormais, le parti victorieux remporte les mandats exécutifs (maire et premier adjoint) et le reste du conseil est réparti à la proportionnelle. Toutefois, ces nouvelles modalités rendent le décompte des voix particulièrement complexe, notamment pour les élections législatives 12. À cette complexité nouvelle s’est ajouté le fait que les autorités électorales ont sous-traité l’annonce des résultats préliminaires (un décompte rapide mené à partir de certains bureaux pour permettre une annonce des résultats dans les heures qui suivent la clôture du scrutin) à une entreprise qui… n’existait pas. Aucun résultat n’est donc proclamé dans les jours qui suivent le scrutin et le dépouillement final ne se termine que plus de trois semaines après l’élection et au milieu d’une large confusion. Toutefois, pour ce qui est des résultats eux-mêmes, les élections confirment l’évolution des tendances apparues lors de l’élection présidentielle. Les deux partis principaux sont au coude-à-coude, cette fois-ci avec un avantage pour Arena, qui obtient 35 députés, le FMLN en remportant 31. 11 . Voir D. Garibay, « La promotion de la participation politique des femmes : expériences salvadoriennes », in David Paternotte, Nora Nagels (dir.), Imaginer la citoyenneté, Bruxelles, Bruylant, 2013. 12 . D’autant que les autorités électorales décident qu’en cas de vote croisé, la voix représentée par le bulletin est divisée en autant de parts qu’il y a de sièges dans la circonscription. Ainsi, dans le département de San Salvador, pour lequel il y a 24 sièges, le fait de cocher le nom d’un des candidats d’un parti « rapporte » 0,042 voix au parti en question (1/24). Les résultats sont présentés avec… 5 chiffres après la virgule, ce qui ne contribue guère à leur lisibilité. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 66 02/03/2016 16:27:31 Les élections de 2014 et 2015 au Salvador : polarisation partisane, nouveaux comportements électoraux ❮ 67 Gana en obtient 11, comme lors de la législature précédente, et les autres partis 7 au total. Comme à l’occasion de tous les scrutins antérieurs, le parti qui gouverne ne détient pas la majorité à l’Assemblée et doit donc négocier avec des partis tiers pour le vote des lois – Gana a remplacé le PCN dans ce rôle. Par ailleurs, les élections municipales confirment que les cartes sont redistribuées : à San Salvador, le jeune candidat du FMLN, Nayib Bukele, s’impose contre le candidat d’Arena. À 38 ans, l’ancien maire de la petite commune aisée de Nuevo Cuscatlán, dans la banlieue de San Salvador, entrepreneur à succès dans le domaine de la publicité, a fait campagne sur sa personne, mettant en avant sa jeunesse et un style direct. Il ne s’est jamais référé aux symboles partisans et aux rhétoriques de campagne du FMLN et, en particulier, ne porte aucun vêtement rouge, couleur qui identifie ce parti et ses militants. Celui qui a pu être qualifié dans un journal comme le « capitaliste le plus populaire de la gauche salvadorienne » 13 est une figure très iconoclaste, tant en ce qui concerne sa trajectoire que sa manière de faire de la politique, par rapport à la culture et au milieu partisan du FMLN. Le fait qu’il ait pu être désigné comme candidat par les instances du parti montre à quel point cette formation est aujourd’hui pour les élections locales à la fois beaucoup plus ouverte à des profils nouveaux mais aussi très sensible aux effets d’image. Dans son équipe de campagne, on trouve à la fois des dirigeants du parti, d’anciens adhérents qui avaient pris leurs distances et des cadres d’autres formations politiques. Cette situation contraste avec la campagne présidentielle où l’identité partisane avait au contraire été renforcée – cela montre combien, derrière une unité affichée, le parti connaît des mutations internes, en particulier au niveau local. Face à lui, le candidat d’Arena, dont le profil est plus classique, incarne aussi une forme de relève interne au sein de son propre parti. Dans la zone métropolitaine, les résultats du FMLN sont contrastés : ce dernier récupère les villes plutôt populaires perdues lors de l’élection précédente (Soyapango, Mejicanos) mais perd Santa Tecla, qu’il gouvernait depuis 1997. Et, à la surprise générale il s’impose à San Miguel, mettant fin au long mandat d’un dirigeant local. Comme celles de 2014, les élections de 2015 confirment à première vue la forte polarisation partisane du Salvador : Arena et FMLN se partagent les premiers rôles, et sont quasiment à égalité, comme le montrent les résultats du second tour de l’élection présidentielle. Les autres formations sont marginalisées. Le système partisan salvadorien apparaît ainsi comme une exception dans l’ensemble de l’Amérique latine : il est construit sur un clivage gauche/droite, hérité de la guerre civile, et est remarquablement stable, à la fois par la permanence des mêmes formations et la 13 .« Nayib Bukele, el capitalista más popular de la izquierda salvadoreña », Contrapunto, 27 février 2015 (http://www.contrapunto.com.sv/nacionales/politica/ nayib-bukele-el-capitalista-mas-popular-de-la-izquierda-salvadorena). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 67 02/03/2016 16:27:31 68 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 relative stabilité des résultats électoraux que celles-ci obtiennent, alors que l’ensemble de la région est marquée par la faiblesse des partis politiques, l’indiscipline des élus et la volatilité des électorats. La victoire en 2014 de S. Sanchez Cerén, dirigeant historique de la guérilla, semble renforcer cette vision. Pourtant, l’analyse de l’électorat et du profil des candidats montre que, derrière cette forte polarisation, il existe à la fois une mutation importante du comportement électoral, moins stabilisé que par le passé, et des évolutions internes significatives au sein de chacune de ces formations. ■■ Déjà publié sur l’Amérique centrale • L’Amérique centrale existe-t-elle ? Économie, société et politique dans une région en quête d’intégration Willibald Sonnleitner et Sophie Hvostoff Édition 2012, collection « Mondes émergents » Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 68 02/03/2016 16:27:31 Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 69 Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives K E V I N P A R T H E N AY Docteur associé au Centre de recherches internationales (Ceri), enseignant à Sciences Po, responsable pédagogique du campus eurolatino-américain de Sciences Po (Poitiers) et membre de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (Opalc) Introduction Depuis la fin des années 1980, le Nicaragua ne bénéficie plus de l’attention de la communauté internationale et a progressivement été relégué dans la sphère des petits États périphériques d’Amérique latine récipiendaires d’aides massives au développement. Même les États-Unis, si présents dans le passé 1, se sont peu à peu détournés non seulement du pays mais également de l’isthme centraméricain. Depuis peu, cependant, le Nicaragua fait l’objet d’une attention renouvelée et réactive l’intérêt de puissances extérieures du fait du projet de canal interocéanique autrement appelé « Grand Canal du Nicaragua ». L’idée d’aménager un tel canal au Nicaragua n’est cependant pas nouvelle et s’inscrit dans une trajectoire historique longue, remontant à l’époque coloniale. Plus de soixante-dix projets, plus ou moins sérieux, ont vu le jour 2. Aujourd’hui, beaucoup de mystères entourent ce mégaprojet. Les conséquences majeures (économiques, sociales, environnementales et géopolitiques) que celui-ci est en mesure de produire ainsi que la personnalité des porteurs du projet – le président Daniel Ortega et le dirigeant de l’entreprise chinoise Hong Kong Nicaragua Development (HKND) Wang Ying – attisent d’autant plus la curiosité internationale. Poursuivant des intérêts stratégiques de premier plan, HKDN et le gouvernement du Nicaragua portent ce projet en dépit des oppositions nombreuses. Côté nicaraguayen, l’objectif est très clairement de promouvoir le développement économique et social ainsi que d’améliorer le positionnement international du pays. Côté chinois, le développement du canal obéit à un pragmatisme 1 . Longtemps, l’Amérique centrale a été considérée comme le « pré carré » des États-Unis. 2 . Sur ces tentatives de construction de canal au Nicaragua, voir Geert Van Der Post Jan, El largo y sinuoso camino, UCA Nicaragua, mars 2015. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 69 02/03/2016 16:27:31 économique orienté vers la nécessité de répondre à l’accroissement du commerce entre l’Amérique latine et l’Asie. De fait, l’expansion économique de la Chine, le développement du commerce maritime mondial, les progrès technologiques de la navigation maritime rendent nécessaire, selon HKND, la construction d’un canal alternatif au canal de Panamá. Par ailleurs, le projet nicaraguayen se positionne dans un contexte bien particulier : l’achèvement des travaux d’expansion de ce canal de Panamá. L’évolution du commerce maritime mondial induite par l’apparition des nouveaux navires portant plus de charge (TEU, Twenty-foot Equivalent Unit 3) (Super-post-Panamax), l’engorgement du canal de Suez et le développement de nouvelles structures portuaires aux États-Unis constituent également une fenêtre d’opportunité pour les autorités nicaraguayennes et chinoises en vue de la promotion et du développement du canal. Toutefois, malgré ces éléments favorables, le projet ne va pas sans engendrer un certain nombre de critiques et de réactions contestataires. De fait, beaucoup de zones d’ombre demeurent quant à la faisabilité technique et à l’impact environnemental des travaux nécessaires à la construction du canal. Le tracé sélectionné par HKND et le Nicaragua conduira à des déplacements forcés, en particulier de communautés indigènes, et traversera des zones riches en biodiversité, notamment le plus grand lac d’eau douce d’Amérique latine, le lac Cocicalba. Par ailleurs, le manque de transparence dans la gestion autant politique que technique de ce projet suscite d’importantes critiques à l’encontre du gouvernement. Tel que présenté par HKND, le canal constitue aujourd’hui un véritable défi technique compte tenu des dimensions hors normes du projet. Selon le schéma retenu par HKND le 7 juillet 2014, le tracé du canal s’étendra de la vallée du fleuve Brito – sur la côte Pacifique – à l’embouchure du fleuve Punta Gorda – sur la côte caribéenne. Long de 275,5 kilomètres, le canal fera de 230 à 520 mètres de large et sa profondeur variera entre 26,95 et 29,8 mètres ; il comprendra deux écluses, à Brito et à Camilo. Deux ports, positionnés aux deux extrémités de l’ouvrage, compléteront le dispositif, ainsi qu’un pont permettant de faire passer la route panaméricaine au-dessus du canal. Par ailleurs, un aéroport ainsi que des installations touristiques sont prévus afin de renforcer l’attractivité du pays et des installations du canal 4. Par l’ampleur du projet, le canal constitue un enjeu de premier plan car il se trouve au croisement de diverses problématiques contemporaines : l’évolution des flux du commerce international ; l’évolution du commerce et des 3 . Unité approximative de mesure de conteneur pour les navires commerciaux. 4 . HKND Group, Nicaragua Canal Project Description, décembre 2014 (accessible en ligne : http://hknd-group.com/upload/pdf/20150105/Nicaragua_Canal_Project_Description_ EN.pdf (Consulté le 16 avril 2015). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 70 02/03/2016 16:27:31 Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 71 transports maritimes ; les questions de développement ; les risques sociaux et environnementaux ; la construction d’un nouvel ordre économique et politique mondial ; les problématiques politiques liées à la corruption et à la préservation de la souveraineté étatique ; les enjeux de politique extérieure, notamment à travers la relation avec le Panamá et l’Amérique centrale ainsi que le positionnement international du Nicaragua. Le canal contre la démocratie La réactivation de ce projet survient dans un contexte de malaise démocratique caractérisé par la réémergence de la violence politique, de la corruption et du népotisme 5. Il est d’autant plus important de considérer ce phénomène de repli démocratique que le projet de canal en découle indirectement. La troisième élection de D. Ortega, en 2011 (après les mandats de 1985-1990 et 2007-2012), a marqué le retour du népotisme au Nicaragua. Plusieurs nominations à des postes prestigieux ont contribué à inscrire la famille Ortega au cœur du pouvoir. Ce processus a commencé quand la propre épouse de D. Ortega, Rosario Murillo, a été nommée porte-parole du gouvernement ainsi qu’à la tête du Conseil de la communication et de la citoyenneté, qui contrôle la communication gouvernementale et les médias. Plus récemment, lors du sommet de la Communauté des États d’Amérique latine et de la Caraïbe (Celac), organisé fin janvier à San José (Costa Rica), D. Ortega confia à son épouse le titre de « ministre des Relations extérieures en fonction du Nicaragua ». Assistèrent à ce sommet les deux filles du président, Camila Ortega Murillo et Luciana Ortega Murillo, avec le statut de « conseiller présidentiel » tout comme un de leurs frères, Rafael Ortega Murillo, « conseiller du président avec rang de ministre ». Parmi les vingt-sept conseillers dont dispose D. Ortega, on compte ses quatre enfants, aucune de ces nominations n’ayant été publiée dans le Journal officiel. L’attribution de postes officiels à des proches de D. Ortega est une tendance qui s’est progressivement inscrite comme une « normalité politique ». À cet égard, l’un de ces postes concerne directement le canal : depuis 2009, le plus jeune fils, Laureano Ortega Murillo, est conseiller en affaires d’investissement de l’agence gouvernementale ProNicaragua. Depuis juillet 2012, il est un des membres les plus influents 5 . Ces dérives étaient jusqu’à présent caractéristiques du temps de la dictature de Somoza. Le slogan « Forever Somoza » revient désormais régulièrement dans les médias, sous une forme détournée et ironique : « Forever Ortega ». Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 71 02/03/2016 16:27:31 72 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 de la Commission pour le canal 6, traitant directement avec Wang Ying. L’influence de Laureano Ortega Murillo est également décisive sur le plan international. En prenant la tête de la délégation nicaraguayenne lors de voyages officiels en Chine et en Russie, celui-ci occupe une place centrale dans le dispositif diplomatique. En effet, bien que les relations économiques et commerciales soient « normales » avec les États-Unis malgré une rhétorique ouvertement anti-impérialiste et très critique à l’égard du voisin nord-américain, le Nicaragua fait le choix d’un rapprochement avec la Chine et la Russie (voir infra). En plaçant des membres de sa famille à des postes clés, D. Ortega renoue avec une culture politique héritée de la dictature somoziste et le népotisme, et déstabilise l’ordre constitutionnel du pays. Les réformes répétées d’une Constitution malmenée portent la marque d’un recul démocratique mêlant des comportements autoritaires en régime démocratique. Les violations de la Constitution du pays ont été des outils, utilisés par D. Ortega, qui ont jusqu’à aujourd’hui rendus possible le développement du projet de canal. Les nominations évoquées ci-dessus constituent en soi des violations constitutionnelles en ce qu’elles entrent en contradiction avec les articles 130 et 138 de la Constitution. En effet, l’article 130 stipule que « dans tous les pouvoirs de l’État et leurs organismes, ainsi que pour les institutions établies dans cette Constitution, aucune nomination ne pourra être prononcée en faveur de personnes ayant des liens de parenté étroits avec le pouvoir et, le cas échéant, avec toute personne dont aurait émané une telle autorité ». Les nominations à des postes gouvernementaux de l’épouse et des enfants du président sont bien contraires à l’ordre constitutionnel. Par ailleurs, la nomination de conseillers présidentiels – avec le rang de ministre pour certains – constitue également une violation de la Constitution, plus précisément de l’article 138, qui indique que les nominations ministérielles doivent être validées par l’Assemblée nationale. À cet égard, l’octroi du statut de ministre des Relations extérieures en fonction à Rosario Murillo constitue non seulement une violation de la Constitution mais aussi un symbole de la dérive familiale du pouvoir au Nicaragua. Cette déstabilisation constitutionnelle s’inscrit également dans la dynamique électorale et la pratique du pouvoir. Dès sa première réélection, en 2006, D. Ortega s’est efforcé de faire voter une réforme constitutionnelle lui permettant d’être réélu indéfiniment. Cette demande fut formellement 6 . Cette commission fut créée par décret présidentiel en décembre 1999, reconduite et restructurée par décret présidentiel en mars 2002 puis en mars 2006. Elle a pour mission de négocier, contracter et octroyer les concessions territoriales. La commission fonctionnera sous la tutelle de la présidence de la République, comme une entité administrative décentralisée. À travers la commission, l’État entend assurer la sécurité et la neutralité ainsi que le fonctionnement permanent du canal. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 72 02/03/2016 16:27:31 Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 73 présentée à la Cour suprême par Rafael Solís, magistrat proche du président. Compte tenu de l’équilibre des forces en présence (huit magistrats sandinistes contre sept du Parti libéral), la Cour suprême ordonna au Conseil suprême électoral de permettre à D. Ortega de se présenter à l’élection présidentielle de 2011 7. Ce qui allait à l’encontre du principe de neutralité que la Cour aurait dû respecter et du bon fonctionnement du système judiciaire. À la veille du scrutin, le Nicaragua offrait l’image d’un pays où la légalité pouvait être bafouée et les règles constitutionnelles instrumentalisées. Indéniablement, cela eut pour effet d’affaiblir davantage la confiance des électeurs dans le fonctionnement de l’État, d’accroître la corruption et la mainmise de l’appareil partisan du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) et de son dirigeant D. Ortega sur l’appareil étatique. Réélu, D. Ortega remit de nouveau en question l’État de droit lorsque, en 2013, il annonça vouloir demeurer au pouvoir. Le 29 janvier 2014, il obtint que le Parlement votât une réforme constitutionnelle (notamment la suppression de l’article 147) autorisant la réélection indéfinie d’une personne à la tête de l’État, renforçant les prérogatives présidentielles et le pouvoir de l’armée. Désormais, le président peut prendre des décrets ayant force de loi, en ignorant la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. Le vote de la loi rendant possible le projet de canal résulte de cette ambiguïté majeure qui caractérise aujourd’hui la relation entre l’exécutif et le législatif. Le 13 juin 2013, la loi 840, approuvée par le Parlement, entérine le grand accord de concession (Master Concession Agreement). Ce texte a fait l’objet d’une importante contestation citoyenne dénonçant la concession du territoire nicaraguayen à l’investisseur chinois inscrite dans l’article 3. Cet article stipule qu’en accord avec l’article 105 de la Constitution, une concession exclusive est octroyée à l’Empresa Desarrolladora de Grandes Infraestructuras S. A., pour le développement et la mise en œuvre du projet de canal pour une période de cinquante ans à partir du début des opérations commerciales. Cette concession sera prorogeable pour une période de cinquante ans. Au-delà de la question territoriale, c’est la logique d’une cession de la souveraineté nationale qui a été dénoncée par les détracteurs du projet, une opposition qui a par ailleurs contribué à réactiver la répression par les autorités politiques 8. Un juriste nicaraguayen, opposé aux lois 800 et 840, indique que, contrairement à ce qu’indique l’article 105 (« les investissements privés […] et les concessions d’exploitation à des sujets privés seront régulés par la loi en toute occasion), la loi 840 octroie 7 . « El Tribunal Suprema de Nicaragua da vía libre a la reelección de Ortega », El País, 21 octobre 2009. 8 . Durant la manifestation contre le projet de canal du 23 décembre 2014, plus de 50 blessés et 30 détenus ont été recensés (http://internacional.elpais.com/internacional/2014/12/24/ actualidad/1419444251_610241.html). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 73 02/03/2016 16:27:31 74 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 de manière illimitée et inconditionnelle une partie du territoire national à un concessionnaire privé » 9. L’argumentaire des opposants vise le fait que, en toute occasion, lorsque l’État perd la faculté de gouverner pleinement un territoire, cela induit une perte de la souveraineté nationale. A contrario, les défenseurs de la loi précisent que l’Autorité du Grand Canal, composée de différentes institutions publiques, continuera de veiller aux intérêts du pays et de les défendre. Au-delà du débat juridique de fond, c’est davantage la question de la normalité du processus décisionnel qui doit être examinée. À cet égard, la loi 840 a été approuvée au terme de cinq jours de consultation, le minimum requis. Des institutions publiques ont été consultées, mais ni les entreprises ni la société civile. Et le gouvernement n’a pas été interpellé. La légalité a certes été respectée, mais la vélocité de la procédure législative critiquée, dans la mesure où l’enjeu du projet renvoie aux intérêts stratégiques de la nation. Dans cette perspective, certains n’ont pas hésité à parler de « fraude à la loi » 10. Face à ces attaques contre l’ordre constitutionnel et le bon déroulement des processus législatifs, trente recours en inconstitutionnalité ont été déposés par des partis politiques, des organisations civiles et des citoyens 11, que la Cour suprême de justice doit examiner. Malgré ces recours, 41 % de la population appuient le projet de canal selon un sondage CID-Gallup de janvier 2015. La mise en œuvre de ce processus décisionnel remet en question la souveraineté du pays et porte atteinte à sa stabilité démocratique. La réforme constitutionnelle semble être devenue, dans les mains de D. Ortega, un instrument banalisé lui permettant de défendre ses propres intérêts et de contrôler pleinement le pouvoir. Le canal : à quel prix ? Dans un contexte de prise de conscience planétaire quant au changement climatique, le développement du projet semble s’inscrire à rebours de l’histoire. Le gouvernement ambitionne officiellement de faire du canal un « monument de bien-être pour tous les Nicaraguayens ». Le projet aura en fait des conséquences négatives, notamment en matière sociale et environnementale. Sur le plan social, le défi est de taille car le Nicaragua reste l’un des pays dont l’indice de développement humain (IDH) demeure le plus 9 . « La ley que entregó Nicaragua a un Chino », La Prensa, 22 décembre 2014. 10 . La Prensa, 22 décembre 2014, op. cit. 11 . « El recurrido por inconstitucional el proyecto del Canal de Nicaragua », El País, 10 août 2013 ; « Nicaragua : l’autre canal historique », Libération, 6 juin 2014. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 74 02/03/2016 16:27:31 Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 75 faible du continent (0,599), Haïti mis à part. Aujourd’hui, 42,5 % 12 des Nicaraguayens vivent sous le seuil de pauvreté (dont 9,5 % sous le seuil d’extrême pauvreté), soit six points de moins qu’il y a cinq ans. Parmi les principaux défis qui se présentent au gouvernement, la lutte contre les inégalités sociales constitue un enjeu fondamental dans un pays qui reste encore peu touché par la violence délinquante et la criminalité organisée. Dans un État affecté par la corruption et le népotisme, les retombées économiques et financières promises par la construction du canal posent néanmoins question. L’interrogation principale consiste à savoir si ce mégaprojet se fera véritablement au bénéfice de la population nicaraguayenne. Quel prix celle-ci devra-t-elle payer ? De multiples sources d’inquiétudes nourrissent le débat public dont, bien évidemment, les risques environnementaux et les conséquences sociales. Les risques environnementaux C’est tout d’abord en matière de gouvernance que se posent les enjeux environnementaux. Avant la remise de l’évaluation d’impact environnemental (EIE) du canal – toujours attendue –, une première évaluation a été conduite pour lancer les « travaux initiaux en vue de l’amélioration de l’accès à la zone de Brito ». Le tracé du canal ayant été validé le 7 juillet, le contenu technique de l’évaluation a été communiqué par le ministère de l’Environnement nicaraguayen (Marena) en octobre 2014. Commandé à une entreprise anglo-saxonne, Environnemental Ressources Management (ERM), le rapport (572 pages) a été remis par Dong Lu, représentant de HKND 13, à la ministre de l’Environnement nicaraguayenne le 17 décembre. Deux jours plus tard, dans un document émanant du Marena, Yelba Lopez Gonzalez, responsable ad interim de la direction générale de la qualité environnementale de ce ministère, indique qu’il n’y a « aucune objection pour le développement des activités et travaux préliminaires nécessaires pour la construction du projet […] et que, ayant évalué l’information présentée […], ce ministère autorise l’exécution des travaux et activités préliminaires […] » 14. En matière de gouvernance environnementale, deux constats : d’une part, le désinvestissement du gouvernement nicaraguayen à travers une externalisation complète du travail d’évaluation d’impact environnemental (le gouvernement n’a lancé aucune étude propre) et, d’autre part, la rapidité de la remise des autorisations gouvernementales. Entre autres organisations civiles, l’Académie des sciences du Nicaragua a critiqué 12 . PNUD Nicaragua, 2014, http://www.ni.undp.org/content/nicaragua/es/home/countryinfo/. Les données relatives à la pauvreté datent de 2009. 13 . Plus précisément de la Compagnie de développement latino-américaine, pour le compte de HKND. 14 . Document officiel, Marena, Managua, 19 décembre 2014, référence : DGCA-YLG-C299-12-2014. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 75 02/03/2016 16:27:31 76 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 l’absence de mise en place d’une commission technique et scientifique pour « contre-expertiser » le rapport et le non-respect des standards internationaux à propos de l’élaboration de cette évaluation. Quant à la transparence, en tant que commanditaire de l’étude, HKND n’est soumis à aucune obligation de divulguer les résultats aux citoyens nicaraguayens. Du point de vue des impacts environnementaux pour le Nicaragua et l’isthme centraméricain, de nombreux experts et associations scientifiques s’accordent sur des données clés que nous proposons ci-après en nous appuyant sur la revue scientifique internationale Nature. Seront directement ou indirectement menacés par l’existence du canal interocéanique : 400 000 hectares de forêts tropicales et de zones humides ; de nombreuses réserves naturelles et biologiques (Bosawas, Indio Maiz, Cerro Silva, les zones humides de Bluefields et San Miguelito) ; des communautés indigènes autonomes (rama, garifuna, mayangna, miskitu et ulwa) ; vingt-deux espèces vulnérables ou menacées (inscrites sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature). De nombreuses espèces animales marines seront affectées par l’arrivée des eaux salées, l’endommagement de la sédimentation par le dragage et le passage des navires commerciaux. La construction d’infrastructures terrestres (deux ports, un aéroport, des routes, un centre touristique et une zone de libre-échange) seront également autant d’obstacles pour les migrations animales. Ces derniers constats sont également applicables aux populations résidant sur ou aux abords du tracé du canal. Comme le souligne Nature au sujet du lac Cocicalba, le canal « transformerait un écosystème d’eau douce circulant librement en un réservoir artificiel d’eau stagnante mélangée à de l’eau salée ». L’Asociación de Biología Tropical y la Conservación (ATBC) a déclaré que le canal aurait un impact substantiel sur la qualité de l’eau et sur sa distribution dans l’ensemble de la région 15. L’eau douce du lac est vitale pour la sécurité alimentaire et l’agriculture dans un pays déjà en situation de stress hydrique selon l’université de Yale 16, ce qui signifie que le volume d’eau disponible en rapport à la population est inadéquat. Le contact avec des eaux salées et d’éventuels accidents dus à une erreur humaine (déversement de pétrole) endommageraient gravement la plus grande réserve d’eau douce de la région. 15 . « Canal dejaría sin agua a Centroamérica », La Prensa, 25 octobre 2014. 16 . Selon l’indice de développement environnemental développé par l’université de Yale. ATBC, Résolution 23, « Resolución de la Asociación de Biología Tropical y la Conservación para Detener el Proyecto de Canal Interoceánico en Nicaragua », octobre 2014. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 76 02/03/2016 16:27:31 Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 77 Les risques sociaux La construction du canal nécessitera la création de 50 000 emplois, une manne dans un pays où 70 % de la population en âge de travailler se trouvent dans l’informalité, selon la récente étude de la Fundación para el Desafío Económico Global (Fideg). Cependant, la moitié de ces emplois seront destinés à des Nicaraguayens et l’autre moitié à des étrangers (dont 12 500 à des Chinois) 17. Sur ces bases, se pose la question des qualifications professionnelles, ainsi que celle de la capacité des universités et des centres de formation à former la main-d’œuvre requise pour ce type de mégaprojet d’infrastructures portuaires et maritimes. Panamá possède désormais une université maritime internationale ainsi qu’un Institut du canal rattaché à l’université de Panamá, proposant des formations en ingénierie civile (ports et canaux) et en ingénierie environnementale maritime. Concernant le déplacement de populations, il faut souligner que, sur le tracé du canal, se trouvent, selon les estimations gouvernementales, 28 200 personnes, soit 7 000 foyers. À cet égard, le Centro Nicaragüense de Derechos Humanos a présenté un recours devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme de l’Organisation des États américains (CIDH-OEA) indiquant que ce sont plutôt 100 000 personnes, habitant dans sept zones protégées, qui devraient quitter leurs terres. Traversant des zones agricoles, le canal pourrait également nuire à la production agricole, une production déjà faible et soutenue par le Programme alimentaire mondial (PAM). De fait, en 2008 et 2010, le Nicaragua a lancé avec l’appui du PAM, de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS) le plan sur l’éradication de la malnutrition chronique des enfants ainsi que le Plan national pour les micronutriments 18. Par ailleurs, comme le suggère Francisco Bautista Lara, ancien commandant général de la police nationale, le canal pose également de nouvelles questions liées à la sécurité, compte tenu de la restructuration économique qu’il provoquera inévitablement. Si la distribution des bénéfices ne se fait pas équitablement, la persistance des inégalités sera source d’augmentation des niveaux de violence. Qui plus est, à l’instar de celui de Panamá, le canal du Nicaragua devra faire face à l’augmentation substantielle des flux informels (drogues, trafic d’armes). Devant les inégalités existantes, l’arrivée de travailleurs chinois et les incertitudes grandissantes autour du projet, les actes de protestations et la violence contestataire contre des travailleurs chinois se sont déjà multipliés. Lors de ces manifestations, certaines 17 . « Gran Canal “traera” a 12 500 Chinos », El Nuevo Diario, 7 janvier 2015. 18 . PAM, http://fr.wfp.org/histoires/10-dates-cles-action-du-pam-au-nicaragua (consulté le 15 avril 2015). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 77 02/03/2016 16:27:31 78 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 personnes ont rencontré des difficultés pour quitter leur résidence. La police a procédé à des intimidations, des interdictions ministérielles ont été émises. L’arrivée tant d’experts que de travailleurs chinois est dénoncée : « Fuera de Nicaragua, Chinos ! » (Les Chinois, dehors !) 19. D. Ortega est qualifié de « Vendepatria » (Bradeur de la patrie). Le canal comme stratégie diplomatique Le projet s’inscrit dans un contexte particulier caractérisé par la recherche d’un repositionnement international en réaction à une tendance d’isolement du Nicaragua. Depuis plusieurs années, la politique extérieure du pays a subi les conséquences d’une gestion autoritaire et agressive du pouvoir. Isolement par cercles concentriques Depuis l’arrivée de D. Ortega au pouvoir et la multiplication des « affaires » liées à une gestion autoritaire, le Nicaragua s’est progressivement isolé dans les espaces centraméricain, latino-américain et international. Cet isolement progressif peut s’analyser par cercles concentriques. Face aux voisins centraméricains, les postures politiques, idéologiques et diplomatiques du Nicaragua ont favorisé un isolement progressif du pays. D’un point de vue politique, la période d’alliance politico-idéologique qui liait le pays au Honduras de Manuel Zelaya et au Salvador de Mauricio Funes est terminée. Cette alliance constituait les bases d’un soutien politique à l’échelle régionale, malgré une gestion de plus en plus contestée du pouvoir. Ces pays étaient rassemblés au sein de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (Alba), née à La Havane en 2004 sous l’impulsion du président vénézuélien Hugo Chávez. Si, durant son second mandat (2007-2012), D. Ortega pouvait compter sur cette alliance, la configuration politique de la région a très largement évolué au cours de son troisième mandat (2012-2017). Mais à la suite d’une succession d’élections organisées dans les différents États de l’Isthme, D. Ortega se trouve quelque peu dépourvu, dans la région, d’appuis politique et idéologique. En matière d’insertion sur le marché international, la position de D. Ortega, en théorie fermement opposé à la logique néolibérale, a également contribué 19 . Voir le documentaire réalisé sur une petite communauté Rama dans le Bangkukuk, Nicaragua, This Land is for All of We. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 78 02/03/2016 16:27:31 Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 79 à isoler le pays 20. Ce qu’illustre le positionnement du Nicaragua à l’égard de l’Alliance du Pacifique. Bien que le Nicaragua soit partie de cet accord d’association signé entre l’Amérique centrale et l’Union européenne en mai 2013, la prise de distance à l’égard de l’Alliance du Pacifique, fondée sur une logique ouvertement néolibérale, marque un décalage entre le Nicaragua et le reste de la région. De fait, le Costa Rica, le Panamá, le Salvador, le Honduras et le Guatemala sont devenus membres observateurs de cette organisation. Depuis 2012, le Costa Rica et Panamá sont candidats à l’adhésion de plein droit. Une fois de plus, le Nicaragua demeure isolé en assumant une posture fermement opposée au néolibéralisme et déploie une rhétorique acerbe à l’encontre des États-Unis et de leurs alliés. De plus, D. Ortega est entré en 2010 dans une logique de conflit ouvert avec le Costa Rica, lorsque des forces armées se sont positionnées sur le territoire costaricien et ont entrepris des travaux de dragage aux abords de l’île Calero, qui engendra le conflit du même nom 21. La frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua située dans la zone caribéenne du fleuve San Juan a connu de nombreuses redéfinitions depuis la signature du « traité des limites » (1858) et constitue une zone régulièrement sous tension. L’incursion en territoire costaricain de l’armée nicaraguayenne, le 18 octobre 2010, a réactivé cette tension. Côté nicaraguayen, la présence des troupes armées répond à un double objectif : lutter contre le narcotrafic et assurer la protection des agents assurant les opérations de dragage. De fait, l’incursion militaire n’est pas l’unique source du contentieux avec le Costa Rica. Les activités de dragage menées par Edén Pastora (ancien guérillero sandiniste, plus récemment ministre de D. Ortega) ont contribué à exacerber les tensions. Selon le Costa Rica, ces activités de dragage constituent une tentative de détournement du fleuve, qui a pour objectif de relier le San Juan à la lagune de Los Portillos afin de créer un accès direct à la mer. Dans cette région, le Nicaragua ne dispose pas de port de commerce et doit utiliser, pour ses importations « lourdes », des centres portuaires voisins, notamment celui de Limón (Costa Rica). Par ailleurs, le Costa Rica accuse le Nicaragua d’avoir détruit une zone de forêt fluviale et accumulé les sédiments extraits du dragage sur le sol costaricien. Les deux pays sont rapidement entrés dans une spirale conflictuelle, engendrant une certaine marginalisation dans la dynamique des forums régionaux, en particulier le Système d’intégration centraméricain (Sica). 20 . Un paradoxe est ici à relever : D. Ortega a signé le Central American Free Trade Agreement (Cafta) avec les États-Unis et, malgré une rhétorique extrêmement virulente à l’égard de ce pays, n’a jamais décidé de dénoncer ce texte. Parfois, le pragmatisme économique semble prévaloir. De fait, les États-Unis demeurent le premier partenaire commercial du Nicaragua (autant pour les importations que les exportations). 21 . K. Parthenay, « Costa Rica/Nicaragua : l’impossible apaisement ? », Ceriscope Frontières, 2011, [en ligne], consulté le 13 avril 2015 (http://ceriscope.sciences-po.fr/content/part3/ Costa-Rica-Nicaragua-l-impossible-apaisement-?page=show). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 79 02/03/2016 16:27:31 80 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 Les évolutions politiques du continent, notamment au Venezuela, ont contribué à fragiliser la position géopolitique du Nicaragua. Le décès de H. Chávez, en 2013, eut pour effet d’entamer la solidité de l’axe bolivarien. Il en va de même pour l’ensemble des instruments économico-diplomatiques mis en œuvre par le défunt dirigeant bolivarien, notamment Petrocaribe (qui permet de livrer du pétrole à prix préférentiel avec des modalités de remboursement avantageuses), évolution accentuée par les fluctuations des prix de l’énergie sur le marché international. Toutefois, l’effondrement des prix du pétrole et l’instabilité politique à laquelle est confronté le Venezuela remettent en question la perpétuation de cet outil économico-diplomatique. Selon le Fonds monétaire international (FMI), le Nicaragua – avec Haïti – est l’un des pays les plus vulnérables aux variations des prix du pétrole vénézuélien. De fait, le Nicaragua est dans une situation de dépendance énergétique forte. Le pays est importateur net de gaz et fait venir plus de 50 % de son électricité. Plus de la moitié du pétrole consommé (34 070 bbl/jour) provient également de l’extérieur (15 830 bbl/jour). Par conséquent, l’instabilité politique qui affecte actuellement le Venezuela 22 constitue un danger pour le Nicaragua et explique que celui-ci cherche de nouveaux alliés, par exemple la Chine et la Russie. Par ailleurs, depuis l’arrivée au pouvoir de D. Ortega, dans le domaine de la coopération, les relations avec les pays partenaires se sont considérablement dégradées, certains organismes ayant même décidé de quitter le pays. Le Nicaragua recevait 651,8 millions de dollars en 2006, 567,8 millions en 2008 et 441,6 millions en 2010. Le Danemark et les Pays-Bas se sont retirés dès 2008, après les fraudes dont le FSLN s’est rendu coupable lors des élections municipales de la même année. La Suède a annoncé son retrait en 2007 en raison d’obstacles dressés par le gouvernement en matière de transparence financière, l’Autriche en 2010. Ces pays étaient préoccupés par l’autoritarisme croissant de la présidence Ortega. Le départ de certaines agences marque une véritable rupture historique. Depuis le retour de la démocratie, la coopération n’a cessé de financer la consolidation démocratique, installant de facto une situation de dépendance financière. L’absence de réforme fiscale couplée aux retards de développement fait que le départ des coopérants constitue un véritable enjeu économique pour le pays. En réaction à cet isolement international, D. Ortega cherche des stratégies d’alliances alternatives et le projet de canal interocéanique, soutenu financièrement par la Chine, s’est présenté comme une opportunité de premier plan. 22 . Selon les estimations du CIA Factbook (https://www.cia.gov/library/publications/ the-world-factbook/geos/nu.html). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 80 02/03/2016 16:27:31 Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 81 La quête d’un statut international Les petits États sont le plus souvent à la recherche d’une reconnaissance internationale mais également en quête d’un statut 23. Celle-ci se manifeste de deux manières : en s’efforçant d’appartenir à un « club » et en recherchant une position influente au sein de ce club. Cette recherche passe par la rhétorique, l’activité diplomatique ou l’acquisition de symboles 24. Dans cette perspective et, alors que son pays est isolé au sein de ces clubs, D. Ortega a voulu diversifier ses relations en suivant toujours une orientation « idéologique ». Les nouveaux alliés du pays sont incontestablement la Russie et la Chine, et le projet de canal constitue en soi un outil stratégique de repositionnement et de rayonnement international du pays. L’existence du canal du Nicaragua aurait pour première conséquence de mettre en cause la position géostratégique du Panamá 25. Dès son ouverture, en 1914, le canal de Panamá a rapidement canalisé les flux du commerce international. En 2013, plus d’un million de navires ont transité par cet ouvrage, transportant 9,4 milliards de tonnes de charge. Avec les travaux d’agrandissement qui devraient être terminés en 2016, l’objectif est d’absorber l’essor commercial émanant du continent asiatique (notamment la Chine), d’accroître les capacités de transports pour l’Amérique latine et la Caraïbe et de réaliser des économies d’échelle en transportant plus de charge par navire (avec des navires Neo-Panamáx et Post-Panamáx) 26. Le canal de Panamá est à l’heure actuelle le seul point de passage de la côte Est du continent américain vers l’Asie. Par ailleurs, il constitue un passage obligé pour la circulation des marchandises entre les deux côtes, tant en Amérique du Nord qu’en Amérique latine et permet aux pays de la côte Pacifique qui commercent avec le continent africain d’éviter le cap de Bonne-Espérance. Au-delà de son canal, Panamá représente un centre pour le commerce maritime mondial. Comme le souligne un rapport de la Banque interaméricaine de développement (BID) sur les ports et la connectivité en Amérique centrale, seuls le Panamá et la République Dominicaine disposent d’infrastructures portuaires suffisantes pour accueillir des navires Post-Panamáx. Le Panamá compte cinq ports pouvant abriter ces navires : Balboa, CCT, Cristobal, Manzanillo et PSA, la République Dominicaine 23 . Thomas Lindemann, Julie Saada, « Théories de la reconnaissance dans les relations internationales », Cultures & Conflits, no 87, automne 2012, p. 7-25 ; Paul T. V., Deborah Welch Larson, William Wohlforth (eds.), Statut in World Politics, Cambridge University Press, 2014. 24 . Paul T.V., D. Welch Larson, W. Wohlforth (eds.), op. cit. 25 . Brian Slack, Robert McCalla, « Le canal de Panamá à un carrefour : géopolitique, réalités commerciales et environnement », Études internationales, vol. 34, no 2, 2003, p. 253-262. 26 . Rodolfo Sabonge, La ampliación del Canal de Panamá. Impulsor de cambios en el comercio internacional, Cepal, Santiago du Chili, août 2014. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 81 02/03/2016 16:27:32 82 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 un seul : Caucedo 27. En matière de connectivité du réseau portuaire de la région, les ports du Panamá et de la République Dominicaine sont donc stratégiques pour le commerce nord-américain, latino-américain, asiatique et européen. Dans ce domaine, il ne s’agit pas uniquement du canal mais également des capacités des navires avec l’utilisation de grues spéciales (Post-Panamáx) pour le chargement et le déchargement des navires. Par conséquent, d’un point de vue géostratégique, le Panamá constitue un « centre » sur la scène internationale, qui attire 5 % du commerce maritime international. Avec l’agrandissement en cours, l’objectif est de capter 30 % du trafic maritime mondial d’ici à 2020. Toute construction de route alternative engendrerait une reconfiguration des flux du commerce maritime. C’est d’ailleurs ce que les autorités nicaraguayennes et chinoises anticipent dans un rapport sur le projet de canal au Nicaragua 28. Le rapport d’information sur le projet de canal interocéanique indique que 90 % du commerce mondial correspondent au commerce maritime, et ce dernier tend à augmenter du fait de la croissance économique chinoise et de celle du marché de ce pays. Par ailleurs, les progrès technologiques font que les capacités de transport des navires sont de plus en plus grandes. Le rapport évoque notamment le fait que les ports nord-américains s’adaptent constamment en matière d’infrastructures pour accueillir des navires capables de transporter des charges de marchandises de plus en plus élevées (New York, Baltimore, Norfolk, Savannah, Miami, Long Beach). De ce fait, les plus importants navires de commerce ne pourront pas transiter par Panamá, en dépit des travaux en cours. Selon les projections de HKND, environ 17 % des navires transitant traditionnellement par Panamá seront trop larges dès 2015. Les Feedermax (< 1 000 TEU), les Sub-Panamáx (1 000-3 000 TEU), les Panamáx (3 000-5 000 TEU) et Post-Panamáx (5 300-12 000 TEU) pourront transiter par le canal de Panamá dans sa nouvelle configuration. Cependant, les Super-PostPanamáx (+ 12 000 TEU), en plein développement, ne pourront pas passer par Panamá. Ces navires sont produits par deux entreprises : Shanghai Zhenhua Port Machinery Co. (ZPMC) 29 et Daewoo Shipbuilding 30. Au mois d’août 2013, Daewoo Shipbuilding a livré cinquante-trois navires de ce type 31. Bien que les données ne soient pas disponibles pour l’entreprise chinoise, la construction du canal interocéanique s’avère tout à fait stratégique afin de favoriser la mise en circulation de ces navires et de mettre 27 . Pablo Guerrero, Julieta Abad (eds), Diagnóstico sobre el desempeño de los puertos y estudio de conectividad portuaria en Belice, Centroamérica y la República Dominicana, Observatorio Mesoamericano de Transporte de Carga y Logística, IDB Technical Note, 512, février 2013. 28 . Carte du trafic maritime international (https://www.marinetraffic.com/fr/). 29 . Appartenant à la China Communication Construction Co., Ltd. (CCCC). 30 . Appartenant au Groupe Koshipa (Korean Offshore & Shipbuilding Association). 31 . http://www.dsme.co.kr/epub/business/business011401Q.do (consulté le 14 avril 2015) Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 82 02/03/2016 16:27:32 Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 83 progressivement la main sur une partie du commerce maritime international en contrôlant non seulement un point de passage stratégique mais également les instruments de ces flux commerciaux. D’un point de vue géopolitique, la mise en œuvre du canal interocéanique pourrait être source de conflits. De ce fait, l’Amérique centrale revient au centre de l’attention internationale. L’intérêt géostratégique que présente l’Isthme attire la convoitise de nouvelles puissances. Ces dernières années, on a pu constater l’essor de la présence économique et politique chinoise dans le sous-continent latino-américain et notamment en Amérique centrale 32. Cet essor a été marqué par une série de visites présidentielles réciproques. La dernière, effectuée en juin 2013, a été le symbole d’une volonté de renforcer la présence chinoise en Amérique centrale 33. Depuis l’ouverture des relations diplomatiques avec la Chine en 2007, le Costa Rica a délaissé Taïwan et est devenu le premier pays de la région à avoir des relations diplomatiques avec la Chine 34. Sans nécessairement avoir de relations diplomatiques avec Pékin, les autres pays n’entretiennent pas moins des relations économiques avec le géant asiatique via des bureaux commerciaux (Panamá, Honduras). À la dernière tournée centraméricaine du président chinois Xi Jinping – avec l’annonce de partenariats et d’activités stratégiques menés avec des pays de la région – a fait écho le nouveau programme nord-américain Promoting Prosperity, Security and Good Governance in Central America promu par le vice-président Joseph R. Biden 35. Ce plan a suscité d’importantes réactions et fait émerger l’idée que les États-Unis étaient de retour en Amérique centrale. De fait, la région a longtemps été considérée comme étant le pré carré des États-Unis, même si leur présence s’était estompée depuis au moins une décennie. Ainsi, l’annonce du déblocage de un milliard de dollars par l’administration nord-américaine pour l’année fiscale 2016 a eu un profond retentissement. Alors que les autorités chinoises lancent les premiers travaux du canal par l’intermédiaire de l’entreprise HKND, dans le même temps, la BID vient d’annoncer un projet de « connectivité routière » qui aura pour effet de faciliter le transport entre les deux rives. De la même manière, alors que le canal passe progressivement de l’état de projet à celui de réalité, la BID a approuvé un prêt de 400 millions de dollars à l’Autorité du canal de Panamá (ACP) pour achever les travaux d’expansion de cet ouvrage. 32 . Constantino Urcuyo, « Relaciones de China con Centroamérica : comprendiendo los intereses estratégicos y económicos de la región », Incep, Reporte Político Centroamericano, no 11, juillet-décembre 2014. 33 . El País titrait le 31 mai 2013 : « China también pone los pies en Centroamérica ». 34 . Un traité de libre-commerce a été signé entre les deux pays en 2007 et un partenariat stratégique a été conclu avec le président Solís lors de sa visite en janvier 2015. 35 . J. R. Biden, “A Plan for Central America”, The New York Times, 30 janvier 2014. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 83 02/03/2016 16:27:32 84 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 Partant du présupposé que la BID constitue un acteur clé dans la politique nord-américaine vis-à-vis de l’Amérique latine, on constate qu’il s’agit de deux projets complémentaires mais également concurrentiels, susceptibles de bouleverser l’équilibre géopolitique régional et international. Conclusion Le Grand Canal interocéanique conduit le Nicaragua à procéder à un choix – entre la croissance économique et la protection de l’environnement –, une situation bien connue des pays en développement. Le choix de la croissance semble avoir été fait. Mais on peut cependant douter de la faisabilité du projet. La principale inquiétude vient du fait que la manière dont celui-ci a été conçu dépossède le peuple nicaraguayen de sa souveraineté au profit d’acteurs privés. Autre préoccupation – et non des moindres –, la réalisation du canal pourrait avoir des conséquences négatives en matière environnementale et sociale. En 2007, D. Ortega avait déclaré que, pour tout l’or du monde, il ne voulait d’un tel canal au Nicaragua. Le chef de l’État a donc changé d’avis, au risque de malmener la stabilité de la démocratie dans son pays. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 84 02/03/2016 16:27:32 Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 85 ■■ Chronologie 2012 Juillet : Approbation par le Parlement nicaraguayen de la loi 800 pour la construction du canal interocéanique. Mise en place de la Commission pour le canal du Nicaragua et le projet de développement. 31 octobre : Acte de coopération entre la Commission pour le canal du Nicaragua et le projet de développement et l’entreprise HKDG. 2013 13 juin : Approbation par le Parlement nicaraguayen du grand accord de concession (Master Concession Agreement) à signer par le gouvernement du Nicaragua. Cet accord fait de HKDN le concessionnaire des terres utilisées pour le canal pour 50 ans et est reconductible durant 50 autres années. 14 août : Début des inspections relatives à la faisabilité technique du canal. 19-26 octobre : Première visite d’une délégation nicaraguayenne en Chine pour rencontrer les dirigeants de HKDG. 2014 10 janvier : Ratification de l’agenda des travaux de construction par le gouvernement du Nicaragua. 6-9 juillet : Première visite d’une délégation de HKDG au Nicaragua. 7 juillet : Annonce officielle du tracé sélectionné (Selected Route). 14-16 juillet : Séminaires d’information sur le projet du canal. 21-30 juillet : Réunions de consultation organisées dans tous les pays sur le projet de construction du canal. 20 novembre : Présentation du rapport préliminaire d’impact environnemental et social du canal. 17 décembre : Remise du rapport d’impact environnemental et social pour le début des travaux en vue de l’amélioration des voies d’accès à Brito. 19 décembre : Autorisation donnée par le Marena pour le lancement des travaux et des activités préliminaires à la construction du canal. 22 décembre : Cérémonie officielle du lancement de la construction du canal. 2015 Mars/avril : Date de remise prévue du rapport final d’impact environnemental et social. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 85 02/03/2016 16:27:32 86 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE Academia De Ciencias De Nicaragua, El canal interoceánico por Nicaragua : aportes al debate, Managua, Academia de Ciencias de Nicaragua, 2014. Banco Mundial, Prioridades de Politica e Inversion Para Reducir la Degradacion Ambiental de la Cuenca del Lago de Nicaragua (Cocicalba), International Bank for Reconstruction and Development, Washington, 2013. Gobierno De Nicaragua, Gran Canal Interoceanico por Nicaragua : Perfil del proyecto, Managua, août 2006. Axe Meyer, Jorge A. Huete-Perez, “Conservation : Nicaragua Canal could wreak environmental ruin”, Nature, 19 février 2014. Preetygoodproductions, “This Land is for All of We: A small Rama community in Bangkukuk, Nicaragua, speaks out about the Grand Canal Project”, 2014 (accessible en ligne : https://vimeo.com/109026969). ■■ Déjà publié sur l’Amérique centrale • L’Amérique centrale existe-t-elle ? Économie, société et politique dans une région en quête d’intégration Willibald Sonnleitner et Sophie Hvostoff Édition 2012, collection « Mondes émergents » Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 86 02/03/2016 16:27:32 L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 87 L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? VERA CHIODI Maîtresse de conférences à l’Université Sorbonne-Nouvelle Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL) C A R LO S W I N O G R A D Chercheur et professeur à l’École d’économie de Paris, ancien secrétaire d’État à la Concurrence, à la Régulation et aux Consommateurs d’Argentine « Plus une situation s’améliore, plus l’écart avec la situation idéale est ressenti subjectivement comme intolérable par ceux-là même qui bénéficient de cette amélioration ». (Alexis de Tocqueville, « Paradoxe de l’insatisfaction croissante », De la démocratie en Amérique, tome 1 : 1835 ; tome 2 : 1840). Au cours de la dernière décennie, l’Amérique latine a enregistré un taux de croissance annuel moyen bien plus important et plus soutenu que par le passé 1 2. En revanche, en 2014, ce taux a été de seulement 2,9 % et les estimations pour 2015 l’établissent à 1 % (graphique 1) 3. Quelles sont les sources de ce ralentissement ? Celui-ci est-il temporaire ou peut-il illustrer un nouveau cycle de faible croissance pour la région ? La chute des prix des matières premières exportées par la région est un facteur explicatif de cette rupture du cycle vertueux des années précédentes, lui-même associé à un boom des produits de base. Au cours des dernières années, on a assisté au développement de politiques sociales vigoureuses, destinées à réduire la pauvreté et les inégalités, à améliorer les systèmes éducatif et sanitaire. Quels ont été les effets de ces politiques sociales et de redistribution ? Peut-on évaluer l’efficacité et les arbitrages imposés par les actions en cours ? Celles-ci seront-elles soutenables et approfondies dans les années à venir, au vu des scénarios macro-économiques ? Se posent la question des caractéristiques de la fin du cycle de croissance macro-économique ainsi que celle de la réponse aux effets négatifs de la crise économique mondiale sur la région, outre le rôle d’un système de protection sociale beaucoup plus important que dans le passé. 1 . Les auteurs remercient Olivier Compagnon, Marie Laure Geoffray et Mateo Piccolo pour leurs commentaires et leurs suggestions. 2 . Entre 2003 et 2008, ce taux a été supérieur à 5 % par an en moyenne. 3 . World Economic Outlook, Fonds monétaire international (FMI). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 87 02/03/2016 16:27:32 88 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 La première partie de cet article analyse les faits macro-économiques les plus saillants des dernières années en Amérique latine, les défis et les contraintes que devra affronter la région. La seconde partie dresse un état des lieux de l’évolution récente des indicateurs sociaux en matière de pauvreté, d’inégalités, d’éducation, de travail informel et de santé. Toutes ces dimensions, certes très diverses, vont décrire le panorama macro-économique et social fortement hétérogène de la région, sans nécessairement révéler les causes de ces divergences, sujet que n’aborde pas cette étude. Croissance économique et inflation modérée : une belle époque et la fin d’un cycle La situation macro-économique actuelle de l’Amérique latine peut être expliquée par une succession d’événements survenus depuis le déclenchement de crises monétaires et financières dans plusieurs économies de la région à la fin des années 1990 et au début du xxie siècle. Pendant la dernière décennie, ce qui a le plus marqué la performance macro-économique de l’Amérique latine a été le boom des matières premières (graphique 2), couplé à une situation saine des finances publiques et à des niveaux d’inflation modérés dans la plupart des pays 4. Cela a créé un environnement certainement inhabituel dans cette région, dont l’histoire a été trop souvent caractérisée par des crises affectant la balance des paiements, par des attaques spéculatives sur la monnaie et par une inflation galopante dans beaucoup de pays ainsi que, pour certains, par des expériences d’hyperinflation. Le résultat en a été des cycles de stop and go et une croissance spasmodique. Le boom des matières premières a suscité de fortes controverses au sujet de la reprimarisation de la structure des exportations d’une région très riche en ressources naturelles. En fait, une vigoureuse demande de produits de base, venue du reste du monde, a eu pour effet de décupler les exportations, source d’une croissance soutenable, et de permettre une forte accumulation de réserves en devises étrangères dans la plupart des pays. Des comptes courants montrant régulièrement des surplus ont permis aux économies d’Amérique latine de bénéficier d’une stabilité, rare du point de vue de son histoire. Certains économistes, gagnés par un excès d’optimisme, ont développé la vision d’un découplage de la région, qui serait hors d’atteinte des chocs externes négatifs provenant du reste du monde. Les 4 . Voir Michael Brei et C. Winograd (2009), Conference, University of London, Institute of the Americas, Latin America in the Global Financial Crisis, The Global Financial Crisis: from NYC to Latam, London ; BID (2015) The Labyrinth: How Can Latin America and the Caribbean Navigate the Global Economy ; Pierre Salama (2014), Des pays toujours émergents ?, coll. « Doc’en poche. Place au débat », no 31, La Documentation française. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 88 02/03/2016 16:27:32 L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 89 pays latino-américains, souvent sources de désordre macro-économique, nourrissant des doutes chroniques sur leur processus de développement, se seraient immunisés contre les crises importées. L’histoire a prouvé que cette approche était fausse. Certes, la situation macro-économique montrait une stabilité jusqu’alors inconnue. Mais les effets de l’économie globale continuent à se faire sentir dans le sous-continent, avec des effets tant positifs que négatifs, comme les conséquences de la crise financière apparue dans l’hémisphère Nord en 2008. Graphique 1. PIB de la région (en % de variation interannuelle) 7% 6,2 % 6% 5,6 % 6,1 % 5,7 % 5% 4,9 % 4,7 % 4% 3,9 % 3,7 % 3,1 % 3% 2,0 % 2% 1% 0% 2,9 % 0,5 % 1,3 % 0,9 % 0,4 % -1,3 % 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015* Événement 2 Événement 3 Événement 4 Réponse et perte Ralentissement Crise internationale de degrés de de la croissance liberté -1 % -2 % Événement 1 : Boom des matières premières Source : Analyse des auteurs, établie à partir des données WEO du FMI. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 89 02/03/2016 16:27:32 90 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 Graphique 2. Indices des prix des matières premières (indice base 100 en 2005) 300 250 200 150 100 50 Indice général Carburant Alimentation et boissons 01/01/2015 01/01/2014 01/01/2013 01/01/2012 01/01/2011 01/01/2010 01/01/2009 01/01/2008 01/01/2007 01/01/2006 01/01/2005 01/01/2004 01/01/2003 01/01/2002 01/01/2001 01/01/2000 01/01/1999 01/01/1998 01/01/1997 01/01/1996 01/01/1995 01/01/1994 01/01/1993 01/01/1992 0 Métaux Source : Analyse des auteurs, établie à partir des données Primary Commodity Prices (FMI). Dans le contexte d’une forte augmentation des prix des matières premières, la crise financière internationale venant du Nord est devenue le deuxième événement marquant de la période récente, à la suite du boom évoqué supra. L’Amérique latine a dû faire face au défi consistant à surmonter un choc externe sans précédent depuis des décennies. Autre nouveauté pour la région : la crise n’était pas engendrée par les déséquilibres qu’elle a connus tout au long de son histoire, mais avait son épicentre dans les pays développés. Néanmoins, malgré la bonne réponse mise en œuvre par les pays les plus importants de la région, la contagion n’a pas pu être totalement évitée, et le taux de croissance moyen a connu une forte baisse. Le découplage par rapport aux cycles globaux annoncé par certains ne s’est pas vérifié dans les faits. En effet, en 2009, après une croissance de 3,9 % en 2008 (et de plus de 5 % en 2006 et 2007), le PIB de la région subit une très forte contraction et chute de 1,3 % (graphique 1). Les canaux de transmission de la crise sont analysés dans la suite de ce texte. D’importants programmes de relance économique ont été mis en œuvre, permettant ainsi d’amortir le choc externe et de relancer la croissance (6,1 % en 2010), mais cela a également obéré les politiques de stabilisation qui pourraient Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 90 02/03/2016 16:27:32 L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 91 être appliquées face à des chocs négatifs futurs 5. Ce potentiel affaiblissement des politiques monétaire et budgétaire varie d’un pays à l’autre, mais il constitue un élément commun de fragilité croissante. On peut identifier trois groupes de pays, en termes de risque ou de vulnérabilité macro-économique. De par sa gestion, le Chili est un cas à part, en raison de sa robustesse macro-économique et financière (très faible niveau d’endettement, fonds de stabilisation équivalent à 10 % du PIB). Ensuite, présentant un niveau de vulnérabilité macro-économique plus important mais encore assez faible, on trouve la Colombie, le Mexique, le Paraguay et le Pérou. Les pays relativement plus vulnérables sont l’Argentine et le Venezuela 6. Le rebond qui a suivi la crise montre que les économies ont évolué de manières diverses, en fonction des politiques budgétaires, monétaires (et de change) mises en œuvre par les pays considérés. Dans les années du cycle vertueux 2002-2008, certains d’entre eux avaient accumulé des excédents considérables (tableau 1), qui ont permis à l’État d’intervenir par le biais d’une politique budgétaire expansionniste lors de la crise internationale apparue en 2008. Dans ce sens, il faut remarquer le cas du Chili, qui engage la politique budgétaire et monétaire la plus expansionniste de la région, avec une relance budgétaire qui atteint 2,2 % du PIB. Ce pays possède un fonds de stabilisation économique et sociale destiné spécifiquement à se capitaliser durant les années d’excédent budgétaire pour pouvoir appliquer une politique contre-cyclique dans les années de vaches maigres, comme celles qui ont suivi le choc de 2008. Cette flexibilité budgétaire a pu être clairement observée en 2009, lorsque le gouvernement a engagé des initiatives de relance 7. Le phénomène de diminution de ces instruments de politique macroéconomique, véritable force de frappe, déployés à la suite des politiques de relance de 2008-2009, peut être considéré comme constituant un troisième « événement » dans le cadre de cette période. 5 . Pour des détails sur les plans de relance et l’hétérogénéité des trajectoires dans la région face à la crise qui éclate en 2008, voir M. Brei et C. Winograd (2009) et BID (2015), op. cit. 6 . La hausse du risque pays de chaque ensemble de pays révèle des degrés divers de vulnérabilité et de crédibilité sur les marchés internationaux de capitaux. Voir M. Brei et C. Winograd (2009) ; Bloomberg et Emerging Markets Monthly, Deutsche Bank (2009-2010). 7 . De plus, en 2008, le niveau de la dette publique du Chili n’atteignait que 5 % du PIB, contre 20 à 40 % pour l’Argentine, le Brésil, l’Équateur, le Mexique et le Pérou, plus de 45 % pour la Bolivie, la Colombie, le Nicaragua, le Panamá, l’Uruguay et 110 % pour la Jamaïque. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 91 02/03/2016 16:27:32 92 ❯ AMéRique LAtine – éDitiOn 2015-2016 La crise internationale et la réponse de l’Amérique latine 8 En 2008, la situation des finances publiques et de la balance des paiements de l’Amérique latine est saine, une situation peu courante au vu de l’histoire économique de la région depuis 1930. Cette solvabilité financière offre alors des outils puissants pour contrer les effets de la contagion venant de l’hémisphère Nord. À d’autres époques (la crise Tequila en étant un exemple 9), un épisode de contagion se traduisait par d’importantes sorties de capitaux (fly to quality), par des attaques spéculatives sur la monnaie et sur les réserves de change, mettant en danger la balance des paiements et la solvabilité externe des pays affectés. La politique monétaire et de change mise en place pour rééquilibrer les comptes externes venait frapper l’économie, ce qui provoquait une forte baisse de l’activité et une dégradation de la situation de l’emploi et de la situation sociale. En 2008, l’Amérique latine se trouve face à la crise, dans une situation de robustesse (avec d’importantes réserves en devises étrangères) due à la forte croissance des exportations associée dans une large mesure au boom des matières premières. De plus, la région présentait également des finances publiques en équilibre, voire dans certains cas en surplus, et des niveaux d’endettement public relativement faibles. Ainsi, à la différence du passé de stop and go, un taux de croissance élevé était compatible avec la solvabilité des comptes externes et des finances publiques. On constatait un chemin de croissance potentiellement soutenable dans un grand nombre de pays de la région. Graphique 3. Amérique latine. Croissance (axe horizontal) et solde du compte courant (axe vertical) 2 2005 1 2003 -1 2009 1 0 -1 3 2012 1995 1999 2001 4 5 6 7 2008 2002 -2 -3 2 2004 2007 0 -2 2006 2014 2010 2011 1996 2000 2013 1997 2015* -4 *Estimations. 1998 -5 Source : Analyse établie par les auteurs grâce à la base de données WEO du FMI. 8. 9. Voir M. Brei et C. Winograd (2009), op. cit. Une attaque spéculative contre le peso mexicain, en décembre 1994, déclenche une crise économique et financière de grande ampleur au Mexique. La crise s’étend à l’ensemble de l’Amérique latine et à d’autres pays émergents. Voir Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2009), This Time is Different: Eight Centuries of Financial Folly, Princeton University Press. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 92 02/03/2016 16:27:32 L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 93 Le graphique 3 montre simultanément la croissance du PIB (axe horizontal) et le solde du compte courant (axe vertical). On observe la phase de stop and go classique mentionnée (flèches noires), durant laquelle les périodes de croissance du PIB sont associées à des déséquilibres externes ; c’est le cas ici des années antérieures à 2003. Ensuite, à partir de cette date et jusqu’en 2007, on note une phase de croissance et de soutenabilité externe (zone orangée). Mais, à partir de 2008, se produit un retour graduel vers les arbitrages du passé, la croissance économique étant associée à une détérioration des comptes externes. Les années 2013 et 2014 montrent déjà des situations de fragilité croissante du solde de la balance courante. Venezuela Uruguay Pérou Paraguay Mexique Équateur Colombie Chili Brésil Bolivie Argentine Année Tableau 1. Finances publiques : déficit budgétaire (en % du PIB) 2000 - 3,0 - 3,7 - 3,3 - 0,7 - 2,9 1,0 - 3,0 - 0,9 - 2,1 - 3,3 4,5 2001 - 4,9 - 6,8 - 3,2 - 0,5 - 2,9 1,2 - 3,1 - 0,7 - 2,1 - 3,4 - 4,6 - 1,5 2002 - 1,2 - 8,8 - 4,4 - 1,2 - 3,4 0,8 - 3,4 - 2,5 - 1,4 - 3,7 2003 1,2 - 7,9 - 5,2 - 0,4 - 2,7 1,0 - 2,3 0,0 - 1,6 - 2,6 0,2 2004 3,4 - 5,5 - 2,9 2,0 - 1,3 1,9 - 1,2 1,0 - 1,0 - 1,8 2,5 2005 2,0 - 2,2 - 3,5 4,5 0,0 0,6 - 1 2 1,2 - 0,4 - 0,4 4,1 2006 1,8 4,5 - 3,6 7,4 - 1,0 2,9 - 1,0 2,0 2,0 - 0,5 - 1,6 2007 0,3 1,7 - 2,7 7,9 - 0,8 1,8 - 1,2 2,0 3,3 0,0 - 2,8 2008 0,8 3,6 - 1,5 4,1 - 0,3 0,5 - 1,0 3,0 2,7 - 1,6 - 3,5 2009 - 1,6 0,0 - 3,2 - 4,1 - 2,8 - 3,6 - 5,1 - 0,5 - 1,7 - 1,7 - 8,7 2010 0,0 1,7 - 2,7 - 0,4 - 3,3 - 1,3 - 4,3 0,7 0,0 - 1,5 - 10,4 2011 - 1,9 0,8 - 2,5 1,4 - 2,0 0,0 - 3,3 1,9 2,2 - 0,9 - 11,6 2012 - 2,4 1,8 - 2,6 0,7 0,1 - 0,9 - 3,7 - 1,7 1,9 - 2,8 - 16,5 2013 - 2,0 0,7 - 3,1 - 0,5 - 0,9 - 4,6 - 3,8 - 1,5 0,7 - 2,4 - 14,6 2014* - 2,7 - 3,2 - 6,2 - 1,4 - 1,4 - 5,2 - 4,6 - 0,5 - 0,1 - 3,4 - 14,8 2015* - 4,1 - 4,5 - 5,3 - 2,1 - 3,2 - 5,4 - 4,1 - 1,1 - 1,7 - 2,8 - 19,9 * Estimations. Source : Élaboration des auteurs établie grâce aux bases de données WEO du FMI. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 93 02/03/2016 16:27:32 94 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 Année Argentine Bolivie Brésil Chili Colombie Équateur Mexique Paraguay Pérou Uruguay Venezuela Tableau 2. Finances publiques : dette publique (en % du PIB) 2000 38 67 65 13 38 – 42 35 44 – 28 2001 45 60 70 14 35 62 41 43 43 55 32 2002 138 69 79 15 38 53 43 59 45 110 55 2003 117 74 74 13 45 45 45 45 49 112 61 2004 106 90 70 10 41 40 41 34 46 94 45 2005 71 80 69 7 38 35 39 28 40 84 46 2006 62 55 66 5 36 29 38 21 35 76 34 2007 53 41 64 4 32 27 38 18 32 68 31 2008 47 37 62 5 32 22 43 18 28 68 23 2009 48 40 65 6 35 16 44 18 28 66 29 2010 39 39 63 9 37 19 42 15 25 62 36 2011 36 35 61 11 36 18 43 13 23 59 43 2012 37 33 64 12 32 21 43 16 21 59 46 2013 40 33 62 13 36 24 46 17 20 62 55 2014* 49 32 65 14 38 30 50 21 21 63 46 2015* 49 36 66 16 41 34 51 23 21 64 40 Moins de 35 % Supérieur à 60 % Supérieur à 100 % * Estimations. Source : Élaboration des auteurs établie à partir des données WEO du FMI. Fondamentalement, la crise financière internationale se diffuse dans la région par deux canaux. D’une part, celui du commerce international de biens et de services (et des transferts des émigrés de la région, les remesas), avec une baisse de la demande des biens exportés par l’Amérique latine et une diminution des prix sur le marché international. D’autre part, par le canal financier, où l’on observe une réduction de 90 % des flux de capitaux privés et une baisse de 50 % des entrées de capitaux destinées au secteur public. Contrairement à la morphologie de la crise dans les pays développés, en Amérique latine, la crise ne concerne pas la stabilité ou la solvabilité du système bancaire 10. La plupart des pays de la région ont mené des politiques d’expansion budgétaire, qui comportaient simultanément des volets d’accroissement des dépenses publiques (incluant une augmentation des transferts sociaux) et des réductions d’impôts (souvent programmées comme transitoires). 10 . Il faut également remarquer le faible degré de développement financier de la région, et aussi le fait que le marché de crédit hypothécaire a une importance très limitée. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 94 02/03/2016 16:27:33 L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 95 Sur le plan monétaire, les pays de la région ont suivi des politiques expansionnistes modérées, visant à éviter une trop forte chute des rendements des actifs financiers nationaux, risquant de conduire à des attaques spéculatives menées sur les monnaies, comme dans le passé. Face à cette turbulence financière internationale, la région était confrontée à un véritable test de crédibilité sur les marchés, l’histoire ne jouant guère en sa faveur. Les crises monétaires et financières récurrentes qu’elle avait connues contraignaient la politique économique. Si les politiques budgétaires et monétaires ont été expansionnistes, les actions de relance étaient relativement prudentes 11. Mais les années qui ont suivi témoignent d’une détérioration importante des comptes publics (tableau 1). Le risque pays (taux d’intérêt des Bons du Trésor) montre une augmentation dans tous les pays de la région, le Chili présentant la hausse la plus faible, le Brésil, le Mexique, le Pérou, la Colombie et l’Uruguay des augmentations modérées et, à l’opposé, l’Argentine et le Venezuela connaissant de très fortes augmentations du risque pays 12. Le test de crédibilité a été franchi avec succès par un grand nombre de pays, ce qui a conduit à un retour des flux de capitaux à partir de 2010. Si la région a démontré une résilience appréciable face à la crise, qualité qui a ensuite permis une reprise de la croissance, la situation présente aujourd’hui une plus grande fragilité, face aux scénarios internationaux à venir. L’épuisement de la « puissance de feu » des politiques macro-économiques Les politiques adoptées par les pays d’Amérique latine pour faire face à la crise internationale ont consommé une bonne partie des ressources budgétaires disponibles. Dans le même sens, une détérioration des comptes externes remet en question la soutenabilité future de la croissance économique de la région, dans le cadre d’un scénario de hausse des taux d’intérêt aux États-Unis, de faible croissance de l’économie mondiale et 11 . Au moment de la crise, les déficits budgétaires sont de 1,4 % à - 5,8 % (surplus), pour l’Argentine, le Brésil, la Bolivie, le Chili et le Pérou. Les pays présentant les déséquilibres les plus importants sont le Nicaragua, le Honduras et la Jamaïque (3-7 %). Les plans de relance budgétaire mis en place à la suite de la crise vont de 0,5 % du PIB au Brésil à 2,2 % au Chili, l’Argentine, la Colombie, le Mexique et le Pérou se situant entre ces deux valeurs (voir M. Brei et C. Winograd, 2009, op. cit.). La solvabilité financière du Chili, déjà bien affirmée sur les marchés internationaux, explique que ce pays a mené les politiques macroéconomiques les plus actives. 12 . Une hausse de 3-6 % pour les premiers, et de plus de 10 % pour les seconds, voir Bloomberg, op. cit. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 95 02/03/2016 16:27:33 96 ❯ AMéRique LAtine – éDitiOn 2015-2016 de faiblesse des prix des matières premières exportées 13. Ainsi, la vigueur, sur le plan externe, dont disposait l’Amérique latine quand elle a affronté la crise internationale de 2008 s’est progressivement épuisée. Les deux facteurs – externe et budgétaire – ont entraîné une réduction du taux de croissance (5,3 % en moyenne en 2004-2008 contre 3 % en moyenne en 2009-2013), avec 1 % estimé pour l’année 2015. Le tableau 1 montre la dégradation des finances publiques de plusieurs pays : Argentine, Bolivie, Brésil, Colombie, Équateur, Mexique, Paraguay, Uruguay et Venezuela. Mais il faut remarquer que le Chili, le Paraguay et le Pérou montrent encore des niveaux de dette publique faibles (tableau 2). Par ailleurs, le solde du compte courant (graphique 4) témoigne également d’une forte détérioration et de l’épuisement des excédents de la balance des paiements, expression de la robustesse inédite observée en 2008. Cela indique que la vulnérabilité de la région sur le plan externe est à nouveau à l’ordre du jour 14. Il faut remarquer que l’inflation chronique élevée, un trait structurel de la région pendant des décennies, n’est pas d’actualité. Dans la plupart des pays, la hausse des prix est inférieure à 10 % par an, sauf en Argentine et au Venezuela, qui connaissent des niveaux d’inflation supérieurs à 25 % 15. Graphique 4. Solde du compte courant ( % du PIB) 2007 2010 2013 2015* 14 11,4 12 10 8 7,2 5,7 6 4,1 3,7 4 2,0 2 1,5 0,1 0 -2 -1,2 -1,4 -1,7 -1,7 0,9 -2,2 -2,8 -4 -3,0 -3,3 -3,7 -3,8 -4,6 -4,7 -6 -5,8 -8 Argentine Bolivie Brésil Chili Colombie Équateur MexiqueParaguay Pérou Uruguay Venezuela * Estimations. 13 . Pour une analyse de la corrélation du cycle de croissance d’Amérique latine avec les taux d’intérêt internationaux et les prix des matières premières, voir Bertrand Gruss, http://www.imf.org/external/ pubs/ft/wp/2014/wp14154.pdf ; Pablo Neumeyer, NBER:http://www.nber.org/papers/w10387 14 . C. Reinhart et K. Rogoff (“Growth in a Time of Debt”, 2010, NBER Working Paper 15639) analysent les effets d’intolérance à l’endettement et l’impact négatif sur la croissance. Gustavo Adler et Sebastian Sosa (External Conditions and Debt Sustainability in Latin America, 2013, IMF WP) observent, une forte vulnérabilité sur le plan des finances publiques. 15 . La Bolivie, le Chili, la Colombie, le Mexique, le Paraguay et le Pérou connaissent des taux d’inflation inférieurs à 5 %. Le Brésil et l’Uruguay, avec 7 à 10 %, engagent des politiques anti-inflationnistes pour diminuer ces niveaux supérieurs à leurs objectifs. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 96 02/03/2016 16:27:33 L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 97 Source : Élaboration établie par les auteurs à partir des bases de données WEO du FMI. Les prévisions d’une croissance à la baisse pour 2015 (0,9 %, graphique 1) s’expliquent par une conjonction de facteurs macro-économiques, mais aussi par des faiblesses structurelles chroniques. Les pays de la région, dits de « revenu intermédiaire », sont exposés à une double contrainte. Primo, à la concurrence accrue des pays moins développés pratiquant des coûts salariaux plus faibles. Secundo, à un déficit de compétitivité et à la difficulté rencontrée pour gagner des parts de marché sur des segments à forte valeur ajoutée, face à l’accumulation de capital humain et de technologie par les pays les plus riches, ainsi que face à la forte croissance de productivité d’autres pays émergents, en particulier de l’Asie du Sud-Est et de la Chine. En comparaison avec les pays ayant un produit intérieur brut (PIB) comparable, les Latino-Américains ont en moyenne un accès très inégal à l’éducation, à la santé et à d’autres infrastructures. Parmi les quinze pays les plus inégalitaires au monde, dix se trouvent en Amérique latine 16. L’inégalité et la pauvreté Les données disponibles montrent que l’Amérique latine est la région la plus inégale au monde 17 : le coefficient de Gini 18 s’y élève actuellement approximativement à 0,50, contre environ 0,30-0,35 en Europe, 0,32 19 pour les pays de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), 0,37 pour l’Asie (y compris la Chine) et 0,41 pour l’Asie du Sud-Est 20. L’inégalité dans la distribution du revenu a globalement diminué de manière significative dans toute la région durant les dernières années. Ces résultats agrégés dissimulent toutefois une forte hétérogénéité : notamment entre, d’une part, l’Uruguay (0,41), le Salvador (0,42), le Costa Rica (0,49) et, d’autre part, la Colombie (0,54), le Brésil (0,53), le Honduras (0,57) ou le Chili (0,51). On constate également que les grandes économies de la région se situent légèrement en dessous de la 16 . World Development Report Tables, World Development Indicators, World Bank, 2013, 2014 ; World Population Prospects: The 2008 Revision United Nation, 2009. 17 . L’Afrique sub-saharienne et quelques pays de l’Asie du Sud-Est sont les seuls à présenter aujourd’hui des niveaux d’inégalités comparables aux niveaux latino-américains. Cependant, l’Amérique latine ne compte pas de pays dits « pays moins avancés » (PMA), à l’exception d’Haïti. 18 . Après une augmentation continue depuis le début des années 1980 jusqu’au milieu des années 2000 (où il a atteint 0,54). 19 .http://www.oecd.org/social/income-distribution-database.htm 20 . Asian Development Outlook 2012, “Confronting Rising Inequality in Asia”, Asian Development Bank, 2012. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 97 02/03/2016 16:27:33 98 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 moyenne régionale (0,48 pour le Mexique et 0,44 pour l’Argentine ; le Brésil faisant quelque peu figure d’exception) 21. A priori, la raison principale souvent avancée pour expliquer le déclin des inégalités dans la dernière décennie est la baisse des inégalités de salaires, encouragée notamment par l’instauration d’un système de redistribution sociale (des transferts monétaires conditionnels, conditional cash transfer) plus progressif : 50 % du budget total des transferts sont destinés aux 20 % les plus pauvres de la population. A contrario, la diminution des inégalités de revenus n’est pas nécessairement synonyme de diminution des inégalités sociales 22. Il existe des inégalités non monétaires beaucoup plus difficiles à mesurer, comme les inégalités entre écoles privées et écoles publiques, les phénomènes de ségrégation sociale, etc., susceptibles d’influer sur la future trajectoire sociale des individus 23. Il est clair que l’inégalité de distribution des revenus peut être rapidement observée, mais une diminution ou une augmentation des inégalités de ce type est beaucoup plus difficile à discerner. Au Brésil, par exemple, la notion de « nouvelle classe moyenne » souvent mentionnée dans la littérature récente doit être nuancée. Si l’on tient compte de critères tels que la stabilité de l’emploi, les conditions de logement, l’accès à l’enseignement, cette classe s’apparente davantage à une couche additionnelle de la classe ouvrière aux revenus certes – relativement – élevés 24. La pauvreté en Amérique latine, bien que plus élevée que dans les pays développés ou les pays émergents de l’Asie du Sud-Est, n’est pas aussi grave qu’en Afrique et dans le reste de l’Asie. Mais elle reste néanmoins préoccupante : en 2010, on estime qu’environ 15 % des Latino-Américains vivaient avec moins de 2,5 dollars par jour (à parité de pouvoir d’achat), une valeur supérieure au seuil de pauvreté, mais qui suffit difficilement à 21 .http://data.worldbank.org/indicator/SI.POV.GINI/countries?display=map 22 . Le Chili est un cas contrasté de forte diminution du taux de pauvreté combiné à une persistance séculaire de l’inégalité de revenus. La croissance soutenue de ces deux dernières décennies a engendré une forte demande de jeunes très qualifiés. Une offre insuffisante de ce type de qualification explique que les salaires des nouveaux arrivants sur le marché du travail présentant un niveau de qualification très élevé soient tirés vers le haut, renforçant la persistance de ce mécanisme d’inégalité, malgré l’augmentation du revenu moyen et la réduction de la pauvreté. 23 . Pour une discussion plus ample sur les déterminants de la pauvreté, voir : Leonardo Gasparini, Martín Cicowiez, Walter Sosa Escudero (2013), Pobreza y Desigualdad en América Latina. Conceptos, herramientas y aplicaciones, Editorial Temas, Buenos Aires, Argentina ; Abhijit V. Banerjee et Esther Duflo, Repenser la pauvreté, Éditions du Seuil, coll. « Les Livres du Nouveau Monde », 2012, 422 p. 24 . Dawid Danilo Bartelt (éd.), A “Nova Classe Média” no Brasil como conceito e projeto político, Rio de Janeiro, 2013, Fundação Heinrich Böll (représentation de la fondation des Verts allemands au Brésil), et Juliano Assunçao et C. Winograd (2012), The middle class in Brazil: Looking at regional convergence, Mimeo. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 98 02/03/2016 16:27:33 L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 99 satisfaire tous les besoins de base 25. Il s’agirait d’une pauvreté dite « de type structurel » dont souffrent plusieurs générations (entre deux et trois) 26. Le taux de pauvreté moyen (mesuré en termes moins restrictifs) 27 en Amérique latine s’établit à 4,6 % de la population en 2011 28 contre 5,7 % en 2000 29. On remarque donc un recul du taux de pauvreté, qui ne compense pas les fortes disparités dans la région entre, d’une part, des pays présentant une pauvreté restant élevée (le Honduras, le Guatemala ou bien la Bolivie) et, d’autre part, des pays où la pauvreté est plus faible (comme le Mexique, l’Argentine ou l’Uruguay). D’autres pays se situent plus ou moins dans la moyenne, ce qui témoigne de la persistance d’une pauvreté non négligeable (comme le Brésil ou l’Équateur). Ces données se réfèrent à des taux absolus de pauvreté. Tant que la mesure de la pauvreté ne se ramène pas à un rapport à la médiane de la distribution des niveaux de vie, une mesure relative de la pauvreté est difficile à établir. Une telle mesure relative permet d’évaluer le sort des plus pauvres par rapport au reste de la population, et non leur niveau de vie absolu 30. Les défaillances des mesures de revenus se reflètent aussi dans des dimensions non monétaires. Par exemple, on enregistre en Amérique latine 53 millions de personnes en situation de sous-alimentation sur une population totale de 545,6 millions d’habitants. D’autres statistiques nationales révèlent des cas de manifestation très prononcée de pauvreté non monétaire, s’agissant : de l’accès à l’éducation pour les jeunes issus de familles à faibles revenus (ainsi, 22 % des enfants au Nicaragua ne vont pas à l’école primaire), de l’accès à l’électricité (en Bolivie, par exemple, presque la moitié des ménages en sont dépourvus), ainsi que de l’accès à l’eau dans les logements (qui ne concerne que 63 % des ménages en Haïti) ou à un système d’assainissement (29 % des ménages du Mexique en sont privés). Un scénario comparable s’observe sur le marché du travail, avec un chômage des jeunes élevé, qui avoisine les 14 %, couplé à une forte précarité, une instabilité (un contrat de un mois, qui ne donne pas accès à la sécurité 25 . Le pays qui compte le moins de personnes vivant avec moins de 2,5 dollars par jour est l’Uruguay avec environ 85 000 personnes (2,5 % de sa population), tandis que le pays qui compte le plus de personnes vivant avec moins de 2,5 dollars par jour est le Brésil (un peu plus de 19 millions d’individus, 9,6 % de la population) (http://povertydata.worldbank.org/ poverty/region/LAC). 26 . L’accès à des données fiables est relativement restreint pour certains pays. Le cas de l’Argentine est avéré, l’Institut de statistiques remplaçant des données manquantes dans les bases de données d’enquêtes par des valeurs arbitrairement fixées. 27 . Défini au sens de la proportion de la population vivant avec moins de 1,25 dollar PPP (parité de pouvoir d’achat) ou moins par jour. 28 .http://donnees.banquemondiale.org/theme/pauvrete 29 . Social Panorama of Latin America 2013, Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepalc). 30 . Par exemple, si chaque ménage double son revenu, la pauvreté reste inchangée, tandis que, si les hauts revenus doublent, la pauvreté s’accroît. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 99 02/03/2016 16:27:33 100 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 sociale) et de bas salaires. L’indice de développement humain (IDH) 31 témoigne de résultats contrastés pour la région, mais de manière relativement stable, trois pays (l’Argentine, le Chili et l’Uruguay, qui ont le meilleur score de l’Amérique latine) se situent entre le 40e et le 50e rang au niveau mondial, ce qui mérite d’être souligné. Parmi les pays d’Amérique latine présentant un IDH plus faible, on note tout d’abord Haïti, dernier pays d’Amérique latine, avec un score de 0,471 en 2014 et la 168e place dans le classement mondial (0,532 et 149e place avant le séisme de 2010). Toute une série de pays d’Amérique centrale (Salvador, Honduras, Guatemala, Nicaragua) ainsi que le Paraguay ont vu, entre 2008 et 2014, leur rang en matière d’IDH soit stagner soit diminuer, et ont perdu des places au classement mondial. La Bolivie est également passée de 0,729 en 2009 à 0,667 en 2014, mais elle maintient sa 113e place. Le Mexique, le Brésil, le Pérou et le Venezuela progressent dans le classement depuis 2007 tout en n’accroissant pas sensiblement leur IDH (le Brésil recule marginalement de 0,813 à 0,774 mais gagne deux places, passant de la 75e à la 73e) 32. ■■ Les actions sociales des gouvernements Les programmes dits de conditional cash transfers ou transferts monétaires conditionnels(1) constituent le levier central de l’action publique dans la région pour lutter contre la pauvreté. La politique gouvernementale se caractérise donc par un ensemble de mesures de transferts sociaux, considérées comme des corrections ex post-nécessaires, mais qui sont en fait insuffisantes puisqu’elles ne s’attaquent pas aux causes mêmes de la pauvreté. Peu de mesures visibles se concentrent sur les programmes qui permettent d’accompagner et de donner les bons outils aux individus pour sortir de la pauvreté : information, formation, développement personnel, etc. Néanmoins, il existe quelques tentatives intéressantes conduisant à s’interroger ex-ante sur les coûts de la ségrégation sociale : le Mexique s’est par exemple doté d’un centre d’évaluation(2), partie intégrante de sa politique publique ; d’autres pays disposent d’un système d’évaluation comparable mais de forme privée – du type think tank. En outre, la fin du cycle de croissance macro-économique permettant le financement des programmes sociaux pose la question de la durabilité des programmes sociaux existants. (1) Sous diverses formes, Asignación Universal por Hijo en Argentine, Bolsa Familia au Brésil, Prospera – ex. Oportunidades au Mexique, Juntos au Pérou. (2) La Comisión Nacional de Evaluación. 31 . Il s’agit d’un indice de type holistique, qui combine revenu par tête, niveau d’éducation et espérance de vie. 32 . Rapport sur le développement Humain, Pnud, 2013. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 100 02/03/2016 16:27:33 L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 101 Les défaillances du système éducatif et les déséquilibres sur le marché du travail L’un des principaux problèmes des économies latino-américaines réside dans le manque de qualification de leur population active. Les niveaux de décrochage à chaque palier de l’enseignement (du primaire au supérieur) sont élevés. Entre 2009 et 2012, le décrochage scolaire à la fin de l’école primaire affecte en moyenne 23 % des élèves (autrement dit, seuls 77 % des écoliers du primaire passent dans le secondaire 33). Cette moyenne masque des différences selon les pays : alors que le taux de décrochage n’est que de 5 % en Uruguay et de 1 % au Chili, il atteint 46 % au Brésil. Elle ne rend pas non plus compte des inégalités existant au sein des pays : seuls 55 % des enfants issus du quintile le plus pauvre atteignent l’enseignement secondaire en Amérique latine, contre plus de 70 % dans des pays comparables (en termes de coefficient de Gini) 34. Le niveau des dépenses d’éducation par État a augmenté dans tous les pays. En 2011, la moyenne des dépenses publiques dans l’éducation en Amérique latine est de 4,5 % du PIB 35 ; les pays avec le plus bas niveau (3 %) de dépenses publiques dans ce domaine sont le Pérou, le Panamá, le Guyana, le Guatemala et le Salvador. À l’inverse, le pays qui consacre le plus fort pourcentage de son PIB à l’éducation est Cuba (13 %, ce qui correspond à la moyenne de l’OCDE en 2012 36), pays suivi par le Brésil (5,8), le Mexique et l’Argentine (tous les deux avec 5,1), l’Uruguay (4,4) et le Chili (4,6). En parallèle, les institutions privées participent de manière significative au système éducatif de la région. Le Nicaragua est le premier pays en termes de fonds privés (48 % du total des dépenses d’enseignement) au niveau de l’enseignement primaire, secondaire, et post-secondaire non supérieur ; le Chili est second avec 31 % des dépenses. Le niveau des fonds privés en Amérique latine est équivalent, voire supérieur aux niveaux européens. Au Chili, plus de 50 % des personnes scolarisées (primaire et secondaire) le sont dans le privé, et cette moyenne atteint 70 % dans l’enseignement supérieur, selon les données de l’Unesco. 33 . The State of the World’s Children, Unicef, 2009 updated in 2014. 34 . OECD/CAF/ECLAC (2014), “Latin American macroeconomic outlook”, in Latin American Economic Outlook 2015: Education, Skills and Innovation for Development, OECD Publishing [« Education, skills and innovation for a more dynamic, inclusive Latin America »]. 35 .http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SE.XPD.TOTL.GD.ZS 36 . OCDE (2012), « Quelle part des dépenses publiques est consacrée à l’éducation ? », Regards sur l’éducation 2012, Panorama, Éditions OCDE. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 101 02/03/2016 16:27:33 102 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 Dans un environnement de forte croissance et d’augmentation des budgets publics dans l’éducation (en niveau et en pourcentage), il est intéressant d’analyser les performances des systèmes éducatifs. Les systèmes éducatifs latino-américains ont vu leurs performances diminuer globalement au cours des dernières années selon l’enquête PISA (Program for International Student Assessment). Dans l’enquête PISA de 2012, les meilleurs résultats sont obtenus par le Chili et le Mexique, tandis que les plus mauvais résultats sont le fait de la Colombie et du Pérou. L’Argentine (en dépit d’une forte augmentation du budget alloué à l’éducation primaire) et le Brésil se situent derrière le Costa Rica et l’Uruguay 37. Malgré le fait que le premier pays d’Amérique latine occupe la 51e place (Chili) et que l’Amérique latine se situe en bas du classement, on constate néanmoins une amélioration, concernant spécifiquement les résultats des élèves aux niveaux les plus faibles 38 (niveaux 1 et 2), avec une baisse de la proportion d’élèves les moins performants ainsi qu’une amélioration de la compréhension de l’écrit dans quasiment tous les pays 39. ■■ Le cas de l’éducation au Chili Les résultats de l’Argentine ont régressé, alors que les autres pays d’Amérique latine ont connu une hausse, tel le Chili. Ce pays – où le secteur éducatif privé est particulièrement important – est un cas intéressant. Les performances des écoles privées et des écoles publiques y sont globalement les mêmes(1) selon l’enquête PISA. Néanmoins, les inégalités sont manifestes : fortes performances des écoles privées non subventionnées, performances moyennes des écoles privées subventionnées, plus faibles résultats des écoles municipales publiques. La différence entre le secteur public et le privé est de 120 points, et selon la notation, 40 points équivalent à une année d’éducation. Au Brésil, les résultats se sont en moyenne améliorés entre 2000 et 2009, mais ce pays occupe toujours la 53e place du classement, avant l’Argentine, le Panamá et le Pérou, mais derrière le Chili, l’Uruguay, le Mexique et la Colombie. Le « rendement » des élèves des écoles publiques y est aussi très inférieur à celui des élèves du privé. (1) http://www.iadb.org/en/topics/education/do-private-schools-do-a-better-job-of-teaching-in-latin-america, 7429.html En général, l’accès à l’éducation n’est plus un enjeu de taille. En effet, le taux d’alphabétisation des adultes est en moyenne assez proche de celui des pays développés : 91,2 % contre 94,1 % selon les statistiques du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) en 2009. Cependant, la qualité et la réussite posent un problème sérieux : l’inadéquation entre 37 .http://www.cei.ulaval.ca/index.php?pid=80&p=1286 38 . http://www.oecd.org/pisa/46643496.pdf ; http://www.oecd.org/pisa/keyfindings/ pisa-2012-results-overview-FR.pdf 39 .http://www.oecd.org/pisa/pisaproducts/39725224.pdf Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 102 02/03/2016 16:27:33 L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 103 les besoins du marché du travail et la qualification des jeunes entrant sur ce marché a été signalée de manière récurrente dans tous les pays 40. Les politiques en matière d’éducation seraient donc déconnectées de la réalité macro-économique : les enseignements et les diplômes ne correspondraient pas aux besoins du marché du travail. De plus, en ce qui concerne l’éducation supérieure par exemple, le taux d’obtention des diplômes universitaires augmente en Argentine, mais plus lentement que dans les pays voisins. Selon des données récemment disponibles 41 en 2014, seuls trois étudiants sur dix quittent l’université diplômés en Argentine, contre cinq au Brésil et six au Chili. Compte tenu de la population de chaque pays, l’Argentine a proportionnellement plus d’étudiants que le Brésil et le Chili mais, en raison des forts taux d’abandon, on compte 17 étudiants par diplômé au niveau national, contre 8,4 au Chili 42 et 6,7 au Brésil. Les disparités dans l’accès à l’éducation publique primaire, secondaire et supérieure par décile sont en revanche significatives. L’éducation primaire est pro-pauvre dans tous les pays, ce qui suggère tout simplement que les enfants issus des déciles inférieurs de la distribution de revenus vont à l’école. L’accès à l’éducation secondaire a la forme d’une courbe en « U » inversée, révélant que les enfants des familles les plus modestes présentant des taux de scolarisation secondaire relativement bas et ceux des familles les plus aisées aussi (car ceux-ci sont inscrits dans des établissements privés, dans la plupart des cas). Enfin, l’éducation universitaire ou tertiaire est pro-riche dans tous les pays, car les jeunes issus des déciles inférieurs n’y accèdent que très marginalement 43. On observe aussi des disparités régionales : il est clair que, en matière d’éducation, les dépenses publiques de certains pays comme la Colombie et le Pérou sont plus orientées vers les pauvres (de la même manière que le Royaume-Uni), tandis que des pays comme le Honduras ou la Bolivie ont des dépenses publiques peu dirigées vers les déciles inférieurs (s’approchant du cas des États-Unis). Il faut remarquer le cas du Chili. Une forte demande sociale en vue de réformer le système éducatif visant à une meilleure inclusion sociale s’exprime depuis plusieurs années dans ce pays. La politique publique de l’éducation est devenue un défi majeur pour le gouvernement en place. 40 . Banco Interamericano de Desarrollo (BID) 2012, Marina Bassi, Matias Busso, Sergio Urzúa and Jaime Vargas, Desconectados : Habilidades, educación y empleo en América Latina. 41 .http://www.ub.edu.ar/centros_de_estudio/cea/cea_numero_34.pdf 42 . Une importante réforme en éducation au Chili vient modifier le système de cofinancement public/privé et assouplir le processus de sélection (Educación pública de calidad y gratuita). 43 .L. Gasparini et al., 2013, op. cit. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 103 02/03/2016 16:27:33 104 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 L’informalité dans le marché du travail Selon les prévisions du Bureau international du travail (BIT) 44, « même si la croissance du PIB de la région s’élevait à 4 % par an, il faudrait plus de cinquante ans pour réduire l’informalité de moitié ». La précarité dans le travail est une autre manifestation de la pauvreté. Bien que l’informalité concerne à la fois les pauvres et ceux que l’on peut considérer comme non pauvres, elle affecte plus fortement les premiers. ■■ Les programmes en faveur de l’insertion professionnelle Depuis la mise en place du programme Progresa au Mexique en 1997, les programmes sociaux visant à l’insertion professionnelle se multiplient (notamment à travers la formation professionnelle), même dans certains petits pays d’Amérique centrale. Mais le phénomène de l’informalité persiste. Ces initiatives mettent potentiellement en œuvre un jeu pervers du mécanisme des programmes sociaux qui joue sur les incitations : en particulier, il existe un risque élevé de la part des programmes de transferts conditionnels de freiner l’accès à la formalité dans les cas où la réception de ces transferts s’arrête avec l’accès au travail formel. Selon une récente étude du BIT, il existe dans la région 130 millions de travailleurs dans l’illégalité, parmi une population économiquement active totale de 239 millions de personnes 45. Le taux d’informalité non agricole est de 47,7 %. Par ailleurs, 84 % des travailleurs indépendants se situent dans le secteur informel, ainsi que 79 % des travailleurs nationaux, 33 % des travailleurs du secteur privé et 60 % des travailleurs des micro-entreprises. Le pays d’Amérique latine présentant le plus faible taux d’informalité est l’Uruguay, autour de 40 %, alors que le Honduras, le Nicaragua, le Paraguay, le Pérou ou encore la Bolivie connaissent des taux de travailleurs informels supérieurs à 60 %. En comparant avec d’autres pays, on constate que l’ampleur du travail informel (en pourcentage de la population active) est bien plus développée que dans les régions comparables (comme les Brics – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – ou les pays les plus pauvres de l’OCDE). Il est important de mettre en avant les statistiques sur l’informalité, car celles-ci dévoilent des effets délétères sur les inégalités des chances : monétaires, sectorielles mais aussi d’âge et de genre. 44 . BIT : www.oit.org/americas/forlac 45 . 23 millions de personnes seraient sans emploi. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 104 02/03/2016 16:27:33 L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 105 Quelques indicateurs en matière de santé Enfin, la santé constitue un enjeu majeur en Amérique latine, comme le révèlent les Demographic and Health Surveys 46. Environ 120 millions de personnes n’ont pas accès aux soins et sont en même temps en situation de pauvreté. 60 % d’entre elles sont écartées et sont géographiquement éloignées des infrastructures sanitaires. La question de la cause principale de cette situation reste ouverte : sommes-nous face à un problème de l’offre, de la demande, ou bien des deux ? L’espérance de vie à la naissance a augmenté (75 ans en 2013 en moyenne contre 70 ans en 1995) et la mortalité infantile a diminué (18 pour 1 000 en 2013 contre 53 pour 1 000 en 1995). Les pays dont les indicateurs de santé se sont le plus améliorés sont ceux d’Amérique centrale (Honduras, Panamá, Salvador) et les pays présentant les indicateurs de santé les plus faibles sont le Guyana (66 ans d’espérance de vie, 30 décès d’enfants de moins de un an pour 1 000 naissances), la Bolivie (67 ans et 31 pour 1 000) et Haïti (63 ans et 55 pour 1 000) 47. Toutefois, des inégalités sont aussi présentes : il existe par exemple des différences allant jusqu’à 17 ans d’espérance de vie moyenne entre les pays, ainsi qu’une différence de 59 décès d’enfants de moins de un an pour 1 000 entre Haïti (64 pour 1 000) et Cuba (5 pour 1 000). Conclusion Durant les années 2000, en Amérique latine, la forte croissance économique et l’intensification des politiques sociales ont contribué à améliorer les indicateurs sociaux, à réduire la pauvreté et les inégalités de revenus. La progressive dégradation des finances publiques et des comptes externes de plusieurs pays de la région ont obéré les plans de relance axés sur des politiques budgétaire et monétaire mis en place en présence d’un environnement international défavorable. Dans un grand nombre de pays, l’assainissement des finances publiques est inévitable pour éviter le retour à un cycle vicieux d’endettement, dont on connaît bien les conséquences dans la région. Néanmoins, des divergences de trajectoire très importantes subsistent entre les pays. Il est désormais acquis, à cet égard, que les nouveaux pouvoirs publics des pays d’Amérique latine, certes conditionnés par l’environnement macro-économique national et international, devront répondre à la croissante demande sociale, qui exige une évaluation rigoureuse des politiques économiques afin d’approfondir les progrès accomplis. 46 . www.worldbank.orgpovertyhealthdata ; http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/mediacentre/press-releases/WCMS_071346/lang--fr/index.htm 47 .http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SP.DYN.IMRT.IN?display=map Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 105 02/03/2016 16:27:33 106 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 ■■ Déjà publié sur l’économie en Amérique latine • La crise mondiale : un test réussi de « l’émancipation macro-économique » de l’Amérique latine ? Christian Ghymers Édition 2011, collection « Mondes émergents » Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 106 02/03/2016 16:27:34 Chronologie Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 107 02/03/2016 16:27:34 Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 108 02/03/2016 16:27:34 Chronologie ❮ 109 Amérique latine 1er janvier 2014-31 décembre 2014 JULIETTE DUMONT Docteure en histoire à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL) Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3, chercheure rattachée au Centre de recherche et de documentation des Amériques (Creda) (UMR 7227) Janvier 3. – Cuba. Libéralisation économique. Un décret pris par le gouvernement le 19 décembre 2013 entre en application. Il autorise la libre importation et la commercialisation de véhicules à moteur. Cette mesure s’ajoute à celles, adoptées depuis trois ans par Raúl Castro, président des Conseils d’État et des ministres, qui amorcent une ouverture vers une économie libérale. Pour la première fois depuis plus d’un demi-siècle, les Cubains et les étrangers résidant dans l’île peuvent acheter des automobiles neuves ou d’occasion. Le produit des ventes doit permettre la création d’un fonds spécial pour le développement du transport public. 6. – Venezuela. Économie. Le président Nicolás Maduro annonce une hausse de 10 % du salaire minimum et des retraites pour limiter les effets de l’inflation. Alors que l’inflation vénézuélienne est la plus élevée du continent américain, atteignant 56,2 % en 2013, cette augmentation, qui établit le salaire minimum à environ 520 dollars par mois au taux officiel, mais à 50 au taux parallèle, est jugée insignifiante par certains analystes. N. Maduro déclare que l’inflation est le résultat de la guerre économique menée contre son gouvernement par « la droite et la bourgeoisie internationale », et que le salaire minimum continuera d’augmenter en 2014. 14. – Culture. Décès. Le poète argentin Juan Gelman, lauréat de nombreux prix littéraires, notamment le prix Miguel Cervantes en 2007, décède à Mexico. 23. – Argentine. Économie. Le gouvernement argentin laisse le peso se déprécier de plus de 13 % face au dollar, la plus forte baisse enregistrée en une journée depuis 2002. La devise argentine perd jusqu’à 15 % de sa valeur, avant de regagner un peu de terrain à la fin de ce même jour, et de finir à 8,01 pesos pour un dollar. Les réserves de change du pays sont trop faibles pour pouvoir soutenir la monnaie, et elles ont chuté de 52 à 29 milliards de dollars depuis 2011. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 109 02/03/2016 16:27:34 110 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 27. – Chili. Pérou. Différend territorial maritime. La CIJ se prononce sur le différend territorial maritime opposant les deux pays, remontant à la guerre du Pacifique (1879-1884). Le Pérou affirmait que les frontières délimitant son espace national n’avaient pas été définies, tandis que le Chili considérait que la frontière maritime était fixée par les traités de 1952 et 1954 portant sur les zones économiques. En 2008, le Pérou avait saisi la CIJ. Après six années de procédure, le jugement accorde au Pérou un droit souverain sur une zone maritime de 50 000 km², riche en ressources halieutiques et représentant 70 % de l’espace réclamé par Lima. Le président de ce pays, Ollanta Humala, fait part de sa satisfaction, tandis que Michelle Bachelet, présidente élue du Chili, qui prend ses fonctions en mars 2014, s’engage à respecter la justice internationale. 27. – Mexique. Narcotrafic. Le gouvernement conclut un accord avec plusieurs milices d’autodéfense. Ces groupes se sont constitués en « corps de défense ruraux » dans l’État du Michoacán, à l’ouest du pays, en proie à la violence. L’accord envisage l’incorporation de ces milices dans les forces de l’ordre officielles, avec un enregistrement obligatoire de leurs armes. 27. – Cuba. Économie. Cuba inaugure le port de Mariel, présenté comme le plus moderne d’Amérique latine et appelé à remplacer La Havane comme port principal de l’île. Cérémonie d’inauguration en présence de Raúl Castro et de la présidente du Brésil Dilma Rousseff ainsi que d’autres chefs d’État et de gouvernement latino-américains, venus à Cuba pour un sommet régional. La zone spéciale de développement de Mariel s’étend sur 466 km2. Le nouveau port a été aménagé par la société brésilienne de BTP Odebrecht. D’un coût total de 957 millions de dollars, le projet a été financé en partie par des prêts à des conditions favorables accordés par la Banque brésilienne de développement (BNDES) pour un total de 682 millions de dollars, le solde ayant été financé par Cuba. 28-29. – Celac. Cuba. Le IIe sommet de la Celac se tient à La Havane, en présence de trente chefs d’État et de gouvernement, ainsi que du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon. Pour la première fois depuis 1962, un représentant de l’OEA, dont l’île avait été exclue à cette date, est présent à La Havane, en la personne de son secrétaire général, le Chilien José Miguel Insulza. Parmi les 83 points de la déclaration finale, on trouve la constitution de l’Amérique latine comme zone de paix : les conflits régionaux se régleront uniquement via le dialogue, en écartant tout recours à la force ; la reconnaissance de l’action des peuples indigènes en faveur de la diversité biologique ; des mesures contre la pauvreté, l’analphabétisme et les inégalités, mais également en faveur de la sécurité alimentaire, du développement agricole, de la coopération technique et scientifique, de l’intégration économique et financière. Les présidents s’engagent par ailleurs à soutenir le processus de paix en Colombie, les droits de l’Argentine sur les îles Malouines, le caractère latino-américain et caraïbe de Porto Rico (État associé aux États-Unis), la reconstruction d’Haïti, et rejettent l’embargo maintenu contre Cuba par Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 110 02/03/2016 16:27:34 Chronologie ❮ 111 Washington. Enfin, est créé le Forum Chine-Celac, dont la constitution marque une nouvelle étape des relations entre l’Amérique latine et la Chine, qui permettra aux trente-trois pays de la Celac de négocier simultanément avec le géant asiatique à compter de 2015. Fin janvier. – Brésil. Environnement. Sécheresse. L’eau commence à manquer dans le centre de São Paulo, capitale économique du Brésil frappée par une grave sécheresse, qui menace aussi l’approvisionnement en électricité. La région métropolitaine de São Paulo et l’intérieur de l’État fédéré subissent depuis des mois la pire sécheresse des quatre-vingts dernières années, avec des coupures d’eau durant plusieurs jours. Le manque de pluies affecte les grands barrages destinés à fournir de l’eau potable à l’État de São Paulo où vivent 40 millions de personnes. Le niveau de stockage des cinq barrages du système de Cantareira est à son minimum depuis plusieurs semaines. D’autres barrages importants pour la production d’électricité, situés dans le sud-est du Brésil, notamment dans l’État de Rio de Janeiro, connaissent une situation critique. Février 2 février-6 mars. – Venezuela. Politique. Manifestations. Un mouvement de protestation antigouvernemental est lancé le 2 février par des étudiants qui s’insurgent contre la cherté de la vie, l’insécurité et les pénuries. Le 12, Caracas est le théâtre de la plus importante mobilisation mise en œuvre contre le président Nicolás Maduro depuis son élection en avril 2013. Les manifestations donnent lieu à des affrontements avec les forces de l’ordre et font plusieurs morts et des dizaines de blessés. Une centaine de personnes sont par ailleurs interpellées, dont de nombreux journalistes. Le 14, alors que de nouvelles manifestations d’étudiants se déroulent, le président annonce un plan destiné à lutter contre l’insécurité dans un pays où le taux de morts violentes est l’un des plus élevés au monde. Les partisans du président organisent de leur côté des contre-manifestations. Le 18, le chef de la police politique (le Service bolivarien de renseignement, Sebin), est limogé. Le 20, Leopoldo López, principale figure de l’opposition anti-chaviste, dirigeant de Voluntad Popular (droite), accusé par le pouvoir d’incitation à la violence et d’homicide, est arrêté et emprisonné. Le 23, le président Maduro annonce qu’il lance un dialogue national, mais celui-ci est rejeté par l’opposition et les étudiants. Tandis que les manifestations continuent, émaillées de violences, le gouvernement commémore le 5 mars la mort d’Hugo Chávez, décédé en 2013 après quatorze années passées au pouvoir. Le 6 mars, des experts de l’ONU demandent au gouvernement de mener en urgence une enquête sur les violences perpétrées contre les manifestants et les journalistes. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 111 02/03/2016 16:27:34 112 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 6. – Brésil. Manifestations. Une manifestation contre la hausse du prix du ticket de bus à Rio de Janeiro dégénère en affrontements entre manifestants et policiers, faisant une victime parmi les journalistes présents. 10. – Alliance du Pacifique. Israël. Israël rejoint, avec le statut d’État observateur, l’Alliance du Pacifique, une organisation regroupant quatre pays latino-américains (Chili, Colombie, Mexique et Pérou). Israël est le premier État du Moyen-Orient à bénéficier de ce statut, qui est aussi celui des États-Unis et du Canada, entre autres. 10. – Cuba. Union européenne. L’UE approuve à l’unanimité l’ouverture d’un dialogue avec le gouvernement cubain afin de normaliser les relations gelées depuis 1996, lorsque a été adoptée une « position commune » soumettant toute reprise d’un dialogue institutionnel avec La Havane à une évolution dans le domaine des droits de l’homme et à l’instauration d’une démocratie pluraliste. 11. – Alliance du Pacifique. Accord douanier. Les chefs d’État des pays membres de l’Alliance du Pacifique – Colombie, Mexique, Chili et Pérou – signent, lors du VIIIe sommet de l’organisation, tenu à Carthagène (Colombie), un accord commercial qui permettra d’exonérer 92 % des produits échangés de droits de douane. Les produits agricoles restent en dehors de l’accord. Celui-ci doit être validé par les parlements respectifs de chacun des pays membres et son entrée en vigueur devrait survenir à partir de l’année 2015. Lors du sommet, le Maroc est admis en tant que membre observateur, devenant ainsi le premier pays africain et arabe à rejoindre l’Alliance. 11. – Nicaragua. Politique. Institutions. Entrée en vigueur de la loi organique permettant la réélection illimitée du président de la République (qui ne pouvait jusque-là effectuer que deux mandats successifs de cinq ans) et qui lui accorde de nouveaux pouvoirs. Les nouvelles dispositions permettront à Daniel Ortega de postuler pour un 3e mandat consécutif en 2016. Il pourra également nommer comme ministres des militaires en activité, gouverner par décret, notamment en matière fiscale. 11-12 – Amérique latine. UE. Coopération et développement. Le Forum européen pour la sécurité urbaine (Efus) organise à Paris une réunion des experts de l’axe « sécurité citoyenne » du programme EUROsociAL II de coopération technique entre l’UE et l’Amérique latine, dont il est partenaire. L’objectif est de capitaliser toutes les expériences de l’année 2013 et de mener une analyse prospective pour 2014 afin d’optimiser l’apport de ce programme en matière de sécurité citoyenne. La rencontre rassemble les experts européens et latino-américains de l’équipe de travail qui a participé en 2013 à plus de 30 missions d’assistance technique dans les six pays d’Amérique latine partenaires du programme (Uruguay, Colombie, Équateur, Mexique, Salvador, Panamá). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 112 02/03/2016 16:27:34 Chronologie ❮ 113 13. – Bolivie. Société. La Cour constitutionnelle rejette la dépénalisation de l’avortement. La députée Patricia Mancilla, membre du parti du président socialiste Evo Morales, ainsi que des organisations féministes, avaient présenté en juin 2013 une demande auprès de ce tribunal, visant à dépénaliser l’avortement et à abolir les sanctions figurant dans le Code pénal, deux à six ans de prison pour tout médecin ou personne pratiquant un avortement. 16-18. – Pérou. Israël. Visite du président du Pérou Ollanta Humala en Israël, qui a pour objectif d’accroître la coopération économique et en matière de sécurité entre les deux pays. Cette visite témoigne de l’intérêt croissant porté par Israël à l’Amérique latine, dans le cadre d’une diversification de ses échanges commerciaux et afin d’obtenir le soutien diplomatique de cette région sur le plan international. 19. – Mexique. États-Unis. Canada. Venu à Mexico à l’occasion du 20e anniversaire de la signature de l’accord de libre-échange (Alena) entre les trois pays, le président Barack Obama s’entretient avec le président du Mexique Enrique Peña Nieto et le Premier ministre canadien Stephen Harper. Les trois dirigeants évoquent : les relations économiques, la réforme de l’immigration aux États-Unis, le refus du Canada de mettre fin à l’obligation faite aux Mexicains depuis 2009 de demander un visa, les révélations d’Edward Snowden sur les écoutes pratiquées par l’Agence nationale de sécurité américaine quant aux communications des présidents successifs du Mexique. 24. – Brésil. UE. Partenariat. Lors du 7e sommet UE-Brésil, tenu à Bruxelles, auquel participe la présidente Dilma Rousseff, un des points traités concerne la relance des négociations en faveur d’un accord d’association entre l’UE et le Mercosur. Ce sommet est également l’occasion de faire le point sur les progrès réalisés dans la coopération en matière de politiques sectorielles telles que la compétitivité et l’investissement, la recherche, la technologie et l’innovation, les transports et les infrastructures. Le sommet aborde également des questions régionales concernant l’Amérique latine, ainsi que des questions de sécurité et de paix internationales telles que la situation en Iran et en Syrie, le processus de paix au Moyen-Orient et la sécurité en Afrique. Fin février. – Brésil. Environnement. Sécheresse. Le Brésil rationne l’eau de 142 villes affectées par une sécheresse exceptionnelle. Janvier 2014 a été le mois le plus chaud jamais enregistré dans certaines régions du pays. Cela a provoqué des pénuries d’eau préoccupantes et endommagé des cultures. Cette sécheresse pourrait donc avoir un impact économique pour le Brésil, premier exportateur mondial de soja en grains, de café, de jus d’orange, de sucre et de viande bovine. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 113 02/03/2016 16:27:34 114 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 Mars 7. – Venezuela. Politique. OEA. Le Conseil permanent de l’Organisation des États américains approuve une déclaration sur la situation au Venezuela, exprime son soutien et sa solidarité à l’égard des institutions de ce pays et en appelle au dialogue et à la paix. 9-13. – Salvador. Élection présidentielle. Le 9, l’ancien commandant guérillero Salvador Sánchez Cerén, du parti de gauche au pouvoir, le Front Farabundo Marti pour la libération nationale (FMLN), remporte l’élection présidentielle, avec seulement quelques milliers de voix d’avance. Cette élection est officiellement confirmée le 13 par le tribunal électoral (le candidat du parti de droite Arena, battu, Norman Quijano, avait présenté un recours en nullité et demandé la tenue d’un nouveau scrutin mais sa requête a été rejetée). S. Sánchez Cerén est le 4e ancien guérillero à accéder à une présidence en Amérique latine. 11. – Chili. Politique. Michelle Bachelet, réélue à la présidence de la République au 2e tour avec 62,16 % des voix le 15 décembre 2013, entame son 2e mandat. 12. – Venezuela. Politique. Manifestations. À Caracas, des affrontements ont lieu quand un cortège d’environ 3 000 étudiants tente de rallier le centre-ville, où avait lieu une manifestation de partisans du gouvernement, mais a été empêché d’avancer par des barrages de la police anti-émeutes. Des manifestations contre la violence policière se sont également déroulées dans plusieurs villes de province, notamment à Valencia (Nord), où 3 décès portent le bilan des troubles à 24 morts dans tout le pays depuis le 4 février. 17. – Argentine. Économie. L’agence de notation financière Moody’s abaisse la note souveraine du pays de B3 à CAA1, en raison de la faiblesse des réserves de change, qui ont diminué d’un tiers en un an pour atteindre 27 milliards de dollars. 19. – Colombie. Politique. Bogotá. Le maire de Bogotá, Gustavo Petro, ancien militant au sein de la guérilla du M-19 (Mouvement du 19 avril), devenu une figure de la gauche colombienne, est officiellement destitué par le président Juan Manuel Santos. Il avait déjà été démis de ses fonctions le 9 décembre 2013 par le procureur général Alejandro Ordóñez. Il était accusé de ne pas avoir respecté les principes constitutionnels de la concurrence en retirant la concession de la collecte d’ordures à des entreprises privées au profit de la compagnie publique des eaux. Soutenu par une partie de la population qui avait organisé des manifestations en sa faveur, il avait fait appel. Le 14 janvier 2014, sa destitution avait alors été suspendue temporairement par un tribunal administratif. 24. – Brésil. Économie. Standard and Poor’s abaisse d’un cran la note de solvabilité du pays. L’agence de notation fait passer la note du Brésil de BBB à BBB- en raison de la faiblesse de la croissance économique et du Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 114 02/03/2016 16:27:34 Chronologie ❮ 115 « dérapage » budgétaire. Les autorités qualifient cette analyse d’« infondée » et jugent l’économie brésilienne solide. Reste que l’inflation a atteint 5,6 % sur les douze derniers mois et que la croissance a été plus modeste que prévu, avec une hausse du PIB de 2,3 % en 2013. 24. – Venezuela. Économie. Instauration d’un troisième système de change. Celui-ci, Sicad 2, s’ajoute au système officiel et à une première plateforme alternative nommée Sicad (Système complémentaire d’administration de devises). Il a pour but de lutter contre l’« explosion » de l’achat de dollars sur le marché noir, où le billet vert peut atteindre jusqu’à 70 bolivars, dans le cadre d’une économie soumise depuis 2003 à un contrôle de l’accès aux devises. Au moment de l’instauration de ce nouveau système, la Banque centrale constate que le taux de change parallèle s’établit à 51,86 bolivars pour un dollar, alors que le taux de change officiel est de 6,3 bolivars pour un dollar. Nicolás Maduro déclare que 80 % des achats de devises de l’État continueront à se faire au taux du système officiel. Faute d’un approvisionnement en dollars, le Venezuela affronte de fréquentes pénuries. 24. – Amérique latine. UE. Aide au développement. Andris Piebalgs, commissaire européen chargé du développement, annonce l’octroi d’une nouvelle aide de l’UE d’un montant de 2,5 milliards d’euros en faveur de l’Amérique latine pour la période 2014-2020 (englobant des fonds destinés aux programmes régionaux et aux enveloppes bilatérales allouées aux pays éligibles). 25. – Venezuela. Politique. Le président Maduro annonce l’arrestation de trois généraux de l’armée de l’air et leur prochaine comparution pour conspiration devant un tribunal militaire. Il fait cette déclaration lors d’une rencontre avec les ministres des Affaires étrangères de l’Unasur, réunis pour tenter une médiation afin de mettre fin aux troubles affectant le pays depuis le 4 février et qui ont fait officiellement 34 morts et plus de 400 blessés. Ces arrestations surviennent après celles du fondateur du parti de droite Volonté populaire, Leopoldo López, et de deux maires, le 20 février, et après qu’une députée de l’opposition, Maria Corina Machado a été destituée de son mandat. 29. – Amérique latine. UE. Coopération. Droits des femmes. L’Assemblée parlementaire Euro-latino-américaine (EuroLat) adopte une résolution d’urgence intitulée « Sur le féminicide dans l’Union européenne et en Amérique latine », présentée par les députés Gloria Flórez (Parlement andin) et Raúl Romeva i Rueda (Parlement européen). 29 – Cuba. Économie. Le Parlement cubain adopte une nouvelle loi sur les investissements étrangers, présentée par Raúl Castro comme « cruciale » pour l’économie de ce pays. La nouvelle loi, dont les détails n’ont pas été officiellement publiés, prévoit surtout un régime fiscal très souple pour les entreprises étrangères en dépit de l’embargo économique appliqué par les États-Unis. La loi vise également le lancement de la Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 115 02/03/2016 16:27:34 116 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 zone de développement spéciale que le régime cubain souhaite mettre en œuvre autour du mégaport de Mariel. Avril 1er. – Venezuela. Économie. Le gouvernement vénézuélien lance une « carte d’approvisionnement assuré » qui, avec une identification biométrique, limite le nombre d’achats par personne afin de « lutter contre la contrebande et la spéculation ». 1er. – Chili. Catastrophe. Un tremblement de terre d’une magnitude de 8,2 survient à environ 89 km, et à 46 km de profondeur, au large de la ville d’Iquique, dans le nord du Chili. Des dizaines de répliques atteignent ensuite des magnitudes de 5,5 et 6,2. Les services d’urgence du Chili et du Pérou procèdent rapidement à l’évacuation de l’ensemble de la zone côtière. 5. – Argentine. Buenos Aires. Insécurité. Le gouverneur de la province de Buenos Aires décrète l’état d’urgence sécuritaire pour douze mois après une vague de crimes et de délits ayant parfois provoqué des lynchages. La mesure prévoit l’investissement de 600 millions de pesos (54 millions d’euros) pour l’équipement des forces de l’ordre et la mobilisation immédiate de 5 000 policiers retraités pour renforcer les patrouilles. 6. – Costa Rica. Élection présidentielle. Le candidat du Parti action citoyenne (centre gauche), Luis Guillermo Solis, est élu au 2e tour avec 77,8 % des suffrages. Il était le seul candidat en raison du désistement entre les deux tours de son adversaire Johnny Araya, du Parti libération nationale (centre), au pouvoir pendant trois mandats successifs. 7. – Venezuela. Politique. Nicolás Maduro, confronté depuis deux mois à des manifestations antigouvernementales, annonce qu’il accepte de rencontrer l’opposition à la demande de l’Unasur. Les opposants réservent leur réponse, réclamant le respect de certaines conditions préalables, notamment que les négociations avec le président se déroulent « à conditions égales », avec un « ordre du jour clair » et qu’elles soient retransmises par la radiotélévision. 12. – Cuba. France. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du Développement international, est en voyage officiel à Cuba. C’est le premier chef de la diplomatie française à se rendre dans l’île depuis trente et un ans. Si, d’un côté, cette visite se veut politique, elle revêt également un volet économique. 12-20. – Chili. Catastrophe. Valparaíso. Un gigantesque incendie, parti de collines boisées dominant la ville, gagne rapidement des zones habitées. Il fait 15 morts, détruit 2 900 logements et provoque l’évacuation de près de 10 000 personnes à Valparaíso, ville portuaire classée au patrimoine de l’humanité par l’Unesco. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 116 02/03/2016 16:27:34 Chronologie ❮ 117 17. – Culture. Décès. Gabriel García Marquez, écrivain colombien, prix Nobel de littérature en 1982, meurt à Aracataca, au Mexique. 21. – Uruguay. Bolivie. Différend territorial. Le gouvernement uruguayen propose à la Bolivie d’utiliser encore plus amplement qu’à l’heure actuelle les ports uruguayens, notamment pour lui permettre d’exporter du soja. Cette annonce est faite par l’ambassadeur uruguayen à La Paz, qui précise aussi que son pays a sollicité la participation de la Bolivie à la construction d’un port en eaux profondes près de la ville de Rocha, sur la côte Atlantique. Les détails de cette proposition seront abordés par les présidents des deux pays lors de leur prochaine rencontre, prévue en juin. Cette annonce survient au moment où la Bolivie entame une nouvelle procédure contre le Chili devant la CIJ pour retrouver un accès au Pacifique. 23. – Colombie. Politique. Bogotá. Le président Juan Manuel de Santos rétablit dans ses fonctions le maire de Bogotá, Gustavo Petro. 28. – Venezuela. Manifestations. Les étudiants vénézuéliens qui campent devant le siège du Programme des Nations unies pour le développement à Caracas annoncent qu’ils protesteront une fois de plus contre le gouvernement du président Maduro à l’occasion de la Fête du travail, le 1er mai. Cette réaction fait suite à la publication d’une ordonnance du Tribunal suprême de justice, qui limite le droit de manifester au Venezuela et autorise ainsi les forces de sécurité à intervenir en se servant des « moyens qui leur paraissent les plus appropriés » pour réprimer les manifestations illégales. 29. – Cuba. UE. Cuba et l’UE entament des discussions en vue d’un accord politique et de coopération entre les deux parties. Elles devraient permettre à Cuba de renouer des liens stratégiques avec les pays de l’UE, notamment dans les domaines du tourisme, de l’agro-alimentaire et de l’énergie. Mai 4. – Panamá. Élection présidentielle. Candidat du Parti Panameñista (centre droit), Juan Carlos Varela est élu avec 39 % des voix, contre 32 % à José Domingo Arias, du parti Changement démocratique (droite), soutenu par le gouvernement au pouvoir, et 27 % à Juan Carlos Navarro, du Parti révolutionnaire démocratique (centre gauche). 6. – Uruguay. Société. Narcotrafic. Le président José Mujica promulgue la loi, votée le10 décembre 2013, légalisant l’ensemble du processus de production et de vente de cannabis, placé sous contrôle public. L’Uruguay est le premier pays au monde à voter une loi de ce type, destinée à combattre le trafic de drogue. Selon ce texte, les consommateurs de cannabis – âgés d’au moins 18 ans, résidant en Uruguay et inscrits sur un registre d’utilisateurs – pourront acheter 10 grammes de marijuana par semaine en Uruguay, drogue vendue à moins de un dollar le gramme. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 117 02/03/2016 16:27:34 118 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 15. – Brésil. Coupe du monde. Manifestations. Des manifestations anti-Mondial ont lieu à São Paulo, Rio de Janeiro, Brasília, Belo Horizonte, Porto Alegre et Manaus, réunissant environ 10 000 personnes qui défilent aux cris de « Hé Fifa, retourne en Suisse ! » (le siège de la Fifa est à Zurich). 16. – Colombie. Farc. Accord. Au terme du 3e volet des pourparlers de paix de La Havane ouverts en novembre 2012, les Farc annoncent leur volonté de mettre fin à tous les liens existant entre elles et le narcotrafic. L’accord signé alors entre le gouvernement colombien et les Farc prévoit une grande campagne d’éradication de cocaïers, l’abandon de l’épandage aérien de pesticides, la mise en place de politiques de développement rural et la prévention de la consommation de drogues. 28-29 – Argentine. Club de Paris. Dette. Les représentants des créanciers du Club de Paris et de l’Argentine parviennent à un accord d’apurement de la dette en arriérés due aux créanciers, sur une période de cinq ans. Juin 2. – Brésil. Coupe du monde. Grève. La police fédérale de Brasília conclut un accord avec le gouvernement par lequel, en échange d’une augmentation de salaire, elle s’engage à ne pas faire grève pendant le Mondial de football. 3. – Brésil. Éducation. Grève. Peu de jours avant le début de la Coupe du monde, les professeurs des écoles municipales de São Paulo mettent fin à 42 jours de grève. Selon les syndicats, la mairie a accepté une augmentation de 15,38 % des salaires, payable en trois fois à partir de mai 2015. À Rio, le gouvernement promet un réajustement des salaires des professeurs de l’État, en grève depuis le 12 mai. 3-5. – OEA. Assemblée générale. La lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales en Amérique latine est à l’ordre du jour de la 44e Assemblée générale de l’OEA, qui se tient à Asunción (Paraguay), et à laquelle prennent part 28 ministres des Affaires étrangères des pays membres de cette institution. La lutte contre le trafic de stupéfiants, les questions des Malouines, du changement climatique, des droits des homosexuels et des peuples indigènes, sont également abordées. 12 juin-13 juillet. – Brésil. Coupe du monde. La cérémonie et le match d’ouverture du Mondial ont lieu dans le nouveau stade Arena Corinthians de São Paulo. 14-15. – Sommet du G77. Bolivie. Chine. Ce sommet, dont l’hôte est le président de la Bolivie Evo Morales, se tient à Santa Cruz de la Sierra en présence de nombreux chefs d’État et de gouvernement des 133 États membres, d’une centaine de délégations, et sous la présidence du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon. Trois dirigeants latino-américains sont absents : la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, la présidente du Chili, Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 118 02/03/2016 16:27:34 Chronologie ❮ 119 Michelle Bachelet et le président de la Colombie Juan Manuel Santos. La Chine est représentée par le vice-président du comité permanent de l’Assemblée populaire. La déclaration finale appelle à éradiquer la pauvreté dans le monde d’ici 2030 et fait également référence à de nouveaux engagements contre l’inégalité, en faveur de la protection de l’environnement et de la souveraineté des pays sur leurs ressources naturelles. 15. – Colombie. Élection présidentielle. Juan Manuel Santos (centre droit), président sortant, remporte le 2e tour de l’élection présidentielle avec 50,9 % des voix, tandis que son adversaire de droite, Ivan Zuluaga, obtient environ 45 % des suffrages. L’élection avait pris des allures de référendum sur la stratégie mise en œuvre par J. M. Santos pour mettre fin à la guérilla marxiste des Farc. J. M. Santos a bénéficié de l’appui des partis de gauche, qui ont appelé à voter pour lui, en dépit de sa politique néolibérale. Cette élection est saluée par le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, qui encourage les parties prenantes à finaliser les négociations de paix en cours avec les Farc. 16. – Argentine. Économie. « Fonds vautours ». La Cour suprême des États-Unis valide la décision du tribunal new-yorkais qui avait bloqué le versement par l’Argentine de 539 millions de dollars d’intérêts à plusieurs créanciers privés. Le Tribunal avait en effet estimé que le pays devait d’abord régler son différend avec les deux fonds spéculatifs NML et Aurélius. Ces derniers avaient refusé, contrairement à l’écrasante majorité des autres détenteurs de la dette argentine, d’accepter une réduction de 70 % de la valeur de leur créance. 19-21. – Alliance du Pacifique. Mercosur. Sommet des présidents de l’Alliance du Pacifique regroupant Chili, Colombie, Pérou et Mexique. À son terme, les participants réaffirment leur attachement aux principes du libre-échange, sans toutefois donner suite pour l’instant à la demande chilienne d’une ouverture vers l’autre bloc régional, le Mercosur. 27. – Argentine. Politique. Corruption. Le vice-président argentin Amado Boudou est inculpé pour corruption, accusé d’avoir acheté, via un prête-nom, une imprimerie en faillite et d’avoir fait en sorte qu’elle obtienne le monopole de l’émission des billets de banque. 29 juin-1er juillet. – Pérou. France. Le président du Pérou, Ollanta Humala, effectue une visite officielle en France, au cours de laquelle François Hollande apporte son soutien à la demande d’adhésion du Pérou à l’OCDE. Par ailleurs, le président Humala assiste au 6e Forum économique international sur l’Amérique latine et les Caraïbes qui se tient à Paris. 29 juin-1er juillet. – Chili. États-Unis. La présidente du Chili, Michelle Bachelet, effectue une visite aux États-Unis, où elle est reçue par son homologue américain, Barack Obama. Au cours de cette rencontre, les deux dirigeants affirment vouloir renforcer leurs relations dans plusieurs domaines, dont le commerce, la sécurité, l’énergie et l’éducation. L’accord Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 119 02/03/2016 16:27:34 120 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 de partenariat transpacifique ainsi que le rôle que devra jouer le Chili en tant que nouveau membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, jusqu’en décembre 2015, sont également abordés. Juillet 7. – Nicaragua. Canal interocéanique. Présentation officielle du tracé sélectionné pour la construction du canal de 278 km de long et dont le chantier, confié à l’entreprise chinoise HKND, est estimé à 50 milliards de dollars. 8. – Brésil. Coupe du monde. Lors de la première demi-finale qui oppose le Brésil à l’Allemagne, cette dernière s’impose par 7 buts à 1. La lourde défaite de l’équipe brésilienne est vécue comme un drame national. 10. – Haïti. République Dominicaine. Après plusieurs reports, le 3e dialogue de haut niveau entre Haïti et la République Dominicaine (RD) se tient à Juan Dolio (RD). Il s’agit notamment, pour les deux pays, de renforcer leur coopération en matière d’immigration, de sécurité, de tourisme, de santé et d’environnement. Les reports qu’avait connus cette réunion étaient essentiellement dus au différend entre les deux pays, à la suite de l’adoption en 2013, par la Cour constitutionnelle dominicaine, d’une loi qui ôtait la nationalité aux Dominicains nés de parents étrangers, ce qui concernait plus de 200 000 descendants d’Haïtiens vivant en RD. La reprise du dialogue survient donc après la promulgation, le 22 mai, par le président de la RD, Danilo Medina, d’une loi qui garantirait la nationalité aux Dominicains d’origine étrangère. 11. – Cuba. Russie. Dette. Le président de la Russie Vladimir Poutine entame à Cuba une tournée latino-américaine qui doit le conduire ensuite en Argentine et au Brésil, à la recherche de soutiens dans sa confrontation avec l’Occident sur l’Ukraine. L’étape cubaine est l’occasion de relancer les relations russo-cubaines. Ce processus s’est traduit, entre autres, par l’annulation, peu de temps avant l’arrivée du président russe à La Havane, de 90 % de la dette cubaine envers Moscou, un fardeau de 31 milliards de dollars (22,8 milliards d’euros) que Cuba avait contracté à l’époque de son alignement sur l’ex-URSS. Et le solde de la dette (environ 3,5 milliards de dollars, soit 2,6 milliards d’euros) doit être remboursé sur dix ans et placé sur des comptes spéciaux afin d’être réinvesti par la Russie à Cuba. Avec La Havane, Moscou étudie de « grands projets dans les domaines de l’industrie et de la haute technologie, l’énergie, l’aviation civile, la médecine et la biopharmacie », assure V. Poutine à l’agence de presse Prensa Latina. 12. – Nicaragua. Russie. Vladimir Poutine décide de modifier le plan de sa tournée dans les pays d’Amérique latine afin de séjourner quelques heures au Nicaragua. Il s’agit de la première visite du dirigeant de la Russie dans ce pays. V. Poutine et le président du Nicaragua, Daniel Ortega, Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 120 02/03/2016 16:27:34 Chronologie ❮ 121 entament des négociations et discutent, en particulier, des livraisons de blé et de machines agricoles russes. Le déploiement des stations au sol Glonass (navigation spatiale) sur le territoire de ce pays et la coopération dans le domaine de la pharmacologie sont également évoqués. 12. – Argentine. Russie. Dans le cadre de son voyage régional, Vladimir Poutine arrive en Argentine, 4e partenaire commercial de Moscou dans la région. Au menu des discussions avec Cristina Kirchner : la coopération nucléaire – Moscou est très intéressé par la construction d’une 4e centrale en Argentine, Atucha 3, au nord de Buenos Aires –, mais également l’adhésion de l’Argentine aux Brics. Par ailleurs, C. Kirchner espère obtenir le soutien de V. Poutine dans son combat contre des fonds spéculatifs américains. 13. – Brésil. Coupe du monde. Manifestations. La police de Rio disperse à l’aide de gaz lacrymogènes quelque 300 manifestants opposés à la Coupe du monde, qui tentaient de forcer un cordon de sécurité pour s’approcher du stade Maracanã, juste avant le coup d’envoi de la finale. Cet événement a lieu au lendemain de l’arrestation de 19 activistes accusés de vandalisme lors de précédentes manifestations. 15-16. – Brics. Sommet. Brésil. Réunis pour leur 6e sommet annuel à Fortaleza, au Brésil, les cinq grands pays émergents, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, signent le 15 un accord actant la création d’une banque de développement et d’une réserve de change commune. La banque, qui sera établie à Shanghai, aura pour objectif de financer de grands projets d’infrastructures dans les pays concernés et, à terme, dans d’autres émergents. Quant à la réserve de change commune, dotée de 100 milliards de dollars, dont 41 milliards versés par la Chine, 18 par l’Inde, le Brésil et la Russie, et 5 par l’Afrique du Sud, elle pourrait être opérationnelle dès 2015. La création de ces deux institutions, destinées à faire contrepoids aux organisations de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale), est un objectif de longue date des Brics. Après Fortaleza, les dirigeants des Brics se rendent le 16 à Brasília, pour des rencontres avec des chefs d’État sud-américains. 17. – Équateur. UE. Relations commerciales. L’UE et l’Équateur concluent à Bruxelles, après quatre ans de négociations, un accord qui permettra à ce pays de signer un traité déjà conclu en juin 2012 entre l’UE, la Colombie et le Pérou. L’Équateur pourra ainsi bénéficier d’un meilleur accès au marché de l’UE pour ses principales exportations (produits de la pêche, bananes, fleurs coupées, café, cacao, fruits et fruits à coque). L’accord offre également un meilleur accès au marché équatorien pour de nombreuses exportations clés de l’UE, par exemple dans les secteurs de l’automobile ou des boissons alcoolisées. 17-30. – Amérique du Sud. Conflit israélo-palestinien. L’Équateur (le 17), le Brésil (le 24), le Chili et le Pérou (le 29) condamnent l’incursion militaire d’Israël dans la Bande de Gaza et exige la cessation immédiate Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 121 02/03/2016 16:27:34 122 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 par l’armée israélienne des attaques menées contre la population civile de ce territoire. Par ailleurs, ces pays rappellent leurs ambassadeurs respectifs en Israël. Le 30, la Bolivie annonce sa décision de placer Israël sur sa liste d’États terroristes. 18-21. – Argentine. Chine. Lors de sa visite en Argentine, le président Xi Jinping signe une vingtaine d’accords, portant sur d’importants investissements dans les secteurs de l’énergie et des transports. Ainsi, Pékin va contribuer à hauteur de plus de 3 milliards d’euros à la construction de deux barrages hydroélectriques et de la 4e centrale nucléaire argentine. 1,5 milliard d’euros sera également consacré au développement du transport ferroviaire de marchandises, en particulier des denrées alimentaires. L’Argentine constitue en effet l’un des plus gros marchés pour les exportations alimentaires chinoises. À l’issue de sa visite en Argentine, Xi Jinping parle de la naissance d’un « partenariat stratégique global ». 20-21. – Venezuela. Chine. Le président Xi Jinping, en visite à Caracas, et son homologue vénézuélien Nicolás Maduro conviennent d’élever les relations bilatérales des deux pays au niveau de partenariat stratégique global. 23. – Cuba. Chine. Le président Xi Jinping achève à Cuba une tournée en Amérique latine. Il s’entretient avec Raúl Castro sur la consolidation de la coopération diplomatique et économique. Les deux pays ont signé 29 accords de coopération dans le domaine de l’économie, de l’éducation, de la culture et de la biologie, entre autres. La Chine a ainsi accordé une ligne de crédit de 115 millions de dollars à Cuba pour la construction d’un terminal dans le port de Santiago. 23-28. – Brésil. Catholicisme. Les 28e Journées mondiales de la jeunesse se déroulent à Rio de Janeiro. L’événement, clôturé par une messe du pape François célébrée sur la plage de Copacabana, rassemble plus de 3 millions de fidèles. 26. – Venezuela. Politique. Le président du Venezuela, Nicolás Maduro, est élu par les militants à la tête du Parti socialiste unifié, lors du 1er congrès de cette formation tenu depuis la mort de son fondateur, Hugo Chávez, élevé au rang de « leader éternel ». 29. – Venezuela. Russie. Accords de coopération. L’entreprise pétrolière du Venezuela (PVDSA) et son équivalent russe (Rosneft) signent 5 nouveaux accords de coopération, dont le but est d’accroître la production de pétrole et de gaz au Venezuela. Ces accords comprennent, entre autres, l’établissement d’une co-entreprise PVDSA-Rosneft au Venezuela, laquelle permettra de développer des services spécialisés dans les domaines de l’ingénierie, de la construction et des infrastructures au niveau de la ceinture pétrolifère de l’Orénoque. Ils prévoient également une coopération dans le domaine technique. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 122 02/03/2016 16:27:34 Chronologie ❮ 123 30. – Costa Rica. ONU. Accompagné d’une importante délégation des Nations unies, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, entame sa toute première visite officielle au Costa Rica. Ban Ki-moon et le président Luis Guillermo Solís s’entretiennent sur le conflit israélo-palestinien, la problématique globale des droits de la personne, le changement climatique. L. G. Solis assure par ailleurs que son pays soutiendra, le moment venu, la réélection de Ban Ki-moon à son poste. 30-31. – Argentine. Économie. Fonds vautours. Le ministre argentin de l’Économie, Axel Kicillof, et les deux fonds spéculatifs, NML et Aurélius, qui réclament 1,33 milliard de dollars à Buenos Aires, ne parviennent pas à trouver un compromis. Ces deux fonds avaient racheté à très bas prix la dette argentine lors de la crise économique de 2000 puis avaient refusé de participer à la renégociation de cette dette en 2001. En novembre 2013, un juge américain avait ordonné à l’Argentine de déposer 1,33 milliard de dollars sur un compte bloqué et interdit le remboursement de tout autre créancier tant que les fonds n’auraient pas été payés. Or, si l’Argentine solde sa dette envers ces deux fonds avant le 1er janvier 2015, elle s’exposerait à des réclamations de la part de ses créanciers « normaux » et devrait verser près de 40 milliards de dollars. Cette situation aboutit, le 31, au fait que l’Argentine est déclarée en « défaut de paiement partiel » sur sa dette par l’agence de notation Standard and Poor’s. Août 6. – Mercosur. UE. Relations commerciales. La présidente du Brésil, Dilma Rousseff, annonce que la liste des propositions du Mercosur pour conclure un accord de libre-échange avec l’UE est achevée, contrairement à celle de l’Europe où certaines divergences existent, en particulier du fait de la position de pays comme la France et l’Irlande. 7. – Argentine. Économie. Fonds vautours. L’Argentine, en défaut de paiement depuis le 31 juillet, annonce avoir porté plainte devant la CIJ contre les États-Unis, dans le cadre du litige qui l’oppose à des fonds spéculatifs. Buenos Aires accuse Washington de violer sa souveraineté, après qu’un juge de New York, Thomas Griesa, a ordonné le blocage de remboursements de dette à des créanciers privés. 13. – Brésil. Élection présidentielle. Eduardo Campos, candidat du Parti socialiste brésilien (PSB) à l’élection présidentielle de 2014, meurt dans un accident d’avion, alors qu’il était crédité d’environ 10 % des intentions de vote par les instituts de sondage. Marina Silva, ancienne ministre de l’Environnement de 2003 à 2008 et qui devait être la vice-présidente de E. Campos au cas où ce dernier serait élu, est alors désignée candidate du PSB. Après cette désignation, elle connaît une montée fulgurante dans les sondages, jusqu’à concurrencer Dilma Rousseff. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 123 02/03/2016 16:27:34 124 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 24. – Brésil. Système carcéral. Violence. Une mutinerie a lieu dans une prison de Paraná, une ville du sud du pays. Les prisonniers réclament une amélioration des infrastructures, de l’alimentation et de l’hygiène. 29. – Brésil. Économie. Le Brésil, 7e économie mondiale, est officiellement entré en récession : selon les données officielles, le PIB du géant émergent d’Amérique latine a reculé de 0,6 % au 2e trimestre par rapport au 1er. L’Institut brésilien de géographie et des statistiques (IBGE) a aussi revu à la baisse la performance du 1er trimestre, de + 0,2 % à - 0,2 %. La première économie du continent enregistre ainsi deux trimestres consécutifs de recul. L’IBGE attribue ce phénomène notamment au grand nombre de jours fériés institués pendant la Coupe du monde de football mais aussi à la crise de la production industrielle. Dans un contexte atone de consommation des ménages (+ 0,3 %), l’activité industrielle du Brésil a en effet reculé de 1,5 % au 2e trimestre, tandis que celle liée au commerce chutait de 2,2 % et celle des services de 0,5 %. Les taux d’intérêt élevés et les incertitudes concernant le résultat de l’élection présidentielle ont accentué la baisse des investissements (- 5,3 %). L’inflation a de son côté atteint 6,5 % sur 12 mois en juillet, soit le plafond fixé par le gouvernement. Fin août. – Brésil. Environnement. Sécheresse. São Paulo est à nouveau menacée par la sécheresse qui perdure dans le sud-est du pays. Les niveaux des 5 barrages du système Cantareira, qui assure l’alimentation en eau de près de la moitié des habitants de l’agglomération, sont au dixième de la normale. Septembre 1er-3. – Argentine. Chine. Dans le cadre de la visite d’une délégation argentine à Pékin, le gouvernement chinois confirme qu’il va effectivement prêter à l’Argentine les sommes prévues par l’accord signé entre les deux pays en juillet dernier. 3. – Argentine. Chine. Nucléaire. Les entreprises publiques chinoise et argentine d’industrie nucléaire, China National Nuclear Corporation (CNNC) et Nucleoeléctrica Argentina, signent à Pékin un contrat relatif à la construction du réacteur Atucha 3 (800 mégawatts) ainsi qu’à la construction de deux centrales hydroélectriques en Patagonie (1 300 mégawatts). L’accord consiste en l’apport par la CNNC de 2 milliards de dollars de financement sous la forme d’un appui technique et de la fourniture de services et d’équipements à Nucleoeléctrica Argentina. 4. – Argentine. Économie. Fonds vautours. Les fonds vautours avertissent l’Argentine qu’ils sont prêts à engager de nouvelles actions en justice aux États-Unis pour empêcher le pays de transférer le paiement de sa dette de New York à Buenos Aires ou à Paris. Pour contourner l’obstacle, l’Argentine a déposé un projet de loi permettant de transférer Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 124 02/03/2016 16:27:34 Chronologie ❮ 125 le paiement de ses créanciers hors de New York, où les titres de dette initiaux ont été émis (le texte a été approuvé par le Sénat dans la nuit du 3 au 4 et doit être soumis aux députés). 6. – Brésil. Corruption. Petrobras. Les premières révélations apparaissent dans la presse concernant ce qui va devenir le « scandale Petrobras ». L’hebdomadaire conservateur Veja diffuse en effet une liste de députés issus de la coalition de centre gauche au pouvoir, qui auraient reçu d’importants pots-de-vin de la part de cette entreprise pétrolière. Sont également cités des sénateurs, trois gouverneurs, un ministre, les présidents des deux chambres du Parlement, le trésorier du Parti des travailleurs. Au cœur de ce scandale, se trouve Paulo Roberto Costa, un ancien dirigeant de Petrobras, qui aurait mis en place un vaste système de corruption au sein du géant pétrolier et qui a décidé de le révéler. 6. – Culture. Art contemporain. Début de la 31e Biennale de São Paulo. 7. – Argentine. Chine. Économie. Fonds vautours. La Banque centrale argentine annonce que l’Argentine et la Chine ont conclu un accord d’échange de devises qui permet au pays sud-américain de pouvoir disposer de quelque 11 milliards de dollars pour ses réserves de change en cas d’urgence. L’accord a été signé lors d’une rencontre entre le président de la Banque centrale, Juan Carlos Fábrega, et son homologue chinois, Zhou Xiaochuan, à Bâle, dans le cadre de la réunion bimestrielle de la Banque des règlements internationaux. Zhou a par ailleurs apporté à J. C. Fábrega « le soutien de son pays à l’Argentine dans la controverse suscitée par un jugement des tribunaux new-yorkais avec les détenteurs de dette (argentine) qui n’ont pas participé aux restructurations (de cette dette) de 2005 et 2010 ». 8. – Chili. Attentat. Le métro de Santiago est frappé par une forte explosion, qui fait au moins 14 blessés. Aucune revendication n’est formulée mais, pour la présidente, Michelle Bachelet, il s’agit d’un attentat terroriste. Depuis le début de l’année, près d’une vingtaine d’explosions sont survenues à Santiago, provoquant essentiellement des dégâts matériels. 11. – Argentine. Économie. Fonds vautours. Dans le cadre de son litige qui l’oppose à deux fonds spéculatifs, le Parlement adopte une loi qui permet à l’État de ne pas rembourser en priorité les fonds d’investissements, qualifiés de fonds vautours par le gouvernement. L’Assemblée générale des Nations unies approuve la résolution présentée par l’Argentine et le G77+Chine sur la régulation des restructurations des dettes souveraines. Le texte prévoit notamment que, si une majorité de créanciers acceptent la restructuration de la dette souveraine d’un État, les autres ne pourront pas la refuser comme le font les fonds spéculatifs américains NML Capital et Aurelius Capital Management avec l’Argentine. Pour les États-Unis, qui ont voté contre la résolution, la question de la dette n’est pas du ressort de l’Assemblée générale des Nations unies, mais plutôt de celui du FMI. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 125 02/03/2016 16:27:34 126 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 17. – Équateur. Politique. Manifestations. Huit policiers sont blessés et plusieurs manifestants interpellés en marge de deux mobilisations contre le président Rafael Correa. Centrales ouvrières, groupes autochtones, médecins ou encore étudiants se mobilisent contre les politiques gouvernementales et notamment un amendement constitutionnel qui permet à R. Correa de se représenter indéfiniment à la présidence. Un projet de loi sur le travail est également contesté, les syndicats ouvriers craignant entre autres une restriction du droit de grève et une limitation de leurs prérogatives. Le président Correa appelle ses partisans à se rassembler devant le palais présidentiel pour manifester leur soutien à ses réformes. 20. – Argentine. Économie. Fonds vautours. En quête de soutiens internationaux, la présidente Cristina Kirchner se rend au Vatican, où elle affirme avoir reçu le soutien du pape François, un compatriote, dans le différend qui oppose Buenos Aires aux fonds vautours. 22. – Brésil. Économie. Selon un rapport des ministères des Finances et de la Planification, la prévision de croissance économique du pays est revue à la baisse, ramenée de 1,8 % à 0,9 % pour 2014. Malgré cette révision, l’estimation du gouvernement reste supérieure aux prévisions du marché, qui se situent en moyenne à 0,3 % pour 2014. Par ailleurs, l’estimation de l’inflation est maintenue à 6,2 % pour l’année en cours et le gouvernement garde pour cette même année son objectif d’excédent primaire, hors service de la dette, à 99 milliards de reais, soit 1,9 % du PIB de l’année. 26. – Brésil. Environnement. Sécheresse. Économie. Roberio Silva, le directeur général de l’Organisation internationale du café, déclare que la sécheresse subie par le Brésil en 2014 pourrait provoquer un déficit d’offre de café pendant la saison 2015-2016. 26. – Argentine. Économie. Fonds vautours. Le ministre des Affaires étrangères de l’Argentine, Héctor Marcos Timerman, se rend à Genève pour présenter un projet de résolution sur les fonds vautours au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Ce texte souligne le lien entre la dette extérieure d’une part et la pauvreté ainsi que le développement. Par ailleurs, constatant ses failles et estimant injuste le système financier mondial, il « engage les États à envisager la mise en place de cadres juridiques afin de restreindre les activités prédatrices des fonds rapaces dans leur juridiction ». Par 33 voix contre 5 et 9 abstentions, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU condamne l’activité des fonds vautours qui, par voie de justice, obligent les pays endettés à les rembourser de manière abusive et ce au détriment des droits fondamentaux des populations. 26. – Mexique. Violence. Ayotzinapa. Des étudiants inscrits à l’École normale rurale Raúl Isidro Burgos d’Ayotzinapa, se rendent à Iguala, dans l’État du Guerrero, en vue de la préparation d’une grande manifestation organisée dans la capitale mexicaine, en mémoire des massacres du 2 octobre 1968. Arrivés à Iguala, ils essuient des tirs de la police. 6 personnes Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 126 02/03/2016 16:27:34 Chronologie ❮ 127 sont tuées, dont 3 étudiants, et 25 autres personnes sont blessées. En outre, 43 étudiants, âgés de 17 à 21 ans, sont enlevés. 27. – Pérou. Tremblement de terre. Un séisme de magnitude 5,1 a lieu dans le sud-est du Pérou, faisant au moins 8 victimes et laissant plusieurs villages en ruine. Octobre 3-16. – Mexique. Violence. Ayotzinapa. Le 3, l’ONU condamne la disparition des 43 étudiants d’Ayotzinapa. Le 4, le procureur de l’État du Guerrero annonce la découverte de six fosses clandestines près d’Iguala. Le 5, ce magistrat déclare que, selon les déclarations de deux membres présumés du groupe de narcotrafiquants Gerreros Unidos, les policiers d’Iguala auraient remis à ce dernier 17 étudiants, qui auraient ensuite été assassinés près du lieu où l’on a découvert les fosses communes. Le 6, la CIDH demande à l’État mexicain de prendre des mesures préventives pour protéger les étudiants survivants de l’École rurale d’Ayotzinapa. Le même jour, le procureur du Guerrero annonce l’arrestation de 22 membres de la police municipale d’Iguala. Le 7, l’OEA qualifie d’inhumain et absurde le meurtre des 6 victimes d’Iguala et demande au Mexique une enquête complète et transparente. L’ONU enjoint le Mexique à mener des recherches effectives pour retrouver les étudiants disparus. La Chambre des députés décide de la création d’une Commission spéciale qui suivra les investigations. Le 8, se tient la première journée d’action nationale et internationale pour dénoncer la disparition des étudiants. Le 10, le procureur du Guerrero annonce la découverte de 4 nouvelles fosses communes. À ce moment-là, 34 personnes ont été arrêtées, dont 26 membres de la police d’Iguala et 4 membres de Guerreros Unidos. Le 13, plusieurs collectifs de l’Université autonome de Mexico appellent à une grève de 48 heures. Le 14, 14 autres policiers sont arrêtés et accusés d’avoir livré les étudiants disparus au groupe Guerreros Unidos. Le procureur général de la République annonce que les corps trouvés dans les premières fosses communes identifiées ne sont pas ceux des étudiants d’Ayotzinapa. Le 16, la mobilisation des étudiants s’accroît. 5. – Brésil. Élection présidentielle. Dilma Rousseff, présidente sortante, remporte le 1er tour du scrutin, avec 41,48 % des voix. La surprise provient de l’élimination de Marina Silva, candidate du Parti socialiste brésilien, dont les sondages n’avaient pourtant pas cessé de souligner la montée en puissance. C’est finalement Aecio Neves, candidat du Parti social-démocrate brésilien ayant récolté 33,68 % des voix, qui sera présent face à Dilma Rousseff au 2e tour. 9. – Uruguay. Guerre en Syrie. Réfugiés. 42 réfugiés syriens, majoritairement des enfants, arrivent en Uruguay dans le cadre d’un plan d’accueil inédit en Amérique latine, avec un soutien prévu aux familles durant deux ans. À l’initiative de son président, l’Uruguay accueillera 80 autres réfugiés Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 127 02/03/2016 16:27:35 128 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 fin février 2015. Le programme, qui coûtera à l’Uruguay de 2,5 à 3 millions de dollars, a été élaboré en coordination avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et avec le soutien de l’Organisation internationale pour les migrations. 12. – Bolivie. Élection présidentielle. Evo Morales (MAS, Movimiento al Socialismo) remporte l’élection présidentielle avec 61 % des suffrages obtenus dès le 1er tour ; il va donc exercer un 3e mandat de cinq ans. Le président l’emporte largement dans tous les départements du pays, à l’exception du Beni (Nord-Est), qui va à son rival Samuel Doria Medina, du parti Unité démocrate, qui rassemble 24 % des suffrages au niveau national. 12-14. – Défense. La ville d’Arequipa (Pérou) accueille la XIe conférence des ministres de la Défense des Amériques. Inaugurée par le président du Pérou Ollanta Humala, cette conférence à laquelle prennent part 34 pays – dont l’Espagne et le Portugal en tant que pays observateurs – est l’occasion de réfléchir aux modalités d’harmonisation des politiques de sécurité et de défense dans les Amériques. Plusieurs sujets sont abordés, notamment la lutte contre le trafic des drogues illicites ainsi que la contribution des forces armées au renforcement de la démocratie dans les Amériques. 14. – Amérique latine. OIT. Travail infantile. Lors d’une réunion régionale de l’OIT, à Lima, les représentants de 25 pays d’Amérique latine et des Caraïbes signent un accord dans lequel ils s’engagent à éradiquer le travail infantile d’ici 2020. Selon le directeur général de l’OIT, Guy Ryder, 12,5 millions d’enfants de la région travaillent, dont 9,5 millions effectuent des travaux considérés comme dangereux. G. Ryder salue les progrès des pays latino-américains et caribéens (7,5 millions d’enfants ont quitté le monde du travail ces dernières années), mais rappelle qu’à ce rythme, le travail infantile ne sera pas supprimé dans la région avant 2054. 16. – Venezuela. ONU. Le Venezuela entre au Conseil de sécurité de l’ONU, où il siégera du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016. 20. – Alba. Ébola. Les pays de l’Alba tiennent à La Havane une réunion extraordinaire afin de définir une stratégie commune contre le virus Ébola. Les pays membres s’entendent sur la création d’un centre de contrôle commun et d’une brigade médicale pour faire face à tout cas d’Ébola dans la région. Tout en félicitant l’Alba pour sa réactivité et son engagement dans la lutte contre cette maladie, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, invite les autres organisations sous-régionales à suivre cet exemple. Cette rencontre est aussi l’occasion de féliciter les autorités cubaines, qui se sont engagées dès le début de l’épidémie en Afrique de l’Ouest en envoyant des équipes médicales. 26. – Brésil. Élection présidentielle. La présidente sortante, Dilma Rousseff (Parti des travailleurs), déjà en tête du 1er tour de l’élection présidentielle, le 5 octobre, remporte le 2e tour avec 51,64 % des voix, face à Aécio Neves (Partido da Social Democracia Brasileira, centre droit), qui totalise 48,36 % des voix. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 128 02/03/2016 16:27:35 Chronologie ❮ 129 27-29. – Chili. Allemagne. Espagne. La présidente du Chili, Michelle Bachelet effectue un voyage en Europe dans le but de trouver un nouvel accord de partenariat entre le Chili et l’UE. En Allemagne, les 27 et 28, elle aborde le sujet de la coopération entre les deux pays dans des matières aussi différentes que les énergies renouvelables, l’innovation scientifique et technologique, la formation technique professionnelle. Les 28 et 29, en Espagne, elle est reçue par le roi Felipe VI et par le chef du gouvernement, Mariano Rajoy. Ce dernier rappelle la volonté de son pays de consolider les relations bilatérales avec son 3e partenaire commercial en Amérique latine. Les deux pays signent aussi des accords en matière de sécurité et défense. Les discussions portent également sur la préparation du prochain sommet ibéro-américain, qui se déroulera les 8 et 9 décembre à Veracruz (Mexique). 28. – Argentine. Économie. Fonds vautours. Le juge de New York chargé du dossier des fonds vautours, Thomas Griesa, rejette la demande présentée par un groupe de créanciers italiens qui voulaient accéder à une partie des 539 millions de dollars déposés par l’Argentine en juin. 29. – Colombie, Pérou. UE. Visas. La Commission européenne annonce que la Colombie et le Pérou remplissent les critères pour être dans une certaine mesure inclus dans l’espace Schengen. Ce qui donne la possibilité à ces deux pays d’entamer des négociations sur un éventuel accord qui pourrait donc dispenser de visa les Colombiens et les Péruviens voyageant dans les 26 pays de l’espace Schengen pour une durée maximale de 90 jours. La Colombie et le Pérou saluent cette décision et espèrent une entrée en vigueur de cet accord courant 2015. 30. – Uruguay. Élection présidentielle. Tabaré Vázquez, candidat du Frente Amplio, ancien président de 2005 à 2010, remporte le 2e tour de l’élection présidentielle avec 56,6 % des voix face à Luis Lacalle Pou, du Parti national (centre droit), qui a réuni 43,3 % des suffrages. 30-31. – Amérique latine et Caraïbes. Éducation. La réunion ministérielle régionale « L’éducation pour tous en Amérique latine et dans les Caraïbes : situation actuelle et défis post-2015 », rassemblant ministres, vice-ministres et représentants gouvernementaux, est organisée à Lima par l’Unesco. Elle aboutit à la « déclaration de Lima », qui représente un accord sur une vision d’avenir et sur les engagements en faveur de l’éducation post-2015. Les priorités régionales de l’agenda pour l’éducation post-2015 approuvées seront également présentées au Forum mondial sur l’éducation qui se tiendra en Corée du Sud en mai 2015. Les participants conviennent de lutter contre toutes les formes d’exclusion et de discrimination, les disparités et les inégalités dans l’accès à l’éducation. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 129 02/03/2016 16:27:35 130 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 Novembre 3. – Pérou. Politique. Élection présidentielle. En prélude à l’élection présidentielle de 2016 au Pérou, le président Ollanta Humala annonce le lancement officiel de la campagne électorale de sa formation politique, le Parti nationaliste péruvien. 3-7. – Colombie. Europe. Farc. Le président de la Colombie, Juan Manuel Santos, effectue une tournée en Europe, à la recherche de soutiens politiques et financiers au sujet des négociations de paix en cours avec les Farc. Il se rend en Espagne, en Allemagne, en Belgique et au Portugal. Ces différents pays réaffirment leur soutien à J. M. Santos à propos de la recherche d’une issue politique et pacifique au conflit. Le président du Parlement européen, Martin Schulz, apporte son appui et la chancelière Angela Merkel annonce que son pays débloquera 75 millions d’euros pour accompagner le processus de paix. Le chef d’État termine sa visite en France et au Royaume-Uni. 4. – Brésil. Politique. Manifestation. Quelque 2 500 manifestants défilent dans les rues de São Paulo pour exiger la destitution de la présidente du Brésil, Dilma Rousseff. Selon ces opposants, le scrutin du 26 octobre, remporté par D. Rousseff, aurait été entaché de nombreuses irrégularités. Ils accusent également le gouvernement mené par le Parti travailliste de corruption, en faisant notamment allusion au scandale qui affecte la compagnie Petrobras. Dans la foulée de ces manifestations, le Parti socialdémocrate brésilien du candidat Aecio Neves introduit une requête auprès du Tribunal supérieur électoral afin de vérifier que le 2e tour de l’élection présidentielle s’était bien déroulé dans le respect des règles électorales. 4-27. – Mexique. Violence. Ayotzinapa. Le 4, la police fédérale annonce l’arrestation à Mexico de José Luis Abarca, maire d’Iguala, et de Maria de Los Ángeles Pineda, son épouse. Tous deux sont soupçonnés d’être les instigateurs des violences à l’origine de la disparition des 43 étudiants d’Ayotzinapa. Le 12, des représentants du gouvernement et des proches des étudiants disparus signent un accord stipulant qu’une assistance technique pour mener les investigations sera sollicitée auprès de la CIDH (cette assistance est formalisée par un accord signé le 18 novembre). Le même jour, le pape François évoque l’affaire et la met en relation avec « la réalité du narcotrafic ». Le 20, ont à nouveau lieu d’importantes manifestations, dans différents États du Mexique et plusieurs capitales, hors du pays. Le 25, l’équipe de médecins légistes argentins participant à la recherche des étudiants disparus annonce que les 28 corps trouvés dans la fosse commune de Pueblo Viejo, près d’Iguala, ne sont pas ceux des étudiants. Le 27, Enrique Peña Nieto annonce une série de 14 mesures destinées à favoriser la sécurité, la justice et le développement économique « pour éviter que de tels crimes aient à nouveau lieu ». 10. – Unasur. Crise au Venezuela. Lors d’une visite au Brésil où il est reçu par la présidente Dilma Rousseff, le secrétaire général de l’Unasur et Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 130 02/03/2016 16:27:35 Chronologie ❮ 131 ancien président colombien, Ernesto Samper, préconise un « pacte social » pour surmonter la crise politique et économique qui affecte le Venezuela depuis plusieurs mois. Tout en rappelant que la porte des négociations reste ouverte au sein de l’Unasur, E. Samper salue l’implication du Brésil, de l’Équateur et de la Colombie dans la résolution de cette crise. 10-11. – Équateur. Haïti. Coopération. Le président d’Haïti, Michel Martelly, effectue une visite en Équateur, où il est reçu en grande pompe par son homologue, Rafael Correa. Les deux hommes s’entretiennent sur la possibilité de renforcer leurs relations bilatérales dans plusieurs domaines, notamment ceux de l’éducation, de l’immigration et du transport aérien. 13. – Colombie. Venezuela. La Colombie annonce la suspension de l’émission de visas de résidence temporaire de type Mercosur aux ressortissants vénézuéliens. Elle justifie cette décision en soulignant que le Venezuela, devenu membre du Mercosur en 2012, n’a pas encore adhéré à une convention qui prévoit notamment une réciprocité entre les États membres et associés du bloc régional. Selon la Colombie, plus de 15 000 Vénézuéliens ont bénéficié du visa Mercosur ces cinq dernières années. Celui-ci, d’une durée renouvelable de deux ans, permet aux ressortissants des États membres et des États associés de travailler et d’étudier dans n’importe lequel de ces pays. 14-17. – Brésil. Corruption. Petrobras. Le 14, l’arrestation d’un haut responsable du groupe pétrolier Petrobras, Renato Duque, directeur des services et de l’ingénierie de 2003 à 2012, et de 23 autres personnes dans le cadre d’une opération mains propres baptisée Lava Jato (Kärcher) a précipité les révélations. Ce scandale éclabousse aussi bien la compagnie d’État que des fournisseurs privés, et notamment des sous-traitants œuvrant dans la construction. Le 17, la présidente de Petrobras, Graça Foster, reconnaît avoir été informée de l’existence de pots-de-vin émanant de SBM (une entreprise néerlandaise de sous-traitance) et explique avoir aussitôt suspendu la participation de ce fournisseur aux appels d’offres. Un mode de fonctionnement du blanchiment est dévoilé lors des interrogatoires : les entreprises impliquées s’entendaient pour désigner celle qui emporterait l’appel d’offres de Petrobras. Celle-ci facturait le prix maximum, et une partie de la somme était reversée en pots-de-vin à des intermédiaires, notamment des membres du Parti des travailleurs, du Parti du Mouvement démocratique brésilien et du Parti progressiste, membres de la coalition au pouvoir. Dilma Rousseff, s’exprimant depuis l’Australie où elle participe au G20, déclare que l’enquête va changer de manière définitive les relations entre la société, l’État et les entreprises privées au Brésil. Pour entamer ce changement, le groupe Petrobras annonce la création d’une « direction du contrôle interne », qui aura pour mission de veiller à la bonne gouvernance de l’entreprise. Celle-ci n’en a pas moins vu sa cotation boursière chuter. 17 novembre-1er décembre. – Colombie. Farc. Négociations. Le 17 novembre, le président de la Colombie, Juan Manuel Santos, Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 131 02/03/2016 16:27:35 132 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 suspend les négociations de paix avec les Farc. Cette décision fait suite à l’enlèvement du général Rubén Darío Alzate, commandant de la Force opérationnelle interarmées Titán, laquelle opère dans le département de Chocó, dans le nord-ouest du pays. Le 1er décembre, à la suite de la libération de R. D. Alzate, le gouvernement entreprend plusieurs actions en vue de faciliter la reprise des pourparlers de paix. 21. – Costa Rica. Politique. Corruption. La Cour suprême du Costa Rica annule le jugement rendu en décembre 2012 par une cour d’appel locale qui acquittait l’ancien président du Costa Rica, Miguel Ángel Rodríguez (1998-2002), d’une peine d’emprisonnement de cinq ans pour une affaire de corruption. Décembre Décembre. – Amérique latine. Économie. La Cepalc annonce que la croissance de la région en 2014 est estimée à 1,1 %, soit son plus bas niveau depuis 2009. Il s’agit donc d’un ralentissement de l’économie de la zone par rapport à 2013, alors que la croissance a été de l’ordre de 2,7 %. Pour la Cepalc, ce ralentissement s’explique entre autres par la baisse de l’investissement observée depuis 2011 ainsi que par la diminution de la croissance dans de grandes économies comme le Brésil (+ 0,2 %), le Mexique (+ 2,1 %), l’Argentine (- 0,2 %) et le Venezuela (- 3 %). La Cepalc souligne également que la République Dominicaine et le Panamá obtiennent les meilleurs taux de croissance de la région avec une hausse de 6 % du PIB dans chacun des deux pays. 1er-14. – Environnement. Conférence internationale. Pérou. Une conférence internationale de l’ONU sur le climat, rassemblant 195 délégations, se tient à Lima. Au terme de 13 jours de négociations, le texte « Appel de Lima pour l’action climatique » est adopté. En marge de la conférence, les pays de l’Alliance du Pacifique (AP : Chili, Colombie, Mexique et Pérou) signent un accord portant sur la lutte contre le changement climatique. Cet accord prévoit notamment le versement de 22 millions de dollars au Fonds vert des Nations unies pour le climat. Par ailleurs, les 4 États membres de l’AP concluent avec le Costa Rica, l’Équateur, le Guatemala et le Salvador une entente appelée Initiative 20x20, dans laquelle ils s’engagent à reboiser 20 millions d’hectares d’ici 2020. 3. – Brésil. Économie. La Banque centrale brésilienne, dépassant toutes les attentes, annonce relever son principal taux directeur de 0,5 %, pour le porter à 11,75 %, alors qu’il était déjà l’un des plus élevés au monde. Cette décision s’explique en grande partie par la forte hausse des prix sur un an, qui a atteint 6,75 % en octobre, dépassant ainsi le seuil de tolérance fixé par Brasília. 4-5. – Unasur. Intégration régionale. Lors du 8e sommet de l’Unasur, est inauguré le siège permanent de cette organisation, situé dans la localité de la Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 132 02/03/2016 16:27:35 Chronologie ❮ 133 Mitad del Mundo, au nord de Quito. Outre les représentants et mandataires des douze pays membres, sont présents les président(e)s Cristina Fernández Kirchner (Argentine), Juan Manuel Santos (Colombie), Evo Morales (Bolivie), Dilma Rousseff (Brésil), Horacio Cartes (Paraguay), Desi Bouterse (Suriname) et Nicolás Maduro (Venezuela). Plusieurs projets et chantiers sont au programme : la relance de la Banque du Sud, qui doit permettre des échanges financiers entre nations du Sud, qui ne soient pas dépendants du dollar et de l’euro, ainsi que la poursuite de l’intégration économique, au-delà des différences idéologiques. Plusieurs projets sont déjà en cours, tels les corridors interocéaniques routiers ou ferroviaires qui faciliteront l’accès à l’océan Pacifique et aux marchés asiatiques pour le Brésil et à l’Argentine et, inversement, un meilleur accès à l’Atlantique et aux marchés africains et européens pour les pays situés sur la côte Pacifique. Enfin, est débattue l’idée de créer une « nationalité » sud-américaine et donc un passeport unique. Le sommet s’achève avec la passation des pouvoirs pro tempore du président Bouterse à Pepe Mujica (Uruguay). 7. – Uruguay. Droits de l’homme. Guantanamo. L’Uruguay accueille six anciens détenus de la prison américaine de Guantanamo. Il devient le premier pays d’Amérique latine à accueillir d’anciens prisonniers de cette base américaine établie à Cuba. 8. – Sommet Cuba-Caricom. Coopération Sud-Sud. La Havane accueille les pays membres de la Communauté caribéenne lors du Ve sommet Cuba-Caricom. Cette rencontre, à laquelle prennent part plusieurs dirigeants de la Caricom ainsi que Raúl Castro, est l’occasion de dresser un bilan concernant les initiatives à vocation régionale. Tout en saluant le travail accompli par les ministres des Affaires étrangères de la Caricom et de Cuba en prélude au sommet, les participants réaffirment leur volonté de consolider et de renforcer la coopération Sud-Sud, notamment dans les domaines social, économique et commercial. Dans une déclaration commune, ils se fixent également plusieurs objectifs, dont la défense de la souveraineté territoriale de chacun de leurs pays ainsi que l’assistance à Haïti. 8-9. – Sommet ibéro-américain. Le XXIVe sommet ibéro-américain, organisé à Veracruz (Mexique), est inauguré par le président Enrique Peña Nieto, en présence d’une vingtaine de dirigeants des Amériques et du roi d’Espagne Felipe VI. Plusieurs thèmes sont abordés, notamment l’éducation, la culture ainsi que l’innovation. La secrétaire générale, Rebeca Grynspan, invite les différents chefs d’État et de gouvernement à rester soudés autour des idéaux de la communauté ibéro-américaine et à éviter toute concurrence entre les groupes d’États constitués en blocs commerciaux. Outre l’absence remarquée des dirigeants de Cuba, du Brésil, de l’Argentine et du Venezuela, ce sommet se déroule dans un climat tendu, entre autres marqué par l’affaire des 43 étudiants d’Ayotzinapa. Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 133 02/03/2016 16:27:35 134 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016 10-22. – Nicaragua. Projet de canal interocéanique. Le 10, une manifestation rassemblant des milliers de paysans du sud du pays a lieu à Managua contre le projet de canal interocéanique. Depuis septembre, une quinzaine de manifestations comparables se sont déroulées pour dénoncer la réalisation de cet ouvrage. Le 22, cérémonie officielle marquant le lancement des travaux. 11-12. – Mercosur. Sommet. 47e sommet des chefs d’État et de gouvernement du Mercosur, organisé dans la ville de Paraná, dans l’est de l’Argentine. La question des fonds vautours est évoquée, ainsi que celle de l’adhésion de la Bolivie à l’organisation. Ce pays a signé un accord d’adhésion, le 7 décembre 2012, mais il manque les ratifications des pays membres. Les ministres des Affaires étrangères s’accordent sur le fait que ce sommet présidentiel constitue une nouvelle base pour l’intégration latino-américaine. Par ailleurs, ils condamnent la politique de sanctions économiques adoptée par le Congrès nord-américain contre le Venezuela et réaffirment leur soutien à Buenos Aires au sujet des îles Malouines et du différend avec les fonds vautours. 12. – Pérou. UE. Relations commerciales. La commissaire européenne au Commerce, Cécilia Malsmtröm, et le ministre du Commerce international de l’Équateur, Francisco Rivadeneira, paraphent à Bruxelles le protocole d’adhésion aux accords de libre-échange déjà en vigueur entre l’UE, la Colombie et le Pérou. 16. – Colombie. États-Unis. Narcotrafic. Le secrétaire d’État américain, John Kerry, se rend à Bogotá, où il est reçu par le président Juan Manuel Santos. Les deux hommes discutent notamment de l’évolution du processus de paix en Colombie. À cet égard, J. Kerry invite ce pays à accélérer les pourparlers de paix avec les Farc, processus qu’il soutient, et souhaite que l’année 2015 soit une année de paix et de prospérité dans ce pays. Le président Santos, pour sa part, remercie les États-Unis pour leur soutien indéfectible dans le cadre des négociations de sortie de crise et promet de faciliter la signature d’un accord de paix entre son gouvernement et les Farc. 17. – Cuba. États-Unis. Relations diplomatiques. Le président Barack Obama annonce la reprise des relations diplomatiques avec Cuba, mettant un terme à l’isolement du régime castriste qui durait depuis 1961. B. Obama ne peut lever l’embargo par décret. La situation économique de Cuba devra encore attendre pour s’améliorer de façon substantielle, et B. Obama déclare au Congrès qu’il revient à celui-ci de réviser l’appareil législatif (notamment la loi Helms-Burton de 1996 qui a durci l’embargo de 1962), qui pénalise Cuba. La bataille politique qui s’annonce entre l’exécutif et le législatif américains sera rude, mais les partisans de la reprise du dialogue entre les deux pays peuvent la remporter car l’opinion publique et une majorité de la classe politique américaine sont favorables à cette levée d’embargo. 22. – Argentine. Dictature. Justice. La justice argentine condamne, dans un jugement inédit, un médecin et une sage-femme pour leur rôle dans l’enlèvement de nouveau-nés soustraits à leurs mères pendant la dictature militaire (1976-1983). Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 134 02/03/2016 16:27:35 Chronologie ❮ 135 ■■ Principaux sigles utilisés Alba : Alliance bolivarienne pour les Amériques Brics : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud Caricom : Communauté caribéenne Celac : Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes Cepalc : Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes CIDH : Commission interaméricaine des droits de l’homme CIJ : Cour internationale de justice Farc : Forces armées révolutionnaires de Colombie FMI : Fonds monétaire international Mercosur : Marché commun du Sud OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques OEA : Organisation des États Américains OIT : Organisation internationale du travail PIB : Produit intérieur brut UE : Union européenne Unasur : Union des nations sud-américaines Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 135 02/03/2016 16:27:35 Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 136 02/03/2016 16:27:35 ❮ 137 Amérique latine Édition 2014-2015 sous la direction de Sébastien Velut avec la collaboration de Charles-André Goulet Sommaire Introduction : À la recherche d’un second souffle Sébastien Velut Chávez forever ou la fin d’un cycle populiste vénézuélien ? Adeline Joffres Le Paraguay en 2013, toujours en attente d’une recomposition politique Renée Fregosi Brésil. Des mobilisations en trompe-l’œil : retour sur les manifestations de juin 2013 Stéphane Monclaire La question agraire au cœur du conflit colombien Nadège Mazars Amérique du Sud : vers une communauté de sécurité et de défense sous l’égide du Brésil Bruno Muxagato Les mines d’or péruviennes, entre inscription territoriale locale et projection internationale Vincent Bos Musiques des Andes et représentations de la nation dans le Pérou contemporain Gérard Borras Fiches pays : l’Amérique latine en 2013 Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 137 02/03/2016 16:27:35 Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 138 02/03/2016 16:27:35 ❮ 139 Amérique latine 2012, année charnière Édition 2013 sous la direction de Georges Couffignal Sommaire 2012 : année charnière pour le futur de l’Amérique latine Georges Couffignal Le Mexique, 2000-2012 : une transition ratée Ilán Bizberg Quarante ans de « guerre contre les drogues » dans les Amériques Isabelle Vagnoux Amérique latine : la difficile relation entre médias et dirigeants Erica Guevara Brésil-Chine : une relation qui s’enracine Élodie Brun et Frédéric Louault Haïti sous Michel Martelly : nouveau départ ou faux-semblant ? Jorge Heine Les grands chantiers de la Bolivie d’Evo Morales Laurent Lacroix L’apparition politique et juridique de l’indianité en Amérique latine Salvador Martí i Puig Kallfvkawell zungun – le Cheval bleu de la parole Territorialisations et déterritorialisations poétiques mapuches Hervé Le Corre Fiches pays : l’Amérique latine en 2012 Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 139 02/03/2016 16:27:35 Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 140 02/03/2016 16:27:35 ❮ 141 DIRECTION DE L’INFORMATION LÉGALE ET ADMINISTRATIVE Accueil commercial 01 40 15 70 10 Commandes Direction de l’information légale et administrative Administration des ventes 26, rue Desaix 75727 Paris cedex 15 www.ladocumentationfrancaise.fr Notre librairie 29, quai Voltaire, 75007 Paris Téléphone : 01 40 15 71 10 Prix : 19,50 € Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 141 02/03/2016 16:27:35 Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 142 02/03/2016 16:27:35