2015-2016

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Sous la direction de
Olivier Compagnon et Marie Laure Geoffray
Introduction
La fin de l’euphorie
Olivier Compagnon et Marie Laure Geoffray
Cuba
Reconfiguration des relations avec les États-Unis
Amérique latine
Marie Laure Geoffray
Bolivie
La réélection d’Evo Morales
Hervé do Alto
Salvador
Les élections de 2014 et 2015
David Garibay
Nicaragua
Le projet de canal interocéanique
Kevin Parthenay
Amérique latine
2015-2016
2015 - 2016
2 0 1 5 - 2 0 1 6
Amérique latine
Mondes émergents
Amérique latine
Fin d’un cycle de croissance
Vera Chiodi et Carlos Winograd
Chronologie
L’Amérique latine en 2014
Sous la direction de
Olivier Compagnon et Marie Laure Geoffray
Juliette Dumont
Diffusion
Direction de l’information
légale et administrative
La documentation Française
Téléphone : 01 40 15 70 10
www.ladocumentationfrancaise.fr
Imprimé en France
Directeur de la publication :
Bertrand Munch
DF : 1ME39020
ISBN : 978-2-11-009915-0
Prix : 19,50 €
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La
documentation
Française
Amérique latine
Édition 2015-2016
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Annuaires parus chez le même éditeur
• Afrique du Nord–Moyen-Orient
Afrique du Nord–Moyen-Orient. Édition 2015-2016
Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff (dir.), coll. « Mondes émergents », 2015
L’échec du rêve démocratique. Édition 2014-2015
Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff (dir.), coll. « Mondes émergents », 2014
La double recomposition. Édition 2013-2014
Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff (dir.), coll. « Mondes émergents », 2013
Printemps arabe : trajectoires variées, incertitudes persistantes. Édition 2012-2013
Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff (dir.), coll. « Mondes émergents », 2012
Révolutions civiques, bouleversements politiques, ruptures stratégiques. Édition 2011-2012
Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff (dir.), coll. « Mondes émergents », 2011
Entre recompositions et stagnation. Édition 2010-2011
Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff (dir.), coll. « Mondes émergents », 2010
Vers une nouvelle donne ? Édition 2009
Frédéric Charillon (dir.), coll. « Mondes émergents », 2009
• Amérique latine
Amérique latine. Édition 2014-2015
Sébastien Velut (dir.), coll. « Mondes émergents », 2014
2012, année charnière. Édition 2013
Georges Couffignal (dir.), coll. « Mondes émergents », 2013
Une Amérique latine toujours étonnante. Édition 2012
Georges Couffignal (dir.), coll. « Mondes émergents », 2012
L’Amérique latine est bien partie. Édition 2011
Georges Couffignal (dir.), coll. « Mondes émergents », 2011
Une Amérique latine toujours plus diverse. Édition 2010
Georges Couffignal (dir.), coll. « Mondes émergents », 2010
La nouvelle donne politique et économique. Édition 2009
Georges Couffignal (dir.), coll. « Mondes émergents », 2009
• Asie
Asie. Édition 2015-2016
Jean-Luc Racine (dir.), coll. « Mondes émergents », 2015
Asie. Édition 2014-2015
Jean-Luc Racine (dir.), coll. « Mondes émergents », 2014
Asie. Édition 2013-2014
Jean-Luc Racine (dir.), coll. « Mondes émergents », 2013
Une Asie toujours plus centrale. Édition 2012-2013
Sophie Boisseau du Rocher (dir.), coll. « Mondes émergents », 2012
Catastrophes naturelles, dynamisme socio-économique et questionnements politiques.
Édition 2011-2012
Sophie Boisseau du Rocher (dir.), coll. « Mondes émergents », 2011
Forces et incertitudes de la locomotive du monde. Édition 2010-2011
Sophie Boisseau du Rocher (dir.), coll. « Mondes émergents », 2010
Crise économique, incertitudes politiques. Édition 2009
Sophie Boisseau du Rocher (dir.), coll. « Mondes émergents », 2009
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Amérique latine
Édition 2015-2016
Sous la direction de
Olivier Compagnon
et
Marie Laure Geoffray
La Documentation française, 2016
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Collection dirigée par Frédéric Seigneur
© Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2016
ISBN : 9782110099150
DF : 1ME39020
Les opinions exprimées dans cet ouvrage n’engagent que leurs auteurs.
« Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle,
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Il est rappelé également que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique
des circuit s du livre ».
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Amérique latine
Édition 2015-2016
sous la direction de
Olivier Compagnon
et
Marie Laure Geoffray
Ont collaboré à cet ouvrage :
Vera Chiodi
Maîtresse de conférences à l’Université Sorbonne-Nouvelle, Institut des hautes études de l’Amérique
latine (IHEAL)
Olivier Compagnon
Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3, directeur de l’IHEAL
et membre du Centre de recherche et de documentation des Amériques (Creda), UMR 7227
Hervé do Alto
Doctorant en science politique à l’Université Paris-Ouest-Nanterre
Juliette Dumont
Docteure en histoire à l’IHEAL Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3, chercheure rattachée
au Centre de recherche et de documentation des Amériques (Creda) (UMR 7227)
David Garibay
Professeur des universités en science politique à l’Université Lumière Lyon 2, Triangle
Marie Laure Geoffray
Maîtresse de conférences en science politique à l’Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3, IHEAL et
membre du Creda, UMR 7227
Kevin Parthenay
Docteur associé au Centre de recherches internationales (Ceri), enseignant à Sciences Po,
responsable pédagogique du campus euro-latino-américain de Sciences Po (Poitiers) et membre
de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (Opalc)
Carlos Winograd
Chercheur et professeur à l’École d’économie de Paris, ancien secrétaire d’État à la Concurrence,
à la Régulation et aux Consommateurs d’Argentine
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Sommaire
Amérique latine : la fin de l’euphorie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Olivier Compagnon
Marie Laure Geoffray
« Todos somos Americanos » : les nouvelles relations
Cuba–États-Unis. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .19
Marie Laure Geoffray
Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire
devenu gestionnaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Hervé do Alto
Les élections de 2014 et 2015 au Salvador : polarisation partisane,
nouveaux comportements électoraux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
David Garibay
Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux
et perspectives. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
Kevin Parthenay
L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance,
la fin du cycle social ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Vera Chiodi
Carlos Winograd
Amérique latine : 1er janvier 2014-31 décembre 2014. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
Juliette Dumont
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Amérique latine : la fin de l’euphorie ❮ 9
Amérique latine :
la fin de l’euphorie
O L I V I E R C O M PA G N O N
Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3,
directeur de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL) et membre
du Centre de recherche et de documentation des Amériques (Creda), UMR 7227
M A R I E L A U R E G E O F F R AY
Maîtresse de conférences en science politique à l’Université Sorbonne-Nouvelle
Paris 3, Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL) et membre du
Centre de recherche et de documentation des Amériques (Creda), UMR 7227
Entre le milieu des années 2000 et le début des années 2010, un vent
d’optimisme a soufflé parmi les observateurs et les commentateurs de
l’actualité latino-américaine. En dépit de conjonctures nationales différenciées invitant à ne pas penser la région comme un bloc homogène, la
croissance économique globale, le niveau d’endettement relativement faible
et la réelle capacité de résistance face à la crise financière de 2008 furent
interprétés comme les signes d’une bonne santé recouvrée, voire d’un
avenir radieux, après les « décennies perdues des années 1980 et 1990 »,
liées à la crise de la dette et au choc des ajustements structurels imposés
notamment par le Fonds monétaire international (FMI). Dans le contexte
du basculement à gauche de nombreux gouvernements à partir du tournant
du xxie siècle, la redistribution d’une partie des fruits de cette croissance
aux secteurs les plus défavorisés des sociétés permit de réduire presque
partout les taux de pauvreté et d’extrême pauvreté d’année en année, voire
de commencer à résorber la très inégale distribution des revenus telle que
mesurée par l’indice de Gini.
Politiquement, de nombreux indices paraissaient converger vers un
diagnostic, une consolidation ou un approfondissement de la démocratie
– depuis l’alternance chilienne de 2010 portant au palais de la Moneda
le libéral Sebastián Piñera après vingt ans de gouvernement de la
Concertation 1 jusqu’à l’ouverture de l’espace politique mexicain entamée
en 2000 après sept décennies d’hégémonie du Parti révolutionnaire institutionnel. En termes de relations internationales, l’émancipation conduisant
la région à quitter la matrice états-unienne, qui avait déterminé une large
part des politiques extérieures et des relations diplomatiques depuis la fin
1 . Voir Georges Couffignal et Sébastien Velut, « Le Chili déconcerté », Cahiers des Amériques
latines, no 68, 2011/3, p. 23-141.
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du xixe siècle, consécutive à l’effondrement de l’Union soviétique et au
redéploiement de la diplomatie de Washington vers le Moyen-Orient, au
début des années 1990, avait ouvert la voie au multilatéralisme, au développement de relations Sud-Sud et à une présence jusque-là inédite dans l’ordre
mondial 2. Si l’on ajoute à ce tableau le fait que la plupart des pays de la
région semblaient alors décidés à solder les comptes de leur passé autoritaire,
si l’on songe aux innombrables procès intentés contre les bourreaux des
années de plomb dans l’Argentine de Nestor et Cristina Kirchner, à l’inauguration du Museo de la Memoria y los Derechos Humanos à Santiago
du Chili en janvier 2010 ou à l’installation de la Comissão Nacional
da Verdade 3 au Brésil en mai 2012, l’Amérique latine pouvait aisément
« apparaître comme la région des grands espoirs à la fin de l’année 2012 » 4.
Croissance en berne et déclin des pratiques
redistributives
Toutefois, les temps ont manifestement changé en l’espace de quelques
années puisque la croissance moyenne de la région latino-américaine,
supérieure à 5 % au tournant des années 2000 et 2010, sera sans doute de
1 % – dans le meilleur des cas – pour l’année 2015. La première matrice
des transformations actuelles réside, comme le montrent Vera Chiodi et
Carlos Winograd dans ce volume (p. 87), dans la baisse continue du cours
des matières premières sur les marchés mondiaux, associée au ralentissement de la croissance chinoise, qui avait considérablement stimulé les
exportations latino-américaines depuis une décennie. Véritable soubassement de l’économie vénézuélienne depuis les années 1920, le pétrole
– qui représente plus de 95 % des recettes d’exportation – tend ainsi vers le
seuil des 40 dollars par baril dans la seconde moitié de l’année 2015 alors
qu’il culminait aux alentours de 100 dollars au début de l’année 2012,
expliquant ainsi le déclin du produit intérieur brut (- 5,5 % entre 2012
et 2014), une croissance négative, de - 4 % en 2014, et un risque de plus
en plus élevé de défaut de paiement.
De son côté, le Brésil, premier exportateur mondial de sucre, a souffert
d’une baisse des cours de ce produit d’environ 25 % entre septembre 2014 et
2 . Sur ce point, voir G. Couffignal, « L’Amérique latine sur la scène internationale », in Pierre
Hassner (dir.), Les relations internationales, coll. « Les Notices », Paris, La Documentation
française, 2012, 2e éd., p. 283-296.
3 . Créée pour enquêter sur les crimes commis sous le régime militaire (1964-1985).
4 . Pour reprendre la formule d’Alain Delétroz, vice-président de l’International Crisis Group, dans
un texte intitulé « L’Amérique latine, une bouffée d’optimisme » publié le 21 décembre 2012
(http://www.crisisgroup.org/fr/regions/amerique-latine-caraibe/op-eds/deletroz-ameriquelatine-bouffee-optimisme.aspx, consulté le 2 novembre 2015).
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septembre 2015 – dans une conjoncture plus généralement baissière depuis
le début de l’année 2011. Historiquement dépendante de ses exportations de matières premières comme l’avait démontré en son temps la
brutalité de la crise de 1929 5, la région latino-américaine le demeure
au milieu des années 2010, d’autant que de nombreux pays ont connu
depuis une décennie une tendance certaine à la reprimarisation de leur
économie. Si le Mexique, le Panamá, la Colombie ou la Bolivie parviennent
à conserver un taux de croissance relativement plus élevé en raison de leurs
relations commerciales privilégiées avec les États-Unis ou d’une plus grande
diversité de leurs produits d’exportation, la tendance régionale est bel et
bien marquée par une nette décrue de la croissance – voire, dans certains
cas, par une véritable récession.
Ce ralentissement économique a d’importantes conséquences en termes
de finances publiques puisque toute l’Amérique latine, à des degrés divers,
est de nouveau confrontée à une dynamique de creusement des déficits
budgétaires. Outre l’effet négatif que cela induit sur les investissements
étrangers et le possible retour du spectre de l’endettement à moyenne
échéance, c’est surtout la capacité des États à redistribuer les recettes tirées
des exportations et à continuer à résorber la pauvreté qui est mise à mal.
Au Venezuela où les taux de pauvreté et d’extrême pauvreté étaient respectivement passés de 42,8 % et 16,6 % de la population totale au premier
semestre 1999 à 26,5 % et 7 % au deuxième semestre 2012, les chiffres
du second semestre 2013 – 27,3 % et 8,8 % – attestent un retournement de tendance 6 que ne dément pas l’évolution récente du coefficient
de Gini (0,5 en 2000 et 0,394 en 2010, mais 0,405 en 2012 et 0,448
en 2013) 7. On observe dans ce cas précis une corrélation évidente entre
le niveau des revenus de la rente pétrolière et la possibilité de déployer des
programmes de redistribution, autrement dit une solution de continuité
dans les politiques publiques de lutte contre la pauvreté et les inégalités,
de nature surtout assistancielle et dépourvues d’une véritable durabilité,
faute d’investissements de long terme dans la diversification de la production économique du pays et de réformes fiscales susceptibles de déprendre
les finances publiques des variations du cours des matières premières. Il en
va de même au Brésil où la profonde crise politique que doit affronter la
présidente Dilma Rousseff depuis 2013 trouve une partie de ses racines
dans les coupes drastiques – imposées par la récession économique –
effectuées dans les nombreux programmes sociaux qui avaient assuré
l’immense popularité de l’ancien président Lula dans les années 2000 et
permis de réduire la pauvreté. Il reste à savoir si cette fragilisation régionale
5 . Voir Paulo Drinot et Alan Knight (dir.), The Great Depression in Latin America, Durham,
Duke University Press, 2014.
6 . D’après les chiffres de l’Instituto Nacional de Estadística de Venezuela (www.ine.gov.ve).
7 . D’après les chiffres du Programme des Nations unies pour le développement (www.undp.org).
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va encore gagner du terrain dans les mois qui viennent, par exemple en
Bolivie où, comme le montre Hervé do Alto dans ce volume (p. 35), la
réélection triomphale d’Evo Morales en octobre 2014 a largement reposé
sur la bonne santé économique du pays et sur le succès des politiques
redistributives et infrastructurelles lancées depuis la nationalisation des
hydrocarbures, décidée en mai 2006.
Un changement de conjoncture politique ?
Si le « virage à gauche » de l’Amérique latine dans les années 2000 est né
de la contestation croissante des politiques d’ajustement structurel menées
dans les années 1980 et 1990, mais a aussi conquis une partie de sa légitimité dans sa capacité à redistribuer les richesses dans un contexte de forte
croissance 8, on peut légitimement se demander si le ralentissement de
cette dernière va induire une inversion des tendances politiques que l’on
a pu observer depuis une quinzaine d’années. Le large soutien des classes
les plus défavorisées et des classes moyennes dont bénéficiait le Parti des
travailleurs (PT) brésilien depuis la première élection de Lula, en 2002,
déjà érodé en 2014, lors de la réélection de D. Rousseff, qui n’avait attiré
que 51,64 % des suffrages exprimés, semble avoir fait long feu au milieu
de l’année 2015, alors que, selon plusieurs sondages, l’actuel gouvernement
ne bénéficie plus que de 10 à 20 % d’opinions favorables. La réduction
des transferts sociaux ne constitue toutefois pas, dans ce cas, le seul facteur
d’explication de cette perte de légitimité : la révélation d’immenses scandales
de corruption impliquant des cadres du PT aux divers échelons de l’État
fédéral, des États fédérés et des municipalités a également joué un rôle
majeur dans la désaffection de l’opinion et le retour sur le devant de la scène
d’une opposition virulente réclamant la mise en place d’une procédure
d’impeachment, et qui obtient gain de cause, puisque celle-ci a été déclenchée le 2 décembre dernier. Plus généralement et à quelques exceptions
près comme en Uruguay, la corruption demeure un véritable fléau régional,
en raison de la faiblesse historique d’États, souvent incapables de mettre
en place des structures efficaces de contrôle des finances publiques, et elle
constitue un mode de fonctionnement du politique parmi d’autres. On peut
par exemple observer cette évolution au Guatemala, où des détournements
de fonds massifs ont marqué le mandat d’Otto Pérez Molina, interrompu
par la démission de ce dernier entre janvier 2012 et septembre 2015, et où
8 . Pour une synthèse sur cette conjoncture, voir Olivier Dabène (dir.), La gauche en Amérique
latine, Paris, Presses de Sciences Po, 2012 ; ainsi que Gustavo A. Flores-Macías, After
Neoliberalism ? The Left and Economic Reforms in Latin America, New York, Oxford University
Press, 2012.
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la crise de la représentation politique qui s’en est suivie a conduit à l’élection, au second tour du scrutin présidentiel d’octobre 2015, de l’acteur
comique Jimmy Morales – archétype de l’outsider dépourvu d’une réelle
expérience de la politique et ayant conquis sa notoriété dans les arènes
télévisuelles du divertissement. Dans son article consacré au Nicaragua et
au projet de nouveau canal interocéanique, Kevin Parthenay (p. 69) met
également en exergue les multiples pratiques népotiques qui ont cours dans
ce pays et qui contribuent à une fragilisation des institutions.
Malgré les nombreux procès faits aux anciens dirigeants des régimes autoritaires et la mise en place de politiques de mémoire des dictatures, les
violations des droits humains demeurent constantes dans le sous-continent.
Les ONG font notamment état d’un usage disproportionné de la force par
la police lors de manifestations en Équateur et au Pérou 9, de conditions
de détentions inhumaines au Brésil 10, des assassinats particulièrement
fréquents de journalistes dans ce même pays, au Honduras, au Mexique
et en Colombie 11 (le taux d’homicides de la région est l’un des plus élevés
au monde 12). Dans le cas du Mexique, les atteintes récurrentes aux droits
humains et l’incapacité de l’État à rendre la justice ont connu un paroxysme
avec la disparition, en septembre 2014, de quarante-trois étudiants (très
certainement assassinés) de l’école normale Isidoro Burgos d’Ayotzinapa,
près d’Iguala, dans l’État de Guerrero. L’impunité presque totale dont
jouissent les auteurs et les commanditaires d’assassinats dans de nombreux
pays de la région vient ternir l’image d’un sous-continent dont les politistes
louaient la consolidation démocratique depuis une dizaine d’années. La
prégnance de ces violences multiformes et séculaires au cœur des sociétés
latino-américaines, contre laquelle les gouvernements peinent à mettre en
œuvre des politiques efficaces et durables comme en témoigne le cas du
Salvador – analysé par David Garibay (p. 55) – où le taux d’homicides est
reparti à la hausse en 2014 après quelques années de diminution, contribue
en effet à une fragilisation des gouvernements au pouvoir et à une crise
9 . Voir les rapports d’Human Rights Watch, “Peru, Police open fire on protesters”, 6 octobre 2015
(https://www.hrw.org/news/2015/10/06/peru-police-open-fire-protesters) et Ecuador,
Crackdown on protesters, 10 novembre 2015 (https://www.hrw.org/news/2015/11/10/
ecuador-crackdown-protesters, consultés le 11 décembre 2015).
10 . “The state let evil take over”, Human Rights Watch, 19 octobre 2015 (https://www.hrw.
org/node/281914, consulté le 11 décembre 2015).
11 . « Infographie. Les pays les plus meurtriers en Amérique latine pour les journalistes »,
Reporters sans frontières, 30 septembre 2014 (http://fr.rsf.org/ameriques-infographiepays-les-plus-30-09-2014,47027.html, consulté le 11 décembre 2015).
12 . 14 des 20 pays les plus dangereux du monde (en termes de taux d’homicides) sont situés en
Amérique latine, qui concentre 8 % de la population mondiale mais 33 % des homicides
commis dans le monde. Voir l’infographie de l’Institut de recherche brésilien Igarapé (http://
www.igarape.org.br/pt-br/observatorio-de-homicidios/, consulté le 11 décembre 2015).
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14 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016
de la représentation politique 13. De nouveaux travaux soulignent cette
permanence ou ce retour de pratiques autoritaires héritées du passé – ce
dont témoigne d’ailleurs le déclin de l’indice de développement démocratique, élaboré par la Fondation Konrad Adenauer et l’équipe de consulting
politique PoliLat, en 2013 et en 2014 14.
L’émergence de problèmes économiques nouveaux (crise ou stagnation
économique et remise en question des politiques redistributives) ainsi que
la prégnance de maux anciens (corruption, violations des droits humains,
violences) ont récemment mené à la défaite électorale de gouvernements
de gauche. Certes, des présidents en exercice disposent toujours d’une
forte légitimité politique (comme Daniel Ortega au Nicaragua, E. Morales
en Bolivie ou Rafael Correa en Équateur) et d’autres ont été récemment
élus comme Tabaré Vásquez, candidat du Frente Amplio en Uruguay.
Cependant, plusieurs consultations électorales récentes tendent à montrer
que le temps des gauches triomphantes est révolu. En Argentine, la victoire
du candidat de centre droit Mauricio Macri lors du second tour de l’élection présidentielle argentine, le 22 novembre 2015, associée à la perte du
gouvernement de la province de Buenos Aires par les péronistes un mois
plus tôt, clôt le cycle politique kirchnériste inauguré en 2003 et laisse
présager un retour à une certaine orthodoxie libérale. Au Venezuela, le
Partido Socialista Unido de Venezuela enregistre une lourde défaite lors
des élections législatives du 6 décembre 2015 et perd, pour la première fois
depuis l’accession du défunt Hugo Chávez au pouvoir en 1999, la majorité
à l’Assemblée nationale. Sans doute les gouvernements de Cristina Kirchner
et de Nicolás Maduro payent-ils le prix d’une conjoncture économique
défavorable, mais aussi celui de la lassitude qu’éprouvent de larges secteurs
de la société vis-à-vis de dérives autoritaires qu’incarnent par exemple,
au Venezuela, la mise en place de l’état d’urgence dans deux provinces
gouvernées par l’opposition et la lourde peine de prison infligée à l’opposant Leopoldo López en septembre 2015 au terme d’un procès dénoncé
et considéré comme inique par de nombreux observateurs.
13 . Sur le lien entre politiques économiques, redistribution sociale et stratégies de lutte contre
la violence, voir William Asher, Natalia Mirovitskaya (éd.), Economic Development Strategies
and the Evolution of Violence in Latin America, New York, Palgrave Macmillan, 2012.
14 . Indice de desarrollo democratico de América Latina 2014, Konrad Ademanuer Stiftung/
PoliLat, Montevideo/Buenos Aires, 2014 (http://www.idd-lat.org/2014/downloads/idd-lat2014.pdf, consulté le 7 novembre 2015). Cet indice prend en compte la légalité du régime
démocratique, le respect des droits politiques et des libertés civiles, la qualité institutionnelle
et l’efficacité politique, les capacités à mettre en place des politiques destinées au bien-être
social et des politiques efficaces d’un point de vue économique.
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Amérique latine : la fin de l’euphorie ❮ 15
Enjeux internationaux
Enfin, le contexte de moindre croissance économique a un impact important
au-delà des cadres nationaux de l’analyse. Certes, la volonté de consolider
les nombreuses institutions d’intégration régionale – que celles-ci aient une
simple vocation économique ou ambitionnent également de se développer
sur le terrain politique – demeure à l’ordre du jour comme l’a montré, par
exemple, l’inauguration en grande pompe et en présence de nombreux
chefs d’État du siège permanent de l’Union des nations d’Amérique du
Sud (Unasur) à Quito en décembre 2014. Cette « grand-messe » a toutefois
eu lieu peu de temps après que le gouvernement équatorien de R. Correa
a renforcé les mesures protectionnistes prises à l’encontre de multiples
produits péruviens et colombiens, ce qui a porté un coup supplémentaire à une Communauté andine des nations (CAN) déjà mal en point.
En cette même année 2014, la célébration du vingtième anniversaire de
l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena)
a été l’occasion de dresser un bilan contrasté, mettant l’accent sur l’explosion des échanges commerciaux et des investissements croisés entre le
Mexique, les États-Unis et le Canada, mais aussi de pointer de nombreux
points de blocage – au-delà même de la question migratoire – témoignant
d’un processus d’intégration qui semble actuellement au point mort 15.
De son côté, le Marché du Sud (Mercosur) est également confronté à une
crise institutionnelle majeure qu’a notamment illustrée, en août 2015, la
proposition du président du Sénat brésilien, Renán Calheiros, de mettre
fin à l’union douanière afin que le Brésil puisse signer des accords bilatéraux sans dépendre de l’appui des autres membres du bloc régional.
Enfin, le fait que de très nombreux pays d’Amérique latine ont signé des
accords bilatéraux avec les États-Unis, conjugué à l’importance prise par la
Chine dans le marché d’exportation des pays latino-américains, vient par
ailleurs contredire les efforts d’intégration régionale. Ces États continuent
de se concurrencer les uns les autres pour accéder à ces marchés plutôt que
de travailler à la complémentarité de leurs économies respectives comme le
proposait H. Chávez en créant l’Alianza Bolivariana de los Pueblos de las
Américas (Alba). Si ce modèle d’intégration, plus politique que celui du
Mercosur, a fêté son dixième anniversaire à La Havane en décembre 2014,
c’est sur fond de crise pétrolière et de la réduction des moyens d’action. En
effet, la promotion de la complémentarité économique et de la solidarité
entre partenaires – fondements de ce modèle d’intégration présenté comme
alternatif – s’est en réalité le plus souvent réduite à la distribution, par le
15 . Voir notamment Marc Weisbrot, Stephan Lefebvre, Joseph Sammut, Did NAFTA help
Mexico ? An Assessment after 20 years, Washington, Center for Economic and Policy
research, février 2014 (http://cepr.net/documents/nafta-20-years-2014-02.pdf, consulté le
14 octobre 2015).
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Venezuela, de la manne pétrolière à ses alliés politiques (Cuba, Nicaragua,
Bolivie, Équateur) ainsi qu’aux petits pays insulaires et économiquement
dépendants de la Caraïbe. Par ailleurs, la disparition de H. Chávez en
mars 2013, l’essoufflement du « virage à gauche » et le rétablissement des
relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis ne sont probablement pas non plus étrangers à cette dynamique de repli.
En matière de politique internationale, c’est plutôt vers les relations entre la
région latino-américaine et le reste du monde qu’il faut regarder pour relever
les évolutions récentes les plus notables. De ce point de vue, la politique de
Barack Obama marque un tournant dans les relations entre les États-Unis
et le sous-continent. En premier lieu, la réforme de la politique migratoire
devrait permettre à près de quatre millions de migrants illégaux, la plupart
latino-américains, de régulariser leur situation sur le territoire états-unien.
Cette politique constitue une certaine rupture par rapport à celle des
administrations antérieures, qui pratiquaient une politique avant tout
répressive (construction d’un mur à la frontière entre États-Unis et Mexique,
expulsion des migrants sans papiers) dans le but de contenir les flux de
population en provenance de l’Amérique latine (et avant tout d’Amérique
centrale et du Mexique). Cette rupture n’est cependant que relative. D’une
part, la sécurisation croissante de la frontière sud des États-Unis sous
l’administration Obama a entraîné la diminution du nombre d’entrées
par cette zone (comparativement à la présidence de George W. Bush 16).
D’autre part, la résolution de la crise humanitaire causée par l’arrivée
massive de mineurs non accompagnés à la frontière entre le Mexique et
les États-Unis, en 2014, n’est due qu’au fait que Washington a confié la
gestion de ce dossier à Mexico. En effet, le plan Frontera Sur, mis en place
par le gouvernement d’Enrique Peña Nieto, à la demande de B. Obama et
grâce au financement américain, a tout à la fois pour objectif de renforcer
les contrôles à la frontière sud du Mexique et d’empêcher les migrants qui
arriveraient au nord du pays d’entrer sur le territoire américain 17.
La seconde grande mesure prise par B. Obama envers l’Amérique latine
est donc probablement la plus forte en termes à la fois politiques et
symboliques. En effet, le rétablissement inattendu des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis, annoncé le 17 décembre 2014 et analysé
dans ce volume par Marie Laure Geoffray (p. 19), vient enfin mettre un
terme à une confrontation héritée de la Guerre froide. Ce rapprochement
a des conséquences majeures à la fois pour l’île et pour l’Amérique latine.
16 . “2,5 million illegals cross border under Obama, less than Bush”, Washington Times,
20 juillet 2015, (http://www.washingtontimes.com/news/2015/jul/20/number-of-illegalslevels-off-fewer-crossing-mexic/?page=all, consulté le 11 décembre 2015).
17 . “A year after Obama declared a ‘humanitarian situation’ at the border, child migration
continues”, NACLA report, 27 août 2015, (https://nacla.org/news/2015/08/27/
year-after-obama-declared-%E2%80%9Chumanitarian-situation%E2%80%9D-borderchild-migration-continues, consulté le 11 décembre 2015).
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Amérique latine : la fin de l’euphorie ❮ 17
En ce qui concerne Cuba, le rétablissement des relations diplomatiques,
avec la réouverture des ambassades respectives, a offert aux entrepreneurs
américains la possibilité d’investir dans le pays, malgré le maintien de
l’embargo mis en place en 1962. Il a également facilité la reprise de négociations bilatérales sur de nombreux sujets comme les flux migratoires, le
trafic de drogue, les questions environnementales et climatiques. En ce
qui concerne le sous-continent, ce rapprochement est le signe que les
diplomaties latino-américaines font désormais quasiment jeu égal avec la
diplomatie américaine. En effet, si aucun expert n’attendait un rapprochement aussi rapide entre les deux pays ennemis, les chefs d’État et les
ministres des Affaires étrangères latino-américains avaient, depuis plusieurs
années déjà, préparé le terrain à cette ouverture, notamment en demandant
de manière pressante et en obtenant l’annulation de l’exclusion (prise
en 1962) de Cuba de l’Organisation des États américains (OEA) en 2009,
face à une administration américaine hostile, et en imposant la présence de
Raúl Castro au dernier Sommet des Amériques, tenu à Panamá en 2015.
Si cette introduction conclut en soulignant que 2015 marque la fin de
l’euphorie en Amérique latine, il faut cependant saluer le fait que la région
est désormais largement indépendante, sur les plans politique et diplomatique, de son puissant voisin du Nord, et que les différents gouvernements
latino-américains disposent d’une assise de plus en plus solide dans les
enceintes internationales.
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L’Amérique latine
Cuba
Mexique
République Dominicaine
Honduras
Guatemala
Salvador
Costa Rica
Haïti
Nicaragua
Venezuela
Panamá Colombie
Équateur
Brésil
Pérou
Bolivie
Paraguay
Chili
Argentine
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Uruguay
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« Todos somos Americanos » : les nouvelles relations Cuba–États-Unis ❮ 19
« Todos somos Americanos » :
les nouvelles relations
Cuba–États-Unis
M A R I E L A U R E G E O F F R AY
Maîtresse de conférences en science politique à l’Université Sorbonne-Nouvelle
Paris 3, Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL), et membre du
Centre de recherche et de documentation des Amériques (Creda), UMR 7227
Introduction
L’annonce simultanée du rétablissement des relations diplomatiques entre
Cuba et les États-Unis, faite le 17 décembre 2014 par Barack Obama
et Raúl Castro et symbolisée par cette courte phrase prononcée par le
président des États-Unis, « Todos somos Americanos », a pris de court tant
les journalistes que les universitaires spécialistes de la politique cubaine.
Les négociations se sont en effet déroulées de manière secrète, pendant
près de dix-huit mois, au Canada, grâce à la médiation du pape François.
Il est cependant possible d’identifier, a posteriori, des signes avant-coureurs
de cette nouvelle entente entre les deux gouvernements.
Le premier signe visible et largement commenté de ce rapprochement fut la poignée de main échangée entre R. Castro et B. Obama le
10 décembre 2013 lors des obsèques de Nelson Mandela en Afrique du
Sud. Si le Département d’État souligna, à l’époque, l’aspect fortuit de la
rencontre, les négociations entre les deux pays étaient entamées depuis près
de six mois. Tout au long de l’année 2014, les signes d’un dégel s’étaient
également multipliés. Des parlementaires proches des milieux agricoles aux
États-Unis avaient accru leur lobbying auprès du président pour assouplir
l’embargo mis en place en 1962 et ensuite renforcé (voir infra). Dans la
presse, le Financial Times et surtout le New York Times avaient publié des
éditoriaux qui soulignaient la nécessité, pour les États-Unis, de changer de
politique vis-à-vis de Cuba 1. Enfin, les gouvernements cubain et américain
1 . “Time for US policy change on Cuba”, Financial Times, Londres, 22 février 2014 ; “Obama
should end the embargo on Cuba”, New York Times, 11 octobre 2014 ; “Cuba’s impressive role
on Ebola”, New York Times, 19 octobre 2014 ; “The shifting politics of Cuba policy”, New
York Times, 25 octobre 2014 ; “In Cuba, misadventures in regime change”, New York Times,
9 novembre 2014 ; “Cuba’s economy at the crossroads”, New York Times, 14 décembre 2014.
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s’étaient déclarés prêts à envisager un échange de prisonniers, alors que la
détention du citoyen états-unien Alan Gross à Cuba d’une part, et celle
de trois agents cubains (Antonio Guerrero, Ramon Labañino, Gerardo
Hernandez) aux États-Unis d’autre part, constituaient une pierre d’achoppement dans les discussions bilatérales depuis plusieurs années.
Au-delà de l’intérêt d’une reconstitution a posteriori, ce décryptage
des premiers signes du rapprochement cubano-américain doit surtout
permettre de souligner l’existence d’un processus de négociation de
long terme, dont l’aboutissement ouvre une nouvelle ère dans les
relations entre l’île et son grand voisin du Nord. Ce tournant est à la
fois historique, car il en finit avec une diplomatie héritée de la Guerre
froide, et il s’inscrit en même temps dans la continuité de politiques
d’ouverture envers Cuba menées par B. Obama et des réformes promues
dans l’île par R. Castro.
Dans ce texte, nous analyserons d’une part les raisons de la décision
prise par B. Obama (l’isolement croissant des États-Unis sur le continent
américain et l’inefficacité de l’embargo en tant qu’instrument de politique
extérieure) et, d’autre part, nous reviendrons sur les calculs économiques
des autorités cubaines et les enjeux actuels en termes de démocratisation
du gouvernement de l’île.
De l’isolement de Cuba à l’isolement américain
La rupture des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis,
l’exclusion de Cuba de l’Organisation des États américains (OEA), puis
l’embargo décrété unilatéralement par l’administration américaine contre le
gouvernement révolutionnaire cubain en 1962 avaient mené à l’isolement
de l’île. En effet, la quasi-totalité des États américains s’étaient, à cette
époque, alignés sur la politique états-unienne, exceptés le Mexique et
le Canada. Mais, depuis une dizaine d’années, la donne s’est inversée et
les États-Unis se retrouvent, à leur tour, progressivement isolés en raison
du maintien de cette politique obsolète dans un contexte continental
considérablement transformé.
Lorsque, en 1961, le gouvernement américain de John Kennedy fait le
choix d’isoler Cuba du reste du continent américain, c’est pour contrer la
politique d’expropriation et de nationalisation de propriétés américaines
menée dans l’île durant l’été 1960. L’arrêt abrupt des importations de sucre
cubain (les États-Unis étant alors le premier importateur de ce produit)
met l’économie cubaine en grande difficulté et contribue à rapprocher
l’île de l’URSS. Alors qu’une partie des pays latino-américains n’était
pas hostile au renversement de Fulgencio Batista et à la mise en place
d’un gouvernement progressiste à Cuba, ce rapprochement entraîna leur
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« Todos somos Americanos » : les nouvelles relations Cuba–États-Unis ❮ 21
alignement – parfois contraint, sur la pression des États-Unis – sur la
politique extérieure américaine 2.
Cette politique mena à un isolement de plusieurs décennies du gouvernement révolutionnaire cubain dans les Amériques, avant que, dans les
années 1980, la situation géopolitique de Cuba s’améliore. En premier
lieu, la victoire de la révolution sandiniste au Nicaragua (1979-1989) et
le développement d’une guérilla au Guatemala permettent de reconstituer des alliances révolutionnaires latino-américaines (et non seulement
avec des pays africains comme l’Angola ou l’Éthiopie). En second lieu, le
rétablissement progressif des relations diplomatiques avec plusieurs pays
du sous-continent, dans la dynamique des transitions à la démocratie,
autorise la réinsertion de Cuba dans les échanges sous-continentaux. Enfin,
c’est surtout l’élection de présidents de gauche inspirés par les idéaux de
justice sociale et de souveraineté nationale portés par la révolution cubaine
(Hugo Chávez au Venezuela en 1998, Lula da Silva au Brésil en 2002, Evo
Morales en Bolivie en 2005, Rafael Correa en Équateur en 2006, etc.),
qui permet la pleine réintégration de l’île dans les échanges diplomatiques,
politiques et économiques en Amérique latine.
Cette réinsertion de Cuba en Amérique latine est liée à une volonté
croissante d’autonomisation des gouvernements de la région face aux
États-Unis. Alors que l’administration américaine tente de maintenir son
hégémonie sur le sous-continent, notamment en proposant, dès 1994,
la création de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA ou Alca
en espagnol – sur le modèle de l’Alena, accord de libre-échange conclu
entre les États-Unis, le Mexique et le Canada), les pays latino-américains
mettent en échec les ambitions nord-américaines 3 et lancent leurs propres
dynamiques d’intégration régionale. Contre l’Alca, Cuba et le Venezuela
de H. Chávez créent l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (Alba)
en 2004, dont l’objectif est de nouer des liens de solidarité et de complémentarité économiques entre pays membres. Puis, sur l’impulsion de
H. Chávez, Cuba participe à la création de la Communauté des États
latino-américains et caribéens (Celac), en 2011. Après l’Union des nations
sud-américaines (Unasur) instituée en 2008, la Celac consacre l’unité et
l’autonomie retrouvée de l’Amérique latine. Non seulement cette nouvelle
institution régionale intègre pleinement Cuba et lui donne, dès sa création,
2 . Pour les années 1960, voir Philip Bonsal, Cuba, Castro and the United States, Pittsburgh,
University of Pittsbugh Press, 1971. Pour les relations entre Cuba et les États-Unis
depuis 1959, voir William LeoGrande et Peter Kornbluh, Back channel to Cuba, The hidden
Story of Negotiations between Washington and Havana, Chapel Hill, The University of North
Carolina Press, 2014.
3 . L’absence de consensus trouvé entre les États-Unis et les pays d’Amérique latine au Sommet
des Amériques de 2005, organisé à Mar del Plata en Argentine, enterre définitivement le
projet de la ZLEA. Les États-Unis se lancent alors dans une diplomatie économique et
commerciale fondée sur des relations bilatérales avec les pays latino-américains.
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une place de choix, en lui octroyant la seconde présidence tournante
de l’organisation, après le Chili de Sebastián Piñera, mais elle exclut les
États-Unis, le Canada ainsi que les territoires d’outre-mer français, néerlandais, danois et britanniques.
Cette autonomisation croissante des gouvernements latino-américains
vis-à-vis de l’hégémonie des États-Unis sur le continent, avec une insistance
de plus en plus marquée sur la défense de la souveraineté nationale, tant
politique qu’économique, les amena à formuler de manière de plus en
plus visible leur soutien au gouvernement cubain et leur hostilité envers
la politique américaine d’isolement à son encontre. Lors de l’avant-dernier
sommet des Amériques, tenu à Carthagène (Colombie) en 2012, ce
positionnement se fit particulièrement patent : le Canada et les États-Unis
se trouvèrent marginalisés sur la plupart des dossiers traités, notamment sur
la réintégration diplomatique de Cuba dans les instances régionales délibératives comme l’OEA et sur la politique américaine de gestion du problème
du narcotrafic. Cette détermination des gouvernements latino-américains
leur permit notamment d’imposer la levée de l’exclusion de Cuba à l’OEA
en 2009 et l’invitation de R. Castro au sommet des Amériques tenu à
Panamá en avril 2015.
Face à la capacité des États latino-américains – malgré leurs différends
politiques – de faire désormais front face aux États-Unis et devant la présence
économique de plus en plus marquée de la Chine sur le sous-continent 4, les
États-Unis se retrouvaient donc de plus en plus isolés par leur diplomatie
obsolète, héritée de la Guerre froide. Si B. Obama avait, dès son élection
en 2008, plaidé en faveur d’une nouvelle politique latino-américaine
des États-Unis, il avait pourtant peu œuvré en ce sens jusqu’en 2014,
avec la réforme de la politique migratoire (qui profite majoritairement
aux immigrés latino-américains), et la main tendue envers Cuba. C’est
pourquoi plusieurs universitaires, comme Emir Sader au Brésil ou Noam
Chomsky aux États-Unis 5, estiment que cette main tendue constitue une
tactique de repositionnement diplomatique des États-Unis en Amérique
latine, plutôt qu’une véritable ouverture au dialogue.
4 . Carlos Quenan et al. « La présence de la Chine dans la Caraïbe », Document de travail, no 144,
Agence France Développement, février 2015.
5 . « El hecho de que Washington busque abrir conversaciones diplomaticas con Cuba es un
intento de no aislarse completamente de Latinoamerica », entretien de Ignacio Ramonet
avec Noam Chomsky, Cronicon.net, avril 2015 ; Maria José Castro Lage, « Nunca Estados
Unidos estuvo tan aislado con ahora en América latina », Cronicon.net, avril 2015.
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Un embargo inefficace et coûteux
Cette tactique de repositionnement demeure cependant entravée par
l’impossibilité, pour le président américain, de lever l’embargo contre
Cuba sans l’aval du Congrès. En effet, une clause a été ajoutée à la loi sur
l’embargo en 1996, qui exige un vote favorable des deux tiers des élus au
Congrès pour l’abolir. Si B. Obama a publiquement admis l’échec de cette
politique d’isolement de Cuba, nombreux sont encore les Républicains
– mais aussi les Démocrates – qui souhaitent la maintenir. Et quand bien
même cet embargo n’a pas entraîné un changement de régime politique
dans l’île, qu’il participe à nourrir le discrédit dont pâtit Washington en
Amérique latine et dans le monde et qu’il est coûteux pour les États-Unis
sur le plan économique.
L’embargo unilatéral imposé par l’administration américaine à Cuba est
le plus long de l’histoire moderne. C’est aussi le seul embargo qui viole
délibérément le droit international en instaurant des clauses d’extraterritorialité, qui contraignent de nombreuses entreprises étrangères à
refuser de commercer avec Cuba sous peine de ne pouvoir le faire avec
les États-Unis (lois Torricelli de 1992 et Helms-Burton de 1996). Ces
clauses stipulent qu’aucun produit manufacturé dans un pays tiers comprenant des composants cubains (comme le nickel par exemple) ne peut être
exporté aux États-Unis. Les banques qui opèrent à Cuba peuvent de plus
se voir imposer de fortes amendes, comme cela a été le cas pour HSBC
et la BNP. En outre, des parlementaires américains anticastristes font un
lobbying permanent pour décourager les entreprises étrangères d’investir
à Cuba. Ces dispositions sont extrêmement dissuasives et pèsent d’un
poids démesuré sur l’économie de l’île 6. D’une part, le manque à gagner
en termes d’investissement et de commerce est très important, d’autre
part le gouvernement cubain est contraint de s’approvisionner pour ses
importations sur des marchés lointains et plus onéreux. Les autorités
cubaines estimaient en 2010 que, pour l’économie de l’île, le coût total
cumulé de l’embargo était de 104 milliards de dollars (chiffres repris par
l’ONU) depuis sa mise en place.
La cruauté particulière de cet instrument de politique extérieure – qui
affecte durement la population civile – et son maintien pendant plus de
cinq décennies ont été utilisés comme des arguments majeurs par le gouvernement cubain pour s’assurer le soutien de nombreux mouvements sociaux
et de pays du Sud, et pour obtenir la condamnation des États-Unis, à partir
de 1991, lors de votes annuels sur la question à l’Assemblée générale des
6 . Rapport de Cuba, sur la résolution 65/6 de l’Assemblée générale des Nations unies, « Nécessité
de lever le blocus économique, commercial et financier appliqué à Cuba par les États-Unis
d’Amérique », juillet 2011.
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Nations unies. Non seulement, chaque année, la quasi-totalité des États
membres condamnent la politique menée par les États-Unis, mais les
soutiens à l’administration américaine se sont progressivement étiolés. Seul
Israël vote désormais avec les États-Unis contre la résolution qui blâme ces
derniers, et quelques pays confettis comme les îles Fidji, les îles Marshall,
Palau ou encore la Micronésie s’abstiennent.
Si le coût de l’embargo est exorbitant pour Cuba, il est également
dommageable pour les intérêts américains. Outre son inefficacité, son
maintien écorne l’image des États-Unis dans le monde et il est coûteux
à la fois pour l’État (264 millions de dollars ont été dépensés en vain
depuis 1996 pour promouvoir une transition à la démocratie 7) et pour les
entrepreneurs américains. Ceux-ci se retrouvent privés d’un marché encore
relativement vierge à proximité immédiate des frontières du pays, dans une
conjoncture économique mondiale peu favorable à l’expansion commerciale, alors que d’autres pays sont devenus des partenaires de premier plan
pour l’île. Certes, le Trade Sanctions Reform and Export Enhancement
Act adopté sous l’administration Clinton en 2000 avait autorisé le
commerce bilatéral pour les médicaments et les produits agricoles, sous
des conditions strictes. Mais ces restrictions, comme l’interdiction de faire
crédit à Cuba (qui doit payer comptant et à l’avance toutes les importations)
pèsent lourdement sur la possibilité d’extension de ces échanges. Selon le
US-Cuba Trade and Economic Council, après une première période de
croissance (2001-2008), les exportations américaines vers Cuba ne cessent
de diminuer, tant en valeur qu’en poids relatif, par rapport à l’ensemble
des autres marchés d’exportation des États-Unis 8. Le Council attribue
cette diminution au poids croissant d’autres puissances, tout particulièrement le Venezuela et la Chine, mais aussi l’Union européenne (UE,
premier investisseur dans l’île), le Brésil, la Russie ou le Mexique, dans le
commerce avec Cuba.
Dans cette conjoncture de concurrence accrue pour l’accès au marché
cubain, plusieurs grandes entreprises américaines se sont organisées en
lobbies, comme l’US Agriculture Coalition for Cuba, et ont dépensé des
dizaines de milliers de dollars pour tenter de convaincre l’administration
américaine d’assouplir l’embargo. Ces efforts ont été payés de retour puisque
plusieurs mesures ont été prises par B. Obama, dès son élection en 2008,
pour relâcher au maximum les contraintes pesant sur le commerce avec
Cuba, dans la limite des prérogatives qui sont les siennes. En 2009, déjà,
le président avait réduit les restrictions pesant sur l’envoi de remesas et sur
7 . “In Cuba, misadventures in regime change”, New York Times, 9 novembre 2014. Ce budget
est utilisé pour promouvoir des médias d’opposition et pour financer certaines initiatives
des opposants (voyages à l’étranger, réunions à Cuba).
8 . Voir le tableau des exportations en valeur (dollars) et en rang de marché d’exportation (http://
www.cubatrade.org).
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« Todos somos Americanos » : les nouvelles relations Cuba–États-Unis ❮ 25
les voyages des Cubano-Américains dans l’île. Il avait également autorisé
les investissements américains à Cuba dans le domaine des télécommunications. Ces dispositions ont été reconduites et approfondies en 2014. Non
seulement une ligne téléphonique directe a été rétablie entre les deux pays,
mais une autorisation spéciale a été accordée aux entreprises américaines
de télécommunication pour négocier directement avec le gouvernement
cubain. Par ailleurs, il est désormais possible, pour les firmes américaines,
d’exporter et d’investir dans les secteurs de l’agriculture et des voyages.
En outre, la levée des sanctions sur les entreprises étrangères qui commerçaient avec Cuba, annoncée par l’Office of Foreign Asset Control (Ofac) 9
va dans le sens de la suppression de la clause concernant l’extraterritorialité.
Enfin, le fait que l’exécutif américain a, le 29 mai 2015, retiré Cuba de la
liste des « pays terroristes » constitue bien sûr un signal politique positif,
mais qui a aussi des répercussions économiques. En effet, être désigné par
les États-Unis comme un État promoteur du terrorisme empêchait Cuba
d’avoir accès au crédit international.
Cette politique d’ouverture est cependant perçue, par le gouvernement
cubain, comme une politique des petits pas. R. Castro a ainsi exhorté, en
janvier 2015, les États-Unis à aller plus loin, en mettant fin à l’embargo 10.
Mais l’abolition de cette mesure dépend d’un vote du Congrès américain,
dont la majorité est actuellement détenue par les Républicains, qui
promeuvent encore la vieille politique de confrontation avec l’île. Si les
lobbies favorables à la levée de l’embargo ont réussi à médiatiser largement
leur combat depuis le 17 décembre 2014, en s’appuyant sur la décision
politique de B. Obama et sur des argumentaires qui démontrent que l’abolition de l’embargo bénéficierait à l’économie américaine 11, les réticences
face au rapprochement bilatéral demeurent fortes.
La diaspora d’origine cubaine a, en effet, fortement investi la sphère
politique américaine et reste très attachée à la dimension symbolique
de l’embargo comme instrument de coercition contre le gouvernement
cubain. Marco Rubio, sénateur républicain d’origine cubaine et candidat
à la prochaine élection présidentielle aux États-Unis, a ainsi annoncé qu’il
utiliserait tous les moyens à sa disposition pour empêcher le rétablissement des relations diplomatiques et la libéralisation du commerce entre
Cuba et les États-Unis. Dans son optique, les mesures prises par B. Obama
encouragent les gouvernements autoritaires à se perpétuer au pouvoir par
9 . « US/Cuba : levée des sanctions sur les entreprises, Le Figaro, 24 mars 2015 (http://www.
lefigaro.fr/flash-eco/2015/03/24/97002-20150324FILWWW00494-cubaus-levee-dessanctions-sur-les-entreprises.php).
10 . « Cuba : Raúl Castro demande la fin de l’embargo américain », Le Monde, 28 janvier 2015.
11 . La levée de l’embargo ferait croître les exportations agricoles de 365 millions de dollars et
créerait 6 000 nouveaux emplois, selon une étude du Center for North American Studies,
Texas University, en 2010 (http://cnas.tamu.edu/Presentations/SAEA%2011%20Cuba%20
Poster%20Web.pdf ).
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la force et la tyrannie 12. Ce type de position perd cependant progressivement en légitimité. Nombreux sont les observateurs qui soulignent que
la politique anticubaine n’est plus aussi déterminante dans les enjeux
de politique intérieure aux États-Unis 13 car la diaspora cubaine établie
en Floride a fortement évolué en termes culturels et générationnels.
Elle est aujourd’hui favorable à 51 % au dégel des relations entre Cuba
et les États-Unis 14. Enfin, la constitution d’une coalition bipartisane
(Républicains et Démocrates) qui souhaite la levée de l’embargo rend
désormais moins impensable l’abandon de cet instrument obsolète de la
politique extérieure américaine 15.
Les calculs des autorités cubaines
Le rétablissement des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis
survient dans un contexte économique de crise dans l’île. Aussi, malgré
le maintien de l’embargo, les mesures d’assouplissement des règles du
commerce entre les deux pays vont déjà permettre de desserrer l’étau dans
lequel est prise l’économie cubaine. Celle-ci est en effet structurellement
fragile depuis la chute de l’URSS en 1991 : 85 % du commerce de l’île se
faisait dans le cadre du Conseil d’assistance économique mutuel (CAEM)
avant cette date, et les exportations de l’île étaient essentiellement constituées de sucre. Si le gouvernement cubain a progressivement diversifié
ses partenaires commerciaux au cours des années 1990, c’est l’élection de
H. Chávez à la présidence du Venezuela en 1998 et sa politique de solidarité envers Cuba qui ont véritablement permis au pays de survivre dans
une économie mondiale compétitive. Non seulement, le gouvernement
vénézuélien envoie depuis le début des années 2000 plus de 100 000 barils
de pétrole par jour à un prix subventionné, mais il paie aussi très cher les
services de dizaines de milliers de professionnels cubains de la santé et de
l’éducation employés dans le cadre des « missions » (politiques publiques
dans les quartiers populaires), notamment dans les barrios de Caracas. Or,
le décès de H. Chávez a créé beaucoup d’incertitude quant à la poursuite
des échanges bilatéraux entre Cuba et le Venezuela. D’une part, la légitimité
12 . Bryan Llenas, “Marco Rubio calls Obama’s Cuba deal ‘absurd,’ says will ‘make every effort’
to block it”, Fox News, 17 décembre 2014.
13 . Patrick Howlett Martin, « La défense de l’embargo n’est plus un atout électoral aux États-Unis,
Le Monde diplomatique, novembre 2014.
14 . Zach C. Cohen, “Poll : Cuban-Americans shift in favor of normalizing US-Cuba relations”,
National Journal, 2 avril 2015.
15 . “Klobuchar leads bipartisan coalition to introduce major legislation to lift Cuba trade
embargo”, annonce faite sur la page personnelle de la sénatrice Amy Klobuchar sur le site du
Sénat, 12 février 2015 (http://www.klobuchar.senate.gov/public/2015/2/klobuchar-leadsbipartisan-coalition-to-introduce-major-legislation-to-lift-cuba-trade-embargo).
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« Todos somos Americanos » : les nouvelles relations Cuba–États-Unis ❮ 27
locale du gouvernement de Nicolás Maduro est relativement faible, ce qui
pourrait mener à une défaite électorale lors des prochaines élections, d’autre
part l’économie du Venezuela est chancelante. En avril 2015, le pays a même
dû s’endetter auprès de la Chine pour honorer ses accords avec Cuba ! 16.
Il est dorénavant évident que les autorités cubaines ont cherché à anticiper
ces difficultés. En effet, les négociations avec les États-Unis ont commencé
au printemps 2013, presque au lendemain de la mort de H. Chávez. Le
gouvernement cubain a, de plus, travaillé à rendre l’économie locale plus
attractive pour les investisseurs. Ce dont témoigne le vote d’une loi sur les
investissements étrangers le 29 mars 2014 (la dernière datait de 1995). Alors
que l’État contrôlait jusqu’à maintenant systématiquement 51 % du capital
des entreprises en joint-venture, la répartition de ce capital est désormais
négociée entre l’État et les entreprises qui investissent. La diminution des
impôts sur les bénéfices (de 30 à 15 %) et sur l’emploi de main-d’œuvre
(de 11 à 0 %) va dans le même sens. Et la création d’une zone franche,
dans le cadre du grand projet d’aménagement du port de Mariel financé
par une banque brésilienne, montre que Cuba entre de plain-pied dans
la tactique des avantages compétitifs pratiquée par de nombreux pays
du Sud. Enfin, la négociation en cours d’un accord de coopération avec
l’UE et la visite du président François Hollande dans l’île en mai 2015
constituent également les signes d’une ouverture toujours plus grande de
l’économie cubaine et de la volonté du gouvernement de diversifier plus
avant ses partenaires économiques.
Les autorités cubaines ont aussi été actives sur de nombreux autres fronts.
Elles ont obtenu l’annulation de 70 % de la dette contractée envers
le Mexique en 2013 et 90 % de la dette contractée auprès de l’URSS
en 2014 17. Elles ont également repris, en 2013, les discussions avec l’UE
en vue d’aboutir à un accord de coopération. Enfin, elles restent très
actives dans l’exportation de services médicaux à l’étranger, notamment
vers l’Afrique, ce qui leur permet de diversifier plus avant les partenaires
économiques de l’île. Si les États-Unis constituent un partenaire naturel
pour Cuba, du fait des liens historiques qui unissent les deux pays, de
leur proximité géographique, et de l’existence d’une puissante diaspora
cubaine, ils ne redeviendront pas sans effort un partenaire économique
de premier plan.
16 . « Venezuela se endeuda con China para cumplir con el envio de petroleo a Cuba »,
Infobae, 6 avril 2015 (http://www.infobae.com/2015/04/06/1720405-venezuela-seendeuda-china-cumplir-el-envio-petroleo-cuba).
17 . “Russia writes off $32 billion Cuban debt in show of brotherly love”, The Guardian,
10 juillet 2014 ; “Mexico says it will waive most of $487 million debt owed by Cuba”,
Reuters, 1er novembre 2013.
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Vers une démocratisation de l’exercice
du pouvoir à Cuba ?
Le rétablissement des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis
a soulevé de nouveau la question de la démocratisation de l’exercice du
pouvoir à Cuba. Bien qu’elle soit récurrente, il est impossible d’y répondre
autrement qu’en proposant des scénarios 18 et en envisageant des comparaisons. Une comparaison diachronique permet d’établir par exemple que les
gouvernements autoritaires du Cône Sud en Amérique latine ont longtemps
pratiqué le libéralisme économique (le Chili sous Augusto Pinochet,
l’Argentine des généraux) tout en réprimant toute opposition politique,
tout comme Zine-el Abidine Ben Ali en Tunisie ou Hosni Moubarak en
Égypte, ce qui montre qu’il n’y a pas d’incompatibilité en soi entre autoritarisme politique et libéralisme économique. La comparaison synchronique,
avec la Chine ou le Vietnam contemporains, est plus intéressante encore
car elle donne à voir qu’il est possible de conduire un processus de libéralisation économique sous un gouvernement communiste, sans pourtant que
le parti perde le monopole de l’exercice du pouvoir, grâce à un encadrement strict des revendications sociales et politiques émergentes.
À Cuba, il existe de fait, et depuis plusieurs années, une libéralisation
de l’exercice du pouvoir, en amont du dialogue entamé en 2013 par les
présidents cubain et américain, qu’il faut prendre soin de distinguer d’un
processus de démocratisation. En effet, s’il est désormais possible, et parfois
même encouragé, d’exprimer certaines opinions critiques, la formulation
de ces critiques demeure très codifiée.
Sur le plan politique, R. Castro gouverne de manière plus collégiale que
ne le faisait Fidel Castro. Moins omniprésent dans les médias que son
frère, il a remis le Parti communiste au centre de la politique cubaine et a
incité les militants, les intellectuels et les journalistes à élaborer une vision
constructive des problèmes économiques de l’île. Cet appel au débat a par
exemple mené les médias officiels à exiger plus de transparence de la part
des administrations et à réaliser des reportages sur les problèmes rencontrés par les Cubains dans leur vie quotidienne. Un nouveau programme
télévisé (Cuba dice) a, par exemple, été créé pour donner la parole à des
Cubains « ordinaires » et inciter les administrations à répondre à leurs
demandes de manière plus efficace. Des forums en ligne sont désormais
organisés par les journaux officiels pour favoriser le débat et recueillir
l’opinion des Cubains sur des sujets autrefois tabous comme le système
18 . Voir les propositions de Marifeli Perez-Stable (ed.), Looking Forward. Comparative perspectives on Cuba’s transition, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 2007 et de Lenier
Gonzalez Medeiros, “From collision to covenant : challenges faced by Cuba’s future leaders”,
Cuba Study Group. From the Island, no 19, août 2013.
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« Todos somos Americanos » : les nouvelles relations Cuba–États-Unis ❮ 29
électoral ou la société civile 19. Par ailleurs, la presse officielle elle-même se
diversifie pour s’adapter à ce début de libéralisation de l’économie. Ainsi,
deux nouvelles revues d’économie ont été récemment lancées (On Cuba
Real Estate et Ofertas) afin de faire de la publicité pour la vente de biens,
notamment immobiliers, et des services d’entreprises publiques et privées.
Sur le plan de la communication, les réformes mises en œuvre depuis 2008
ont permis un accès accru aux services de téléphone et d’internet (à cette
date seuls 20 % des Cubains disposaient d’une ligne fixe et moins de 2 %
avaient accès à la Toile mondiale), ce qui a facilité la consolidation de
réseaux de citoyens et de mouvements relativement autonomes et critiques
vis-à-vis du gouvernement. La figure la plus connue est celle de Yoani
Sanchez, célèbre blogueuse et désormais directrice du journal en ligne
14ymedio : mais, outre les réseaux de blogueurs (Voces, Havana Times,
BloggersCuba, La Joven Cuba) et les mouvements dits « dissidents » (Les
Dames en blanc, le syndicat Unpacu, les partis d’opposition, les associations
de défense des droits humains), qui sont les plus connus, il existe également
des collectifs antisexistes (Arcoiris), antiracistes (Cofradía de la Negritud,
collectifs de hip-hop), socialistes (Socialismo Participativo y Democrático),
libertaires (Cátedra Haydée Santamaria, Observatorio Crítico), écologistes
(Guardabosques, Ahimsa), libéraux (Estado de Sats), etc. En bref, on
observe une pluralisation politique croissante de la société cubaine depuis
le milieu des années 2000, avec l’émergence de collectifs de mieux en
mieux organisés et de plus en plus politisés, critiques de droite comme de
gauche du gouvernement cubain. Si ces collectifs prennent de réels risques
en cherchant à repousser les limites de la liberté d’expression à Cuba, ces
risques sont aujourd’hui relativement calculables. D’une part, les normes
d’expression ont changé et certaines formes de critique sont désormais
tolérées 20 (notamment ce qui a été appelé « l’opposition loyale » par les
éditeurs de la revue Espacio Laical 21). D’autre part, les mouvements critiques
émergents ont, grâce à leur présence sur la Toile, obtenu une forte visibilité internationale, ce qui rend les formes classiques de répression (procès,
emprisonnement) longtemps pratiquées par le gouvernement cubain plus
coûteuses en termes d’image et de légitimité.
Il faut ici souligner que l’Église joue un rôle notable dans ces changements.
Elle a exercé une fonction de médiateur dans deux dossiers particulièrement difficiles : la libération des prisonniers politiques en 2010 et le
rétablissement du dialogue avec les États-Unis en 2014. Elle ouvre de
plus les colonnes de ses journaux (comme Espacio Laical) à de nombreux
19 . « Foro interactivo sobre sociedad civil en Cuba », Trabajadores, 8 mars 2015 ; « Concluyó
entrevista online sobre sistema electoral cubano », Juventud Rebelde, 28 février 2015.
20 . Yvon Grenier, Cultural policy, participation and the gatekeeper state in Cuba, Miami, ASCE
conference, 2014.
21 .www.espaciolaical.net
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intellectuels et universitaires critiques, et participe ainsi à la reconstruction d’un débat public hors du parti.
Le gouvernement cubain travaille cependant à tracer une distinction relativement nette entre la critique sectorielle (antiraciste, antisexiste ou écologiste
par exemple), qui est acceptée car elle peut contribuer à renouveler sa légitimité interne, et l’opposition politique construite, qui remet frontalement
en question cette légitimité. Ainsi, tandis que les collectifs et individus qui
formulent des critiques non systémiques du gouvernement cubain sont
tolérés, quoique parfois censurés et menacés (quand les autorités estiment
qu’ils ont franchi des limites), les syndicats et partis d’opposition et les
mouvements qui se revendiquent du libéralisme politique sont encore
fortement réprimés. S’il n’y a plus de grands procès, tels que ceux de 2003
qui avaient envoyé en prison soixante-quinze opposants condamnés à des
peines de six à vingt-huit ans, les forces de l’ordre recourent de plus en
plus à des moyens moins visibles de répression comme le harcèlement de
rue, les gardes à vue ou les détentions de courte durée (de quelques jours
à quelques semaines).
Le dialogue mis en place avec l’administration américaine n’a pas fait
diminuer ce type de répression, au contraire. Certes, cinquante-trois
opposants ont été libérés, en marge des accords conclus avec les États-Unis,
mais les arrestations et les agressions physiques ont augmenté au début 2015
par rapport aux mois précédents 22, et plusieurs artistes ont été brutalement
censurés ou emprisonnés. Ainsi, Danilo Maldonado, connu sous le nom de
El Sexto, est toujours en prison depuis son arrestation, le 26 décembre 2014.
Appréhendé alors qu’il préparait une performance qui consistait à lâcher
en plein centre-ville deux porcs peints en vert et sur lesquels étaient inscrits
les prénoms Fidel et Raúl, il est accusé d’outrage envers l’État et attend son
procès en prison. Une autre artiste, Tania Bruguera, a également été arrêtée
quelques jours plus tard, alors qu’elle se rendait place de la Révolution où
devait se tenir une performance d’expression libre : un micro était tenu
à disposition de tout passant qui souhaitait l’utiliser pour exprimer ses
demandes ou ses revendications dans le contexte du rapprochement avec
les États-Unis. Si l’artiste a été rapidement relâchée – elle jouit d’une grande
notoriété internationale – son passeport lui a été retiré et elle ne peut quitter le
territoire cubain, alors qu’elle réside depuis de longues années aux États-Unis.
On note donc que l’émergence de voix dissonantes à Cuba conduit certes
à une adaptation des autorités politiques, qui sont contraintes de prendre
en compte cette pluralisation sociale et politique dans leur mode d’exercice du pouvoir face à des publics locaux plus critiques et à des institutions
et à des ONG internationales qui scrutent toujours de près les violations
22 . Violations of human rights in Cuba, Institute for Cuban and Cuban American Studies,
University of Miami, janvier 2015.
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« Todos somos Americanos » : les nouvelles relations Cuba–États-Unis ❮ 31
des droits humains perpétrées dans l’île. Si cette adaptation ouvre des
espaces d’expression et a permis la consolidation de nouveaux réseaux et
de mouvements sociaux critiques du gouvernement, il n’y a pas encore de
processus institutionnel de démocratisation à Cuba.
Il est d’ailleurs ironique de constater que le dialogue entre R. Castro et
B. Obama est désormais plus courtois que celui, inexistant, entre les
militants anticastristes et responsables d’organisations sociales para-étatiques
(comme la Fédération des femmes cubaines ou bien les Comités de défense
de la révolution). Les invectives échangées et les empoignades (physiques)
entre délégués cubains mandatés par le gouvernement pour assister au
Sommet des Amériques organisé à Panamá en avril 2015 et membres
de mouvements d’opposition témoignent de cette difficulté à établir un
dialogue interne dépassionné à Cuba même. Non seulement les opposants
y furent brutalement attaqués en sus d’être caractérisés de « mercenaires au
service des ennemis de la nation » par les membres officiels de la délégation cubaine, mais cette délégation prit la décision de boycotter le Forum
de la société civile organisé en marge du sommet 23. En même temps, il est
essentiel de ne pas héroïser la « société civile cubaine », car une partie des
mouvements d’opposition professent des convictions largement réactionnaires et parfois même peu démocratiques. Certes, seule une minorité fraye
avec des militants anticastristes qui se sont rendus coupables d’actes de
sabotage et de terrorisme lors des débuts de la révolution sans être jamais
extradés par les États-Unis pour être jugés, mais plus nombreux sont ceux
qui ont déclaré être déçus par le rapprochement entre Cuba et les États-Unis
et s’être sentis trahis par la décision de B. Obama 24. Sans considération
pour les effets concrets de l’embargo sur leurs concitoyens, ils soutiennent
encore le maintien de cette politique obsolète à l’inefficacité avérée.
Conclusion
Le rapprochement historique entre les États-Unis et Cuba, sous les
présidences respectives de B. Obama et de R. Castro, est à saluer. Il ouvre
non seulement une nouvelle ère dans les relations entre les deux pays, mais
également entre les États-Unis et l’Amérique latine. En revanche, il n’est
pas pertinent d’observer tout changement social et politique à Cuba et en
Amérique latine au prisme de ce rapprochement.
Tout d’abord, les sanctions décidées par B. Obama contre de hauts
fonctionnaires vénézuéliens montrent que la volonté de l’administration
23 . « Porque se enfrentan los Cubanos en la cumbre de Panama », BBC Mundo, 9 avril 2015.
24 . Mark Thiessen, “Cuban dissidents blast Obama’s betrayal”, Washington Post, 29 décembre 2014.
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américaine d’intervenir politiquement dans les affaires du sous-continent
latino-américain reste forte. En même temps, le tollé général provoqué par
ces sanctions, qui ont indisposé l’ensemble de la classe politique latinoaméricaine (y compris des pays traditionnellement alliés des États-Unis
comme la Colombie et le Mexique) témoignent du fait que la détermination des gouvernements latino-américains à faire respecter leur souveraineté
nationale ne faiblit pas face aux arguments présentés par les États-Unis (qui
accusent le gouvernement de N. Maduro de violations des droits humains) 25.
Ensuite, en ce qui concerne spécifiquement Cuba, l’embargo est toujours
en place, quoique la probabilité de sa levée soit de plus en plus tangible.
Enfin, l’absence de démocratie demeure patente dans l’île malgré la mise
en place de modalités relativement moins répressives d’exercice du pouvoir.
Il faut toutefois souligner pour conclure que le changement est permanent
à Cuba depuis que R. Castro est devenu le chef de l’État cubain, en 2008,
et il n’est pas impossible qu’il finisse par investir le terrain politique. La
loi électorale en préparation pourrait par exemple faciliter les candidatures dissidentes, jusqu’à présent marginalisées, ou encore inscrire dans les
textes la limitation de la carrière politique à deux mandats, comme l’avait
déjà évoqué R. Castro en 2013. Mais nous ne pourrons évaluer l’impact de
ces changements progressifs, à la fois sur les plans économique, politique
et diplomatique, que lors des prochains rendez-vous de R. Castro avec
l’Histoire : lors du congrès du Parti communiste en 2016 et lors des élections
nationales de 2018, puisque le président a d’ores et déjà annoncé qu’il ne
se représenterait pas aux plus hautes fonctions de la République de Cuba.
BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
Velia Cecilia Bobes (ed.), Ajuste o transición ? Impacto de la reforma en el contexto del
reestablecimiento de las relaciones con Estados Unidos, San José, Flacso, 2015.
Marie Laure Geoffray, Contester à Cuba, Paris, Dalloz, 2012.
William LeoGrande et Peter Kornbluh Back Channel to Cuba. The Hidden History of
Negotiations between Washington and Havana, Chapel Hill, NC, University of North
Carolina Press, 2014.
Carmelo Mesa Lago et Jorge Pérez-Lopez, Cuba under Castro. Assessing the reforms,
Boulder, Lynne Rienne, 2013.
25 . “Latin American leaders back Venezuela over US spat”, BBC News, 18 mars 2015.
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« Todos somos Americanos » : les nouvelles relations Cuba–États-Unis ❮ 33
■■ Déjà publié sur Cuba
• Cuba après Fidel Castro : des changements politiques et sociaux limités
Marie Laure Geoffray
Édition 2009, collection « Mondes émergents »
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Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 35
Bolivie : la réélection
d’Evo Morales, le triomphe
d’un protestataire devenu
gestionnaire
H E R V É D O A LT O
Doctorant en science politique à l’Université Paris-Ouest-Nanterre
Dans un pays longtemps réputé pour son instabilité chronique, Evo Morales
fait presque figure d’anomalie : réélu triomphalement avec 61,4 % des
suffrages, l’ancien cultivateur de coca a remporté, le 12 octobre 2014,
sa troisième élection présidentielle consécutive, obtenant de nouveau
une majorité absolue qu’aucun de ses prédécesseurs n’était parvenu à
atteindre avant lui depuis la transition démocratique entamée au début
des années 1980. Non content de résister à l’usure du pouvoir, le premier
mandataire bolivien consolide même son hégémonie sur la scène politique.
Quelles sont les raisons d’un tel succès après neuf ans de présence à la tête de
l’État, dans un pays qu’on crut pourtant au bord de la guerre civile quelques
années plus tôt, en raison des conflits qui opposaient le gouvernement à
une droite principalement concentrée dans les régions amazoniennes ? En
Bolivie et au-delà, les analyses d’un tel triomphe se sont fréquemment
centrées sur la réussite du pouvoir en matière économique, illustrée par
une croissance soutenue et une redistribution des richesses significative 1.
Un tel constat conduit pourtant à négliger la spécificité du travail
politique développé par le Mouvement vers le socialisme (MAS), le parti
de E. Morales, afin de capitaliser cette réussite économique sur le plan
politique. Depuis son arrivée au pouvoir en 2005, le MAS n’a eu de cesse
d’ajuster ses stratégies électorales à une configuration politique particulièrement mouvante. Avec, du reste, des résultats inégaux puisque, si l’ancien
syndicaliste paysan remporte régulièrement haut la main les scrutins
nationaux, son parti rencontre plus de difficultés à l’échelle locale, comme
en témoigne son incapacité presque chronique à gagner dans les grands
centres urbains lors des scrutins municipaux. S’il est donc évident que la
1 . Fernando Molina, « ¿Por qué Evo Morales sigue siendo popular? Las fortalezas del MAS en
la construcción de un nuevo orden », Nueva Sociedad (Buenos Aires), n° 245, 2013, p. 4-14.
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36 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016
période faste que traverse l’économie bolivienne bénéficie sans doute à
l’équipe en place, elle ne saurait pour autant être érigée au rang de seule
variable explicative de ses triomphes.
C’est pourquoi, dans le cadre de cette analyse des élections générales
boliviennes de 2014, nous nous proposons de souligner le poids joué par
le « politique » dans ce succès. Ainsi, après une présentation du bilan du
gouvernement Morales qui permettra de saisir quelques-uns des ressorts
de sa popularité, nous nous pencherons successivement sur la stratégie
électorale poursuivie par le MAS, puis sur les recompositions profondes
traversées par l’opposition, avant de nous livrer à une analyse plus fine des
résultats de cette échéance.
Le bilan d’Evo Morales au cœur de la campagne
électorale
Si, habituellement, en Bolivie, les campagnes électorales sont des
moments d’effervescence populaire particulièrement aiguë, celle
de 2014 n’a guère connu les élans épiques des scrutins précédents,
malgré un taux de participation parmi les plus élevés pour une élection
nationale (87,9 %). Ainsi, comme le suggère l’analyste politique
argentin Pablo Stefanoni, en 2014, le profil du candidat Morales n’a
que peu à voir avec ceux affichés lors des scrutins précédents. Alors
qu’il apparaissait comme un résistant à l’ordre néolibéral en 2005
comme en 2009, c’est revêtu des habits d’un « bon gestionnaire »
que l’ancien syndicaliste paysan aborde l’échéance de 2014, comme
l’illustre le principal slogan de campagne du MAS : « Con Evo, vamos
bien » (avec Evo, nous nous portons bien). Un contraste patent qui
révèle le succès remporté par E. Morales sur le plan de la conduite
des affaires de l’État, dans une période qualifiée par Fernando Molina
de « post-polarisation » 2. Pour saisir les raisons de ce triomphe, il
convient de revenir sur trois éléments clés : la réussite rencontrée
par les politiques national-développementistes mises en œuvre par le
gouvernement (nationalisation des hydrocarbures et d’autres ressources
naturelles ; rôle prépondérant de l’État dans l’économie…), l’importance de l’investissement public dans les infrastructures et les politiques
sociales et, enfin, les premiers changements sociaux qui résultent de
l’exercice du pouvoir par le MAS.
2 . F. Molina, « Elecciones bolivianas: el fin de la polarización », Infolatam, 27 septembre 2014
(http://www.infolatam.com/2014/10/12/elecciones-bolivianas-el-fin-de-la-polarizacion/).
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Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 37
Neuf ans après la mise en œuvre d’une mesure à la fois polémique et
symbolique, force est de constater que le pari est gagné : c’est bien la
nationalisation des hydrocarbures réalisée le 1er mai 2006 (dans les
faits, une renégociation radicale des contrats liant l’État aux multinationales du secteur) qui a permis à la Bolivie de bénéficier, entre 2006
et 2013, de niveaux d’exportations records de plus de 23 milliards de
dollars, contre à peine 1,7 milliard entre 2001 et 2005. Complétée par
la nationalisation d’autres secteurs (mines, téléphonie…), la stratégie
économique nationaliste du gouvernement a permis de contenir les
menaces de fuite de capitaux, comme en atteste le niveau record des
réserves internationales dont dispose aujourd’hui la Bolivie : plus
de 15 milliards de dollars, soit 51 % du PIB. De fait, avec un taux
de croissance de l’ordre de 5 % en moyenne, un PIB qui a doublé
depuis 2006 et un contexte de quasi-plein emploi, c’est l’ensemble de
l’économie nationale qui se trouve dopé par cette ressource – en dépit
de craintes liées à une dépendance accrue au gaz.
Graphique 1. Rente pétrolière de l’État bolivien (en millions de dollars)
6 000
5585
•
5 500
5 000
4393
•
4 500
4 000
3 500
2959
•
3 000
2 500
2099
•
2 000
1474
•
1 500
1000
500
0
223
•
188
•
245
•
555
•
2158 2235
•
•
1533
•
675
•
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Source : Yacimientos Petrolíferos Fiscales de Bolivia (YPFB).
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02/03/2016 16:27:29
38 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016
Graphique 2. Évolution du taux de croissance en Bolivie
7
6,15
•
6
5
4,17
•
4
4,80
•
4,56
•
5,20
•
5,50
•
4,13
•
•
3,36
3
2,49
•
2
4,42
•
5,17
•
2,71
•
1,68
•
1
0
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Source : Institut national de statistiques de Bolivie (INE).
Cette manne énergétique permet, depuis 2006, de porter l’investissement public à des niveaux inédits jusque-là : de 6 milliards à l’arrivée de
E. Morales au pouvoir, celui-ci atteint désormais 20 milliards, soit l’équivalent de 11 % du PIB. Cet effort a conduit l’État bolivien à s’engager sur
de nombreux fronts : construction de routes et d’infrastructures ; contrôle
des prix des produits de première nécessité et des transports, soutien aux
petits producteurs agricoles ; création de nombreux bons destinés à des
secteurs vulnérables de la population (retraités, écoliers ou mères d’enfants
en bas âge). Ces mesures ont eu un impact indéniable, comme en témoigne
la réduction en à peine six ans de l’extrême pauvreté, passée de 38,2 %
en 2005 à 18,8 % en 2012. L’amélioration concrète des conditions de vie
de la paysannerie et des secteurs populaires boliviens se double qui plus est
d’une modernisation tout aussi importante de la vie quotidienne dans des
domaines aussi variés que la téléphonie (satellite permettant aux campagnes
d’être reliées au réseau national de télécommunication) ou les transports
(lignes de téléphérique entre les villes voisines de La Paz et El Alto, dotant
la métropole d’un moyen de transport public accessible et de qualité).
Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 38
02/03/2016 16:27:29
Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 39
Tableau 1. Les indicateurs de pauvreté en Bolivie (en % de la population)
Évolution de la pauvreté modérée (moins de 2 dollars par personne et par jour)
2005
60,6
51,1
77,6
National
Urbain
Rural
2012
43,4
34,7
61,1
Évolution de l’extrême pauvreté (moins de 1 dollar par personne et par jour)
National
Urbain
Rural
2005
38,2
24,3
62,9
2012
21,6
12,2
40,9
Source : Ministère de l’Économie et des Finances publiques de Bolivie.
On ne saurait non plus négliger la force de l’imaginaire modernisateur
qui accompagne l’action du gouvernement : ces succès concourent en
effet à valider l’orientation national-développementiste poursuivie par
E. Morales et son équipe, suscitant de la sorte un « consensus productiviste » au sein du MAS comme dans l’ensemble de la population 3. Après
le gaz (2005), puis le fer et le lithium (2009), c’est le nucléaire qui a fait
son apparition dans la campagne. Au mois d’août 2014, le vice-président
Álvaro García Linera annonçait en effet que le gouvernement souhaitait
mettre en œuvre un programme de développement du nucléaire à des
fins civiles. La proposition du pouvoir exécutif a certes donné lieu à une
modeste polémique entretenue tant bien que mal par l’opposition. Elle
demeure toutefois inscrite à l’agenda politique et n’a guère engendré de rejet
particulier de la part d’une population majoritairement séduite par l’idée
d’une « Bolivie puissance » (Bolivia potencia), autre slogan de campagne
du MAS. Du reste, ces politiques national-développementistes suscitent
une certaine fierté au sein de la majorité des Boliviens, tout particulièrement parmi les secteurs populaires : la modernisation économique dont
ces derniers constituent les cibles privilégiées s’apparente à bien des égards
à la seconde étape d’un processus plus large de démocratisation, lancé sur
un strict plan politique en 2005 par l’arrivée au pouvoir de E. Morales.
Fort d’excellents résultats sur le plan économique comme sur le plan social,
le bilan du gouvernement permet certes de comprendre la popularité dont
celui-ci bénéficie. Mais pour en saisir les ressorts, il convient également de
se pencher sur le travail de mobilisation électorale réalisé par le MAS, et
de s’intéresser aux stratégies mises en œuvre par la direction du parti en
vue des élections générales de 2014.
3 . H. do Alto, « Construire l’après-libéralisme sous l’ère Morales : défis et paradoxes de l’expérience bolivienne », Regards sociologiques, no 43-44, 2012, p. 61-79.
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40 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016
Le MAS : une machine de guerre électorale convertie
en espace de réconciliation nationale
Les succès électoraux du MAS doivent beaucoup à l’ingénierie politique
que cette formation donne à observer. Cette ingénierie est en grande partie
le fruit de l’histoire du mouvement. Né en 1995 comme un « instrument politique » au service des principaux syndicats paysans du pays, le
parti ne constitue initialement qu’une coordination relativement souple
d’organisations sociales, restreinte dans un premier temps au syndicalisme
paysan, puis progressivement ouverte à d’autres secteurs sociaux : comités
de quartier, syndicats ouvriers ou organisations indigènes – un projet
d’« autoreprésentation populaire » que l’intégration des classes moyennes
urbaines n’a jamais remis en cause et qui est apparu comme étant de plus
en plus attractif, les succès électoraux aidant 4.
À l’approche des élections générales de 2014, force est de constater que ce
processus cumulatif d’alliances reste d’actualité. Pourtant, l’adoption d’une
nouvelle Constitution, le 25 janvier 2009, à l’occasion d’un référendum,
puis la confortable réélection de E. Morales en décembre de la même
année ont marqué une rupture par rapport aux périodes antérieures :
alors que la confrontation entre le gouvernement et l’opposition avait agi
comme un catalyseur sur cette dynamique, le second mandat de E. Morales
est quant à lui caractérisé par la résurgence de conflits entre le pouvoir
exécutif et des organisations sociales. Une fois la défaite de la droite et
la promulgation de la Constitution acquises, les antagonismes propres à
l’espace des mouvements sociaux bolivien ont refait surface, ces organisations n’hésitant plus à redescendre dans la rue pour faire valoir leurs
intérêts, indépendamment de leur rapport au MAS. La démultiplication
de ce type de confrontation a même contribué à l’établissement d’un
niveau record de conflits sociaux en Bolivie au terme de l’année 2011
(884) 5. Les protestations concernant le Territoire indigène et parc national
Isiboro Secure (Tipnis) constituent à cet égard un cas d’école. En 2010,
le gouvernement exhume un projet de route traversant ce parc abritant
plusieurs communautés indigènes ainsi qu’une biodiversité d’une rare
richesse, au prétexte qu’il s’agit d’une opportunité pour le développement
de la région. Or, une fraction significative des habitants, soutenue par les
4 . H. do Alto et P. Stefanoni, Nous serons des millions. Evo Morales et la gauche au pouvoir en
Bolivie, Paris, Raisons d’agir, 2008.
5 . Fundación Milenio, Informe nacional de coyuntura – Gobernar obedeciendo, n° 86, 2011.
D’après ce rapport, le niveau de conflictualité atteint en 2011 est ainsi supérieur à celui que
l’on connut lors des périodes telles que la transition démocratique au début des années 1980.
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Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 41
principales organisations indigènes nationales 6, se mobilise en août 2011
afin d’exprimer son opposition à la route. Si, dans un premier temps,
E. Morales maintient son projet tout en essayant de contenir les protestations locales (la police allant même jusqu’à susciter un profond émoi en
réprimant une marche indigène pacifique dans la localité de Chaparina
le 25 septembre), le pouvoir exécutif se voit finalement contraint de le
suspendre, sous la pression conjointe de l’opposition, d’ONG écologistes
et des organisations indigènes.
Graphique 3. Nombre de conflits sociaux en Bolivie
1 000
884
•
900
800
759
•
700
745
•
654
•
600
535
•
500
400
811
•
335
•
401
•
414
•
2002
2003
•
471
507
•
496
•
2007
2008
300
200
100
0
2001
2004
2005
2006
2009
2010
2011
2012
Source : Fundación Milenio.
Malgré la résurgence de tensions avec quelques-unes des composantes du
mouvement social bolivien, le MAS sert pourtant toujours de référent à ce
dernier au sein du champ politique. Ainsi, dans la perspective des élections,
le parti de E. Morales est parvenu à attirer sur ses listes des dirigeants
pourtant peu avares de critiques à l’encontre du gouvernement par le passé.
Parmi eux, Franklin Durán, dirigeant de l’un des principaux syndicats de
transports de La Paz, ou encore Pedro Montes, ancien secrétaire exécutif
de la Centrale ouvrière bolivienne (COB). Ces quelques exemples de ralliements révèlent combien la temporalité propre au champ politique ne se
déduit pas mécaniquement de celle de l’espace des mouvements sociaux,
la période pré-électorale s’apparentant à une fenêtre de négociations et de
6 . Le Conseil national des ayllus et markas du Qullasuyu (Conamaq), dans les Andes, et la
Confédération des peuples indigènes de l’Orient bolivien (Cidob), en Amazonie, organisations distinctes des syndicats paysans à l’origine du MAS.
Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 41
02/03/2016 16:27:29
42 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016
réajustements mutuels entre parti et organisations potentiellement alliées.
Les tensions pouvant exister entre ces entités, quelle qu’en soit l’origine
(affrontements entre organisations, débats sectoriels avec l’exécutif, luttes
territorialisées), n’hypothèquent donc pas nécessairement un éventuel
accord. La gestion de ces conflits éclaire d’autant mieux le pragmatisme
dont font preuve les dirigeants d’organisations sociales comme ceux du
parti : pour les premiers, il s’agit d’obtenir une position institutionnelle
pouvant permettre au groupe de mieux faire entendre sa voix au sein du
MAS ; pour les seconds, il s’agit de mobiliser un réservoir de voix et de
s’assurer une loyauté minimale vis-à-vis de l’exécutif. Du reste, on retrouve
cette logique au cœur même du Tipnis : ainsi, si les directions des organisations indigènes ont pris leurs distances par rapport au MAS au terme
de la crise, la réalité sur le terrain a laissé apparaître des fractures au niveau
local, comme l’illustre le cas de Justa Cabrera, l’une des représentantes des
communautés affectées par le projet de route, qui finit par annoncer son
ralliement au parti de E. Morales le 20 juillet, à quelques semaines à peine
du lancement officiel de la campagne 7.
Parallèlement à cette stratégie traditionnelle relative aux organisations
sociales, le MAS a également développé une autre stratégie plus audacieuse
vis-à-vis de l’opposition, qui découle de la crise politique de 2008. Jusqu’à
cette date, en effet, l’opposition est dominée par une droite conservatrice rétive à toute collaboration avec le gouvernement, comme l’illustra
l’obstruction systématique à toute initiative émanant du MAS au sein
du Congrès comme de l’Assemblée constituante 8. À l’intérieur de cette
opposition, le leadership est assumé par les élites des régions de la « Media
Luna », regroupant les départements amazoniens du Beni, du Pando
et de Santa Cruz, ainsi que ceux de Tarija et de Chuquisaca, dans les
vallées du sud du pays – autant de régions où le MAS peine à s’enraciner
électoralement. Visant à faire de l’échelon local un cadre de résistance
à l’hégémonie de E. Morales, cette droite entend forcer la reconnaissance de statuts d’autonomie régionale 9 tout en retardant autant que
possible le référendum, qu’elle considère illégitime, sur la Constitution. Le
climat de tension croissante fait même peu à peu planer la menace d’une
sécession. Via le groupe parlementaire du principal parti d’opposition,
Pouvoir démocratique et social (Podemos), la droite parvient à imposer à
E. Morales l’organisation d’un référendum révocatoire pour le contraindre
7 . Le 14 octobre, on vota à plus de 60 % pour E. Morales dans le Tipnis, preuve que le conflit
n’a pas entamé la crédibilité du gouvernement auprès d’une majorité de la population locale.
8 . L’Assemblée constituante a été tenue à Sucre, capitale constitutionnelle de la Bolivie,
d’août 2006 à décembre 2007.
9 . Lors des différents référendums réalisés entre mai et juin 2008 dans les départements de
Santa Cruz, Beni, Pando et Tarija – référendums déclarés illégaux par la Cour nationale
électorale –, les statuts sont approuvés avec des résultats de l’ordre de 80 %. Ces scrutins
sont marqués par de forts taux d’abstention, avoisinant la barre des 50 %.
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Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 43
à la démission – référendum qu’elle pense pouvoir gagner tant la perte
de légitimité de Morales lui semble irrémédiable. Las, tenu le 10 août, ce
scrutin conforte le président, qui recueille 67,4 % des voix. Les gouverneurs
régionaux de la Media Luna tentent alors un coup de force et annoncent
la mise en œuvre des statuts d’autonomie récemment approuvés, ainsi que
l’occupation des sièges d’institutions publiques et le blocage des voies de
communication, aéroports inclus. Tandis que la situation s’enlise et que des
confrontations se multiplient au sein de la population, c’est finalement une
tragédie qui scelle le destin de l’opposition. Le 11 septembre 2008, alors
qu’ils essayent de rejoindre la capitale du Pando, Cobija, des paysans sont
pris dans une embuscade par un groupe de fonctionnaires du gouvernement
régional dans une localité voisine, affrontement qui se solde par la mort de
19 personnes, dont 18 paysans partisans de E. Morales. Le lendemain, l’état
de siège est déclaré dans toute la région, tandis que le gouverneur partisan
de l’autonomie, Leopoldo Fernández (Podemos), est accusé d’être de facto
le responsable du massacre et incarcéré le 16 septembre. Cet événement
marque la fin de la stratégie de confrontation frontale majoritairement
poursuivie par la droite jusqu’alors, cette dernière se voyant contrainte de
reprendre le dialogue avec le gouvernement dans un rapport de force qui
lui est clairement défavorable.
C’est dans ce contexte que le MAS, E. Morales en tête, décide de faire du
parti un lieu de mise en scène de la réconciliation nationale dès les élections
générales de 2009. Il s’agit d’ouvrir les portes du parti aux « ennemis
d’hier » prêts à faire amende honorable. Pour la direction du MAS, le but
est simple : se donner les moyens d’être une force politique majoritaire
dans la Media Luna, où le parti plafonne généralement à 40 % dans les
scrutins locaux et nationaux, et approfondir du même coup la crise de
la droite 10. Cette stratégie est reconduite lors des élections municipales
et régionales de 2010 : le MAS confie ainsi le soin de mener ses listes à
d’anciens dirigeants de partis néolibéraux, tels Luis Flores pour le gouvernement régional du Pando ou Roberto Fernández pour la mairie de Santa
Cruz. Les résultats sont relativement encourageants puisque, outre une
amélioration générale de ses résultats, le MAS réussit à s’emparer de la région
du Pando et de la mairie de Cobija. Si cette tactique engendre d’évidentes
tensions dans les rangs du parti, particulièrement parmi les paysans qui
ont si souvent été la cible de la violence exercée par des groupes de choc
liés à l’opposition, les succès électoraux acquis ou à venir ont dans une
grande mesure permis de les contenir. À l’occasion des élections générales
de 2014, et sans que cela suscite autant d’émoi qu’en 2010, cette opération
de réconciliation symbolique est très largement reproduite, comme en
10 . H. do Alto et P. Stefanoni, « El MAS: las ambivalencias de la democracia corporativa »,
in Alberto García Orellana et Fernando García Yapur (dir.), Mutaciones del campo político
en Bolivia, La Paz, PNUD Bolivia, 2010, p. 303-363.
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02/03/2016 16:27:29
44 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016
atteste la présence sur les listes du MAS de figures de l’opposition comme
Carlos Subirana et Muriel Cruz à Santa Cruz, Francisco Navajas et Neila
Lenz à Tarija, ou encore Milton Barón dans la région de Chuquisaca. On
mesure ainsi combien le travail politique développé par E. Morales et les
siens, vis-à-vis de ses alliés traditionnels comme de son opposition, joue
un rôle capital dans la consolidation de l’hégémonie du MAS dans le
champ politique bolivien.
Une opposition empêtrée dans ses dilemmes
Les initiatives d’ouverture prises par le MAS ont ainsi affaibli un peu plus
des adversaires politiques déjà divisés et délégitimés. Les contours du projet
politique de la droite sont quant à eux largement limités par les succès
des politiques gouvernementales, si éclatants qu’il devient impossible de
les nier. Ne reste donc à l’opposition que les faux pas de l’administration
Morales pour tenter de se rebâtir un capital politique, comme elle tenta
de le faire lors de la crise du Tipnis. À cette occasion, on put entendre les
principales critiques dont l’exécutif est régulièrement la cible depuis 2010,
tels son inclination productiviste à courte vue ou ses penchants autoritaires. Par ailleurs, le gouvernement est également accusé d’entraver le
fonctionnement des institutions et de ne pas respecter l’indépendance des
pouvoirs. Il est notamment suspecté d’avoir mis sous tutelle le pouvoir
judiciaire depuis la mise en œuvre d’une réforme permettant l’élection
des membres des organes judiciaires au suffrage universel direct, après
une sélection préalable par le Congrès, conformément aux dispositions
de la nouvelle Constitution. Cette défiance s’est exprimée à l’occasion des
premières élections judiciaires, tenues le 16 octobre 2011, lors desquelles
le pourcentage de votes blancs et nuls émis à l’appel de l’opposition s’est
approché de la barre des 50 %, dans un pays où les scrutins sont généralement marqués par des taux de participation très élevés. La controverse
autour de la candidature de E. Morales à l’élection présidentielle de 2014 a
alimenté à son tour les soupçons sur la réalité de la neutralité du pouvoir
judiciaire. À la suite d’un accord entre le MAS et l’opposition, les dispositions transitoires de la nouvelle Constitution interdisaient au chef de l’État
sortant de se porter de nouveau candidat à l’occasion de cette échéance.
Pourtant, le Tribunal constitutionnel a finalement invalidé cette disposition,
jugeant que l’adoption d’une nouvelle Constitution conduisait logiquement à considérer le mandat de 2009-2014 comme un premier mandat.
Toutefois, si les critiques contre le pouvoir exécutif sont nombreuses et
mettent parfois en lumière des dysfonctionnements réels, elles apparaissent
souvent comme le seul « programme » d’une droite peinant à s’imposer
comme une alternative crédible à E. Morales.
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Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 45
À ces difficultés s’ajoute un dilemme d’ordre stratégique : faut-il ou
non une candidature unique afin de contraindre a minima E. Morales
à un second tour, ce qui semble être la seule ambition que la droite
puisse avoir ? Une telle perspective est rendue compliquée par les
multiples clivages qui traversent l’opposition. Parmi ceux-ci, le clivage
régional est le plus significatif. La stratégie du « retrait vers le local »,
qui apparaît dès 2005 comme une arme efficace pour endiguer l’expansion électorale du MAS, a largement conduit l’ensemble de la droite
à négliger tout projet de dimension nationale. Le clivage politique
a également un rôle fondamental : ainsi, cette droite achoppe-t-elle
sur la tactique à opposer à l’hégémonie du MAS et de E. Morales.
Au sein de cette famille politique, c’est une opposition radicale à
E. Morales qui s’est longtemps montrée la plus efficace. Incarnée
tour à tour par Jorge « Tuto » Quiroga et Manfred Reyes Villa dans
les Andes, ou Rubén Costas et Leopoldo Fernández en Amazonie,
cette droite dure a longtemps relégué le projet d’« opposition raisonnable » de Samuel Doria Medina, chef d’entreprise et ancien ministre
de l’Économie (1991-1993) à une position marginale dans cet espace
politique. Cependant, la crise politique de 2008, qui a contraint la
droite à normaliser ses relations avec le pouvoir central, a complètement renversé le rapport de force au profit de S. Doria Medina, qui ne
pouvait jusque-là que se prévaloir d’être arrivé en troisième position
lors des élections présidentielles de 2005 et 2009.
C’est du reste S. Doria Medina qui prend l’initiative, à la fin de
l’année 2013, de la constitution d’un front commun, le Front
large (Frente Amplio), afin d’aboutir à une candidature unique de
l’opposition – un front où l’on retrouve des figures liées à l’« ancien
régime » néolibéral, mais aussi d’anciens alliés du MAS comme le
dirigeant indigène Rafael Quispe. Surtout, il obtient le ralliement du
plus important regroupement politique amazonien, le Mouvement
démocrate social (MDS), qui réunit la plupart des dirigeants régionalistes des années 2005-2008, tels le gouverneur de Santa Cruz R. Costas,
ou l’ancien gouverneur du Beni, Ernesto Suárez. Au terme d’une
primaire organisée en avril 2014, S. Doria Medina endosse ainsi le
rôle d’opposant à vocation unitaire, avec un sigle créé pour l’occasion :
Unité démocrate (UD). En choisissant E. Suárez pour compléter son
« ticket » présidentiel, il consolide l’alliance avec les régionalistes de
l’Orient amazonien et s’y assure la mobilisation d’un appareil partisan
au maillage territorial sans égal. Toutefois, cette alliance avec certains
des radicaux d’hier n’a guère influencé la ligne politique du candidat de
l’UD : comme en 2009, S. Doria Medina ne propose pas d’en finir avec
les programmes sociaux gouvernementaux, mais bien de les améliorer,
en privilégiant tout particulièrement la lutte contre l’extrême pauvreté.
De fait, les attaques de S. Doria Medina contre le MAS portent moins
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46 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016
sur le « fond » que sur le « style » de l’action gouvernementale, l’exécutif
étant décrit comme autoritaire, corrompu, inefficace sur le terrain 11 et
complaisant vis-à-vis du narcotrafic 12.
L’initiative unitaire de l’UD n’a toutefois pas permis de regrouper l’ensemble
de la droite bolivienne : J. « Tuto » Quiroga, ancien président par intérim
(2001-2002) et ancien rival de E. Morales lors de l’élection de 2005, se lance
dans la course à la présidence en empruntant le sigle du Parti démocratechrétien (PDC), qui n’était plus qu’une coquille vide, et glane le soutien de
bon nombre de partis qui composaient autrefois l’ossature de la configuration partisane antérieure à 2005 – d’ailleurs, il est à souligner que les
listes du PDC se distinguent de celles proposées par S. Doria Medina
par une présence plus marquée de personnalités étroitement associées à
l’ère néolibérale (Roxana Sandóval, Otto Ritter). J. Quiroga avance un
programme volontiers plus libéral que l’UD en économie, avec la mise en
place d’un système d’actionnariat populaire dans les compagnies publiques,
et plus conservateur sur les questions de société (telle la remise en cause
du caractère laïque de l’État, introduit en 2009). Bien qu’il ne dispose pas
du même réseau militant que par le passé – réseau dont les membres sont
massivement partis à l’UD en Amazonie –, J. Quiroga présente donc un
profil en bien des points similaire à celui qui était déjà le sien en 2005.
Parallèlement à cette offre ancrée à droite, les élections générales de 2014
ont également vu l’émergence d’un espace politique pour des formations se
revendiquant du proceso de cambio (processus de transformation sociale) 13
tout en étant opposées au gouvernement Morales. Parmi elles, le petit
Parti vert (PV) et son candidat Fernando Vargas, indigène issu d’une
communauté du Tipnis et ancien animateur des luttes contre le projet
de route. F. Vargas s’est érigé en trait d’union entre indigènes et paysans
en rupture de ban avec le MAS, écologistes effrayés par le productivisme
du gouvernement, ou militants de gauche estimant que l’administration de E. Morales a « trahi » les mouvements sociaux. Autre candidat se
positionnant dans cet espace, Juan del Granado : l’ancien maire de La Paz
revendique en effet le bilan économique et social d’un gouvernement du
11 . S. Doria Medina s’en est ainsi pris, en juin 2013, à un programme d’action publique consacré
à l’exécution de travaux publics, Bolivia cambia, Evo cumple (La Bolivie change, Evo tient
ses promesses), pourtant réputé pour son efficacité. Le dirigeant de l’UD a dénoncé à cette
occasion les malfaçons ou les retards affectant environ 400 des 4 000 projets d’infrastructures financés dans le cadre de ce programme.
12 . Si la question du narcotrafic en Bolivie demeure un sujet de préoccupation pour la
communauté internationale, elle ne fait plus autant l’objet de controverses sur la scène
politique nationale, et s’avère donc être un argument moins efficace que par le passé pour
attaquer E. Morales en sa qualité de représentant des cultivateurs de coca, responsabilité
qu’il assume encore aujourd’hui.
13 . C’est en ces termes que l’on évoque, dans le langage courant, la période ouverte par le cycle
de protestations antilibérales des années 2000-2005, et poursuivie par l’élection en 2005 de
E. Morales, porte-voix de ces mouvements sociaux au sein des institutions.
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Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 47
MAS avec lequel son parti, le Mouvement sans peur (MSM), a collaboré
de 2005 à 2009, mais rejette catégoriquement l’autoritarisme qui caractériserait aujourd’hui le pouvoir exécutif 14. Le pari du dirigeant du MSM
semble d’autant plus tenable que son parti a réussi à résister au MAS
en 2010 en conservant la mairie de La Paz et en enlevant celle d’Oruro.
En espérant « mordre » sur un électorat urbain, grâce notamment à un
petit appareil partisan présent dans l’ensemble du pays, J. del Granado
compte disposer d’atouts suffisants pour s’imposer comme l’« opposant de
gauche » à E. Morales. Comme le PV, il engrange le ralliement d’anciens
militants du MAS, tel Roberto Coraite, ancien dirigeant syndical paysan.
Comme le suggère ce panorama, la domination du MAS à l’échelle
nationale résulte également de la difficulté éprouvée par l’opposition pour
sortir de la crise dans laquelle elle se trouve plongée depuis 2008, et à s’unir
autour d’un projet commun. C’est dire si la campagne s’annonce sous les
meilleurs auspices pour E. Morales et les siens.
Les élections générales de 2014 : un triomphe pour
le MAS, une impasse pour l’opposition
Au terme de plusieurs mois de tractations, ils sont finalement cinq à être
officiellement intronisés candidats au mois de juillet 2014 : E. Morales
(MAS), S. Doria Medina (UD), J. « Tuto » Quiroga (PDC), J. del Granado
(MSM) et F. Vargas (PV). Toutefois, la campagne à proprement parler
n’enflamme guère l’espace public, tant le suspense entourant l’élection
se limite à savoir si E. Morales sera contraint à un second tour, inédit 15.
Un objectif que seul S. Doria Medina semble en mesure d’atteindre, ce
qui n’a pas manqué de peser sur les campagnes respectives de J. Quiroga
et J. del Granado, chacun sommé en permanence de justifier le maintien
de sa candidature. En réalité, l’enjeu de l’élection est moins de connaître
l’identité du vainqueur du scrutin – qui ne peut être que E. Morales qui,
du reste, refuse de prendre part au moindre débat –, que de savoir si le
processus de recomposition de l’opposition entamé en 2005 finira par
déboucher sur l’émergence d’un leadership incontestable en son sein.
14 . Le MAS et le MSM rompent leur alliance au terme des élections générales de 2009, sur
fond de tensions croissantes entre les deux partis à l’approche des élections municipales et
régionales.
15 . La loi du régime électoral du 30 juin 2010 introduit pour la première fois un 2e tour au
suffrage universel direct pour l’élection du président, autrefois désigné par le Congrès lorsque
la majorité absolue n’était pas atteinte. Pour être élu dès le 1er tour, il faut soit obtenir la
majorité absolue, soit franchir le cap des 40 % des suffrages et compter plus de dix points
d’avance sur le concurrent arrivé en seconde position.
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Tableau 2. Les résultats des élections générales de 2014
Voix
%
Sièges à la Chambre
des députés
Sièges au
Sénat
3 173 304
1 253 288
467 311
140 285
137 240
316 248
5 487 676
61,36
24,23
9,04
2,71
2,65
88
32
10
0
0
25
9
2
0
0
100
130
36
Candidats
Evo Morales (MAS)
Samuel Doria Medina (UD)
Jorge Quiroga (PDC)
Juan del Granado (MSM)
Fernando Vargas (PVB)
Votes nuls ou blancs
Total
Source : Tribunal suprême électoral.
Dans un tel contexte, il est devenu difficile d’imaginer un autre scénario
que celui esquissé par les instituts de sondage 16. De fait, le 12 octobre,
jour du scrutin, le verdict des urnes confirme ces tendances, E. Morales
étant largement réélu avec 61,4 % des suffrages. Dans son sillage, le MAS
l’emporte également et conserve le contrôle du Congrès en obtenant de
nouveau la majorité à la Chambre des députés (88 sur 130) et au Sénat
(25 sur 36) 17. Surtout, E. Morales et les siens réalisent une percée inédite
dans l’Orient amazonien : seul le Beni échappe au raz-de-marée électoral
favorable au MAS, la formation de E. Morales parvenant à faire tomber
dans son escarcelle la région de Santa Cruz, autrefois considérée comme
un bastion imprenable, et ce pour la première fois lors d’une élection
nationale. Si E. Morales perd quelques points par rapport aux 64,1 %
atteints en 2009, cette stabilité apparente cache en fait une évolution significative de la géographie du vote pour le MAS. Dans les régions andines, le
parti connaît en effet une légère érosion et enregistre des pertes de l’ordre
de 10 % dans des départements comme ceux de La Paz, Oruro et Potosí.
Il faut toutefois garder en mémoire que les résultats exceptionnels, autour
de 80 %, obtenus en 2009 étaient en partie le fruit d’un contexte politique
particulier, où l’opposition était affectée par un discrédit sans précédent.
Ces pertes de voix sont en revanche largement compensées par une nette
avancée dans l’Orient amazonien et, au-delà, dans la Media Luna hier
ancrée à droite. Les victoires serrées de 2009 à Chuquisaca et à Tarija
sont confirmées grâce à des résultats en nette amélioration. Surtout, le
MAS remporte son premier succès à Santa Cruz en y frôlant la majorité
absolue (49 %). Malgré une progression de quatre points, en revanche, le
Beni reste à droite et s’impose comme le dernier bastion de la résistance à
E. Morales. Au terme de ce scrutin, l’évidente homogénéisation de la carte
électorale du MAS, autrefois marquée par une véritable césure entre les
16 . Toujours donné en tête à partir d’avril 2014, le candidat Morales est crédité de scores allant
au-delà des 50 % dès le mois d’août.
17 . Le système électoral bolivien est un système mixte à finalité proportionnelle, calqué sur le
modèle allemand.
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Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire Andes et l’Amazonie, semble donc valider les choix stratégiques effectués
par la direction du parti depuis 2009. Par ailleurs, cette homogénéisation
s’accompagne d’une véritable territorialisation du vote puisque le MAS
remporte 49 des 63 circonscriptions en jeu, révélant ainsi une croissante
implantation dans ces territoires hier aux mains de l’opposition.
Résultats des élections générales par département : 2005, 2009 et 2014
2009
2005
2014
do
do
do
Pan
La Pa
ba
m
ba
a
ch
Co
ca
sa
ui
q
hu
Potosi C
Tarija
Régions remportées par E. Morales
Régions remportées par J. Quiroga
ba
m
ba
a
ch
Santa Cruz
Oruro
Beni
La Pa
z
Beni
La Pa
z
Beni
Pan
z
Pan
Co
Oruro
ca
isa
qu
u
Potosi Ch
Tarija
Régions remportées par E. Morales
Régions remportées par M. Reyes Villa
ba
m
ba
a
ch
Santa Cruz
Santa Cruz
Co
Oruro
ca
isa
qu
u
Potosi Ch
Tarija
Régions remportées par E. Morales
Régions remportées par S. Doria Medina
À droite, ces élections valident également les tendances avancées par les
sondages : avec l’arrivée en tête de S. Doria Medina (24,2 %), devant
J. Quiroga (9 %), le renversement du rapport de force entre hardliners et
softliners s’opère pour la première fois au profit des seconds à l’occasion
d’un scrutin national. Cependant, il s’agit d’une victoire à la Pyrrhus pour
S. Doria Medina, dont la deuxième place s’explique surtout par la mobilisation des réseaux de ses alliés amazoniens, et ce alors même que deux
départements ont été perdus. Si la défaite dans le Pando était prévisible
après la perte du gouvernement régional en 2010, la déroute inédite enregistrée à Santa Cruz, en revanche, s’apparente à un véritable camouflet, que
la seule victoire dans le Beni (avec 51,4 %) ne parvient guère à compenser.
Surtout, tout indique que la guerre pour le leadership à droite risque à
nouveau d’éclater lors des prochaines échéances électorales.
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Graphique 4. Les élections générales : 2005, 2009 et 2014
70
64,1
60
50
61,4
53,7
40
30
28,6
26,6
24,2
20
10
9
7,8
5,7
0
2005
Evo Morales
2009
Jorge Quiroga/
Manfred Reyes Villa
2014
Samuel Doria Medina
Source : Tribunal suprême électoral.
À gauche, les résultats sont encore plus calamiteux pour J. del Granado :
avec à peine 2,7 % des voix, l’ancien allié de E. Morales se voit contraint
de hâter sa retraite politique, tandis que son parti, le MSM, est appelé
à disparaître 18. La sentence est identique pour le Parti vert, en dépit du
score honorable de F. Vargas (2,7 % également), qui va jusqu’à devancer
J. del Granado dans son ancien fief de La Paz (4,6 % contre 4 % pour le
candidat du MSM). En dépassant à peine la barre de 5 % des voix à eux
deux, J. del Granado et F. Vargas ont montré à leurs dépens combien
il était délicat, voire impossible à ce jour, de prétendre concurrencer
E. Morales sur ses plates-bandes. Surtout, la perte de la personnalité
juridique de leurs formations respectives prive d’emblée les acteurs de
cet espace politique si particulier, « l’opposition de gauche » à E. Morales,
d’une structure mobilisable à l’occasion des prochains scrutins – ce qui
constitue un véritable obstacle compte tenu du cadre contraignant imposé
par la loi sur les partis politiques.
18 . La loi sur les partis politiques impose aux candidats à des élections générales d’être soutenus
par des partis. Or, ces partis doivent eux-mêmes remplir un certain nombre de critères
(nombre de militants, ressources financières, etc.) afin de pouvoir obtenir une personnalité juridique synonyme d’existence légale. Pour conserver celle-ci, un parti se présentant à
des élections générales doit obtenir au moins 3 % des voix sous peine de devoir verser une
pénalité financière à l’État.
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Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 51
Conclusion
Durant les premières années de gouvernement Morales, il était de coutume
d’évoquer une polarisation politique extrême, cristallisée par une fracture
territoriale entre l’Occident andin et l’Orient amazonien 19. Au risque d’essentialiser un tel clivage et d’en ignorer les ressorts spécifiquement politiques.
Le grand acquis du MAS, lors de ces élections générales, est évidemment
d’avoir étendu un peu plus son hégémonie aux régions de la Media Luna.
Mais on ne peut imputer cette évolution à la seule bonne santé de l’économie
bolivienne, ni même à la seule reconfiguration brutale du champ politique
en 2008. En effet, il convient d’indiquer ici que les élections subnacionales
(régionales et municipales) de mars 2015 ont été marquées par un léger
recul du MAS qui, tout en conservant un grand nombre de régions (5 sur 9)
et de municipalités (225 sur 339), s’avère néanmoins encore incapable de
l’emporter dans les grands centres urbains, où les leaderships locaux lui
résistent encore efficacement, y compris dans les Andes 20.
Pour saisir les ressorts de l’expansion de l’hégémonie du MAS, il faut donc
prendre en compte trois facteurs explicitement politiques : d’abord, le
choix stratégique de la direction du MAS d’ouvrir les portes du parti aux
« adversaires repentis » et d’approfondir ainsi la crise de l’opposition, en
multipliant les alliances sur le terrain. Un choix pragmatique qui n’allait
pas de soi pour une formation qui, autrefois, bâtissait sa crédibilité sur le
fait de ne pas négocier avec les « néolibéraux ». Un choix par ailleurs difficile
tant il engendre de fortes tensions au sein du parti. Si ces alliances sont
néanmoins possibles, et cela constitue le second facteur, c’est aussi parce
qu’une partie significative de l’opposition s’est convaincue qu’elle devrait
composer avec le MAS pour quelques années au moins, et qu’une ligne
politique fondée sur la confrontation pouvait s’avérer fatale à la droite
comme aux groupes sociaux que celle-ci représente. Sur la base de cette
anticipation, une fraction de la droite cherche ainsi à rétablir avec le MAS
la relation qui était la sienne avec les partis qui structuraient la configuration politique antérieure à 2005, lorsque les élites locales amazoniennes
tendaient à se « distribuer » entre les principaux partis afin de se prémunir
contre toute surprise issue des urnes 21. Enfin, le troisième facteur concerne
le cadre institutionnel imposé par les élections générales : la dynamique
de « repli vers le local » qui a découlé de la stratégie autonomiste a conduit
19 . Daniel Dory, « Polarisation politique et fractures territoriales en Bolivie », Hérodote, no 123,
2006, p. 82-87.
20 . Depuis sa fondation, les seules grandes municipalités remportées par le parti de E. Morales
sont Cochabamba, El Alto et Cobija en 2010, puis Potosí et Sucre en 2015 – les villes
précédemment mentionnées ayant été immédiatement perdues au terme d’un seul mandat.
21 . Zéline Lacombe, « Ni syndical, ni politique. Le champ civique comme espace de pouvoir
spécifique du régionalisme crucénien », in Joëlle Chassin et Denis Rolland (dir.), Pour
comprendre la Bolivie d’Evo Morales, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 147-157.
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la droite, historiquement constituée en partis dotés d’une implantation
nationale, à un émiettement devenu structurel, qui oblige l’ensemble de
ces acteurs à renégocier entre eux des alliances conjoncturelles fragiles,
d’élection en élection.
Tout aussi fortes sont les contraintes qui pèsent sur l’« opposition de
gauche », notamment en termes de ressources financières et militantes, et qui
constituent un obstacle de taille à son institutionnalisation dans le champ
politique national. Et ce alors même que cette opposition est d’ores et déjà
parvenue à obtenir d’éclatants succès lors des subnacionales de mars 2015,
lors desquelles le regroupement citoyen Souveraineté et Liberté (SOL.bo),
né sur les cendres encore brûlantes du MSM, a réussi à conserver la mairie
de La Paz et à conquérir le gouvernement régional 22. Il ne faut cependant
pas omettre une variable qui pourrait rendre l’échelon national bien plus
gagnable par ces oppositions à moyen terme : le leadership de E. Morales.
Clé de voûte d’un édifice partisan hétérogène et complexe, le chef de l’État
demeure également le meilleur atout électoral du MAS, ce dont les résultats
des élections générales attestent : alors que l’ensemble des candidats à la
députation présentés par le parti dans les 63 circonscriptions locales ont
rassemblé un peu plus de deux millions de voix (2 203 629) lors de ces
élections générales, le président en a obtenu presque un million de plus
sur son seul nom (3 173 304). L’avenir du MAS, parti pourtant solidement
implanté sur l’ensemble du territoire national, continue à dépendre de la
popularité du président. Un constat qui n’aura guère échappé à l’opposition, qui sait que E. Morales aura besoin d’une réforme constitutionnelle
pour pouvoir briguer un quatrième mandat consécutif en 2019.
BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
John Crabtree, George Gray Molina et Laurence Whitehead (dir.), Tensiones irresueltas.
Bolivia, pasado y presente, La Paz, PNUD Bolivia/Plural, 2009.
Alberto García Orellana, Fernando García Yapur et Marizol Soliz Romero (dir.), MAS
legalmente, IPSP legítimamente. Ciudadanía y devenir Estado de los campesinos indígenas en
Bolivia, La Paz, PIEB/PNUD Bolivia, 2014.
Pablo Stefanoni, « Posneoliberalismo cuesta arriba. Los modelos de Venezuela, Bolivia y
Ecuador en debate », Nueva Sociedad (Buenos Aires), n° 239, 2012, p. 51-64.
María Teresa Zegada Claure, « El rol de la oposición política en Bolivia (2006-2009) »,
in A. García Orellana et F. García Yapur (dir.), Mutaciones del campo político en Bolivia,
La Paz, PNUD Bolivia, 2010, p. 151-239.
22 . Introduit dans la Constitution en 2004, le regroupement citoyen consiste en une forme
juridique de représentation politique plus souple que le parti, admise pour tous les scrutins
à l’exception des élections générales.
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Bolivie : la réélection d’Evo Morales, le triomphe d’un protestataire devenu gestionnaire ❮ 53
■■ Déjà publié sur la Bolivie
• Les grands chantiers de la Bolivie d’Evo Morales
Laurent Lacroix
Édition 2013, collection « Mondes émergents »
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Les élections de 2014 et 2015 au Salvador : polarisation partisane, nouveaux comportements électoraux ❮ 55
Les élections de 2014 et 2015
au Salvador : polarisation
partisane, nouveaux
comportements électoraux
D A V I D G A R I B AY
Professeur des universités en science politique
à l’Université Lumière Lyon 2, Triangle
Au Salvador, l’accord de paix de 1992 a mis fin à douze ans de guerre
civile. La négociation de ce texte a conduit à une réduction des effectifs
de l’armée, à une démobilisation de la guérilla, à la mise en place de
programmes de réinsertion et à des réformes institutionnelles. Du point
de vue militaire, la démobilisation a eu effectivement lieu et il n’y a eu ni
reprise des hostilités, ni instauration d’un climat de violence politique. Le
bilan social est beaucoup plus mitigé. Les programmes de reconstruction
et de réinsertion ont très vite manqué de financements. Ces difficultés
se sont ajoutées à une situation sociale et économique difficile, avec des
niveaux de pauvreté très élevés. Par ailleurs, pendant l’après-guerre, une
forme de violence dite sociale ou quotidienne s’est développée de manière
très importante, avec en particulier l’apparition des maras, groupes de
jeunes fort violents qui vivent de l’extorsion. Le pays connaît ainsi des
taux d’homicides extrêmement élevés. Toutefois, du point de vue politique
et institutionnel, les accords de paix ont mené à la mise en place d’une
démocratie remarquable : les acteurs (gouvernement et guérilla) qui étaient
hier des ennemis militaires sont devenus des adversaires politiques, et la vie
partisane est aujourd’hui construite autour d’une forte polarisation entre la
gauche et la droite, sans que pour autant ce clivage fort ait conduit à une
remise en question de la stabilité des institutions démocratiques.
En 1994, date des premiers scrutins organisés après la signature de la paix,
le parti au pouvoir, Alianza Republicana Nacionalista (Arena) l’emporte
largement tant lors de l’élection présidentielle que des élections législatives. La création de ce parti, dans les années 1980, a marqué l’évolution
de certains secteurs de la droite nationaliste et entrepreneuriale. Adepte au
début du conflit armé de la mise en œuvre d’une stratégie anti-insurrectionnelle, en particulier par l’intermédiaire des Escadrons de la mort dont elle
était proche, celle-ci a en effet choisi ensuite de jouer le jeu institutionnel.
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Parvenue au pouvoir en 1989, Arena incarne alors une droite néolibérale,
proche de Washington, mais dont les dirigeants, pragmatiques, acceptent
la possibilité de négocier avec la guérilla. De son côté, la guérilla du Frente
Farabundo Marti para la liberación nacional (FMLN) est une organisation
politico-militaire qui rassemble des groupes d’extrême gauche aux orientations idéologiques diverses. Devenu parti politique, le FMLN parvient à
conserver son unité, en dépit de tensions internes. Ainsi, à de nombreuses
reprises, des dirigeants et des militants, en désaccord avec la direction,
quittent le parti. Mais ces dissidents ne parviennent pas à constituer une
formation concurrente et beaucoup d’entre eux abandonnent la politique.
Le FMLN élabore un programme politique qui affirme la continuité avec
l’organisation révolutionnaire qu’il était tout en s’inscrivant dans une ligne
économique plutôt modérée. L’affirmation selon laquelle l’État doit mettre
en œuvre une politique keynésienne classique apparaît néanmoins comme
très radicale face au programme ouvertement néolibéral de son adversaire
de droite 1. Les deux formations restent très marquées, dans leur imaginaire
et leur culture partisane, par la mémoire de la guerre et de leur opposition
armée : les campagnes électorales constituent en particulier un moment
où réapparaissent les slogans martiaux de la guerre civile.
Entre 1994 et 2009, l’équilibre entre les deux forces est plutôt stable : l’un
et l’autre des deux partis peuvent compter sur un électorat fidèle et dont
l’importance est comparable (autour de 35 % des voix chacun). Toutefois,
Arena est en mesure d’attirer un électorat plus large lors des élections
présidentielles et l’emporte avec une marge appréciable, d’autant que les
candidats choisis ne sont pas des dirigeants historiques du parti et peuvent
présenter un profil assez nouveau, reflétant ainsi une prise de distance par
rapport aux années de la guerre civile (Francisco Flores en 1999, Tony
Saca en 2004). De son côté, le FMLN remporte des succès probants aux
élections municipales, en particulier dans les grandes villes, tout en restant
dans l’opposition. La gestion de la capitale, San Salvador, et de nombreuses
villes de sa périphérie, dès 1997, constitue une vitrine pour ce parti, qui
innove en mettant en œuvre des politiques participatives 2.
1 . Pour une analyse de l’évolution du FMLN depuis la fin de la guerre civile, dans une perspective comparée avec le reste de la région, voir Martí Salvador, “The Central American Left”
in S. Martí, Diego Sánchez-Ancochea, Handbook of Central American governance, London,
New York, Routledge, 2014.
2 . D. Garibay, « La diffusion des modèles de démocratie participative au niveau local au
Salvador », Participations, 2015/1, no 11.
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Les élections de 2014 et 2015 au Salvador : polarisation partisane, nouveaux comportements électoraux ❮ 57
2009 : le FMLN au pouvoir… ou presque
Mais les élections de 2009 et, surtout, le scrutin présidentiel marquent
un tournant. Les élections législatives et municipales ont lieu en janvier 3.
Aux législatives, la progression de l’ancienne guérilla est notable. Avec
42 % des voix et 35 députés sur 84, le FMLN obtient son meilleur résultat
depuis 1994 et le groupe parlementaire le plus important. Arena (38 % des
voix) obtient 32 élus. Toutefois, comme lors des législatures précédentes,
les petits partis sont indispensables pour pouvoir constituer des majorités
et, avec 11 sièges, le Partido de Conciliación Nacional (PCN, ancien parti
des militaires, incarnant une droite traditionnelle et aujourd’hui construit
autour de quelques figures exerçant des leaderships locaux) devient un
pivot : l’un ou l’autre des deux partis dominants ont besoin de lui pour
obtenir une majorité. Aux élections municipales, le FMLN gagne une
trentaine de nouvelles mairies, mais perd San Salvador, qu’il administrait
depuis 1997, et sept villes de l’aire métropolitaine. Figure importante
d’Arena, Norman Quijano l’emporte dans la capitale, avec 49,8 % des
voix contre 46,5 % pour le candidat du FMLN. La perte de la capitale
par l’ancienne guérilla était annoncée par une longue crise interne au
sein des instances locales du parti – deux des maires antérieurs (Hector
Silva de 1997 à 2003 et Carlos Rivas de 2003 à 2006) ayant tous deux
achevé leur mandat alors qu’ils étaient en conflit ouvert avec leur propre
parti. Mais il est aussi possible de relier cette défaite aux évolutions de la
composition socio-économique de la capitale, dont la population rajeunit
et où les classes moyennes se développent. La région métropolitaine, et en
particulier les villes à l’habitat plus populaire de la banlieue, a formé historiquement le bastion électoral du FMLN. En cela, les défaites essuyées dans
de nombreuses villes sont plus préoccupantes pour le parti car elles rendent
compte des difficultés que rencontre cette formation en matière de gestion
locale et de renouvellement des réseaux militants. Les résultats des législatives placent toutefois le FMLN en position de force dans la perspective de
l’élection présidentielle. Néanmoins, cette victoire électorale est marquée
par une participation faible (51,9 %). Pour l’élection présidentielle, où la
participation est plus forte, le FMLN peut certes compter sur un socle
électoral fidèle, mais il a jusque-là peiné à rallier de nouveaux électeurs.
3 . Au début de la décennie 1980, des élections sont mises en place avec un calendrier différent
pour les législatives et les municipales (tous les 3 ans à partir de 1982) et présidentielles (tous
les 5 ans à partir de 1984). Ces élections ont donc lieu la même année tous les 25 ans (1994,
2009, 2024, etc.). Les élections législatives sont organisées sur la base de circonscriptions qui
correspondent aux 14 départements du pays. Le mode de scrutin proportionnel au plus fort
reste ainsi que l’existence d’un nombre important de circonscriptions qui élisent un nombre
réduit de députés garantissent une représentation au parti tiers.
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Tableau 1. Résultats des élections présidentielles
2004
voix
Inscrits
2009
%
3 442 330
voix
2014
%
4 294 849
1er tour
voix
2e tour
%
voix
%
4 955 107
Suffrages exprimés/Taux
2 277 473
de participation
66,2
2 638 588
61,4
2 689 204
54,3
2 985 266
60,25
FMLN
812 519
35,7
1 354 000
51,3
1 315 768
48,9
1 495 815
50,1
Arena
1 314 436
57,7
1 284 588
48,7
1 047 592
39,0
1 489 451
49,9
150 518
6,6
Gana
Autres
307 603
11,4
18 241
0,7
Les deux seuls candidats à se présenter à la présidentielle sont ceux d’Arena
et du FMLN. Après avoir exercé la magistrature suprême durant vingt
ans, Arena est marquée par une usure du pouvoir. Les choix économiques
(adoption du dollar comme monnaie nationale, ouverture commerciale,
appui aux industries d’assemblage) ne se traduisent pas par une croissance
soutenue. Le gouvernement semble incapable d’enrayer la violence sociale.
Le candidat Rodrigo Avila est une figure classique du parti. Le choix
d’investir le ministre de l’Intérieur sortant est à double tranchant, car si cela
est conforme avec les thématiques centrales du parti sur une ligne répressive
contre la violence, R. Avila va également souffrir du fait qu’il est accusé de
ne pas avoir pu contrer l’insécurité. Inversement, le FMLN fait un choix
notable, celui d’un candidat qui n’est pas un de ses membres historiques.
Cette décision est le résultat de l’analyse des élections précédentes et de
l’échec de candidats issus du parti, mais s’explique aussi par le fait que
les autres candidats potentiels étaient a priori peu nombreux. Le décès
de Shafick Hándal, dirigeant historique de la guérilla, en janvier 2006, a
privé le FMLN à la fois d’une de ses figures les plus visibles et de l’un des
plus fervents opposants à une candidature extérieure. Le FMLN sollicite
Mauricio Funes, journaliste, considéré comme une voix indépendante et
critique. Ce dernier forme un « ticket » avec l’un des derniers dirigeants
historiques du FMLN encore en vie, Salvador Sanchez Cerén. À l’issue
d’une campagne où sont mises en avant les thématiques du changement,
le FMLN l’emporte, toutefois avec une marge bien plus étroite que ne
l’annonçaient les sondages (51,3 % des voix). Pour la première fois dans
l’histoire du pays, un candidat présenté par le FMLN gagne donc l’élection
présidentielle. Plus largement, c’est le premier candidat présenté par un
parti de gauche à s’imposer au Salvador depuis les années 1930. M. Funes
a su, par-delà la base militante du FMLN, séduire un électorat plus large.
L’équipe de campagne puis par la suite la composition du gouvernement
reflètent toutefois une union hétérogène entre, d’une part, la direction du
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parti, capable de mobiliser sa base militante, et, d’autre part, le candidat
devenu président, entouré d’un groupe de cadres, au profil plutôt technocrate, provenant surtout des classes moyennes intellectuelles et qui vont
occuper des positions stratégiques. Ce groupe est un réseau informel
surnommé Los amigos de Mauricio (Les amis de Mauricio) mais qui jouit
d’une forte visibilité, du fait des trajectoires professionnelles de ses membres
et de leurs liens importants dans le pays et à l’étranger, notamment dans
les réseaux de la coopération internationale – les personnes qui constituent
ce groupe ont pu être proches de la guérilla pendant la guerre civile, mais
sans en être membres 4. Toute la présidence de M. Funes est marquée par
cet équilibre précaire entre ces deux composantes, qui ne s’entendent pas,
ne partagent ni la même vision, ni la même culture politique et militante,
mais cohabitent et ont besoin l’une de l’autre. La direction du parti souhaite
mettre en œuvre des politiques marquées à gauche, en particulier au niveau
social, et rendre visible un engagement international proche de la gauche
radicale latino-américaine, à partir des ministères chargés des questions
sociales, où sont les dirigeants du parti, et en s’appuyant aussi sur le groupe
parlementaire. Le ministre des Relations extérieures, Hugo Martinez,
dirigeant du FMLN, mais longtemps opposant interne à la direction,
incarne une ligne intermédiaire. Ceux qui sont proches du président
occupent plutôt les ministères économiques et suivent une ligne centriste,
plus soucieuse de l’image et de l’attractivité du pays auprès des organismes
internationaux et des investissements étrangers, et cherchent à maintenir
de bonnes relations avec le secteur privé. Le bilan de la présidence est le
résultat de cette relation souvent tendue.
Les grandes orientations économiques des gouvernements précédents ne
sont pas remises en cause. La dollarisation, fortement contestée par le
FMLN quand il était dans l’opposition, est maintenue, de même qu’une
politique de promotion active de l’entreprise privée et des investissements
étrangers. Par contre, le gouvernement accroît de manière significative
les dépenses publiques, en ayant recours à l’endettement, et met en place
d’importants programmes sociaux, en particulier en matière de lutte contre
la pauvreté. Des mesures sont ainsi prises pour faciliter l’accès aux soins,
en contrôlant le prix des médicaments, ou pour inciter les populations les
plus pauvres à scolariser leurs enfants grâce à une distribution de fournitures et d’uniformes scolaires et au subventionnement des repas pris dans
les écoles. Les programmes en faveur des femmes font l’objet d’un soin
attentif, avec la construction d’une infrastructure dédiée (Ciudad Mujer),
4 . Pour une analyse des modes de reconversion d’une partie des anciens cadres du FMLN, voir
Benjamin Moallic, « La reconversion militante des acteurs politico-militaires : une remobilisation ambiguë au lendemain des guerres internes (Nicaragua-Salvador) », Cahiers des Amériques
latines, 2010, no 60-61, p. 59-76 et B. Moallic, « Victoire des anciens révolutionnaires ou
ascension d’un nouveau personnel politique ? Les réaménagements de l’espace politique
salvadorien après les élections de 2009 », Problèmes d’Amérique latine, 2010, 78, p. 113-129.
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à l’extérieur de la capitale, avec un ensemble de programmes destinés à
aider les femmes, du point de vue social et économique.
Les résultats économiques pour l’ensemble du mandat sont globalement
satisfaisants, le Salvador ayant retrouvé un taux de croissance de 2 % en
moyenne par an après avoir été fortement affecté par la crise mondiale
de 2008. Mais le pays continue à être très largement dépendant des
transferts familiaux envoyés par les migrants installés aux États-Unis. Les
effets couplés de ces remesas et des politiques sociales ciblées ont néanmoins
eu pour conséquence de diminuer la proportion de la population au-dessus
d’un seuil de pauvreté établi à un revenu de 2,50 dollars par jour. Cette
proportion est passée de 20,2 % en 2008 à 15,1 % en 2013, selon les
données de la Banque interaméricaine de développement (BID). Toutefois,
cette évolution est à peu près équivalente à celle de l’ensemble de la région
latino-américaine.
Quelques actions fortement symboliques sont prises au niveau international (reprise des relations avec Cuba, reconnaissance de l’État de Palestine)
mais sans un véritable rapprochement avec le Venezuela ou le Nicaragua.
Lors de la crise hondurienne, le gouvernement condamne très vivement
le coup d’État perpétré contre Manuel Zelaya en juin 2009. Mais il se
range derrière les États-Unis et les organisations régionales (l’Organisation des États américains, OEA), en reconnaissant le président issu des
élections organisées fin 2010, alors même que la légitimité de ce scrutin
est contestée par les partis et les mouvements de gauche de l’ensemble de
la région. Le Salvador est parmi les premiers à demander la réintégration
du Honduras dans les instances d’intégration régionales. Il maintient de
même des relations avec Taïwan, héritage de la Guerre froide. Le gouvernement donne une impulsion forte à l’intégration centraméricaine, mais de
manière assez classique, sans un affichage radical ou progressiste, préférant
le renforcement des liens politiques et économiques entre les pays de
l’isthme centraméricain, indépendamment de l’orientation de leur gouvernement, à celle impulsée par le Venezuela autour de l’Alba 5. La gestion de
l’aide vénézuélienne illustre la recherche de l’équilibre poursuivie par le
gouvernement : les municipalités administrées par le FMLN constituent
une entreprise mixte (Alba Petroleos), qui a accès au pétrole vénézuélien,
distribue de l’essence bon marché et finance également des programmes
sociaux locaux. L’État ne fait pas partie de ce montage, mais les ministres
membres du FMLN l’appuient ouvertement.
Enfin, sur la question de la sécurité, le gouvernement s’inspire dans un
premier temps de mesures plutôt axées sur la prévention, expérimentées
5 . K. Parthenay, « La gauche centraméricaine et le renforcement de l’intégration sociale centraméricaine », in Olivier Dabène, La gauche en Amérique latine, 1998-2012, Paris, Presses de
Sciences Po, 2013.
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au niveau municipal 6. Toutefois, ces programmes ne parviennent pas à
réduire l’insécurité. C’est par une mesure ambiguë et longtemps tenue
secrète que le gouvernement va obtenir des résultats dans ce domaine :
en 2012, un accord conclu avec les principaux dirigeants des maras prévoit
une amélioration des conditions de détention pour ceux d’entre eux qui
sont détenus en échange d’une réduction du recours à la violence de la
part de ces groupes. Cette « trêve » a des résultats directs sur la réduction
du nombre d’homicides, une grande partie d’entre eux s’expliquant par
les actions des maras, en particulier les affrontements entre bandes rivales.
Le taux d’homicides qui se situait aux alentours de 70/100 000 dans les
années 2009 à 2011 baisse et atteint environ 40/100 000 en 2012. Une
fois connu, cet accord est fortement critiqué par Arena. D’autant que ses
effets sont limités dans le temps : les niveaux d’homicides augmentent à
nouveau à partir de 2014.
En dépit de ces résultats contrastés, l’ensemble du gouvernement bénéficie
d’une certaine cote selon les enquêtes d’opinion réalisées à la fin du mandat
et M. Funes conserve, en particulier, une popularité élevée.
Pendant cette période, Arena découvre avec difficulté le statut de parti
d’opposition. Sa défaite est suivie de vifs débats internes. Un secteur
important, dirigé par l’ancien président T. Saca, décide de quitter la
formation et de former un nouveau parti, Gran Alianza Nacional
(Gana). Près d’un tiers des députés du groupe parlementaire d’Arena le
suivent. L’impact est très fort au sein d’une organisation jusque-là solide.
Parallèlement, une enquête judiciaire vise à partir de septembre 2013
l’ancien président F. Flores, qui est par ailleurs le directeur de campagne
du parti pour l’élection de 2014 – il est accusé de détournement de fonds
et de corruption dans une affaire liée à la gestion de dons provenant de la
coopération taïwanaise. Son attitude contribue à affaiblir son image, car il
cherche dans un premier temps à fuir la justice. Il se rend finalement aux
autorités, et est mis en examen en mai 2014. Là encore, l’effet est important,
car il s’agit du premier président salvadorien inculpé pour corruption. La
direction du parti, gênée par cette affaire, tente d’en minimiser la portée
et entend couvrir son dirigeant.
6 . Louise Bosetti, Nordine Lazreg, « Le FMLN au pouvoir au Salvador. La difficile invention
d’une sécurité de gauche », in O. Dabène, La gauche en Amérique latine 1998-2012, op. cit.
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2014 : l’élection que le FMLN a failli gagner
au premier tour et perdre au second
La campagne pour l’élection présidentielle de 2014 reflète les tensions
existant entre le président et le FMLN 7. Confiant dans sa popularité,
M. Funes entend peser sur les débats, alors que la réélection est prohibée
et que la Constitution interdit au président en exercice de prendre part
à la campagne électorale. C’est lui qui, à l’occasion d’un programme de
télévision, et alors que la campagne a commencé, accuse directement son
prédécesseur d’être corrompu. L’intervention est diversement appréciée,
et la droite lui reproche de sortir de son rôle présidentiel. Mais M. Funes
cherche aussi à prendre ses distances avec le FMLN et envisage un temps
d’appuyer un autre candidat. II ne parvient cependant pas, finalement,
à imposer une ligne autonome, et soutient le candidat du FMLN : son
appui se concrétise par la présence très remarquée dans les meetings de
campagne de son épouse, Vanda Pignato, responsable des politiques de
développement social et en particulier du programme Ciudad Mujer.
Le FMLN met un terme à sa stratégie d’alliance. S. Sanchez Cerén s’impose
comme le candidat naturel. Il choisit comme candidat à la vice-présidence
Oscar Ortiz, le charismatique maire de Santa Tecla, ville importante de
l’agglomération de la capitale – membre du FMLN, celui-ci avait un
temps incarné une forme d’opposition interne à la direction du parti et
n’avait pas de fonctions dans le gouvernement sortant. Tout en étant issu
du parti, ce tandem cherche à représenter deux générations de dirigeants,
celle issue de la direction historique de la guérilla et celle, plus jeune, qui,
tout en ayant participé à la lutte armée, a construit sa légitimité politique
dans des mandats électoraux locaux.
Arena présente N. Quijano, le maire de San Salvador, qui tire parti de sa
popularité comme élu local et met en avant les thématiques classiques de
sa formation pour restructurer un parti affaibli par les tensions internes.
Il avait réussi, en 2012, à être réélu lors des municipales, avec 63 % des
voix. Il oriente dans une grande mesure sa campagne sur la question de
l’insécurité. La rhétorique anticommuniste, qui est au cœur de l’identité
partisane d’Arena, est largement mobilisée et actualisée à partir des liens
supposés entre le FMLN et le Venezuela.
7 . Pour une analyse de l’élection de 2014, voir Alvaro Artiga, « El sistema electoral puesto a
prueba », Estudios centroamericanos, 69, 736, 2014 ; Nivaria Ortega, « El Salvador, retos a los
partidos politicos », Revista de ciencia política, Santiago, 34, 1, 2014 ; Erica Guevara, Eduardo
Malpica, « Salvador. Les élections présidentielles de 2014 : les défis de la continuité », in
O. Dabène, (dir.), América Latina Observations électorales, Paris, Opalc, 2015 (http://www.
sciencespo.fr/opalc/sites/sciencespo.fr.opalc/files/LAOE%202013-14_0.pdf ).
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De son côté, T. Saca, dirigeant du nouveau parti Gana, se présente comme
le « troisième homme » de la campagne, à l’écart de la polarisation entre
Arena et le FMLN, sous l’étiquette du Mouvement de l’unité.
Le FMLN fait habilement campagne sur les acquis de la présidence sortante,
et en particulier les politiques sociales que celle-ci a menées, tout en inscrivant les résultats de ces politiques à son seul crédit et à celui de son candidat.
Cela porte d’autant plus ses fruits que les politiques les plus visibles et
les plus appréciées par la population dans les enquêtes d’opinion 8 sont
celles qui concernent la distribution de matériel scolaire. Or, S. Sanchez
Cerén a cumulé au sein du précédent gouvernement les fonctions de
vice-président et celles de ministre de l’Éducation. Cette campagne fondée
sur les réalisations d’une présidence finalement assez modérée réduit la
portée des thématiques anticommunistes de la campagne d’Arena quant
au danger que représenterait le FMLN au pouvoir. S. Sanchez Cerén,
âgé de 70 ans au moment de l’élection, incarne davantage un patriarche
bienveillant qu’un dangereux chef de guerre.
Pendant toute la campagne, les enquêtes montrent que les citoyens sont
bien plus préoccupés par les questions de violence et de délinquance que
par les questions sociales et économiques – cela est le reflet à la fois de la
détérioration de la situation en matière d’insécurité du fait de la fin de
l’accord avec les maras, mais aussi d’une amélioration globale de la situation
économique et d’une forme de réussite des politiques sociales du gouvernement Funes. Quant aux prévisions, les sondages sont contradictoires,
certains donnant une légère avance au FMLN, d’autres mettant les deux
principaux candidats à égalité. Mais aucun ne prévoit le résultat à venir.
Au soir du premier tour (2 février), dans un contexte de participation
relativement faible (54 %, en recul de 7 points par rapport à 2009), non
seulement le FMLN est très largement en tête, avec 10 points d’avance
sur Arena mais, surtout, il obtient 48,9 % des voix – il rate l’élection dès
le premier tour à 1 point de pourcentage (30 000 voix). Avec 38,9 % des
voix, N. Quijano obtient un résultat décevant, le plus faible obtenu par
un candidat d’Arena depuis 1994. T. Saca (11,4 %) est très largement
distancé : s’il a réussi à capter une partie de l’électorat d’Arena, il échoue
à incarner une alternative aux deux grands.
L’entre-deux tours constitue pour les deux partis principaux une période
d’intense mobilisation. Même s’il a frôlé la victoire au premier tour, le
FMLN ne dispose pas de réserves de voix et doit par conséquent compter
sur les abstentionnistes. N. Quijano s’adresse directement aux électeurs de
8 . Dans les enquêtes d’opinion sur le bilan du gouvernement Funes, la politique éducative est
considérée comme constituant la principale réussite, très loin devant toutes les autres mesures.
Voir IUDOP, Boletín de prensa, 28, 3, 2014 (http://www.uca.edu.sv/publica/iudop/archivos/
boletin4_2014.pdf ).
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T. Saca pour vaincre celui qu’il présente comme leur adversaire commun ; il
entend également mobiliser les électeurs qui n’ont pas participé au premier
tour, pensant qu’ils lui seront en majorité favorables. Si, cette fois-ci,
les sondages vont tous dans le même sens, leurs prévisions vont s’avérer
erronées. Ils annoncent tous une large victoire du candidat du FMLN, avec
une marge de 10 points. Or, au soir du 9 mars, et avec une participation
en forte hausse (60,2 %, plus 6 points) les autorités électorales déclarent
qu’un premier décompte donne le FMLN légèrement en tête, mais que le
résultat est trop serré pour pouvoir désigner officiellement un vainqueur,
et elles recommandent aux candidats de ne pas faire de déclaration sur
le résultat. Les deux candidats se proclament cependant victorieux, dans
un contexte très tendu. Dans un discours aux tonalités particulièrement
martiales, N. Quijano revendique la victoire et en appelle à l’armée pour
faire respecter le suffrage et éviter une fraude de la part du FMLN qui
conduirait le pays à une situation « à la vénézuélienne ». Plus prudent, et
sur un ton beaucoup plus conciliateur, S. Sanchez Cerén cale ses déclarations sur les annonces des autorités électorales.
Dans la semaine qui suit le scrutin, les autorités confirment officiellement
la très courte victoire du candidat du FMLN, qui l’emporte avec 50,11 %
des voix, et seulement 6 364 voix d’avance sur son concurrent. Ce n’est pas
la première fois que, au Salvador, des élections se soldent par un résultat
très serré : en 2009, lors des élections municipales, dans la capitale, le
FMLN l’avait emporté avec 54 voix d’avance sur plus de 144 000 suffrages
exprimés (soit 0,04 %). Mais c’est la première fois qu’un scrutin présidentiel présente cette particularité.
La marge très étroite qui sépare les deux candidats conduit Arena à dénoncer
des fraudes. Ce parti saisit la justice électorale et la Cour suprême pour
demander le recompte des bulletins et l’annulation de l’élection : comme
souvent à l’occasion des élections salvadoriennes, le dépôt de plaintes
s’accompagne de manifestations, vives, bruyantes et parfois violentes, devant
les tribunaux compétents. Les observateurs électoraux ont néanmoins tous
signalé que l’élection s’était déroulée dans le calme, dans des conditions
correctes 9. À l’issue des opérations de vérification, le FMLN est proclamé
vainqueur. L’ambassade des États-Unis, jusque-là très discrète, intervient
alors pour reconnaître la victoire de S. Sanchez Cerén. Et, malgré les
déclarations martiales de son candidat le soir de l’élection, la direction
d’Arena accepte le résultat.
Les résultats du deuxième tour expriment de manière éclatante la polarisation entre les deux principaux partis. Une comparaison rapide des résultats
entre les deux tours montre que les deux partis ont été en mesure de capter
9 . Voir par exemple le rapport de l’OEA (http://www.oas.org/es/sap/deco/MOE_informe/
InformeVerbal_El_Salvador.pdf ).
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Les élections de 2014 et 2015 au Salvador : polarisation partisane, nouveaux comportements électoraux ❮ 65
de manière à peu près égale les 300 000 nouveaux électeurs qui se sont
déplacés pour le deuxième tour, contrairement aux calculs du candidat
d’Arena. Au vu du positionnement idéologique des candidats et de la
forte polarisation, il est très vraisemblable que les électeurs des candidats
éliminés au premier tour, tous de droite, ont voté pour Arena au deuxième
tour. Or, si on ajoute les voix obtenues par Arena et par les trois autres
candidats au premier tour, on constate que, par rapport à ce potentiel de
voix « à droite », N. Quijano ne progresse que de 116 000 voix. Le FMLN
progresse quant à lui de 180 000 voix 10.
Toutefois, les bastions électoraux des deux partis évoluent : on ne retrouve
plus les zones traditionnelles d’influence de l’un ou l’autre des partis.
Arena l’emporte dans les trois départements les plus peuplés du pays (San
Salvador, La Libertad, Santa Ana). Dans l’ensemble de l’aire métropolitaine de la capitale, où résident 36 % de la population du pays, le candidat
d’Arena rassemble 51,4 % des voix. À San Salvador, Arena est largement
en tête (55 %), de même, résultat plus surprenant, qu’à Santa Tecla, la ville
qui avait été dirigée par O. Ortiz, pourtant candidat à la vice-présidence
(55 %). Dans les villes plus populaires de l’aire métropolitaine où le FMLN
l’emportait aisément par le passé mais où il a été battu lors des municipales
de 2012, l’avance de l’ancien dirigeant de la guérilla n’est pas très marquée
(par exemple 52,3 % à Soyapango ou 53,4 % à Mejicanos). En revanche,
le FMLN l’emporte avec une grande avance dans la ville de San Miguel
(60 %), alors même que celle-ci est gouvernée par un dirigeant local solidement implanté depuis quatre mandats grâce à des logiques clientélistes, et
qui a été membre de plusieurs partis de droite.
Tableau 2. Résultats des élections législatives, en nombre de sièges (total : 84)
FMLN
Arena
2003
2006
2009
2012
2015
31
32
35
31
31
34
32
33
35
11
11
Gana
PCN
10
11
6
6
Autres
8
6
3
1
Les élections législatives et municipales de mars 2015 constituent le premier
test électoral pour le gouvernement Sanchez Cerén, à peine un an après
la présidentielle. Comme dans toutes les élections organisées en cours de
mandat, elles sont une étape difficile à franchir pour le pouvoir en place. La
surprise n’est toutefois pas venue des résultats en tant que tels, mais plutôt
de l’incapacité des autorités à les annoncer rapidement. Comparées aux
10 . Il faudrait bien sûr une enquête sortie des urnes pour pouvoir vérifier cette analyse et en
particulier confirmer le report des voix d’un tour à l’autre.
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autres pays de la région, les autorités électorales salvadoriennes sont pourtant
plutôt reconnues pour leur efficacité dans l’organisation du vote, dans le
dépouillement et l’annonce des résultats. De nombreuses améliorations ont
été progressivement apportées à propos de la tenue du scrutin, en suivant
les recommandations des différentes missions d’observation électorale. Le
nombre de bureaux a été accru afin de permettre l’inscription des électeurs
dans des bureaux proches de leur domicile. De même, le vote préférentiel
a été mis en place en 2012, les électeurs pouvant modifier, dans une liste,
l’ordre des candidats présentés par les partis – cette préférence étant prise en
compte dans l’attribution des sièges. Trois innovations ont été introduites
en 2015. Pour les deux élections, un quota de genre est mis en place et
fixé à un minimum de 30 % de femmes (le FMLN était jusque-là le seul
parti à avoir institué un tel quota dans ses propres listes) 11. Aux élections
législatives, les électeurs ont désormais la possibilité de voter soit pour une
seule liste (liste bloquée), soit pour une liste mais en modifiant l’ordre
(vote préférentiel), soit pour des candidats de différentes listes (modalité
dite du voto cruzado, ou panachage). Aux élections municipales, l’élection
prévoit pour la première fois la répartition proportionnelle de l’ensemble
des sièges du conseil. Avant cette élection, le parti arrivé en tête gagnait
tous les sièges du conseil – le Salvador était le dernier pays d’Amérique
latine à conserver ce système qui privait l’opposition de représentation.
Désormais, le parti victorieux remporte les mandats exécutifs (maire et
premier adjoint) et le reste du conseil est réparti à la proportionnelle.
Toutefois, ces nouvelles modalités rendent le décompte des voix particulièrement complexe, notamment pour les élections législatives 12. À cette
complexité nouvelle s’est ajouté le fait que les autorités électorales ont
sous-traité l’annonce des résultats préliminaires (un décompte rapide mené
à partir de certains bureaux pour permettre une annonce des résultats dans
les heures qui suivent la clôture du scrutin) à une entreprise qui… n’existait pas. Aucun résultat n’est donc proclamé dans les jours qui suivent le
scrutin et le dépouillement final ne se termine que plus de trois semaines
après l’élection et au milieu d’une large confusion.
Toutefois, pour ce qui est des résultats eux-mêmes, les élections confirment l’évolution des tendances apparues lors de l’élection présidentielle.
Les deux partis principaux sont au coude-à-coude, cette fois-ci avec un
avantage pour Arena, qui obtient 35 députés, le FMLN en remportant 31.
11 . Voir D. Garibay, « La promotion de la participation politique des femmes : expériences
salvadoriennes », in David Paternotte, Nora Nagels (dir.), Imaginer la citoyenneté, Bruxelles,
Bruylant, 2013.
12 . D’autant que les autorités électorales décident qu’en cas de vote croisé, la voix représentée
par le bulletin est divisée en autant de parts qu’il y a de sièges dans la circonscription. Ainsi,
dans le département de San Salvador, pour lequel il y a 24 sièges, le fait de cocher le nom
d’un des candidats d’un parti « rapporte » 0,042 voix au parti en question (1/24). Les résultats
sont présentés avec… 5 chiffres après la virgule, ce qui ne contribue guère à leur lisibilité.
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Les élections de 2014 et 2015 au Salvador : polarisation partisane, nouveaux comportements électoraux ❮ 67
Gana en obtient 11, comme lors de la législature précédente, et les autres
partis 7 au total. Comme à l’occasion de tous les scrutins antérieurs, le
parti qui gouverne ne détient pas la majorité à l’Assemblée et doit donc
négocier avec des partis tiers pour le vote des lois – Gana a remplacé le
PCN dans ce rôle. Par ailleurs, les élections municipales confirment que
les cartes sont redistribuées : à San Salvador, le jeune candidat du FMLN,
Nayib Bukele, s’impose contre le candidat d’Arena. À 38 ans, l’ancien
maire de la petite commune aisée de Nuevo Cuscatlán, dans la banlieue
de San Salvador, entrepreneur à succès dans le domaine de la publicité,
a fait campagne sur sa personne, mettant en avant sa jeunesse et un style
direct. Il ne s’est jamais référé aux symboles partisans et aux rhétoriques de
campagne du FMLN et, en particulier, ne porte aucun vêtement rouge,
couleur qui identifie ce parti et ses militants. Celui qui a pu être qualifié
dans un journal comme le « capitaliste le plus populaire de la gauche
salvadorienne » 13 est une figure très iconoclaste, tant en ce qui concerne sa
trajectoire que sa manière de faire de la politique, par rapport à la culture
et au milieu partisan du FMLN. Le fait qu’il ait pu être désigné comme
candidat par les instances du parti montre à quel point cette formation
est aujourd’hui pour les élections locales à la fois beaucoup plus ouverte à
des profils nouveaux mais aussi très sensible aux effets d’image. Dans son
équipe de campagne, on trouve à la fois des dirigeants du parti, d’anciens
adhérents qui avaient pris leurs distances et des cadres d’autres formations
politiques. Cette situation contraste avec la campagne présidentielle où
l’identité partisane avait au contraire été renforcée – cela montre combien,
derrière une unité affichée, le parti connaît des mutations internes, en
particulier au niveau local. Face à lui, le candidat d’Arena, dont le profil
est plus classique, incarne aussi une forme de relève interne au sein de son
propre parti. Dans la zone métropolitaine, les résultats du FMLN sont
contrastés : ce dernier récupère les villes plutôt populaires perdues lors de
l’élection précédente (Soyapango, Mejicanos) mais perd Santa Tecla, qu’il
gouvernait depuis 1997. Et, à la surprise générale il s’impose à San Miguel,
mettant fin au long mandat d’un dirigeant local.
Comme celles de 2014, les élections de 2015 confirment à première vue
la forte polarisation partisane du Salvador : Arena et FMLN se partagent
les premiers rôles, et sont quasiment à égalité, comme le montrent les
résultats du second tour de l’élection présidentielle. Les autres formations
sont marginalisées. Le système partisan salvadorien apparaît ainsi comme
une exception dans l’ensemble de l’Amérique latine : il est construit sur
un clivage gauche/droite, hérité de la guerre civile, et est remarquablement stable, à la fois par la permanence des mêmes formations et la
13 .« Nayib Bukele, el capitalista más popular de la izquierda salvadoreña »,
Contrapunto, 27 février 2015 (http://www.contrapunto.com.sv/nacionales/politica/
nayib-bukele-el-capitalista-mas-popular-de-la-izquierda-salvadorena).
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relative stabilité des résultats électoraux que celles-ci obtiennent, alors que
l’ensemble de la région est marquée par la faiblesse des partis politiques,
l’indiscipline des élus et la volatilité des électorats. La victoire en 2014
de S. Sanchez Cerén, dirigeant historique de la guérilla, semble renforcer
cette vision. Pourtant, l’analyse de l’électorat et du profil des candidats
montre que, derrière cette forte polarisation, il existe à la fois une mutation
importante du comportement électoral, moins stabilisé que par le passé, et
des évolutions internes significatives au sein de chacune de ces formations.
■■ Déjà publié sur l’Amérique centrale
• L’Amérique centrale existe-t-elle ? Économie, société et politique dans une région
en quête d’intégration
Willibald Sonnleitner et Sophie Hvostoff
Édition 2012, collection « Mondes émergents »
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Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 69
Le canal interocéanique
du Nicaragua : état des lieux,
enjeux et perspectives
K E V I N P A R T H E N AY
Docteur associé au Centre de recherches internationales (Ceri),
enseignant à Sciences Po, responsable pédagogique du campus eurolatino-américain de Sciences Po (Poitiers) et membre de l’Observatoire
politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (Opalc)
Introduction
Depuis la fin des années 1980, le Nicaragua ne bénéficie plus de l’attention de la communauté internationale et a progressivement été relégué dans
la sphère des petits États périphériques d’Amérique latine récipiendaires
d’aides massives au développement. Même les États-Unis, si présents dans le
passé 1, se sont peu à peu détournés non seulement du pays mais également
de l’isthme centraméricain. Depuis peu, cependant, le Nicaragua fait l’objet
d’une attention renouvelée et réactive l’intérêt de puissances extérieures du
fait du projet de canal interocéanique autrement appelé « Grand Canal du
Nicaragua ». L’idée d’aménager un tel canal au Nicaragua n’est cependant
pas nouvelle et s’inscrit dans une trajectoire historique longue, remontant à
l’époque coloniale. Plus de soixante-dix projets, plus ou moins sérieux, ont
vu le jour 2. Aujourd’hui, beaucoup de mystères entourent ce mégaprojet.
Les conséquences majeures (économiques, sociales, environnementales et
géopolitiques) que celui-ci est en mesure de produire ainsi que la personnalité des porteurs du projet – le président Daniel Ortega et le dirigeant
de l’entreprise chinoise Hong Kong Nicaragua Development (HKND)
Wang Ying – attisent d’autant plus la curiosité internationale. Poursuivant
des intérêts stratégiques de premier plan, HKDN et le gouvernement du
Nicaragua portent ce projet en dépit des oppositions nombreuses. Côté
nicaraguayen, l’objectif est très clairement de promouvoir le développement
économique et social ainsi que d’améliorer le positionnement international
du pays. Côté chinois, le développement du canal obéit à un pragmatisme
1 . Longtemps, l’Amérique centrale a été considérée comme le « pré carré » des États-Unis.
2 . Sur ces tentatives de construction de canal au Nicaragua, voir Geert Van Der Post Jan, El
largo y sinuoso camino, UCA Nicaragua, mars 2015.
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économique orienté vers la nécessité de répondre à l’accroissement du
commerce entre l’Amérique latine et l’Asie. De fait, l’expansion économique
de la Chine, le développement du commerce maritime mondial, les progrès
technologiques de la navigation maritime rendent nécessaire, selon HKND,
la construction d’un canal alternatif au canal de Panamá. Par ailleurs, le projet
nicaraguayen se positionne dans un contexte bien particulier : l’achèvement
des travaux d’expansion de ce canal de Panamá. L’évolution du commerce
maritime mondial induite par l’apparition des nouveaux navires portant
plus de charge (TEU, Twenty-foot Equivalent Unit 3) (Super-post-Panamax),
l’engorgement du canal de Suez et le développement de nouvelles structures
portuaires aux États-Unis constituent également une fenêtre d’opportunité
pour les autorités nicaraguayennes et chinoises en vue de la promotion et
du développement du canal.
Toutefois, malgré ces éléments favorables, le projet ne va pas sans engendrer
un certain nombre de critiques et de réactions contestataires. De fait,
beaucoup de zones d’ombre demeurent quant à la faisabilité technique
et à l’impact environnemental des travaux nécessaires à la construction
du canal. Le tracé sélectionné par HKND et le Nicaragua conduira à des
déplacements forcés, en particulier de communautés indigènes, et traversera
des zones riches en biodiversité, notamment le plus grand lac d’eau douce
d’Amérique latine, le lac Cocicalba. Par ailleurs, le manque de transparence dans la gestion autant politique que technique de ce projet suscite
d’importantes critiques à l’encontre du gouvernement.
Tel que présenté par HKND, le canal constitue aujourd’hui un véritable
défi technique compte tenu des dimensions hors normes du projet. Selon
le schéma retenu par HKND le 7 juillet 2014, le tracé du canal s’étendra
de la vallée du fleuve Brito – sur la côte Pacifique – à l’embouchure du
fleuve Punta Gorda – sur la côte caribéenne. Long de 275,5 kilomètres,
le canal fera de 230 à 520 mètres de large et sa profondeur variera entre
26,95 et 29,8 mètres ; il comprendra deux écluses, à Brito et à Camilo.
Deux ports, positionnés aux deux extrémités de l’ouvrage, compléteront le dispositif, ainsi qu’un pont permettant de faire passer la route
panaméricaine au-dessus du canal. Par ailleurs, un aéroport ainsi que
des installations touristiques sont prévus afin de renforcer l’attractivité
du pays et des installations du canal 4.
Par l’ampleur du projet, le canal constitue un enjeu de premier plan car il se
trouve au croisement de diverses problématiques contemporaines : l’évolution des flux du commerce international ; l’évolution du commerce et des
3 . Unité approximative de mesure de conteneur pour les navires commerciaux.
4 . HKND Group, Nicaragua Canal Project Description, décembre 2014 (accessible en ligne :
http://hknd-group.com/upload/pdf/20150105/Nicaragua_Canal_Project_Description_
EN.pdf (Consulté le 16 avril 2015).
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Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 71
transports maritimes ; les questions de développement ; les risques sociaux
et environnementaux ; la construction d’un nouvel ordre économique et
politique mondial ; les problématiques politiques liées à la corruption et à la
préservation de la souveraineté étatique ; les enjeux de politique extérieure,
notamment à travers la relation avec le Panamá et l’Amérique centrale ainsi
que le positionnement international du Nicaragua.
Le canal contre la démocratie
La réactivation de ce projet survient dans un contexte de malaise
démocratique caractérisé par la réémergence de la violence politique, de
la corruption et du népotisme 5. Il est d’autant plus important de considérer
ce phénomène de repli démocratique que le projet de canal en découle
indirectement.
La troisième élection de D. Ortega, en 2011 (après les mandats de
1985-1990 et 2007-2012), a marqué le retour du népotisme au Nicaragua.
Plusieurs nominations à des postes prestigieux ont contribué à inscrire la
famille Ortega au cœur du pouvoir. Ce processus a commencé quand la
propre épouse de D. Ortega, Rosario Murillo, a été nommée porte-parole
du gouvernement ainsi qu’à la tête du Conseil de la communication et
de la citoyenneté, qui contrôle la communication gouvernementale et les
médias. Plus récemment, lors du sommet de la Communauté des États
d’Amérique latine et de la Caraïbe (Celac), organisé fin janvier à San
José (Costa Rica), D. Ortega confia à son épouse le titre de « ministre
des Relations extérieures en fonction du Nicaragua ». Assistèrent à ce
sommet les deux filles du président, Camila Ortega Murillo et Luciana
Ortega Murillo, avec le statut de « conseiller présidentiel » tout comme un
de leurs frères, Rafael Ortega Murillo, « conseiller du président avec rang
de ministre ». Parmi les vingt-sept conseillers dont dispose D. Ortega, on
compte ses quatre enfants, aucune de ces nominations n’ayant été publiée
dans le Journal officiel. L’attribution de postes officiels à des proches de
D. Ortega est une tendance qui s’est progressivement inscrite comme une
« normalité politique ». À cet égard, l’un de ces postes concerne directement le canal : depuis 2009, le plus jeune fils, Laureano Ortega Murillo,
est conseiller en affaires d’investissement de l’agence gouvernementale
ProNicaragua. Depuis juillet 2012, il est un des membres les plus influents
5 . Ces dérives étaient jusqu’à présent caractéristiques du temps de la dictature de Somoza. Le
slogan « Forever Somoza » revient désormais régulièrement dans les médias, sous une forme
détournée et ironique : « Forever Ortega ».
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de la Commission pour le canal 6, traitant directement avec Wang Ying.
L’influence de Laureano Ortega Murillo est également décisive sur le
plan international. En prenant la tête de la délégation nicaraguayenne
lors de voyages officiels en Chine et en Russie, celui-ci occupe une place
centrale dans le dispositif diplomatique. En effet, bien que les relations
économiques et commerciales soient « normales » avec les États-Unis malgré
une rhétorique ouvertement anti-impérialiste et très critique à l’égard du
voisin nord-américain, le Nicaragua fait le choix d’un rapprochement avec
la Chine et la Russie (voir infra). En plaçant des membres de sa famille à
des postes clés, D. Ortega renoue avec une culture politique héritée de la
dictature somoziste et le népotisme, et déstabilise l’ordre constitutionnel
du pays.
Les réformes répétées d’une Constitution malmenée portent la marque
d’un recul démocratique mêlant des comportements autoritaires en régime
démocratique. Les violations de la Constitution du pays ont été des outils,
utilisés par D. Ortega, qui ont jusqu’à aujourd’hui rendus possible le
développement du projet de canal. Les nominations évoquées ci-dessus
constituent en soi des violations constitutionnelles en ce qu’elles entrent
en contradiction avec les articles 130 et 138 de la Constitution. En effet,
l’article 130 stipule que « dans tous les pouvoirs de l’État et leurs organismes,
ainsi que pour les institutions établies dans cette Constitution, aucune
nomination ne pourra être prononcée en faveur de personnes ayant des liens
de parenté étroits avec le pouvoir et, le cas échéant, avec toute personne
dont aurait émané une telle autorité ». Les nominations à des postes gouvernementaux de l’épouse et des enfants du président sont bien contraires à
l’ordre constitutionnel. Par ailleurs, la nomination de conseillers présidentiels – avec le rang de ministre pour certains – constitue également une
violation de la Constitution, plus précisément de l’article 138, qui indique
que les nominations ministérielles doivent être validées par l’Assemblée
nationale. À cet égard, l’octroi du statut de ministre des Relations extérieures
en fonction à Rosario Murillo constitue non seulement une violation de
la Constitution mais aussi un symbole de la dérive familiale du pouvoir
au Nicaragua.
Cette déstabilisation constitutionnelle s’inscrit également dans la dynamique
électorale et la pratique du pouvoir. Dès sa première réélection, en 2006,
D. Ortega s’est efforcé de faire voter une réforme constitutionnelle lui
permettant d’être réélu indéfiniment. Cette demande fut formellement
6 . Cette commission fut créée par décret présidentiel en décembre 1999, reconduite et restructurée par décret présidentiel en mars 2002 puis en mars 2006. Elle a pour mission de négocier,
contracter et octroyer les concessions territoriales. La commission fonctionnera sous la tutelle
de la présidence de la République, comme une entité administrative décentralisée. À travers
la commission, l’État entend assurer la sécurité et la neutralité ainsi que le fonctionnement
permanent du canal.
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Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 73
présentée à la Cour suprême par Rafael Solís, magistrat proche du président.
Compte tenu de l’équilibre des forces en présence (huit magistrats
sandinistes contre sept du Parti libéral), la Cour suprême ordonna au
Conseil suprême électoral de permettre à D. Ortega de se présenter à
l’élection présidentielle de 2011 7. Ce qui allait à l’encontre du principe
de neutralité que la Cour aurait dû respecter et du bon fonctionnement
du système judiciaire. À la veille du scrutin, le Nicaragua offrait l’image
d’un pays où la légalité pouvait être bafouée et les règles constitutionnelles instrumentalisées. Indéniablement, cela eut pour effet d’affaiblir
davantage la confiance des électeurs dans le fonctionnement de l’État,
d’accroître la corruption et la mainmise de l’appareil partisan du Front
sandiniste de libération nationale (FSLN) et de son dirigeant D. Ortega
sur l’appareil étatique. Réélu, D. Ortega remit de nouveau en question
l’État de droit lorsque, en 2013, il annonça vouloir demeurer au pouvoir.
Le 29 janvier 2014, il obtint que le Parlement votât une réforme constitutionnelle (notamment la suppression de l’article 147) autorisant la réélection
indéfinie d’une personne à la tête de l’État, renforçant les prérogatives
présidentielles et le pouvoir de l’armée. Désormais, le président peut prendre
des décrets ayant force de loi, en ignorant la séparation des pouvoirs entre
l’exécutif et le législatif.
Le vote de la loi rendant possible le projet de canal résulte de cette ambiguïté
majeure qui caractérise aujourd’hui la relation entre l’exécutif et le législatif.
Le 13 juin 2013, la loi 840, approuvée par le Parlement, entérine le grand
accord de concession (Master Concession Agreement). Ce texte a fait
l’objet d’une importante contestation citoyenne dénonçant la concession
du territoire nicaraguayen à l’investisseur chinois inscrite dans l’article 3.
Cet article stipule qu’en accord avec l’article 105 de la Constitution, une
concession exclusive est octroyée à l’Empresa Desarrolladora de Grandes
Infraestructuras S. A., pour le développement et la mise en œuvre du projet
de canal pour une période de cinquante ans à partir du début des opérations
commerciales. Cette concession sera prorogeable pour une période de
cinquante ans. Au-delà de la question territoriale, c’est la logique d’une
cession de la souveraineté nationale qui a été dénoncée par les détracteurs
du projet, une opposition qui a par ailleurs contribué à réactiver la répression par les autorités politiques 8. Un juriste nicaraguayen, opposé aux
lois 800 et 840, indique que, contrairement à ce qu’indique l’article 105
(« les investissements privés […] et les concessions d’exploitation à des
sujets privés seront régulés par la loi en toute occasion), la loi 840 octroie
7 . « El Tribunal Suprema de Nicaragua da vía libre a la reelección de Ortega », El País,
21 octobre 2009.
8 . Durant la manifestation contre le projet de canal du 23 décembre 2014, plus de 50 blessés
et 30 détenus ont été recensés (http://internacional.elpais.com/internacional/2014/12/24/
actualidad/1419444251_610241.html).
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de manière illimitée et inconditionnelle une partie du territoire national à
un concessionnaire privé » 9. L’argumentaire des opposants vise le fait que,
en toute occasion, lorsque l’État perd la faculté de gouverner pleinement un
territoire, cela induit une perte de la souveraineté nationale. A contrario, les
défenseurs de la loi précisent que l’Autorité du Grand Canal, composée de
différentes institutions publiques, continuera de veiller aux intérêts du pays
et de les défendre. Au-delà du débat juridique de fond, c’est davantage la
question de la normalité du processus décisionnel qui doit être examinée.
À cet égard, la loi 840 a été approuvée au terme de cinq jours de consultation, le minimum requis. Des institutions publiques ont été consultées,
mais ni les entreprises ni la société civile. Et le gouvernement n’a pas été
interpellé. La légalité a certes été respectée, mais la vélocité de la procédure
législative critiquée, dans la mesure où l’enjeu du projet renvoie aux intérêts
stratégiques de la nation. Dans cette perspective, certains n’ont pas hésité
à parler de « fraude à la loi » 10. Face à ces attaques contre l’ordre constitutionnel et le bon déroulement des processus législatifs, trente recours en
inconstitutionnalité ont été déposés par des partis politiques, des organisations civiles et des citoyens 11, que la Cour suprême de justice doit examiner.
Malgré ces recours, 41 % de la population appuient le projet de canal selon
un sondage CID-Gallup de janvier 2015.
La mise en œuvre de ce processus décisionnel remet en question la souveraineté du pays et porte atteinte à sa stabilité démocratique. La réforme
constitutionnelle semble être devenue, dans les mains de D. Ortega, un
instrument banalisé lui permettant de défendre ses propres intérêts et de
contrôler pleinement le pouvoir.
Le canal : à quel prix ?
Dans un contexte de prise de conscience planétaire quant au changement
climatique, le développement du projet semble s’inscrire à rebours de
l’histoire. Le gouvernement ambitionne officiellement de faire du canal un
« monument de bien-être pour tous les Nicaraguayens ». Le projet aura en
fait des conséquences négatives, notamment en matière sociale et environnementale. Sur le plan social, le défi est de taille car le Nicaragua reste l’un
des pays dont l’indice de développement humain (IDH) demeure le plus
9 . « La ley que entregó Nicaragua a un Chino », La Prensa, 22 décembre 2014.
10 . La Prensa, 22 décembre 2014, op. cit.
11 . « El recurrido por inconstitucional el proyecto del Canal de Nicaragua », El País, 10 août 2013 ;
« Nicaragua : l’autre canal historique », Libération, 6 juin 2014.
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Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 75
faible du continent (0,599), Haïti mis à part. Aujourd’hui, 42,5 % 12 des
Nicaraguayens vivent sous le seuil de pauvreté (dont 9,5 % sous le seuil
d’extrême pauvreté), soit six points de moins qu’il y a cinq ans. Parmi les
principaux défis qui se présentent au gouvernement, la lutte contre les
inégalités sociales constitue un enjeu fondamental dans un pays qui reste
encore peu touché par la violence délinquante et la criminalité organisée.
Dans un État affecté par la corruption et le népotisme, les retombées
économiques et financières promises par la construction du canal posent
néanmoins question. L’interrogation principale consiste à savoir si ce
mégaprojet se fera véritablement au bénéfice de la population nicaraguayenne. Quel prix celle-ci devra-t-elle payer ? De multiples sources
d’inquiétudes nourrissent le débat public dont, bien évidemment, les
risques environnementaux et les conséquences sociales.
Les risques environnementaux
C’est tout d’abord en matière de gouvernance que se posent les enjeux
environnementaux. Avant la remise de l’évaluation d’impact environnemental (EIE) du canal – toujours attendue –, une première évaluation a
été conduite pour lancer les « travaux initiaux en vue de l’amélioration de
l’accès à la zone de Brito ». Le tracé du canal ayant été validé le 7 juillet, le
contenu technique de l’évaluation a été communiqué par le ministère de
l’Environnement nicaraguayen (Marena) en octobre 2014. Commandé à
une entreprise anglo-saxonne, Environnemental Ressources Management
(ERM), le rapport (572 pages) a été remis par Dong Lu, représentant de
HKND 13, à la ministre de l’Environnement nicaraguayenne le 17 décembre.
Deux jours plus tard, dans un document émanant du Marena, Yelba Lopez
Gonzalez, responsable ad interim de la direction générale de la qualité
environnementale de ce ministère, indique qu’il n’y a « aucune objection
pour le développement des activités et travaux préliminaires nécessaires pour
la construction du projet […] et que, ayant évalué l’information présentée
[…], ce ministère autorise l’exécution des travaux et activités préliminaires
[…] » 14. En matière de gouvernance environnementale, deux constats :
d’une part, le désinvestissement du gouvernement nicaraguayen à travers
une externalisation complète du travail d’évaluation d’impact environnemental (le gouvernement n’a lancé aucune étude propre) et, d’autre part,
la rapidité de la remise des autorisations gouvernementales. Entre autres
organisations civiles, l’Académie des sciences du Nicaragua a critiqué
12 . PNUD Nicaragua, 2014, http://www.ni.undp.org/content/nicaragua/es/home/countryinfo/.
Les données relatives à la pauvreté datent de 2009.
13 . Plus précisément de la Compagnie de développement latino-américaine, pour le compte
de HKND.
14 . Document officiel, Marena, Managua, 19 décembre 2014, référence : DGCA-YLG-C299-12-2014.
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l’absence de mise en place d’une commission technique et scientifique pour
« contre-expertiser » le rapport et le non-respect des standards internationaux
à propos de l’élaboration de cette évaluation. Quant à la transparence, en
tant que commanditaire de l’étude, HKND n’est soumis à aucune obligation de divulguer les résultats aux citoyens nicaraguayens.
Du point de vue des impacts environnementaux pour le Nicaragua et
l’isthme centraméricain, de nombreux experts et associations scientifiques
s’accordent sur des données clés que nous proposons ci-après en nous
appuyant sur la revue scientifique internationale Nature. Seront directement ou indirectement menacés par l’existence du canal interocéanique :
400 000 hectares de forêts tropicales et de zones humides ; de nombreuses
réserves naturelles et biologiques (Bosawas, Indio Maiz, Cerro Silva, les
zones humides de Bluefields et San Miguelito) ; des communautés indigènes
autonomes (rama, garifuna, mayangna, miskitu et ulwa) ; vingt-deux espèces
vulnérables ou menacées (inscrites sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature). De nombreuses espèces animales
marines seront affectées par l’arrivée des eaux salées, l’endommagement
de la sédimentation par le dragage et le passage des navires commerciaux.
La construction d’infrastructures terrestres (deux ports, un aéroport, des
routes, un centre touristique et une zone de libre-échange) seront également
autant d’obstacles pour les migrations animales.
Ces derniers constats sont également applicables aux populations résidant
sur ou aux abords du tracé du canal. Comme le souligne Nature au sujet
du lac Cocicalba, le canal « transformerait un écosystème d’eau douce
circulant librement en un réservoir artificiel d’eau stagnante mélangée à de
l’eau salée ». L’Asociación de Biología Tropical y la Conservación (ATBC)
a déclaré que le canal aurait un impact substantiel sur la qualité de l’eau
et sur sa distribution dans l’ensemble de la région 15. L’eau douce du lac
est vitale pour la sécurité alimentaire et l’agriculture dans un pays déjà
en situation de stress hydrique selon l’université de Yale 16, ce qui signifie
que le volume d’eau disponible en rapport à la population est inadéquat.
Le contact avec des eaux salées et d’éventuels accidents dus à une erreur
humaine (déversement de pétrole) endommageraient gravement la plus
grande réserve d’eau douce de la région.
15 . « Canal dejaría sin agua a Centroamérica », La Prensa, 25 octobre 2014.
16 . Selon l’indice de développement environnemental développé par l’université de Yale. ATBC,
Résolution 23, « Resolución de la Asociación de Biología Tropical y la Conservación para
Detener el Proyecto de Canal Interoceánico en Nicaragua », octobre 2014.
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Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 77
Les risques sociaux
La construction du canal nécessitera la création de 50 000 emplois, une
manne dans un pays où 70 % de la population en âge de travailler se
trouvent dans l’informalité, selon la récente étude de la Fundación para el
Desafío Económico Global (Fideg). Cependant, la moitié de ces emplois
seront destinés à des Nicaraguayens et l’autre moitié à des étrangers
(dont 12 500 à des Chinois) 17. Sur ces bases, se pose la question des qualifications professionnelles, ainsi que celle de la capacité des universités et
des centres de formation à former la main-d’œuvre requise pour ce type
de mégaprojet d’infrastructures portuaires et maritimes. Panamá possède
désormais une université maritime internationale ainsi qu’un Institut
du canal rattaché à l’université de Panamá, proposant des formations
en ingénierie civile (ports et canaux) et en ingénierie environnementale
maritime.
Concernant le déplacement de populations, il faut souligner que, sur
le tracé du canal, se trouvent, selon les estimations gouvernementales,
28 200 personnes, soit 7 000 foyers. À cet égard, le Centro Nicaragüense de
Derechos Humanos a présenté un recours devant la Cour interaméricaine
des droits de l’homme de l’Organisation des États américains (CIDH-OEA)
indiquant que ce sont plutôt 100 000 personnes, habitant dans sept zones
protégées, qui devraient quitter leurs terres. Traversant des zones agricoles,
le canal pourrait également nuire à la production agricole, une production
déjà faible et soutenue par le Programme alimentaire mondial (PAM). De
fait, en 2008 et 2010, le Nicaragua a lancé avec l’appui du PAM, de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et
de l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS) le plan sur l’éradication de la malnutrition chronique des enfants ainsi que le Plan national
pour les micronutriments 18.
Par ailleurs, comme le suggère Francisco Bautista Lara, ancien commandant général de la police nationale, le canal pose également de nouvelles
questions liées à la sécurité, compte tenu de la restructuration économique
qu’il provoquera inévitablement. Si la distribution des bénéfices ne se fait
pas équitablement, la persistance des inégalités sera source d’augmentation des niveaux de violence. Qui plus est, à l’instar de celui de Panamá, le
canal du Nicaragua devra faire face à l’augmentation substantielle des flux
informels (drogues, trafic d’armes). Devant les inégalités existantes, l’arrivée
de travailleurs chinois et les incertitudes grandissantes autour du projet,
les actes de protestations et la violence contestataire contre des travailleurs chinois se sont déjà multipliés. Lors de ces manifestations, certaines
17 . « Gran Canal “traera” a 12 500 Chinos », El Nuevo Diario, 7 janvier 2015.
18 . PAM, http://fr.wfp.org/histoires/10-dates-cles-action-du-pam-au-nicaragua (consulté le
15 avril 2015).
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personnes ont rencontré des difficultés pour quitter leur résidence. La
police a procédé à des intimidations, des interdictions ministérielles ont
été émises. L’arrivée tant d’experts que de travailleurs chinois est dénoncée :
« Fuera de Nicaragua, Chinos ! » (Les Chinois, dehors !) 19. D. Ortega est
qualifié de « Vendepatria » (Bradeur de la patrie).
Le canal comme stratégie diplomatique
Le projet s’inscrit dans un contexte particulier caractérisé par la recherche
d’un repositionnement international en réaction à une tendance d’isolement du Nicaragua. Depuis plusieurs années, la politique extérieure du pays
a subi les conséquences d’une gestion autoritaire et agressive du pouvoir.
Isolement par cercles concentriques
Depuis l’arrivée de D. Ortega au pouvoir et la multiplication des « affaires »
liées à une gestion autoritaire, le Nicaragua s’est progressivement isolé dans
les espaces centraméricain, latino-américain et international. Cet isolement
progressif peut s’analyser par cercles concentriques.
Face aux voisins centraméricains, les postures politiques, idéologiques
et diplomatiques du Nicaragua ont favorisé un isolement progressif du
pays. D’un point de vue politique, la période d’alliance politico-idéologique qui liait le pays au Honduras de Manuel Zelaya et au Salvador de
Mauricio Funes est terminée. Cette alliance constituait les bases d’un
soutien politique à l’échelle régionale, malgré une gestion de plus en plus
contestée du pouvoir. Ces pays étaient rassemblés au sein de l’Alliance
bolivarienne pour les Amériques (Alba), née à La Havane en 2004 sous
l’impulsion du président vénézuélien Hugo Chávez. Si, durant son second
mandat (2007-2012), D. Ortega pouvait compter sur cette alliance, la
configuration politique de la région a très largement évolué au cours de
son troisième mandat (2012-2017). Mais à la suite d’une succession d’élections organisées dans les différents États de l’Isthme, D. Ortega se trouve
quelque peu dépourvu, dans la région, d’appuis politique et idéologique.
En matière d’insertion sur le marché international, la position de D. Ortega,
en théorie fermement opposé à la logique néolibérale, a également contribué
19 . Voir le documentaire réalisé sur une petite communauté Rama dans le Bangkukuk, Nicaragua,
This Land is for All of We.
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Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 79
à isoler le pays 20. Ce qu’illustre le positionnement du Nicaragua à l’égard
de l’Alliance du Pacifique. Bien que le Nicaragua soit partie de cet accord
d’association signé entre l’Amérique centrale et l’Union européenne en
mai 2013, la prise de distance à l’égard de l’Alliance du Pacifique, fondée
sur une logique ouvertement néolibérale, marque un décalage entre le
Nicaragua et le reste de la région. De fait, le Costa Rica, le Panamá, le
Salvador, le Honduras et le Guatemala sont devenus membres observateurs de cette organisation. Depuis 2012, le Costa Rica et Panamá sont
candidats à l’adhésion de plein droit. Une fois de plus, le Nicaragua demeure
isolé en assumant une posture fermement opposée au néolibéralisme et
déploie une rhétorique acerbe à l’encontre des États-Unis et de leurs alliés.
De plus, D. Ortega est entré en 2010 dans une logique de conflit ouvert
avec le Costa Rica, lorsque des forces armées se sont positionnées sur le
territoire costaricien et ont entrepris des travaux de dragage aux abords
de l’île Calero, qui engendra le conflit du même nom 21. La frontière
entre le Costa Rica et le Nicaragua située dans la zone caribéenne du
fleuve San Juan a connu de nombreuses redéfinitions depuis la signature
du « traité des limites » (1858) et constitue une zone régulièrement sous
tension. L’incursion en territoire costaricain de l’armée nicaraguayenne, le
18 octobre 2010, a réactivé cette tension. Côté nicaraguayen, la présence
des troupes armées répond à un double objectif : lutter contre le narcotrafic
et assurer la protection des agents assurant les opérations de dragage. De
fait, l’incursion militaire n’est pas l’unique source du contentieux avec le
Costa Rica. Les activités de dragage menées par Edén Pastora (ancien guérillero sandiniste, plus récemment ministre de D. Ortega) ont contribué à
exacerber les tensions. Selon le Costa Rica, ces activités de dragage constituent une tentative de détournement du fleuve, qui a pour objectif de relier
le San Juan à la lagune de Los Portillos afin de créer un accès direct à la
mer. Dans cette région, le Nicaragua ne dispose pas de port de commerce
et doit utiliser, pour ses importations « lourdes », des centres portuaires
voisins, notamment celui de Limón (Costa Rica). Par ailleurs, le Costa Rica
accuse le Nicaragua d’avoir détruit une zone de forêt fluviale et accumulé
les sédiments extraits du dragage sur le sol costaricien. Les deux pays sont
rapidement entrés dans une spirale conflictuelle, engendrant une certaine
marginalisation dans la dynamique des forums régionaux, en particulier
le Système d’intégration centraméricain (Sica).
20 . Un paradoxe est ici à relever : D. Ortega a signé le Central American Free Trade Agreement
(Cafta) avec les États-Unis et, malgré une rhétorique extrêmement virulente à l’égard de ce
pays, n’a jamais décidé de dénoncer ce texte. Parfois, le pragmatisme économique semble
prévaloir. De fait, les États-Unis demeurent le premier partenaire commercial du Nicaragua
(autant pour les importations que les exportations).
21 . K. Parthenay, « Costa Rica/Nicaragua : l’impossible apaisement ? », Ceriscope Frontières,
2011, [en ligne], consulté le 13 avril 2015 (http://ceriscope.sciences-po.fr/content/part3/
Costa-Rica-Nicaragua-l-impossible-apaisement-?page=show).
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Les évolutions politiques du continent, notamment au Venezuela, ont
contribué à fragiliser la position géopolitique du Nicaragua. Le décès de
H. Chávez, en 2013, eut pour effet d’entamer la solidité de l’axe bolivarien.
Il en va de même pour l’ensemble des instruments économico-diplomatiques mis en œuvre par le défunt dirigeant bolivarien, notamment
Petrocaribe (qui permet de livrer du pétrole à prix préférentiel avec des
modalités de remboursement avantageuses), évolution accentuée par les
fluctuations des prix de l’énergie sur le marché international. Toutefois,
l’effondrement des prix du pétrole et l’instabilité politique à laquelle est
confronté le Venezuela remettent en question la perpétuation de cet outil
économico-diplomatique. Selon le Fonds monétaire international (FMI),
le Nicaragua – avec Haïti – est l’un des pays les plus vulnérables aux
variations des prix du pétrole vénézuélien. De fait, le Nicaragua est dans
une situation de dépendance énergétique forte. Le pays est importateur
net de gaz et fait venir plus de 50 % de son électricité. Plus de la moitié
du pétrole consommé (34 070 bbl/jour) provient également de l’extérieur
(15 830 bbl/jour). Par conséquent, l’instabilité politique qui affecte actuellement le Venezuela 22 constitue un danger pour le Nicaragua et explique
que celui-ci cherche de nouveaux alliés, par exemple la Chine et la Russie.
Par ailleurs, depuis l’arrivée au pouvoir de D. Ortega, dans le domaine de
la coopération, les relations avec les pays partenaires se sont considérablement dégradées, certains organismes ayant même décidé de quitter le pays.
Le Nicaragua recevait 651,8 millions de dollars en 2006, 567,8 millions
en 2008 et 441,6 millions en 2010. Le Danemark et les Pays-Bas se sont
retirés dès 2008, après les fraudes dont le FSLN s’est rendu coupable lors
des élections municipales de la même année. La Suède a annoncé son retrait
en 2007 en raison d’obstacles dressés par le gouvernement en matière de
transparence financière, l’Autriche en 2010. Ces pays étaient préoccupés
par l’autoritarisme croissant de la présidence Ortega. Le départ de certaines
agences marque une véritable rupture historique. Depuis le retour de la
démocratie, la coopération n’a cessé de financer la consolidation démocratique, installant de facto une situation de dépendance financière. L’absence
de réforme fiscale couplée aux retards de développement fait que le départ
des coopérants constitue un véritable enjeu économique pour le pays. En
réaction à cet isolement international, D. Ortega cherche des stratégies
d’alliances alternatives et le projet de canal interocéanique, soutenu financièrement par la Chine, s’est présenté comme une opportunité de premier plan.
22 . Selon les estimations du CIA Factbook (https://www.cia.gov/library/publications/
the-world-factbook/geos/nu.html).
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Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 81
La quête d’un statut international
Les petits États sont le plus souvent à la recherche d’une reconnaissance
internationale mais également en quête d’un statut 23. Celle-ci se manifeste
de deux manières : en s’efforçant d’appartenir à un « club » et en recherchant une position influente au sein de ce club. Cette recherche passe
par la rhétorique, l’activité diplomatique ou l’acquisition de symboles 24.
Dans cette perspective et, alors que son pays est isolé au sein de ces clubs,
D. Ortega a voulu diversifier ses relations en suivant toujours une orientation « idéologique ». Les nouveaux alliés du pays sont incontestablement
la Russie et la Chine, et le projet de canal constitue en soi un outil stratégique de repositionnement et de rayonnement international du pays.
L’existence du canal du Nicaragua aurait pour première conséquence de
mettre en cause la position géostratégique du Panamá 25. Dès son ouverture,
en 1914, le canal de Panamá a rapidement canalisé les flux du commerce
international. En 2013, plus d’un million de navires ont transité par cet
ouvrage, transportant 9,4 milliards de tonnes de charge. Avec les travaux
d’agrandissement qui devraient être terminés en 2016, l’objectif est
d’absorber l’essor commercial émanant du continent asiatique (notamment
la Chine), d’accroître les capacités de transports pour l’Amérique latine et la
Caraïbe et de réaliser des économies d’échelle en transportant plus de charge
par navire (avec des navires Neo-Panamáx et Post-Panamáx) 26. Le canal
de Panamá est à l’heure actuelle le seul point de passage de la côte Est du
continent américain vers l’Asie. Par ailleurs, il constitue un passage obligé
pour la circulation des marchandises entre les deux côtes, tant en Amérique
du Nord qu’en Amérique latine et permet aux pays de la côte Pacifique qui
commercent avec le continent africain d’éviter le cap de Bonne-Espérance.
Au-delà de son canal, Panamá représente un centre pour le commerce
maritime mondial. Comme le souligne un rapport de la Banque interaméricaine de développement (BID) sur les ports et la connectivité en
Amérique centrale, seuls le Panamá et la République Dominicaine
disposent d’infrastructures portuaires suffisantes pour accueillir des navires
Post-Panamáx. Le Panamá compte cinq ports pouvant abriter ces navires :
Balboa, CCT, Cristobal, Manzanillo et PSA, la République Dominicaine
23 . Thomas Lindemann, Julie Saada, « Théories de la reconnaissance dans les relations internationales », Cultures & Conflits, no 87, automne 2012, p. 7-25 ; Paul T. V., Deborah Welch
Larson, William Wohlforth (eds.), Statut in World Politics, Cambridge University Press, 2014.
24 . Paul T.V., D. Welch Larson, W. Wohlforth (eds.), op. cit.
25 . Brian Slack, Robert McCalla, « Le canal de Panamá à un carrefour : géopolitique, réalités
commerciales et environnement », Études internationales, vol. 34, no 2, 2003, p. 253-262.
26 . Rodolfo Sabonge, La ampliación del Canal de Panamá. Impulsor de cambios en el comercio
internacional, Cepal, Santiago du Chili, août 2014.
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un seul : Caucedo 27. En matière de connectivité du réseau portuaire de
la région, les ports du Panamá et de la République Dominicaine sont
donc stratégiques pour le commerce nord-américain, latino-américain,
asiatique et européen. Dans ce domaine, il ne s’agit pas uniquement du
canal mais également des capacités des navires avec l’utilisation de grues
spéciales (Post-Panamáx) pour le chargement et le déchargement des
navires. Par conséquent, d’un point de vue géostratégique, le Panamá
constitue un « centre » sur la scène internationale, qui attire 5 % du
commerce maritime international. Avec l’agrandissement en cours,
l’objectif est de capter 30 % du trafic maritime mondial d’ici à 2020.
Toute construction de route alternative engendrerait une reconfiguration des flux du commerce maritime. C’est d’ailleurs ce que les autorités
nicaraguayennes et chinoises anticipent dans un rapport sur le projet de
canal au Nicaragua 28.
Le rapport d’information sur le projet de canal interocéanique indique que
90 % du commerce mondial correspondent au commerce maritime, et
ce dernier tend à augmenter du fait de la croissance économique chinoise
et de celle du marché de ce pays. Par ailleurs, les progrès technologiques
font que les capacités de transport des navires sont de plus en plus grandes.
Le rapport évoque notamment le fait que les ports nord-américains
s’adaptent constamment en matière d’infrastructures pour accueillir des
navires capables de transporter des charges de marchandises de plus en
plus élevées (New York, Baltimore, Norfolk, Savannah, Miami, Long
Beach). De ce fait, les plus importants navires de commerce ne pourront
pas transiter par Panamá, en dépit des travaux en cours. Selon les projections de HKND, environ 17 % des navires transitant traditionnellement
par Panamá seront trop larges dès 2015. Les Feedermax (< 1 000 TEU),
les Sub-Panamáx (1 000-3 000 TEU), les Panamáx (3 000-5 000 TEU)
et Post-Panamáx (5 300-12 000 TEU) pourront transiter par le canal
de Panamá dans sa nouvelle configuration. Cependant, les Super-PostPanamáx (+ 12 000 TEU), en plein développement, ne pourront pas passer
par Panamá. Ces navires sont produits par deux entreprises : Shanghai
Zhenhua Port Machinery Co. (ZPMC) 29 et Daewoo Shipbuilding 30. Au
mois d’août 2013, Daewoo Shipbuilding a livré cinquante-trois navires
de ce type 31. Bien que les données ne soient pas disponibles pour l’entreprise chinoise, la construction du canal interocéanique s’avère tout à fait
stratégique afin de favoriser la mise en circulation de ces navires et de mettre
27 . Pablo Guerrero, Julieta Abad (eds), Diagnóstico sobre el desempeño de los puertos y estudio de
conectividad portuaria en Belice, Centroamérica y la República Dominicana, Observatorio
Mesoamericano de Transporte de Carga y Logística, IDB Technical Note, 512, février 2013.
28 . Carte du trafic maritime international (https://www.marinetraffic.com/fr/).
29 . Appartenant à la China Communication Construction Co., Ltd. (CCCC).
30 . Appartenant au Groupe Koshipa (Korean Offshore & Shipbuilding Association).
31 . http://www.dsme.co.kr/epub/business/business011401Q.do (consulté le 14 avril 2015)
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Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 83
progressivement la main sur une partie du commerce maritime international en contrôlant non seulement un point de passage stratégique mais
également les instruments de ces flux commerciaux.
D’un point de vue géopolitique, la mise en œuvre du canal interocéanique
pourrait être source de conflits. De ce fait, l’Amérique centrale revient au
centre de l’attention internationale. L’intérêt géostratégique que présente
l’Isthme attire la convoitise de nouvelles puissances. Ces dernières années,
on a pu constater l’essor de la présence économique et politique chinoise
dans le sous-continent latino-américain et notamment en Amérique
centrale 32. Cet essor a été marqué par une série de visites présidentielles
réciproques. La dernière, effectuée en juin 2013, a été le symbole d’une
volonté de renforcer la présence chinoise en Amérique centrale 33. Depuis
l’ouverture des relations diplomatiques avec la Chine en 2007, le Costa
Rica a délaissé Taïwan et est devenu le premier pays de la région à avoir
des relations diplomatiques avec la Chine 34. Sans nécessairement avoir
de relations diplomatiques avec Pékin, les autres pays n’entretiennent pas
moins des relations économiques avec le géant asiatique via des bureaux
commerciaux (Panamá, Honduras).
À la dernière tournée centraméricaine du président chinois Xi Jinping
– avec l’annonce de partenariats et d’activités stratégiques menés avec des
pays de la région – a fait écho le nouveau programme nord-américain
Promoting Prosperity, Security and Good Governance in Central America
promu par le vice-président Joseph R. Biden 35. Ce plan a suscité d’importantes réactions et fait émerger l’idée que les États-Unis étaient de retour en
Amérique centrale. De fait, la région a longtemps été considérée comme
étant le pré carré des États-Unis, même si leur présence s’était estompée
depuis au moins une décennie. Ainsi, l’annonce du déblocage de un milliard
de dollars par l’administration nord-américaine pour l’année fiscale 2016 a
eu un profond retentissement.
Alors que les autorités chinoises lancent les premiers travaux du canal
par l’intermédiaire de l’entreprise HKND, dans le même temps, la BID
vient d’annoncer un projet de « connectivité routière » qui aura pour effet
de faciliter le transport entre les deux rives. De la même manière, alors
que le canal passe progressivement de l’état de projet à celui de réalité, la
BID a approuvé un prêt de 400 millions de dollars à l’Autorité du canal
de Panamá (ACP) pour achever les travaux d’expansion de cet ouvrage.
32 . Constantino Urcuyo, « Relaciones de China con Centroamérica : comprendiendo los
intereses estratégicos y económicos de la región », Incep, Reporte Político Centroamericano,
no 11, juillet-décembre 2014.
33 . El País titrait le 31 mai 2013 : « China también pone los pies en Centroamérica ».
34 . Un traité de libre-commerce a été signé entre les deux pays en 2007 et un partenariat stratégique a été conclu avec le président Solís lors de sa visite en janvier 2015.
35 . J. R. Biden, “A Plan for Central America”, The New York Times, 30 janvier 2014.
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Partant du présupposé que la BID constitue un acteur clé dans la politique
nord-américaine vis-à-vis de l’Amérique latine, on constate qu’il s’agit de
deux projets complémentaires mais également concurrentiels, susceptibles
de bouleverser l’équilibre géopolitique régional et international.
Conclusion
Le Grand Canal interocéanique conduit le Nicaragua à procéder à un
choix – entre la croissance économique et la protection de l’environnement –, une situation bien connue des pays en développement. Le choix
de la croissance semble avoir été fait. Mais on peut cependant douter
de la faisabilité du projet. La principale inquiétude vient du fait que la
manière dont celui-ci a été conçu dépossède le peuple nicaraguayen de
sa souveraineté au profit d’acteurs privés. Autre préoccupation – et non
des moindres –, la réalisation du canal pourrait avoir des conséquences
négatives en matière environnementale et sociale. En 2007, D. Ortega
avait déclaré que, pour tout l’or du monde, il ne voulait d’un tel canal au
Nicaragua. Le chef de l’État a donc changé d’avis, au risque de malmener
la stabilité de la démocratie dans son pays.
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Le canal interocéanique du Nicaragua : état des lieux, enjeux et perspectives ❮ 85
■■ Chronologie
2012
Juillet : Approbation par le Parlement nicaraguayen de la loi 800 pour la construction
du canal interocéanique. Mise en place de la Commission pour le canal du Nicaragua
et le projet de développement.
31 octobre : Acte de coopération entre la Commission pour le canal du Nicaragua et
le projet de développement et l’entreprise HKDG.
2013
13 juin : Approbation par le Parlement nicaraguayen du grand accord de concession
(Master Concession Agreement) à signer par le gouvernement du Nicaragua. Cet
accord fait de HKDN le concessionnaire des terres utilisées pour le canal pour 50 ans
et est reconductible durant 50 autres années.
14 août : Début des inspections relatives à la faisabilité technique du canal.
19-26 octobre : Première visite d’une délégation nicaraguayenne en Chine pour rencontrer les dirigeants de HKDG.
2014
10 janvier : Ratification de l’agenda des travaux de construction par le gouvernement
du Nicaragua.
6-9 juillet : Première visite d’une délégation de HKDG au Nicaragua.
7 juillet : Annonce officielle du tracé sélectionné (Selected Route).
14-16 juillet : Séminaires d’information sur le projet du canal.
21-30 juillet : Réunions de consultation organisées dans tous les pays sur le projet
de construction du canal.
20 novembre : Présentation du rapport préliminaire d’impact environnemental et
social du canal.
17 décembre : Remise du rapport d’impact environnemental et social pour le début
des travaux en vue de l’amélioration des voies d’accès à Brito.
19 décembre : Autorisation donnée par le Marena pour le lancement des travaux et
des activités préliminaires à la construction du canal.
22 décembre : Cérémonie officielle du lancement de la construction du canal.
2015
Mars/avril : Date de remise prévue du rapport final d’impact environnemental et
social.
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BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
Academia De Ciencias De Nicaragua, El canal interoceánico por Nicaragua : aportes al
debate, Managua, Academia de Ciencias de Nicaragua, 2014.
Banco Mundial, Prioridades de Politica e Inversion Para Reducir la Degradacion Ambiental
de la Cuenca del Lago de Nicaragua (Cocicalba), International Bank for Reconstruction and
Development, Washington, 2013.
Gobierno De Nicaragua, Gran Canal Interoceanico por Nicaragua : Perfil del proyecto,
Managua, août 2006.
Axe Meyer, Jorge A. Huete-Perez, “Conservation : Nicaragua Canal could wreak
environmental ruin”, Nature, 19 février 2014.
Preetygoodproductions, “This Land is for All of We: A small Rama community in
Bangkukuk, Nicaragua, speaks out about the Grand Canal Project”, 2014 (accessible en
ligne : https://vimeo.com/109026969).
■■ Déjà publié sur l’Amérique centrale
• L’Amérique centrale existe-t-elle ? Économie, société et politique dans une région
en quête d’intégration
Willibald Sonnleitner et Sophie Hvostoff
Édition 2012, collection « Mondes émergents »
Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 86
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L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 87
L’Amérique latine en 2015 :
la fin d’un cycle de croissance,
la fin du cycle social ?
VERA CHIODI
Maîtresse de conférences à l’Université Sorbonne-Nouvelle
Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL)
C A R LO S W I N O G R A D
Chercheur et professeur à l’École d’économie de Paris, ancien secrétaire
d’État à la Concurrence, à la Régulation et aux Consommateurs d’Argentine
« Plus une situation s’améliore, plus l’écart avec la situation idéale est ressenti subjectivement comme intolérable par ceux-là même qui bénéficient de cette amélioration ».
(Alexis de Tocqueville, « Paradoxe de l’insatisfaction croissante », De la démocratie en Amérique,
tome 1 : 1835 ; tome 2 : 1840).
Au cours de la dernière décennie, l’Amérique latine a enregistré un taux
de croissance annuel moyen bien plus important et plus soutenu que par
le passé 1 2. En revanche, en 2014, ce taux a été de seulement 2,9 % et les
estimations pour 2015 l’établissent à 1 % (graphique 1) 3. Quelles sont les
sources de ce ralentissement ? Celui-ci est-il temporaire ou peut-il illustrer
un nouveau cycle de faible croissance pour la région ? La chute des prix
des matières premières exportées par la région est un facteur explicatif de
cette rupture du cycle vertueux des années précédentes, lui-même associé
à un boom des produits de base. Au cours des dernières années, on a
assisté au développement de politiques sociales vigoureuses, destinées à
réduire la pauvreté et les inégalités, à améliorer les systèmes éducatif et
sanitaire. Quels ont été les effets de ces politiques sociales et de redistribution ? Peut-on évaluer l’efficacité et les arbitrages imposés par les actions en
cours ? Celles-ci seront-elles soutenables et approfondies dans les années à
venir, au vu des scénarios macro-économiques ?
Se posent la question des caractéristiques de la fin du cycle de croissance
macro-économique ainsi que celle de la réponse aux effets négatifs de la
crise économique mondiale sur la région, outre le rôle d’un système de
protection sociale beaucoup plus important que dans le passé.
1 . Les auteurs remercient Olivier Compagnon, Marie Laure Geoffray et Mateo Piccolo pour
leurs commentaires et leurs suggestions.
2 . Entre 2003 et 2008, ce taux a été supérieur à 5 % par an en moyenne.
3 . World Economic Outlook, Fonds monétaire international (FMI).
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La première partie de cet article analyse les faits macro-économiques les plus
saillants des dernières années en Amérique latine, les défis et les contraintes
que devra affronter la région. La seconde partie dresse un état des lieux de
l’évolution récente des indicateurs sociaux en matière de pauvreté, d’inégalités, d’éducation, de travail informel et de santé. Toutes ces dimensions,
certes très diverses, vont décrire le panorama macro-économique et social
fortement hétérogène de la région, sans nécessairement révéler les causes
de ces divergences, sujet que n’aborde pas cette étude.
Croissance économique et inflation modérée :
une belle époque et la fin d’un cycle
La situation macro-économique actuelle de l’Amérique latine peut être
expliquée par une succession d’événements survenus depuis le déclenchement de crises monétaires et financières dans plusieurs économies de la
région à la fin des années 1990 et au début du xxie siècle. Pendant la dernière
décennie, ce qui a le plus marqué la performance macro-économique de
l’Amérique latine a été le boom des matières premières (graphique 2), couplé
à une situation saine des finances publiques et à des niveaux d’inflation
modérés dans la plupart des pays 4. Cela a créé un environnement certainement inhabituel dans cette région, dont l’histoire a été trop souvent
caractérisée par des crises affectant la balance des paiements, par des attaques
spéculatives sur la monnaie et par une inflation galopante dans beaucoup
de pays ainsi que, pour certains, par des expériences d’hyperinflation. Le
résultat en a été des cycles de stop and go et une croissance spasmodique.
Le boom des matières premières a suscité de fortes controverses au sujet de
la reprimarisation de la structure des exportations d’une région très riche
en ressources naturelles. En fait, une vigoureuse demande de produits de
base, venue du reste du monde, a eu pour effet de décupler les exportations,
source d’une croissance soutenable, et de permettre une forte accumulation de réserves en devises étrangères dans la plupart des pays. Des comptes
courants montrant régulièrement des surplus ont permis aux économies
d’Amérique latine de bénéficier d’une stabilité, rare du point de vue de
son histoire. Certains économistes, gagnés par un excès d’optimisme,
ont développé la vision d’un découplage de la région, qui serait hors
d’atteinte des chocs externes négatifs provenant du reste du monde. Les
4 . Voir Michael Brei et C. Winograd (2009), Conference, University of London, Institute
of the Americas, Latin America in the Global Financial Crisis, The Global Financial Crisis:
from NYC to Latam, London ; BID (2015) The Labyrinth: How Can Latin America and the
Caribbean Navigate the Global Economy ; Pierre Salama (2014), Des pays toujours émergents ?,
coll. « Doc’en poche. Place au débat », no 31, La Documentation française.
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L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 89
pays latino-américains, souvent sources de désordre macro-économique,
nourrissant des doutes chroniques sur leur processus de développement,
se seraient immunisés contre les crises importées. L’histoire a prouvé que
cette approche était fausse. Certes, la situation macro-économique montrait
une stabilité jusqu’alors inconnue. Mais les effets de l’économie globale
continuent à se faire sentir dans le sous-continent, avec des effets tant
positifs que négatifs, comme les conséquences de la crise financière apparue
dans l’hémisphère Nord en 2008.
Graphique 1. PIB de la région (en % de variation interannuelle)
7%
6,2 %
6%
5,6 %
6,1 %
5,7 %
5%
4,9 %
4,7 %
4%
3,9 %
3,7 %
3,1 %
3%
2,0 %
2%
1%
0%
2,9 %
0,5 %
1,3 %
0,9 %
0,4 %
-1,3 %
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015*
Événement 2 Événement 3
Événement 4
Réponse et perte Ralentissement
Crise
internationale de degrés de
de la croissance
liberté
-1 %
-2 %
Événement 1 : Boom des matières premières
Source : Analyse des auteurs, établie à partir des données WEO du FMI.
Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 89
02/03/2016 16:27:32
90 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016
Graphique 2. Indices des prix des matières premières (indice base 100 en 2005)
300
250
200
150
100
50
Indice général
Carburant
Alimentation et boissons
01/01/2015
01/01/2014
01/01/2013
01/01/2012
01/01/2011
01/01/2010
01/01/2009
01/01/2008
01/01/2007
01/01/2006
01/01/2005
01/01/2004
01/01/2003
01/01/2002
01/01/2001
01/01/2000
01/01/1999
01/01/1998
01/01/1997
01/01/1996
01/01/1995
01/01/1994
01/01/1993
01/01/1992
0
Métaux
Source : Analyse des auteurs, établie à partir des données Primary Commodity Prices (FMI).
Dans le contexte d’une forte augmentation des prix des matières premières,
la crise financière internationale venant du Nord est devenue le deuxième
événement marquant de la période récente, à la suite du boom évoqué
supra. L’Amérique latine a dû faire face au défi consistant à surmonter
un choc externe sans précédent depuis des décennies. Autre nouveauté
pour la région : la crise n’était pas engendrée par les déséquilibres qu’elle
a connus tout au long de son histoire, mais avait son épicentre dans les
pays développés. Néanmoins, malgré la bonne réponse mise en œuvre
par les pays les plus importants de la région, la contagion n’a pas pu être
totalement évitée, et le taux de croissance moyen a connu une forte baisse.
Le découplage par rapport aux cycles globaux annoncé par certains ne s’est
pas vérifié dans les faits. En effet, en 2009, après une croissance de 3,9 %
en 2008 (et de plus de 5 % en 2006 et 2007), le PIB de la région subit
une très forte contraction et chute de 1,3 % (graphique 1). Les canaux de
transmission de la crise sont analysés dans la suite de ce texte. D’importants
programmes de relance économique ont été mis en œuvre, permettant
ainsi d’amortir le choc externe et de relancer la croissance (6,1 % en 2010),
mais cela a également obéré les politiques de stabilisation qui pourraient
Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 90
02/03/2016 16:27:32
L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 91
être appliquées face à des chocs négatifs futurs 5. Ce potentiel affaiblissement des politiques monétaire et budgétaire varie d’un pays à l’autre,
mais il constitue un élément commun de fragilité croissante. On peut
identifier trois groupes de pays, en termes de risque ou de vulnérabilité
macro-économique. De par sa gestion, le Chili est un cas à part, en raison de
sa robustesse macro-économique et financière (très faible niveau d’endettement, fonds de stabilisation équivalent à 10 % du PIB). Ensuite, présentant
un niveau de vulnérabilité macro-économique plus important mais encore
assez faible, on trouve la Colombie, le Mexique, le Paraguay et le Pérou.
Les pays relativement plus vulnérables sont l’Argentine et le Venezuela 6.
Le rebond qui a suivi la crise montre que les économies ont évolué de
manières diverses, en fonction des politiques budgétaires, monétaires
(et de change) mises en œuvre par les pays considérés. Dans les années
du cycle vertueux 2002-2008, certains d’entre eux avaient accumulé des
excédents considérables (tableau 1), qui ont permis à l’État d’intervenir par
le biais d’une politique budgétaire expansionniste lors de la crise internationale apparue en 2008. Dans ce sens, il faut remarquer le cas du Chili,
qui engage la politique budgétaire et monétaire la plus expansionniste de
la région, avec une relance budgétaire qui atteint 2,2 % du PIB. Ce pays
possède un fonds de stabilisation économique et sociale destiné spécifiquement à se capitaliser durant les années d’excédent budgétaire pour pouvoir
appliquer une politique contre-cyclique dans les années de vaches maigres,
comme celles qui ont suivi le choc de 2008. Cette flexibilité budgétaire a
pu être clairement observée en 2009, lorsque le gouvernement a engagé
des initiatives de relance 7.
Le phénomène de diminution de ces instruments de politique macroéconomique, véritable force de frappe, déployés à la suite des politiques
de relance de 2008-2009, peut être considéré comme constituant un
troisième « événement » dans le cadre de cette période.
5 . Pour des détails sur les plans de relance et l’hétérogénéité des trajectoires dans la région face
à la crise qui éclate en 2008, voir M. Brei et C. Winograd (2009) et BID (2015), op. cit.
6 . La hausse du risque pays de chaque ensemble de pays révèle des degrés divers de vulnérabilité
et de crédibilité sur les marchés internationaux de capitaux. Voir M. Brei et C. Winograd
(2009) ; Bloomberg et Emerging Markets Monthly, Deutsche Bank (2009-2010).
7 . De plus, en 2008, le niveau de la dette publique du Chili n’atteignait que 5 % du PIB,
contre 20 à 40 % pour l’Argentine, le Brésil, l’Équateur, le Mexique et le Pérou, plus de 45 %
pour la Bolivie, la Colombie, le Nicaragua, le Panamá, l’Uruguay et 110 % pour la Jamaïque.
Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 91
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92
❯ AMéRique LAtine – éDitiOn 2015-2016
La crise internationale et la réponse de l’Amérique latine
8
En 2008, la situation des finances publiques et de la balance des paiements
de l’Amérique latine est saine, une situation peu courante au vu de l’histoire
économique de la région depuis 1930. Cette solvabilité financière offre
alors des outils puissants pour contrer les effets de la contagion venant
de l’hémisphère Nord. À d’autres époques (la crise Tequila en étant un
exemple 9), un épisode de contagion se traduisait par d’importantes sorties
de capitaux (fly to quality), par des attaques spéculatives sur la monnaie
et sur les réserves de change, mettant en danger la balance des paiements
et la solvabilité externe des pays affectés. La politique monétaire et de
change mise en place pour rééquilibrer les comptes externes venait frapper
l’économie, ce qui provoquait une forte baisse de l’activité et une dégradation de la situation de l’emploi et de la situation sociale.
En 2008, l’Amérique latine se trouve face à la crise, dans une situation de
robustesse (avec d’importantes réserves en devises étrangères) due à la forte
croissance des exportations associée dans une large mesure au boom des matières
premières. De plus, la région présentait également des finances publiques en
équilibre, voire dans certains cas en surplus, et des niveaux d’endettement
public relativement faibles. Ainsi, à la différence du passé de stop and go, un
taux de croissance élevé était compatible avec la solvabilité des comptes externes
et des finances publiques. On constatait un chemin de croissance potentiellement soutenable dans un grand nombre de pays de la région.
Graphique 3. Amérique latine. Croissance (axe horizontal) et solde du compte courant (axe vertical)
2
2005
1
2003
-1
2009
1
0
-1
3
2012
1995
1999
2001
4
5
6
7
2008
2002
-2
-3
2
2004
2007
0
-2
2006
2014
2010
2011
1996
2000
2013
1997
2015*
-4
*Estimations.
1998
-5
Source : Analyse établie par les auteurs grâce à la base de données WEO du FMI.
8.
9.
Voir M. Brei et C. Winograd (2009), op. cit.
Une attaque spéculative contre le peso mexicain, en décembre 1994, déclenche une crise
économique et financière de grande ampleur au Mexique. La crise s’étend à l’ensemble de
l’Amérique latine et à d’autres pays émergents. Voir Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff
(2009), This Time is Different: Eight Centuries of Financial Folly, Princeton University Press.
Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 92
02/03/2016 16:27:32
L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 93
Le graphique 3 montre simultanément la croissance du PIB (axe horizontal)
et le solde du compte courant (axe vertical). On observe la phase de stop
and go classique mentionnée (flèches noires), durant laquelle les périodes
de croissance du PIB sont associées à des déséquilibres externes ; c’est le
cas ici des années antérieures à 2003. Ensuite, à partir de cette date et
jusqu’en 2007, on note une phase de croissance et de soutenabilité externe
(zone orangée). Mais, à partir de 2008, se produit un retour graduel vers
les arbitrages du passé, la croissance économique étant associée à une
détérioration des comptes externes. Les années 2013 et 2014 montrent
déjà des situations de fragilité croissante du solde de la balance courante.
Venezuela
Uruguay
Pérou
Paraguay
Mexique
Équateur
Colombie
Chili
Brésil
Bolivie
Argentine
Année
Tableau 1. Finances publiques : déficit budgétaire (en % du PIB)
2000
- 3,0
- 3,7
- 3,3
- 0,7
- 2,9
1,0
- 3,0
- 0,9
- 2,1
- 3,3
4,5
2001
- 4,9
- 6,8
- 3,2
- 0,5
- 2,9
1,2
- 3,1
- 0,7
- 2,1
- 3,4
- 4,6
- 1,5
2002
- 1,2
- 8,8
- 4,4
- 1,2
- 3,4
0,8
- 3,4
- 2,5
- 1,4
- 3,7
2003
1,2
- 7,9
- 5,2
- 0,4
- 2,7
1,0
- 2,3
0,0
- 1,6
- 2,6
0,2
2004
3,4
- 5,5
- 2,9
2,0
- 1,3
1,9
- 1,2
1,0
- 1,0
- 1,8
2,5
2005
2,0
- 2,2
- 3,5
4,5
0,0
0,6
- 1 2
1,2
- 0,4
- 0,4
4,1
2006
1,8
4,5
- 3,6
7,4
- 1,0
2,9
- 1,0
2,0
2,0
- 0,5
- 1,6
2007
0,3
1,7
- 2,7
7,9
- 0,8
1,8
- 1,2
2,0
3,3
0,0
- 2,8
2008
0,8
3,6
- 1,5
4,1
- 0,3
0,5
- 1,0
3,0
2,7
- 1,6
- 3,5
2009
- 1,6
0,0
- 3,2
- 4,1
- 2,8
- 3,6
- 5,1
- 0,5
- 1,7
- 1,7
- 8,7
2010
0,0
1,7
- 2,7
- 0,4
- 3,3
- 1,3
- 4,3
0,7
0,0
- 1,5
- 10,4
2011
- 1,9
0,8
- 2,5
1,4
- 2,0
0,0
- 3,3
1,9
2,2
- 0,9
- 11,6
2012
- 2,4
1,8
- 2,6
0,7
0,1
- 0,9
- 3,7
- 1,7
1,9
- 2,8
- 16,5
2013
- 2,0
0,7
- 3,1
- 0,5
- 0,9
- 4,6
- 3,8
- 1,5
0,7
- 2,4
- 14,6
2014*
- 2,7
- 3,2
- 6,2
- 1,4
- 1,4
- 5,2
- 4,6
- 0,5
- 0,1
- 3,4
- 14,8
2015*
- 4,1
- 4,5
- 5,3
- 2,1
- 3,2
- 5,4
- 4,1
- 1,1
- 1,7
- 2,8
- 19,9
* Estimations.
Source : Élaboration des auteurs établie grâce aux bases de données WEO du FMI.
Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 93
02/03/2016 16:27:32
94 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016
Année
Argentine
Bolivie
Brésil
Chili
Colombie
Équateur
Mexique
Paraguay
Pérou
Uruguay
Venezuela
Tableau 2. Finances publiques : dette publique (en % du PIB)
2000
38
67
65
13
38
–
42
35
44
– 28
2001
45
60
70
14
35
62
41
43
43
55
32
2002
138
69
79
15
38
53
43
59
45
110
55
2003
117
74
74
13
45
45
45
45
49
112
61
2004
106
90
70
10
41
40
41
34
46
94
45
2005
71
80
69
7
38
35
39
28
40
84
46
2006
62
55
66
5
36
29
38
21
35
76
34
2007
53
41
64
4
32
27
38
18
32
68
31
2008
47
37
62
5
32
22
43
18
28
68
23
2009
48
40
65
6
35
16
44
18
28
66
29
2010
39
39
63
9
37
19
42
15
25
62
36
2011
36
35
61
11
36
18
43
13
23
59
43
2012
37
33
64
12
32
21
43
16
21
59
46
2013
40
33
62
13
36
24
46
17
20
62
55
2014*
49
32
65
14
38
30
50
21
21
63
46
2015*
49
36
66
16
41
34
51
23
21
64
40
Moins de 35 %
Supérieur à 60 %
Supérieur à 100 %
* Estimations.
Source : Élaboration des auteurs établie à partir des données WEO du FMI.
Fondamentalement, la crise financière internationale se diffuse dans la région
par deux canaux. D’une part, celui du commerce international de biens et de
services (et des transferts des émigrés de la région, les remesas), avec une baisse
de la demande des biens exportés par l’Amérique latine et une diminution
des prix sur le marché international. D’autre part, par le canal financier, où
l’on observe une réduction de 90 % des flux de capitaux privés et une baisse
de 50 % des entrées de capitaux destinées au secteur public. Contrairement
à la morphologie de la crise dans les pays développés, en Amérique latine,
la crise ne concerne pas la stabilité ou la solvabilité du système bancaire 10.
La plupart des pays de la région ont mené des politiques d’expansion
budgétaire, qui comportaient simultanément des volets d’accroissement
des dépenses publiques (incluant une augmentation des transferts sociaux)
et des réductions d’impôts (souvent programmées comme transitoires).
10 . Il faut également remarquer le faible degré de développement financier de la région, et aussi
le fait que le marché de crédit hypothécaire a une importance très limitée.
Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 94
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L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 95
Sur le plan monétaire, les pays de la région ont suivi des politiques expansionnistes modérées, visant à éviter une trop forte chute des rendements des
actifs financiers nationaux, risquant de conduire à des attaques spéculatives
menées sur les monnaies, comme dans le passé. Face à cette turbulence
financière internationale, la région était confrontée à un véritable test de
crédibilité sur les marchés, l’histoire ne jouant guère en sa faveur. Les crises
monétaires et financières récurrentes qu’elle avait connues contraignaient
la politique économique. Si les politiques budgétaires et monétaires ont
été expansionnistes, les actions de relance étaient relativement prudentes 11.
Mais les années qui ont suivi témoignent d’une détérioration importante
des comptes publics (tableau 1). Le risque pays (taux d’intérêt des Bons du
Trésor) montre une augmentation dans tous les pays de la région, le Chili
présentant la hausse la plus faible, le Brésil, le Mexique, le Pérou, la Colombie
et l’Uruguay des augmentations modérées et, à l’opposé, l’Argentine et le
Venezuela connaissant de très fortes augmentations du risque pays 12.
Le test de crédibilité a été franchi avec succès par un grand nombre de
pays, ce qui a conduit à un retour des flux de capitaux à partir de 2010. Si
la région a démontré une résilience appréciable face à la crise, qualité qui a
ensuite permis une reprise de la croissance, la situation présente aujourd’hui
une plus grande fragilité, face aux scénarios internationaux à venir.
L’épuisement de la « puissance de feu » des politiques
macro-économiques
Les politiques adoptées par les pays d’Amérique latine pour faire face à
la crise internationale ont consommé une bonne partie des ressources
budgétaires disponibles. Dans le même sens, une détérioration des
comptes externes remet en question la soutenabilité future de la croissance
économique de la région, dans le cadre d’un scénario de hausse des taux
d’intérêt aux États-Unis, de faible croissance de l’économie mondiale et
11 . Au moment de la crise, les déficits budgétaires sont de 1,4 % à - 5,8 % (surplus), pour
l’Argentine, le Brésil, la Bolivie, le Chili et le Pérou. Les pays présentant les déséquilibres
les plus importants sont le Nicaragua, le Honduras et la Jamaïque (3-7 %). Les plans de
relance budgétaire mis en place à la suite de la crise vont de 0,5 % du PIB au Brésil à 2,2 %
au Chili, l’Argentine, la Colombie, le Mexique et le Pérou se situant entre ces deux valeurs
(voir M. Brei et C. Winograd, 2009, op. cit.). La solvabilité financière du Chili, déjà bien
affirmée sur les marchés internationaux, explique que ce pays a mené les politiques macroéconomiques les plus actives.
12 . Une hausse de 3-6 % pour les premiers, et de plus de 10 % pour les seconds, voir Bloomberg,
op. cit.
Amérique latine 2015-2016-MPV (Pantone 717U).indd 95
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96
❯ AMéRique LAtine – éDitiOn 2015-2016
de faiblesse des prix des matières premières exportées 13. Ainsi, la vigueur,
sur le plan externe, dont disposait l’Amérique latine quand elle a affronté
la crise internationale de 2008 s’est progressivement épuisée. Les deux
facteurs – externe et budgétaire – ont entraîné une réduction du taux de
croissance (5,3 % en moyenne en 2004-2008 contre 3 % en moyenne
en 2009-2013), avec 1 % estimé pour l’année 2015.
Le tableau 1 montre la dégradation des finances publiques de plusieurs
pays : Argentine, Bolivie, Brésil, Colombie, Équateur, Mexique, Paraguay,
Uruguay et Venezuela. Mais il faut remarquer que le Chili, le Paraguay et
le Pérou montrent encore des niveaux de dette publique faibles (tableau 2).
Par ailleurs, le solde du compte courant (graphique 4) témoigne également
d’une forte détérioration et de l’épuisement des excédents de la balance des
paiements, expression de la robustesse inédite observée en 2008. Cela indique
que la vulnérabilité de la région sur le plan externe est à nouveau à l’ordre du
jour 14. Il faut remarquer que l’inflation chronique élevée, un trait structurel
de la région pendant des décennies, n’est pas d’actualité. Dans la plupart des
pays, la hausse des prix est inférieure à 10 % par an, sauf en Argentine et
au Venezuela, qui connaissent des niveaux d’inflation supérieurs à 25 % 15.
Graphique 4. Solde du compte courant ( % du PIB)
2007
2010 2013 2015*
14
11,4
12
10
8
7,2
5,7
6
4,1
3,7
4
2,0
2
1,5
0,1
0
-2
-1,2
-1,4
-1,7
-1,7
0,9
-2,2
-2,8
-4
-3,0
-3,3
-3,7
-3,8
-4,6
-4,7
-6
-5,8
-8
Argentine Bolivie Brésil Chili Colombie Équateur MexiqueParaguay Pérou Uruguay Venezuela
* Estimations.
13 . Pour une analyse de la corrélation du cycle de croissance d’Amérique latine avec les taux d’intérêt
internationaux et les prix des matières premières, voir Bertrand Gruss, http://www.imf.org/external/
pubs/ft/wp/2014/wp14154.pdf ; Pablo Neumeyer, NBER:http://www.nber.org/papers/w10387
14 . C. Reinhart et K. Rogoff (“Growth in a Time of Debt”, 2010, NBER Working Paper 15639)
analysent les effets d’intolérance à l’endettement et l’impact négatif sur la croissance. Gustavo
Adler et Sebastian Sosa (External Conditions and Debt Sustainability in Latin America, 2013,
IMF WP) observent, une forte vulnérabilité sur le plan des finances publiques.
15 . La Bolivie, le Chili, la Colombie, le Mexique, le Paraguay et le Pérou connaissent des taux
d’inflation inférieurs à 5 %. Le Brésil et l’Uruguay, avec 7 à 10 %, engagent des politiques
anti-inflationnistes pour diminuer ces niveaux supérieurs à leurs objectifs.
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L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 97
Source : Élaboration établie par les auteurs à partir des bases de données WEO du FMI.
Les prévisions d’une croissance à la baisse pour 2015 (0,9 %, graphique 1)
s’expliquent par une conjonction de facteurs macro-économiques, mais
aussi par des faiblesses structurelles chroniques. Les pays de la région, dits
de « revenu intermédiaire », sont exposés à une double contrainte. Primo,
à la concurrence accrue des pays moins développés pratiquant des coûts
salariaux plus faibles. Secundo, à un déficit de compétitivité et à la difficulté
rencontrée pour gagner des parts de marché sur des segments à forte valeur
ajoutée, face à l’accumulation de capital humain et de technologie par
les pays les plus riches, ainsi que face à la forte croissance de productivité
d’autres pays émergents, en particulier de l’Asie du Sud-Est et de la Chine.
En comparaison avec les pays ayant un produit intérieur brut (PIB)
comparable, les Latino-Américains ont en moyenne un accès très inégal à
l’éducation, à la santé et à d’autres infrastructures. Parmi les quinze pays
les plus inégalitaires au monde, dix se trouvent en Amérique latine 16.
L’inégalité et la pauvreté
Les données disponibles montrent que l’Amérique latine est la région
la plus inégale au monde 17 : le coefficient de Gini 18 s’y élève actuellement approximativement à 0,50, contre environ 0,30-0,35 en Europe,
0,32 19 pour les pays de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), 0,37 pour l’Asie (y compris la Chine) et
0,41 pour l’Asie du Sud-Est 20. L’inégalité dans la distribution du revenu a
globalement diminué de manière significative dans toute la région durant
les dernières années. Ces résultats agrégés dissimulent toutefois une forte
hétérogénéité : notamment entre, d’une part, l’Uruguay (0,41), le Salvador
(0,42), le Costa Rica (0,49) et, d’autre part, la Colombie (0,54), le Brésil
(0,53), le Honduras (0,57) ou le Chili (0,51). On constate également que
les grandes économies de la région se situent légèrement en dessous de la
16 . World Development Report Tables, World Development Indicators, World Bank, 2013,
2014 ; World Population Prospects: The 2008 Revision United Nation, 2009.
17 . L’Afrique sub-saharienne et quelques pays de l’Asie du Sud-Est sont les seuls à présenter
aujourd’hui des niveaux d’inégalités comparables aux niveaux latino-américains. Cependant,
l’Amérique latine ne compte pas de pays dits « pays moins avancés » (PMA), à l’exception
d’Haïti.
18 . Après une augmentation continue depuis le début des années 1980 jusqu’au milieu des
années 2000 (où il a atteint 0,54).
19 .http://www.oecd.org/social/income-distribution-database.htm
20 . Asian Development Outlook 2012, “Confronting Rising Inequality in Asia”, Asian
Development Bank, 2012.
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moyenne régionale (0,48 pour le Mexique et 0,44 pour l’Argentine ; le
Brésil faisant quelque peu figure d’exception) 21.
A priori, la raison principale souvent avancée pour expliquer le déclin des
inégalités dans la dernière décennie est la baisse des inégalités de salaires,
encouragée notamment par l’instauration d’un système de redistribution
sociale (des transferts monétaires conditionnels, conditional cash transfer)
plus progressif : 50 % du budget total des transferts sont destinés aux 20 %
les plus pauvres de la population.
A contrario, la diminution des inégalités de revenus n’est pas nécessairement synonyme de diminution des inégalités sociales 22. Il existe des
inégalités non monétaires beaucoup plus difficiles à mesurer, comme
les inégalités entre écoles privées et écoles publiques, les phénomènes de
ségrégation sociale, etc., susceptibles d’influer sur la future trajectoire sociale
des individus 23. Il est clair que l’inégalité de distribution des revenus peut
être rapidement observée, mais une diminution ou une augmentation des
inégalités de ce type est beaucoup plus difficile à discerner. Au Brésil, par
exemple, la notion de « nouvelle classe moyenne » souvent mentionnée dans
la littérature récente doit être nuancée. Si l’on tient compte de critères tels
que la stabilité de l’emploi, les conditions de logement, l’accès à l’enseignement, cette classe s’apparente davantage à une couche additionnelle de la
classe ouvrière aux revenus certes – relativement – élevés 24.
La pauvreté en Amérique latine, bien que plus élevée que dans les pays
développés ou les pays émergents de l’Asie du Sud-Est, n’est pas aussi
grave qu’en Afrique et dans le reste de l’Asie. Mais elle reste néanmoins
préoccupante : en 2010, on estime qu’environ 15 % des Latino-Américains
vivaient avec moins de 2,5 dollars par jour (à parité de pouvoir d’achat),
une valeur supérieure au seuil de pauvreté, mais qui suffit difficilement à
21 .http://data.worldbank.org/indicator/SI.POV.GINI/countries?display=map
22 . Le Chili est un cas contrasté de forte diminution du taux de pauvreté combiné à une persistance séculaire de l’inégalité de revenus. La croissance soutenue de ces deux dernières décennies
a engendré une forte demande de jeunes très qualifiés. Une offre insuffisante de ce type de
qualification explique que les salaires des nouveaux arrivants sur le marché du travail présentant un niveau de qualification très élevé soient tirés vers le haut, renforçant la persistance
de ce mécanisme d’inégalité, malgré l’augmentation du revenu moyen et la réduction de la
pauvreté.
23 . Pour une discussion plus ample sur les déterminants de la pauvreté, voir : Leonardo Gasparini,
Martín Cicowiez, Walter Sosa Escudero (2013), Pobreza y Desigualdad en América Latina.
Conceptos, herramientas y aplicaciones, Editorial Temas, Buenos Aires, Argentina ; Abhijit
V. Banerjee et Esther Duflo, Repenser la pauvreté, Éditions du Seuil, coll. « Les Livres du
Nouveau Monde », 2012, 422 p.
24 . Dawid Danilo Bartelt (éd.), A “Nova Classe Média” no Brasil como conceito e projeto político,
Rio de Janeiro, 2013, Fundação Heinrich Böll (représentation de la fondation des Verts
allemands au Brésil), et Juliano Assunçao et C. Winograd (2012), The middle class in Brazil:
Looking at regional convergence, Mimeo.
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L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 99
satisfaire tous les besoins de base 25. Il s’agirait d’une pauvreté dite « de type
structurel » dont souffrent plusieurs générations (entre deux et trois) 26.
Le taux de pauvreté moyen (mesuré en termes moins restrictifs) 27 en
Amérique latine s’établit à 4,6 % de la population en 2011 28 contre 5,7 %
en 2000 29. On remarque donc un recul du taux de pauvreté, qui ne
compense pas les fortes disparités dans la région entre, d’une part, des
pays présentant une pauvreté restant élevée (le Honduras, le Guatemala
ou bien la Bolivie) et, d’autre part, des pays où la pauvreté est plus faible
(comme le Mexique, l’Argentine ou l’Uruguay). D’autres pays se situent
plus ou moins dans la moyenne, ce qui témoigne de la persistance d’une
pauvreté non négligeable (comme le Brésil ou l’Équateur). Ces données se
réfèrent à des taux absolus de pauvreté. Tant que la mesure de la pauvreté
ne se ramène pas à un rapport à la médiane de la distribution des niveaux
de vie, une mesure relative de la pauvreté est difficile à établir. Une telle
mesure relative permet d’évaluer le sort des plus pauvres par rapport au
reste de la population, et non leur niveau de vie absolu 30.
Les défaillances des mesures de revenus se reflètent aussi dans des dimensions
non monétaires. Par exemple, on enregistre en Amérique latine 53 millions
de personnes en situation de sous-alimentation sur une population totale
de 545,6 millions d’habitants. D’autres statistiques nationales révèlent des
cas de manifestation très prononcée de pauvreté non monétaire, s’agissant :
de l’accès à l’éducation pour les jeunes issus de familles à faibles revenus
(ainsi, 22 % des enfants au Nicaragua ne vont pas à l’école primaire), de
l’accès à l’électricité (en Bolivie, par exemple, presque la moitié des ménages
en sont dépourvus), ainsi que de l’accès à l’eau dans les logements (qui ne
concerne que 63 % des ménages en Haïti) ou à un système d’assainissement (29 % des ménages du Mexique en sont privés).
Un scénario comparable s’observe sur le marché du travail, avec un chômage
des jeunes élevé, qui avoisine les 14 %, couplé à une forte précarité, une
instabilité (un contrat de un mois, qui ne donne pas accès à la sécurité
25 . Le pays qui compte le moins de personnes vivant avec moins de 2,5 dollars par jour est
l’Uruguay avec environ 85 000 personnes (2,5 % de sa population), tandis que le pays qui
compte le plus de personnes vivant avec moins de 2,5 dollars par jour est le Brésil (un peu
plus de 19 millions d’individus, 9,6 % de la population) (http://povertydata.worldbank.org/
poverty/region/LAC).
26 . L’accès à des données fiables est relativement restreint pour certains pays. Le cas de l’Argentine est avéré, l’Institut de statistiques remplaçant des données manquantes dans les bases
de données d’enquêtes par des valeurs arbitrairement fixées.
27 . Défini au sens de la proportion de la population vivant avec moins de 1,25 dollar PPP (parité
de pouvoir d’achat) ou moins par jour.
28 .http://donnees.banquemondiale.org/theme/pauvrete
29 . Social Panorama of Latin America 2013, Commission économique pour l’Amérique latine
et les Caraïbes (Cepalc).
30 . Par exemple, si chaque ménage double son revenu, la pauvreté reste inchangée, tandis que,
si les hauts revenus doublent, la pauvreté s’accroît.
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sociale) et de bas salaires. L’indice de développement humain (IDH) 31
témoigne de résultats contrastés pour la région, mais de manière relativement stable, trois pays (l’Argentine, le Chili et l’Uruguay, qui ont le meilleur
score de l’Amérique latine) se situent entre le 40e et le 50e rang au niveau
mondial, ce qui mérite d’être souligné. Parmi les pays d’Amérique latine
présentant un IDH plus faible, on note tout d’abord Haïti, dernier pays
d’Amérique latine, avec un score de 0,471 en 2014 et la 168e place dans le
classement mondial (0,532 et 149e place avant le séisme de 2010). Toute
une série de pays d’Amérique centrale (Salvador, Honduras, Guatemala,
Nicaragua) ainsi que le Paraguay ont vu, entre 2008 et 2014, leur rang en
matière d’IDH soit stagner soit diminuer, et ont perdu des places au classement mondial. La Bolivie est également passée de 0,729 en 2009 à 0,667
en 2014, mais elle maintient sa 113e place. Le Mexique, le Brésil, le
Pérou et le Venezuela progressent dans le classement depuis 2007 tout en
n’accroissant pas sensiblement leur IDH (le Brésil recule marginalement
de 0,813 à 0,774 mais gagne deux places, passant de la 75e à la 73e) 32.
■■ Les actions sociales des gouvernements
Les programmes dits de conditional cash transfers ou transferts monétaires conditionnels(1) constituent le levier central de l’action publique dans la région pour lutter contre la pauvreté. La politique gouvernementale se caractérise donc par un
ensemble de mesures de transferts sociaux, considérées comme des corrections
ex post-nécessaires, mais qui sont en fait insuffisantes puisqu’elles ne s’attaquent
pas aux causes mêmes de la pauvreté.
Peu de mesures visibles se concentrent sur les programmes qui permettent d’accompagner et de donner les bons outils aux individus pour sortir de la pauvreté : information, formation, développement personnel, etc. Néanmoins, il existe quelques tentatives intéressantes conduisant à s’interroger ex-ante sur les coûts de la ségrégation
sociale : le Mexique s’est par exemple doté d’un centre d’évaluation(2), partie intégrante de sa politique publique ; d’autres pays disposent d’un système d’évaluation
comparable mais de forme privée – du type think tank. En outre, la fin du cycle de
croissance macro-économique permettant le financement des programmes sociaux
pose la question de la durabilité des programmes sociaux existants.
(1) Sous diverses formes, Asignación Universal por Hijo en Argentine, Bolsa Familia au Brésil, Prospera – ex.
Oportunidades au Mexique, Juntos au Pérou.
(2) La Comisión Nacional de Evaluación.
31 . Il s’agit d’un indice de type holistique, qui combine revenu par tête, niveau d’éducation et
espérance de vie.
32 . Rapport sur le développement Humain, Pnud, 2013.
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L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 101
Les défaillances du système éducatif
et les déséquilibres sur le marché du travail
L’un des principaux problèmes des économies latino-américaines réside
dans le manque de qualification de leur population active. Les niveaux de
décrochage à chaque palier de l’enseignement (du primaire au supérieur)
sont élevés. Entre 2009 et 2012, le décrochage scolaire à la fin de l’école
primaire affecte en moyenne 23 % des élèves (autrement dit, seuls 77 %
des écoliers du primaire passent dans le secondaire 33). Cette moyenne
masque des différences selon les pays : alors que le taux de décrochage
n’est que de 5 % en Uruguay et de 1 % au Chili, il atteint 46 % au Brésil.
Elle ne rend pas non plus compte des inégalités existant au sein des pays :
seuls 55 % des enfants issus du quintile le plus pauvre atteignent l’enseignement secondaire en Amérique latine, contre plus de 70 % dans des
pays comparables (en termes de coefficient de Gini) 34.
Le niveau des dépenses d’éducation par État a augmenté dans tous les
pays. En 2011, la moyenne des dépenses publiques dans l’éducation en
Amérique latine est de 4,5 % du PIB 35 ; les pays avec le plus bas niveau
(3 %) de dépenses publiques dans ce domaine sont le Pérou, le Panamá,
le Guyana, le Guatemala et le Salvador. À l’inverse, le pays qui consacre
le plus fort pourcentage de son PIB à l’éducation est Cuba (13 %, ce qui
correspond à la moyenne de l’OCDE en 2012 36), pays suivi par le Brésil
(5,8), le Mexique et l’Argentine (tous les deux avec 5,1), l’Uruguay (4,4) et
le Chili (4,6). En parallèle, les institutions privées participent de manière
significative au système éducatif de la région.
Le Nicaragua est le premier pays en termes de fonds privés (48 % du total des
dépenses d’enseignement) au niveau de l’enseignement primaire, secondaire,
et post-secondaire non supérieur ; le Chili est second avec 31 % des dépenses.
Le niveau des fonds privés en Amérique latine est équivalent, voire supérieur
aux niveaux européens. Au Chili, plus de 50 % des personnes scolarisées
(primaire et secondaire) le sont dans le privé, et cette moyenne atteint 70 %
dans l’enseignement supérieur, selon les données de l’Unesco.
33 . The State of the World’s Children, Unicef, 2009 updated in 2014.
34 . OECD/CAF/ECLAC (2014), “Latin American macroeconomic outlook”, in Latin American
Economic Outlook 2015: Education, Skills and Innovation for Development, OECD Publishing
[« Education, skills and innovation for a more dynamic, inclusive Latin America »].
35 .http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SE.XPD.TOTL.GD.ZS
36 . OCDE (2012), « Quelle part des dépenses publiques est consacrée à l’éducation ? », Regards
sur l’éducation 2012, Panorama, Éditions OCDE.
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Dans un environnement de forte croissance et d’augmentation des budgets
publics dans l’éducation (en niveau et en pourcentage), il est intéressant
d’analyser les performances des systèmes éducatifs.
Les systèmes éducatifs latino-américains ont vu leurs performances diminuer
globalement au cours des dernières années selon l’enquête PISA (Program
for International Student Assessment). Dans l’enquête PISA de 2012, les
meilleurs résultats sont obtenus par le Chili et le Mexique, tandis que les
plus mauvais résultats sont le fait de la Colombie et du Pérou. L’Argentine
(en dépit d’une forte augmentation du budget alloué à l’éducation primaire)
et le Brésil se situent derrière le Costa Rica et l’Uruguay 37. Malgré le fait
que le premier pays d’Amérique latine occupe la 51e place (Chili) et que
l’Amérique latine se situe en bas du classement, on constate néanmoins
une amélioration, concernant spécifiquement les résultats des élèves aux
niveaux les plus faibles 38 (niveaux 1 et 2), avec une baisse de la proportion
d’élèves les moins performants ainsi qu’une amélioration de la compréhension de l’écrit dans quasiment tous les pays 39.
■■ Le cas de l’éducation au Chili
Les résultats de l’Argentine ont régressé, alors que les autres pays d’Amérique latine
ont connu une hausse, tel le Chili. Ce pays – où le secteur éducatif privé est particulièrement important – est un cas intéressant. Les performances des écoles privées et des écoles publiques y sont globalement les mêmes(1) selon l’enquête PISA.
Néanmoins, les inégalités sont manifestes : fortes performances des écoles privées
non subventionnées, performances moyennes des écoles privées subventionnées,
plus faibles résultats des écoles municipales publiques. La différence entre le secteur public et le privé est de 120 points, et selon la notation, 40 points équivalent
à une année d’éducation. Au Brésil, les résultats se sont en moyenne améliorés
entre 2000 et 2009, mais ce pays occupe toujours la 53e place du classement, avant
l’Argentine, le Panamá et le Pérou, mais derrière le Chili, l’Uruguay, le Mexique et la
Colombie. Le « rendement » des élèves des écoles publiques y est aussi très inférieur à celui des élèves du privé.
(1) http://www.iadb.org/en/topics/education/do-private-schools-do-a-better-job-of-teaching-in-latin-america,
7429.html
En général, l’accès à l’éducation n’est plus un enjeu de taille. En effet, le
taux d’alphabétisation des adultes est en moyenne assez proche de celui des
pays développés : 91,2 % contre 94,1 % selon les statistiques du Programme
des Nations unies pour le développement (Pnud) en 2009. Cependant,
la qualité et la réussite posent un problème sérieux : l’inadéquation entre
37 .http://www.cei.ulaval.ca/index.php?pid=80&p=1286
38 . http://www.oecd.org/pisa/46643496.pdf ; http://www.oecd.org/pisa/keyfindings/
pisa-2012-results-overview-FR.pdf
39 .http://www.oecd.org/pisa/pisaproducts/39725224.pdf
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L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 103
les besoins du marché du travail et la qualification des jeunes entrant sur
ce marché a été signalée de manière récurrente dans tous les pays 40. Les
politiques en matière d’éducation seraient donc déconnectées de la réalité
macro-économique : les enseignements et les diplômes ne correspondraient
pas aux besoins du marché du travail.
De plus, en ce qui concerne l’éducation supérieure par exemple, le taux
d’obtention des diplômes universitaires augmente en Argentine, mais
plus lentement que dans les pays voisins. Selon des données récemment
disponibles 41 en 2014, seuls trois étudiants sur dix quittent l’université
diplômés en Argentine, contre cinq au Brésil et six au Chili. Compte tenu
de la population de chaque pays, l’Argentine a proportionnellement plus
d’étudiants que le Brésil et le Chili mais, en raison des forts taux d’abandon,
on compte 17 étudiants par diplômé au niveau national, contre 8,4 au
Chili 42 et 6,7 au Brésil.
Les disparités dans l’accès à l’éducation publique primaire, secondaire et
supérieure par décile sont en revanche significatives. L’éducation primaire
est pro-pauvre dans tous les pays, ce qui suggère tout simplement que les
enfants issus des déciles inférieurs de la distribution de revenus vont à
l’école. L’accès à l’éducation secondaire a la forme d’une courbe en « U »
inversée, révélant que les enfants des familles les plus modestes présentant
des taux de scolarisation secondaire relativement bas et ceux des familles les
plus aisées aussi (car ceux-ci sont inscrits dans des établissements privés, dans
la plupart des cas). Enfin, l’éducation universitaire ou tertiaire est pro-riche
dans tous les pays, car les jeunes issus des déciles inférieurs n’y accèdent
que très marginalement 43. On observe aussi des disparités régionales : il
est clair que, en matière d’éducation, les dépenses publiques de certains
pays comme la Colombie et le Pérou sont plus orientées vers les pauvres
(de la même manière que le Royaume-Uni), tandis que des pays comme
le Honduras ou la Bolivie ont des dépenses publiques peu dirigées vers les
déciles inférieurs (s’approchant du cas des États-Unis). Il faut remarquer
le cas du Chili. Une forte demande sociale en vue de réformer le système
éducatif visant à une meilleure inclusion sociale s’exprime depuis plusieurs
années dans ce pays. La politique publique de l’éducation est devenue un
défi majeur pour le gouvernement en place.
40 . Banco Interamericano de Desarrollo (BID) 2012, Marina Bassi, Matias Busso, Sergio Urzúa
and Jaime Vargas, Desconectados : Habilidades, educación y empleo en América Latina.
41 .http://www.ub.edu.ar/centros_de_estudio/cea/cea_numero_34.pdf
42 . Une importante réforme en éducation au Chili vient modifier le système de cofinancement
public/privé et assouplir le processus de sélection (Educación pública de calidad y gratuita).
43 .L. Gasparini et al., 2013, op. cit.
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L’informalité dans le marché du travail
Selon les prévisions du Bureau international du travail (BIT) 44, « même
si la croissance du PIB de la région s’élevait à 4 % par an, il faudrait plus
de cinquante ans pour réduire l’informalité de moitié ».
La précarité dans le travail est une autre manifestation de la pauvreté.
Bien que l’informalité concerne à la fois les pauvres et ceux que l’on peut
considérer comme non pauvres, elle affecte plus fortement les premiers.
■■ Les programmes en faveur de l’insertion
professionnelle
Depuis la mise en place du programme Progresa au Mexique en 1997, les programmes sociaux visant à l’insertion professionnelle se multiplient (notamment à
travers la formation professionnelle), même dans certains petits pays d’Amérique
centrale. Mais le phénomène de l’informalité persiste. Ces initiatives mettent potentiellement en œuvre un jeu pervers du mécanisme des programmes sociaux qui joue
sur les incitations : en particulier, il existe un risque élevé de la part des programmes
de transferts conditionnels de freiner l’accès à la formalité dans les cas où la réception de ces transferts s’arrête avec l’accès au travail formel.
Selon une récente étude du BIT, il existe dans la région 130 millions de
travailleurs dans l’illégalité, parmi une population économiquement active
totale de 239 millions de personnes 45. Le taux d’informalité non agricole
est de 47,7 %. Par ailleurs, 84 % des travailleurs indépendants se situent
dans le secteur informel, ainsi que 79 % des travailleurs nationaux, 33 % des
travailleurs du secteur privé et 60 % des travailleurs des micro-entreprises.
Le pays d’Amérique latine présentant le plus faible taux d’informalité
est l’Uruguay, autour de 40 %, alors que le Honduras, le Nicaragua, le
Paraguay, le Pérou ou encore la Bolivie connaissent des taux de travailleurs informels supérieurs à 60 %. En comparant avec d’autres pays, on
constate que l’ampleur du travail informel (en pourcentage de la population
active) est bien plus développée que dans les régions comparables (comme
les Brics – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – ou les pays les
plus pauvres de l’OCDE). Il est important de mettre en avant les statistiques sur l’informalité, car celles-ci dévoilent des effets délétères sur les
inégalités des chances : monétaires, sectorielles mais aussi d’âge et de genre.
44 . BIT : www.oit.org/americas/forlac
45 . 23 millions de personnes seraient sans emploi.
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L’Amérique latine en 2015 : la fin d’un cycle de croissance, la fin du cycle social ? ❮ 105
Quelques indicateurs en matière de santé
Enfin, la santé constitue un enjeu majeur en Amérique latine, comme le
révèlent les Demographic and Health Surveys 46. Environ 120 millions de
personnes n’ont pas accès aux soins et sont en même temps en situation
de pauvreté. 60 % d’entre elles sont écartées et sont géographiquement
éloignées des infrastructures sanitaires. La question de la cause principale
de cette situation reste ouverte : sommes-nous face à un problème de
l’offre, de la demande, ou bien des deux ?
L’espérance de vie à la naissance a augmenté (75 ans en 2013 en moyenne
contre 70 ans en 1995) et la mortalité infantile a diminué (18 pour 1 000
en 2013 contre 53 pour 1 000 en 1995). Les pays dont les indicateurs de santé
se sont le plus améliorés sont ceux d’Amérique centrale (Honduras, Panamá,
Salvador) et les pays présentant les indicateurs de santé les plus faibles sont
le Guyana (66 ans d’espérance de vie, 30 décès d’enfants de moins de un an
pour 1 000 naissances), la Bolivie (67 ans et 31 pour 1 000) et Haïti (63 ans
et 55 pour 1 000) 47. Toutefois, des inégalités sont aussi présentes : il existe par
exemple des différences allant jusqu’à 17 ans d’espérance de vie moyenne
entre les pays, ainsi qu’une différence de 59 décès d’enfants de moins de un
an pour 1 000 entre Haïti (64 pour 1 000) et Cuba (5 pour 1 000).
Conclusion
Durant les années 2000, en Amérique latine, la forte croissance économique
et l’intensification des politiques sociales ont contribué à améliorer les
indicateurs sociaux, à réduire la pauvreté et les inégalités de revenus.
La progressive dégradation des finances publiques et des comptes externes de
plusieurs pays de la région ont obéré les plans de relance axés sur des politiques
budgétaire et monétaire mis en place en présence d’un environnement
international défavorable. Dans un grand nombre de pays, l’assainissement
des finances publiques est inévitable pour éviter le retour à un cycle vicieux
d’endettement, dont on connaît bien les conséquences dans la région.
Néanmoins, des divergences de trajectoire très importantes subsistent entre
les pays. Il est désormais acquis, à cet égard, que les nouveaux pouvoirs
publics des pays d’Amérique latine, certes conditionnés par l’environnement macro-économique national et international, devront répondre à
la croissante demande sociale, qui exige une évaluation rigoureuse des
politiques économiques afin d’approfondir les progrès accomplis.
46 . www.worldbank.orgpovertyhealthdata ; http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/mediacentre/press-releases/WCMS_071346/lang--fr/index.htm
47 .http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SP.DYN.IMRT.IN?display=map
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106 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016
■■ Déjà publié sur l’économie en Amérique latine
• La crise mondiale : un test réussi de « l’émancipation macro-économique »
de l’Amérique latine ?
Christian Ghymers
Édition 2011, collection « Mondes émergents »
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Chronologie
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Chronologie ❮ 109
Amérique latine
1er janvier 2014-31 décembre 2014
JULIETTE DUMONT
Docteure en histoire à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL)
Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3, chercheure rattachée au Centre de
recherche et de documentation des Amériques (Creda) (UMR 7227)
Janvier
3. – Cuba. Libéralisation économique. Un décret pris par le gouvernement le 19 décembre 2013 entre en application. Il autorise la libre
importation et la commercialisation de véhicules à moteur. Cette mesure
s’ajoute à celles, adoptées depuis trois ans par Raúl Castro, président des
Conseils d’État et des ministres, qui amorcent une ouverture vers une
économie libérale. Pour la première fois depuis plus d’un demi-siècle, les
Cubains et les étrangers résidant dans l’île peuvent acheter des automobiles neuves ou d’occasion. Le produit des ventes doit permettre la création
d’un fonds spécial pour le développement du transport public.
6. – Venezuela. Économie. Le président Nicolás Maduro annonce une
hausse de 10 % du salaire minimum et des retraites pour limiter les effets
de l’inflation. Alors que l’inflation vénézuélienne est la plus élevée du
continent américain, atteignant 56,2 % en 2013, cette augmentation, qui
établit le salaire minimum à environ 520 dollars par mois au taux officiel,
mais à 50 au taux parallèle, est jugée insignifiante par certains analystes.
N. Maduro déclare que l’inflation est le résultat de la guerre économique
menée contre son gouvernement par « la droite et la bourgeoisie internationale », et que le salaire minimum continuera d’augmenter en 2014.
14. – Culture. Décès. Le poète argentin Juan Gelman, lauréat de
nombreux prix littéraires, notamment le prix Miguel Cervantes en 2007,
décède à Mexico.
23. – Argentine. Économie. Le gouvernement argentin laisse le peso se
déprécier de plus de 13 % face au dollar, la plus forte baisse enregistrée
en une journée depuis 2002. La devise argentine perd jusqu’à 15 % de sa
valeur, avant de regagner un peu de terrain à la fin de ce même jour, et
de finir à 8,01 pesos pour un dollar. Les réserves de change du pays sont
trop faibles pour pouvoir soutenir la monnaie, et elles ont chuté de 52 à
29 milliards de dollars depuis 2011.
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27. – Chili. Pérou. Différend territorial maritime. La CIJ se prononce
sur le différend territorial maritime opposant les deux pays, remontant à
la guerre du Pacifique (1879-1884). Le Pérou affirmait que les frontières
délimitant son espace national n’avaient pas été définies, tandis que le
Chili considérait que la frontière maritime était fixée par les traités de 1952
et 1954 portant sur les zones économiques. En 2008, le Pérou avait saisi la
CIJ. Après six années de procédure, le jugement accorde au Pérou un droit
souverain sur une zone maritime de 50 000 km², riche en ressources halieutiques et représentant 70 % de l’espace réclamé par Lima. Le président de
ce pays, Ollanta Humala, fait part de sa satisfaction, tandis que Michelle
Bachelet, présidente élue du Chili, qui prend ses fonctions en mars 2014,
s’engage à respecter la justice internationale.
27. – Mexique. Narcotrafic. Le gouvernement conclut un accord avec
plusieurs milices d’autodéfense. Ces groupes se sont constitués en « corps
de défense ruraux » dans l’État du Michoacán, à l’ouest du pays, en proie à
la violence. L’accord envisage l’incorporation de ces milices dans les forces
de l’ordre officielles, avec un enregistrement obligatoire de leurs armes.
27. – Cuba. Économie. Cuba inaugure le port de Mariel, présenté comme
le plus moderne d’Amérique latine et appelé à remplacer La Havane comme
port principal de l’île. Cérémonie d’inauguration en présence de Raúl
Castro et de la présidente du Brésil Dilma Rousseff ainsi que d’autres
chefs d’État et de gouvernement latino-américains, venus à Cuba pour un
sommet régional. La zone spéciale de développement de Mariel s’étend
sur 466 km2. Le nouveau port a été aménagé par la société brésilienne
de BTP Odebrecht. D’un coût total de 957 millions de dollars, le projet
a été financé en partie par des prêts à des conditions favorables accordés
par la Banque brésilienne de développement (BNDES) pour un total de
682 millions de dollars, le solde ayant été financé par Cuba.
28-29. – Celac. Cuba. Le IIe sommet de la Celac se tient à La Havane, en
présence de trente chefs d’État et de gouvernement, ainsi que du secrétaire
général de l’ONU, Ban Ki-moon. Pour la première fois depuis 1962, un
représentant de l’OEA, dont l’île avait été exclue à cette date, est présent à
La Havane, en la personne de son secrétaire général, le Chilien José Miguel
Insulza. Parmi les 83 points de la déclaration finale, on trouve la constitution
de l’Amérique latine comme zone de paix : les conflits régionaux se régleront
uniquement via le dialogue, en écartant tout recours à la force ; la reconnaissance de l’action des peuples indigènes en faveur de la diversité biologique ;
des mesures contre la pauvreté, l’analphabétisme et les inégalités, mais
également en faveur de la sécurité alimentaire, du développement agricole,
de la coopération technique et scientifique, de l’intégration économique et
financière. Les présidents s’engagent par ailleurs à soutenir le processus de
paix en Colombie, les droits de l’Argentine sur les îles Malouines, le caractère
latino-américain et caraïbe de Porto Rico (État associé aux États-Unis), la
reconstruction d’Haïti, et rejettent l’embargo maintenu contre Cuba par
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Washington. Enfin, est créé le Forum Chine-Celac, dont la constitution
marque une nouvelle étape des relations entre l’Amérique latine et la Chine,
qui permettra aux trente-trois pays de la Celac de négocier simultanément
avec le géant asiatique à compter de 2015.
Fin janvier. – Brésil. Environnement. Sécheresse. L’eau commence à
manquer dans le centre de São Paulo, capitale économique du Brésil frappée
par une grave sécheresse, qui menace aussi l’approvisionnement en électricité. La région métropolitaine de São Paulo et l’intérieur de l’État fédéré
subissent depuis des mois la pire sécheresse des quatre-vingts dernières
années, avec des coupures d’eau durant plusieurs jours. Le manque de pluies
affecte les grands barrages destinés à fournir de l’eau potable à l’État de São
Paulo où vivent 40 millions de personnes. Le niveau de stockage des cinq
barrages du système de Cantareira est à son minimum depuis plusieurs
semaines. D’autres barrages importants pour la production d’électricité,
situés dans le sud-est du Brésil, notamment dans l’État de Rio de Janeiro,
connaissent une situation critique.
Février
2 février-6 mars. – Venezuela. Politique. Manifestations. Un mouvement
de protestation antigouvernemental est lancé le 2 février par des étudiants
qui s’insurgent contre la cherté de la vie, l’insécurité et les pénuries. Le 12,
Caracas est le théâtre de la plus importante mobilisation mise en œuvre
contre le président Nicolás Maduro depuis son élection en avril 2013.
Les manifestations donnent lieu à des affrontements avec les forces de
l’ordre et font plusieurs morts et des dizaines de blessés. Une centaine de
personnes sont par ailleurs interpellées, dont de nombreux journalistes.
Le 14, alors que de nouvelles manifestations d’étudiants se déroulent, le
président annonce un plan destiné à lutter contre l’insécurité dans un
pays où le taux de morts violentes est l’un des plus élevés au monde. Les
partisans du président organisent de leur côté des contre-manifestations.
Le 18, le chef de la police politique (le Service bolivarien de renseignement,
Sebin), est limogé. Le 20, Leopoldo López, principale figure de l’opposition
anti-chaviste, dirigeant de Voluntad Popular (droite), accusé par le pouvoir
d’incitation à la violence et d’homicide, est arrêté et emprisonné. Le 23, le
président Maduro annonce qu’il lance un dialogue national, mais celui-ci
est rejeté par l’opposition et les étudiants. Tandis que les manifestations
continuent, émaillées de violences, le gouvernement commémore le 5 mars
la mort d’Hugo Chávez, décédé en 2013 après quatorze années passées au
pouvoir. Le 6 mars, des experts de l’ONU demandent au gouvernement
de mener en urgence une enquête sur les violences perpétrées contre les
manifestants et les journalistes.
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6. – Brésil. Manifestations. Une manifestation contre la hausse du prix
du ticket de bus à Rio de Janeiro dégénère en affrontements entre manifestants et policiers, faisant une victime parmi les journalistes présents.
10. – Alliance du Pacifique. Israël. Israël rejoint, avec le statut d’État
observateur, l’Alliance du Pacifique, une organisation regroupant quatre
pays latino-américains (Chili, Colombie, Mexique et Pérou). Israël est le
premier État du Moyen-Orient à bénéficier de ce statut, qui est aussi celui
des États-Unis et du Canada, entre autres.
10. – Cuba. Union européenne. L’UE approuve à l’unanimité l’ouverture
d’un dialogue avec le gouvernement cubain afin de normaliser les relations
gelées depuis 1996, lorsque a été adoptée une « position commune »
soumettant toute reprise d’un dialogue institutionnel avec La Havane à
une évolution dans le domaine des droits de l’homme et à l’instauration
d’une démocratie pluraliste.
11. – Alliance du Pacifique. Accord douanier. Les chefs d’État des
pays membres de l’Alliance du Pacifique – Colombie, Mexique, Chili et
Pérou – signent, lors du VIIIe sommet de l’organisation, tenu à Carthagène
(Colombie), un accord commercial qui permettra d’exonérer 92 % des
produits échangés de droits de douane. Les produits agricoles restent en
dehors de l’accord. Celui-ci doit être validé par les parlements respectifs
de chacun des pays membres et son entrée en vigueur devrait survenir à
partir de l’année 2015. Lors du sommet, le Maroc est admis en tant que
membre observateur, devenant ainsi le premier pays africain et arabe à
rejoindre l’Alliance.
11. – Nicaragua. Politique. Institutions. Entrée en vigueur de la loi
organique permettant la réélection illimitée du président de la République
(qui ne pouvait jusque-là effectuer que deux mandats successifs de cinq
ans) et qui lui accorde de nouveaux pouvoirs. Les nouvelles dispositions
permettront à Daniel Ortega de postuler pour un 3e mandat consécutif
en 2016. Il pourra également nommer comme ministres des militaires en
activité, gouverner par décret, notamment en matière fiscale.
11-12 – Amérique latine. UE. Coopération et développement. Le Forum
européen pour la sécurité urbaine (Efus) organise à Paris une réunion des
experts de l’axe « sécurité citoyenne » du programme EUROsociAL II de
coopération technique entre l’UE et l’Amérique latine, dont il est partenaire.
L’objectif est de capitaliser toutes les expériences de l’année 2013 et de
mener une analyse prospective pour 2014 afin d’optimiser l’apport de
ce programme en matière de sécurité citoyenne. La rencontre rassemble
les experts européens et latino-américains de l’équipe de travail qui a
participé en 2013 à plus de 30 missions d’assistance technique dans les six
pays d’Amérique latine partenaires du programme (Uruguay, Colombie,
Équateur, Mexique, Salvador, Panamá).
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13. – Bolivie. Société. La Cour constitutionnelle rejette la dépénalisation de l’avortement. La députée Patricia Mancilla, membre du parti du
président socialiste Evo Morales, ainsi que des organisations féministes,
avaient présenté en juin 2013 une demande auprès de ce tribunal, visant
à dépénaliser l’avortement et à abolir les sanctions figurant dans le Code
pénal, deux à six ans de prison pour tout médecin ou personne pratiquant
un avortement.
16-18. – Pérou. Israël. Visite du président du Pérou Ollanta Humala
en Israël, qui a pour objectif d’accroître la coopération économique et en
matière de sécurité entre les deux pays. Cette visite témoigne de l’intérêt
croissant porté par Israël à l’Amérique latine, dans le cadre d’une diversification de ses échanges commerciaux et afin d’obtenir le soutien diplomatique
de cette région sur le plan international.
19. – Mexique. États-Unis. Canada. Venu à Mexico à l’occasion du
20e anniversaire de la signature de l’accord de libre-échange (Alena) entre
les trois pays, le président Barack Obama s’entretient avec le président du
Mexique Enrique Peña Nieto et le Premier ministre canadien Stephen
Harper. Les trois dirigeants évoquent : les relations économiques, la réforme
de l’immigration aux États-Unis, le refus du Canada de mettre fin à l’obligation faite aux Mexicains depuis 2009 de demander un visa, les révélations
d’Edward Snowden sur les écoutes pratiquées par l’Agence nationale de
sécurité américaine quant aux communications des présidents successifs
du Mexique.
24. – Brésil. UE. Partenariat. Lors du 7e sommet UE-Brésil, tenu à
Bruxelles, auquel participe la présidente Dilma Rousseff, un des points
traités concerne la relance des négociations en faveur d’un accord d’association entre l’UE et le Mercosur. Ce sommet est également l’occasion
de faire le point sur les progrès réalisés dans la coopération en matière
de politiques sectorielles telles que la compétitivité et l’investissement, la
recherche, la technologie et l’innovation, les transports et les infrastructures. Le sommet aborde également des questions régionales concernant
l’Amérique latine, ainsi que des questions de sécurité et de paix internationales telles que la situation en Iran et en Syrie, le processus de paix au
Moyen-Orient et la sécurité en Afrique.
Fin février. – Brésil. Environnement. Sécheresse. Le Brésil rationne l’eau
de 142 villes affectées par une sécheresse exceptionnelle. Janvier 2014 a été
le mois le plus chaud jamais enregistré dans certaines régions du pays. Cela
a provoqué des pénuries d’eau préoccupantes et endommagé des cultures.
Cette sécheresse pourrait donc avoir un impact économique pour le Brésil,
premier exportateur mondial de soja en grains, de café, de jus d’orange,
de sucre et de viande bovine.
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Mars
7. – Venezuela. Politique. OEA. Le Conseil permanent de l’Organisation des États américains approuve une déclaration sur la situation au
Venezuela, exprime son soutien et sa solidarité à l’égard des institutions
de ce pays et en appelle au dialogue et à la paix.
9-13. – Salvador. Élection présidentielle. Le 9, l’ancien commandant
guérillero Salvador Sánchez Cerén, du parti de gauche au pouvoir, le Front
Farabundo Marti pour la libération nationale (FMLN), remporte l’élection présidentielle, avec seulement quelques milliers de voix d’avance.
Cette élection est officiellement confirmée le 13 par le tribunal électoral (le
candidat du parti de droite Arena, battu, Norman Quijano, avait présenté
un recours en nullité et demandé la tenue d’un nouveau scrutin mais sa
requête a été rejetée). S. Sánchez Cerén est le 4e ancien guérillero à accéder
à une présidence en Amérique latine.
11. – Chili. Politique. Michelle Bachelet, réélue à la présidence de la
République au 2e tour avec 62,16 % des voix le 15 décembre 2013, entame
son 2e mandat.
12. – Venezuela. Politique. Manifestations. À Caracas, des affrontements
ont lieu quand un cortège d’environ 3 000 étudiants tente de rallier le
centre-ville, où avait lieu une manifestation de partisans du gouvernement,
mais a été empêché d’avancer par des barrages de la police anti-émeutes.
Des manifestations contre la violence policière se sont également déroulées
dans plusieurs villes de province, notamment à Valencia (Nord), où 3 décès
portent le bilan des troubles à 24 morts dans tout le pays depuis le 4 février.
17. – Argentine. Économie. L’agence de notation financière Moody’s
abaisse la note souveraine du pays de B3 à CAA1, en raison de la faiblesse
des réserves de change, qui ont diminué d’un tiers en un an pour atteindre
27 milliards de dollars.
19. – Colombie. Politique. Bogotá. Le maire de Bogotá, Gustavo Petro,
ancien militant au sein de la guérilla du M-19 (Mouvement du 19 avril),
devenu une figure de la gauche colombienne, est officiellement destitué par
le président Juan Manuel Santos. Il avait déjà été démis de ses fonctions
le 9 décembre 2013 par le procureur général Alejandro Ordóñez. Il était
accusé de ne pas avoir respecté les principes constitutionnels de la concurrence en retirant la concession de la collecte d’ordures à des entreprises
privées au profit de la compagnie publique des eaux. Soutenu par une
partie de la population qui avait organisé des manifestations en sa faveur, il
avait fait appel. Le 14 janvier 2014, sa destitution avait alors été suspendue
temporairement par un tribunal administratif.
24. – Brésil. Économie. Standard and Poor’s abaisse d’un cran la note
de solvabilité du pays. L’agence de notation fait passer la note du Brésil
de BBB à BBB- en raison de la faiblesse de la croissance économique et du
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« dérapage » budgétaire. Les autorités qualifient cette analyse d’« infondée »
et jugent l’économie brésilienne solide. Reste que l’inflation a atteint 5,6 %
sur les douze derniers mois et que la croissance a été plus modeste que
prévu, avec une hausse du PIB de 2,3 % en 2013.
24. – Venezuela. Économie. Instauration d’un troisième système de
change. Celui-ci, Sicad 2, s’ajoute au système officiel et à une première
plateforme alternative nommée Sicad (Système complémentaire d’administration de devises). Il a pour but de lutter contre l’« explosion » de l’achat de
dollars sur le marché noir, où le billet vert peut atteindre jusqu’à 70 bolivars,
dans le cadre d’une économie soumise depuis 2003 à un contrôle de l’accès
aux devises. Au moment de l’instauration de ce nouveau système, la Banque
centrale constate que le taux de change parallèle s’établit à 51,86 bolivars
pour un dollar, alors que le taux de change officiel est de 6,3 bolivars pour
un dollar. Nicolás Maduro déclare que 80 % des achats de devises de l’État
continueront à se faire au taux du système officiel. Faute d’un approvisionnement en dollars, le Venezuela affronte de fréquentes pénuries.
24. – Amérique latine. UE. Aide au développement. Andris Piebalgs,
commissaire européen chargé du développement, annonce l’octroi d’une
nouvelle aide de l’UE d’un montant de 2,5 milliards d’euros en faveur
de l’Amérique latine pour la période 2014-2020 (englobant des fonds
destinés aux programmes régionaux et aux enveloppes bilatérales allouées
aux pays éligibles).
25. – Venezuela. Politique. Le président Maduro annonce l’arrestation
de trois généraux de l’armée de l’air et leur prochaine comparution pour
conspiration devant un tribunal militaire. Il fait cette déclaration lors
d’une rencontre avec les ministres des Affaires étrangères de l’Unasur,
réunis pour tenter une médiation afin de mettre fin aux troubles affectant
le pays depuis le 4 février et qui ont fait officiellement 34 morts et plus
de 400 blessés. Ces arrestations surviennent après celles du fondateur du
parti de droite Volonté populaire, Leopoldo López, et de deux maires, le
20 février, et après qu’une députée de l’opposition, Maria Corina Machado
a été destituée de son mandat.
29. – Amérique latine. UE. Coopération. Droits des femmes.
L’Assemblée parlementaire Euro-latino-américaine (EuroLat) adopte une
résolution d’urgence intitulée « Sur le féminicide dans l’Union européenne
et en Amérique latine », présentée par les députés Gloria Flórez (Parlement
andin) et Raúl Romeva i Rueda (Parlement européen).
29 – Cuba. Économie. Le Parlement cubain adopte une nouvelle loi
sur les investissements étrangers, présentée par Raúl Castro comme
« cruciale » pour l’économie de ce pays. La nouvelle loi, dont les détails
n’ont pas été officiellement publiés, prévoit surtout un régime fiscal très
souple pour les entreprises étrangères en dépit de l’embargo économique
appliqué par les États-Unis. La loi vise également le lancement de la
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zone de développement spéciale que le régime cubain souhaite mettre
en œuvre autour du mégaport de Mariel.
Avril
1er. – Venezuela. Économie. Le gouvernement vénézuélien lance une « carte
d’approvisionnement assuré » qui, avec une identification biométrique,
limite le nombre d’achats par personne afin de « lutter contre la contrebande et la spéculation ».
1er. – Chili. Catastrophe. Un tremblement de terre d’une magnitude
de 8,2 survient à environ 89 km, et à 46 km de profondeur, au large de la
ville d’Iquique, dans le nord du Chili. Des dizaines de répliques atteignent
ensuite des magnitudes de 5,5 et 6,2. Les services d’urgence du Chili et du
Pérou procèdent rapidement à l’évacuation de l’ensemble de la zone côtière.
5. – Argentine. Buenos Aires. Insécurité. Le gouverneur de la province de
Buenos Aires décrète l’état d’urgence sécuritaire pour douze mois après une
vague de crimes et de délits ayant parfois provoqué des lynchages. La mesure
prévoit l’investissement de 600 millions de pesos (54 millions d’euros)
pour l’équipement des forces de l’ordre et la mobilisation immédiate de
5 000 policiers retraités pour renforcer les patrouilles.
6. – Costa Rica. Élection présidentielle. Le candidat du Parti action
citoyenne (centre gauche), Luis Guillermo Solis, est élu au 2e tour avec
77,8 % des suffrages. Il était le seul candidat en raison du désistement
entre les deux tours de son adversaire Johnny Araya, du Parti libération
nationale (centre), au pouvoir pendant trois mandats successifs.
7. – Venezuela. Politique. Nicolás Maduro, confronté depuis deux mois
à des manifestations antigouvernementales, annonce qu’il accepte de
rencontrer l’opposition à la demande de l’Unasur. Les opposants réservent
leur réponse, réclamant le respect de certaines conditions préalables,
notamment que les négociations avec le président se déroulent « à conditions
égales », avec un « ordre du jour clair » et qu’elles soient retransmises par
la radiotélévision.
12. – Cuba. France. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et
du Développement international, est en voyage officiel à Cuba. C’est le
premier chef de la diplomatie française à se rendre dans l’île depuis trente
et un ans. Si, d’un côté, cette visite se veut politique, elle revêt également
un volet économique.
12-20. – Chili. Catastrophe. Valparaíso. Un gigantesque incendie, parti
de collines boisées dominant la ville, gagne rapidement des zones habitées.
Il fait 15 morts, détruit 2 900 logements et provoque l’évacuation de près
de 10 000 personnes à Valparaíso, ville portuaire classée au patrimoine de
l’humanité par l’Unesco.
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17. – Culture. Décès. Gabriel García Marquez, écrivain colombien, prix
Nobel de littérature en 1982, meurt à Aracataca, au Mexique.
21. – Uruguay. Bolivie. Différend territorial. Le gouvernement uruguayen
propose à la Bolivie d’utiliser encore plus amplement qu’à l’heure actuelle les
ports uruguayens, notamment pour lui permettre d’exporter du soja. Cette
annonce est faite par l’ambassadeur uruguayen à La Paz, qui précise aussi
que son pays a sollicité la participation de la Bolivie à la construction d’un
port en eaux profondes près de la ville de Rocha, sur la côte Atlantique. Les
détails de cette proposition seront abordés par les présidents des deux pays
lors de leur prochaine rencontre, prévue en juin. Cette annonce survient
au moment où la Bolivie entame une nouvelle procédure contre le Chili
devant la CIJ pour retrouver un accès au Pacifique.
23. – Colombie. Politique. Bogotá. Le président Juan Manuel de Santos
rétablit dans ses fonctions le maire de Bogotá, Gustavo Petro.
28. – Venezuela. Manifestations. Les étudiants vénézuéliens qui campent
devant le siège du Programme des Nations unies pour le développement
à Caracas annoncent qu’ils protesteront une fois de plus contre le gouvernement du président Maduro à l’occasion de la Fête du travail, le 1er mai.
Cette réaction fait suite à la publication d’une ordonnance du Tribunal
suprême de justice, qui limite le droit de manifester au Venezuela et autorise
ainsi les forces de sécurité à intervenir en se servant des « moyens qui leur
paraissent les plus appropriés » pour réprimer les manifestations illégales.
29. – Cuba. UE. Cuba et l’UE entament des discussions en vue d’un
accord politique et de coopération entre les deux parties. Elles devraient
permettre à Cuba de renouer des liens stratégiques avec les pays de
l’UE, notamment dans les domaines du tourisme, de l’agro-alimentaire
et de l’énergie.
Mai
4. – Panamá. Élection présidentielle. Candidat du Parti Panameñista
(centre droit), Juan Carlos Varela est élu avec 39 % des voix, contre 32 % à
José Domingo Arias, du parti Changement démocratique (droite), soutenu
par le gouvernement au pouvoir, et 27 % à Juan Carlos Navarro, du Parti
révolutionnaire démocratique (centre gauche).
6. – Uruguay. Société. Narcotrafic. Le président José Mujica promulgue
la loi, votée le10 décembre 2013, légalisant l’ensemble du processus de
production et de vente de cannabis, placé sous contrôle public. L’Uruguay
est le premier pays au monde à voter une loi de ce type, destinée à combattre
le trafic de drogue. Selon ce texte, les consommateurs de cannabis – âgés
d’au moins 18 ans, résidant en Uruguay et inscrits sur un registre d’utilisateurs – pourront acheter 10 grammes de marijuana par semaine en
Uruguay, drogue vendue à moins de un dollar le gramme.
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15. – Brésil. Coupe du monde. Manifestations. Des manifestations
anti-Mondial ont lieu à São Paulo, Rio de Janeiro, Brasília, Belo Horizonte,
Porto Alegre et Manaus, réunissant environ 10 000 personnes qui défilent
aux cris de « Hé Fifa, retourne en Suisse ! » (le siège de la Fifa est à Zurich).
16. – Colombie. Farc. Accord. Au terme du 3e volet des pourparlers de
paix de La Havane ouverts en novembre 2012, les Farc annoncent leur
volonté de mettre fin à tous les liens existant entre elles et le narcotrafic.
L’accord signé alors entre le gouvernement colombien et les Farc prévoit
une grande campagne d’éradication de cocaïers, l’abandon de l’épandage
aérien de pesticides, la mise en place de politiques de développement rural
et la prévention de la consommation de drogues.
28-29 – Argentine. Club de Paris. Dette. Les représentants des créanciers
du Club de Paris et de l’Argentine parviennent à un accord d’apurement
de la dette en arriérés due aux créanciers, sur une période de cinq ans.
Juin
2. – Brésil. Coupe du monde. Grève. La police fédérale de Brasília conclut
un accord avec le gouvernement par lequel, en échange d’une augmentation
de salaire, elle s’engage à ne pas faire grève pendant le Mondial de football.
3. – Brésil. Éducation. Grève. Peu de jours avant le début de la Coupe
du monde, les professeurs des écoles municipales de São Paulo mettent fin
à 42 jours de grève. Selon les syndicats, la mairie a accepté une augmentation de 15,38 % des salaires, payable en trois fois à partir de mai 2015.
À Rio, le gouvernement promet un réajustement des salaires des professeurs de l’État, en grève depuis le 12 mai.
3-5. – OEA. Assemblée générale. La lutte contre la pauvreté et les inégalités
sociales en Amérique latine est à l’ordre du jour de la 44e Assemblée générale
de l’OEA, qui se tient à Asunción (Paraguay), et à laquelle prennent part
28 ministres des Affaires étrangères des pays membres de cette institution. La lutte contre le trafic de stupéfiants, les questions des Malouines,
du changement climatique, des droits des homosexuels et des peuples
indigènes, sont également abordées.
12 juin-13 juillet. – Brésil. Coupe du monde. La cérémonie et le match
d’ouverture du Mondial ont lieu dans le nouveau stade Arena Corinthians
de São Paulo.
14-15. – Sommet du G77. Bolivie. Chine. Ce sommet, dont l’hôte est
le président de la Bolivie Evo Morales, se tient à Santa Cruz de la Sierra
en présence de nombreux chefs d’État et de gouvernement des 133 États
membres, d’une centaine de délégations, et sous la présidence du secrétaire
général de l’ONU, Ban Ki-moon. Trois dirigeants latino-américains sont
absents : la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, la présidente du Chili,
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Chronologie ❮ 119
Michelle Bachelet et le président de la Colombie Juan Manuel Santos.
La Chine est représentée par le vice-président du comité permanent de
l’Assemblée populaire. La déclaration finale appelle à éradiquer la pauvreté
dans le monde d’ici 2030 et fait également référence à de nouveaux engagements contre l’inégalité, en faveur de la protection de l’environnement et
de la souveraineté des pays sur leurs ressources naturelles.
15. – Colombie. Élection présidentielle. Juan Manuel Santos (centre
droit), président sortant, remporte le 2e tour de l’élection présidentielle
avec 50,9 % des voix, tandis que son adversaire de droite, Ivan Zuluaga,
obtient environ 45 % des suffrages. L’élection avait pris des allures de
référendum sur la stratégie mise en œuvre par J. M. Santos pour mettre
fin à la guérilla marxiste des Farc. J. M. Santos a bénéficié de l’appui des
partis de gauche, qui ont appelé à voter pour lui, en dépit de sa politique
néolibérale. Cette élection est saluée par le secrétaire général de l’ONU,
Ban Ki-moon, qui encourage les parties prenantes à finaliser les négociations de paix en cours avec les Farc.
16. – Argentine. Économie. « Fonds vautours ». La Cour suprême des
États-Unis valide la décision du tribunal new-yorkais qui avait bloqué le
versement par l’Argentine de 539 millions de dollars d’intérêts à plusieurs
créanciers privés. Le Tribunal avait en effet estimé que le pays devait d’abord
régler son différend avec les deux fonds spéculatifs NML et Aurélius. Ces
derniers avaient refusé, contrairement à l’écrasante majorité des autres
détenteurs de la dette argentine, d’accepter une réduction de 70 % de la
valeur de leur créance.
19-21. – Alliance du Pacifique. Mercosur. Sommet des présidents de
l’Alliance du Pacifique regroupant Chili, Colombie, Pérou et Mexique.
À son terme, les participants réaffirment leur attachement aux principes
du libre-échange, sans toutefois donner suite pour l’instant à la demande
chilienne d’une ouverture vers l’autre bloc régional, le Mercosur.
27. – Argentine. Politique. Corruption. Le vice-président argentin
Amado Boudou est inculpé pour corruption, accusé d’avoir acheté, via
un prête-nom, une imprimerie en faillite et d’avoir fait en sorte qu’elle
obtienne le monopole de l’émission des billets de banque.
29 juin-1er juillet. – Pérou. France. Le président du Pérou, Ollanta
Humala, effectue une visite officielle en France, au cours de laquelle
François Hollande apporte son soutien à la demande d’adhésion du Pérou à
l’OCDE. Par ailleurs, le président Humala assiste au 6e Forum économique
international sur l’Amérique latine et les Caraïbes qui se tient à Paris.
29 juin-1er juillet. – Chili. États-Unis. La présidente du Chili, Michelle
Bachelet, effectue une visite aux États-Unis, où elle est reçue par son
homologue américain, Barack Obama. Au cours de cette rencontre, les
deux dirigeants affirment vouloir renforcer leurs relations dans plusieurs
domaines, dont le commerce, la sécurité, l’énergie et l’éducation. L’accord
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de partenariat transpacifique ainsi que le rôle que devra jouer le Chili
en tant que nouveau membre non permanent du Conseil de sécurité de
l’ONU, jusqu’en décembre 2015, sont également abordés.
Juillet
7. – Nicaragua. Canal interocéanique. Présentation officielle du tracé
sélectionné pour la construction du canal de 278 km de long et dont le
chantier, confié à l’entreprise chinoise HKND, est estimé à 50 milliards
de dollars.
8. – Brésil. Coupe du monde. Lors de la première demi-finale qui oppose
le Brésil à l’Allemagne, cette dernière s’impose par 7 buts à 1. La lourde
défaite de l’équipe brésilienne est vécue comme un drame national.
10. – Haïti. République Dominicaine. Après plusieurs reports, le
3e dialogue de haut niveau entre Haïti et la République Dominicaine
(RD) se tient à Juan Dolio (RD). Il s’agit notamment, pour les deux pays,
de renforcer leur coopération en matière d’immigration, de sécurité, de
tourisme, de santé et d’environnement. Les reports qu’avait connus cette
réunion étaient essentiellement dus au différend entre les deux pays, à la
suite de l’adoption en 2013, par la Cour constitutionnelle dominicaine,
d’une loi qui ôtait la nationalité aux Dominicains nés de parents étrangers,
ce qui concernait plus de 200 000 descendants d’Haïtiens vivant en RD.
La reprise du dialogue survient donc après la promulgation, le 22 mai, par
le président de la RD, Danilo Medina, d’une loi qui garantirait la nationalité aux Dominicains d’origine étrangère.
11. – Cuba. Russie. Dette. Le président de la Russie Vladimir Poutine
entame à Cuba une tournée latino-américaine qui doit le conduire ensuite
en Argentine et au Brésil, à la recherche de soutiens dans sa confrontation
avec l’Occident sur l’Ukraine. L’étape cubaine est l’occasion de relancer
les relations russo-cubaines. Ce processus s’est traduit, entre autres, par
l’annulation, peu de temps avant l’arrivée du président russe à La Havane,
de 90 % de la dette cubaine envers Moscou, un fardeau de 31 milliards de
dollars (22,8 milliards d’euros) que Cuba avait contracté à l’époque de son
alignement sur l’ex-URSS. Et le solde de la dette (environ 3,5 milliards
de dollars, soit 2,6 milliards d’euros) doit être remboursé sur dix ans et
placé sur des comptes spéciaux afin d’être réinvesti par la Russie à Cuba.
Avec La Havane, Moscou étudie de « grands projets dans les domaines de
l’industrie et de la haute technologie, l’énergie, l’aviation civile, la médecine
et la biopharmacie », assure V. Poutine à l’agence de presse Prensa Latina.
12. – Nicaragua. Russie. Vladimir Poutine décide de modifier le plan
de sa tournée dans les pays d’Amérique latine afin de séjourner quelques
heures au Nicaragua. Il s’agit de la première visite du dirigeant de la Russie
dans ce pays. V. Poutine et le président du Nicaragua, Daniel Ortega,
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entament des négociations et discutent, en particulier, des livraisons de blé
et de machines agricoles russes. Le déploiement des stations au sol Glonass
(navigation spatiale) sur le territoire de ce pays et la coopération dans le
domaine de la pharmacologie sont également évoqués.
12. – Argentine. Russie. Dans le cadre de son voyage régional, Vladimir
Poutine arrive en Argentine, 4e partenaire commercial de Moscou dans la
région. Au menu des discussions avec Cristina Kirchner : la coopération
nucléaire – Moscou est très intéressé par la construction d’une 4e centrale en
Argentine, Atucha 3, au nord de Buenos Aires –, mais également l’adhésion
de l’Argentine aux Brics. Par ailleurs, C. Kirchner espère obtenir le soutien
de V. Poutine dans son combat contre des fonds spéculatifs américains.
13. – Brésil. Coupe du monde. Manifestations. La police de Rio disperse
à l’aide de gaz lacrymogènes quelque 300 manifestants opposés à la Coupe
du monde, qui tentaient de forcer un cordon de sécurité pour s’approcher
du stade Maracanã, juste avant le coup d’envoi de la finale. Cet événement
a lieu au lendemain de l’arrestation de 19 activistes accusés de vandalisme
lors de précédentes manifestations.
15-16. – Brics. Sommet. Brésil. Réunis pour leur 6e sommet annuel à
Fortaleza, au Brésil, les cinq grands pays émergents, Brésil, Russie, Inde,
Chine et Afrique du Sud, signent le 15 un accord actant la création d’une
banque de développement et d’une réserve de change commune. La
banque, qui sera établie à Shanghai, aura pour objectif de financer de
grands projets d’infrastructures dans les pays concernés et, à terme, dans
d’autres émergents. Quant à la réserve de change commune, dotée de
100 milliards de dollars, dont 41 milliards versés par la Chine, 18 par
l’Inde, le Brésil et la Russie, et 5 par l’Afrique du Sud, elle pourrait être
opérationnelle dès 2015. La création de ces deux institutions, destinées
à faire contrepoids aux organisations de Bretton Woods (FMI et Banque
mondiale), est un objectif de longue date des Brics. Après Fortaleza, les
dirigeants des Brics se rendent le 16 à Brasília, pour des rencontres avec
des chefs d’État sud-américains.
17. – Équateur. UE. Relations commerciales. L’UE et l’Équateur
concluent à Bruxelles, après quatre ans de négociations, un accord qui
permettra à ce pays de signer un traité déjà conclu en juin 2012 entre l’UE,
la Colombie et le Pérou. L’Équateur pourra ainsi bénéficier d’un meilleur
accès au marché de l’UE pour ses principales exportations (produits de
la pêche, bananes, fleurs coupées, café, cacao, fruits et fruits à coque).
L’accord offre également un meilleur accès au marché équatorien pour de
nombreuses exportations clés de l’UE, par exemple dans les secteurs de
l’automobile ou des boissons alcoolisées.
17-30. – Amérique du Sud. Conflit israélo-palestinien. L’Équateur
(le 17), le Brésil (le 24), le Chili et le Pérou (le 29) condamnent l’incursion
militaire d’Israël dans la Bande de Gaza et exige la cessation immédiate
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par l’armée israélienne des attaques menées contre la population civile de
ce territoire. Par ailleurs, ces pays rappellent leurs ambassadeurs respectifs en Israël. Le 30, la Bolivie annonce sa décision de placer Israël sur sa
liste d’États terroristes.
18-21. – Argentine. Chine. Lors de sa visite en Argentine, le président
Xi Jinping signe une vingtaine d’accords, portant sur d’importants
investissements dans les secteurs de l’énergie et des transports. Ainsi,
Pékin va contribuer à hauteur de plus de 3 milliards d’euros à la
construction de deux barrages hydroélectriques et de la 4e centrale
nucléaire argentine. 1,5 milliard d’euros sera également consacré au
développement du transport ferroviaire de marchandises, en particulier
des denrées alimentaires. L’Argentine constitue en effet l’un des plus
gros marchés pour les exportations alimentaires chinoises. À l’issue de
sa visite en Argentine, Xi Jinping parle de la naissance d’un « partenariat
stratégique global ».
20-21. – Venezuela. Chine. Le président Xi Jinping, en visite à
Caracas, et son homologue vénézuélien Nicolás Maduro conviennent
d’élever les relations bilatérales des deux pays au niveau de partenariat
stratégique global.
23. – Cuba. Chine. Le président Xi Jinping achève à Cuba une tournée
en Amérique latine. Il s’entretient avec Raúl Castro sur la consolidation
de la coopération diplomatique et économique. Les deux pays ont signé
29 accords de coopération dans le domaine de l’économie, de l’éducation, de la culture et de la biologie, entre autres. La Chine a ainsi accordé
une ligne de crédit de 115 millions de dollars à Cuba pour la construction d’un terminal dans le port de Santiago.
23-28. – Brésil. Catholicisme. Les 28e Journées mondiales de la jeunesse
se déroulent à Rio de Janeiro. L’événement, clôturé par une messe du
pape François célébrée sur la plage de Copacabana, rassemble plus de
3 millions de fidèles.
26. – Venezuela. Politique. Le président du Venezuela, Nicolás Maduro,
est élu par les militants à la tête du Parti socialiste unifié, lors du 1er congrès
de cette formation tenu depuis la mort de son fondateur, Hugo Chávez,
élevé au rang de « leader éternel ».
29. – Venezuela. Russie. Accords de coopération. L’entreprise pétrolière
du Venezuela (PVDSA) et son équivalent russe (Rosneft) signent
5 nouveaux accords de coopération, dont le but est d’accroître la production de pétrole et de gaz au Venezuela. Ces accords comprennent, entre
autres, l’établissement d’une co-entreprise PVDSA-Rosneft au Venezuela,
laquelle permettra de développer des services spécialisés dans les domaines
de l’ingénierie, de la construction et des infrastructures au niveau de la
ceinture pétrolifère de l’Orénoque. Ils prévoient également une coopération dans le domaine technique.
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30. – Costa Rica. ONU. Accompagné d’une importante délégation des
Nations unies, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, entame sa
toute première visite officielle au Costa Rica. Ban Ki-moon et le président
Luis Guillermo Solís s’entretiennent sur le conflit israélo-palestinien, la
problématique globale des droits de la personne, le changement climatique.
L. G. Solis assure par ailleurs que son pays soutiendra, le moment venu,
la réélection de Ban Ki-moon à son poste.
30-31. – Argentine. Économie. Fonds vautours. Le ministre argentin de
l’Économie, Axel Kicillof, et les deux fonds spéculatifs, NML et Aurélius,
qui réclament 1,33 milliard de dollars à Buenos Aires, ne parviennent pas
à trouver un compromis. Ces deux fonds avaient racheté à très bas prix la
dette argentine lors de la crise économique de 2000 puis avaient refusé de
participer à la renégociation de cette dette en 2001. En novembre 2013,
un juge américain avait ordonné à l’Argentine de déposer 1,33 milliard de
dollars sur un compte bloqué et interdit le remboursement de tout autre
créancier tant que les fonds n’auraient pas été payés. Or, si l’Argentine solde
sa dette envers ces deux fonds avant le 1er janvier 2015, elle s’exposerait à
des réclamations de la part de ses créanciers « normaux » et devrait verser
près de 40 milliards de dollars. Cette situation aboutit, le 31, au fait que
l’Argentine est déclarée en « défaut de paiement partiel » sur sa dette par
l’agence de notation Standard and Poor’s.
Août
6. – Mercosur. UE. Relations commerciales. La présidente du Brésil,
Dilma Rousseff, annonce que la liste des propositions du Mercosur pour
conclure un accord de libre-échange avec l’UE est achevée, contrairement
à celle de l’Europe où certaines divergences existent, en particulier du fait
de la position de pays comme la France et l’Irlande.
7. – Argentine. Économie. Fonds vautours. L’Argentine, en défaut de
paiement depuis le 31 juillet, annonce avoir porté plainte devant la CIJ
contre les États-Unis, dans le cadre du litige qui l’oppose à des fonds
spéculatifs. Buenos Aires accuse Washington de violer sa souveraineté,
après qu’un juge de New York, Thomas Griesa, a ordonné le blocage de
remboursements de dette à des créanciers privés.
13. – Brésil. Élection présidentielle. Eduardo Campos, candidat du Parti
socialiste brésilien (PSB) à l’élection présidentielle de 2014, meurt dans
un accident d’avion, alors qu’il était crédité d’environ 10 % des intentions
de vote par les instituts de sondage. Marina Silva, ancienne ministre de
l’Environnement de 2003 à 2008 et qui devait être la vice-présidente de
E. Campos au cas où ce dernier serait élu, est alors désignée candidate du
PSB. Après cette désignation, elle connaît une montée fulgurante dans les
sondages, jusqu’à concurrencer Dilma Rousseff.
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24. – Brésil. Système carcéral. Violence. Une mutinerie a lieu dans une
prison de Paraná, une ville du sud du pays. Les prisonniers réclament une
amélioration des infrastructures, de l’alimentation et de l’hygiène.
29. – Brésil. Économie. Le Brésil, 7e économie mondiale, est officiellement entré en récession : selon les données officielles, le PIB du géant
émergent d’Amérique latine a reculé de 0,6 % au 2e trimestre par rapport
au 1er. L’Institut brésilien de géographie et des statistiques (IBGE) a aussi
revu à la baisse la performance du 1er trimestre, de + 0,2 % à - 0,2 %.
La première économie du continent enregistre ainsi deux trimestres
consécutifs de recul. L’IBGE attribue ce phénomène notamment au
grand nombre de jours fériés institués pendant la Coupe du monde
de football mais aussi à la crise de la production industrielle. Dans
un contexte atone de consommation des ménages (+ 0,3 %), l’activité
industrielle du Brésil a en effet reculé de 1,5 % au 2e trimestre, tandis
que celle liée au commerce chutait de 2,2 % et celle des services de
0,5 %. Les taux d’intérêt élevés et les incertitudes concernant le résultat
de l’élection présidentielle ont accentué la baisse des investissements
(- 5,3 %). L’inflation a de son côté atteint 6,5 % sur 12 mois en juillet,
soit le plafond fixé par le gouvernement.
Fin août. – Brésil. Environnement. Sécheresse. São Paulo est à nouveau
menacée par la sécheresse qui perdure dans le sud-est du pays. Les niveaux
des 5 barrages du système Cantareira, qui assure l’alimentation en eau de près
de la moitié des habitants de l’agglomération, sont au dixième de la normale.
Septembre
1er-3. – Argentine. Chine. Dans le cadre de la visite d’une délégation
argentine à Pékin, le gouvernement chinois confirme qu’il va effectivement prêter à l’Argentine les sommes prévues par l’accord signé entre les
deux pays en juillet dernier.
3. – Argentine. Chine. Nucléaire. Les entreprises publiques chinoise
et argentine d’industrie nucléaire, China National Nuclear Corporation
(CNNC) et Nucleoeléctrica Argentina, signent à Pékin un contrat relatif à
la construction du réacteur Atucha 3 (800 mégawatts) ainsi qu’à la construction de deux centrales hydroélectriques en Patagonie (1 300 mégawatts).
L’accord consiste en l’apport par la CNNC de 2 milliards de dollars de
financement sous la forme d’un appui technique et de la fourniture de
services et d’équipements à Nucleoeléctrica Argentina.
4. – Argentine. Économie. Fonds vautours. Les fonds vautours
avertissent l’Argentine qu’ils sont prêts à engager de nouvelles actions
en justice aux États-Unis pour empêcher le pays de transférer le paiement
de sa dette de New York à Buenos Aires ou à Paris. Pour contourner
l’obstacle, l’Argentine a déposé un projet de loi permettant de transférer
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le paiement de ses créanciers hors de New York, où les titres de dette
initiaux ont été émis (le texte a été approuvé par le Sénat dans la nuit
du 3 au 4 et doit être soumis aux députés).
6. – Brésil. Corruption. Petrobras. Les premières révélations apparaissent
dans la presse concernant ce qui va devenir le « scandale Petrobras ».
L’hebdomadaire conservateur Veja diffuse en effet une liste de députés
issus de la coalition de centre gauche au pouvoir, qui auraient reçu d’importants pots-de-vin de la part de cette entreprise pétrolière. Sont également
cités des sénateurs, trois gouverneurs, un ministre, les présidents des deux
chambres du Parlement, le trésorier du Parti des travailleurs. Au cœur de ce
scandale, se trouve Paulo Roberto Costa, un ancien dirigeant de Petrobras,
qui aurait mis en place un vaste système de corruption au sein du géant
pétrolier et qui a décidé de le révéler.
6. – Culture. Art contemporain. Début de la 31e Biennale de São Paulo.
7. – Argentine. Chine. Économie. Fonds vautours. La Banque centrale
argentine annonce que l’Argentine et la Chine ont conclu un accord
d’échange de devises qui permet au pays sud-américain de pouvoir disposer
de quelque 11 milliards de dollars pour ses réserves de change en cas
d’urgence. L’accord a été signé lors d’une rencontre entre le président
de la Banque centrale, Juan Carlos Fábrega, et son homologue chinois,
Zhou Xiaochuan, à Bâle, dans le cadre de la réunion bimestrielle de la
Banque des règlements internationaux. Zhou a par ailleurs apporté à
J. C. Fábrega « le soutien de son pays à l’Argentine dans la controverse
suscitée par un jugement des tribunaux new-yorkais avec les détenteurs
de dette (argentine) qui n’ont pas participé aux restructurations (de cette
dette) de 2005 et 2010 ».
8. – Chili. Attentat. Le métro de Santiago est frappé par une forte
explosion, qui fait au moins 14 blessés. Aucune revendication n’est formulée
mais, pour la présidente, Michelle Bachelet, il s’agit d’un attentat terroriste.
Depuis le début de l’année, près d’une vingtaine d’explosions sont survenues
à Santiago, provoquant essentiellement des dégâts matériels.
11. – Argentine. Économie. Fonds vautours. Dans le cadre de son litige
qui l’oppose à deux fonds spéculatifs, le Parlement adopte une loi qui
permet à l’État de ne pas rembourser en priorité les fonds d’investissements,
qualifiés de fonds vautours par le gouvernement. L’Assemblée générale
des Nations unies approuve la résolution présentée par l’Argentine et le
G77+Chine sur la régulation des restructurations des dettes souveraines.
Le texte prévoit notamment que, si une majorité de créanciers acceptent
la restructuration de la dette souveraine d’un État, les autres ne pourront
pas la refuser comme le font les fonds spéculatifs américains NML Capital
et Aurelius Capital Management avec l’Argentine. Pour les États-Unis, qui
ont voté contre la résolution, la question de la dette n’est pas du ressort
de l’Assemblée générale des Nations unies, mais plutôt de celui du FMI.
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17. – Équateur. Politique. Manifestations. Huit policiers sont blessés et
plusieurs manifestants interpellés en marge de deux mobilisations contre
le président Rafael Correa. Centrales ouvrières, groupes autochtones,
médecins ou encore étudiants se mobilisent contre les politiques gouvernementales et notamment un amendement constitutionnel qui permet à
R. Correa de se représenter indéfiniment à la présidence. Un projet de loi
sur le travail est également contesté, les syndicats ouvriers craignant entre
autres une restriction du droit de grève et une limitation de leurs prérogatives. Le président Correa appelle ses partisans à se rassembler devant le
palais présidentiel pour manifester leur soutien à ses réformes.
20. – Argentine. Économie. Fonds vautours. En quête de soutiens
internationaux, la présidente Cristina Kirchner se rend au Vatican, où
elle affirme avoir reçu le soutien du pape François, un compatriote, dans
le différend qui oppose Buenos Aires aux fonds vautours.
22. – Brésil. Économie. Selon un rapport des ministères des Finances et
de la Planification, la prévision de croissance économique du pays est revue
à la baisse, ramenée de 1,8 % à 0,9 % pour 2014. Malgré cette révision,
l’estimation du gouvernement reste supérieure aux prévisions du marché,
qui se situent en moyenne à 0,3 % pour 2014. Par ailleurs, l’estimation
de l’inflation est maintenue à 6,2 % pour l’année en cours et le gouvernement garde pour cette même année son objectif d’excédent primaire, hors
service de la dette, à 99 milliards de reais, soit 1,9 % du PIB de l’année.
26. – Brésil. Environnement. Sécheresse. Économie. Roberio Silva, le
directeur général de l’Organisation internationale du café, déclare que la
sécheresse subie par le Brésil en 2014 pourrait provoquer un déficit d’offre
de café pendant la saison 2015-2016.
26. – Argentine. Économie. Fonds vautours. Le ministre des Affaires
étrangères de l’Argentine, Héctor Marcos Timerman, se rend à Genève
pour présenter un projet de résolution sur les fonds vautours au Conseil
des droits de l’homme de l’ONU. Ce texte souligne le lien entre la dette
extérieure d’une part et la pauvreté ainsi que le développement. Par ailleurs,
constatant ses failles et estimant injuste le système financier mondial, il
« engage les États à envisager la mise en place de cadres juridiques afin de
restreindre les activités prédatrices des fonds rapaces dans leur juridiction ».
Par 33 voix contre 5 et 9 abstentions, le Conseil des droits de l’homme de
l’ONU condamne l’activité des fonds vautours qui, par voie de justice,
obligent les pays endettés à les rembourser de manière abusive et ce au
détriment des droits fondamentaux des populations.
26. – Mexique. Violence. Ayotzinapa. Des étudiants inscrits à l’École
normale rurale Raúl Isidro Burgos d’Ayotzinapa, se rendent à Iguala,
dans l’État du Guerrero, en vue de la préparation d’une grande manifestation organisée dans la capitale mexicaine, en mémoire des massacres du
2 octobre 1968. Arrivés à Iguala, ils essuient des tirs de la police. 6 personnes
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sont tuées, dont 3 étudiants, et 25 autres personnes sont blessées. En outre,
43 étudiants, âgés de 17 à 21 ans, sont enlevés.
27. – Pérou. Tremblement de terre. Un séisme de magnitude 5,1 a
lieu dans le sud-est du Pérou, faisant au moins 8 victimes et laissant
plusieurs villages en ruine.
Octobre
3-16. – Mexique. Violence. Ayotzinapa. Le 3, l’ONU condamne la
disparition des 43 étudiants d’Ayotzinapa. Le 4, le procureur de l’État du
Guerrero annonce la découverte de six fosses clandestines près d’Iguala.
Le 5, ce magistrat déclare que, selon les déclarations de deux membres
présumés du groupe de narcotrafiquants Gerreros Unidos, les policiers
d’Iguala auraient remis à ce dernier 17 étudiants, qui auraient ensuite été
assassinés près du lieu où l’on a découvert les fosses communes. Le 6, la
CIDH demande à l’État mexicain de prendre des mesures préventives pour
protéger les étudiants survivants de l’École rurale d’Ayotzinapa. Le même
jour, le procureur du Guerrero annonce l’arrestation de 22 membres de
la police municipale d’Iguala. Le 7, l’OEA qualifie d’inhumain et absurde
le meurtre des 6 victimes d’Iguala et demande au Mexique une enquête
complète et transparente. L’ONU enjoint le Mexique à mener des recherches
effectives pour retrouver les étudiants disparus. La Chambre des députés
décide de la création d’une Commission spéciale qui suivra les investigations. Le 8, se tient la première journée d’action nationale et internationale
pour dénoncer la disparition des étudiants. Le 10, le procureur du Guerrero
annonce la découverte de 4 nouvelles fosses communes. À ce moment-là,
34 personnes ont été arrêtées, dont 26 membres de la police d’Iguala et
4 membres de Guerreros Unidos. Le 13, plusieurs collectifs de l’Université
autonome de Mexico appellent à une grève de 48 heures. Le 14, 14 autres
policiers sont arrêtés et accusés d’avoir livré les étudiants disparus au groupe
Guerreros Unidos. Le procureur général de la République annonce que les
corps trouvés dans les premières fosses communes identifiées ne sont pas ceux
des étudiants d’Ayotzinapa. Le 16, la mobilisation des étudiants s’accroît.
5. – Brésil. Élection présidentielle. Dilma Rousseff, présidente sortante,
remporte le 1er tour du scrutin, avec 41,48 % des voix. La surprise provient de
l’élimination de Marina Silva, candidate du Parti socialiste brésilien, dont les
sondages n’avaient pourtant pas cessé de souligner la montée en puissance. C’est
finalement Aecio Neves, candidat du Parti social-démocrate brésilien ayant
récolté 33,68 % des voix, qui sera présent face à Dilma Rousseff au 2e tour.
9. – Uruguay. Guerre en Syrie. Réfugiés. 42 réfugiés syriens, majoritairement des enfants, arrivent en Uruguay dans le cadre d’un plan d’accueil
inédit en Amérique latine, avec un soutien prévu aux familles durant deux
ans. À l’initiative de son président, l’Uruguay accueillera 80 autres réfugiés
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128 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016
fin février 2015. Le programme, qui coûtera à l’Uruguay de 2,5 à 3 millions
de dollars, a été élaboré en coordination avec le Haut Commissariat des
Nations unies pour les réfugiés et avec le soutien de l’Organisation internationale pour les migrations.
12. – Bolivie. Élection présidentielle. Evo Morales (MAS, Movimiento
al Socialismo) remporte l’élection présidentielle avec 61 % des suffrages
obtenus dès le 1er tour ; il va donc exercer un 3e mandat de cinq ans. Le
président l’emporte largement dans tous les départements du pays, à l’exception du Beni (Nord-Est), qui va à son rival Samuel Doria Medina, du parti
Unité démocrate, qui rassemble 24 % des suffrages au niveau national.
12-14. – Défense. La ville d’Arequipa (Pérou) accueille la XIe conférence
des ministres de la Défense des Amériques. Inaugurée par le président
du Pérou Ollanta Humala, cette conférence à laquelle prennent part
34 pays – dont l’Espagne et le Portugal en tant que pays observateurs – est
l’occasion de réfléchir aux modalités d’harmonisation des politiques de
sécurité et de défense dans les Amériques. Plusieurs sujets sont abordés,
notamment la lutte contre le trafic des drogues illicites ainsi que la contribution des forces armées au renforcement de la démocratie dans les Amériques.
14. – Amérique latine. OIT. Travail infantile. Lors d’une réunion
régionale de l’OIT, à Lima, les représentants de 25 pays d’Amérique latine
et des Caraïbes signent un accord dans lequel ils s’engagent à éradiquer le
travail infantile d’ici 2020. Selon le directeur général de l’OIT, Guy Ryder,
12,5 millions d’enfants de la région travaillent, dont 9,5 millions effectuent
des travaux considérés comme dangereux. G. Ryder salue les progrès des
pays latino-américains et caribéens (7,5 millions d’enfants ont quitté le
monde du travail ces dernières années), mais rappelle qu’à ce rythme, le
travail infantile ne sera pas supprimé dans la région avant 2054.
16. – Venezuela. ONU. Le Venezuela entre au Conseil de sécurité de
l’ONU, où il siégera du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016.
20. – Alba. Ébola. Les pays de l’Alba tiennent à La Havane une réunion
extraordinaire afin de définir une stratégie commune contre le virus Ébola. Les
pays membres s’entendent sur la création d’un centre de contrôle commun
et d’une brigade médicale pour faire face à tout cas d’Ébola dans la région.
Tout en félicitant l’Alba pour sa réactivité et son engagement dans la lutte
contre cette maladie, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, invite les
autres organisations sous-régionales à suivre cet exemple. Cette rencontre est
aussi l’occasion de féliciter les autorités cubaines, qui se sont engagées dès le
début de l’épidémie en Afrique de l’Ouest en envoyant des équipes médicales.
26. – Brésil. Élection présidentielle. La présidente sortante, Dilma
Rousseff (Parti des travailleurs), déjà en tête du 1er tour de l’élection
présidentielle, le 5 octobre, remporte le 2e tour avec 51,64 % des voix,
face à Aécio Neves (Partido da Social Democracia Brasileira, centre droit),
qui totalise 48,36 % des voix.
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Chronologie ❮ 129
27-29. – Chili. Allemagne. Espagne. La présidente du Chili, Michelle
Bachelet effectue un voyage en Europe dans le but de trouver un nouvel
accord de partenariat entre le Chili et l’UE. En Allemagne, les 27 et 28,
elle aborde le sujet de la coopération entre les deux pays dans des matières
aussi différentes que les énergies renouvelables, l’innovation scientifique et
technologique, la formation technique professionnelle. Les 28 et 29, en
Espagne, elle est reçue par le roi Felipe VI et par le chef du gouvernement,
Mariano Rajoy. Ce dernier rappelle la volonté de son pays de consolider les
relations bilatérales avec son 3e partenaire commercial en Amérique latine.
Les deux pays signent aussi des accords en matière de sécurité et défense.
Les discussions portent également sur la préparation du prochain sommet
ibéro-américain, qui se déroulera les 8 et 9 décembre à Veracruz (Mexique).
28. – Argentine. Économie. Fonds vautours. Le juge de New York chargé
du dossier des fonds vautours, Thomas Griesa, rejette la demande présentée
par un groupe de créanciers italiens qui voulaient accéder à une partie des
539 millions de dollars déposés par l’Argentine en juin.
29. – Colombie, Pérou. UE. Visas. La Commission européenne annonce
que la Colombie et le Pérou remplissent les critères pour être dans une
certaine mesure inclus dans l’espace Schengen. Ce qui donne la possibilité à ces deux pays d’entamer des négociations sur un éventuel accord qui
pourrait donc dispenser de visa les Colombiens et les Péruviens voyageant
dans les 26 pays de l’espace Schengen pour une durée maximale de 90 jours.
La Colombie et le Pérou saluent cette décision et espèrent une entrée en
vigueur de cet accord courant 2015.
30. – Uruguay. Élection présidentielle. Tabaré Vázquez, candidat du
Frente Amplio, ancien président de 2005 à 2010, remporte le 2e tour de
l’élection présidentielle avec 56,6 % des voix face à Luis Lacalle Pou, du
Parti national (centre droit), qui a réuni 43,3 % des suffrages.
30-31. – Amérique latine et Caraïbes. Éducation. La réunion ministérielle régionale « L’éducation pour tous en Amérique latine et dans les
Caraïbes : situation actuelle et défis post-2015 », rassemblant ministres,
vice-ministres et représentants gouvernementaux, est organisée à Lima par
l’Unesco. Elle aboutit à la « déclaration de Lima », qui représente un accord
sur une vision d’avenir et sur les engagements en faveur de l’éducation
post-2015. Les priorités régionales de l’agenda pour l’éducation post-2015
approuvées seront également présentées au Forum mondial sur l’éducation
qui se tiendra en Corée du Sud en mai 2015. Les participants conviennent
de lutter contre toutes les formes d’exclusion et de discrimination, les
disparités et les inégalités dans l’accès à l’éducation.
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130 ❯ AMÉRIQUE LATINE – ÉDITION 2015-2016
Novembre
3. – Pérou. Politique. Élection présidentielle. En prélude à l’élection
présidentielle de 2016 au Pérou, le président Ollanta Humala annonce le
lancement officiel de la campagne électorale de sa formation politique, le
Parti nationaliste péruvien.
3-7. – Colombie. Europe. Farc. Le président de la Colombie, Juan Manuel
Santos, effectue une tournée en Europe, à la recherche de soutiens politiques
et financiers au sujet des négociations de paix en cours avec les Farc. Il se
rend en Espagne, en Allemagne, en Belgique et au Portugal. Ces différents
pays réaffirment leur soutien à J. M. Santos à propos de la recherche d’une
issue politique et pacifique au conflit. Le président du Parlement européen,
Martin Schulz, apporte son appui et la chancelière Angela Merkel annonce
que son pays débloquera 75 millions d’euros pour accompagner le processus
de paix. Le chef d’État termine sa visite en France et au Royaume-Uni.
4. – Brésil. Politique. Manifestation. Quelque 2 500 manifestants défilent
dans les rues de São Paulo pour exiger la destitution de la présidente du
Brésil, Dilma Rousseff. Selon ces opposants, le scrutin du 26 octobre,
remporté par D. Rousseff, aurait été entaché de nombreuses irrégularités. Ils accusent également le gouvernement mené par le Parti travailliste
de corruption, en faisant notamment allusion au scandale qui affecte la
compagnie Petrobras. Dans la foulée de ces manifestations, le Parti socialdémocrate brésilien du candidat Aecio Neves introduit une requête auprès
du Tribunal supérieur électoral afin de vérifier que le 2e tour de l’élection
présidentielle s’était bien déroulé dans le respect des règles électorales.
4-27. – Mexique. Violence. Ayotzinapa. Le 4, la police fédérale annonce
l’arrestation à Mexico de José Luis Abarca, maire d’Iguala, et de Maria
de Los Ángeles Pineda, son épouse. Tous deux sont soupçonnés d’être
les instigateurs des violences à l’origine de la disparition des 43 étudiants
d’Ayotzinapa. Le 12, des représentants du gouvernement et des proches des
étudiants disparus signent un accord stipulant qu’une assistance technique
pour mener les investigations sera sollicitée auprès de la CIDH (cette
assistance est formalisée par un accord signé le 18 novembre). Le même
jour, le pape François évoque l’affaire et la met en relation avec « la réalité
du narcotrafic ». Le 20, ont à nouveau lieu d’importantes manifestations,
dans différents États du Mexique et plusieurs capitales, hors du pays.
Le 25, l’équipe de médecins légistes argentins participant à la recherche
des étudiants disparus annonce que les 28 corps trouvés dans la fosse
commune de Pueblo Viejo, près d’Iguala, ne sont pas ceux des étudiants.
Le 27, Enrique Peña Nieto annonce une série de 14 mesures destinées
à favoriser la sécurité, la justice et le développement économique « pour
éviter que de tels crimes aient à nouveau lieu ».
10. – Unasur. Crise au Venezuela. Lors d’une visite au Brésil où il est
reçu par la présidente Dilma Rousseff, le secrétaire général de l’Unasur et
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ancien président colombien, Ernesto Samper, préconise un « pacte social »
pour surmonter la crise politique et économique qui affecte le Venezuela
depuis plusieurs mois. Tout en rappelant que la porte des négociations
reste ouverte au sein de l’Unasur, E. Samper salue l’implication du Brésil,
de l’Équateur et de la Colombie dans la résolution de cette crise.
10-11. – Équateur. Haïti. Coopération. Le président d’Haïti, Michel
Martelly, effectue une visite en Équateur, où il est reçu en grande pompe
par son homologue, Rafael Correa. Les deux hommes s’entretiennent sur la
possibilité de renforcer leurs relations bilatérales dans plusieurs domaines,
notamment ceux de l’éducation, de l’immigration et du transport aérien.
13. – Colombie. Venezuela. La Colombie annonce la suspension de l’émission de visas de résidence temporaire de type Mercosur aux ressortissants
vénézuéliens. Elle justifie cette décision en soulignant que le Venezuela,
devenu membre du Mercosur en 2012, n’a pas encore adhéré à une convention qui prévoit notamment une réciprocité entre les États membres et
associés du bloc régional. Selon la Colombie, plus de 15 000 Vénézuéliens ont
bénéficié du visa Mercosur ces cinq dernières années. Celui-ci, d’une durée
renouvelable de deux ans, permet aux ressortissants des États membres et
des États associés de travailler et d’étudier dans n’importe lequel de ces pays.
14-17. – Brésil. Corruption. Petrobras. Le 14, l’arrestation d’un haut
responsable du groupe pétrolier Petrobras, Renato Duque, directeur des
services et de l’ingénierie de 2003 à 2012, et de 23 autres personnes dans
le cadre d’une opération mains propres baptisée Lava Jato (Kärcher) a
précipité les révélations. Ce scandale éclabousse aussi bien la compagnie
d’État que des fournisseurs privés, et notamment des sous-traitants œuvrant
dans la construction. Le 17, la présidente de Petrobras, Graça Foster,
reconnaît avoir été informée de l’existence de pots-de-vin émanant de SBM
(une entreprise néerlandaise de sous-traitance) et explique avoir aussitôt
suspendu la participation de ce fournisseur aux appels d’offres. Un mode
de fonctionnement du blanchiment est dévoilé lors des interrogatoires :
les entreprises impliquées s’entendaient pour désigner celle qui emporterait l’appel d’offres de Petrobras. Celle-ci facturait le prix maximum, et
une partie de la somme était reversée en pots-de-vin à des intermédiaires,
notamment des membres du Parti des travailleurs, du Parti du Mouvement
démocratique brésilien et du Parti progressiste, membres de la coalition au
pouvoir. Dilma Rousseff, s’exprimant depuis l’Australie où elle participe
au G20, déclare que l’enquête va changer de manière définitive les relations
entre la société, l’État et les entreprises privées au Brésil. Pour entamer ce
changement, le groupe Petrobras annonce la création d’une « direction du
contrôle interne », qui aura pour mission de veiller à la bonne gouvernance
de l’entreprise. Celle-ci n’en a pas moins vu sa cotation boursière chuter.
17 novembre-1er décembre. – Colombie. Farc. Négociations.
Le 17 novembre, le président de la Colombie, Juan Manuel Santos,
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suspend les négociations de paix avec les Farc. Cette décision fait suite à
l’enlèvement du général Rubén Darío Alzate, commandant de la Force
opérationnelle interarmées Titán, laquelle opère dans le département de
Chocó, dans le nord-ouest du pays. Le 1er décembre, à la suite de la libération de R. D. Alzate, le gouvernement entreprend plusieurs actions en vue
de faciliter la reprise des pourparlers de paix.
21. – Costa Rica. Politique. Corruption. La Cour suprême du Costa
Rica annule le jugement rendu en décembre 2012 par une cour d’appel
locale qui acquittait l’ancien président du Costa Rica, Miguel Ángel
Rodríguez (1998-2002), d’une peine d’emprisonnement de cinq ans
pour une affaire de corruption.
Décembre
Décembre. – Amérique latine. Économie. La Cepalc annonce que la
croissance de la région en 2014 est estimée à 1,1 %, soit son plus bas
niveau depuis 2009. Il s’agit donc d’un ralentissement de l’économie
de la zone par rapport à 2013, alors que la croissance a été de l’ordre de
2,7 %. Pour la Cepalc, ce ralentissement s’explique entre autres par la
baisse de l’investissement observée depuis 2011 ainsi que par la diminution de la croissance dans de grandes économies comme le Brésil (+ 0,2 %),
le Mexique (+ 2,1 %), l’Argentine (- 0,2 %) et le Venezuela (- 3 %). La
Cepalc souligne également que la République Dominicaine et le Panamá
obtiennent les meilleurs taux de croissance de la région avec une hausse
de 6 % du PIB dans chacun des deux pays.
1er-14. – Environnement. Conférence internationale. Pérou. Une
conférence internationale de l’ONU sur le climat, rassemblant 195 délégations, se tient à Lima. Au terme de 13 jours de négociations, le texte « Appel
de Lima pour l’action climatique » est adopté. En marge de la conférence,
les pays de l’Alliance du Pacifique (AP : Chili, Colombie, Mexique et Pérou)
signent un accord portant sur la lutte contre le changement climatique. Cet
accord prévoit notamment le versement de 22 millions de dollars au Fonds
vert des Nations unies pour le climat. Par ailleurs, les 4 États membres de
l’AP concluent avec le Costa Rica, l’Équateur, le Guatemala et le Salvador
une entente appelée Initiative 20x20, dans laquelle ils s’engagent à reboiser
20 millions d’hectares d’ici 2020.
3. – Brésil. Économie. La Banque centrale brésilienne, dépassant toutes les
attentes, annonce relever son principal taux directeur de 0,5 %, pour le porter
à 11,75 %, alors qu’il était déjà l’un des plus élevés au monde. Cette décision
s’explique en grande partie par la forte hausse des prix sur un an, qui a atteint
6,75 % en octobre, dépassant ainsi le seuil de tolérance fixé par Brasília.
4-5. – Unasur. Intégration régionale. Lors du 8e sommet de l’Unasur, est
inauguré le siège permanent de cette organisation, situé dans la localité de la
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Chronologie ❮ 133
Mitad del Mundo, au nord de Quito. Outre les représentants et mandataires
des douze pays membres, sont présents les président(e)s Cristina Fernández
Kirchner (Argentine), Juan Manuel Santos (Colombie), Evo Morales
(Bolivie), Dilma Rousseff (Brésil), Horacio Cartes (Paraguay), Desi Bouterse
(Suriname) et Nicolás Maduro (Venezuela). Plusieurs projets et chantiers
sont au programme : la relance de la Banque du Sud, qui doit permettre
des échanges financiers entre nations du Sud, qui ne soient pas dépendants
du dollar et de l’euro, ainsi que la poursuite de l’intégration économique,
au-delà des différences idéologiques. Plusieurs projets sont déjà en cours, tels
les corridors interocéaniques routiers ou ferroviaires qui faciliteront l’accès
à l’océan Pacifique et aux marchés asiatiques pour le Brésil et à l’Argentine
et, inversement, un meilleur accès à l’Atlantique et aux marchés africains
et européens pour les pays situés sur la côte Pacifique. Enfin, est débattue
l’idée de créer une « nationalité » sud-américaine et donc un passeport
unique. Le sommet s’achève avec la passation des pouvoirs pro tempore
du président Bouterse à Pepe Mujica (Uruguay).
7. – Uruguay. Droits de l’homme. Guantanamo. L’Uruguay accueille
six anciens détenus de la prison américaine de Guantanamo. Il devient le
premier pays d’Amérique latine à accueillir d’anciens prisonniers de cette
base américaine établie à Cuba.
8. – Sommet Cuba-Caricom. Coopération Sud-Sud. La Havane accueille
les pays membres de la Communauté caribéenne lors du Ve sommet
Cuba-Caricom. Cette rencontre, à laquelle prennent part plusieurs dirigeants
de la Caricom ainsi que Raúl Castro, est l’occasion de dresser un bilan
concernant les initiatives à vocation régionale. Tout en saluant le travail
accompli par les ministres des Affaires étrangères de la Caricom et de Cuba
en prélude au sommet, les participants réaffirment leur volonté de consolider
et de renforcer la coopération Sud-Sud, notamment dans les domaines social,
économique et commercial. Dans une déclaration commune, ils se fixent
également plusieurs objectifs, dont la défense de la souveraineté territoriale
de chacun de leurs pays ainsi que l’assistance à Haïti.
8-9. – Sommet ibéro-américain. Le XXIVe sommet ibéro-américain,
organisé à Veracruz (Mexique), est inauguré par le président Enrique
Peña Nieto, en présence d’une vingtaine de dirigeants des Amériques et
du roi d’Espagne Felipe VI. Plusieurs thèmes sont abordés, notamment
l’éducation, la culture ainsi que l’innovation. La secrétaire générale, Rebeca
Grynspan, invite les différents chefs d’État et de gouvernement à rester
soudés autour des idéaux de la communauté ibéro-américaine et à éviter
toute concurrence entre les groupes d’États constitués en blocs commerciaux. Outre l’absence remarquée des dirigeants de Cuba, du Brésil, de
l’Argentine et du Venezuela, ce sommet se déroule dans un climat tendu,
entre autres marqué par l’affaire des 43 étudiants d’Ayotzinapa.
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10-22. – Nicaragua. Projet de canal interocéanique. Le 10, une manifestation rassemblant des milliers de paysans du sud du pays a lieu à Managua
contre le projet de canal interocéanique. Depuis septembre, une quinzaine de
manifestations comparables se sont déroulées pour dénoncer la réalisation de
cet ouvrage. Le 22, cérémonie officielle marquant le lancement des travaux.
11-12. – Mercosur. Sommet. 47e sommet des chefs d’État et de gouvernement du Mercosur, organisé dans la ville de Paraná, dans l’est de l’Argentine.
La question des fonds vautours est évoquée, ainsi que celle de l’adhésion
de la Bolivie à l’organisation. Ce pays a signé un accord d’adhésion, le
7 décembre 2012, mais il manque les ratifications des pays membres. Les
ministres des Affaires étrangères s’accordent sur le fait que ce sommet présidentiel constitue une nouvelle base pour l’intégration latino-américaine. Par
ailleurs, ils condamnent la politique de sanctions économiques adoptée par
le Congrès nord-américain contre le Venezuela et réaffirment leur soutien à
Buenos Aires au sujet des îles Malouines et du différend avec les fonds vautours.
12. – Pérou. UE. Relations commerciales. La commissaire européenne au
Commerce, Cécilia Malsmtröm, et le ministre du Commerce international
de l’Équateur, Francisco Rivadeneira, paraphent à Bruxelles le protocole
d’adhésion aux accords de libre-échange déjà en vigueur entre l’UE, la
Colombie et le Pérou.
16. – Colombie. États-Unis. Narcotrafic. Le secrétaire d’État américain,
John Kerry, se rend à Bogotá, où il est reçu par le président Juan Manuel
Santos. Les deux hommes discutent notamment de l’évolution du processus
de paix en Colombie. À cet égard, J. Kerry invite ce pays à accélérer les
pourparlers de paix avec les Farc, processus qu’il soutient, et souhaite que
l’année 2015 soit une année de paix et de prospérité dans ce pays. Le
président Santos, pour sa part, remercie les États-Unis pour leur soutien
indéfectible dans le cadre des négociations de sortie de crise et promet de
faciliter la signature d’un accord de paix entre son gouvernement et les Farc.
17. – Cuba. États-Unis. Relations diplomatiques. Le président Barack
Obama annonce la reprise des relations diplomatiques avec Cuba, mettant
un terme à l’isolement du régime castriste qui durait depuis 1961. B. Obama
ne peut lever l’embargo par décret. La situation économique de Cuba devra
encore attendre pour s’améliorer de façon substantielle, et B. Obama déclare
au Congrès qu’il revient à celui-ci de réviser l’appareil législatif (notamment
la loi Helms-Burton de 1996 qui a durci l’embargo de 1962), qui pénalise
Cuba. La bataille politique qui s’annonce entre l’exécutif et le législatif
américains sera rude, mais les partisans de la reprise du dialogue entre les
deux pays peuvent la remporter car l’opinion publique et une majorité de
la classe politique américaine sont favorables à cette levée d’embargo.
22. – Argentine. Dictature. Justice. La justice argentine condamne, dans
un jugement inédit, un médecin et une sage-femme pour leur rôle dans
l’enlèvement de nouveau-nés soustraits à leurs mères pendant la dictature
militaire (1976-1983).
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Chronologie ❮ 135
■■ Principaux sigles utilisés
Alba : Alliance bolivarienne pour les Amériques
Brics : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud
Caricom : Communauté caribéenne
Celac : Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes
Cepalc : Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine
et les Caraïbes
CIDH : Commission interaméricaine des droits de l’homme
CIJ : Cour internationale de justice
Farc : Forces armées révolutionnaires de Colombie
FMI : Fonds monétaire international
Mercosur : Marché commun du Sud
OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques
OEA : Organisation des États Américains
OIT : Organisation internationale du travail
PIB : Produit intérieur brut
UE : Union européenne
Unasur : Union des nations sud-américaines
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Amérique latine
Édition 2014-2015
sous la direction de
Sébastien Velut
avec la collaboration de
Charles-André Goulet
Sommaire
Introduction : À la recherche d’un second souffle
Sébastien Velut
Chávez forever ou la fin d’un cycle populiste vénézuélien ?
Adeline Joffres
Le Paraguay en 2013, toujours en attente d’une recomposition politique
Renée Fregosi
Brésil. Des mobilisations en trompe-l’œil : retour sur
les manifestations de juin 2013
Stéphane Monclaire
La question agraire au cœur du conflit colombien
Nadège Mazars
Amérique du Sud : vers une communauté de sécurité et de défense
sous l’égide du Brésil
Bruno Muxagato
Les mines d’or péruviennes, entre inscription territoriale locale
et projection internationale
Vincent Bos
Musiques des Andes et représentations de la nation
dans le Pérou contemporain
Gérard Borras
Fiches pays : l’Amérique latine en 2013
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Amérique latine
2012, année charnière
Édition 2013
sous la direction de
Georges Couffignal
Sommaire
2012 : année charnière pour le futur de l’Amérique latine
Georges Couffignal
Le Mexique, 2000-2012 : une transition ratée
Ilán Bizberg
Quarante ans de « guerre contre les drogues » dans les Amériques
Isabelle Vagnoux
Amérique latine : la difficile relation entre médias et dirigeants
Erica Guevara
Brésil-Chine : une relation qui s’enracine
Élodie Brun et Frédéric Louault
Haïti sous Michel Martelly : nouveau départ ou faux-semblant ?
Jorge Heine
Les grands chantiers de la Bolivie d’Evo Morales
Laurent Lacroix
L’apparition politique et juridique de l’indianité en Amérique latine
Salvador Martí i Puig
Kallfvkawell zungun – le Cheval bleu de la parole
Territorialisations et déterritorialisations poétiques mapuches
Hervé Le Corre
Fiches pays : l’Amérique latine en 2012
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