Bernadette Barrière.- Comtes carolingiens en Limousin

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Bernadette Barrière.- Comtes carolingiens en Limousin
Comtes
carolingiens en Limousin
Bernadette BARRIÈRE
Évoquer
les comtes carolingiens à propos des préfets peut
sembler une gageure, et pourtant, dans la mesure où il s’agit,
dans l’un et l’autre cas, de représentants de l’État
en région, la comparaison est peut-être moins osée
qu’il n’y paraît au départ. Car, comme le
« découvrent » les étudiants en
Histoire lorsqu’ils abordent la période médiévale,
ces « comtes », que l’on voit exercer leurs
fonctions tant sous les souverains mérovingiens que dans le
courant des VIIIe et IXe
siècles carolingiens, sont avant tout des
administrateurs royaux qui tirent leur qualification de
« comtes » de leur fonction, non de leur
naissance, même s’ils sont recrutés dans
l’aristocratie franque, gallo-franque, voire aquitano-franque pour
ce qui est de la moitié méridionale de l’espace
français dont les Carolingiens firent un temps un royaume.
En
ce qui concerne le Limousin - et il en est de même pour le
Poitou, l’Angoumois, le Périgord, la Saintonge, le Quercy,
le Berry ou l’Auvergne qui l’environnent - , le « comté »
se confond avec le diocèse, lequel est lui-même héritier
de la cité romaine ; le diocèse et le comté
de Limoges sont, en effet, les circonscriptions - ecclésiastique
et civile - héritières de la cité des
Lémovices. Cependant si les diocèses ont traversé
les siècles sans encombre - sauf exceptions de détail
ainsi qu’en témoigne, par exemple, la création au
début du XIVe
siècle du petit diocèse de Tulle aux dépens de
celui de Limoges - , les circonscriptions comtales ont, à
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partir du milieu du IXe
siècle environ et du règne de Charles le Chauve, fait
l’objet de regroupements et de partages puis subi, dès le Xe
siècle, les éclatements de la seigneurialisation en
marche. Dans le même temps, les comtes aquitains affirmaient
leur emprise sur un ou plusieurs comtés, s’affranchissaient
plus ou moins largement de l’autorité souveraine,
constituaient de véritables lignages comtaux dont les fils
revendiquaient en héritage et les biens et la fonction.
Certaines de ces familles, entrant en concurrence, s’affrontèrent
parfois dans des luttes violentes et durables pour la possession
d’un comté ou d’un groupe de comtés : ainsi en
fut-il, par exemple, du comté de Poitiers vers 900, disputé
entre deux familles rivales, un conflit dans lequel la victoire
finale échut au fameux lignage des « Guillaume »,
connus par la suite en tant que « ducs des
Aquitains ».
Néanmoins,
malgré cette transformation relativement rapide - quelques
décennies - d’une institution strictement administrative en
un système de gestion régionale de type princier de
plus en plus distant vis à vis de l’
État,
l’institution n’en a pas moins fonctionné tout au long du
IXe
siècle, d’une part avec des manières d’opérer
assez stables, figées par le poids de l’autorité
royale et la force de l’usage, d’autre part avec la souplesse que
nécessitait l’adaptation à des situations locales
incontestablement très diverses.
Mais
qu’est-ce qu’un comte carolingien ? Il s’agit, dans le
principe, d’un haut fonctionnaire que le souverain choisit et
nomme, et qu’il peut, à sa convenance, déplacer ou
révoquer. Cet agent royal reçoit une délégation
de pouvoirs qui lui permet de se substituer au roi dans le comté
pour toutes les questions administratives, fiscales, militaires et
judiciaires. Outre qu’il a en charge la gestion des domaines du
fisc, il doit veiller à l’ordre public et assurer le bon
fonctionnement de la justice, faire connaître la législation
et les réglementations émanant du pouvoir central et se
préoccuper de leur exécution, percevoir impôts et
taxes, lever et commander le contingent d’hommes d’armes requis
pour l’ost royal, faire entretenir routes, ponts et fortifications.
Il doit, une fois par an, aller rendre compte au roi de sa gestion.
Sa rétribution est
constituée de revenus de diverses origines ; il perçoit,
en effet, ce qui provient des domaines fiscaux constituant, dans le
comté, la dotation de sa fonction, ainsi qu’une part (un
tiers semble-t-il) des rentrées d’argent assurées
notamment par les amendes et les taxes. Il peut également
bénéficier des revenus de domaines propres, soit acquis
depuis l’entrée en fonction dans le comté et parfois
donnés par le souverain lui-même, soit hérités
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de sa famille, soit de toute autre provenance.
Cette
délégation de la totalité de la puissance
publique, le comte ne peut l’exercer sans aide, c’est pourquoi il
a des collaborateurs immédiats, mais leur effectif est très
réduit puisqu’il comporte simplement un clerc-scribe et,
éventuellement, un vice-comte - vicomte - auquel est délégué
une partie de l’autorité comtale. Toutefois, l’organisation
carolingienne a cherché à décharger le comte des
problèmes locaux mineurs : pour ce faire, le comté
a été subdivisé, du moins en Francie
occidentale, en circonscriptions assez comparables aux cantons
actuels : les vicaria, chacune confiée à un agent
subalterne aux compétences plus restreintes, le vicarius.
Concrètement,
qu’en est-il du fonctionnement du système ? S’agissant
du choix des comtes, que l’on souhaite autant que possible riches,
influents et compétents, il se fait au sein de l’aristocratie
franque et l’on sait aujourd’hui que le nombre de grandes
familles dont les membres étaient susceptibles d’être
ainsi sollicités par le roi était relativement modeste,
ce qui limitait le vivier des candidats potentiels et du même
coup la liberté d’action du souverain vis à vis de ce
corps d’administrateurs. Précisons, en outre, que ces
familles étaient souvent apparentées entre elles et que
des alliances matrimoniales les liaient aussi fréquemment au
lignage carolingien lui-même.
S’agissant
de l’action même des comtes, le grand nombre de capitulaires
stigmatisant les insuffisances et les abus de leur gestion
(corruption, exactions, détournements, incompétence)
suffit pour témoigner de la difficulté du roi à
leur faire respecter les engagements pris, malgré les
destitutions et les confiscations de biens auxquelles il lui arrivait
de procéder. Une solution au moins partielle fut trouvée
à ce problème, ce fut l’envoi, en missions
temporaires ou régulières dans les comtés, de
ces missi dominici,
beaucoup plus connus du public actuel que les comtes eux-mêmes,
auxquels Charlemagne et ses successeurs eurent recours pour mener
enquêtes et inspections auprès des comtes déficients,
contrebalancer quelque peu leurs comportements volontiers autonomes
ou frondeurs, et apporter directement en région la présence
royale.
Par
ailleurs, soucieux de collaborer avec l’Église dont ils
attendaient beaucoup, et d’entretenir les meilleures relations avec
elle, les Carolingiens poursuivent la politique mérovingienne
d’octroi de privilèges tant aux évêques qu’aux
communautés religieuses. La forme la plus aboutie des
générosités royales était
incontestablement la concession du privilège d’immunité :
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une telle faveur, en effet, soustrayait totalement les biens du
bénéficiaire à l’autorité du comte mais
le pouvoir royal n’y perdait rien puisque c’était
l’immuniste, évêque ou abbé, qui avait le
pouvoir de se substituer au comte dans ses devoirs et charges
vis-à-vis du roi. Les patrimoines ainsi passés sous le
régime de l’immunité ne représentaient, en
fait, qu’une petite partie des territoires comtaux, mais la
présence souveraine y était assurée grâce
à cette administration parallèle qui n’avait besoin
d’aucune rétribution, tout en étant souvent de
qualité. D’ailleurs archevêques, évêques,
abbés parfois aussi, dont le choix était, comme celui
des comtes, le fait du roi, étaient autant de relais de
l’autorité royale ; la collaboration pouvait même
être très étroite.
Enfin,
même si une certaine mobilité du personnel comtal peut
être observable, la tendance générale est, au
moins à partir de la fin du IXe
siècle, à l’enracinement délibéré
du comte et de sa famille dans le comté d’exercice et, par
conséquent, au refus de quitter celui-ci à l’avenir :
acquisition de biens propres, constitution de clientèles de
vassaux et politiques matrimoniales furent alors les meilleures armes
qui, déployées au service d’un tel objectif,
devaient, à terme, aboutir à l’héréditarisation
de la fonction comtale. Dès lors, n’étant plus
directement tributaire du roi, le comte allait cesser d’être
un véritable fonctionnaire.
En
ce qui concerne le Limousin, la recherche en ces domaines doit se
satisfaire d’une documentation fragmentaire et, en tout état
de cause, insuffisante. Les rares informations disponibles sont
empruntées aux chroniques et annales, ainsi qu’aux
cartulaires aquitains.
Le
comté de Limoges est mentionné à diverses
reprises comme pagus lemovicensis (VIIIe s.,
cartulaire de Charroux) et comme comitatus lemovicensis (IXe
s., cartulaire de Beaulieu). Les comtes carolingiens de Limoges sont
peu connus : à peine peut-on citer le comte Roger, un
Franc mis en place par Charlemagne en 778 à l’occasion de sa
prise en main de l’Aquitaine, considéré comme le
fondateur de l’abbaye de Charroux ; le comte Rathier, probable
gendre de Pépin 1er, nommé à ce poste
par Louis le Pieux, soucieux de résister aux entreprises de
son petit-fils Pépin II ; le comte Raymond enfin, qui,
désigné en 841, à la mort du précédent,
par Charles le Chauve, fut non pas le dernier titulaire mais le
dernier à résider sur place.
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effet, en 851, ce Raymond, membre de la famille détentrice du
comté de Toulouse, est appelé à y prendre une
succession. Il rassemble dès lors entre ses mains les comtés
de Limoges, Cahors, Toulouse et Rodez, semble-t-il. Au cœur d’une
situation politique et administrative confuse, une chose est
néanmoins claire désormais : à partir de
cette date et de manière définitive, le comté de
Limoges n’a plus de comte résident. En revanche, le
développement de l’institution vicomtale devient une
nécessité pour ce « super-comte »
qui, comme d’autres et selon le vœu du roi, cumule les charges
comtales ; et il en est de même pour ses successeurs.
Effectivement, c’est dans le dernier quart du IXe siècle
que l’on voit apparaître les deux plus anciennes charges
vicomtales connues : l’une s’exerce manifestement à
partir de Limoges et du Haut-Limousin (Hildebert, puis son fils
Hildegaire) ; l’autre sur les confins du Bas-Limousin et du
Haut-Quercy (Adémar, à partir de Tulle ?).
Point
n’est ici le lieu de relater en détail le devenir du comté
de Limoges qui finit au Xe siècle, par perdre toute
réalité administrative. Rappelons simplement que ce
comté, après avoir fait partie du « lot »
de la famille toulousaine bientôt évincée par
Bernard Plantevelue, passa par héritage au fils de ce dernier,
Guillaume le Pieux, puis enfin, en 927 et de manière
définitive, au lignage des comtes de Poitiers, lesquels
procédèrent dans l’ensemble de leurs « possessions »
à des restructurations de type vicomtal. C’est de ces
aménagements princiers, et non plus de la décision
royale, que sont issues, aux Xe et XIe
siècles, les vicomtés nouvelles d’Aubusson, de
Comborn et de Turenne, puis celles de Rochechouart et de Ventadour.
Dans le principe, les vicomtes y auraient du œuvrer en tant
qu’administrateurs comtaux. La réalité qui,
incontestablement, témoigne de liens de dépendance à
l’égard du comte de Poitiers, n’est plus que seigneuriale.
Au
cours des luttes qui, de 838 à 865, ont partagé les
grands d’Aquitaine entre partisans de Pépin II et partisans
de Charles le Chauve, comtes, évêques et abbés
ont pris des positions qui ont pu peser sur leur carrière. Les
clercs de haut rang se sont, apparemment, assez rapidement ralliés
à Charles le Chauve : ce fut le cas, dès 848, de
Stodilon, évêque de Limoges, ainsi que de Raoul,
archevêque de Bourges, fils d’un comte de Cahors et fondateur
de l’abbaye de Beaulieu, pourtant bien connus tous les deux pour
avoir été de solides opposants. Il y a donc eu, dans le
cas de l’Église, et moyennant des négociations dont
on ignore le contenu, une réelle amnistie. En revanche, en ce
qui concerne les opposants laïcs, il semble que certains d’entre
eux aient eu à subir lourdement la disgrâce royale :
il en fut manifestement ainsi par exemple pour la famille comtale de
Cahors, dont les fonctions ne furent plus jamais renouvelées.
Si
l’organisation et le fonctionnement administratifs des carolingiens
du Limousin ont finalement laissé peu de traces marquantes à
l’échelon du comte, ils n’en ont pas moins marqué
durablement le pays. En effet, les actes des IXe et Xe
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siècles, jusque vers l’an mil, témoignent de ce que
la plupart des lieux évoqués y sont identifiés
notamment par leur appartenance à une vicaria.
Trente-six de ces circonscriptions sont connues par les sources, et
des études récentes en restituent au moins
partiellement l’étendue, ce qui permet de penser que
l’ensemble du territoire comtal en a comporté une
soixantaine. Chacune est dotée d’un chef-lieu - site public
d’occupation plus ou moins ancienne -, et d’un domaine de
fonction appartenant au fisc, à l’usage du vicarius.
En matière de fisc, il ne faut pas négliger non plus
les forteresses, publiques par définition (sites de castra
comme Uzerche, Tulle ou Aubusson par exemple), ainsi que les domaines
épars conservés par le roi ou concédés
par lui en bénéfice ou en toute propriété
à des « fidèles » ou à des
établissements religieux. C’est dire l’ampleur des
possessions du fisc dans un comté du cœur de l’Aquitaine au
XIe siècle.
Quant
au privilège de l’immunité, on le voit accordé
et confirmé par les souverains tout au long de la période.
Les établissements bénéficiaires essentiels sont
la cathédrale Saint-Étienne de Limoges et les abbayes
de Solignac et de Beaulieu, à l’exclusion apparemment de
l’abbaye Saint-Martial de Limoges, pourtant née sous l’égide
de Charles le Chauve en 848. Mais quel que soit l’établissement
considéré, la documentation est muette sur le rôle
d’agents royaux éventuellement joué par les
immunistes, évêques, abbés ou abbés laïcs,
dans l’administration des biens ecclésiastiques.
Balayés
par les événements et les troubles politiques, les
comtes carolingiens, au sens administratif du terme, ont fait en
Limousin une carrière relativement brève, et les termes
de « comte » ou « comté de
Limoges » ne sont plus en usage dès le Xe
siècle. En revanche ceux de « vicomte »,
de vicaria, de vicarius allaient avoir la vie longue, à
ceci près que la vicaria se maintient encore durant
tout le Xe siècle dans son acception première :
ces trois termes, en effet, sont parmi les plus familiers de la
documentation des XIe et XIIe siècles,
mais les « vicomtes » y sont devenus des
vassaux du duc d’Aquitaine, et les « vicaires »
de simples officiers seigneuriaux exerçant certains droits de
justice (dits « de vicaria ») au nom de
leur seigneur. La présence royale s’est complètement
diluée, ce que confirme l’accaparement, dans le même
temps, de très nombreux domaines du fisc par les aristocraties
locales.
Bibliographie
sommaire
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Archives en Limousin
AUZIAS
(L.), L’Aquitaine carolingienne, Toulouse-Paris, 1937.
BOYER
(J.-Fr.) “Les circonscriptions civiles carolingiennes à
travers l’exemple limousin”, Cahiers de civilisation
médiévale, 39,1996, p. 235-261.
DHONDT
(J.), Le Haut Moyen-Âge, éd. Revue par M. Rouche,
Paris, 1976.
FAVIER
(J.), Charlemagne, Paris 1999.
LASTEYRIE
(R. de), Étude sur les comtes et vicomtes de Limoges
antérieurs à l’a mil, Paris, 1874.
NELSON
(J.-L.), Charles le Chauve, Paris, 1992-1994.
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