
Diversité des approches des troubles psychopathologiques en milieu scolaire et universitaire : surprises et paradoxes S235
Les professionnels de l’Éducation Nationale ont une
forte attente vis-à-vis des psychiatres face à des situations
critiques : éclairage théorique ou conseils pratiques sur la
conduite à tenir au sein du lycée, qu’elle soit compréhen-
sive ou éducative. Parfois des résultats visibles et rapides
sont attendus dès que la prise en charge psychologique est
amorcée, tant sur le plan de l’intégration au groupe, l’assi-
duité, les relations avec les enseignants ou encore les per-
formances cognitives…
Du côté des soignants, on observe le plus souvent
une grande réserve, voire parfois un refus total de dia-
logue, très décourageant pour l’institution scolaire qui a
adressé le jeune. Les raisons sont nombreuses : respect du
secret professionnel, crainte de stigmatisation du patient,
méfi ance globale vis-à-vis de l’institution scolaire ou tout
simplement ignorance du sujet qui en défi nitive ne s’est
jamais présenté à la consultation. Les soignants perçoivent
parfois l’institution scolaire, y compris les services de santé
scolaire, davantage comme une menace plutôt qu’une res-
source, à l’image du vécu de leur patient.
Même quand l’échange est possible et fructueux, il
reste diffi cile de part et d’autre d’ajuster « l’information
utile » aux différents champs d’intervention et de s’accor-
der sur le plus petit objectif commun aux professionnels,
au patient et à sa famille.
c) Des critères de choix qui rendent aléatoire la fi lière
de soins
En milieu scolaire : paradoxalement, l’orientation tient
peu compte des ressources réelles des structures de soins ou
de leur adéquation spécifi que au problème posé (par exemple
hyperactivité, troubles des conduites alimentaires, troubles
du langage…). Une seule exception concerne la prise en charge
des addictions, exception liée probablement à la connaissance
des professionnels des structures dédiées, présents sur site
afi n d’organiser des actions de prévention, au sein des com-
missions d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC).
L’orientation par les personnels de lycée est en réa-
lité fortement connotée par des éléments anecdotiques ou
affectifs : par exemple la connaissance d’un thérapeute,
voire les liens personnels avec celui-ci, le caractère supposé
anodin de l’intervention, non stigmatisante pour l’élève
(« un psychologue pour bavarder »), la gratuité, la nou-
veauté « pour essayer », le caractère prosélyte de certains
professionnels même si à l’usage leur structure s’avère peu
appropriée.
Il existe donc sur le terrain peu de protocolisation de fi lière
de soins, même si la situation est très inégale selon les arron-
dissements et les établissements scolaires : les professionnels
changent, les informations se perdent, la fi lière se délite.
En milieu universitaire : les professionnels de l’univer-
sité travaillent peu en réseau avec les structures de soins
pour adultes, pourtant nombreuses à Paris, parfois même
dédiées aux étudiants, comme les Bureaux d’Aide
Psychologique et Universitaire, dont seulement 8 % des
étudiants connaissent l’existence.
Là encore, la principale raison tient à la méconnais-
sance de ces structures ou réseaux de soins, sauf informa-
tion ponctuelle « qu’on s’échange ». Sinon les prétextes
sont nombreux pour continuer à recevoir un patient qui
pourrait bénéfi cier de prestations de soins diversifi ées à
l’extérieur de l’Université : la crainte de « médicaliser à
outrance », la diffi culté de « passer le relais », les délais
d’attente pressentis, le caractère « inapproprié » du cen-
tre médico-psychologique pour la population étudiante, le
coût présumé de la consultation libérale.
Réciproquement, la place des professionnels de MPU
est ignorée par bon nombre de professionnels de la psy-
chiatrie pourtant à la recherche de relais médicaux et psy-
chologiques au sein des universités où sont scolarisés leur
patient.
4 – Une exception : l’urgence, hospitalo-centrée
Compte tenu de l’engagement de la responsabilité des chefs
d’établissement dans la gestion de la crise ainsi que celle des
professionnels concernés, l’urgence psychiatrique (tentative
de suicide, bouffée délirante) bénéfi cie en général de la plani-
fi cation préalable d’une fi lière de soins ; cela est facilité par la
lisibilité de la structure d’urgence de référence, liée à la cen-
tralisation au CPOA ou à l’hôpital général, et par la permanence
de l’accueil, dont bénéfi cient patients et professionnels.
Plusieurs problèmes subsistent néanmoins pour les pro-
fessionnels de lycées ou d’université.
Il leur est diffi cile d’évaluer le degré de gravité réelle
de la situation, dégagée de la dramatisation parfois specta-
culaire du patient ou de l’entourage ou des enjeux manipu-
latoires pressentis.
Ils sont embarrassés pour orienter les situations inter-
médiaires assimilables à des urgences « psycho-sociales »
comme par exemple le refus de rentrer chez les parents,
les menaces de fugues, les suspicions de maltraitance.
Enfi n dans certains cas, l’urgence n’est pas celle de la
situation du patient, mais le sentiment d’urgence des pro-
fessionnels ou des parents : inquiétude, exaspération, ou
sentiment d’impuissance liés à la répétition des symptômes
depuis plusieurs semaines ou plusieurs mois.
Conclusion
L’inégalité présumée de l’accès au savoir est redoublée par
l’inégalité de l’accès aux soins.
Elle est conditionnée par l’âge des patients, leurs condi-
tions socio-culturelles, les particularités locales des éta-
blissements scolaires ou universitaires, l’historique et les
caractéristiques de l’organisation des soins de proximité.
La coordination interne dans chaque structure ou la
communication des structures entre elles sont des éléments
déterminants : elles permettent de favoriser à un moindre
coût psychique et économique, l’accès à l’évaluation et aux
soins, évitant tantôt la « psychologisation » abusive, tantôt
un attentisme hasardeux ou au contraire une errance théra-
peutique déstructurante pour un jeune patient.
La formation des personnels sur site scolaire ou universi-
taire est essentielle et doit répondre à plusieurs impératifs :
Traduire la pathologie psychiatrique en termes d’im-
pacts sur la vie scolaire ou universitaire (troubles cogni-
tifs, troubles du comportement, relation à l’autorité,
conduite d’évitement) : ces effets négatifs sont autant