Stéphane Taponier
Le journaliste cameraman,
libéré mercredi avec son
collègue de France 3 Hervé
Ghesquière, se confie au JDD
Interview
Yann Thompson
C’est lui qui répond à l’Interphone
et nous accueille dans son apparte-
ment de Saint-Ouen, en banlieue pa-
risienne. Entouré de ses parents et
d’une amie, bercé par un fond de
musique douce, il revient pendant
une heure et demie sur ses dix-huit
mois de captivité en Afghanistan.
Avant de partir en vacances la se-
maine prochaine pour se « remplu-
mer, retrouver la vraie vie et tour-
ner la page ».
Comment allez-vous ?
Je suis encore dans l’adréna-
line du retour, entre euphorie et
coups de mou. Beaucoup de joie,
évidemment, d’avoir retrouvé mes
proches, si soudés. De la fatigue,
bien sûr ; mais je vais bien. On a
fait un check-up à l’hôpital, les mé-
decins ont juste trouvé des caren-
ces alimentaires dues au régime
taliban, sec et pauvre.
Avez-vous souffert du manque de
nourriture ?
J’ai toujours eu trois repas par
jour, mais il fallait se contenter de
peu. Pendant deux mois, je n’ai eu
qu’une demi-patate à chaque repas.
On est très français, la nourriture
c’est important, et là, c’était très dif-
ficile à supporter, vraiment. C’était
immonde, que des féculents, du riz,
des haricots rouges ou des pois chi-
ches. Moi, je pensais à des côtes de
bœuf. Je me souviens d’une émis-
sion que j’ai réussi à écouter sur RFI,
consacrée à un chocolatier. J’en
avais la bave aux lèvres.
Quelles étaient vos conditions de
détention ?
J’ai été baladé dans une petite
vingtaine de maisons, en rayonnant
sur deux vallées, parfois seul, par-
fois avec Hervé ou Reza [leur inter-
prète]. On se retrouvait générale-
ment dans une pièce de 10 à 15 m²
avec deux minces matelas, deux
coussins, une ou deux couvertures
et un peu de lumière filtrant par la
fenêtre. Parfois les talibans dor-
maient avec nous. On a rarement eu
des pots de chambre, il fallait atten-
dre des heures pour aller aux toilet-
tes.
À qui appartenaient ces maisons ?
Il y avait les vrais talibans, les
sympathisants et ceux qu’on appe-
lait les « malgré-eux », que les tali-
bans forçaient à nous garder. C’était
comme des villages corses il y a deux
cents ans, avec des vendettas, des
histoires de famille… On était per-
dus au milieu de cela. Beaucoup de
gens sont talibans parce qu’il n’y a
rien à faire dans les villages. Être ta-
liban, c’est avoir un talkie-walkie,
une arme, un peu d’autorité, un petit
peu d’argent…
Comment vous êtes-vous adapté
à cette nouvelle vie ?
Pendant les deux premiers mois,
avant de trouver un rythme
« d’otage », j’étais un peu assommé,
apathique sur mon matelas. On at-
tend parce qu’on va peut-être sortir
très vite, puis on se dit qu’il faut réa-
gir. On a commencé à s’organiser,
entre le sport, les repas, les discus-
sions… Mais je ne vivais pas, j’étais
à côté de la vie. On entend les bruits
de la vie, les enfants, les casseroles,
mais nous, on est à part, tout seul, il
ne se passe rien.
À quoi pense-t-on dans cette
situation ?
Il y a une espèce de renferme-
ment solitaire, on plonge en soi
parce qu’il n’y a rien à regarder
dans la pièce. C’est un grand voyage
intérieur. On pense beaucoup, à nos
copains d’école, à des gens à qui on
n’avait jamais pu penser. On se re-
mémore des films. On fait le point
sur sa vie. Et on surinterprète tout:
un bout de pain plus gros qui ar-
rive, une cuisine un peu améliorée,
et on se dit que quelque chose va
se passer.
Comment vous êtes-vous
entendu avec Hervé Ghesquière ?
Hervé est un collègue avec qui
je n’avais jamais travaillé. Il ne faut
pas se cacher que, enfermés 24 h/24,
il peut y avoir des engueulades. On
a dû s’engueuler quatre ou cinq fois,
sur des petits détails, un verre ren-
versé… Mais on a très vite compris
que ce n’était pas la solution. On re-
travaillera avec plaisir ensemble.
Avez-vous craint pour votre vie ?
Non, même sur les vidéos où nos
ravisseurs menaçaient de nous exé-
cuter. Eux-mêmes n’y croyaient pas,
ils étaient rigolards. On savait qu’on
avait de la valeur, que c’était une
chance unique pour eux de nous
avoir, et ces talibans n’étaient pas
des extrémistes. La seule peur que
j’avais, c’était qu’ils nous transfèrent
au Pakistan ou dans une région plus
difficile.
Que savez-vous des conditions
de votre libération ? Hervé
Ghesquière a évoqué une rançon,
des détenus libérés…
On ne va pas le nier, il y a des né-
gociations, un échange. Je sais qu’il
y a eu des choses; la nature exacte,
je n’en sais rien.
Quel souvenir garderez-vous de
ces dix-huit mois de captivité ?
Je veux garder le côté expérience
enrichissante, je ne pense pas que
ce soit une expérience traumatisante
pour moi. Je ne peux pas oser com-
parer ma captivité à celle de Jean-
Paul Kauffmann, qui, lui, était dans
des conditions effroyables. On au-
rait pu être attachés, les yeux ban-
dés, rien de tel. C’était difficile mais
ce n’était pas extrême.
Et où vous voyez-vous dans dix-
huit mois ?
Avec ma caméra, sur un terrain
quelconque. Je pense reprendre
le travail en septembre 2012 après
un gros break. La nature du jour-
nalisme, c’est d’aller voir et de
comprendre. Mais surtout d’aller
voir. g
20 Société JDD l 3 juillet 2011
Télex
h lejdd.fr
www.leJDD.fr/international
Ce qu’ont raté Ghesquière et
Taponier, retour sur 18 mois d’actu.
Pau (Pyrénées-Atlantiques)
Envoyé spécial
Jean-Pierre Vergès
Immense émotion hier à Pau, où
4.000 personnes ont marché en
hommage à Alexandre Junca,
13 ans, disparu le 4 juin et dont un
morceau de jambe a été retrouvé di-
manche dernier dans le Gave, la ri-
vière qui traverse la capitale béar-
naise. À l’appel d’un internaute de
19 ans, des Palois de tous âges sont
venus témoigner de leur solidarité
avec les parents de la victime, en tête
du cortège. Martine Lignières-Cas-
sou, la maire de la ville, avait dû rap-
peler le matin même que, contrai-
rement à une rumeur persistante,
Romain Dupuy, le meurtrier schi-
zophrène de deux infirmières en
2004, était toujours interné dans un
hôpital psychiatrique bordelais.
Vendredi soir, Valérie Lance
avait crié toute sa « haine » devant
quelques journalistes massés de-
vant chez elle, et réclamé la totalité
du corps de son fils avant de pouvoir
faire son deuil. Elle a hier remercié
la population, demandé « que justice
soit faite », puis fondu en larmes lors-
que le cortège s’est arrêté devant un
poteau indicateur de la rue Galos,
où le vélo de son fils avait été re-
trouvé attaché avec son antivol. C’est
ici, dans le centre-ville, qu’Alexan-
dre a mystérieusement disparu ce
4 juin, peu avant 23 heures.
Logements au peigne fin
Depuis jeudi, les enquêteurs de
la Direction interrégionale de po-
lice judiciaire de Bordeaux, renfor-
cés par leurs collègues de l’Office
central pour la répression des vio-
lences aux personnes, passent au
peigne fin les appartements des ri-
verains et ceux qui sont inoccupés.
Les experts de la police technique
et scientifique ont notamment cher-
ché d’éventuelles traces de sang.
Alexandre a-t-il été entraîné de force
dans un logement avant d’être tué
et démembré?
Le soir de sa disparition, le col-
légien rentrait d’une soirée sans en-
combre passée avec une poignée de
copains dans le quartier Saragosse.
À 22h51, une caméra de vidéosur-
veillance d’un distributeur bancaire
proche du domicile paternel l’a filmé
pédalant, apparemment tranquille.
L’ado n’était alors pas suivi. Que
s’est-il passé ensuite? Mystère. Neuf
minutes plus tard, des pompiers sont
intervenus dans le quartier pour
prendre en charge un homme ivre.
Ils n’ont rien remarqué d’anormal.
D’autres recherches sont tou-
jours en cours. Selon nos informa-
tions, des traces de sang suspectes
ont été trouvées sur la passerelle de
Gelos, qui enjambe le Gave. Des ana-
lyses sont en cours pour détermi-
ner s’il s’agit du sang du jeune Pa-
lois disparu. g
Drame de
Pau : du sang
analysé
Disparition Des milliers de
personnes ont rendu hier
hommage à Alexandre, 13 ans,
dont le corps a été démembré
« Deux mois pour trouver
un rythme d’otage »
Stéphane Taponier avec ses parents, chez lui à Saint-Ouen, hier. Mélanie Frey/Fedephoto pour le JDD
Les parents
d’Alexandre
à la marche
blanche
d’hier
à Pau.
Patrick
Bernard/Abaca
pour le JDD
Affaire Karachi
Brice Hortefeux
dans le viseur
Entendu sur le volet financier
de l’affaire Karachi, l’ex-
trésorier de la campagne
d’Édouard Balladur a évoqué le
rôle d’une cellule « meetings »
dirigée par Brice Hortefeux,
selon le site Mediapart. Des
fonds de campagne pourraient
avoir été remis à René Galy-
Dejean, ex-maire (UMP) du 15e
arrondissement de Paris, par
une personne de cette cellule.
Brice Hortefeux était alors un
proche collaborateur de
Nicolas Sarkozy, porte-parole
de la campagne présidentielle
d’Edouard Balladur en 1995.
Nucléaire
Incendie à la centrale
de Tricastin
Un incendie s’est déclaré hier
en début d’après-midi dans le
transformateur principal du
réacteur numéro un de la
centrale nucléaire du Tricastin
(Drôme). Une importante
fumée noire s’est dégagée
« sans aucune conséquence
radiologique sur
l’environnement et la
population », a précisé EDF.
Feu de forêt
200
C’est le nombre d’hectares de
forêt de pins détruits par un
incendie qui s’est déclenché
hier vers 14 heures à Lacanau
(Gironde). Plus de
160 pompiers étaient toujours
à l’œuvre dans la soirée pour
éteindre le sinistre, aidés
d’importants moyens aériens.
Au moins deux maisons ont
été évacuées par précaution.
Alpinisme
Chutes mortelles
dans le Mont-Blanc
Les corps de deux alpinistes
suisses de 55 ans ont été
retrouvés hier matin à 3.400
mètres d’altitude, au pied de
l’aiguille du Jardin. Ils auraient
chuté de plus de 400 mètres
dans un couloir de neige.
Vendredi soir, deux alpinistes
anglais avaient trouvé la mort
dans le même massif.
Stupéfiants
Règlement de
comptes à Marseille
Un homme a été abattu et un
autre blessé hier dans une
fusillade dans le centre de
Marseille. Les deux victimes se
trouvaient à l’arrêt dans un
véhicule immatriculé en
Espagne et ont été visés
depuis une autre voiture qui
s’était portée à leur hauteur.
La personne tuée était connue
de la police pour des faits
d’association de malfaiteurs.