MAG A Z N E LE MÉTIER DE VIVRE Une journée avec Alexandre Jollien RENTRÉE LlTIÉRAIRE Des romans, pour quoi faire? THINKTANK Le retour du freudo-marxisme , LE DECLI , DE L'EMPIRE EUROPEEN De la chute de Rome à la crise grecque, la fatigue d'une civilisation Avec Hubert Védrine, Étienne Balibar, Denys Arcand, Lucien Jerphagnon ... CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX • .:J• «Une manière faussement paresseuse, et vraiment joyeuse, de faire de la philosophie » Avec Michel Senes, Clément Rosse t, Philippe Descola, Elisabeth de Fontenay, Pascal Bruckner ... Édito , , L'ETERNITE EST UNE GARE DE TRIAGE Un jour, ils feront l'inventaire. Comme d'habitude, ce seront des savants têtus qui se coltineront la tâche. Ils confronteront leurs impressions de lecture, dans les universi1és de Shanghai, de Beijing ou de Guanglhou. Us se dcmanderom: que devons-nous retenir de la culture européenne? Quels philosophes et écrivains méritent d'être enseignés? Qui traduire er commenter? Comme les . Humanités classiques . de nosjours, les . Humarutés européennes ,. seront une filière réser- ALEXANDRE LACROIX DIRECTEUR OE LA RtOACTlON vée à la crème des étudiants liuéraires d'Asie. Les Romains, après la conquête de la Méditerranée e1 la chute d'Athènes en - 86, on fait leur marché dans l'héritage de la philosophie grecque, recréant à leur guise des écoles de pensée épicurierme, Siolciennc ou platonicienne. De même, après la chure de l'empire européen, nos successeurs d'Extrême-<>ricm procéderont à un tri documenté mais partial, ne retenant qu'une panie des œuvres du Vieux Continent. Pour œnains, la postérité de l'autre CÔlé de la grande plaine -C'( 5, 1<1 a.U( ç ~ FAIT M AL ? eurasiatique semble d'ores el déjà acquise: )(,1.nt a été trnduil au Japon puis en Olinc dès la fin du XIX" siècle, el S'CSt vu qualifié d'emblée dans les manuels de .. plus grand plrilosol'he modcme ", son système étant perçu comme .. ql/asi bouddhiqut .., probablement en ct' qu'il insiste sur la clôlUre du moi, sur les limites de la connaiss.mœ humaine, Plus étrangement,juste après, anive un auteur assez peu lu aujourd'hui chez nous: John Dewey, pragmatiste américain qui a donné, pen. dant un séjour de 1919 à 1921, une série de confé· rences en Chine ayant marqué les imellectuels de l'Empire du milieu, le pragmatisme, pan:e qu'il se méfie des grandes idées universelles et leur préfère l'utilité pratique, n'est d'ailleurs pas sans rappon avec le confucianisme, qui fait dépendre l'altitude du sage des rites ct des COntextes soci.1UX, Inversement, toutes les philosophies du sujet risquent d'en prendre un coup - car le concept de sujet ou d'individu n'a pas d'équivalent dans la langue chinoise el fait figure d'énigme tordue pour nos lecteurs asiatiques: dans un même p.1nier, ce sont S<1int Augustin, Montaigne, Dcscanes, Kierkegamtl ou encore J'existentialisme de Sanre qui seront jetés hors de la IIOYka de l'Histoire, relégués aux franges ultimes du savoir, aux annexes des bibliothèques officielles aménagées dans des hangars poussiéreux à la périphérie des villes. Il faudra compter aussi avec la prime du voyageur: si Viclor Segalen et Paul Claudel sont pour nous de seconde imponance, il n'cst pas impossible que leurs récitS de \'O}'agcs vers la Mandchourie CI le Japon leur valent une seconde naissanœ à l'autre 00u1 du monde, Mais la confrontation désespérée de Dostoïevski avec la métaphysique chrétienne, les gloses sentimenrales de Proust ou encore les fresques de Thomas Mann pourraient bien être JUgées dq>assées. Quoi, j'elllcrre l'Europe un peu vile? Nous n'avons pas encore perdu la face -la Chine n'cst pas encore la première puissance mondiale? Cenes. Cependant, nous auues Occidentaux avons tendance à nous faire une idée fausse de la postérité - nous l'imaginons sur le modèle du paradis chrétien. y entrent les œuvres bonncs, en sont rejetées lcs mauvaises. Hélas, nul sailli Pierre ne préside aux destinées du globe: 1'1 hsroire est écrite par les vainqueurs, ct les œuvres qui restent sont cel!es qui plaisent aux vainqueurs. Les autres? Ils rejoindront l'océan de l'oubli et goûteront le sel de la disp.1rition • " Contributions Denys Arcand v,t, QI, Vécl Érienne Balibar üèo!r<.e ,...."""""'" p...,Li>S~ bal>ares. en ZOO3.Ce<.deu:r 1\IfI'\ fllfllPOfli'fll un \.IJ(((", U,'f!'I(lltOM1 en drl?S5Ol1! IlfJlO9f' CI !,Ill! \.OCIl'té Qméri(a.oe ou comble OP j'CJboo(k1r',ce, ou tIlOmpllE'f11 kl ~t'ul€"e Il><; pIQlSr"~ ~)t~{'t ~~ UbrO';S<' IJ('ICOll~101 cItJ ~Irl cie l'emplie l'UIopkon PIJ9l! S6 F 0.111 PEI .1'111 p'o.p' r po- tl()~ X NoPtt'fTPl'tll I1Jo<vet:s<Je ck> 1rwoe!C CWfOffllE') ~ 1.">1 IlOW"''l'll'!'t footl'(.lf dl> L EtlIopl!. 1Am/!fQ.Jt' la (ju(>rre phi PO!1~ (lo DêcoIN{"tel et 00 ViOIMCp eto;.,/I!"(GoI,.œ) Il pvbIoeE'fl OO\Iembre EurrJP(' rose Nlllll (lf.>6oI'doorEoo) utll()ioglIi! [lIie( Hubert Vér)n' poge AZ Antonia $. Byan tU" ., b"'lnII ve J i1I Marc Guillaume Hubert Védrine 1I~ et ~, PoIyte. .. Bodeo! PN:.. lQ<jQ PO\. • do:: <,p(l COI ~ le< , 1 Jt 1 de FfUflÇO<' PrIDellIor>(FUnrrulorI\ VlE'!11 de p..tMer en h 0J1Ç(IS Mlt!!.>fTondll\loot el étre ""(Wf'QMe!roIOrtr~ 1 "Om'.reoiJsoWIFlomVJIoo), !moila> deS M~ trtcmo\.lOllOles (lu roman en iT\(II MI'Oef. elle 00I0g~ CI\I@C MtOllle CompogtlO!1et lowP'1t MOU\Iglief IlUtOUl do.> le 'IT" t """""' 0" Fondateur de le r Oes.cortes (( Il {>011OI1 ment> \Ille r~flexJon sur la Il 1">1 CJI.IIOU'clho.JI cCJOSellef en philosophie (\(> 1fi;[l!1omoe 0 Dom I.e'; t>S<,QI\ Foce â Ihyperpu,",wnœ pan'I de leflCOflt'~ ovec R~ , ~ Oebroy, JocqlJ<'S OerrlÔO ou INn Boudr Iold. OVe\: qUI Il 0 cos'çrlt\ h}u,e~ rterall(>"ltl ,TfIlP<lqit>gét'poIl~QUe (Foyo'd), [onlllll.lef rt/tJ/OIrf' (foyord), Il d(>oooçe !'.nqénuM qveshOfl, • U.. '0ffi0/'I. ~ [uropéem.locl! ou rl'IOO(je l6lgeoœlm>;llA' >_page 88 JlulhpokJlre 1 ~ ""et:: ~1~1" BollboqKM)e4Z rÜESCOUE'\ PI CfO-' 1(94) Il évoqUê le loyoon meol de ce dernlf!! lJD9I! 16 Lucien Jerphagnon Andreï Kourkov Ludovic Leonelli Sylvère Lotringer Alain Cornu ~pt'Coall\t e de la pen~ ,~" . lI"o,nlPfl, ri ~t Ce! llf1ClI'n !!IiIv!' de )eon 80l)(!" ll ard, d,plÔmé en droll en hl~to"e et en >oc,oJog , ~ e\! cofomlote_ 1I du mllijOlIIll' Apres des ~! \JdE ' 0 la Sorbonne el 0 I~(o l l> !)raI que des hau!e~ l!tUdl'S, Il m'gre lt "Ir ... York oU li lond(o la revue Clio fllOlSOO d édltlOO 5&molC l lo! et dev.en! II' Pù'M\!I de Jo French 7hrory If OUC()JIT, OPIeu,l(' Boum- Nord Ilh : PrO!!'li\fLJI' de jl\'i'rol lJle ;;nportIt> el de p~ 0 Co<, '.J(J ~ a l)IJbW des e5~ '1 ~ lu: !'~ o!"'e ft jlf~!OC,' le cohIer cenll"lll Né en lq{,(uI ~!OO jQ ~!Ogmpl)(llt l'K,'\I.'dI.'s ant'qU(', ce p!Ote>~u' ém~f,te dl' ptlllQwp~ ,e a notommeot pu~,é une HI510lle de 10 PNtSI?e O'Ht>m&e dJt>anne ri Alc(ToiII<ll'!d<er) e! lo renlallOf! au cnm/IOfllYllf' O~('f' luc ft'f"l {(;rossetl NIIOIJ!. alOI! 0 létléchu ou déclin l'UfOpl>enil pQllor de\[] Ok .-oc" 100'0fIi' poge 41 œve~u c~èbr" avl'C lf Angotiln. chror1'Qu~ SUlf&Jhlte do mood~ po~t')()vllmque.11 (J poulSUM (1(1'\<, ct.'tte veine QflnçOOtP av"( le [lerrt/f'f AfTlOUI (/111 rn"'rJo>rI/ OU son 1e11l<1!I'0tM0C}II! illlllf'l'oefIUIl (Doano Lév,) Tl'I(>TOII TodCfO~ ~IOC,Jn1l'1r : moho l'! 10 """"""'"..,." MENSUEl H1'l SEPTEMBRE lOlO Rl;dactian : la. rue Ballu 75009 Pons. E- mail ;redoction@plliloffiO!I.com InformO!ion lecl\!IJfS: 014] 80 4610 www.philornog.com Service abonnés : Philosophlt' mog, 18-l4 QUO! de kJ MO! l '~lb4 'Il" Cede>-19 Fmoce 01418041>11 00. aTlOIJcoml. Tonb d'abonnement : pra JlO/mo! IOn Fr!lf1CenWTlopl' ta 4< €T'" (TVAll'lloJ UE~\ DOM·cnM . . € R(",tedu~ nn € BeIo)iqoe:0701233304 ob<..u j(JIqu. ~-.JgatJP.org Suts..e; lb ' )8401otxJme;~.d1 O,lIuslon. Transport ~es.<;e. Con!QC\: pour les réa\wrn diflU\I!ur\: Il jlt'>t(> 1 A~e-c T.tr~(04sa151l44 - ~RItZI M{]IlIlenont. En~KjllOot, ~ cClloOOre ou mog(ll',flI' Cr/lIen K.. I,";! 1OOletif dl' ia 5NtAl/orr /1otKkl#orO'rENSBAI esl.Ol nmj',()(I(o ou pt'1IIo$ophe 0 !l'IO~ M~ putlIII! en Fronce • pr~t(!l!! 11>. que> plemter '" de Bot ~nj pD9l' 1Z Olrectt'ur de la rédoction : Ah.'. >dn l 'I(l" Rédacteur en cllt'( : Mc:Irllf1leg.... Rédacteur en chel odjojnl : MIChe P. TIN -[,"man Iot.FOOflYV~r r 'oort P\e'œ n. 'f'II1 rQfl"W",~p~ de 10 ré!loction: Phol,pPE' Nm Il, SVl'nOrtol< Nrc:okIs Tru«1!l (hefs de rubriQue : ~I!e ((>rt M/.nJl DJu Rédact\!IJ/ ; Crore: tllf<l'l><o>rl tcition: Mo.Y~ Bono, 'I.~ AnnE> !-lOlO,:! OrrecI1Of10ftJstique :~V 1I€ R~$ObIe phoIO :' , Va:< Moquene: b' (roI< t Internet : (yri 0. , Ont JlOI1Icipé 0 ce numé<o: N-û<'1llO"Id Be Au l'flBexh RrcorooBtoch oU: • !or ' IO(jI,ctONi'IlU. No<. or, F'eI NOl R.,.lMeI Er>1t1O'o'1!'t Ü!Md tgrmzl'd:, lo!Ol ~(I'QOt lOU!!'>! ~"rde!mede 10 PII~ dl' VUl'l ie<Jt'- Sétl(h!1I!fl )osse! lut Mailloide lequon, Clllr'>uon Lutz. y~~ Me llUlId AA,,~ N>t'f!1!fhol'lC'-', CIluT1e-> P/lp n. Serge f>lcOld, Frécténç Poi<>w Ollecteuf de la publication : 'olJl.çe Gel II IJ(WQtlleOOl~1o p..obk lréel 1ilust'ntlOl1 loi:' spt'<c>alr!oŒlt Ib1s IoroluremO!le I~!,;e., prOf!'!\ dons Il' dornoIne W pot'tmII et ~ ~ QI.n.1 format Uest ~t dcm k>$ ~œIaBNFetwFNAC ft a réalsé 10 CCltM?rILl't' el rOlM'l1!U du dosSier Relations presse : CUO!'ItII X1~ T~ 0142042100. 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(OQIolè enùe les p. 50 et 51) Ne peu! ~lre.....oou ~Mle1t.. comprend tgatement .... encart jeté 21f091!S « Franco 1'1_ R"' ilBtnDllr1ÔtO.l ~ _. des'rné..,. obonnés f rPflCe pavoo!1. omJ q,t.... rnc:1lII jeté 61f091!S ~ Beou.·Alt~ _. des'oné CM; ubonnés Flonce • nplernbre 2010 numé<042 philosophie II1090zlne Sommaire Septl'rnhrl' 2010 36 Dossier , LE DECLIN DE L'EMPIRE EUROPÉEN 38 Fout-II croire en la décadence? 4Z Dialogue entre Hubert Védrine et Étienne Bclibcr 47 L'Allemagne qUitte le navire 50 fi remèdes pour s'en sortir 56 ExtenSion du domOine de 10 lutte, avec Denys Arcond JEAN BAUDRILLARD 66 la séduction contre la marchandise / 68 L'homme objet / 72 La réalité est ailleurs 16 """"" .- APt.ROS FA(EBQOK , 1 76 Déher 10 modernité Cahier central ExtrOiIS des [001 Memofles L'époqu e Les philosophes 6 Courrier 60 Entretien MARC RICHIR « Lt nulle port me honte» 8 Télescopage 10 Moti~re à penser 12 Revue de presse ,. (CONOHIE Quatre scénarios d'ovenlr pour rélormer les rerrolles 16 Société Les opéras Facebook, barborle ou convlvlolité? 18 Think tonk Ars Illdustnohs 010 conquête des esprits 21 l e diable dons les détails De la corruption 22 Au f1t des âges 20 ons. un bel Oge? 24 Sens el vie Le Jeu 26 ALEXANDRE JOlUEN DésormaIS. Il s:oglt d'être dan~ la légéreté » 1: 18 Phrase choc Ivan illich 79 l 'exemple Kant et le grand seigneur l es livres 80 Au bistrot Pierre Cossou- Noguès 82 MaUrice Merleau-Ponty 84 La désobéissance en démocratie 86 Actualités et meilleures ventes Les arts BB UTIÉRATURE Le romon. un genre fatigué? 92 Agenda 94 BD Jul 32 01ALOGUE 9S Tests et jeux Andre! Kourkov face à Tzveton Todorov Le commUMme en folle 98 Questiannaire de Sacra te Camille N" 43 PARAÎTRA LE JEUDI 23 SEPTEMBRE Retrouvez- nous sur Internet www.philomog.com " Courrier des lecteurs Vous êtes hanté par une interrogation métaphysique, un dilemme moral. un doute personnel 7 N'hésitez pas à soumettre votre question à Charles Pépin en écrivant à [email protected] La question de Julia Langlois La réponse de Charles Pépin, philosophe Pro fesseur au lycée d '~ l ot de 10 Légion d'honneur, enseignant à l'Institut d'études politiques de Poris. il est notomment l'auteur des Philosophes sur le divan (Flammarion. 2008). 6 , , Pourquoi les philosophes sont-ils si souvent incapables de vivre conformément à leurs théories? " ommen! vous répondre? Première option: I~ philosophe ouué. Quoi? Le sage Epicure n'a-t-il pas adopté ( un mode de vic parfaitement conforme à sa doctrine? Spinoza n'a-t-il pas manifesté par son existence même que le plus grand bonheur se trouvait, comme Hie démontre à la fin de !'Éll1iqtle, dans la connaissance du vrai? Ilcgel n'a-I-il pas, dans son activité effective, objectivé sa valeur subjective exactement comme il nous invite - ainsi que Dieu d'ailleurs! - à le faire dans son œuvre? Mais suis-je vraiment si outré? Non. Vous avez raison. Rousseau, sublime théoricien de l'éducation, a confié ses enfants à l'Assistance publique. Kant, magnifique penseur du rappon moral à autrui, dont la maison était mitoyenne d'une prison, a obtenu du maire de Konigsbcrg que les prisonniers chantent fenêtres fermées, même en plein été, parce que leurs chants le dérangeaient dans son travail. Nietzsche, dont l'œuvre est le remède parfait au ressentiment, ne parvenait pas à s'en défaire. Mais c'est lui jus· tement qui peut nous éclairer: .. Plus d'un qui ne peur se libérer de ses propres chaines a su néanmoins en libérer son ami .. , écrit·il en connaissance de cause. Les philosophes nous parlent si bien de ce qu'ils connaissent, de ce qui les habite, de ce qui les toumlente, de ce à quoi ils se confrontent. Pas nécessairement parce qu'ils Ont réglé le problème, mais parce qu'ils essaiem de le régler- parce qu'il est leur problème. Peut-être pourrait-on trouver là une belle définition d'un problème philosophique. Et si un problème philosophique, c'était toujours d'abord le problème d'un homme? Il septembre ZOl O 1 numéro.l 1 philoSophie mogozlM ne faudrait pas alors leur en vouloir de cet écart emre leurs vies et leurs théories, mais plUlôtleuren être infiniment reconnaiss.1nt . Nietzsche fut toute sa vie aux prises avec le ressen timem, en quête d'un impossible apai. sement, malade inguérissable, mais nous invitant sans cesse à la Grande Santé. Il ne nous parle si bien de la Grande Santé que parce qu'elle se refuse à lui. Il sait très bien de quoi il parle: de cel objet qui lui échappe sans cesse. C'est sa souffrance qui nous fait tant de bien, sa servitude qui nous libère, alors pourquoi lui jeter la pierre? Certains philosophes sont comme ces amis capables de vous conseiller avec soin, mais inc.1pables de diriger leur propre vic. Comme ces psychanalystes névrosés, mais capables de guérir leurs patients de leurs névroses. Comme ces prêtfCs tellement tentés par le Mal qu'ils prêchent le Bien comme jamais. Comme nous tous qui vivons CI souffrons el faisons au mieux. On ne parle bicn que de ce qui nous hante et qui, peUl-être, une fois réglé, cesse de nous hanter. Les philosophes SOnt si souvent incapables de vivre conformément à leurs théories parce qu'ils ne SOnt pas des sages. Le sage est au bout du chemin , il parle de ce qu'il a compris, de son expérience de la résolution des problèmes. Le sage est sans désir, il l'a éteint en même temps que la souffrance. Le philosophe est encore sur la route, le désir au ventre, le dos plialll sous le poids du problème. La route est longue et il arrive souvent qu'il ne trouve pas la solution, mais que sa rechert:he lui inspire quand même des livres qui nous sauvent, des phrases qui nous aident. Qui nous aident à chercher avec lui et sans lui, parfois même fa trouver ce qu'il n'a pas lrouvé . philo~op!;.e ft" Les réactions Vous souhai tez réagir à un article 7 Écrivez-nous à [email protected] QU-UT·(( QU ETRE BEAU? '..'-""'=---'::'='i... _ . _FouaUtf_ .... ~-==----- , À PROPOS OU N° 41 Anolyse p. 16. Le diable dans les détails p. 19. « L'iPad au la tentatian du superflux » « Chère Zahia ... » Avec l'iPad , nous arrivons à cc que Joël de Rosnay appelait l'unimédia, l'objet processant tous les tlux numériques, aboutissement de la convergence numérique en actes depuis les années 1980. La question de ['écran qui devient ÉCRAN de tou t et de partout, objet fétichisé il merveille par le charismatique Steve Jobs, pose effectivement la question de la " D'accord, un juge peut se tromper, ZA HIA... il peut aussi mal faire son travail. En revanche, la promotion dans la magistrature passe rarement par la médiatisation; cela nuirait plutôt. Les carriè.res extrajudiciaires des magistrats ne cassent pas des briques, à de rares exceptions près, comme Eva Joly. Quant à. M. Bruguière, il n'a pas réussi à se faire élire parlementaire, tand is que M. Halphen écrit des livres aux tirages faibles .. » JEAN-LOUIS. mternaute « non-interruption des territoires numériques devenant tour il tour territoires d'infonnil tion, de loisirs, de communication, de travail, d'apprentissage .. Nous ne savons pas ce que les usages de l'iPad vont donner, mais nous savons que la non-séparation des espaces-temps de pensée ct d'actions différentes est un argument marketing: pouvoir tout faire panout où vous êtes! l:iPad poursuit la volonté du président d'Apple de créer l'objet UN du nouvel âge d'OR du superflux en continu. Personnellement, après une plongée carrément addictive dans l'iPhone, j'ai décidé de revenir à une phîlosophie de la séparation. J'utiliserai l'iPhone pour ses applications de gêolocalis..1tion et auITeS utilités quand je sors, et un mobile qui ne fait que téléphone pour ... téléphoner! » ADRIEN FER RO, Internou te, responsable du développement du master« Ingénierie de la e.lormatJOn »à Rennes· 1 {HtR[ J À PROPOS OU N° 40 Dossier p. S4. « S'aublier paur être beau )} I :J pas guidée par la beauté, mais eUe l'est par 3/ S'OUBIJEH POUR IrIR~ BEAU L « J'ai grandement apprécié ["article de Philippe Nassif qui conv<XJ.ue la pensée chinoise. Mais, en se focalisant sm la thématique de la beauté, il me semble négliger un aspect essentiel: l'action n'est l'efficacité. Pour le dire en tennes taoïstes, J'action trouve paradoxalement sa loi dans le wuwei, le « non·agir contre» (qui n'est pas pour autant une fonne de passivité). Traduction: ["efficacité qui motive l'action se trouve dans l'observation des lois de la nature, en suivant la voie (dao) de ceUe·ci. l:individu cesse alors de prendre conscience de soi comme individu paniculier, mais il se comprend (:omme un élément d'un ensemble - l'Univers. Ainsi, la beauté survient de l'oubli, mais c'est bien l'efficacité qui est avant tout engagée: un chevreuil franchissant d'un bond un fossé n'est pas guidé par la beauté de son geste, et pounant quel spectacle gracieux! C'est qu'une action efficace implique l'hamlOnie enrre l'individu et l'Univers, et cette hannonie laisse place à la beauté. Le problème SUI1'Ît quand l'homme cherche à y subslituer ce que sa conscience définit comme hannonie. Quelque chose est "beau" non parce qu'on lui applique cette qualification de l'extérieur, comme s'il était transcendé par un ordre supérieur, mais quand il comprend que cet ordre est immanent, et donc que la conscience de soi est inséparable de la conscience de J'Univers. » XAVIER PIETROBON " L'époque 8 septtmbre ZQ10 1 numh 0 42 1 philosophie mogClllne Télescopage « Il n'y a point de bête au monde tant à craindre à l'homme, que l'homme. » MONTAIGNE, LES ESSAIS Rothbur .Ro aume-Uni 7 JUILLET 1 LES TIREURS D'ÉLITE DE LA POLICE BRITANNIQUE TRAQUENT RAOUL MOAT. QUI A ASSASSINÉ LE COMPAGNON DE SON EX-PETITE AMIE, • • L'époque Matière à penser Platon, ce matheux Jay Kennedy enseigne, à l'université de Manchester, la République de Platon, ainsi que les maths et la musique dans la Grèce ancienne. À la jonction de ces deux disciplines, une élOnnante découverte: celle d'une division pythagoricienne dans les écrits du philosophe. Les dialogues, en nombre de lignes, seraient presque tous des mulliples de 12 et comporteraient des correspondances harmonieuses ou dissonantes selon la nature des conceptS développés par Platon. Le rhume du bonheur Des chercheurs en psychologie évolutionniste (Harvard) ont observé que certaines émotions se propagent de la même manière qu e les virus des maladies respiratoires. Choque co ntact « heureux» augmenterait de 2 % par on la probabilité d'être plus heureux, et choque contoct « malheureux », de 4 % cel le d'être plus malheureux ... « Stoïc Gun » le général James Mattis, nouveau patron du (entcom (Irak et Afghaniston), est un fervent lecteur de Morc Aurèle. dont un exemplaire des Méditations ne le quitterait jamais. $0 règle s'organise autour d'une formule : « Soyez poli, professionnel, mois ayez toujours un plan pour tuer la personne que vous rencontrez, » Morc Aurèle revisit é, 41 % C'est le pourcentage d'Américains persuadés du retour de Jésus avant 2050, contre 46 % qui n'y croient pas. Cette ligne de partage suit celle de la Bible Belt [quart sud-est des Etats-Unis}, en particulier dans les États du Sud et chez les évangélistes. Ethiquement carrect Karl Walling, enseignant à l'émie de guerre navale amé ricaine, a été mis en disponibilité pour" apologie du viol,., après avoir cité Machiavel. Il avait refonnulé, dans des rcnnes explicites, la citarion suivante: .. Lafortulle est tme femme, de qui ne /'on saurait l'enir à bout qu'en la Ixzrtalll el en la tounnelllant [. .. } elle esl toujours amie des jeulles gells, parce qu'ils salll moins circollSpects, plus l'iolellls et plus hardis. JO WalHng, qui intervenait dans le cadre d'un séminaire sur l'éthique et les stratégies de contre-insurrection, est accusé d'avoir employé un langage dégradant vis·à·vis des femmes. Eve a-t-elle offert un Apple à Adam? Selon le londateur de Lovehoney. site de gadgets érotiques. les adeptes de I1pod sont sexuellement plus Inventifs que ceux des PC sous Windows. Statistiques de Google Anolytlcs à l'appUI, Il Indique que les premiers dépensent deux fOIS plus en sex loysque les seconds. Umberto Eco avait remorqué. il y a qUinze ons. que le Mac. en raison de son usage conVIVial. étOit plutôt catholique. alors que l'herméneutique Imposée par le Dos Indiquait un univers protestant. voire calViniste. Peut -on croiser ces hypothèses' PAGE R~AUS~E PAR SVEN ORTOLI 10 septembre ZOIO numéro 4Z philosophie IItCIlloline ONF , , . ._-_. " SlGot IlSI01 LA CONTRE -HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE L6a", .".,; FRi::MEAÛX&"'ÀSSOCII~:S L'époque Revue de presse Porno darwinien « Dons une excellente étude sur les fantasmes (1995). deux psychologues de l'université du Vermont ont conclu. entre outres. que, contrOirement à ce que dit la croyance populOire (et Ireudiennel, les fantasmes sexuels ne résultent pos simplement de désirs InsotlsfOits ou de privations érotiq ues. l.o.] Ceux qUi ont la vie sexuelle la plus active sont aussi ceux qUi ont le plus de fantasmes. [...J Or nous vivons dans un monde où les fantasmes sexuels. sous leurs formes claSSiquement mentales, sont devenus obsolètes; où les images hallUcinatoires d'organes génitaux tressautant. de robustes lesbiennes et d'étrangers sadomasochistes ont été remplacées parune véritable palette onlmede gens réels laisont des trucs que nos grands-parents n'ouraient Jamais imaginés même dans leurs rêves les plus humides: où des odos excités ne ferment plus les yeux pour se plonger dons l'oubli et le plaisir, mOIS ouvrent leurs ordmateurs à un millier de dollars pour fOIre apparaître une véritable oernce porno. QueUes sont, ou sens le plus large du terme, les consé quences pour 10 sexual ité de notre espèce de cette liquidation de notre habileté mentale à nous faire des représentations? La prochaine génératIOn sera- t -elle si paresseuse dons ses fantasmes que sa créativité dons d'outres domames sera allectée? Les manages seront-ils plus enclins à se bnser. en raison de ce manque d'expérience en termes de représentation et d'un manque égal d'entraînement à la fantasmatique mosturbatOlre pOUf imaginer mans et lemmes. durant la copu lation, comme la personne ou la chose qu'ils déSirent réellement? Je ne dis pas que le porno n'est pos un progrès. mois Je pense que. sur le long terme. il peut se transformer en un véritable acteur du changement du Jeu de révolution. » JESSE BERING. directeur de l'Institut Cognition and Culture (Belfast), Scientific Americon Mimi. 22 juin. Thanatophile ... « La langue régionale exclut l'étranger, qui est pounanl sa parentèle républicaine, Elle fonctionne en cheval de Troie de la xénophobie, autrement di t, puisqu'il faut préciser les choses, de la haine de l'étranger, de celui qui n'est pas "né natif" comme on dit. Comme une espèce animale, une langue obéit à des besoins relatifs à une configuration temporelle et géograp hique ; quand ces besoins dispa raissent, la langue meun . Vouloir faire vivre une langue morte sans le biotope linguistique qui la j ustifie est une entre prise thanalOphilique . .. MICHEL QNFRAY, philosophe, Le H onde, 10 juillet . , ---lIl -=--1.GU- ...- -.. - --- . --._----------.. ------_--~._-._--- - ----~ l;:~~~--.- -------= - m- - ~= -s:.:. 1 1:1"':-- -B"'-=- GOMORRA t( Parfois je me rends compte que règne autour de moi une atmos phère bizarre, une sarte de deuil par antic ipation. Je vois dans les yeux d'autrui une émotion prématurée, comme si mes propos ava ient bien une certaine voleur, mois moindre que celle qu"ils auront de main, quand j'aurai - enfin - été assassiné, li ROBERTO SAVIANO. écrivain, Lo Règ le du jeu, 1· juillet. BURQA ? ET LE RESTE ? « Supposons qu'il y a it un lien statistique évident entre le port de la burqa et la violence laite aux femmes . le gouve rnement serait -il fondé à l'Inte rdire ? la Cour suprême américa ine a considéré que la danse nue de vait ê tre proscrite ou motif de son lien a vec le crime en généraL Mois une telle a ssertion n'a rien d'évident, L'interdiction totale des clubs où le s hommes von t boire (ou de tout ou tre lieu. por exemple, les matchs de footboll où les hommes vo nt se soûle r) serait sans aucun doute une étrange restriction de la liberté d'a ssocia tion. Quiconque ve ut interdire la burqa devrait considérer les outres cos, pe ser les a rgume nt s et en tirer les conséquences pour ses hobbies préférés, li MARTHA NUSSBAUM . philosophe, The New York Times, 11 ju illet. ... toi-même " Je note sunout que l'argument Id'Qnfrayl souscrit au paradigme biologique et écologique dominant , ce qui montre encore la faibl esse et le peu de rigueur de cette pensée à prétention critique . [ ... ] JI faut cesser de considére r les langues comme des entités vivantes indépendantes des groupes et des individus qui les parlent, arrête r de confond re leur genèse, leur évolution et leur disparition avec celles des êtres animés . .. JEAN-PIERRE CAVAllLt maître de conférences à l'Ehess, Le H onde, 14 juillet. PAGE RÉALlS~E PAR SVEN ORTOl! 12 septemb~ 2010 ooméfo.Z 1 philosophie IfI09CIline Des dossiers d'actualité, littéraires et scientifiques écrits par des journalistes du Monde et choisis par des enseignants dans le prolongement des programmes scolaires. .-.-.-<- g; - .-~ -- :..- =~ ----- BILAN ECONO 111 E 2010 La situation économique du monde, "atlas de 179 pays et le CD-Rom avec les comptes de l'économie française par l 'INSEE. (88 pages· Format 230 x 300 mm • Valeur : 9,95 €) OUI, je m'abonne à Dossiers&Documents pour une durée de 1 AN (lI n dont 1 numéro double) au tarif d~ 29 € je recevra i en cadeau A renvoyer avec votre règlement â : Le Monde Oossiers& Oocuments Service abonnements 81200·60132 Sainte-Genevieve Cedex le Bilan Economie 2010 édité par Le Monde. Abonnement également sur www.lemonde.fr/dosdoc Me (oordom Je joins mon règlem 'nJ par o Chèque bancaire à l'ordre de la Société éditrice du Monde o Carte bancaire 02DOPH"" Prénom Nom . Ad"", N"I ~~~======~ Expire fin 1 CP LI--'.--'--"--"LJ Ville ..... . Notru les IrOlS derniers chiffres Tél du numéro mscfl/ au dos de l'O/re carte, près de la Sisnature 1 1 1 1 Dale et signature obligiltOlre5 E-ma,1 orr.e réienoée JWI ~ iIbonntmenb et f~ en FrMU ~ jusqu'au 3111212010. \bJs vous atxmez aU); biles ru /oIaJœ. 'IDS IOn. prerun elldreW: sorrt tornrT1UIIiQu/l i ",ternes et ~ cas échéaN, • QueIq\.Ol'S socoet0!5 par1en1Hts. sauf av.s rootrllre de 'IWe part. 51 'IOUS 1'105 S/!rVICeS ne souhaItez pas recewir de pIOpOSItoOllS de ces SOCIetés. mercI de cocher la case ci contre 0 , L'époque Economie FLAMBEAUX PO Le projet de réforme est tombé : 52 ans, ce devrait être l'âge pour profiter de sa vieillesse. D'autres solutions, originales, existent pourtant sans être Jamais discutées. De la taxe des retraités aux fonds de pension, en passant par le parcours individuel ou le ({ droit ou répit », revue de détoil." AIl KlCOI.A' CORI es Français devraient bientôt partir plus L lard à la re trai te. En juin dernier, Nicolas Sarkozy a relevé à 62 ans l'âge auquel on peut mettre fin à sa vie professionnelle, affi rmant qu'il s'agissait d'un " projel juste el équilibré H. l.a plupart des syndicats estiment, au contnlirc, cette réforme injuste, car elle désavantage les ouvriers ellcs moins qualifiés, qui ont commencé à travailler tÔt, au profit des cadres, qui, du fait d'une entrée plus tard ive dans la vie active, arrêtent déjà de travailler après 623115. Pourœnains économistes, la ré(onne a pour défaut d'être peu ambitieuse, car elle se contente de lOucher à la marge le système actuel. Beaucoup d'entre eux craignent que le déficÎt actuel des régi mes de retraÎte ne soit pas résolu. JI existe pourtant des alternatives originales, qui relèvent de principes de justice sociale tout aussi légitimes. Mais elles n'Ollt pas fait l'objet de débats de la part du gouvernement. Avant son adoption, le texte de loi va ê tre examiné par le Parlement. Il n'est donc pas trop [an! pour examiner certaines de ces pro positions. 1/ FOire payer les retraités Pour sauver les retraites, faisons payer les retraités! Lidée semble a priori paradoxale. Elle a été émise par Terra nova, le think tank proche du pani socialiste. l:institut propose de diminuer les pensions des re traités aisés, en augmentant les différentes contrib utions sociales dont ils sont aujourd'hui exonérés. Pour Olivier Ferrand, son directeur, il s'agit de prendre acte du "rCnI'erSCmenl his/Orique .. qui s'est opéré depuis que la retraite a é té créée ... Aujourd'hui, explique-t-il. Les retraités ont un niveau de vÎe supérieur à celui des actifs . .. Une situation qui se retrouve dans l'inversion des flux familiaux ... Hier, les actifs aidaÎent leurs parenlS dans leurs vieux jours, poursuit Olivier Ferrand. Actllellemelll, les retraités aident leurs enfants et leurs petits-enfants à s'installer clans la vie. " Le principe de solidarité entre générations n'est donc pas abandonné. Il s'adapte aux configurations historiques. Ainsi, les jeunes re traités pourraient ê tre mis à contribution pour financer les personnes âgées dépendantes, de plus e n plus no mbreuses avec l'apparition du quat rième âge. 2/ IndiVidualiser les calculs PlutÔt que de dresser un couperet pour tOuS à 62 ans, pourquoi ne pas laisser les individus choisir quand ils veulent s'arrêter de rravailler? C'est une des propositions faite par Thomas Piketty et Antoine Bozio. Ces deux économ istes proches du PS s'inspirent de la réform e faite en Suède en 2001 , qui a créé des comptes individuels pou r chaque salarié. Dans ce pays, chacun peut choisir de partir à la retraite quand il le veu t à panir de 6 1 ans. Le montan t de la pension est alors calculé en fonction des cotisations versées et du nombre d'années que le salarié peut espérer passer en retraite, à panir de son espérance de vie. Avantage évident de ce système, sa liberté. Mais son cÔté inégalitaire peut choquer. En effet, à revenu égal, un ouvrier touchera une pension plus importante qu'une cadre (puisque les hommes et les ouvriers meurent statistiquement plus tÔt que les femmes e t les cadres). Mais il s'agit d'un mécanisme de discrimination positive. Son objectif est justement de corriger les inégalités réelles, nota mment celles relatives à la mort. 3/ Mettre de l'argent de côté La retraite par capitalisation, avec la créa- tion de fonds de pension, est un projet trad itionnel des libéraux. Pourtant, par un étonnant renversement de situation, révélateur de la crise financière de 2008, le gouvernement issu de celte mouvance idéologique ne l·a même pas évoquée. 1....1 capitalisation repose sur deux principes: le salarié cotise pour sa propre pension, et ses cotisations forment un stock de capital qui est placé. Bien loin des prédictions apocalyptiques, ce système a plutôt bien traversé la crise à rétranger. C'est le cas au Ch ili , souvent cité comme exemple par les libéraux. Atout de la capitalisation: comme la population active ne paie pas pour la population à la retraite, il RLA RETRAITE n'y il pas de conflit im ergénérationnel possible dans le cas d'un pays vieillissant, comme cela se passe pour le régime par répartition. Les déséquilibres démographiques nc peuvent pas produire de faillite du système. Autre avantage, son efficacité économique. Le capital cumulé sert à créer des fonds de pension qui «investissent dans les entreprises du pays ou dans les emprunts d'État "', Dotées d'un capital national, les entreprises sont plus susceptibles de créer des emplois dans leur propre pays. Quant aux ÉtatS, ils som à J'abri des pressions des marchés financiers. 4/ La retraite tout ou long de 50 vie Historiquement, la retraite a été pensé~ comme un court moment de repos qUI intervient juste avant la mort, alors qu'on est devenu inapte au travail. Mais, avec l'allongement de la vie, les retraites sont souvent en pleine forme, ct cette période est devenue un temps où l'on désire s'épanouir. À partir de la soixantaine, on entre dans un nouvel âge, celui où l'on est libéré de la pression et des contrai ntes du travail, mais où on ne veur pas forcément arrêter toute activité. On veut simplement être plus libre, et donner du sens à ses actes. Il cst possible d'imaginer d'autres modèles, qui pcmlettraient de prendre en compte le besoin de travailler plus tout au long de sa vie. Telle est t'idée, avancée par le philosophe Pierre-Henri Tavoîllot, spécialiste des" âges de la vie" (1ire chronique page 22), de la possibilité de prendre une sorte de retraite temporaire à n'impon.e quel moment de sa vie. Il propose que chaque salarié puisse bénéficier d'un" droil au répit" d·une ou deux années dans sa carrière professionnelle, en conaepartie d'un allongement de la durée totale du travail." Le désir de souffler un peu, de prendre du recul, de sortir de la frénésie quotidienne est ce qui réunit la majorité des salariés", justifie Pierre-Henri Thvoillot. Là encore, c'est la Suède qui fait office d'exemple_ Il y est possible de prendre une année sabbatique rémunérée sans donner aucune justification médicale ou professionnelle _ " L'époque Société BRISONS Organisés par les membres du réseau social Facebaak, les opéras géants sont une source d'inquiétude pour les autorités. Expriment-Ils une soif d'échange réel par -delà la communication virtuelle 7 P MITlIIIJ)E IEQl" l n'y a pas si longtemps, on reprochait à Internet de détruire petit à petit tous les liens sociaux. Souvenez· vous de ces propos alarmistes, dépeigmmt des indi· vidus rivés à leurs écrans d 'ordinateurs, reclus dans un monde virtuel el fuyant tout contact avec l'autre ... I Avec les apéros Facebook, ces gigamcsclues rassemblements qui Ont essaimé de ville en ville au printemps dernier, la gé nénlli on Internet montrait à ces ca ssn ndrc s des années 2000 que les réseaux numériques pouvaient aussi servir à concrétiser des liens virtuels. Mais, pour beaucoup, cene rencontre physique, associée à la consommation d'al· cool. n'a rien d'une sociabilité authemique. Alain Finkielkraui parle même d'une .. biture pride _, L.1 rencontre entre monde vinuel et monde réel, sous la forme de cene alliance inanendue entre cybennodemité ettrndition bien française , laisse perplexe. Faut-il y voir la manifestation d'une sociabilité alcoolisée aussi factice que sa source virlUelle ou l'expression d'une soif d'écha nge réel promettant bien plus qu'une cuite collective? Du vinuel au réel, rien ne semble à première vue vraiment chnnger. En réunissant le plus de participanlS poSSibles pour battre le record établi par les au tres villes, ces apéros ne font que redoubler la course aux" am is ", ca ractéristique du réseau social créé par Mark Zuckerberg, remarque Monique Dagnaud, de l'École des hautes études en sciences sociales (Ehess), On peut, dès lors, s'attendre li ce que les liens créés avec les inconnus qu'on y rencontre soient aussi superficiels et artificiels que la plupart des échanges virtuels avec les " amis» Facebook. Ils n'a boutissent qu'à .. ulle coopération faible, limirée au dél,re coIleefif d'UII 50"_, Pour Michel Moalti, maître de conférences en sociologie li 115 s~lembre 2D1D numbo "2 philosophie 1ftG9IJ• .,. l'université de Montpellier, .. on se greffe à UII qui nous donlle l'illusion de l'app<lnellallct. alors que /lOlre "/loul'elle relalion sociale" l'SI 1010leme/ll artificielle _. Cene rétice nce li considérer ces manifestations comme une au thentique forme de socia lisation , Stéphane Ilugon, docteur en sociologie et chercheur au Centre d'études sur l'actuel et le quotidie n, ne ln partage pas, mais l'explique par l'habitude d'opposer le virtuel, supposé inconsistant, au réel, physiquement concret et véritablement existant. Or il ya conlinUitl enlTe le virruel er le réel: le premier n'existe pas moillS que le second "'. C'est d'a illeurs l'ensemble de notre vie sociale qui est tissée de vir· lUel, dans la mesure où .. toutes nos interae/ions illcorpore/ll de la fictioll ou des éléments inwirifiab/es et abstraIts .... Pour ce spécialiste, les relations numé· riques ont effectivement transformé les liens sociaux: moins figés dans des appartenances de classe, ils SOnt assouplis par la possibilité de se construire des identités plurielles et éphémères, propices au ... partage d'une temporalité a~u raulre, sur U/I temlOlfe Imaglllaire ". C'est bien ce désir de panage qu'on retrouve, décuplé, au premier plan des apéros Facebook. Organisés en centre-ville, ouveTlS à tous, ils témoignent du besoin de re trouver un lien social pulvérisé par nos sociétés postindustrielles,« Ce n'esl p<ls Internel qw eM désocia/isallt, mais la société", insiste Stéphane Hugon, Cette déliaison des individus explique pour lu i .. l'effervescence dionysiaque, vio/ellte .. de ces grou~ Of pl '9C ~v. n" · cycle Tchekhov · IMe AnIOO Tchel<.hov m~ en scene Serge L,psl)'C '3')0 OCl1OIa - ~~~~g~~i~~ ~alllQ!un ' 4 • 21l no. 21lla ~r"'t. · te>leAAloo Tcll<'khov m1WeoSCène Des"!'aul PaUl ~ nov • Il lM 2011 • Phi-Phi entt. d Herm :hn'>l ne .,..,t Albt-rt W temom 1 rejoindre sur leurs points communs, elles lavorisent une communicotion communautoire. Or communiquer. c'est moins partoger des voleurs commu nes que cohobiter avec des individus différents de soi. les opéras Focebook permettent-ifs de créer un lien réel? 2 Absolument, Interconnectés en permanence, les gens ont besoin de se retrouver sur le plon humain, de se voir, de se toucher, de boire ensemble .. , Oe plus. le passage de la communouté virtuelle 0 la communauté réelle permet de Focebook. sortir de la communication communautaire, de se rendre compte que l'outre existe et n'a pas lorcé mentlo même couleur que soi. Pourquoi les opéras géants 3 sont-ils rejetés? l'ellet de mosse fait peur. focebook permet de toucher plus de gens plus vite. mOIs en les InVitant à se réunir. il joue le même rOle que 10 radio ou 10 presse autrel ois, les supports varient. mois pas le besoin humoin de communication physique, ~",\i d"cl~ IX rKhftcM au CNRS, donl "'remer ~r~ ' ~ lI>rorit uirOljUl'des IIOIJIII!OO.O m4dias IFIommorlotI. 19991 el "'fOffl>f!( '''esl pt1S c~ (CNRS f<Iit;oo,;, 20091. • • DielonllEnH opffiI dl! fl'l'lty Pu.-c.' lNret NahlJm Tal@ o ra;hon '"'~sI,en d Hffir m.seeoscène~ liltû ~ 5 .8 mal 10'11 !.~itdILrr Chr.-;lophe c;.a~ ' lhanny 8er1 ..aI)'ante Zertinl lelle He!mao n g< 1'1 C~ Le<; 8nl}a'lds mIS(' eo sc èr.t 16dti 201O'9)i11l\12011 rn<s.e eo Habitué 0 Ilret 0 boulet~ rouges sur ies dangers du numénQUE', Comment caractérise.'" les rtlotlons sociales numériques? En Incitant les gens 0 se " , 'fi ,)0 ~ 1201' dtcec 1100 m.r.. cale TrOIS questions ou SOCiologue Dominique Wolton * ~ propose une étonnontedélen!.C de$ ap{>r05 do le>te AAlon Tchekhov ml!oe en sdme Volod,a Se,,,, rassemblements aux allures de " grand-messe païenne,., Symbole, pour beaucoup, d'une jeunesse incapable de se projeter dans l'ave nir et de s'engager politiquement, la volonté de "s'édater " dans ces apéros géants se comprend aussi comme une recherche frénétique du contact avec l'autre _ out~ IX nomIlreu. O<MP(IeS, 'twss..a,,~ • t. JOIIrna! d' un disparu !rvrl!t et muSIque L~JaAAek d' ap"'~ dl-s poèmes 12,28 mal21l11 o Cla ire-Marie LI GUily, piilnisltl e n rhlde n" 2 coocerls 6 d", :>lita et 28 mars 2O\t • 21lh eo scè"" Omsloph.. Crapez 0 Orches tre de Paris 13 .161'1...... «ln 1. quatuors 2 OCI et 13 nov21l1C --'&Iig ul• popula.rt5 d lrecl on musica le el mi5e lnteAlbel'1 amus m,!oe eo sdnr ;'ep!' 2( OlMc 8._.on lIN') leY 2011 • Lrr volx humain. ~ ra do Fra'" IS Pwt..n.; d_ ~ ( x:1"-"J m eo r ~ V.ncenl VIUOZ 13 feY 10" ~Inge rp , te Paul Claudel mise en sctlll! Belll<lro l.éo.y 3' 19rf\(1r~2I'll ' 291'1I'W ~t2 .wnl21lI\ o Fondillion Royaumont 4 reclWS 7J .\ tI 4 de.: lP1~ I2ma~e12l1T\' 21'1,'-" e~3~rez0153051919 INNN, athenee- theatre,com '" L'époque Courant de pensée ARS INDUSTRIALIS À LA CONQUÊTE DES ESPRITS Le philosophe Bernard Stiegler propose chaque trimestre une séa nce publique, à laquelle sont conviés intellectuels, artistes ... Le thème de ce mois de Juin: « les techniques de soi ». Malgré un vocabulaire ardu, le public est conquIs, avide de savoir, de comprendre, et sous le charme du leader. OLe": "TL"'''" aris, juin 2010, un samedi après-midi pas COmme les autres. Une centaine de personnes se pressent devant le théâtre de la Colline. Hommes ct femmes de tous P âges, professionnels de l'éducation, médecins, ingé. nieurs, experts en nouvelles technologies, mais aussi artistes, étudiants, chômeurs, retraités ... Tous viennent assister à la séance proposée ici chaque trimestre par M Industrialis. A~ Induslrialis? Un mouvement de pensée fondée il y a exaCtement cinq ans, cnjuin 2005, par le philosophe Bernard Stieglcr Ct quatl'C intellectuels préoccupés par le désarroi du monde contemporain. Cette. Association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit» dénonce la soumission croissame de la vic de t'esprit !lUX impératifs économiques qui instaurent, par exemple p.1r l'intcnnédiaire de 1,1 télévision, un conrrôle des com· ponements. Dans un esprit Qualifié par œnains de freudo-marxistc, Bernard Stiegler, philosophe et fondateur de l'association Ars Industrialis, Il est nOlamment roul eur de Prendre som de la Jeunesse ef des g~nérotions (Flammarion, 2008) el de Pour une nouvelle critique de l'économie politique (Gahlée. 2009). leur critique du consumérisme se mêle à un plaidoyer pour une nouvelle puissance publique, capable d'engager des politiques dïn· vesrissemem à long terme, Il s'agit donc .. d'imaginer un nouveau rype d'agencement enrre cu/R/Il', technologie, industrie et politique .. ; après cinq ans d'existence, une stratégie applicable et qui se veut concrète. Ars Industrialis est donc un lieu de rénexion politique et philosophique qui réunit aujourd'hui plus de 600 adhérents, et dont le site enregistre chaque mois des milliers de connexions localisées dans le monde entier, Paradoxal quand on sait que la pensée de Bernard Stiegler, à la fois dense et complexe, est servie par un vocabulaire souvent ardu, voire carrément rebutant pour le commun des monels. D'aîlleurs, le site de J'association propose une section intitulée« Voc."l· bulaire », abritant les conœpts usuels du philosophe. Stiegler n'est ni On!Tay ni Conlie-Sponville, Il reste inconnu du plus grand nombre, mais il est prisé IXlr un public dom le nombre va croissant. C'est une pensée qui nécessite un travail d'appropriation des mac.! comme des concepl.S ", confimle en souriant Emmanuel, 43 ans, édu~ c."lteur spécialisé. Depuis plusieurs années, il lit l'œuvre de Stiegler ct fait l'effort de venir, depuis Nancy, assister à ces séances qui lui pcrrnenem de" recharger ses baturies .. : ft On vilunefin de cycle, sur fond de crise généralisée et les réponses de 1I0S politiques !iDllt aff/i· geantes. Ars IlIdrtsrria/is fait l'effort de débrouiller les JXlradoxes et les contradictions de lIotre époque à trawrs une approche transdisciplinaire: des philosophes, des psychiatres, des économistes, des scientifiques, des enseignants sont imités à réfléchir sur le monde, sonfollc. IÎoonement, ses possibles deveniN, Celte réflexiOll collective menée dans le bllt d'e1aborer ulle pensée commune est unique aujourd1rui. .. Réflexion collective, des mots qui reviennent sou"ent dans les propos des adhérents croisés aux abords du théàrre. Et qui ne manquent pas d'étonner tant lïnfluence de Bernard Stiegler, son lexique, ses thèmes, son style même, à la fois distancié et très proche du comem· porain, imprègnent l'esprit et la lelll'c des membres de l'association. Le site Internet d'Ars Induslrialis semble également témoigner de cette volonté de faire œuvre commune. Pour le seul mois d'octobre 2009, près de 500 personnes y ont apporté leur contribution.« Dés· humanismion du cadre de travail"," ProfessiOllnaliserle cilayen ", « Une étude critique du rappon Faurous sur le numérique »,« Prolétarismion des capitalistes du désaslre ..... autant de textes publiés par les adhérents. Ars Induslrialis, selon les mots de son fondateur, se veut '" 1111 outil de transindividuatioll JO, d'anicularion du .. je " et du « nous JO, ou comment faire la paix civile en confrontant des points de vue contradictoires sur un termin commun de débat. Tout le monde n'a pas l'ambition de participer au débat. Beaucoup viennent ici pour .. apprendre ". Picorer quelques idées pouralimenter ma propre réflexion ., dit Jean-Marie, 34 ans, professeur de physique, qui souhaite se former fi des conceptS .. peninenrs, novateurs, visionnaires JO, en phase avec ses propres interrogations. D'autres s'inscrivent dans une déman::he de recherche personnelle. Comme Cécile, 37 ans, secréraire de rédaction fomlée à la philo ct à la psychanalyse, qui voit dans la pensée de Stiegler '" une philosophie globale qui prend ell comple la technique et ses ivolUtiOIlS, ce qui esllrès rare ... Ce qui résonne ici en elle? L..1 critique des industries culturelles qui colonisem les esprits aux fins de la seule rentabilité. On est en Irail1 defaire avec les espril.S ce qu'on a/ait avec la bouffe! Si l'on veut se sortir de ceue glu, ilfaul 1111 systeme critique qui permette de /'idelllifierel qw le meue ell moIS. Cest ce que je viellS chercher ici, » Et puis il y a Dominique, 56 ans, gardienne d'immeuble à Belfon, " dans lUI quartier où l'on gague 600 €par mois ", qui suit les travaux de Bernard Stiegter et correspond avec lui depuis trois ans. Of La dibdc1e tSt partouf, que Cf soit chez nous, les travailleurs, ou dans les milieux intellectuels. Des mil/iollS de gellS, chacun doits leur coin, abreuvés de conlleries te1évisées. Tous collSOmmateuN, tous formatés. On Ile lit plus, 011 lU! .!'arrête plus pour se poser de questions, les bonnes questiollS. Moi, je ne suis pas imelligente. J'ai besoin qu'on m'aide, À Ars lndustrialis, ils décortiquent cout, ils diselll voilà où en est, pourquoi el comment cela pourrait être aWTemem, À Iravers eux,j'ai découvert la philosophie: c'est un monde fabulela, En ce momenl, je lis Aristote, qui dit qu'une cilé e.sl 1/11 lieu où vivre /teureux. 1/ me donne des ailes, Aristote! Vne renaissance, C'esl ce que j'éprouve ell lisam lU! lexte ou cn écoutant une fXmférence. » ••• f( f( QUI SONT LES ADHÉRENTS? Ge rous hnnzom !oOC1O-PfO!e: <,IQnnPIS et dl? tous~. de prOVlnce ou de Pou Ie!.~!eurs chf>rchent des PIStes de réflexlon_ Simon lincelles, 11 ons PROFESSEUR DE PHYSIQUE « Je contnbue à la réfleXion collective à trovers des textes et des nlms diffusés sur le site de l'assoCiation. » Anno Kerekes, 23 ans trUOIANTE EN HISTOIRE DE l 'ART « C'est la première fOIS que Je viens. C'est une découverte énorme: on milite contre le songe de la société. » Cécile Cobontou, 17 ons SECR~TAIRE DE RÉDACTION « Je souhaite mettre la pensée d'Ars Industnolis en débat dons les forums sociaux. » Emmanuel 8lanchot. 43 ans ÉDUCATEUR SPÉCIALISÉ « Passer de l'affrontement politique à la diSCUSSion, c'est ce que j' 01 appris avec cette association. » RenI: Sultra, S4 ons PHOTOGRAPHE f( « Je trouve utile de défétlchlser la technique et de ramener dons le champ de la philosophie. » ". L'époque Courant de pensée ••• Bernard Stiegler vient d'arriver dans la salle. Grand, sec, luneltCS cerclées de métal, Jean llOir et lee-shin blanc, bronzé d'un boUI à l'autre de l'année, l'homme est le chef Încomeslé. Anden élève de Derrida, ancien dIrecteur de recherche au Collège imemmional de philosophie, fondateur de l'unité de recherche « Connaiss..mœ. organis..1.tion et système lechnique ,. à lure de Compiègne, ancien directeur de l'I rcam (Institut de recherche CI coordination acoustique/musique), fondateur et actuel concepts comme da annes . .. Ici, rindividuation semble passer par une altitude plus que respectueuse à l'endroit de la pensée du .. patron '". 17 heures. Un régisseur fait savoir qu'il faut libérer la salle. Sur la centaine de personnes venue assister à ln directeur de rJnstitut de recherche et d'innovatio n du Centre Pompidou, l'homme s'est converti à la philosophie alors qu'il élUi! en prison, où il a passé cinq ans li la suite de braquages à main année. Celte rude collusion avec le réel, ce parcours hors du commun chez un philosophe, participent sa ns doute du respect accordé à la personne e t à ses idées. Face aux attentes qu'il soulève, Stieglcr répond simple. ment. Un sourire ici, un geste amical par là, là-bas une poignée de main_ Pas de fatuité, pas d'effet de style. Et ce soir, on ne l'entendrn pas. Les lumières s'éteignent doucement. Sous les spotS qui éclairent la scène, quatre hommes: Alain Giffard, spécialiste des technologies de l'écrit; Robin Renutti, comédien; Julien Gautier, professeur de philosophie; et Man: Valleur, psychiat:re et directeur de lôôpltal Marmottan, Deux heures durant, chacun s'ex· prime sur le thème du jour: .. Les techniques de soi ". La probléma. tique, travaillée par la philosophie depuis l'Antiquité, à laquelle Michel Fouca ult a consacré, à la fin de sa, vic deux séminaires, .. Ilerméneutique du sujet .. el .. Gouvernance de soi ", renvoie au principe d'individuation, notion que Bernard Stiegler a reprise au philosophe de la teclmiquc Gilben Simondon. oc Nous critiquons rI combauons à An Indwtrialis la destruction de l'auenrion par les psychopoUVOlrs que SOn! le marketing, la télévision, les indwtries de l'irifonnation, le numériqur, .. , rappelle Alain Giffard. ln rechnique.ç de soi, ou la pratique régu/il'!re, répétée, d·11Il exercice intel/ecnte! ou spirituel, /lOUS inlérns54!.111 CIl œ qu'elles pCmH~rreltl de reconfigurl'r œlle affention, d'engager ce processus d"individuation. » Dans la salle, on séance, une vingtaine seulement rejoint le bardu lhé.ât:re où doit se tenir l'Assemblée générale annuelle. En tant que président, Bernard StiegJerdresse le bilan de l'année écoulée: oc Nous sommes une tOUle petite assocÎation et nous sommes aujoutlfhui sollicités par des universités à Nrranger, par da acteurs poiitiques et économiques, par da collectiVItés temtariales ... .. On apprend ainsi qu'Ars Industrialis a été mandatée par la région Nord·Pas.<Je· Calais pour réfléchir à l'appropriation du fasrueux projet Louvre-Lens p.1r les habitants du bassin minier, une des populations les plus pauvres de France. Ou qu'e11e énlelie, pour la Communauté urb.1ine cie Nantes Métropole, les conditions dïnstnllation d'un pôle de rechen:he et d'enseignement supérieur lié à la création sur l'ile de Nantes ... Toul ceci nous oblige à réfléchir à une ivelurion de not1'e structurr. .. Vers un mouvement politique? Jamais. Sricgler voit dans les Une audioice partis .. ulle fomle finie, dépassée ". En revanche, il évoque la possibilité d'évoluer progressil'ement l'crs un espace de écoute, on prend des f'IO(es. L:individuation, un sujet particulièrement recherche. EA annonce une mise en œuvre expérimemale, cher à Bernard Stiegler qui milite pour un retour de la singularité en région Centre, dès la rentrée prochaine: .. Nous ouvrons dans une société qui ne croit plus qu'au paniculier. Singularité? unt' petite iroIe de philosophie menu à des e1ives de terPaniculier? .. Le partiallier se calcule, il est reproductible. La slltgula- minale, qlll sera rrlih à un séminairr doctoral internationté Ile l'est pas: elle prodde de l'infini. elle est donc incalculable ... JO, nal, diffllsi en visioconférrnce, oû nous imoesciguerons avec commente Robin Rcnucci, pilier d'Ars IndUStrialis depuis son origine. une dOllzame de posrdocLOronts étrangers la question de la C'est donc encore et toujours de la pensée de Sriegler qu'il s'agit. transmission des .savoir.;. .. rassoaarion a de l'ambition. Ce que confirme Christian Fauré, consultant chez Capgemini, qui Mais parvicndnH-eUe à sumlQnter l'épreuve du réel, le compte aujourd·hui p..1rmi ses lieutenants el qui ne cache pas son moment où il faudra mettre en application des idées, dont admiration: .. Ars Industrialis repose es5enn·ellement sur le géme de beaucoup restent encore abstraites, tout en échappant Bernard. Nous, 0/1 s'en fait les porte-voix clalls nos réseaux profes- aux rcœttes déjà utilisées? Dans l'assistance, quoi qu'iI sionnels. J'ai popl jlarisé ses thèses dans le secteur de l'informatique en soit, les regards brillent. En quittant le théâtre, un el de l'open source. D'awres porterll la parole dans les secteurs cie adhérent lance joyeusement: .. On va refaire l'Académie /'édllcation, du juridique ou de la télévisioll. Nous envisageons ses tic Platon f .. 11 suffit p.1rfois d'y croire ... • " On est en train de faire avec les esprits ce qu'on a fait avec la bouffe ! Si l'on veut se sortir de cette glu, il faut un système critique." Le diable dans les détails L'époque DE LA CORRUPTION il obtenir un service par l'oclroi de faveurs, en général financières, il ceux qui sont maÎt'res du processus de dîspcnsation du service. On corrompt le fonctionnaire chargé de donner son avis sur un permis de construire; on fait un cadeau à celui qui peUl faire accélérer l'instruction d'un dossier ou favoriser un recrutement; on glisse un billet dans les documents d'identité pour que le l}()licier ferme les yeux sur une infraction. Certaines faveurs ne sont pas financières. Ce sont les plus difficiles à traquer dans la chasse à la corruption: l'octroi dllOnneurs, l'entrée dans certains cercles restreints, l'admission dans une catégorie sociale en vue font partie des moyens d'une corruption non pas ponctuelle mais endémique: petits services rendus, bienveillance sur certains écarts, protections. On quitte là cependant la corruption proprement dite pour entrer dans les phénomènes de réseaux et de relations - dans les pratiques mafieuses. Celles-ci sont différentes de la corruption proprement dite dans la mesure où elles coexistent avec le fonctionnement bureaucratique nomlal en le courtcircuitant ou en le neutralisant. Un ntafieux ne corrompt pas un juge : il se débrouille pour qu'aucun témoin ne parle - ou il fai t tuer le juge. La corruption ne doir pas être confondue avec le délit d'initié, où il est fait usage d'informations privilégiées pour obtenir un avantage. Le consultant qui utilise ses informations pour jouer sur les cours boursiers d'une prise de participation qu'il expertise commet un délit d'initié. La corruption est différente aussi de l'abus de biens sociaux qui est le déwurnement pour le profit d'un individu des ressources d'un collectif (association, entreprise, machine de l'État). L'usage durant le week-end d'une voiture de fonction est un abus de ce genre, plutôt répandu au demeurant .. La corruption est donc caractéristique d'un État de droit avec lequel on prend des accommodements. Quelles sont les causes de la corruption? Évidemment l'appât du gain, que ce soit du côté du corrupteur ou de celui du corrompu . Le corrup teur veut obtenir un avantage et le corrompu veut améliorer sa situation. Les militaires qui montent des contrôles routiers la nuit dans certains pays d'Afrique et exigent un paiement de l'automobiliste La corruption consiste Yves Mîchaud est philosophe. professeur à Pons- l. lnl!1Oleur de l'Université de tous les savoirs. spécialiste de la violence et de l'art contemporam. Auteur notamment d' Humain. mhumOin. trop humOin (Climats, 2006) et de Qu'est-ce que le ménte ?(Bourin. 2009), Il Vient de publier Face à /0 classe. Sur quelques manières d'enseigner. avec Sébastien Clerc (<< Folio Ac tuel », Gallimard). qui désire aller plus loin veu lent améliorer leur salaire, et celui qui trouve la réglementation foncière trop contraignante, cherche à « mettre de l'huile dans les rouages ". Ce qui suggère tout de suite deux remèdes à la corruption. Le premier consiste à contrôler l'app<Ît du gain chez les COffilpteurs potentiels (tout le monde, donc), soit très en amont par l'éducation, soit par la crainte de la répression. On apprend à l'enfant à être honnête et on punit le corrupteur pris la main dans le sac. Le second consiste à contrôler l"app<Ît du gain chez les corrompus potentiels (ceux qui sont en position de dispenser des avantages) en agissant sur les mêmes ressorts. En inculquant une éthique professionnelle d'honnêteté au fonctionnaire, en contrôlant régulièrement ses actions (inspeL1:ion de l'administration), en sanctionnant les délits, en faisant aussi en sone qu'il ne soit Jh1S ten!é par le gain. Des policiers ou des juges misérablement payés sont inévitablement des cibles pour la corruption. La relation entre corruption et organisation administrative de l'État de droit soulève un problème intéressant. Si on laisse de côté les motiva~ tions de lucre ct d'avidité, un facteur important de corruption active (celle des corrupteurs) est la complication administrative. Plus c'est compliqué, plus on est tenté de deman der des coups de pouce qui faciliteront les choses. Sauf que la complication est à elle-même so n propre remède. On ne sait pas qui corrompre et il fau t mon ter toute une tramc de corruption pour s'assu rer d'une issue favorable. S'il n'y a pas plus de corruption dans nos sociétés, c'est parce que c'est trop compliqué à organiser. 11est donc plus sensé de faire appel à des spécialistes des rouages administratifs et légaux que de corrompre. Sauf que cela a un coût, celui de leurs conseils. Et comme par ailleurs, la complication de l'organisme d'État doit elle-même être fin ancée, il ya aussi un coût - cette fois en taxes et en impôts. Ce qui mène à la remarque de conclusion que me faisait un chef de grande entreprise globalisée: «Quand vous voulez faire ulle affaire, vous l'ayez toujours 30 % de la transaction, soit ell corruption, soit en avocQ(s, soir en taxes.. Ce qui change, c'est juste le pays. " . '" Au fil des âges L'époque dans La Conspiration ( 1938) , c'est réglé, on esl initié, on a ru la gueule bien cassée, mais 011 peul discuter le coup avec les ancêlres et faire /1' malill près des femmes. » Aujourd'hui, cela dure bien longtemps: .. Pas d'hommes, médecille pour nous faciliter les choses.,. c'est famour, la mon, la saloperie, les maladies de l'tsprit ... .. 20 ANS, A UN BELAGE? C'est étrange: on regrette souvent ses 20 ans, mais on n'en profite guère quand on les a. Si jeunesse saVUll, si vieil/esse pouvoir .. , dit l'adage. Paul Nizan allait même plus loin, au début de son fameux roman Adt'n Arabie (1931), en dénonçant une nostalgie illusoire: .. J'avais 20 ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel dge de la vie . .. Pourquoi? Of Sans doute parce que cet âge charnière est ambigu: à la frontière indéterminée de J'ado- Par Pierre-Henri Tovaillat Maître de lescence (comme sortie de ['enfance) ct de la ptéstdent du Collège de philosophie. des tiges de la VIf! (GraSset 2007). 2l 1 sept embre ZOtO " L'horizon du bonheur, loin d'être atteint. n'en finit pas de reculer " jeunesse (comme entrée dans l'âge adulte), il eSI le temps de la première crise existentielle. En effet, l'en- conférences à 10 Sorbonne et Il est notamment l'ouleur. avec Ënc Deschovanne. dl? Philosophie On pourrait penser que cette vision tragico-romantique a un peu vieilli, peut-être parce que le désenchantement a fini lui aussi par se désenchanter. Mais ce seuil reste pourtant le symbole d'un moment capital de la jeunesse: c'est l'âge où l'on quitte ses parents pour accéder à l'aUlOnomie. En fait, quand on regarde en détail, cela n'arrive pas toujours à 20 ans pile. C'est ce que montre la sociologue Cécile Van de Velde, dans un panorama lumineux des différents processus européens d'entrée dans la vie adulte. Elle distingue trois logiques, correspondant aux trois fonnes du Welfare Smte. Dans les pays méditerranéens, l'autonomie CSt tardive (27-28 ans) et s'acquiert dans le giron familial. Dans les pays nordiques, le départ des enfantS du foyer familial y est plus précoce (20-21 ans), parce que l"Éun prend le relais. notamment pour le financement des études, En Grande-Bretagne, la transition ne se fait ni par la famille ni par l'Érat, mais par l'emploi. La France occupe dans tet ensemble une position intennédia ire, La famille ct l'État combinent leurs forces pour assurer l'insenion dcsjeunes, t.:âge médian du départ de chez les parentS y est de 22-23 ans, sans qu'il apparaisse pour autant commc une preuve dïndépendance. Toutes ces politiques sont plus ou moins confrontées à une même double contrainte: il faUt fa\'Oriser J'accès à l'autonomie sans que, pour autant, cette aide ne devienne un obstacle, car l'aulOnomie, par définition, se conquiert et ne se concède pas. Or, entre l'image d'une jeunesse victime (que J'on empêcherait d'être autonome) et celle d'une jeunesse pourrie-gâtée (qui ne le voudrait pas), on oublie souvent qu'elle est avant tout un passage, rempli d'exigences contradictoires: il faut réussir ses études, préparer son futur emploi et même son futur changement d'emploi, vivre une jeunesse épanouie." Pas facile 1TOUl fant et l'ado, qui n'ont cessé de rêver à la magie du " quand je serai grand ,., s'aperçoivent, arrivés à ce stade, que rien n'est réglé et que !Out est à faire. Sans doute disposent -ils désormais des attribulS de la .. grande personne >l, nwis l'horizon du bonheur et de l'accomplissement, loin d'être aueint, n'en finit pas de reculer, plus complexe et opaque que jamais. Jadis ceue crise était brève gr.'lce au rite d'initimion: en trois jours, (out était résolu. Au prix de quelques misères physiques, les réponses étaient fournies et l'homme était fait. ft C'tsrromml' dans les passages à labac, ajoute Nizan 1 IIUIl1é<O 4Z 1 phi to$Oph!e mQ9Clzlne cela ronuibue à une ronne d'insécurité existentielle, alors même que sa situation objective s'est considérablement améliorée depuis cinquante ans. D'où le portrait étonnant que l'on dresse aujourd'hui de cene jeunesse indéchif{rable: gâtée, mais fragile; révolutionnaire, mais conservatrice; individualiste, mais solidaire; libertaire, mais en demande d'autorité; désenchantée, mais anachée aux valeurs traditionnelles ... On peut voir une fOnlle de cohérence dans tOutes ces contradictions, sauf à regretter le temps jadis où la jeunesse n'existait pas _ S«KJIogIe Compoiée de /0 ~JSe eII EUlDpi', de Cklle Von de Velde (PUF. Z008) . Lnjeunes FrQn((NS À lire ; Oellri oduIre OfI/-ÎlrtII500d"avolt peur!. d'Olivief GoIIond lA. Colin. ZOM) Alexandre Lacroix L:orfelin L'époque Sens et vie LEJEU Propre de l'homme, il l'aide à devenir ce qu'il est. Celui-ci, absorbé dans cette illusion volontaire, y trouve de quoi affronter la vie. " quoijoue-r-on quand on joue ? Quel est le but du jeu et quel est son e njeu ? Le jeu serait-il divertissant, s'il n'é tai t qu'un passetemps? Comment jouer sans oublier qu'on joue? Ou bien sans jouer qu'on ne joue pas? Comment jouer sans se prendre au jeu, ni sc prendre au jeu sans cesser de jouer?« Enfe.ignam d'oublier qu'on joue, écrit Nicolas Grimaldi, on joue à ne pas jouer. C'est ce qui fait du jeu ulle feinte passion. » L'hallucination ludique est un délire délibéré, un rêve éveillé qui joue, en toute conscience, à ne pas être conscient de lui-même. Mais, par un étrange paradoxe qui rend absolument attachant ce qui est ouvertemem contrefait, le jeu est d'autant plus captateur qu'il est lucide sur son propre compte, Le fait qu'aucun joueur d'échecs ne prenne son cavalier pour un vrai cheval n'empêche pas d'être absorbé par une partie. Le fait qu'aucun enfant ne confonde sa peluche avec un animal vivant n'empêche pas de donner tout son amour à un nounours, Enfin, c'est en toute sincérité bien qu'en toute connaissance de cause qu'Oscar Wilde a ve rsé des larmes le jour de la mort d'un héros de roman, .. Le jeu est Lm double jeu, ajoute Grimaldi, Tout en sachant qu'on joue, on joue à croire qu'oll ne le sail pas, " Par la mise en place d'un artifice dont, bizarrement, la connaissance n'entame pas l'émotion qui l'accompagne, l'illusion volontaire du jeu se présente, en vérité, comme la façon que l'homme a trouvée de savoir à quel moment il prend des vessies pour des lanternes, ses désirs et ses craintes pour des réalités, Loin d'être une façon de s'abStraire du réel, le jeu développe le talent de tourner en déri· sion tous les symptômes de la difficulté de vivre. lèlle est la différence entre le rêve ct le jeu: dans ]'obscurité, le rêve adhère à ce qu'il croit percevoir, tandis que le jeu mime, en toute clairvoyance, ce qu'il sait imaginer, Rêver, c'est ignorer qu'on se prend pour le centre du monde ;jouer, c'est jouer, en toute conscience, à voir la réalité telle que je suis. De fait, s'il est mal de tricher au jeu, ce n'est pas parce que la triche est immorale, mais parce que le tricheur monfr'C, en trichant, qu'il s'est pris au jeu, qu'il a pris le jeu au sérieux et que, p<lr conséquent, le jeu n'est plus un jeu, Ainsi, le fait de se qualifier pour la phase finale de la Coupe du monde de football ne justifie pas, aux yeux des spectateurs, qu'on y parvienne cn marquant de la main, car alors, comme on dit, " ça n'est plus du jeu », A Par Raphaël Enthaven PhIlOsophe el JOUrnaliste, o publié L'EndrOit du déc", (Galiimord), Il prodUIt Les Nouveaux Chemins de 10 connOtssance ~Uf Fronce Culture, (du lundi OU vendredi. de 10 h à 11 hl el anime Phtlosophle sur Arle (le dimanche. à13 h30), Z. sept embre 2010 numéro.2: phllosophte mogozlne Le jeu est à double tim: le propre de l'homme: d'une part, scul l'homme, être conscient, peUl savoir qu'il joue quand iljoue ; d'autre part, contrairement à l'animal qui, en .. jouant ., obéit à l'aveugle néœssité de sa nature, c'est par le jeu que l'homme se donne la namre (ou l'identité) dont le prive l'inachèvement qui est le sien. Il (aut n'être rien de stable pour jouer à être ce qu'on devient, n'être personne pour éprouver le besoin d'être quelqu'un: lOut homme, en ce sens, est le personnage d'une comédie dont le texte s'écrit à mesure qu'il le récite, Mais de même que l'écart entre l'ivresse et la sobriété tient en ce que l'ivresse est une folie au moins consciente d'elle-même alors que la sobriété croit qu'elle est lucide, la différence elltre lcjeu et la vie consiste dans le fait que la vie ne sait pas qu'elle est un jeu et que si tout le monde joue, la plupart des acteurs ignorent qu'ils lesont. Dire du monde qu'il est une .. scène de théâtre », c'est donc pointer la vanité de tOUle chose en constatant l'effon que (Ont le monde et ses habirants pour se donner, par le jeu, la consistance qui leur manque. Dès lors, le danger du jeu n'est pas, comme le croit Rousseau, de diluer la vérité dans un jeu de masques mais, à l'inverse. comme on se perd en chemin, de devenir la vérité qu'il singe, de produire à coups de gestes l'identité qu'il conrrefail. À quoi joue l'acteur qui feint de mourir, sinon à mont rer qu'en réalité il ne meun pas? Or c'est à force de jouer les individus sans vergogne que I.orenzaccio devient effectivement malhonnête, et c'est en incarnant un malade imaginaire qui redoute de se (aire passer pour mort aux yeux de sa femme que Molière finit, réellement, par mourir sur scène, montrant, par là même, que mntraircmcllI au jeu, c'est dans la vie que tout est joué . L'époque Rencontre , « DESORMAIS, IL S'AGIT D'ETRE ,,, , DANS LA LEGERETE » A Qu'est -ce que vivre normalement, avoir deux enfonts et écrire des livres, lorsqu'on est un infirme moteur ayant vécu dix-sept ans en institution 7 (et exploit, c'est le quotidien du philosophe Alexandre JoUien qui nous a acueilli chez lui à Lausanne. Il raconte son combot pour la joie. )1(0111:' IUJ ITtJll.l' PAIl JF.A.'H1lt\;.IÇOIS Dl,'VAL 1 la plupart des g~ns p~ rçoiv~ nt, c'at l 'étrang~Jé des gestes, la Ient~ur des porol~s, la démarche qui dérange. C~ qui se ca ch~ d~rrièN!, ils le méconnaiss~nt. .. Même ses amis les plus proches ne ~ qu ~ prennent pas toujours la mesure du corn· bat livré au quotidien par Alexandre Jollien, jeune philosophe de 34 ans ... Charmé par sa puissance spintueUe,j'ai un peu \Ilte oublii sa différence, reconnaitl'un d'eux, devenu webmaster de son site web (www. alexandrc-jollin.ch). Alexandn! doil pour/ont, chaque jour; affronter les mille rourmelHs liés à sa condition . .. Au moment de 511 naissa nce en 1975, à Savièsc, en YaJais, un accident survient - un satané cordon ombilical qui s'est noué autour de mon cou ", explique-t-i1 Of -qui a singulièrement compliqué sa vie. Il passe pour débile. On ne détecte pas sa vivaci té d'esprit, l'intelligence que masque sa parole empêchée, son corps rétif, ses gestes désordonnés qui lui imposent, pour boire, de recourir à une paille plutôt qu'à un verre. Ses dix·sept années dans un instirut spécialisé pour infinnes moteurs cérébraux à Sierre le marquent à jamais. Envers et contre tout, il se tire de la silUation dans laquelle un mauvais son l'a placé. À force de détermination, il entre en 1998 en fac de lenres à Fribourg. Un an plus tard, il est alors âgé de 24 ans, il publie Éloge de lafaibluse aux éditions du Cerf. Succès immédiat en Suisse romande et Grand Prix de l'Académie française. Publiés au Seuil, ses ouvrages suivants, Le Métier d'homme (2002) et La Construction de soi (2006), le fo n t connaître en Prance. Son métier d'ho mme et d'écrivain s'i nscri t néanmoi ns da ns un combat quot idien difficile, Ma lhabile devant les touches de l'ordinateur, il dicte ses ouvrages à Romina, son assistante, II a la passion de lire, mais les livres se dérobent à son regard ... Depuis 1999, je souffre de douleurs cervicales qui m'empéchent de lin! plus de quelques minutes. .. Si sa bibliothèque regorge d'ouvrages de philosophie, bon nombre om été enregistrés sur cassette p..,r ses amis ou par la Bibliothèque sonore romande. Aujourd'hui , il ne se réfère à sa bibliothèque que par souci d'exactitude dans les citations. II faudrait aussi évoquer ses trois visites médicales par semaine ( .. en ce moment, j'ai des problèmes de mâchoi~ ..), ses voyages (il est désormais invité un peu panout, jusqu'en Israel, pour prononcer des confé· rences) , ses apparitions sur les plateaux de télévision, le choc des téléspectateurs qui le découvrem pour la première fois . Son site Internet est placé sous le signe de la joie plutÔt que du tragique (on y trouve même un quiz philosophique, avec des questions du genre: • De qui Kierkegaard (18J3-1855) disait -il.- ~Le Herr Professor sait tO!H sur l'Univers, mais II a oublié qui il est!" .. ). Les chroniques qu'il a tenues ici et là (pour Psychologie magasine hier, La Vie aujourd'hui). Et bien sûr, le plus imponant peut-être, sa vie familiale. Au début des années 2000, alors qu'il étudiait la philosophie et le grec anden au Trinit y College de Dublin, Alexandre a rencontré une compatriote, Corine. Ils se marient en 2004, Naissem leur fille Victorine (5 ans et demi aujourd'hui) et leur fi ls Augustin (4 ans). Son nouveau livre, Le Philosophe nu (Seuil), Alexandre JoUien a mis trois ans à l'écrire, à raison de deux heures de travail par jour en compagnie de son assistante. • Mon intention éLaa d'aborder les passions sow lafonne d'un traÎté. Cela sonnait faux, bourré de rifért.nces, exté· rieur à moi-même, J'ai fillCllemem cllOisi /0 forme du journul, beaucoup plus imime et davantage ell pnse avec le réel; avec bonheur; je me Sl/is aperçu que cela me tenait lieu d'exen:ice spIrituel, au sens où j'en/endait Pierrt. Hadot à propos des Anciens. " "J'aborde les passions sous la forme du journal, beaucoup plus intime et davantage en prise avec le réel. Cela me tient lieu d'exercice spirituel." Nous arrivons chez lui, pour un petit déjeuner assez tardif (9 heures), car c'cst ellCOre l'été ct les vacances. El, tOUl de go, on lui demande quelle a été sa première pensée du matin. - Ma première pensée, c'est tOujours : "J'en ai marre." - Comment ça? Dans u Philosophe nu, vous écrivez: "Je me lève le matin exubérant." • •• • on L'époque Rencontre ••• - Oui, mais ma première pensée reste quand même: '"J'en ai marre." Jour après jour, je dois me mettre la pression: me lever, faire ma toilette, me vêtir. Constamment. je mesure le gouffre entre la théorie ct la pratique. que je ne parviens pas à enraciner suffisamment dans mon expérience corporelle. Dès l'éveil, je dois me contraindre, même pour méditer. Viser la détente. ce peut être une tension! Venez, je vais vous montrer la petite pièce oùje médite sitôt levé CI habillé. " La chambre en question est presque entièrement occupée par un Waff, coussin géant gonnable. Alexandre Jollien fait tinter le gong, trois coups rüuels qui ouvrent et concluent sa séance quotidienne. .. Il m'est impossible de prendre la position du lotus, expliquc+iL Je m'allonge donc sur cette espèce de pneu géant caoutchouteux, où je repose comme un nageur en mer au creux d'une bouée, immobile pendant soixante minutes et m'efforçant de contempler le train de mes pensées sans les suivre. C'est Corine qui m'a tout récemment fait découvrir cette technique. J'étais dubi· tatif. À torr. Elle me permet d'aller vers une compréhen· sion de mon être plus exhaustive qu'en me limitant à la pure réflexion philosophique, laquelle passe comme chat sur braise sur l'appréhension de son corps propre. ,. Retour à la table du petit déjeuner. Victorine, qUÎ se sait être ainsi prénommée ft parce qu'elle représente une pelÎlc IIÎcroirc rie la vie ", finit d',lValer ses céréales. Sachant qu'Alexandre ne rale pas une occasion de donner à ses enfants une petite leçon de philosophie, on demande à 1<1 fillette: 28 1 ~le plembrle 2010 l oomér042 1 philo~opht. mllgllzlllle -Th aimes la philosophie, Victorine? - Non 1 fait·elle en grimaçant et en se bouchant les oreilles. Alexandre Jollien rit. - Ah, c'est mal parti! Elle ne lIeut plus entendre parle.r ni d'Aristote ni de Spinoza. À 5 ans N demi. elle est déjà rebelle à l'autorité paternelle 1 Au moins, la phi· losophie l'a déjà conduite là. ,. Victorine Ct Augustin nous précèdent maintenant dans le bureau de leur IX!TC où ils se mettent aussitôt à des· siner sur un tableau à feuilles. On promène son regard alemour. Murs tapissés de livres, ponrait d'Érasme, grand calendrier de la semaine où Alexandre nOle les rendez-vous médicaux, les interviews il donner. les émissions et les débats télévisés auxquels il est convié (il a même été interrogé sur la Coupe du monde de football). Sur le bureau, le PC semble en vacances. - Maintenant que j'ai termÎné Le Philosophe /lU, je ne dicte et n'écris plus rien. Techniquement, écrire m'est une corvée. - Le Philosophe /lU marque-t-il vraiment une nouvelle étape dans votre cheminement? - Je dirais qu'il y avait dans mes premiers livres une volonté de baZ<.mler toutes les passions pour vivre dans l'ataraxie, une totale paix de l'âme. Sous l'influence des st'Oïciens, j'ai eu tendance à vouloir me blinder contre les passions. Dans Le Métier d'hommc, je reste un peu solennel, je vois le tragique parlour. J'oublie trop l'autre versant: cette joie qui nOlis est donnée si nous savons l'accueillir. Longtemps, mon parcours de vie m'a amené à associer l'idée de bonheur à œlle du combat. - Le bonheur, ça devait se gagner, se mériter? - Oui. Mais lorsque Vicrorine est née, je me suis aperçu que le plus grand des bonhcurs - la naissance d'un enfant - m'était donné sans que j'aie eu à lutter! Parce qu'un enfant, c'est un bonheur qui ne se mérite pas. C'cst un pur cadeau, un don qui vous est fait. Comment assumer tant de joie? Comment laisser parler la joie en soi? C'est en œs termes que le problème, dès La Constructiol! de soi, s'est posé à moi - tant il est vrai que la joie peut être aussi ardue à vivre que la souf· rrance. Désormais, il s'agit donc, par-delà toute cara· pace, d'être dans la légèreté, d'oser me tenir en joie sans urmes. D'où le titre de mon nouveau livre; Le Philosophe nu. - Rassurez·moi. Le stoïcisme n'est tout de même pas ft jetcr aux orties? Paul Vcyne, je erois, dit que, bien compris, le stoldsme est un judo de l'llme: savoir plier ou se redresser en fonction des coups du SOrt ou des bienfaits de la providence. - Oui, j'aime beaucoup cette idée d'une souplesse originelle du stOlcisme. Je sais ce que je lui dois. Simplement, dans ma nalveté, j'avais pris la philosophie des stoïciens clés en main, avec le désir de m'en faire une armure. Alors qu'il demande li être nuancé, adapté. Mon impression est qu'aujourd'hui, malheureusement, il tend à être récupéré par un individualisme forcené où l'on ne se préoccupe que de la réalisation de soi. - Ricœur lui reprochait d'êne une philosophie un peu égoïste. Le stolcien peut paraÎlre très centré sur luimême. -Oui, Dogen, l'un des maîtres du zen, souligne qu'un même dan· ger guette la méditation. Ici comme là, si on s'enferme dans une foneresse et qu'on se coupe de l'autre, on se dessèche. A raison, la psychanfllyse tente d'aider les analysants à sor· tir de leur détresse en les pOUSSflnt à prendre soin d'eux-mêmes, mais il y a un équilibre à lrouver entre négligence de soi et amour de soi. Je crois qu'on ne peut véritablement faire cas de soi qu'à la condition de s'ouvrir à l'autre, d'aller vers lui, et ainsi de s'agrandir. Évidemment, on reste toujours sur le fil du rasoir. » Les enfants sont prêts. Nous prenons li pied le chemin de l'école, sur les hauts de Lausanne. Puis nous bifur· quons vers le parc Mon Repos, qui descend du côté du lac. Arrêt devant une grande volière. Victorine attire mon attention sur le fait qu'on peut y apercevoir une • perruche Alexandre » : po/ytelis afexandroe psittacidi. Nouvelle halte devant un bassin où baguenaudem des poissons rouges. Alexandre, qui sait l'an, et la nécessité peut·être, de s'amuser parfois comme des gamins: • Préféreriez·vous être oiseau dans cette volière ou poisson dans ce bassin? » L:un opte pour l'oiseau dans la volière, l'autre (Alexandre) pour le poisson rouge, pariant que celui-ci ne distingue pas le bassin d'un lac, tandis que Je regard aiguisé des cacatoès et des pero ruches grises se heurtent certainement aux barreaux de la volière. - La lecture de l'Élhique de Spinoza m'a aidé, je crois, à renouver ce cÔté espiègle qui était en moi depuis l'enfance, mais que j'avais réprimé afin de me blinder face <lUX circonstances, à mes années en institut. Il y a une fo rme de naïveté dans celte espièglerie qui ressort maintenant, mais je la revendique, parce qu'être naïf, e'eSI aussi refuser dc se laisser endurcir par lcs coups du SOrt. Euy HilIcsum disait: il faut s'aguerrir sans s'endun:ir. C'esl magnifique t Regard vers Victorine et Augustin, qui contemplent les poissons. - Il Y a tam à apprendre des enfants, de leur sponta· néité. À leur contact,je croule moins sous le poids des références,je redeviens plus simple,jC m'allège el cela aussi tient du parrours philosophique. ALEXANDRE JOLLIEN AVEC SES ENFANTS: • LE PlUS GRAND DES BONHEURS HAtrtDONN~ SANS QUE rAlE EU À lUITER! PARCE QlflJN ENfANT. CEST UNBDNHEUR QUiNESE H~RITE PAS. It " Longtemps, mon parcours de vie m'a amené à associer l'idée de bonheur à celle du combat. Désonnais, il s'agit, par-delà toute carapace, d'oser me tenir en joie sans armes." - Revenons aux passions. Quelle serait ]'attitudejuste à adopter envers elles? Que rangcz·vous d'aillcurs sous ce terme? - Tout ce qui en moi est plus fort Que moi. Plus fort que la raison. Evidemment, il y a des passions joyeuses, comme la joie, l'amour, la compassion, et des passions tristes, qui sont plus nombreuses, telles la tristesse, la colère, la convoitise, la jalousie, l'avarice, etc. S'il était possible de les éliminer, Que resterait il de nous? Pas grand-chose, justement. - N'est·il pas trop facile d'opposer raison et passions? - Oui. Jung et, plus près de nous, Antonio Oamasio ont souligné à quel point la raison elle· même est redevable aux passions. Elles sont inséparables l'une des autres. Les passions sont absolument nécessaires pour colorer le quotidien. L:attllude Juste consiste à n'en pas devenir esclave. Si j'ai écrit u Philosophe nu, C'CSt afin de mieux comprendre pourquoi que je n'y suis pas encore par· venu ... Je rends régulièrement visite à l'écrivain gene· vois Georges "aIdas, un sage de 93 ans que Paris méconnaît. Il m'a donné ce conseil: ~A]exandre, regar· dez les passions comme des 'quintes passionnelles'. Le lout étant évidemment de ne poIS se laisser mourir étouffé lors d'une quinte ... " .. Au sonir du part, trois pas nous mè nent en haut de la rue de Bourg, la plus animée Ct la plus fameuse de ••• " L'époque Rencontre ••• Lausanne. Tenant Victorine et Augustin par la mai n, Alexandre, de sa démarche chaloupee, s'avance sur un passage pour piétons. Un couple assis à une terrasse paraît imrigue par l'insolite corrège que nous formons, cn plus d'un photographe. C'est qu'on peut divise r les habitants de L..1usanne en deux catégories: ceux qui reconnaissent la silhouette d'Alexandre Jo!lien et ceux qui ne le connaissent pas. - Revenons à l'esclavage dans lequel peuvelll nous mettre les passions. Celle contre laquelle vous luttez au premier chef dans Le Philosophe lUI, c'est la jalousie, l'envie d'être un autre. On est frappé par ce désir d'être physiquement votre ami Z. - Le bonheur ne peut s'accorder qu'avec la lucidité, selon moi. - Mais Don Quichotte meurt du jour où il redevient lucide .. - Je crois tom de même que l'important tient dans une adhésion au réel, en projetant le moins possible. Ce que j'ai appris en écrivant Le Philosophe nu, c'est que je ne devais pas voir mon monde, mais le monde. Je raconte cette anecdote: j'achète des chaussures, une charmante vendeuse doit s'agenouiller pour me lacer des bottes. Je me sens mal à l'aise pour elle. À la fin, elle me demande un amographe parce qu'elle a lu mes livres ... Mon imaginaire m'avait emporté loin de la réalité . Elle était heureuse de notre rencontre et non pas humiliée comme je le croyais .. " Midi. Entrée chez Payot, la plus grande librairie de la vil!e, où Victorine doit acheter un livre pour une copine, à l'an· niversaire de laquelle elle est invitée l'après-midi. Rayon livres Jeunesse, Alexandre s'enquiert d'une édition de Don Quichotte pour enfants de 5 ans. Une entreprise qui n'est pas couronnée de succès, laissant désolées des libraires qui feraient tom pour donner satisfaction au philosophe. Celui·ci s'est assis avec Victorine et Augus· tin autour d'une minitilble et il leur lit il haute voix quelques brefs livres imagés qu'ils lui soumettent. Puis, Victorine fait son choix. Au sortir de la librairie, repas sur la terrasse d'une pizzeria voisine. Le soleil tape fort. Deux gentlemen déjeunant il une table voisine déplacent leur lourd parasol vers la nôrre. Notre conversation pourra se poursuivre à l'ombre. Victorine sera en TCtard il sa fête d'anniversaire, où doit l'emmener Corine. Théoriquement, c'est aussi l'heure où Alexandre débute sa sieste, aujourd'hui reportée il 15 heures. - C'est une pause qui m'est indispensable. Je suis tenu il une grande rigueur physique et j'ai besoin de ce repos. Mais attention! L'état d'esprit dans lequel j'aborde la sieste ne tient pas du tout du repli. Mon "art" de la sieste consiste bien plutôt à mettre de côté, pendant une heure et demie, tou t ce qui pourrait m'empêcher d'être vivant: tracas, soucis, encombrements divers. Si c'est une sieste, c'est une sieste qui m'éveille à moi-même. Et qui fait partie intégrante de ma vic très réglée. - Avec l'écriture du Philosophe nu, le "gouffre" entre théorie et pratique s'est-il vraiment amoindri? - La donne a changé. On ne parvient jamais à des réponses établies, même si l'on progresse. À l'époque d'Éloge de la faiblesse, je pensais que je devais passer du moins au plus, acquérir des compétences, conquérir une solidité. C'était il y a dix ans, et j'avais un but: fonder une famille, écrire des livres, exercer un métier, répondre aux invitations à donner des conférences. Maintenant que tout cela est acquis, ce qui est difficile, c'est de vivre ces l:hoses avec leurs hauts et leurs bas, "C'est surtout dans le regard des autres que j'aimerais faire l'effet d'un Don Juan. Je n'ai aucune aspiration réelle à être un Don Juan, mais j'aimerais jouir de cette possibilité. " - Oui. Dans ce livre, je dis ma jalousie constante envers ceux que j'appelle "les beaux garçons" expression qui renvoie pour moi il l'idée d'une jeunesse insouciante que je n'ai jamais connue. J'ai dù me bagarrer. Je leur prête une facilité de vivre, une existence beaucoup plus simple que la mienne. Bien entendu, ce n'est là qu'une mythologie personnelle, mais elle est rudement coriace. Comment ne pas me dire: ''Ah, si j'étais un autre!" Je marche dans la rue, je vois des filles magnifiques - en cette saison, on est quand même gâtés! Et j'entretiens cette idée obsédante qu'un homme doit être fort, viril, etc., alors que je souffre quand même d'un handicap impressionnant. C'est surtout dans le regard des autres que j'aimerais être mon ami Z. Faire comme lui l'effet d'un Don Juan . Je n'ai aucune aspiration réelle à être un Don Juan, mais j'aimerais jouir de cette possibilité, sans l'utiliser. (Rires) - N'est-ce pas très adolescent? - Ça l'est, oui. Ma jalousie il l'égard de Z. témoigne du travail intérieur sur les passions, qui, chez moi, n'a pas pris - du moins jusqu'à ce moment où je me suis mis à écrire Le Philosophe /lU, ce qui a eu quelque vertu cathartique, thérapeutique. - Pourquoi toujours établir des comparaisons avec le meilleur? Se comparer il Apollon plutôt qu'à Socrate? - Dès qu'on entre dans l'imaginaire s'ouvre l'espace d'un manque, et de ce mantjue qui nous est particulier. Spinoza dit que l'imagination, quand elle n'est pas consciente d'elle-même, peut nous sortir de nos gonds. Son autre versant, c'est qu'elle est un merveilleux instrument, salls lequel nous ne pourrions pas vivre .. - Don Quichotte lui aussi pense: "Si j'étais un autre." Il franchit même concrètement le pas. 11 est par excellence l'homme qui vit d'imaginarion. Selon vous, son imagination le perd-elle ou le sauve-I-elle? 30 1 septembre 2010 1 numéro 42 1 philolophie mogazlne avec les inévitables blessures quotidiennes, comme tOUt un chacun. AUJourd'hui, c'est le dépouillement qui m'attire. Se déleSter d'un trop·plein, d'un excès de références. Pour recourir à l'image de la statue intérieure, Je dirais que la perfection est aueinte lorsqu'il n'y a plus rien à enlever, C'est à quoi tendent désormais mes effortS. Autrement dit, je ne suis plus si sûr que le chemin spirimel soit tracé dans les livres - même si Je continue à en acheter beaucoup (que mes amis m'enregistrent sur cassette). J'ai compris que te détachement, ce n'est pas tant à faire par rapport au monde extérieur, mais par rapport li soi. C'est de l'ordre de la reddition, À tort, on croit que Je déta· chement, c'est se mettre en re trait de la réalité, Pas du tout 1 Pour moi, c'est, au contraire, y adhérer, faire corps avec clic ct s'y abandonner au point qu'on en arrive à vivre pleinement, • Le soir, l'appartement d'Alexandre et Corine est toujours ouvert aux amis. .. Ne serair·ce, sourit Alexandre, que parce qu'il esc crop fatigant pour mor de sorrir. le me couche à 22h30, après m'Oir pa55i en m'Ue av« Corine cous les momenes de la journée, • Z.. dont nous avons parlé el dont il est tant question dans IL Philosophe nu, CSllïnvité de ce samedj soir. Au menu, des sushis, pour lesquels les deux amis Ont une prédilection,jugeant en l'Ol't:\lfrenŒ inappropriée l'idée slow:ienne selon laquelle il faudrait ramener toutcs choses aux éléments qui les constiruent pour les voir dans leur vérité objective, Demain dimanche, Alexandre Jollien s'envole, seul, pour Montréal et pour une semaine de méditation. Comme chaque fois qu'il pan li l'étranger, Victorine et Augustin ont le privilège de dormir 11 cÔté de leur papa, sans prêler plus d'nttention 11 la pompe respiratoire qu'il place alors sur son vislIge • À LIRE Le Philosophe nu ('ieu 1 20 La Construction de SOI ~ 2006J. Le Hétler d'homme (Se-u 20 et tloge de 10 1mb/esse ((et!. q( " L'époque Dialogue COMMUNISME, , DEMOCRATIE ET VODKA AUX ORTIES Propagande, choos libéral, mafieux, les idées reçues sur l'Europe de l'Est courent touJours, Bouleversant notre idée du bien public et de la démocratie, le romancier ukrainien Andreï Kourkov et l'essayiste d'origine bulgare Tzvetan Todorov racontent cette « outre Europe». Pl tOPŒi m:rr mLlS l'AH MIClTE!. ELTCllA:'fII'-."QFF eux qui ont vécu de l'autre côté du rideau de fer se reconnaissent d'instinct. Ils partagent ces secrets de la réalité socialiste que les Occidentaux, élevés dans les principes de l'État de droit, ignorent: corruption, cynisme, hypocrisie, double langage de l'idéologie, mais aussi entraide, humour, ivresse des surprises de l'existence .. Le romancier Andreï Kourkov est né en 1961 ct a grandi à Kiev. Il écrit en russe. Après avoir assisté au lent déclin du régime communiste, il a révélé au monde en 1996, avec son roman Le Pingouin, le délire collectif, entre mafias ct déshérence sociale, entraîné par la chute du système soviétique. Depuis, il enchaîne les récits situés dans cClte Europe fotte où l'invraisemblable est accepté comme faisant partie de la vie normale. Tzvetan Todorov, lui, est né en 1939 en Bulgarie. Il a grandi sous le joug d'un régime dictatorial dont il a réussi Il s'en· fuir en 1963. Instalté depuis à Paris, il a élaboré une œuvre au carrefour des sciences du langage, de l'histoire et de la philosophie. La notion d'altérité est au cœur de sa réflexion. Sa familiarité avec J'expérience totalitaire lui a permis de porter un regard original sur notre monde, Ils ont dîné chez Vagenende, restaurant on ne peut plus français du Quartier latin, à Paris, Mais le goût de la vodka aux onies, boisson fétiche de Laitier de /luic, dernier roman de Kourkov, les a replongés dans cette Europe orientale où postcommunisme rime avec surréalisme. lZ ~eplembr e ZOIO 1 nllm~o 4.2 pllilos opllie mogozine Tzvetan Todorov : Pour décrire le monde communiste, un auteur comme Boulgakov avait recours au fantastique, Le fantastique dessine une ligne de crête entre réalisme et merveil!eux: on ne sait pas toujours de quel côté on se trouve, Votre roman Laitier de IIuit me semble participer de ceue même veine. On y trouve des sectes bizarres, des rencontres mystérieuses, des chats mutants, des remèdes magiques, comme ce produit" anti· frousse» commandé par de riches Ukrainiens, \.:usine que vous y décrivez, et qui fabrique du fromage à partir de lait humain, n'est pas vraisemblable et tire du côté du merveilleux, Mais la vic quotidienne la plus triviale y est également présente, Tout est chaotique, parfois incroyable, pourtant on a aussi l'impression que vous ne faites que décrire la réalité ukrainienne actuelle, Andre'" Kourkov : Il est vrai qu'en Ukraine, aujourd'hui, tout est possible, on peut tout obtenir avec de l'argent, En ce sens, la société soviétique, avant la chute du mur de Berlin et l'indépendance de mon pays, était plus morale que celte d'aujourd'hui. À l'époque, les connexions familiales et professionnelles étaient essentielles. Mais lorsqu'on vous aidait, vous n'étiez pas obligé de rendre la pareille, La moralité officielle communiste était en réalité une éthique chrétienne laïcisée, avec les mêmes lois et les mêmes rituels, Le baptême était, par exemple, devenu le sacre du jeune communiste. Un simple changement de nom ! Mais, à l'époque, la notion de moralité était liée à celle d'idéologie. Quand cette dernière a disparu, les gens ont cru qu'ils pouvaient tout faire, Les relations sont devenues mercantiles, C'est ce que je décris dans mes romans. T. T.: J'ai une vision des choses légèrement différente, peut-être parce qu'elle est construite à partir de la vic en Europe de J'Est dans les années 1950-1960. Sous le communisme, des règles de comportement strictes étaient proclamées, il existait une morale officielle assez. puritaine. Mais je ne dirais pas, comme vous, que la morale régnait. Certes, il fallait compter avec la peur de la répression. La surveillance s'exerçait à tous les niveaux: dans les écoles, les mouvements de jeunesse, les comités de quartie r, les organisations professionnelles, à quoi s'ajoutait une police politique pléthorique . Tout ce que nous faisions était su et connu. Pourtant, cetle éthique n'était qu'une façade . Le monde communiste, dans ces années-là, ressemblait à un vlllage de Potemkine, un beau décor. Derrière la façade, c'était le coupe-gorge, une lutte pour la survie, le règne de l'intérêt. Plutôt que la corruption, y triomphait le népo tisme. Pour avoi r ["autorisation d'habiter en ville ou pour obtenir un passe-droit pour inscrire son enfant dans une bonne école, il fallait trouver le bon piston . Nous vivions dans un monde factice. Lun des seuls lieux sans faux-semblant était les camps (que je n'ai pas connus) . Soljenitsyne disait qu'il s'agissait du seul endroit où l'on pouvait entendre la vérité. Un second endroit qui échappait au mensonge, c'étaille théâtre, si app récié dans les pays de l'Est. Au théâtre, on présentait des fictions qui pouvaient révéler la vé rité de la condition humaine. Le reste, la vie publique, apparaissait par contraste comme du théâtre qui ne disait pas son nom. "Le ministre de l'Intérieur m'avait alors appris comment contourner la loi. C'était la mentalité de nos pays, celle dont vous parlez dans vos livres: toute règle est négociable." T. Todorov , A. K. : C'est vrai que notre vie était étrange. Par exemple, mon père, pilote d'essai, était inscrit au parti communiste, comme sa mère, une direcnice de sanatorium à la personnalité très fone. Mais la nuit, il écoutait en cachette les émissions de radio diffusées depuis l'Occident, comme " La Voix de l'Amérique ". Il s'était même spécialement acheté une radio japonaise ]XlUr cela. Lorsque mon frère lui demandait pourquoi il écoutait de la propagande antisoviétique, il répondai t, pour s'en sonir, avec une citation de Lénine : " Pour vaincre /'enn em~ il faut cormaître ses annes. ,. ••• '" L'époque Dialogue et radicale qu'il fallait être un peu fou, effective- ment, pour oser dire quelque chose contre le régime. Dans les années 1950, on envoyait les gens dans les camps - il yen avait pas mal en Bulgarie- pour des blagues qu'on avait racontées. Mais la personnalisation des rappons, caractéristique des pays de la région, réservait parfois de bonnes sur- prises. Après avoir terminé mes études, il Sofia, je rêvais de panir pour .. l'Europe _, comme on disait entre nous. Plus précisément pour Pa ris, oil une tante était prête fi m'entretenir. J'ai déposé une dcmundc de passeport. Après six mois d'au ente, j'ai compris qu'on ne me l'accorderait jamais. Avec une insouciance que je m'explique mal, j'ai alors sollicité un rendez,volls avec le ministre de l'intérieur. El j'ai été convoqué! Je suis arrivé dans une salle d'attente bondée de femmes éplorées, alCendant de plaider la cause de leur fils ou de leur mari déporté dans des camps. Reçu à mon tour, j'ai annoncé que je voulais partir étudier la Paris. Se produisit alors ceue chose qui reste pour moi incompréhensible: le ministre m'a appris comment contourner la loi. C'était la mentalité de nos pays, celle dont vous parlez dans vos livres: toute règle est négociable. Il devait Todorov trouver ma nalvelé touchante. il m'a dit de ne surtout pas demander une autorisation de sortie individuelle, mais de chercher un organisme officiel qui m'enverrait la l'étranger, par exemple l'université. Une semaine plus tard,j'avais mon passeport. C'est la raison de ma présence en France. Quitter le pays étui ! la cctte époque tout sauf facile. Le plasticien Christo, quant la lui, a quiné le .. camp socialiste" caché sur le toit d'un train ... "La vie dans les pays de l'Est nous avait appris la vacuité des valeurs publiques. Défendre les idéaux ne rend pas les choses meilleures. Mais y renoncer n'équivaut pas au règne de l'égoïsme." c ••• T. T.: Mon père, qui était également devenu membre du p..lni après la Seconde Guerre mondiale, passait ses nuits à écouter œ type de stations, notamment en langue allemande. Auprès de ses proches, il disait pis que pendre de ce qui se passait en Bulgarie ou en Union SOviétique. Il était devenu un opposant, mais seulement devant sa femme, ses enfants et ses meilleurs amis. il n'allait pas critiquer le régime sur la plaœ publique! Toujours très bien infonné, gr✠la sa connaissanœ des langues étrangères, il avait aussi une position prestigieuse de professeur d'université et appartenait à un milieu protégé. Mais il ne croyait pas un mOt de la propagande officielle. A. K.:Oulre mon père rommuniste,j'avais un frère dissident. Dans les années 1970-1980, il rapportait à la maison quantité de livres interdits tapés à la machine ou édités à l'étranger: Soljenitsyne quefai lu à 13 ans, Freud, Jung, Schopenhauer, Spengler, Kierkegaard ... Mon père a été plusieurs fois convoqué au KGB. On le sermonnait en lui disant qu'un bon communiste doit savoircontro1er ses enfanlS. Tout s'est aggravé le jour où mon frère a été accusé d'avoir cambriolé ... un kiosque à glaces. Une histoire inventée de toutes pièces. Il a dû passer devant le juge. Ma mère a approché ce dernier et lui a offert toute notre collection de pièces et de médailles antiennes. Du coup, mon frère n'a été condamné qu'à deux ans de prison avec sursis. Ensuite, il a dû éviter I"hÔpital psychiatrique, une autre méthode de répression des dissidenlS. J'ai gmndi dans celle atmosphère plurô[ particulière. T. T.: J'ai quitté la Bulgarie la une époque où il n'était pas encore possible d'êlfC dissident. La répression était tellement immédiate A. K.: Je suis pani d'Ukraine après avoir renconrré et épousé une jeune Anglaise venue faire ses études à Kiev. Mais je suis rapidement revenu vivre en Ukraine avec clic - ce qui a d'ailleurs sidéré le d iplomate en charge de mon visa de reto ur. Le type de situation qui vous a permis de quitter la Bulgarie est devenu impossible dans les pays de l'Est. Tout est désormais réglé par l'argent et le crime, En Ukraine, il y a davantage de gardes de sécurité que d'ouvriers dans les usines. Tous ceux qui possèdent de l'argent l'ont volé et savent pour quelle raiso n ils peuvent être tués. C'est pour cela que chaque oligarque possède sa propre cohone de lueurs à gage ... et de gardes du corps, comme celu i que je déc ris da ns Laitier de IIlIit. Aujourd'hui, les personnages dom je parle dans mes romans cherchent seulement à fa ire vivre leur famille, à avoir une vie normale dans un pays <lui ne l'est pas, car il appartient aux oligarques corrompus. Si je me définis comme patriote uk rainien, c'est uniquement en tam que patriote pratique: je ne crois à l'État que s'il aide les familles à améliorer leur quotidien, l'éducation et l'avenir de leurs enfants. T_T_: Mais c'est vrai en France aussi. Personne (ou presque) n'est pr(!t aujourd'hui à mourir pour la patrie, En revanche, nous pour· rions prendre le risque de nous faire tuer pour nos enfants et nos proches. Les valeurs publiques sont désormais marginalisées. C'est le même individualisme qui relie les de ux extrémités de l'Europe. Les théoriciens de la démocratie s'imaginaient qu'un tel repli sur les valeurs privées représentait la fin de la vie commune. Uannah Arendt, par exemple, dans La Condition de l'homme moderne, n'a que mépris pour ces gens qui se contentent de leurs valeurs privées, Je me demande si ces théoriciens avaient raison. La vie dans les pays de l'Est nous avait appris la potentielle vacuité des valeurs publiques. Défendre les grnnds idéaux ne rend P.1S les choses meilleures. Mais y renoncer n'équivaut pas à la fin de l'éthique ou au règne de l'égolsme. Cécrivain soviétique Vassili Grossman, auteur de Vie el destin, où il décrit les deux totalita rismes, nazi et communiste, affirme que ce n'est pas le Bien <IU'il faut rechercher, mais la bonté. Mieux vaut se soucier du bien-être des individus que d'aspirer au Bien en général. Dès que l'on part à la conquête du Bien, le sang coule, des vieillards Ct des enfants périssent. Ce rerournement, cene mise en valeur du monde privé, avec l'amour comme valeur suprême, est loin d'être une catastrophe politique, Ceci étant dit, on ne peut se passer de l'État: mais il ne faut pas en altendre le salut, ni y chercher le sens de votre vie. Hélas, il n'y a pas d'Êtat de droit en Europe de l'Est, On ne croit même plus en la société, car c'était en son nom qu'on pillait et piétinait le peuple, Cela a donné lieu à une sone de génération perdue, "La démocratie telle qu'elle existe actuellement en Ukraine, monopolisée par quelques personnes riches et con:ompues, n'a pas la capacité de faire émerger un Etat de droit. " A. Kourkov A. K,: CÊtat de droÎt ne peut advenir en Ukraine qu'avec une dictature temporaire. La démocratie telle qu'elle existe actuellement, monopolisée par quelques personnes riches et corrompues, n'a pas la capacité de faire émerger un État de droit. La Révolulion orange, à laquelle j'ai pourtant participé, a été un échec de ce point de vue-là, Je suis un optimiste noir. T. T.: Je parlerais même de pessimisme noir, à propos de tous ces pays ex-communistes. Cependant, de proche en proche, le tissu social va se recréer. Cela prendra peut-être cinquante ans, mais ce sens de l'humain re viendra. D'ailleurs, dans votre livre Laitier de nuit, il y a un épisode où l'un des personnages plonge dans l'eau pour sauver quelqu'un, de manière totalement désintéressée. Il y a dOllC de l'espoir. A_K. : C'est drôle, c'est le passage que mes lecteurs ukrainiens préfèrent. Vous avez raison, il existe une voie plus humaine pour ces sociétés, Nos pères communistes n'am peUl-être pas éCOUlé les mdios interdites pour rien _ À lire D'Andret Kou.kov : Loitler de fIUIl (Uono li!vy) Suqxises de Noë/( Liono Ll!vyl : LI' Dernier Amour du présidl'I/I (. PoInts lt. SeuIl) : LI' Pit!goutn (. Points ", Seui)j, De TzvetDn Toda.DY: lo SIgfIOIUff! humou!f> (Seuil): La PI'Ix ~ boriJores. Au-de/6 du choc ~ o'vitsollCilS(LGFj. " Dossier , , DE L'EMPIRE EUROPEEN Alors que la crise économique s'installe,l'idée trotte désormais dans toutes les têtes: l'Europe connaîtrait un déclin comparable à la lente chute de Rame. De l'amollissement des moeurs au cynisme des riches, en passant par la crainte des « barbares »,Ies analogies ne manquent pas, nous rappellent l'historien Lucien Jerphagnan et le cinéaste Denys Arcand. Le diplomate Hubert Védrine et le philosophe Ëtienne Balibar, réunis pour un dialogue exceptionn el. s'en remettent. quant à eux, aux peuples plutôt qu'aux politiques pour relever la constru ction européenne. Quelles sont nos voies de salut7 Nombre d'intellectuels - parmi lesquels Peter Slaterdijk, Ëdauard Glissant. Alain Badiau, Pascal Bruckner, Pierre Manent et Jorge Semprun - se pressent au chevet du « Vieux Continent ». lls proposent autant de visions d'un avenir authentiquement politique pour l'Europe. Histoire de faire mentir le déclin. 36 1seplembre 2010 1numêro 42 1philosophie moQozlne Dossier Le déclin de l'Europe o mmes- no us, comme les Romains de l'Antiquité tardive. parvenus au dernier chapitre de notre glorieuse (et violente) Histo ire ? Hédonistes el cyniques. ne S croyam plus en nos lois ni en aucun dieu, nous moquant de lout sauf de nous-mêmes, inca· pables de nous projeter dans l'avenir, amollis par le confort, superficiels el gâtés. avons-nous mérité d'être éclipsés par d'au tres peuples, plus jeunes, plus ambitieux, plus fons? L'analogie e ntre la situatio n des Européens d'aujourd'hui e t celle des Romains de la décadence CSt [entame ... Et pourtant ! Méfi onsno us du pm/lOs facile de la décadence Cl des postures réactionnaires, q ui risquent de nous empêcher d'affronter avec lucidité la situation actuelle, soit: la diminution progressive et inéluctable du poids de l'Europe sur la scène internationale. Pour esquisser les enjeux philosophiques d'une telle situation, formulons ici lrois remarques. REMAR UE N ' 1 Le mythe du déclin de l'Europe est aussi vieux que l'his toire de l'Europe elle- même Homère a vécu au VIII- siècle avant Jésus-Christ, mais il chante dans ses épopées une époque bien an térieure: la guerre de Troie se situe autour de 1 200 avant no t re ère. Comme la plupa rt de ses contemporains, Ilomère fantasmai t sur la splendeur passée de la civilisation mycénienne (- 1600/ - 12(0), renversée par des envahisseurs venus du Nord, les Doriens. Les Mycéniens avaient laissé derrière eux des ouvrages de bronze, des architectures témoignant de leur avance, que les Hellènes n'étaient plus capables de reproduire. Si les persan- lendemain de la Première Guerre mondiale, les historiens Oswald Spengler et Arnold J . Toynbee considèrem que l'Occident est malade ou qu'il est en train de creuser sa propre tOmbe; ils t'raquent la pulsion de mon qui détraque souter· ralnement notre civilisatÎon. Un bref parcours historique de ces différentes versions du mythe (lin panorama ci-contre), momre qu'on définit toujours les critères du déclin en fonction des difficu hés el des préoccupations les plus actuellcs : le mythe nous re nseigne moi ns sur le passé que sur les e njeux du présent. D'Homère à Toynbee, tous ces au teurs Vilnte nt une grandeur dis parue et a nnoncent la catastrophe, mais da ns le seu l but de re t ro uver les sources vives q ui pcm lctlront de rée nchantcr l'histoire. REMAR UE N" 2 Le mythe du déclin s'éc rit aujourd'hui dons le langage form el des chiffres et de l'économie C'esl la grande nouveau té contemporaine: de nos jours, ce n'est pas un écrivain génial, ce n'est pas un Dame, ni un Montesquieu, ni un Oswald Spengler qui nous tend le mIroir de noue affaiblissement, mais bel et bien les tableaux de chiffres arides produits par les instituts de statistiques, Eurostat ou la Banque mondiale. Les chiffres ont d'ailleurs une éloquence bien à eux, face à laquelle il est difficile de res ter de marbre. Avec 500 millions d'habitan ts, l'Union européenne (UE) ne représente actuellement que 7,3 % de la population mon· diale. Elle a le taux de croissance démographique le plus faib le au monde (- 0,05 % e n Allemagne, 0,7 % en Italie pour 2008) et vieillit à vue d'œil. La croissance économique est eUe aussi basse: 0,2 % e n moyenne depuis le début de cette a nnée pour les 27 pays de l'Union, - 4,2 % en 2009 (par comparaison, la Chine est poussée par une croissance d'environ 10 %, le Brésil, 8 % et l'Inde, 6,5 %). Les États européens sont lourdement endettés: la dette publique représen te 115 % du produit intérieur brut de la Grèce et de l'Italie en 2010, contre 77,6 % pour la France. En 2008, 17 % de la population européenne vivait sous le seuil de pau· vreté, taux qui monte à 20 % chez les jeunes ... Non seulement l'UE n'a pratiquement plus d'industrie sur son sol, mais ses plus belles pièces sont peu à peu raflées par les investisseurs étrangers. Atœlor, fer de lance de la sidérurgie, entreprise issue de la révolution industrielle et de l'épopée capitaliste rhénane, a été rachetée par un groupe indien, la Minai Steel Company, en 2006. Un autre groupe indien, Thta Motors, a (ail main basse sur Jaguar en 2008. Quant à la déliquescence économique de la Grèce, elle a permis à la Qûn.1 Shipping Ocean Company de s'offrir une partie du Pirée en 2009 - le pon d'Athènes passant aux mains des Chinois, tOut un symbole 1 -, avant d'empocher les principaux amm· teurs grecs cette année. Cette li tnnie de chiffres ct d'a nnonces dép rima ntes, no us l'écoutons li 111 mdio et la lisons dans la presse. An née nprès année, la place du continent e uropéen sur le planisphère semble rétrécir li la manière d'une peau de chagrin. l>Uisqu'il ••• LA PLACE DU ÇONTINENT EU,ROPÉEN SUR ~E PLANISPHERE SEMBLE RETRÉClR ALA MANIÈRE D'UNE PEAU DE CHAGRIN. " nages d' Homère - Ulysse, Achille, Agamemnon et les aUlres ... - ont de si nobles qualités. s'ils sont si endurants au combat comme à la boisson, c'est qu'ils sont censés appanenir à une humanité supérieure. Or Ilomère est le premier des historiens, et à sa suite, le mythe du déclin va devenir un mOlif incontournable, une obsession de la culture du Vieux Continent. À la fin du Moyen Âge, sous la plume de Dante ou de Machiavel, la nostalgie de l'Âge d'or réapparaît, mais cen e fois-ri c'est la puis· sance de l'Empire romain qui est regrettée. En com· paraison avec l'immensité de l'empire, la can e de l'Italie divisée entre principa utés fait piètre figure . Au s iècle des Lum ières, Montesq uieu s'intéresse aussi li la décadence ro mai ne, mais pour critiquer les excès de l'a utorita risme des Césa rs e t, indirectemenl, de la monarchie. Plus près de nous, au TROIS VISIONS DU DÉCLIN XII/'-XI/' SIÈCLES LES HUMANISTES NOSTALGIQUES DE L'ANTIQUITÉ Donte contemple d'un œil noir rltalie de 'iOfl temps ravagée por des rivalités médiocres entre prindpoulés. À ses yeux, 10 Rome antique reste un modèle indépossoble. Né il Florence en 1265. appartenant por éducation ou camp des Guelfes. Donte rame 10 couse de Rome et des Gibelins. Il s'en explique dons De la monarchie : «J'offlrme que le peuple romain en droit. et non par uwrpotion, (] acquiS 10 monarchie, c'est-à-dire l'empire sur tous les mortels. » Rome oyont été l'exemple de 10 grondell". c'est son étendard qu~. fout brondir. qu1mporte s'~ (] pris 10 pousSIère! Mols c'est Machiol/el quI. dons son Discours sur 10 première d&ode de Tïte-Live(IS12-1SI7), forge le mythe de 10 décodence de rEmpire romain, lequel sert por 10 sUite de motrICe pourpenser le déclin. DQfl5 10 penpective de Mochiovelle républicain,!' elfondremenl de Rome est dû il César. qui (] brisé t'équilibre subtil des pouvoirs entre le Sénat et le peuple, et jeté les boses d'un empire autoritoire et brutal. César a ouvert 10 voie ô une série d'emperaws. dont les règnes sont « ensanglantés par les guerres, déchirés par les divisions. et tout aussi cruels en temps de paix », Autre gangrène de l'empire: 10 propogotion du chrisllOnisme, qui aboutit à la création de l'~glise pontificale de Rome, Or «c'est elle, /'~glise romaine, qui nous a maintenus et nous maintient divisés », L'auteur du Prince 0, por ailleurs, une vision originale de l'histoire, les civilisations connaissent. selon luI. des cycles quasi naturels, où essor et décadence se succèdent: «La V1rtü donne la tranquillité aux ~tats: la tranquillité enfante ensuite la mollesse, et la moNesse consume les pays et les moisons, Enh'n, aprés avoir traversé une période de désordre, les Cités voient lavirtü renaitre dons leurs murs. »fL 'Ane d'or), XVIII' SIÈCLE LES LUMIÈRES CONTRE LA DÉCADENCE MONARCHIQUE l".,;;H,ir; ' ~ • ! Au siècle des Lumières. le mythe prend une nouvelle inilexion, sous l'impulsion de Montesquieu et de ses Considérations sur les couses de la grandeur des RomainS et de leur décadence (1734). Oons la lignée de Machiavel, MontesqUieu insiste sur le lait que l'Empire romain s'est écroulé pour n'avoir pas été lidèle à ses principes. et n'avoir pas su promouvoir la liberté, Rome a étendu sa domination jusqu'ou Oanube, à la Goule. aux rivages d'Afrique. mois n'a pas su offrir ce qu'elle avait inventé: 10 dtayenneté, Seule une poignée de Romoins étaient citoyens et libres, tandis que l'empire, en s'étendant, crt~oit des Ioules d'esclaves toujours pluS nombreuses. Oons le collimateur de Montesquieu, c'est bel et bien 10 monarchie absolue qui est vrsée. En Angleterre, Edward Gibbon publie entre 1776 et 1189 les six volumes d'une Histr*e du déclin et de fa chute del'Empife romain, S'jl dresse une Iresque d'une érudition à couper le souille, l'originalité de Gibbon est ailleurs: c'est l'un des rares. voire le seul spécioliste de l'Antiquité romaine convaincu que l'Europe moderne est il l'abri de la décadence. Ses arguments? O'obord, les Romains l!JnOfaient tout des Borboresqui les ont encerclés. tondis que l'Europe moderne a exploré le monde entier, Ensuite, l'Europe moderne a la chance d'être un concert de notions: « Les chances de talent dons /es rois et /es ministres sont au moins multipliées en raison du nombre des souverains: et un Julien et une Sémiramis peuvent régner dcmslenordenmbnetempsqu'unArcadiusouunHonorius~t trones du Sud, » Enfin, Gibbon juge qu'« d moins d'une révolution générale qui bouleversera la face du globe JI, aucun peuple n'est SUf les susceptible de retomber de la modernité dons 10 barbarie, PREMIÈRE MOITIÉ OU XX' SIÈCLE LES NIHILISTES DIAGNOSTIQUENT LA MALADIE DE L'OCCIDENT Au début du XX' siècle, dons la Ioulée de la Première Guerre mondiale, le mythe du déclin connaît un nouvel essor. L'Allemond Oswald Spengler publie en 1918 Le Déclin de l'Occident, best-seller qui impressionne considérablement ses contemporoins. Le livre a des occents postromantiques, nietzschéens. ésotériques, Dons cet opus brumeux, les civilisotians sont comparées ô des créatures biologiques qui vieillissent et meurent en lonction de lots naturelles immuobles. Pour Spengler, l'Occident 0 entamé sa dégénérescence vers 1800, Autour de l'on 2000, prophétise-t-il, le développement de l'art occidental atteindra son terme; on ne verra plus que des «orchitecture et ornement insensés, vides, artiftclels, surchargés imitation des motifs archaiques ouexatiques », Quand l'Occident n'ouro plus d'art, ce ne sera pas encore tout à lait la fin, mois, ô en croire Spengler, l'épuisement de 10 créotion n'est qu'une étape avant la ruine définitive, Autre livre célèbre, l'Essai sur l'Histoire publié en 12 volumes entre 1934 et 1961 porl'historien britannique AmoIdJ, Toynbee, Trois symptômes lui permettent d'alhrmer que les jours d'une civilisation sont comptés. Juste ovont 10 chute, une civilisation tente de construire un ~tot universel. une gronde formotion bureaucratique ingéroble - Rome, l'Empire ottoman, 10 Russie des tsars ... et peut-être l'Union européenne? Toynbee ne le précise pas, Deuxième symptôme : une élite, composée d'héritierS et de porvenus, tente de maintenir so domination sur le peuple alors qu'elle n'o nen lait pour 10 mériter; les dominants sont donc perçus comme des porosites (Ioute comparaison avec notre actualité relève bien entendu du mouvais esprit), Sons « pouvoir'créoteur de fa minorité »dispo-oit le « mimétisme de fa pan de la majorité JI qui dmente 10 communoulé politique. Enfin, dernier symptôme, en dehors des frontières de la cMlisotion malade. se f()flne un II( prolétariat externe JI. barbares ou "challengers» qui précipitent sa chute (méditons ces paroles avant d'olier manger chinois ...) _ AilXAH04IIE LACROIX ," ••• se décline duns le langage des mathématiques, le déclin serait-il enfin réel? SmlS doute, mais les chiffres ne nous donnent qu'une mesure quanul3rive de J'élat de J'Europe, Appliquer aux nations une griUe de lccture strictemenl budgél3ire Ct comptable, c'est passer à côlé d'aulres dimensions, comme la qualité de la ";e, l'accès à l'éducaüon et aux soins, l'existence d'un Etat de droit, d'un système judiciaire non corrompu, d'infrastructures facilitant les lransports, elC, Imaginons que les choses se passent, avant nOire naissance, comme J'imaginailjadis Plotin, c'est-à-dire que les âmes descendent lentement vers les corps. Vous êlcs l'une de ces âmes à naitre. Au cours de \'otre trajet astral vers l'incarnatÎon, un ange vous Înterpelle ct vous propose de choisir: vous pouvez voir le jour en Inde, en Chine, au Brésil, en Indonésie ou en Europe (mais vous ne pouvez pas choisir votre milieu social, qui vous sera échu p.1r tirage au son). Pour quelle destinmion optez-vous? Quel cst, selon vous, le lieu où vous aurez le plus de chance de vivre librement et en bonne santé, sans craime de 111 violence, q u'elle soit ])ropagée par J'État ou qu'elle .. 0 MItlembrt 2010 IlUl'lbO.Z pItiIo~ "'C'9culnt règne d:ms la sphère sociale? Où vos rêves trouveron t-ils li s'ép.1nouir? Ça y est, vous a"ez choisi? Vous n'êtes pas complètement guéri de l'Europe? REMAR UE N" 3 la réduction du mythe du déclin européen à un problème économique est elle-même un signe inquiétant de déclin Ici, ce sont les dernières pages du Nelin d~ /'Occidenl de Spengler, publié en 1918, qui nous aiguillem: . La pensil" el l'action iconomiqua sonr un côté de /0 vil", affinne·t.il, chaque .'ie économique at /'f'XPression d'une \.'il" psychlqul". • Autrement dit, la prospérité ou le marasme d'une économie ne font que traduire un œnain état de la cu1mre et de l'esprit. Un an plus tard, en 1919, Paul Valéry enfonce le clou dans un texte intitulé La Crue dl" l'espril. dom la première phmse est reslœ rameuse: .. Nous OUlm, cù'ilisarioru, nous savons maintcfllmt quI" 1I0U.~ somml's mone/lcs, ,. On connaît moins l'argumentation qui suit, or elle est saisissante, .. La crisl" économique, explique Valéry devant le spectacle du Vieux Cominent ruiné par la guerre, esl visible dam tOute saloret!; mais /a crise intel/CCII/elll". plus sublile, et qui, par sa natllrl" même, preud les oppareuCf'S les plus trompeuses (puis!lls'clle SI" pa.sse dans l~ royaume mime de la dissimulalion), crUr aisr loissr difficilrment saislr.son lliriroble poInt, sa phase. »Anention à n~ pas confondre les rorees et les quantités, prévient \f,)jéty! Le classement des régions du globe selon des critères statistiques - popuJalion, superficie, matières premières, revenus, etc. - risque de nous faire oublier que les civilisations ayant accompli une œuvre histOrique remarquable, que ce soient l'Egypte ancienne, le siècle de Périclès ou encore l'Europe des Lumières, ont pu le faire uniquement parce qu'eUes étaient créatrices, parce qu'elles étaient capables de promouvoir les ans et les sciences, parce que la vie de l'esprit y était intense. Or l'Europe, s'alarme valéry, est en train de transfonner le savoir en une denrée el les produCtions de l'esprit en marchandises. Elle est bien mal inspirée 1.. RisullaI : l'inégalilé qui txis/ail erure les régions du monde... Irnd Il disparaitr~ graduellemeru JO , puisque tout n'est qu'une ques· [ion de oommeree et de chiffre d'affaires. En 1935- 1936, le philosophe allemand Edmund Husserl rédige un texte qui fera date, intirulé • La crise des sciences européennes comme expression de la crise radicale de la vie dans l'humanité européenne _. Husserl y affirme que c'est la plate éminent~ accordée 11 la raison qui a permis la grandeur de l'Europe. Le projet des Grecs, qui était de comprendre la totalité des phénomènes du monde, conslÏrue selon Husserl le tremplin initial de notre civilisation. C'est au nom de la raison que sem nccompli l'essor des sciences il l'âge moderne, que les Lumières secoueront le joug de l'Ancien Régime. Or • la vision g'obal~ du mon~ qUi t:Sl œ"~ dt: 11lomm~ modmJ~ ,s't:SlIoi.ssie, dans /0 dru;cibne m()I. rii du JaX> sikl~, dif~mlinu ~t avtuglu par les sci~nas posirives ~t par la "prosperityft qu'on I~ur d~vait ", constate Husserl. Lorsqu'on a séparé les sciences de l'homme ct les sciences de la nature, au xrx- siècle, on a commis un aCte très grdve, puisqu'on a brisé la visée du projet grec. La philosophie, la psychologie, la sociologie, la science politique 001 été rejetées du côté de la subjectivilé, de la lillérature. La raison n'a plus trouvé à s'appliquer que dans les sciences dures, et ne s'exprime plus qu'à travers le langage des mathématiques. Mais les mathématiques ne peuvent pas répondre li notre détresse ni nous offrir un destin! En réduisant la raison li une calculatrice, l'humanité européenne a perdu son projet rondateur. Elle s'est en quelque son e aulodissoute . • De ,simples sci~nce,s de fail,s fomlent un~ ,simple humanlti de fait.s. ,. Ce qui nous amène à notre conclusion. Le rail que nous ne sachions plus aujourd'hui raconter le déclin de l'Europe autrement qu'à l'aide de Slalistiques est peut~tre plus préoccupant encore que le contenu desdites statistiques, car cela prouve que nous avons laissé en chemin, quelque pan derrière nous, notre esprit _ ALDANDltl LACROIX LUCIEN JERPHAGNON « UN JUIN 1940 À L'ËCHELLE MONDIALE» Pourquoi 10 décodence de rEmpire roffiOlfl nous loscine-I-elle tom? Le philOsophe Lucien Jerphognon. run des plus fins conoosseurs de Rome el auteur d'une Histoirede /0 Rome antIqUe (PluneiJ. nous rèpond. Voyez-vous une roison romain? "" Irontlère menacée du Danube. El elle se clOt en 476, avec \0 déposillOn parle barbare Odoacre de Romulus AuguslUlus. Pourquoi cet événement vt~UII de ~us de 1 500 ons conserve-t-n encore un leI " un emptre 0 une telle surloce, Mest peu~ plX" des gens infirwnent dillérents.les distOf'SlOl'lS konomiques sont importanles et nnstobiAité politIQUe - qui. à port. du III" SIècle, voit les empereurs se chos.sef les uns les outres li un rythme SOUtenun'orronge nen à roffarre. Ajoutons le 10101 amollissement de rhomme de troupe qui. éaitle polen Ammien Marcel,n, « fredonne des 0/fS langoureux ou lieu de pousser des cris de guerre .... Lo délense de frontières aussi vostes vu donc devenir problémallque. Ene est porlais confiée à des Borbares qui pour certarns. tel Alaric qui mène 10 première mise li soc de Rome en 410, vont se mettre li leur propre compte. Enfin. Mloul garder li respnl que la chute de rEmpire romain s'est déroulée sur trais cents ons! EHe commence en 180 : l'empereur More Aurèle ouro passé une portle de son règne li défendre la pouvoir d'évOCU1ÎOn? Nous sommes tOUJOurs tentés de regarder en arrière lorsque ça vo maL. et Rome est ou fondemenl de notre ADN. NOIre drOit. notre humantSme. notre longue - entre outres choses - y Irouventleur origine. Illout prendre aussi en compte rémoi Immense qUI 0 solSlles témoinSde sa Chule : une sorte de JUIn 1940 à rkhelle mondiale. • Horreur ! L'Unlvers s'krou/e... "', s'étrangle SOlnl JérOme en 410. Et si m"me 10 Roma aelemopeui Chuter, alors tout en ce bas monde est périssable. lorsque Poul Valéry s'écrie en 1919:. Nous savons que les Civilisations sont mortelles li. on entend en kho le cOnStal de Rutilus Nomolinous. .Ie,s villes aussi peuvent mourir li. Rome lia olnsi devenir la ville Idéale, capitole de toules les nostalgies: • j) JUpiter. rends -moi mes commencements! ". knt Sidoine Apollinaire, ancien prélet de Rome devenu év~ue de Clermont. Et ce souvenir eSI rOllivé chez les intellecluels por la lomeuse His tOire du déclm et de la chute de l'empire romom du 8rrtonnique Edward Gibbon publiée li la hn du XVIII" siècle - rune des premières études rigoureuses sur le sujet. méme si Gibbon, inspiré por les lumières frOf)ÇOISCS. se: trompe en lIoyant dons la christianisallon de l'emj}lre 10 couse latole de 50 Chule. Vous qui OYU si longtemps sijoumé doM kllête des auteurs de r ipoque. voyezvous des anoIogi6 avec tu n6m? ou.. et ce n'est pas rassurant À répoque. Marcellin déplore \0 légèreté des riches qui • mettent Ut! painl d'honneur d posséder des VOItures plus grosses qu'iI n'est d'usage" et s'installent à l'étranger pour échopper li rimpOl! Et constate que les RomainS ne se cuttIVent plus: SidoIne Apomnolre fétiole un 8orbore de SOVOW" bien écrire le Iolin, à 10 diflérence de ses contemporOlns Romolns. Quand on n'est plus foutu de devenIr soirn&ne, on est le plus exposé OUII gens qui IIOUS lont devenir ce qu'~s veulent que vous soyez! _ PROPOS R((UEUIS PoUl PHILIPP( NASSIf '" Dossier Le déclin de l'Europe RENCONTRE AU CHEVET Étienne Balibar, philosophe « gauche de gauche », et Hubert Védrine, ancien ministre socialiste des Affaires étrangères, ont une vision très différente de l'histoire et de la politique. MOIs Ils s'entendent sur un point: si l'Europe ne devient pas un pôle capable de résister à la mondialisation, elle va se déSintégrer. 'L\Rn' 1>:01108 """UI>: t:"'LC'l'EI. RASTO" Ils appartiennent li deux mondes. Huben Védrine, JXllitiquc d'intel- ligence supérieure, ancien ministre des Affaires érrangères après avoir été Secrétaire genéral de 11:Jysée sous François Mittcmmd, est considéré comme le .. Kissinger. européen. Inventeur du concept dbyperpuissaoœ, critique des illusions droit-de--lbommislC (Conn. nller l1ristoire CI Lt Tl'mps df!S chimrrr;s, Fayard), il est capable, face aux situations les plus inextricables, de démêler l'écheveau des r.l()- Étienne Balîbor : Je suis né en 1942, vous êtes un peu plus jeune que moi, mais notte génération a hérité de la précédente une utOpie positive et mobilisatrice, œlle de la réconciliation_ L'Europe était allée à la catastrophe. elle avait plongé du fait des nationalismes dans une forme d'autodestruction_ Il fallait. sous peine de disparaître, dépasser les souverainetés nationales et se réconcilier, t:utOpie est donc un ingrédiem constitutif de la construction européenne, pons de force pourdétcnniner le chemin de l'action efficace. Étienne Balibar, lui, est le philosophe français le plus écouté en Europe CI aux États-Unis. Ancien professeur à Nanterre, il s'est initié à la phi- losophie aux CÔtés de Louis Althusser à 11?cole normale supérieure, el a contribué fi Lire Le Capital, référence des communistes des années 1960, uv.ml de procéder duns l.cl Croi/ICe de5 mClS$f.'l (Galilée) ou Lu Proposition dl' /'égalibel'cé (PUF) ft une réévalual'ion de l'idéal démocratique. Face à l'Europe, l'un en appelle ft la responsabilités des dirigeants français et allemands, l'autre coun ft Athènes pour défendre le peuple européen. (Des interventions reprises dans L:Eurapt, crise ecfin?, Le Bord de l'Eau.) Le philosophe et le conseiller se sont retrouvés, au Momalemben, à Saim-Gennain-des·Prés, pour meure sur la table les éléments du diagnostic vital de l'Europe. Hubert Védrine :Jc ne vois pas la construction européenne conune une grande et belle ambition fédéraliste collective qui se serait hélas! enlisée dans les sables, la géopolitique prime. A mes yeux, les pères fondateurs som d'abord Staline Ct Truman, avant même Monnet et Schuman. S'il n'y avait pas eu la menace soviétique après la guerre, si les États-Unis n'avaient pas crée l'alliance atlantique et fait le plan Marshall, rien ne se serait fait. Ce n'est pas l'Europe qui a fait la paix, c'est la paix qui a permis l'Europe, Ensuite, certains dirigeants européens visionnaires ont décidé de profiter de cette situation pour créer quelque chose d'inédit. Leur approche était concrète : communauté du charbon et de l'acier, marché commun, elC, Petit à petit, des courants de pensée om bâti, à p..1rtir de là, l'utopie des Etats-Unis d'Europe_ Ce qui s'effondre aujourd'hui, ce n'est pas l'Europe, mais les mythes européistes. En réalité, l'Europe est d'abord l'enram d'une situation géopolitique, pas la mise en œuvre d'un extraordinnire projet historico-moral. H. V,: La • réconciliation franco-allemande., inlassablement répétée. n'est pas ft l'origine du projet européen_ Le cadre européen lui a servi d'abri favorable_ Pour que la dissuasion soit efficace face à l'URSS, les Américains avaient besoin que l'Allemagne soit dans le coup - ce qui n'a pas été facile à faire accepter. Ce n'est que plus tard, li poste.riori, qu'on en a fait un ~ moteur". É. B.: Disons que la réconciliation , instrumentalîsée par la politique de la guerre froide, est devenue, du fait de la transformation de l'esprit des peuples, un objectif en soi. Mais d'une manière générale, l'effet de la guerre froide sur la construction européenne m'apparaît plus ambivalent_ VURSS ne représentait pas seulement une menace, mais aussi un défi_ Elle a joué un rôle d'aiguillon pour la mise en place du modèle social européen, qui n'numit jamais vu le JOur si les gou\'Cmemems et les opinions occidentales n'avaient pas pensé que des fonnes sauvages d'exploitation capitaliste conduisaient à l'explosion sociale, sinon au communisme, qu'il fallait généraliser la concertation entre le capital elle travail. Ce modèle est aujourd'hui au cœur de l'identité européenne, les peuples le voient, à tort ou à raison, comme un rempart comre la mondialisation libérale sauvage. D'accord donc pour penser que la guerre froide est le cadre initial de l'Europe, mais sous réserve d'analyser de manière plus dialectique les effets de ce cadre sur la construction européenne: en chemin, le Meccano géopolitique est devenu une fin en soi, H. V.: C'est devenu un objCCtif en soi pour une poignée de dirigeants. Giscard et Schmidt, Mitterrand et Kohl, Delors et quelques autres Ont utilisé celle paix pour presser l'intégration, D'autant que l'Allemagne divisée en reme ttait dans son engagement euro- ••• . DossJ Le déclin de l'Europe ••• péen: c'était le prix li payer pour sa normalisation. Et puis, patatras! Ce cadre géopolilique général se désagrège: il n'y a plus d1)n)on soviétique, plw de guerre froide, plus d'ennemi. Qu'esl<e que ce monde global? Une communauté internationale régie par le droit? Un monde muhipolaire? Une compétition générale? Face li ce que j'ai appelé l'hypcrpuÎssance américaine, les Euro- péens onl cultivé l'ingénuité. MaÎs dix ans après, les conflits resurgissent. Quelques années avant le Il Septembre, Huntington oppose au rêve d'une .. fin dt l'histoire .. sa craime d'un clash des civilisatiollS", Quand l'Amérique ft se lance avec hystérie dans .. la guerre JO contre" le terrorisme ", J'Europe est désemparée. Le contexte géopolitique qui avait présidé à sa naissance s'est effon- " saint Paul reste le logiciel profond dcs élites européennes fi travers les sièdes, Mais l'Europe n'est plus sur son Olympe: elle n'a plus ni la légitimité ni l'efficacité pour jouer ce rôle, Les peuples, eux, je le crains, n'aspirent qu'à devenir une grande Suisse, É, B,: Une Suisse, mais S<1ns le secret bancaire alors .. , H, V.: Oui, parce qu'exemplaire. Un haut niveau de vie, peu d'obligations et beaucoup de droits, une anitude compassionneUe, mais CE N'EST PAS LE pROTECTORAT QUI NOUS MENACE, MAIS LA DESINTEGRATION PURE ET SIMPLE 1" É. BALI BAR dré; il n'y a plus de projet collectif qui s'impose à elle, excepté des engagements économiques, seuls éléments forts des traités dans un monde en voie de dérégulation économique, t B.: La chute du Mur ne se réduit pas à un changement du cadre géopolitique, C'est un changement dans la perception du .. sens de l'histoire .., donc un événement de portée philosophique consi· dérable, Et c'est aussi la réunification de l'Europe. H, V.: La .. réunification .. ? Mais elle n'avait jamais été unie auparavant, sauf par la loi chrétienne à un moment. É. B.: Vous ne pouvez 1),1s nier qu'il y a une communauté d'histoire, de culture, des idéaux politiques qui ont circulé entre les nations. La guerre froide a tiré entre les deux moitiés de l'Europe un .. rideau de fer .. qui coup."\Ît les peuples de toute possibilité de circulation, La chute du Mur, c'est la renaissance virtuelle de cet esP.1ce de liberté, c'est la JX'l'Spectivc d'une circulation pour les idées et les projets qui a enflammé l'imagination des Européens, Nous avons été nombreux alors à espérer que se constituerait non pas un peuple européen, mais une opinion publique, un espace politique rranseuropéen qui ne serait P.1S seulement animé par les dirigeants et les intellectuels, mais par le plus grand nombre, De façon conflictuelle et laborieuse, l'idée d'Europe indiquait un chemin au·delà des souverainetés nationales, C'était là notre utopie, aujourd'hui dévalorisée, H. V.: Je ne crois pas li ce dépassement, Exercice en commun de la souveraineté, oui. Ab..1ndon, non, Ce SOnt des nations trop nombreuses, avec des histOires, des langues et des passions différentes profondément enracinées, Depuis le XVIII' siècle et les Lumières, il y a en effet un espace culturel commun aux élites, Vous faites panie du petit nombre d'intellectuels qui parcourent les capitales européennes et dont la parole est écoutée, C'est très imponant, cela peut donner à œt esP.1ce une orientation politique et morale, Mais cela ne concerne que quelques centaines de personnes, Ce n'est pas le projet des peuples, L'Europe, c'est une fédération d'Etats·nations qui n'ont pas vocation à disparaître, les Européens aiment l'idée de l'Europe, mais ils ne s'intéressent pas concrète· ment aux autres peuples, Cela n'a ricn de tragique parce qu'ils sont tous pacifiques, Mais cela n'a rien à voir avec la formation d'une opinion publique. européenne .. , Les européistes rêvent d'une puissance morale, une sone de Croix-Rouge globale répan. dant le droit·de-l'hommisme dans le monde, L:évangélisation selon distanciée par rapport aux malheurs du monde, voilà l'éthique des Européens, C'esi inquiétant, car, dans la dure bagarre multi· polaire qui s'annonce, si l'Europe ne devient pas une puissance, elle est condamnée au protectorm, É. B. : Un proteclOrat de qui dans vOIre esprit? H. V.: Sino·américain. É. B.: Il y aurait donc un projet de condominium sino·américain? H. V.: Pas besoin de projet pour que ce risque existe, Même si aucun des deux pays n'a intérêt à se retrouver dans un tête·à·tête exclusif avec l'autre, il y aura pour nous l'addition de leurs puis· sances, Je veux dire que si l'Europe continue comme cela, elle subira les conséquences des décisions des uns et des autres, même si ceux·ci ne s'entendent pas. Voilà cc qui pourrait arriver de pire: accumulation dc décisions sur un ensemble gélatineux qui n'a plus de pensée propre et n'arrive pas à se mcttre d'accord pour se faire respecter, qui devient, en somme, l'idiot du village global. É, B,: J'irai plus loin. Cc n'est pas le protectorat qui nous menace, c'cst la désagrégation pure et simple, Je redoute que les États européens ne soient même pas capables de maintenir les grands acquis, Et d'abord la paix. Cela parait démentiel d'imaginer la renaissance du nationalisme qui nous ramènerait à des conflits tragiques que la construction européenne avait pour fin de dépas· ser. Mais on ne peut l'écaner, Je redoute qu'une Europe dramatiquement affaiblie ne se transfonne en champ de bataille de forces politico-économiques qui lui sont extérieures. Il n'y a aucune raison de penser que tOUS les pays auront une même analyse et une même stratégie face aux menaces de demain, Je ne crains pas seulement des désacrortls entre la France et l'Allemagne, je me demande quelle raison ces deux pays pourraient avoir de marcher du même pas et d'avoir une position commune si ce sont les forces de la mondialisation qui l'emponent. JI n'cst pas évident que Ics peuples ressentent le besoin d'être réunis dans la mondialisation de demain, Dans un monde dérégulé, on sent monter une inquiétante obses· sion de la protection imaginaire qu'offrirait le cadre nationaL" H. V.: Imaginaire, pem·être, Mais sa désintégration fait peur, La question de fond est bien celle (lue vous posez: les Européens ont· ils, oui ou non, un intérêt à être unis face à la mondialisation? appelait la social-démocratie européenne s'est avérée incapable d'esquisser une réponse crédible à la crise financière . Cela démontre le degré de décomposition organisationnelle, mais aussi intellectuelte et morale, de la politique européenne, en particulier à gauche. Absence de perspectives aussi bien que d'enracinement populaire ... H_V. : Face à la crise, les gouvernements de droite Ont été pragmatiques, sans états d'âme: ils n'om pas hésité à nationaliser et à rétablir les contrôles étatiques. Tandis que la gauche socialdémocrate l'a vécue comme un drame conceptuel. Alors qu'elle achevait de se résig ner à l'économie de marché, voilà que celle-ci se transformait en un gigamesque casino. Aujourd'hui, la gauche n'arrive même pas à théoriser le faible sursaut des États qui s'opère. Elle est le dindon de la farce. Dans toutes les réunions de la gauche européenne, on commence par exprimer son attachement absolu ... au Iibre·échange! Mais le libre-échange intégral qui met en compétition des centaines de millions de paysans asiatiques ultrapauvres avec les anciennes classes ouvrières européennes protégées par deux siècles de lutte, c'est absurde! Non, vraiment, la gauche doir se refaire! Autant je suis prêt à une relecture décapante er réaliste des raisons pour lesqueltes l'Europe a été construire, aurantje ne suis pas prêt à lâcher sur ce point: les peuples doivent être unis sur quelques points stratégiques dans la bagarre mulripolaire qui s'engage. Les peuples sont égoïstes, c'est normal. Il n'y a pas de peuple ni de gouvernement '" altruiste ». En revanche, ce qui est dangereux, c'est qu'il n'y a plus le deuxième échelon consistant à transformer les É. B. : Oui, mais elle manque aujourd'hui de toute culture internationaliste, alors que la seule réponse institutionnelle crédible à la crise se situe au niveau européen. Il ne s'agit pas de supprimer les ÉtaTs-nations. Mais comment pourrait-on réguler de façon un peu stricte l'activité des banques en Europe, si les ÉtatS agissent indépendamment les uns des autres? Comment pourrait-on donner un contenu à lïdée d'une politique budgétaire qui vienne compléter l'existence d'une monnaie commune si la puissance souveraine est toujours strictement nationale? J'admets que la notion de fédéralisme est équivoque: elle hérilC de différentes traditions et, au fond, il s'agit d'en inventer une forme nouvelle. Sans être nécessairement fédéraliste, il s'agit d'instituer un niveau de puissance publique qui soit efficace et démocratiquement légitime à l'échelle de l'Europe. H. V.: Si on appelle à des abandons de souveraineté parce qu'on se sent trop petit et fatigué au niveau national, l'Europe n'est alors que le visage de notre épuisement. Mais il y a aussi un fédéralisme d'ambition qui consistc à exercer en commun la souveraineté. É. B.: Vous accepteriez donc l'idée de souve' " LES ,EUROPÉENS N'ASPIRENT. JE LE CRAINS, QU'A DEVENIR UNE GRANDE SUISSE." H. VÉDRINE intérêts nationaux légitimcs au premier degré en intérêts communs de second degré. Les Européens ont un intérêt vital à élaborer des stratégies globales. Pas en fusionnant. Jamais l'Allemagne et la France ne seront le Dakota du Sud et le Dakota du Nord. Mais si l'Europe ne s'institue pas comme un pôle, on va se faire plumer! Je ne comprends pas que les dirigeants européens n'aient pas élaboré une stratégie commune face à la crise, et une stratégie pour le monde multipolaire plus convaincante, plus frappante. É. B.: Je ne veux pas jouer à tout prix le rôle du militant en face de l'homme d'État. Mais il faut aussi, en politique, tenir un autre langage que celui des gouvernements et de la diplomatie. Or ce qu'on raineté partagée? H_ V. : Non seulement je l'accepte, mais j'ai signé avec ce stylo plusieurs traités de souveraineté partagée, et nous la pratiquons depuis longtemps. Que l'Europe ait une vraie politique dans la bataille de la régulation, une vraie gouvernance économique de sa monnaic, une vraie politique d'", écologisation» (de ['agriculture, de l'industrie, des transports, de l'habitat, du travail), des stratégies multipolaires (face à la Chine, à la Russie) ... Pour réaliser cela, on n'a pas besoin de demander aux peuples de renonccr à leur égoïsme. Il faut seulement faire émerger les intérêts communs. La mordinal"ion des politiques économiques dans la zone euro, faite dans un esprit de délibération publique et démocratique, déclencherait une dialectique des opinions en qudques années. Mais, pour cela, il faut des gouvernements nationaux forts, capables de mettre en commun leur pouvoir, pas une mutualisation des incapacités .. '" ••• Dossier Le déclin de l'Europe ••• É. B.: Les forces cCnlrifugcs sont, étonnamment, de plus en plus puissantes. Les classes dirigeantes, en paniculicr la bourgeoisie financière, n'ont plus d'intérêt à préserver la cohérence du tissu social dans chacun des pays européens. Elles ne CfOIent plus qu'il faut faire des concessions à la classe ouvrière qui, dans le même temps, s'es! désagrégée. La coordination en vue de la régulation, il faudra donc l'imposer. Et c'est plutôt d'en bas que j'attends te sursaut, dans une forme nouvelle de populisme ou de civisme européen. Je n'appelle pas à la révolution, mais à la mobilisation des opinions et à la renaissance des mouvements socia ux, sur de nouveaux objectifs traversant les frontières. Je n'oppose pas le populisme à la souvera ineté des ÉtaIS ou des gouvernemenlS ... H. V.: Non, vous l'opposez à un élitis me a-démocratique et technocratique. Ce en quoi vous avez raison. É. B.: La question fondamentale que je me pose est celle-ci: quelles SOnt les forces avec lesquelles se fom l'histoire et la politique? Il me semble que vous avez une vision politique classique, où ce SOnt les gouvernementS, reprkentam des peuples et des nations, qui déterminem des stratégies en fonction d'un contexte géopolitique en perpétuel changement. Je pense qu'il existe d'autres forces. Sur ["Europe, fai employé le mot de .. populisme _ par provocation pour laisser entendre que les é.lites, les gouvernements, les États ne suffisem pas à représcmer les peuples, mais dans certaines circonstances n'en SOnt pas les maîtres. H. V.: Mais s'ils sont élus par ces mêmes peuples? É. B.: C'est une partie incontournable de l'idée de démoc ratie - à laquelle je ne su is pas prêt à renoncer -, mais c'en est une panic seulement. Et au niveau européen, le Parlement, bien qu'élu au suffrage universel direct, a des pouvoirs très limité.s dont il fait un usnge très restreint. De sOTI e que l'élément de dérnocrntie élective ct parlementnire, fondnmental, est extra· ordinairement fragile. H. V.: JI ne faut pas rompre le lien fragi le, mais qui subsiste, entre la construction européenne et ln démocratie. Le débat sans fin sur les institutions n'aide pas: les gens normaux n'om pas envie de vivre dans un Meccano en perpétuelle construction. LEurope CSt plus technocratique que démocratique, et les organismes de décision se som aUionomisés, aux dépens souvent du cadre démocralique. J'ai entendu des comm issaires proclamer : .. Nous sommes plw Iigirimt.S poret qUt now sommes plw efficaces! • Ce qui est doublemem contestable! Un peu de populisme à la Bali· bar contre cet esprit technocratique pourrait être tonique ... le Japon. la Russie, Israel ou le Sénégal! Il faudrait plutôt faire la liste des pays qui Ont encore vocation à entrer - une dizaine à mon avis. C'est important si l'on veut que Jes citoyens s'iden· tifient à un ensemble organisé et fixe. On ne s'identifie pas à un ensemble guzeux qui se dilate sans fin. É. H.: Pour moi, dans l'absolu, il n'y a pas de frontières à I"Europe. Elle n'a jamais été un espace clos. Le mouvement d'expansion séculaire, dont fait partie la colonisation, a entraîné une inter· pénétration mutuelle, de soTIe que l'Europe a toujours été - et sera lOujours - un currefour d'influences culturelles Cl de relutions d'inté rêt avec toutes les panics du monde. H. V. : Mais les limites territoriales, ce n'est pas la même chose. Même les EtulS·Unis en ont! Il faut bien s'arrêter quelque part, et cela n'empêche pas des relations ouvertes avec le reste du monde. Cela ne correspond plus à l'adhésion É. B.: Plus de civisme ou de populisme, c'est plus de conflits. Du conflit social, mais aussi culturel, spirituel, etc. C'est J'aspect machiavélien de ma vision de la démocratie. J'en vois bien les risques. Mais qunnd on veUl sc protége r contre le risque, on aboutit à l'anesthésie et à la coquille vide. t. B.: Du point de vue de l'idéal européen, il est Impossible de fixer des frontières. Mais je comprends qu'on puisse le fai re dans un souci pragmatique, à condition qu'on ne mobilise pas des fantasmes identitaires sous couvert de critères dits .. ration· nels _, historiques ou géographiques. La frontière politique ou admi nistrative ne peut l!tre déduite du partage cultu rel entre les héritages de la chrétienté et de l'islam. H. V.: Ce qui inquiète les peuples dans la construction européenne, c'est cet tllnrgissement qui paraît sans fin . Je pense qu'il faut que cela s'arrête quelq ue part. L:Europe ne va pas intégrer H. V.: Je me borne à dire que, lorsque l'Union européenne aura fixé S3 géogra phie de façon stable, les citoyens européens se sentiron t mieux. Ne pas le faire, c'est la noyer _ 46 Hfllembrl! zOla lIIIII"Iffo 42: pIMIoS09hil! "'CI9cnirll! L'ALLEMAGNE QUITTE LE NAVIRE L'Europe va mal, la Grèce s'enfance ... « Naus ne déclinerons pas ensemble ", rétorque l'Allemagne décomplexée. Alors que le pays s'apprête à fêter les vingt ons de sa réunification, le démon du nationalisme resurgit. provoquant un houleux débat. Voici un reportage pour prendre la température chez les intellectuels outre-Rhin. >AA C,",\UIE·Ust: IlUIS statue surplombe depuis plus d'un siècle le pon de Hambourg. Mais à la Une du Bl/dZtICUng, ce marin.là, c'est Angela Merkel, et non Otto von Bismarck, qui menace l'Europe de son épée monumentale CI de son regard de pierre. Le quotidien populaire ose la comparnison avec l'Allemagne impériale, dom les ambitions ont contribué à plonger le continent dans la guerre . ., Plus jamais les trésoriers, plus jamais les chéris de l'Europe .., indique la légende du photomontage. Au printemps, la nouvelle .. dame de fer .. de J'Union Il hésité à promettre d'aider la Grèce avant de poser des conditions drasliques à la mise en place d'un plan de sauvetage de l'euro. À l'étranger, J'altitude de Berlin est interprétée comme un manque de solidarité avemureux. Et les intellectuels du pays s'interrogem: l'Allemagne serait-elle prête à faire cavalier seul, constatant sa supériorité sur une Europe malade? Son engagemem européen, autrefois obligation morale, serail-il rendu obsolète par la sauvegarde de ses intérêts? L'Europe pourrait-elle plier sous la force de ce nouvel égolsme? L Il Une mentalité égocentrique Le philosophe Jurgen Habennas (U~ ~nctldri p, 49) s'est saisi de ces questions, prenant la plume pour dénoncer la ., nouvelle indifférence . de son pays vis-à-vis des destinées politiques de l'UE, Dans une contribution à l'hebdomadaire Die Zeir, le théoriden de l'espace public met en cause une ., rupru~ des mentalités. lisible dans l'altitude des élites allemandes, Alors qu'elles étaiem disposées, selon lui, à dépasser taule considération oppon-uniste au nom de l'idéal d'intégration, ce dernier ne légitime plus aujourd'hui aucun sacrifice, Résuhat: les vOÎsins ne peuvent plus compter sur l'Allemagne, Et I-Iabermas d'émettre l'hypothèse d'un découplage funeste entre les destinées de la République fédérale et de ses pane na ires: ., La men/alieé rgocenrrique, dépourvue d'ambition normative, de fAl/emagne, ce col~ rOI/mi sur lui-même au milieu de l'Europe, ne garan/ie même plus que /Vnion européenne sera préservée dans son vacil/ant statu quo. ,. " POUR CERTAINES ÉLITES ALLEMANDES, L'IDÉAL D'INTÉGRATION NE LÉGITIME PLUS AUJOURD'HUI AUCUN SACRIFICE. L'alarmisme du philosophe est partagé par d'aunes intellectuels d'outre-Rhin. Pour le sociologue Ulrich Beek, l'Allemagne d'Angela Merkel a bel et bien" cessé d'êrre la plus européenne des Européens ». Peter SlolCrdijk a comparé l'Union européenne à une table d'affamés où les bonnes manières se seraient perdues. Le philosophe auteur de Spll~res, a condamné notamment les simplifications faites dans la presse, appelant à la responsabilité des médias pour ne pas précipiter les opinions nationales dans le tourbillon des haines mutuelles, Sauve qui peut Si le scénario d'Habermas est jugé crédible -l'ancien ministre des Affaires étrangères, Joschka Fischer, en a prolongé l'écho -, c'esr que le navire langue, El que pour certains, il vaut mieux le quit1er avant qu'il ne coule, Ce qui semblait impensable avant la crise gw:quc est clamé haut et fort p..1r œnains universitaires. Parmi eux, l'économiste Wilhelm Hankel, qui s'est associé à ouïs collègues pour déposer plainte auprès de la Cour constiturionnelle de Karlsruhe. La. bande des quatre _, nostalgique du deutsche mark et autrefois moquée, défend SOn argument: l'Europe des transfens est contraire aux traités . .. L'AI/emagne a payé plus que cous les aUlres. Il/aur que cela cesse, car 1I0US sommes parvenus aux /imites de nos possibi/icis .. , sermonne Hankel. Chaque Etat devrait, dit-il, pourvoir à ses besoins, <Juille fi fixer ses taux de change avec des partenaires commerciaux aux finances solides. Et l'économiste d'envisager, sans élllt d'~Jlle, la dislocation de la zone curo. Aveu de faiblesse ou démonstration de force de la part d'un pays ••• Dossier Le déclin de l'Europe ANGELA MERIŒl AVEC UN El PÉE MONUMENTALE ETUN REGARD DE PIERRE À LA BI SMARCK. CE PHOTOMONTAGE AFAIT LA UNE DU BlLD-ZEfTUNG. qui a le sentiment d'avoir tant abandonné avec sa monnaie? l.es avis divergent sur l'état des partenaires. Alors qu'Habermas dénonce unc nouvelle arrogance allemande, que les chiffres des exponalions et la rela tive bonne tenue de l'emploi soni soulignés comme des marques de puissance, certains avancent que l'Allemagne serait elle-même bicn mal en point. Son refus de payer pour les autfCS tiendrait moins à la volonté de garder ses caisses pleines qu'à ses propres inqu iélUdes sur l'avenir. 11 s'agit de défendre nos retrai/es! » suggère Wilhelm Hankel da ns cc sens, invoquant la pérennité du système de protection sociale, inscrite dans la Loi fondamenta le. Ulrike Guérm, qui dirige le bureau berlinois du think tank ECFR (European Couneil of Foreign Relations) fai t une analyse semblable : " On croit l'Allemagne forte et égoïste. Elle se SC / Il faible er déçue par les autres .. , déclare·t-cllc en évoquan t les difficultés récentes de la coalition au pouvoir, la crise du système d'éduca tion, le vieillissement de la populmion. «II n)' a pas de stratégie d'abandon. C'est une politique du nolens volens .... explique la polirologue. Pour J ltrgen Habermas ou Ulrich Beek, la différence est bien là. À l'époque de Helmut Kohl, l'Europe était pour l'Allemagne un horizon, une chance permettant de sunnonter toutes les impuissances liées il III défai te et il la division. Aujourd'hui, elle ne nourrirait ni espoir ni sentiment d'obliga tion, mais constituerait avant tOUt un risque. t.:évolution des mentalités a beau être admise par la plupan des penseurs du pays, la thèse habermassienne ne fai t pas l'unanimité. On conteste en particulier le lien établi P.1T le philosophe entre la crise du printemps et l'abandon par l'A1lemagne de son idéal de dépassement de l'Etat-nation ... C'en est fini de la bonne volollté d'un peuple vaincu, y compm sur le plan moral, qui étai! contrailll à l'alllcxricique el disposé à trouver sa place dans ulle colifiguration postnatiouale"', ava nce lIabennas dans Die Zeil, relançant d'anciennes controverses struCturantes poUT le paysage inteUecruel allemand. Heinrich August Winkler est une figure centrale du dé!>.1!. L'historien a décril le " long chemin ver.5 l'Ottident " de l'AHemagne, dans un ouvrage de référence Histoire de l'Allemagne XJ)(' -XX' siècle (Fayard). Il y célèbre les réalisations de la république de Bonn 10UI en envisageant positivement la poursuite, après la réunification, du lien indéfectible de la république fédénùe à l'Europe. «Je I IC pense pas du W ill que 110US soyo,1S parvenus au bout de œlle voie, explique aujourd'hui Winkler. El les récentes lergiversations de la chance· lière? Il faur se soll\'l!lIir des crises monétaires qui Olll suivi les deuxguel'T1!$ mondiales. L'ùljlafion esl ulle hantise et 1105 gouvernementS ne peuve/1/ pas ignorer la mémoire. de l'opinion .... commente l'historien, avant d'enrreT indirectement en dialogue avec Ilabennas. Ce dernier évoque de manière critique, dans sa contribution à Die Zeit, les décisions de la cour Of _8 st'ptembre 2010 numéfo 42 ptlitosopttle mallortn!! pour les autres, pas incompatible avec les valeurs libérales el, en leur nom, l'engagement européen. La thèse du déclin ne convainc pas, du même coup, les intellectuels attachés il une version moderne de l'appartenance à la nation. Volker Kronenberg, politologue spécialiste du patriotisme, avance que «l'identification positive à l'Allemagne est redevenue possible », mais que celle-ci, loin de servir de " caralY$ateur au Ilat{/Tage (/e L'ÉPOQUE DE KOHL, L'EUROPE ÉTAIT UNE l'Europe", peut avoir un effet inverse, CHANCE DE SURMONTER LES IMPUISSANCES la conscience de soi permettant une relation plus sereine à l'autre. JanLIÉES LA DÉFAITE ET LA DIVISION. Werner Müller, professeur il Princeton, refuse également de jouer les cassandres. Auteur d'un ouvrage sur la notion de souveraineté. "L'idée de constella/ion po5tnalionale est o·historique ", commente-toi!, retraçant ainsi les lignes de partage d'un ancien désac« patriotisme consritutiormel ", développée par Dolf cord avec llabermas. Les rIOtions font l'ortie de la réalité européenne Sternberger dans les années 1970, le philosophe e/l'Allemagne ne peut pas réclamer des outTl?$ qu'iL5/'abandoll1lent, som observe une certaine" renationalisation ", mais juge qu'elle n'est pas propre il l'Allemagne et qu'eHe Ile prétexte que le nationalisme allemand a effectivemellt mené l'Europe cl risque pas d'enclencher un " roll-back de l'européala ruine. » Et l'historien de poursuivre: " L'Europe doit englober les nÎ.';ation », notamment chez les jeunes. nations, elle ne doit pas les dépa.s.5er. " Heinrich August Winkler, lui aussi, sc distancie du pessimisme habermassien. La crise déclenchée par la L'jdentification « positive » Grèce consti tuerai t une chance bien plus qu'une Ceux qui mettent en doute l'alarmismc habennassien sont, dans J'enimpasse: « On voit poinclre une opinionl'ubliqtU! eurosemble, moins inquiets de voir la nation allemande retrouver une certaine assurance. Celle-ci était devenue, au sortÎT de la guerre, un impospéenne, url deÎxlf sur la politique intérieure de /Union. " Pour l'animer, l'historien compte sur ses pairs." Notre sible ordre de référence, discrédité par le nazisme et rendu impraticable devoir est de raconter commelll le nationalisme allepar la guerre froide. Mais la réunificmion a fai t perdre à la nouvelle mand Il rondui! l'Europe au chaos. Et commem l'attarépublique ce besoin de sc définir, selon la formule de K1r1 Dietrich c1wment aux l'aleurs occidentalc$ de notre colltincln Bracher, comme" un État posmatiollal panl1i les États-nations ". Ce que Habcnnas voit depuis des décen nies d'un mauvais œil n'est pourtant, pennee non la confrontation moi5 la coopération. " . constitutionnelle allemande relatives au trai té de Lisbonne, les jugeant symptommique d'un nouvel égocentrisme. J leinrich August Wi nkler, au tomI<lire, salue la manière dont les juges onl réaffirmé la souveraineté des Parlements nationaux: "On nefera pa$I'ElJrope dan$le (/os des peuples. " Derrière cette analyse sc dessine une posture favorable il l'idée d'État-nation, dans une fonne qu'il appelle" postclassique ", c'est-il-dire capable de rransférer certains éléments de sa " À À À JÜRGEN HABERMAS OU LE « PATRIOTISME POSTNATIONAL » JUrgen Habermas est une figure de paids sur la scène intellectuelle allemande. Ce philosophe et sociologue. né en 1929. s'est imposé dès le début des années 1950 en récusant publiquement 1" Introduction à la métaphY5iqueQue Martin Heidegger venait de taire poraitre. I"accusant de vouloir réhabiliter le national-socialisme. Ses livres. dont Théorie de rogircommunicorionnef (1981) ou L 'É/hique de fa discu5sion (1991) sont traduits et commentés dons le monde entier. Habermas, qui a débuté sa carrière dons le giron de I"tcole de Francfort, auprès de Theodor W. Adorno et de Max Horkheimer. se revendique d·une filiation avec la pensée d'Emmanuei Kant, prolongeant son éthique exigeante pour foire face CI la violence et CI l"injustice. Or sa pensée s'est mesurée aux grands défis de l'Allemagne postnazie. En se demandant sur Quoi fonder l"identité collective dons un pays marqué par les atrocités de I"Holocauste. divisé entre RFA et RDA. Habermas 0 discuté la pertinence d·un patriotisme dit" con5tirutionnel». lïdée, élaborée pour la première fois dons les années 1970 par le philosophe Oolf Sternberger, consistait à imaginer une fidélité èt un ordre politique immunisée contre le risque nationaliste. Au+delèt d'un attachement civique aux voleurs inscrites dons la loi fon damentale, Habermas entend scinder démocratie et appartenance il la notion. «le lien créé entreethnas etdemas n'était qu'un p05sage. NaÎ5 du point de vue conceptuel. la citoyenneté était toujours déjà indépendante de l'identité nationale. » ttre attaché il la démocratie. aux libertés Qu'elle offre. aUK mécanismes de délibération des lois qu'elle met en œuvre : voilà I"harizan dans lequel devraient se projeter des individus, au lieu de s'attacher à un sol, èt un drapeau, èt des coutumes. à un pathos identitaire Qui ne font que les enfoncer dons le particularisme et encouragent la haine de I"autre. Habermas pense que les citoyens peuvent avoir envie d·appartenir à une communauté politique. en tant Que celle+cÎ estlandée sur des principes universels contenus dons une constitution démocratique. le patriotisme canstitulionnel. lié ou contexte politique allemand de foprés-guerre, se propose en outre de résoudre deux grands défis de notre temps : d·abard. l"intégration des minorités - puisqu'il suffit Que les membres de ces minorités partagent l'éthique de la démocratie pour intégrer de plein droit la communauté; puis la construction européenne. Habermas défend donc cette construction mentale étrange. le patriotisme pastnalianal: nous outres Européens pouvons être attachés CI des institutions et il des droits nauveaUK. comme la Cour européenne de justice, la monnaie unique ou la liberté de circulation sur I"ensemble du continent sans ê tre pour aUlOnt nationalistes. Cest une situation neuve, que les dirigeants politiques actuels risquent de gâcher en renouant. face il la crise. avec de vieux réflexes d'égoïsme et de populisme électoral. '" Dossier Le déclin de l'Europe UAND L'EUROPE , S'EVEILLERA Pessimistes. les philosophes 7 Ils préfèrent plutôt penser de nouveaux futurs pour l'Europe. Tour d'horizon en six propositions. PAR MAR'I'L.~ DURU. MIO'..]. t:I.TCJtA.\'1NOt'F lT P1I11J""; NAS.'i1t' 1/ l 'empire du Bien '" Mal nomm('f les choses, c'est ajouter au malheur du monde _: c'est bien la remarque d'Alben Camus qui vient à l'esprit de œnains lorsqu'ils entendent le mot", déclJdcnœ .., Le philosophe Peter Sloterdijk '*. p.1r exemple, avec son an détendu du retournement, réplique: '" Ln dicadenœ? Ce nut qu'un faux mOl pourdisigner un éral de civilisation /rù avancée... Autrement dit? Il serait temps pour les (:onsciences européennes de comprendre que l'expres. sion" Vieux Continent .. n'est P.1S seulement synonyme de .. croulnnl ". mais est aussi le signe d'un privilège historique.' l'Europe est parvenue aujourd'hui au (enne d'un long roman d'initiation. Elle a connu l'orgueil de J'essor impérial Ion; des temps modernes, sa Slolerdijk, si des hommes politiques surgissent, qui s..1chent proposer une version moderne de • la fonction prophitiqur de l'intelligence ... II s'agit donc de voir grand: une authentique politique européenne. doit être en mesure de dire en quoi consistent les ulIClntages qui justifient le droit qu'a l'Europe de remporter des succès au cours des siMes à wnir., écrit Slolerdijk. Et quels succès viserait-elle? ft L'Europe sem le séminaire ori les gens apprennent à réfléchir au-delà de l'Empire . ... 11 s'agit donc de s'ouvrir aux forces qui sont fi l'œuvre derrière les faiblesses apparenles de l'Europe: d'initier une étape postdécadente. Car si t'Europe a toujours été animée par une volonté de .. rejouer .. l'Empire romai n, il lui appart ient chute brutale avec la Seconde Guerre NOUS NE POUVONS QUE TOMBER mondiale, son humiliante provincialisaEN AVANT : VERS UN ÉTAT OE CIVILISATION rion durant une guerre froide opposant ENCOR ~ PLUS ÉLEVÉ. PLUS SOPHISTIQUÉ, les nouveaux emprres américain et soviéPLUS OEVELOPPÉ ..." P. SLOTEROIJK tique. C'est ainsi que l'Europe s'acclimate depuis plus de soixante ans à une nouvelle ère posthérolQue. D'abord dans une atmosphère d~ aujourd1mi de provoquer une métamorphose de 1'M:Jée même rude : la seconde moitié du ~ siècle, souligne Sloterdijk dans d'empire... N'est-il pas br~n ~uropien de surprendre le monde son CS&1i Si rEuroPf!s'éveille (Mille ct Une Nuits), est une ère par la nouveau/é?,. Aux nouvelles générations, donc, d'imade I·absence. Elle promeut une idéologie du vide - en gros, giner une forme politique inédite qui - .. au-dessus des ltaul'hédonisme excité. Et elle limite la coopération européenne na/ions, av« les teau·natrons .. - s'imposerait comme une - du traité de III CECA fi Mansuicht - à des ambitions plate- .. fédéra/ion mllltinarionale .. animée par une fil philosophi~ ment économiques. Mais, depuis l'effondrement de l'URSS, JXJSrimpérialisle.: une reprise de la fil fonnulation des droiu depuis la tragédie de Saraje\lO, face fi laquelle les pays euro- de l'homme ... rétive fi fil tout~ espia de mépris ... Ce n'est pas péen.~ se sont montrés impuissants, depuis la mise en crise de tOut. Dans son réœOl CoI~re et temps (Maren SeU), Sloterdijk l'empire américain, rEurope est appelée fi retrouver un rôle constate l'émission d'un nouveau mandat symbolique pour de premier plan sur la scène de l'HislOire. Du moins, pré<.ise l'Europe: l'avènement d·un .. capitalisme de la générosité ". Il " 50 1 .eplembr", Z0 10 1 lI\Omb"o AZ 1 pIIlloiOpllMl mogazin.ll! i L fail ainsi écho à ceux qui, comme Bernard Sliegler ou Yann Moulier+BoUlang en France, théorisent une nouvelle. iconoml~ tk la contribution» capable de répondre aux défis de notre à la crise économi<lue. Et c'est ainsi que la .. vieille .. Europe, moquée par le conseiller de George Bush, Donald Rumsfeld, pourrait, depuis sa maturité nouvelle, enrichir le processus de temps: $unnOnlcr la menace écologique, assumer le basculement vers une économie de l'immatériel et redonner une priorité au bonheur - cette idée toujours neuve en Europeplutôt qu'à la croissance économique. Tels sont les enjeux que seule une sociét~ d'abondance posnnachislC (ce qui exclut les ÊtalS-Unis et le Japon) est en mesure d'expérimemer. De même, nous serions sans doute bien inspirés de prêter l'oreille aux arguments des militants de la décroissance qui gagnent toujours plus d'adeptes du CÔté de la gauche radicale. Car, là aussi, malgré les limites - la vic à vélo et les maisons en paille -, il s'agit bien de la même logique de retournement: sonir de la .. décroissance subie'" en choisissant une ft décroissance cOllduile », Bref, découvrir la venu - " /0 50briété volontaire .. - que recèle la nécessité - survivre civilisation de possibilités d'exislenœ. Loin don<: de IOUle idée de décadence; car .. nOf~ chute, cest le progrts, nous confie SIOfcrdijk. Now ne pouvons que tOmœr en avant : vers un état de civillS{ltjOllencorl! plw BM, plw sophisciqui, plw diveloppi. ven des technologies plus explicites et dd savoirs plus articulés.. Ln ,hUle de Rome était un fait loologique: iconomiquemenr et démographiquement, les Romains itaient au bout de leurs moyeru. Mais nous, Modernes, ne sommes jamais au bout de nos moyens. Nom sommes toujours au commenumenf. Nous ne pouvons que trouver de nouvooux moyens. .. El cela commence par une décision sur les moIS: el si plutôt que de décadence, on se mettait à parler de sagesse? PH. N. • AUleUl' nolOmmenl de Th«NiIt des tIfN~·fJUf!frt!J. rf!t'l>fJrqlNl sur ~s rPIDtiol'l$ fronco- ~ depuis 19~5(Hofen Sel). • •• '" Dossier . . 2/ Le déclin de l'Europe le voie créole L'Europe décline? 50 whac? Il ne faut pas le craindre ou s'en plaindre, car c'est peul-être pour elle une chance de renaître différemment. Le postulat est simple: la donne a changé. Regardons autour de nous: le monde n'est plus unejuxmposition de continents cloisonnés, mais un réseau d'archipels en incessante communication. L'heure est aux flux, aux hybridations multiples, au grand métissage qui sape les identités closes. Les frontières? Havebeen. Cette vision est portée parœrtains penseurs poslcoloniaux, notamment l'essayiste et poète français Édoua rd Glissant ", originaire de la Martinique, qui p."lJ'le du . Touemonde ... Nous sommes, selon lui, engagés dans un processus de .. créolisa tian ", c'est-à-dire de mise en relation, d' ... emmêlement ,. des diversités linguistiques et culturelles. Ce processus doit s'aecompagner d'une éthique de l'ouverture à J'autre dans sa différence, en ce qu'elle m'enrichit et me transfonne « satU me dénatufl!r,.. Or la dynamique vaut pour l'Europe. Si elle diffuse li l'échelle planétaire ses savoirs et ses mooèles d'organisation économique et politique (il y a un mondeEurope), elle se nourrit aussi des cultures dispmates qu'elle agglomère en son sein (il y a une Europe-monde). Dans son essai Altérilés de l'Europe (Galilée), le philosophe Marc Crépon refuse vigoureusement de chercher une quelconque identité européenne du cÔté de ses 3/ Prépore 10 guerre! L:Europc du XXI' siècle sera conquérante, ou ne sera pas. Devant le déclin de son aura sur la scène internationale, la meilleure défense, c'est encore l'allaque_ En 2003, dans un contexte marqué par la guerre en Irak, Robert Kagan *, l'un des chefs de file des néoconservateurs américains, publie La PUis.ça/lce cc la faiblesse (Plon). Il constate l'existence d'un gouffre entre I"Europe et les Etats-Unis en matière de relations internationales. La première se méfie de l'emploi de la force et ne jure que par le droit et le soft power: elle est kantienne. Les seconds imposent leur vision du monde, avec foi mais sans loi, tels des " IL FAUT NOUS JETER DANS OU PÉRIR." P. BRUCKNER loups: ils sont hobbesiens. Ainsi, « les Américains som ries Marliens el les Européens des Vénusiens". Une fatalité? Non, proclament cenains intellectuels français très critiques à l'égard de l'irénisme européen. Toujours en 2003 , les philosophes André Glucksmann et Pascal Bruckner soutienncnl publiquement l'intervention américaine en Irak, avec ce mot d'ordre: .. Saddam doit parlir, de gré ou de force 1.. Ils panicipent trois ans plus tard à la création de la revue Le Meilleur des mondes, qui dès son premier éditorial stigmatisme aussi bien l'américanophobie que" /'wlgélisme pacifiste" français. Pascal Bruckner prolonge seul l'offensive dans Ù1 7)trullllie 52 l ,"'pt",mbr", 2010 nl.>fMro 42 philosophÎl!! magcn ln<l .. hYPOlilétiques racines et origûles ,. grecques et chrétiennes - récusant au passage un Jean-Pierre Mattéi et s'aniram ses foudres (lire ci· «mtre). Pour Marc Crépon, influencé par Derrida, l'identité ne renvoie pas 11 un hérilage supposé propre, mais 11 un «tissu de relatioltS" singulier. En l'occurrence, l'Europe se définît par une double altérité, au sens d'une double interaction: d'un côté, les différents peuples européens n'ont cessé d'échanger leurs pnxiuits et de rraduire leurs œuvres respectives. Oc l'amI"e, l'Europe a [Qujours" composé" avec le reste du monde, proche ou lointain, sonant d'elle-même pour évoluer, se différencier continûment. Et aujourd'hui? .. l/faut /'EII~ rape "'. nous dit Man:: Crépon, Co1r précisément elle Încarne - peut et doil incarner -le principe de cette " ollvemm~ "', de cette « disponibiliré ci l'alrérité ". En d'autreS teones, sa prontesse d'avenir consisterait non seulement à être le renet, mais à devenir le phare d'un multiculturnlisme ouvert, fondé sur la reconnaiss..1nce inconditionnelle de la diversité et de ses brassages. Les sceptiques y venom une belle utopie, tout juste bonne à promouvoir les séjours étudiants Emsmus, mais c'est peUl-êlre pour l'Europe une chance de Illomrerqu'à rebours de la course à la puissance Ct des volontés d'unifonnismion (en un mOt, d'un néocolonialisme altérophage), une autre géopolitique de la mondialisation est possible. M. O. • A... te .... de Philosophie dela,eIa/1Of! ~sleen é/endll1!'(Gollimtlrd. 2009). de la pé.nitence (Livre de poche): selon lui, il est grand temps que l'Europe cesse d'expier pour ses crimes passés (de l'esclavage au nazisme), avec une honte de soi confinant au masochisme nombriliste. Engluée dans le devoir de mémoire, elle se montre attentiste, ct finalement impuissante devant les menaces du présent. Pour faire le ménage sur la planète, e11e s'en remet à un shérif américain certes volontariste, mais capable de dérives comme" /"usage abjecr de la tOnure .. à Abou Ghraib. Trêve d'immobilisme: .. JI faur nOliS jeter dans la mêlée ou périr. ,. Concrètement: « l.. 'Europe devrait au moiltS coo,.donner .çes capacités stratégiques et se doter d'un pâle de puissalice militaire apte ci pallier les insuffisances américaines. » Pour faire contrepoids, l'Europe doit être créLA MÊLÉE dible, donc f< craime .. , et ne pas hésiter à .. poimer l'ennemi du doigt .. en un geste schmit· rien (pour le juriste et philosophe allemand Gari Schmilt, la disoimination .. amiennemi" est constitutive du politique). Or les ennemis ne manquent pas, pour Pascal Bruckner; cenains SOn! même à nos pones: le fondamentalisme islamiste, la "Rllssie amocralique ,. de Poutine, l'Iran d'Ahmadinejad ... Contre les .. forces de ln tyra/mie "', ilU nom du «reS/}eCl des principes", humanistes et démocratiques, l'Europe doil résolument s'affirmer comme .. la boussole morale de la planète ..... quine à devenir aussi man.ie:nne et maniale que les Êtats-Unis de la présidence Bush. M. D. ' AUtC\Jr égolemenl d\ll1el'er5delopulssona(~ Pluriel". Hochelle Ulltltolures. 2006). 4/ • le « coming out » chrétien Vous en reprendrez bicn une louche: après le débat controversé sur l'identité nationale, une mise au pomt s'impose sur l'identité européenne. Définir et revendiquer la spécificité de J'Europe est la seule voie du renouveau. El celte Quête d'un pallimoine commun s'accompagne d'un geste de délimil3tion des frontières désirables de l'Europe. Cene ambidon sc décline en deux argurncnmires possibles, qui abomissent parfois aux mêmes proposirions concrètes. La première posirion consiste fi défendre mordicils l'idée d'un noyau dur de nature culturelle ct religieuse. CADN européen est grec et chrétien. Pour Jeun-François M:m éi·, spécialiste de Heidegger, l'oubli de cene double racine est la source du malaise CI du déclin de l'Europe. Elle renie ses origines, clic se coupe de son .. âme .., qui tient à la fois !lU" SQllci" qu'clle a de la vérité (le regard théorique et critique sur le monde, issu des Crees) et nu privilège qu'elle accorde à .. la communauté en MJjwria" (la \'isée platonicienne du Bien, reprise P.1r le chrislianisme). L:ouvrage collectif que Jean-François Manéi a récemment codirigé avec la philosophe Chantal Oe.lsol, ullirulé L'Identit é de /"Europe (PUF) - sans point d'interrogation, donc renouvelle le credo avec militantisme: conne le flagrant déni de soi-même, l'Europe doit se réapproprier et assumer son hérirage pluriséculaire, qui constitue son essence. Dans cene perspective, la décision de retirer la mention des .. racines chrétiennes ,. de l'Europe d:lns le projet de Constitution de l'Union européenne de 2005 est une hérésie. Crispation identitaiœ à tendance néoréaction naire? Certains contributeurs de l'ouvrage vont très loin, ainsi Philippe Nemo: Jt! ~ t!n Ih~ qut! la négation des racines chtif( tiennes lit! /'Europe a qutlqut! chOSt! d'analogue à a qu 'on appellt! lt! rél'isIOllnisme oU It! IItgatiO/misme, c'est-à-dire la négation de la réalité dl.' la Shoah .. Slins toujours lItieindre de telles extrémités nauséabondes, la ligne de force est claire: l'Europe doit marquer son territoire spirituel, se différencier p.1cifiquement mais fermement de l'Islam, par exemple ... fI n'I!XÛle pas d'identité sans une séparalioll préalable, dé/irlIItaru desfronrières que porte le 1I0m [d'Europe] ,., selon Chantal Oe.lsol. Suivez le regard, il mène ou plutôt s'arrête li Istanbul. La seconde position lldopte une optique nettement différente. Elle partage certes le constat d'une déshérence de l'Europe (la posture .. déclùlOlogiqu~ .. ) et soutient que celle-ci est porteuse d'un sens détenniné, aujourd'hui occulté, Cependant, dans sa recherche du propre perdu, elle n'insi!;te pas sur la dimension culturelle et religieuse, mais sur la singularité politique de l'Europe. Soit le philosophe Pie rre Mane nt ··, qui Il travaillé sur l'histoire du libéralisme : il ne recourt guère! la rhétorique de l'idelltité rulturelle,. et aurait plutôt tcndance à s'en métier, Néanmoins, il estime que l'Europe .. signifie quelqu~ chose., bel CI: bien: eUe CSI: notamment, et surtout, le foyer d'une innovation historique et politique, à savoir l'État. nation. Cene fonne Il pour caractéristique de produire de J'unité CI dc la responsabilité, de donner à un peuple un horizon commun. A ses débuts, la Communauté européenne se laissait concevoir comme un assemblage d'États-nations autrefois déchirés, prélude à l'avènement d'une conscience européenne. Or, selon Pierre Manent, l'Europe s'est dévoyée: d'une P.1rt, J'économique a pris le pas sur le politique, llVec l'instauration du marché commun et l'uni· ficmion monémirc. [)'alHrc part, la logi(IUe d'élargissement a tourné à .. lm processus aveugle d'extension indéfinie ... L'Europe CSI devenue une .. finaUté salLsfill" CI la Communauté européenne n'a désormais de communautaire que le nom - une coquille vide. Le remède réside dans un changement de cap, qui est un retour aux fondamentaux: il fllut llppuyer la reconquête sur les États-nations, les fédérer à nouveau (pour une perspecrive semblable, lire p. 42 le dialogue el!lre &ielllle Balibar et fluben Védrille, pour qwle sens du projet europém dOIt demeurer celui d'ulle,Mlirarion dDor.s·nations) et (ré)amorcer la construction d'un corps politique européen. Comme tOUt corps, celui-ci devra avoirdcs proportions identifiables et identifiées: partant d'une conception de la frontière comme .. limite spirituel/t! qui rradull une décisioll sl'Inwelle ... Pierre Manent se prononce ainsi pour ne pas recevoir la Turquie,. dans rUE. Ce paru pris sejustifie par des considérations d'ordre stratégique: l'Europe risquerait de dcvenir Ingouvernable - et cesserait donc d'être un corps unifié-, si elle s'étendait à une .. nanan mwulmon~ ,. elle-même porteuse de choix de société propres. Le refus de l'intégration de la Thrquie sc (ait nu nom, III encore, d'un projel politique et d'une approche réaliste de la religion, Si elle veut être viable, il s'agit pour l'Europe de sc fabriquer une nouvelle carte d'identité. H. D. f( f( • AI/leur, ,""ue out/es. du Rrp4ld 1IPde. flSDi wr r~t dt-Iu culture ftJI'~lflamnl(NlOn.lOO71. COUfS Iom/IJ« dephllo!>lJphlepohoque(. TeI_, G<lOimu.d, lOOAI el LaRniJon des na/'ons. RII/exions sur /atMmocralie f'f! EuropPlualilmanl. l006) •• AI/leuf dl/ " ••• Dossier Le déclin de l'Europe . . 5/ L'hypothèse rouge Qui a dit que les communistes étaient des opposants à l'Europe? Leurs têtes pensantes considèrent au contraire la construction européenne comme ce qui permettra, face au capitalisme mon- dialisé, de recréer du commun. Antonio Negri · , théoricien de j'altermondialisme et rénovateur, grâce aux nmions d '", empire .. et de« multitude. ." du projet marxiste, a même appelé, en 2005, à voter pour le projet de Traité constitutionnel européen. Quelques années plus tôt, il écrivait que ni les États-Unis ni les groupes capitalistes attachés à l'Étatnation n'om intérêt à la construction politique européenne. En revanche, le nouveau prolétariat, tous ces individus ven- dant leurs corps, leur temps et leurs idées, isolés les uns des autreS, dénués de sentiment d'appanenance de classe, a tout il gagner il " la recherche d'un espace adéquat à la puissance de la nouvelle constitution du prolétariat" qui puisse lutter de manière efficace comre la mondialisation libérale. J.:Europe représente, selon Negri, le moyen terme idéal emre le tout de la globalisation capitaliste et la localisation dispersée et faible de la " résistan ce prolétaire ". Bref, donner une dimension européenne aux luttes permettrait de déborder l'Êtat-nation et de créer un espace politique il la mesure des combats sociaux il venir. Fédéraliste, incluant les pays de l'Est, Russ ie comprise, l'Europe pourrait devenir, selon Negri, le fer de lance de l'opposition il l'Empire, ainsi qu'il nomme l'impérialisme du XXI" siècle. Alam Badiou, théoricien du L"Offimunisme, va plus loin encore. Fier de sa fidélité il l'idée d'internationalisme, il prône un univers..1..Iisme intégral, hérité de l'apôtre Paul qui écrivait qu'« il n y a plus IIi Juif IIi Cr·ec ", et réaffirmé par les représentants de la pensée progressiste. J.:Êtat-nation est, d'aprè! le philosophe, responsable du colonialisme, de la guerre, de la tyrannie, de toutes les tragédies de l'histoire contemporaine. Le cadre natic)nal est provisoire et dépassable - même s'il ne précise guère comment. Seule l'attirude qui consiste il nier son appanenance nationale au nom d'une idée applicable toujours et partout -le communisme, par exemple - est digne d'être encouragée. À partir d'un présupposé aussi simple, il n'est pas difficile pour Alain Badiou de critiquer la construction européenne actuellement menée. " Bâclée, à la remorque de la décadence américaine ", avance-t-il dans son Explication avec Alain Finkielkraut (Lignes) , très att,lché, lui, il l"héritage national. LEurope doit se bâtir radicalement. Badiou propose ainsi la formule" d·une fusion franco-allemande, quiferait émerger un rype de puissallce comparable cl celles en voie de coruriO/rion daru le monde contemporain, la Chine, l'Inde, le Brésil, ct qui, en même temps, préserverait l'héritage intellectlle~ philosophique, scientifique, anùrique qui est le nôtre.» (L'Explication.) Une utopie? Certainement pas, répond Badiou, fidèle à sa mé[hode: une hypothèse, une idée régulatrice qui doit permettre d'orienter l"action. Les deux grandes figures de l'extrême g;mche participent, avec notamment S!avoj Ziiek, fi des conférences sur l'idée communiste. De Londres en 2009 fi Berlin cette année, ils tentent de regrouper toures les initiatives alliant communisme et Europe. Pour eux, le spectre du communisme hante toujours l'Europe. M. E. • AUleur nOlommenl d·/nventer le commun df'S hommf's (Boyord. 2010) . 54 I l eple mbre 2010 1 numéro42 1 philosophie mll911zi ne 6/ Esprit sans frontières Et si nous cessions d'avoir honte ce que nous avons inventé de meilleur? Les droits de l'homme, l'égalité, la liberté, la responsabilité, l"autonomie, la tolérance, la rationalité - autant de nonnes qui dirigent depuis plusieurs siècles, malgré les tragédies, l"histoire de l'Europe. Dans les années 1930, face il une crise existentielle qui ressemble à celle que nous traversons, une voix s'était élevée pour rappeler aux Européens l'unique principe qui les relie entre eux, mais aussi à leur passé et à leur destin. C'était celle, sobre et rigoureuse, d'Edmund Husserl , le fondateur du mouvement phénoménologique. lenu à l'écart de la vie académique allemande il cause de ses origines juives, il prononce il Vienne et à Prague, au cœur d'un continent encore à peu près libre, des conférences sur « la crise de l'humanité européenne et la philosophie ,, *. Il y réaffirme, contre les sectateurs nazis ou staliniens de «l'homme nouveau ", emplis d'irrationnel ou déterminés par les prétendues lois de la race et de l"histoire, les valeurs fondamentales de l'Europe. Lesquelles? lout simplement l'exigence de rationalité née avec la philosophie grecque et considérée comme une tâche infinie, une finalité toujours poursuivie Ct jamais atteinte. Prendre de la distance vis-à-vis de ses habitudes et de ses préjugés, comprendre la toralité du monde sans en avoir une vision mécanisre ou scientiste, contribue à faire émerger une attltude spirituelle européenne, Aujourd'hui, un essayiste comme Jo rge Semprun perpétue cette idée. Grand témoin du XX" siècle, il montre que l'esprit européen, épris de rationalité, ne peut se passer de la démocratie, (ondée sur la capacité à prendre du recul par rappon à ses propres positions dans le cadre de la discussion collective, Dans son dernier essai, U"~ Tombe au creux dt!$ nuages (Climats), il explique que l'appel de Husserl a dû passer par l'épreuve de la lutte contre le nazisme et par la résisInnee au staliniSme pour s'incarner dans un projet d'Europe démocratique. I:Europe ne doit donc pas se penscr comme unc puissance appuyée sur une identité helléno-judéo-<:hrétienne ou encore sur la volonté de se poser en s'opposam aux autres fi civilisations _, Elle est elle-même lorsqu'clle échappe à la logique de la guerre de tOuS contre tous pour affinner J'idéal démocratique et cosmopolitiq ue formalisé p..1r Kant à lu fin du siècle des Lumières. D:ms son opuscule Vers la paix perpiwelle, le philosophe montre que le recul progressif du despotisme ouvre la voic à un nouvel étage des droits humains, qui dép.1Sscnt le cadre mllional Ct visent à protéger l'individu où qu'il se trouve. Celte voie cosmopolitique signifie deux choses: la consolidation et l'approfondissement de ce que le philosophe Jean-Marc Ferry" appelle un droit postnational, comme la possibilité de s'installer duns n'impone quel pays européen et de panicipcr à S.1 vic politique, ou encon!: celle de ~ valoir ses droits auprès de IllE. même comre son propre Etat. Ensuite, J'idée selon laquelle J'Europe n'a aurone aurre frontière que la démocrntie. Elle peut intégrer des pays à la limite de son continent, voire de proches voisins, à condition qu'ils adoptent ces principes démocratlques et rationnels. Ukraine, Thrquie, caucase? Pourquoi pas, tant l'Europe ne doit p.u cramdre de réaffirmer ses propres prindpes fondateurs, qui SOnt moins terrilOriaux qu'universels, Acette condition, elle ne représentera plus une puissance à la traîne des autreS, mais sera un modèle, fondé sur la démocratie et la rationalité, destiné à css..1imer dans le monde entier. M. L 'e La Cd", di! t'humon.t6 lM~nne el Jo philMophlt! _ Îfl La Cnnfts SC/ef!Cef eur~~s et la ~ troruœrldotltol<'. d'Edmund Hu~serl (e Tel _. GoIhmord) ,. Aure... ~Irt (tUtres. de La /llpub/lqcJecrlpuJcukWe Comprendre Je PfDftt _ophn in S~~ (osmopoloU(O (CerI) " Dossier Le déclin de l'Europe EXTENSION DU DO~ Il Ya un quart de siècle, le cinéaste Denys Arcond réalisait Le Déclin de l'empire américain. moquant férocement le vain hédonisme de ses compatriotes québécois. L'heure de l'Europe aurait-elle sonné 7 Entrons~nous dans râge des ténèbres? !1IOI~* HfTFnLlIS l',\H NORM,\l\1} BAIU.ARGEOX 'essor d'une civilisation ne tient pas la sa seule pUÎssnnce matérielle ou militaire , mais repose d'abord sur l'état d'esprit des individus, leur Tappon la la vic et à la mon, au sexe el à J'amour, au [r,1Vail ou à J'éducation des enfants. Telle éta it la thèse du Déc/il\ de l'empire américain, du cinéaste québécois Denys Arcand, un film drôle CI profond (Prix imemational de la critique à Cannes en 1986). Les Nord-Américains, bénéficiant d'une sécurité et d'un conron matériel sans précédent, om abandonné les idéaux ascétiques, moraux ou religieux Il l'origine de leur empire, au profit d'un individualisme et d'un hédonisme angoissés, Il reprend ces thèmes dans Les Invasiam barbares (Prix du Meilleur Scénario à Cannes 2003 et Ac.1demy Awards du meilleur film en langue étrangère) et dans L~e des ténèbres (2007). J.:Amérique d'après le Il Septembre, confrontée au terrorisme et à la concurrence des pays emergents, a réinvesti l'idée d'une mission civilisatrice. Elle accuse la vieille Europe d'êrre en proie au déclin. Ce contexte nOLIs a " incité à interroger Denys Arcand qui, avant de se lancer dans le cinéma, a étudié J'histoire - d'où son penchant à inscrire la description des mœurs dans le devenir des civilisations. Le regard amer qu'il jetle sur ses concitoyens vaut-il également pour nous autres, Européens? De quel mal sou ffrons-nous derrière notre conrort? N'y a-t-il aucun remède? Avec humour et modestie, il nous livre le fond de son inquiétude. L Philosophie magazine : Depuis Le Confort e t J'indIfférence, jusqu'aux Invasions barbares en passant par Le Déc/in de fempire américain, vous brossez le très sombre portrait d'un mande où luxe et abondance soutiennent le triomphe des plaisirs égoïstes el médiocres, celui de lïndividualisme et de la veulerie morole. Comment en êtes-vous arrivé 0 ce terrifia nt constat ? Denys Arcand : Le Confon er l'indifférence, que vous citez, aborde une problématique spécifiquement québécoise: cc film est né de ma consternation face au manque de hauteur que j'observais dans les débats entourant le référendum sur l'indépendance du Québec. DébrllS qui ponaient essentiellement sur des inquiétudes quant au maintien d'un niveau de confort matériel et qui se tena ient dans une presque complète indifférence pour des enjeux d'une certaine élévation, comme "avenir d'une nation. Ces thèmes SOnt repris avec d'autres et approfondis dans Le Déclin de l'empire 8méric;,in, un titre inspiré du célèbre ouvrage d'Edward Gibbon, Histoire. du déclin et de la chute de f"Empire romain LES EMPIRES EUROPÉENS ONT SUBI, AU XX' SIÈCLE, DES CATASTROPHES TELLES QU'ON NE S'EN REMET PAS. " d'Occidenr. La plupan des personnages sont d'ailleurs reliés au département d'histoire de l"université - qu'ils soient professeurs, doclOrantS ou étudiams, Une préoccupation typique d'historiens est de se demander comment l'époque dans laquelle ils vivent sera perçue plus tard. 11 m'esr apparu que ce qui caractérise la fin du XX' siècle, ct certainement aussi le début du XXI' , c'est le déclin de l'empire américain, c'est-à-dire la désintégration des idéaux que les États-Unis ont représentés et incarnés durant le ~ siècle et jusque dans la première moitié du XX< siècle. Comment décriviez-vous ce déclin dons le film? Je veux d'abord souligner que parler de déclin est toujours risqué, puisqu'on court dès lors le risque de se voir accusé d'adopter une position moralismrice et de s'indigner, en posture de conservateur, au nom d'anciennes valeurs : ce n'est p.."\S mon cas, Il s'agissait plutôt de poser un diagnostic, de 56 1 septembre ZOIO numéro 4Z t pIIilosophie mllglltine 1AINE DE LA CHUTE Rockefeller li s'agenouiller devant son pasteur, li demander pardon, li aider les pauvres ct à créer des fondations. Sur ce plan, je suis un disciple inconditionnel de Fernand Brnudel, qui a soutenu une idée similailt'. Et je ne crois absolument pas en la viabilité de ces règles éthiques que les gouvernements re11le nt d'instaurer pour freiner le déploiement du capitalis me. ( e tte situatio n Que vo us décrIVez pour l' Amé rique du Nord vous paroit·elle préva loir pour l'Euro pe ? Tout à fail. Pour moi, les I!l:tts-Unis d'Amérique sont le dernier avatar de la civilisation européennc - laquelle est en plein déclin depuis les XVIII" CI XIX" siècles, et s'y est paniellcment réincarnée. Les Pères fondllleurs des ÉtaIS-Unis sont d'ailleurs des fils des Lumières: cc som des disciples de Rousseau, des encyclopédistes ou encore de Goethe; le pays nouveau qu'ils ont fondé J'était sur les valeurs européennes dom ils ont en quelque sone pris la relève. Sur le plan de la civilisation, ]'Europe vit exactement la même désintégration; li cel égard, je ne fais aucune dist inction entre les États-Unis CI l'Europe, sinon pour rappeler que les empires européens On! de surcroît subi de telles catastrophes durant le XX" siè<:le qu'on ne s'en remet pas. Après deux guerres mond ia les, a près Ausc hwitz et le Goulag, il n'y a plus rien sur le plun des idées c t de la civilisation. Vos film s aborde nt la désintégra tion de la civilisation cl partir d' une pe rs pective eXistentielle, e t plus pani· culiè re me nt par le biais de not re ra pport cl la mort. En décrire un érnt de désintégration de la société observable un peu panout Cl semblable par ses causes (le luxe et le ronron) et ses effetS (le pain CI les jeux) à ce qui avait été le cas dans l"Empire romain. J'y abordais unc thématique importante qui était la dISparition de ce Dieu autrefois posé comme Celui devant lequel chacun de nous émit destiné à comparaître cette idée émnl au fondement de la civilisation occidentale, en Europe comme en Amérique. Le phénomène qui s'ensuit est à la fois insidieux ct invasif, et il affecte toutes les facettes de la vie sociale, comme p.1r exemple j'économie. Le sauvage capitalisme actuel, dont on se plaint en en proclamant la nouveauté, est, par sa recherche de profits maximaux, exac- tement le même que cel ui d'hier.!...1 différence est que, désormais, il n'cst plus limité ni hamnché pa r les restrictions que pouvait faire peser sur lui la religion, e t qui incitaient un quoi se translorme- t·il? Dès lors que la mort ne s ignifie plus comparaître devant son Sauveur, dès lors <lU 'elle marque une fin absolue, elle prend une lout autre et terrifiantc signification, el on est prêt li tout pour prolonger sa vÎe: de la fréquentation du gymnase jusqu'à 90 ans aux aliments anli-eancer. En même temps, l'ego, au centre de tout Ct unique référence. devient surdimensionné. Cid&: de sa propre mon devient impossible fa envisager, à concevoir. ( o mme nt poreilles mutotions a llecte nt -eltes une ins titution comme 10 lomille? Nous en m'enons encore li ce point de dépan qui est désormais le nÔtre Ct selon lequel nous n'avons que cene vie comme horizon. Panant de Ill, cette notion de sacrifice dis para ît, qui était centra le dans la construction de la vic de famille de nos a ncêtres CI avec elle 111 vic de famille elle-même. Les divorces sc ••• ", ••• multiplient ainsi que la désintégration: car vous n'avez alors plus d'attaches, plus de structure familiaJe, plus de repères caractérisés par la constance - comme le repas du dimanche, les jours de fête, .. UI conséquence est que les gens sont perpétuellement flottantS. Le cinéma a été d'emblée un an populaire et commercial, mais il y avait en son sein des espaces de liberté permettant de faire des choses différentes. Ceux qui ont fondé et déve· loppé Hollywood étaient des Juifs d'Europe de l'Est. Animés de visées mercantiles, ils étaient aussi soucieux d'être recon· nus comme de bons et grands Américains, ils espéraient Vous décrivez un monde dons lequel, saos référent secrètement que Roosevelt les féliciterait. Pour cela, en sus transcendant. les individus, atomisés, sont li la des films rentables et commerciaux qu'ils faisaient en abon· recherche de satisfoctions hédonistes. N'y a -t-il pas dance, ils laissaient travaîller des créateurs de génie et don~ naient à John !'ord, parex:emple, l'espace dont il avait besoin. aussi des avantages li cette situation ? Bien entendu. Et pourcommcnœr un accroissement Aujourd'hui. les comptables qui dominent Iiollywood font inédit de la liberté, d'expression par exemple, autre· des films pour le public qui va au cinéma, soil un public qui fois revendiquée par les artistes, les créateurs ou a enue 14 et 2\ ans. r;important est de faire Shœk 4, sim· les citoyens, Internet est devenu une incarnation plement parce que les trois premiers ont bien marché. Ajou· décuplée de cette situation: il existe un nombre tcz à cela que nous sommes désonnais entrés dans le monde incalculable de blogs où chacun s'exprime, donne numérique e[ dans celui d'Internet, que mon genre de film son avis sur tout, vous invite à pénétrer dans sa vie ne se fait plus guère et n'intéresse que les plus âgés, et vous la plus intime, et on s'en fiche tous! De même, toUS voyez que les cond itions ne SOnt plus celles pour faire des films comme ceux de ces affiches. Les marges UN ÉTAT DE DÉSINTÉGRATION DE LA SOCIÉTÉ pour en réaliser s'amenuisent. Mais il est lITai SEMBLABLE PAR SES CAUSES (LE LUXE aussÎ qu'il s'en trouve ET LE CONFORT) ET SES EFFETS (LE PAIN encore, dans cenains ET LES JEUX) À CE QUI AVAIT ÉTÉ LE CAS créneaux, comme la chaîne HBO aux ÉtatsDANS L'EMPIRE ROMAIN." Unis, qui produit la remarquable série Mad les aspects oppressants des sociétés catholiques ou Men. Ces créneaux s'adressent li un public culr.ivé composé commun istes disparaissent, et il y a là aussi des aux États-Unis de 4 ou 5 millions d'auditeurs fidèles. Le déve· avantages: vous pouvez vous déplacer librement, loppement technologique, avec ses caméras numériques et la diffusion sur Internet, ouvre encore d'aUlres créneaux. aimer li votre guise, etc, " N'y a -t-il pas là des raisons d'être optimiste ? Je n'ai guère de raisons d'être optimiste ou pessimiste, d'autant que l'avcnir est la chose la moins prévisible du monde. J'aime à citer à ce propos l'ou· vrage de futurologie The Ye:lr 2000, paru en 1967, Ct issu de très sérieux travaux du Hudson Instltute: les prédictions ont été speclôlculairemem falsifiées. Panni les actuelles incertitudes ct inconnues, il y a la Chine et le destin de ceHe forme de dictature capitaliste, Récemment en visite à Shanghai, j'ai cru éprouver ce que pouvair ressentir un immigrant litmmien li New York en 1920, placé devant ces buildings impressionnants el découvrant peu à peu la réalité du nouveau siècle, Quoi qu'il en soit, devant la Chine, la philosophie politique est, me semble· t-il, en défau t ct n'a pas encore su concepwaliserce qu'elle présente d'inédit. Est-ce que la culture. et le cinéma en particulier, sont alfectés par les mutations de civilisation que vous décrivez, Nous sommes, ici. entourés d'affiches de chefs -d'œuvre de ["histoire du cinéma. À l'ôge des grandes productions hollywoodiennes, commerciales et populaires, lïdée du grand art est-elle encore défendable dons le cinéma? S8 1 septembre 2010 nllméro 42. 1 philosophie mogozinl Pour que 10 créotion puisse se déployer dons ces nouveaux espaces de liberté. ne fout -il pos que soit maintenu un certain idéal humaniste de transmission et d'éducation, pourtant mis à mal dons le contexte d'odaptation fonctionnelle 6l'économie que vous décrivez? Je ne le sais pas vraiment et j'avoue ne pas bien comprendre le monde qui vien!. .. mais, sur ce plan, je serais plutôt pessimiste. Je répondrai seulement par une anecdote. Il y a quelques années, je donnais un cours de scénarisation à l"université. J'ai proposé aux étudiants de commencer par scénariser un chapitre d'un roman: M.1d.1me BOV.1Ty, Le Rouge el Je Noir, PoUf (luÎ sonne le gl,1s. Personne en classe ne savait de quoi je parlais. J'ai alors praposé de scénariser de mémoire une section d'un film classique, comme High Noon {Le 1'min si{fJem frois fois, western de Fred Zinne· mann, 1952J ou Citizen Kane [d'Orson Welles, 1941]. L.~ encore, personne ne les avai t vus. Nous ne pouvions donc plus nous parler et je n'avais aucun moyen d'entrer en corn· munication avec ces étudiants, Cene interruption de la transmission de la culture occidentale est le thème de L'Âge des ténèbres, dans lequel j'en viens à suggérer que te mieux que l'on puisse espérer est que quelques institutions - ce pourrait être les universités - jouent le rôle assumé par les monastères au Moyen Âge et préservent cel héritage cn attendant une possible Renaissance _ THIERRY ÉLOI : « JUVÉNAL REGRETIE QUE LES ADOLESCENTS DÉSERTENT L'ÉCOLE DE RHÉTORIQUE POUR ALLER AU BORDEL» En matière de décadence des mœurs, les années 2000 n'ont rien inventé. À en croire ses poètes. Rome élO!I déià très bronchée te Sex stOl)' _, Ce que caotirme Thierry EloI', auteur de ('&alisme masaJlmdons /0 Rome ontlquelBelin poche. 2009). la Rome tordive est devenue le modèle de 10 décadence des mœurs. Comment l'e.pllquer? Ce scnlles P~res de t'tglls! qui ont imputé 10 chute de l'Empire romain 610 corrupllOn des mœurs. Et c'est vrai que les habitudes romolnes étolent li t'opposé de 10 morcle chrétienne. Pot exemple. les RomOins consldéroienl que le comble de 10 volupté éloll d'échanger des baisers quasi Incestueux el pédophiles avec un esclave tessemblonl 6 leur propre hls. En DUire. un grand nombre d'épigrammes gnvolses On! lIeuri li Rome, entre 10 chule de 10 République el l'avènement de l'empire, qui complètent celle image de Romains JOUisseurs. les poètes (atulle et Juvénal en ont commis de très vulgOires, OInsi que Martial qUI km por exemple: .. Toi,le motm, c'est bien connu, tu te lo/s sucer pour de l'argent et l'opr~s midi, l'argent qlH.' ru os gagné en te fOlS(mt sucer. ru le dépenses à te fOIre enculer. "(ependont. ce surenchérissement dons la vulgarité n'est pas un éloge de la jouissance. et ces poètes ont Clussi une Intention satirique . Ils dénoncent la corruption des mœurs en se référont sons cesse aux AnCiens. À leurs veux, c'étoit mieux avant. Pourquoi cette noslalgle du pané 1 la maxime des poètes satiriques est Rome n'est plus dons Rome. IlNénoJ regrette que les adolescents désertent l'kole de rhétonque pour aller ou bordel, Martial se 1011 1/ l'écho bruyant et goguenard de fa conversation journal/ére des enfantS de Romulus IIcontre ., cerre société romame. usée IUsqu'à l'khlne, est ouni pleine de vIces que de ridICules II. Ils sont nostalgiques d'un clge d'or, du début de la République, ou existOll, selon eux. un citoyen Idéal. partagé entre les actIVItés du negotrum (occupollon du cltoyen-sokIot)le malin, et celles de l'otrum (l'oiSiveté cuillvée) l'après-midi A contrario, Marc AntOine qui se présente sur le forum avec la toge SOUillée des banquets possés est trop licenCieux; Néron, en ouvrant les bains dès le matin, socrifie l'espace du citoyen-soldat Ô la volupté. les poètes fustigent ce brOUillage du nego t ium et de r Olrum. qui écarte le RomOin de l'idéal républicoln. En me1lant en gorde contre 10 corruption des mœurs, les poètes dénoncent donc la corruption politique? En lait, le discours sur la corruption des mœurs est stéréotypé, moiS sa cible. est 10 corruption politrque. à une époque oU le. Pnnopot (l'empire) conhsque tous les pouvoirs sénatonoux ou profit d'un seul, les citoyens démunis de leur fonction n'ourolent plus qu'à se laisser aller li 10 volupté. et éest cela robjet de 10 discorde. les poètes pointent ce gliisel'Tleflt de 10 corrupllon poIiIIque vers 10 Corruption des mœurs. QUI n'a pourtont rien d'ovéré. (atulle tronche ainsi Ô propos de (ésor et de son ami Momorro .. L'un ne cOOtt pos fflOInS vorocement que routre oprk les femmes monée1. et ils dament le pion des pauvres hiles dl' 10 rue dont ils volent les clIents. Ils vont JOlIment bien ensemble ces salauds d'enculés. " • PIIaPOS R(CUOlUS p.ur ctoltlt (NJAl8ERT , ~ lM le!lfH cIouIquft. dœttu" ... ~ lin reIoQooIu" rnoII" lM t~~1H de kn., 6 r~t lM Perpignan • f.\t ~t au'tu". .....-...; fkwen« Oupont M\ 1eIJ~ fk Priape. Anr~ 11'ipÎ(}11J1r1lMS In;Jt1Qllf.J (te Promeneur 199.) " - « __ e nu e art ,» me More Richir est infatigable. Ce penseur belge pratique la philosophie comme l'escalade. Son œuvre, au craisement de Husserl et de Dostolevski, est centrée sur l'expérience du sublime, moment où nous ressentons ce qui nous dépasse. À partir d'un champ de lavande, il raconte sa recherche sur le temps, l'espace, l'éphémère. "" ,,. l ' Philosophie mag azine : Vous ovez enseigné li Bruxelles e t li Paris. pourquoi cho isir la Provence pour y viv re? Marc Richir : Pour fuir la foule des grandes vil1es CI ce que Baudelaire appelait .. la Iyrrmnie de lafaœ humailll!", qui m'oppresse et m'empêche de penser. Je retrouve ici une Méditerranée proche de la Grèce, qui, philosophiquement, est ma source première. Je voyage peu Ct je ne quitterais pour rien au monde ce pays. A Quelle serait. selon vous, la meilleure mé t a pho re pour l'exercice philosophique? r:esca.lade. Quand je m'attaque à un problème, je suis à l'afft1t d'un poim d'encrée comme si j'étais au pied d'une p..1roi et que je cherchais l'endroit où planter mon premier crampon, pour en faire l'ascension, Une fois franchi un palîer, je dois m'assurer avant de partir à l'assaut du suivant. Et aÎnsi de suite. jusqu'au sommet. J'ai d'ailleurs, comme un alpiniste, beaucoup de mal à ffi'arrêter ou à me reposer, Quandje fais autre chose, j'ai souvent le sentiment qu'il ne se p;!sse rien, que le temps est vide. Le reste de l'année, le philosophe habite dans une maison au pied du mont Ventoux. Cela fait des décennicsquïl fuilla ville, sesjeux de pouvoir CI ses modes. Depuis qu'il n'enseigne plus à l'Uni~'ersilé libre de Bruxelles, dom il est J'une des figures les plus respectées, il organise son séminaire, réservé à des chercheurs venus du Japon ou d 'Austral ie, dans le village voisin. C'est qu'il a une œuvre à poursuivre ... Marc Richir propose une réélaboration complète clu projet phé.noménologique de compréhension du rappon entre la conscience el le monde entamé par Husserl il ya cent anS el poursuivi par Same, Merleau-Ponty et Entmanuel Levinas. Dans sa recherche, il remodèle les g rands thèmes de ce qu'on appelle la philosophie première, celle qui touche à la recherche des principes cie toutes choses: la pensée, le temps, le langage, l'imagination, l'histoire, J'affectivité el le corps, le sublime e t la transcendance, le bien et le mal. .. Lënigme du sens e5t quïl se perdp/wfacilemelll qu'il /le se gag/le et qll'il /l'I!/! existe nulle fXJrI de maître '", affinnet-il. Avec gemillesseet bonhommie, il nous a menés un après-midi sur le chemin clu sens en train de se faire ... (omment s'est nouée vo tre voco tio n philosophique? C'cst un roman qui a tout détenniné. Adolesœnt,je lisais déjà de la philosophie. Mais, à 17 aosSai découven Oime el châtimelll de Dostoïevski et ç'a été un choc, l'évidence s'est imposée: ma vocation était d'ordre philosophique, Pourquoi t'elle œuvre en p..1rtÎculier? Je ne sais p'IS. Et je ne cherche p..1S à me l'expliquer, C'cst le mystère de l'origine... Néanmoins, au moment de m'inscrire à J'université, j'ai choisi la physique ct travaillé à l'Institut d'astrophysique de Liège. Je pensais nmvcment que les mathé.matiques, principal instrument de la physique moderne, constituaient le fond de la réalité. Or, un peu plus tard, j'ai lu les deux préfaces à la Critique de la raison pure de Kant ... Nous Ile connaissons (les choses que œ qlle 1I0US y metton\" II0u.s-mJIJU'S", soutient Je philosophe. Ma croyance dans les mathématiques s'effondrait. Elles ne nous donnent pas accès à une réalité objective e t trnnsccndame, comme cenains le croient encore. La « réalité " est missi ••• MIQIEI. F.I.TCII.\....l ...mT f7 MAlnlX IJ-:GR08 / Pll!Jnr smm: l'IûUU) " partir d 'Aix-en-Provence, il faui rouler longtemps, rejoindre les petites routes des Alpes-de-Haute-Provence, passer le bourg de Banon, longer les champs de lavande, atteindre un hameau perdu, continuer encore. Nous apercevons enfin la haute silhouette de Marc Richir. Il nous guide, sur le chemin, vers la masure isolée, que lui prête, chaque été, un ]:I<1ysan, à la limite des champs et des bois. Lesphilosophes Entretien ••• soutenue par ce que Kant appelle les conditions de possibilité de la connaiss;mœ, qui précèdent J'expériencc que nous faisons des choses. C'est ce champ, plus fondamenta l que les mathématiques, que la physique el: même que l'expérience réelle, que je me suis mis alors à explorer. À 22 ans, j'ai interrompu la rechctt:he en physique et je me suis inscrit en philosophie à l'Univers ité li bre de Bruxelles. lrois ans plus tard,je suis entré au FNRS, l'équivalent du CNRS en Franœ. J'y suis resté toute ma vie rommc cheR:heur CI comme enseignant. Qu'est -ce qui vous 0 orienté vers 10 phénoménologie ? Mon époque émit dominée par les œuvres de Heidegger, de MCrle.1UPonty CI de Derrida. Même silétais rrès impressionné par Ileidegger, le climat de sa pensée, ce qu'il appelle lui-même la srimmung, sa or disposition affective .., m'en a assez vite détourné. Il règne chez lui une rhétorique de l'abime, du tragique, un héroïsme de la mort qui m'est devenu assez vite insupportable. Le charme de Heidegger, qui a envoûté ma génération, n'a pas opéré longtemps chC'L moi. Ce climat a - H I à voir avec t'engage ment nazi de Heide gger? C'est toute la question de la récupération de l'héroïsme par le fascisme_ fulIr moi, la tonalité d'bre et temps, c'est la république de 'NeÎmar en 1925, à la suite de l'échec sanglant de la révolution allemande: une situation de désespoir ct un appel à une radicalité qui ne peut être que œlIe de la mort_ Face au néant, il n'y a qu'une existence héroïque qui peut être authentique. Le fascisme a procédé il une tragique récupération de l'héroïsme. Les pauvres gars qui se SOnt fait mass.1crer dans les tranchées de 14-18, dans un carnage industricl qui interdisait tout comportement classiquement héroïque, cela a été récupéré et métamorphosé par le fascisme. C'est tout le sens de l'œuvre d'F.rnst Jünger, auteur des Orages d'acier. Jleidegger, proche de Jünger, s'inscrit dans cette entreprise. de tous les philosophes du XX" si~ qui comptaient pour moi. C'était lui qui avait relancé la démarche", lTanscendantale .. que j'avais découverte à 17 a ns chez Kant : interroger non pas le réel, mais nolIC rapport au réel. Husserl a été celui avec lequel je n'ai cessé de penser. Il propose la méthode la plus radicale pour reprendre à la racine la question de nOIre nippon au monde. Ceue démarche s'appuie sur ce qu'il appelle la réduction, le suspend (en grec épokhè). Il s'agit de .. menre hors cirmi! JO la positivité des choses, mais aussi de moi-même qui les perçoit, les pense ou les imagine, afin de rcdérou vrir la manière dont ma conscience les vise. - et ce, indépendamment de la question de savOÎr si <:es choses et moi-même existons réellement. Oree lien entre ma pensée et J'objet, ce que Husserl appelle la visée intentionnelle, ne se trouve ni dans ma tête ni dans J'objet, il n'est nulle pari dans J'espace. Ainsi, par exemple, quand j'écoute une mélodie, Ja musique, distincte des sons, n'est ni dans l'espace physique, ni dans ma têle, parce qu'il ne suffit pas que je vise les sons pour l'entendre comme musique. Ou encore lorsque je perçois un champ de lavande au cours d'une promenade, celle perception ne sc trouve ni dans l'objet-le champ de lavande -, ni dans ma t'ête. Elle n'est nulle pan dans l'espace. Ce nulle p.1n, ce .. rien que phénomène .., me hante. Pourtant, le cham p de lovonde s'imprime e n mol de manière directe e t évidente,foi le sentime nt de percevoIr directe me nt so lorme, sa coule ur, son ode ur mê me ... Mais le champ de lavande, circonscrit dans ses limites, sa coule ur ct sa forme, c'est une carte postale, c'est le cliché du champ de lavande, et non pas celui que je perçois quand je me promène. Ce champ,je ne le perçois jamais que d'un poinr de vue, en esquisses e t en mou· vement, avec le vent qui le rend ondoyant, lu lumière Ct la chaleur qui font vibrer ses couleurs au fil des heures... Toute vision panoramique est abstraite et inhumaine. On est alors dans le voir ct non dans le regarder. Ce qui "En revenant au phénomène à l'état sauvage, Je su is incité à laisser affleurer ce qui m'émeut m'affecte, me mobilise dans cette perception. " Vous ê tes do nc re mo nté de Heidegge r à HusserL. Oui,j'ai voul u retourner aux sources. HtL'lSCrI était le père fondateur compte, c'est l'inscription de ma oc chair . en mouvement dans l'espace, mon affectivité, la façon dont le regard ene, rebondit, repart, se perd, se réengcndre ... Là, il y a expérience non P.1S de tel ou IcI champ de lavande - cc qui est déjà une abstraction -, mais d'u n paysage. Là, le phénomène n'est pas encore lTansformé en cliché, mais se perçoit de façon mouvame, voire archaïque. En revenant au phénomène à l'état sauvage, je suis incité à laisser affleurer ce qui m'émeut, m'affecte, me mobilise dans cette perception. Tout se passe comme si l'ouverture du paysage était simu ltanément ,'ouverlure à l'énigme que je suis pour moi-même. D'Edmund Hus serl à Jean- lue Marian, la phénomé nologie a mis e n avant l'idée de do natio n. Pour vous, ou contraire, la marque d' un phénomène est qu'il est insaisissable ... Oui, je pense que le principe de la dona tio n eSI toul à fait trompeur. Dans l'expérience, cc qui se don ne avec évidence est to ujours assez pauvre. Tandis que les expériences profondes que nous pouvons faire, du temps, du corps, d'autrui, sont des expériences de l'insaisissable, de quelque chose q ui est toujours e n excès. La pan essentielle des phénomènes réside dans leur caractère irréductiblement chatoyant, éphémère, instable. Vous faite s partie des rares phé nomé nologues à s'être confronté avec les h ypothèses des sCÎences humaines qu i valorisent les grandes s tructures inconscie nt es au x dé pen s des vé cus de la conscience. Quel enseigne me nt e n a vez-vous tiré? Que la pensée doit ruser avec les axles symboliques qui mettent e n forme et en sens notre expérience. Sans cene ruse, le symbolique se rédui t à une machine qui tourne à l'aveugle. Qu'est-ce que le sens en train de se fai re ? Quand je veux dire queJque chose, c'est que je sais déjà ce que j'ai à dire et, pourtant, je ne le saurai vraiment que quand je l'aurai dit, quand je reconnilltrni, dans ce que j'ai di t, ce que je projetais justement de dire. Dans celte perspective, la langue, symboliquement instituée, peut être un obstacle: e\le dirige, fige ce qui devrait être une invention perpétuelle. Le )Xlète parvient àjouer avec la langue afin d'inventer une expression neuve pour sa pensée. Il ya d'autres moments où, au contraire, les mots viennent à manquer. On sent ce qu'on veut signifier, mais on n'arrive plus à l'exprimer par des mots. C'est précisément ce tremblé, ce bougé au sein même de la parole, à l'intérieur des mots, qui font vivre l'institution symbolique (ici de langue), la mettant en résonance profonde avec le champ de l'expérience vive, Si les mots étaient parfaitement fixés, nous ne ferions que des performances au sein d'un système. C'est la croyance srupide des cognitivistes, qui veulent situer les choses dans le cerveau, gigantesque ordina teur qui procède par essais successifs et par optimisation des résultats. Nous vivons à une ép<X]ue où débarque, triomphante, l'idéologie néolibérale de la perfonnance appliquée au langage et à la conscience. dant le ciel étoilé, étaient te rrorisées, e n proie à une crise d'angoisse. Face à l'incommensurable du ciel, J'individu peut avoir la sensation qu'il n'est pJus qu'un point parmi une infinité d'autres. Il est d issout, a bsorbé par ce lieu sans lieux. Le sublime est une expérience où je prends conscience de ce que je vis au-delà de mes détermi nations réelles et symboliq ues. Je peux m'y perdre. C est à la fois fugace et fondamental... Le sublime est un moment qu i échappe au temps, il n'a ni p;:lSsé ni furur. Lorsque Descartes veut expliquer comment Dieu (celui des philosophes) crée l'Uni vers, il invoque un instant éternel, hors du temps. « De ce que j'étais à l'instant précédent, il ne s'ensuit pas que je sois ••• " Face à l'incommensurable du ciel, on peut avoir la sensation de n'être plus qu'un point parmi une infinité d'autres." Vous avez beauco up écrit sur le sublime comme ouverture à l'énigme de la condition humaine. De quo i s'agit- il ? C'est le rappon à la transcendance qui sc noue devant l'illimité. Dans la Critique de lafaculti de juger, Kant soutient que, devant des phénomènes naturels comme des ouragans, des volcans ou des tempêtes, nous éprouvons, si du moins nous sommes en sécurité, le sentiment cumulé de notre insignifiance physique et de nOlre grandeur éthique. C'est l'expérience de ce qu i e n l'homme dépasse l'homme. Il y a quelque chose en nous qui nous dépasse absolument, dont nous avons la sensation dans le moment du sublime, mais que nous ne pouvons ni imaginer ni concevoir. C'est infigurable : un dehors qui n'est pas spatial, qui ne se sinle pas aux limites de l'Univers, sun out que l'on ne peut réduire au Dieu d'une religion. Cela introduit, dans tout ce qui est détenniné, un facteur d'indétermination. C'est ce qui fai t que l'expérience humaine n'adhère pas à elle-même. To ut individu a - t- il un rapport a vec le sublime ? En droit, oui. En fait, je n'en sais rien. Il exis[C aussi ce que j'appelle du sublime négatif. J'ai connu des personnes qui, en cegar- '" " Aujourd'hui. nous nageons dons le mensonge du politiquement correct. Une police du langage, une forme très larvée de totalitarisme de la pensée nous entrave." ••• mOlntcnant, de quI' ~ suis maintenan/. il ne s'erullil peu que ~ st'rai à llrutant sui\!Ont. »C'est rrès fort. Pour que je sache que j'existe, soutient Descartes, il ne suffit pas que je sache que mes pm-ents m'onl conçu, il faut qu'il y ail ce geste continu de Dieu qui crée instantanément, ne cesse de créer, l'existence. Le moment du sublime n'esl ni avant - au moment de ma n3issance ou dans un passé englouti - ni au futur, dans une improbable illumination finale. Il se vil dans un temps qui échappe au temps. El pourtant quelque chose passe dans l'expérience qui s'accomp.1gnc d'affectivité - de jouissance ou de terreur. Il y a un présent éphémère, que je compare à une étoile filante, une sone de clignotement entre cene affection, s.., disparition ct son rcsurgissement. Ici, en Provence, surtout l'été, je regarde tous les soirs le ciel étoilé. Certains soirs, quelque chose se passe. C'est comme un éclair. Une temporalisation éphémère. Mais quand je me dis: 01 C'est la Grande Ourse ,., c'est déjà Ani. Je suÎs déjà dans le symbolique . les constellations sont un bel exemple d'Înstiturion symbolique. Nous partageons <l\ei: les Chinois le même ciel, mais pas les mêmes constellations ... le sublime se situe à la source du sym. bolique, mais participe d'un autre ordre. Il V existe aussi des exp~rien ces collectives du subhme. comme la RéVOlution française. Dans la Révolution française, le sublime désigne un moment très bref du point de vue du temps historique: une, deux ou trois jour· nées, pas plus, oilles repères symboliq ues classiques s'effondrent. Les acteurs se surprennent fi faire des choses dont ils ne se semaient pas capables. Et la communauté se sent elle-même arrectivement, non pas en vue d'elle-même, mais en vue d'une cause qui la dépasse : la révolution, la patrie, la nation. Quelque chose comme une communauté utopique se manifeste: on n'est plus des monades seules face à notre condition. Comme le dit Michelet à propos de la fête de la Fédération, .. il n)' avait plus de temps, un éclair de l'éternité ». Cependant, dès que cc moment se ritualise, qu'il donne lieu à des célébrations et à des calculs, c'est qu'il s'est déjà retiré. la révolution .. ~ glace .., comme dit Saint-Just, Dons votre dernier livre, Variations sur le sublime et le sai(JérOme Millon), vous tentez une sorte de genéologie du bien et du mol. Ô partir de l'expérience du giron, décrite por le psychanalyste britannique Winnicott. Pouvez-vous expliquer le sens de celte onalyse ? Dans ce que j'appelle le giron transcendantal, qui est Ja scène origina ire des rapports de J'enfant avec sa mère, se déroulent des '" événements ,. très importants, Comme l'explique Winnicott, il ne suffit pas qu'une mère ait la volonté d'être bonne pour l'être. Au dépan, il y a l'ambigULté et la réversibilité imprévisibles de l'amour et de la haine. La mère ne nourrit pas son enfant par devoir. Elle lui transmet son humanité, par ses câlineries, ses variations vocales, qui font naître en retour l'affecrivité et le babil de J'enfant, préhistoire du langage, C'est le moment du premier rapport humain, avec les échanges de regards. Mais ce jeu de regards peut être vicié dès l'origine. J'ai longtemps cru que le regard ne pouvait pas mentir. Mais il le peut, je l'ai découven en lisant Les Poètes de sepl ans de Rimbaud : " C'lwil bOIl. Elle avait le regard bleu, - q/d ment. " Qu'est-ce que cela signifie ? Dans le poème, le petit garçon joue avec ses petits copains de rang social inférieur, Sa mère, à cheval sur la bienséance, s'estime d'un niveau supérieur, et va le chercher pour l'extraire de la compagnie de œs va-nu-pieds. II croit que c'est par amour, mais il se trompe: le regard maternel ment, La rencontre des regards peUl aussi ne pas avoir lieu: c'est ce que j'appelle, après la Boétie, le malencontre, qui représente un traumatisme pour un enfant el peut le mener jusqu'à la psychose. Cene distorsion originaire de l'affectivité, qui fait par ricochet mentir le regard de l'enfant, transforme le paradis en enfer, l'amour en haine. Dans ce cas, le sublime n'est pas uniquement détruit: il devient négatif ou impossible (il n'y a plus que l'angoisse d'une perte irrémédiable). De cel exemple de retournement,je conclus que J'homme est un être fondamentalement ambivalent. I..cs générations précédentes, qui Ont connu la guerre, ont réussi à échapper à l'angélisme qui exalte sans nuance la • bonté,. du rapport à autrui. Aujourd'hui, nous nageons dans le mensonge du politiquement correct. Une police du langage, une fonne larvée de totalitarisme de la pensée nous entrave. Il faut réussir à déceler l'origine du mal, souvent lié à l'innocence et parfois à la beauté, comme l'a fait entendre Baudelaire dans Les Fleur du mal. Le Beau CI le Bien sont foncièrement ambigus. d'être bonne pour l'être. Et la même mère peut produire des êtres d ifférents avec les mêmes intentions. C'est la formule géniale de Nietzsche sur .. l'in/l()Cence du deve· nir ". Tout est en devenir en nous dans les profondeurs affectives, et ce devenir est innocent. Vous écrivez que la mélancolie est l'ollection de la pensée. D'Aristote Ô Heidegger, les tempéraments mélancoliques sont légion en philosophie. Est-ce aussi votre cos? Je suis plutôl d'un tempérament mélancolique, mais je ne sais pas si tous les philosophes le SOnt. Il Y a un exemple qui me trouble, c'est celui de Spinoza. Lui, c'est la joie, la béatitude, Je crois que tous les philosophes p.m:ourent, à leur manière, le même lieu d'interrogation. C'est ce qui fait que la philosophie est transhistOrique. Pourreprend re l'image de l'escalade, seul change en fait le point d'entrée qui varie en fonction de la situation dans l'histoire et de la singularité des philosophes _ l 'ŒUVRE DE MARC RICH IR l es Hvresde Marc Richir sont toultus. ardus mois aussi foscinants. entrecroisant l'interprétation des grands texles avec des questions métophyslques fondamentales, On retiendra PfIénomêneJ, tempJ et l ue (Jérôme Mlilon, 19871. où il développe sa conception du pnénomène comme Ir rien que phénomène », jamais donné porce que déjà codé et capté por l'institution symbolique. Dons les années 1990, il publie une série de textes autour du sublime, ces moments où tous les repères symboliques vacillent et 00 nOO5 sommes conlrontés à l'énigme de notre propre existence. En 1991. parait ainsi Du Jublime en poIitique (Poyot), une interprétation phHosophique de la Révolution fronçaise. On retiendra aussi quelques textes plus accessibles au grand public. Ainsi La Nainance des dieux N'êtes- vous pas. comme Jean-Jacques Rousseau, e n quête du paradis perdu de la Nature? Ce qui me ra pproche de Rousseau, c'est l'idée d'innocence du bien et du mal. J.:innocence, cela vaut aussi bien pour les affections destructrices, comme la haine, que pour les affections constructives, comme l'amour. Ces affections jouent de façon innocente. Une mère doit être « suffISammenr bonne ", selon l'expression de Winnicott, mais il ne suffit pas qu'elle ailla volonté (Hachette, 1995), où il avance cette hypothèse oudacieuse : et si les dieux n'avaient surgi dons l'histoire humaine que pour contrebalancer le pouvoir des rois ? II révèle oussi ses talents pédagogiques dons Le CorpJ. fsJtJj JIN rinrêriorité (Hotier, 1993), où, en 70 pages. ~ montre comment s'est ConstitUée dons l'histoire. de Platon ô Nietzsche, l'opposition de 1'6me et du corps. Passionné de littérature, il a écrit un très beau texte sur Hermon Melville. HeMlle, LeJ ofiiJeJ du monde (Hochette littérature, 1996). Derrière la chosse Ô 10 baleine du capitaine Achab, y révèle 10 tentative presque lolle d'extlfperdu monde le monstre de 10 tyrannie, un monstre d'obord implanté en noos. Dans son dernier livre, VoriotionJ Jur le sublime et Jur/e JoifJérOme Million, 2010), il interroge la manière dont se noue l'intr4Jue éthique de l'homme dès le stode du nourrisson. Marc Richir dirige aux éditions Jérôme Milloo, ô Grenoble, une collection prestigieuse 00 il publie des inédits de Husserl, mois également les livres de Potoi:ka, 8iswanger, Simondon, Condilloc, Schelling... et des études originales de jeunes philosophes. Il 0 , par ailleurs, fondé l'Association pour 10 promotion de 10 phénoménologie, qui publie depuis 200210 revue des Annales de phénoménoJogie. À signaler enfin le volume coUetti! sur lui: L'Œuvre du phénomêne{Qusia.2009). '" Dossier auteur l Les philosophes ean Immeubles de verre. centres commerciaux proliférant dans les mégapoles. autoroutes de l'informa tion. bulles spéculatives. mutations génétiques: nous sommes happés par la manipulation de l'information sous toutes ses formes. nous vivons à l'ère de la liquidation des réali tés anciennes. Jean Baudrillard est celui qui a décrypté et anticipé cet emballement vertigineux. En sociologue. il a le premier théorisé la SOCiété de consommation. En philosophe. il a proclamé la disparition du réel. supplanté par les simulacres et les artefacts technologiques. Baudrillard. c'est aussi un style de vie et de pensée. à la fois détaché et mordant. naviguant entre aphorismes et formules fracassantes. Célébré à l'étranger. notamment aux Ëtats-Unis. il est encore mal connu en France. trois ans après sa disparition. Comme nous y invite le grand colloque qui se tiendra les 17 et 18 septembre ou musée du Quai-Branly. il est temps de combler cette lacune. , " Les philosophes 1 Biographie 1 omme • Un temps proche des situationnistes, toujours contestataire, Jean Baudrillard ausculte le réel et les objets, qui l'obsèdent. Ses nombreux voyages, aux États-Unis notamment. élargissent le champ de ses réflexions. Adepte d'embardées provocantes, il ne cesse de décrypter la société de consommation, l'effacement de la réalité, la guerre chirurgicale. Et d'aviver la polémique. "AH ŒOIUC ""-'''WEIlT 'est ici que commence le reSIe de ma vie. ", glisse Jean Baurlri\lard en exergue à ses Cool Memorics, mémoires cool comme il pouvait l'êTre: paradoxal, alerte ct profond. Penseur fulgurant prêtant aux objets une âme, tribun polémiste, poète collectionneur d'aphorismes, il furète dans les recoÎns du monde pour en dévoiler la pan maudite, le jeu. JI débusque ses obscurités, « foisalll /'hYPOlh~sf! qu'ilnya rien plutôt que que/que chose, et /raquanf ce rien qui col/rt sous l'apparence du sens ". Marxiste hérétique à ses débuts, trouble-fête soixa ntehuirard à Nanterre, Jean Baudri1lard est un penseur du virtuel et de la séduction, du signe. Praticien du réel se coltinant le quotidien« pour faire événement ". il s'affirme« pataphysicien à vingl ans - siluatio1lliiste à trente - utopiste à quarante transversal à cinquante - viral el mélaleplique à soixante ". Suivons·le à travers ces métamorphoses. Né à Reims le 27 juillel 1929 dans une famille llrdennaise d'origine paysanne, Jean Baudrillard dit avoir gardé de ce fond de terroir « comme une précaution barbare à l'égard de la cullure ", qui ne l'empêchera pas de devenir poète CI créateur de concepts. De sa terminale, il retient deux figures: Friedrich Nietzsche, qu'il lit avec fe rveur, et Emmanuel Peillet. Ce professeur de philosophie, fondateur du CoUège de pataphysique, que rejoint Baudrillard en 2001 , J'initie à la .. science des solutions imaginaires " (Alfred Jarry), arme de guerre contre « l'illtégrisme de la réalité, du réel et du ratiollllei ». Peillet lui communi<!ue sa passion pou r Rimbaud, qui entre dans son « bestiaire idéal", avec Antonin Artaud CI Friedrich Hôlderlin, dOnl il traduit neuf poèmes. 68 1 SI!'ptl!11lbrl!' ZO I O 1 nurnfro 42: phllosophll!' mogoltnl!' Une hypokhâgne au lycée Henri-IV, à Paris, le destine à l'excellence. Mais Saudrillard prend la tangellle. Il retourne au contact du monde - une stratégie qu'il conservera (OUle sa vie. Devenu ouvrier ngricole, puis maçon dans la région d'Arles, Jean Baudrillard ne lournera plus jamais le dos au réel. Sa maxime?« I.e réel, c'est plus fort que toi ... " Avec Barthes, Bourdieu et Lefebvre Une certification en allemand signe son retour à Paris. Lecteur dans des universités alle ma ndes au débu t des années 1950, puis professeur lIU lycée, il entre aux éditions du Seuil comme lecteur. À l'École pratique des hautes éludes, il est formé par Roland Barthes, sémio logue dressant un "inventaire des systemes de Siglll'ficatioli cOlltemporaills", pllr Pierre Bourdieu, sociologue penseur de III « violence symbolique ", el pllr Henri Lefebvre , dont il devient l'assistant. Lefebvre, spécillliste de Marx, auteur d'une Critique de la vie quotidienne inspi rant l'Internationale situationniste, introduit en France III sociologie urbaine. Devant tous trois, Baudrîllard soutient en 1966 sa thèse de troisième cycle: « Le Système des objets" - où la consommation est envisagée comme" une activité de manipulatioll systématique de siglles ". À la même époque, il traduit Marat-Sade du dramaturge Peter Weiss et Dialogues d'exilés de Brecht. Ces travaux dégagent l'horizon marxiste des premiers ouvrages du sociologue 8audri11ard, '" trés ami avec I.yotard, Guatlari et tous ... ", proche des siruationnistes, cofondateur des revues Utopie el Traverses (llvec Paul Virilio), enseignant à Nanterre à la vei11e de Mai·1968. Lorsque débute le mouvement du 22 mars, avec l'occupation de la [our centrale de la faculté, Jean Baudrillard, qui s'est dé taché des situationnistes, est aux côtés de Daniel Cohn-Bendit. Ma is, rétif à toute catégorisation, il se désolidarise rapidement du "gauchisme tel qu'il était advenu, ce militantisme fermé ". La Société de consommation, publiée en 1970, complète I.e Système des objets et forge une théorie du statut de l'objet, de la consommation et de la culture issue des IIW55 media. Dans cene société, où " tOlite chose produite est sacralisée par le fait de l'être ", " on ne consomme jamais l'objet en soi (dam sa valeur d'usage) - Ol! manipule toujours les objer5 [ ... ] comme signes qui vous distinguellt ". Mais au cours des années 1970, la pensée baudrillardienne s'infiéchit. Elle rompt avec le marxisme dans Le Miroir de la production. Baudrillard proclame contre Marx, dont il a traduit en partie l'Idéologie allemande, la fin de l'économie politique. Moins scientifique ct plus métaphorique à partir de 1981, il prédit de façon plus générale la" liquidation de tous les référentiels" dans Simulacres et simulation: "Le réel n'est pius possible,,! Il élargit son champ de réflexion en bourlinguant. Des périples américains, amorcés avec un voyage àAspen (Colorado) en 1970, confirment ses intuitions sur" lofaible réalité de la ,·éalité .. (selon l'expression de son ami Edgar Morin). Univers désertique, vidé de tOUt désir, les Etats-Unis manquent d'une histoire, de références, et c'est cette table rase qui précisément intéresse Baudrilla rd_ De ces voyages, il tire Amérique, en 1986. l10uvrage dépeint un " pays sans espoir .. où " les ordures même., y sont propres, le trafic lubrifié, la circulation pacifiée".« Une telle liquidité de la vie, liquidité des signes et des messages, urJC telle fluidité des corps et des bagnoles" fascinent Baudril!ard. " La Californie impose son 10llg cortège de foux-semblants : (_ .. ) parodie de la ville et de l'!lrbOllilé dans l'amo.s de Los Angele;;, [. .. } parodie de l'éroILçme avec les beach-boys, parodie de la drogue avec les acides (7) " Et" l'oulller/tique" dans tout cela? À Disneyland! Car", le réel lili-même deviem 1111 parc d'attractions ". Un œil sur tout L'ère du voyage ouverte à Aspen se poursuit en Australie, au Mexique, au Brésil et aux États-Unis, où il réalise un" round trip" en 1980, l'année même où débutent ses Cool Memories_ Son cahier des charges?" Dire les choses avec une exlrême désinvolrure. " Cm il n'a" junwÎ.S cessé en écrivant de pell.Ser quïl y avait ••• les philosophes JEAN BAUDRILLARD Biographie NOISWllCe li Reims. dans, son epoque SAVIE PremÎef voyoge aux ~ lots-UnÎs. c) Aspell [Colorado}: porullon Ge la Société de consommaflOfl. Il publie j'mlkle _ lo guerre du Go/te n'o pas l!tllieu _. dons les colonne1 Ile tibérotiofl. Polémique autour !le SOlI Otlicle " l 'I!$pm lIu lerrOflsme _; élevé 1.'110 lIigrnté Ile S01fope Ironscenoonioi ou Collège !le pOlophyslque • ••• LE CONTEXTE ~y(oœr!lell~ (lu ZZ lT'I!n. li NcJ1tl'r,e: ~'!'OO.II/eITIen1 dIo COI1!f",hlIOO ~.tI'tl* IdnltIIOr-b-f>O. ••• [. .. ] mieux à/aire qu'écrire, el peuf-êtTe mieux ci faire que de penser: Mais quoi?,. Quoi? De la photographie. Nul reniement chez Baudrîllard, puisqu'un parallèle existe entre ses aphorismes et cette .. écriture de la lumière .. : .. L'image co/moe lieu par exr::ellence dl/fragment ... Il se lance dans cette nouvelle ca rrière cn 1981, après un voyage au Japon , et ne ceSSCrfI dès lors d'exposer ses clichés à Paris, à Rio de Janeiro, à Tokyo, à Moscou ... ainsi qu'à Venise, lors de la Biennale en 1993. S'y impriment ses visions de l'Amérique, des autoportraits. une attemion aux cQuleurs el aux reflets du monde, à [Qus les effets de simulacre. L'œil dans l'objectif, 8audrillard garde un œil sur les objets. Ils le hantem depuis ses premiers livres, et cette obsession lui permet de renverser l'optique philosophique traditionnelle, fond ée sur le sujet: " C'esr aujourd'hui l'ironie de l'objet qui nous guet/e ", écrit·iI dans Us Stratégies farales. Parues (Iuatre ans a!>rès De la séduClioll (1979), elles cont ribuent 11 l'esquisse d'un univers où il ne s'agit plus de produire les choses" pour un monde de la valeur, mais de les sédu ire, c'est·d·dire de les dérourner de cette valeur [ ... J, pour Il!5 vouer au jeu des appa· rences ". Le féminin comme « prinCipe d'Incertitude .. incarne « ce qUI séduil le masculin ", mais l'un et l'autre n'équivalem pas à femme et homme ... Ce qui s'affronte dans le féminin ct le masculin, ce sOnr ces deux formes fon damentales, el non quelque différence biologique. ,. À savoir, la séduct ion et la maη trise du jeu des apparences som l'apanage du féminin, là où sexualité et "profondeur .. reviennem au masculin ... Baudrill,mlle franc· ti reur commet des textes explosifs dans sa période" rransversa/e»: Oublier Foucaull en 1977, " la Gauche d ivine" dans ù Monde et .. La guerre du Golfe n'a pas eu lieu ,., dans les colonnes de Libé, précédé de deux papiers : " L.1 guerre du Golfe n'aura pas lieu .., .. La guerre du Golfe a·t·elle vraiment la 1 uplembre zOla numéro 4Z 1 pftiloSQPNe mOIlOlll'e lieu? ... Sous ces litres provocateurs. l'auteur dénonce le meurtre de la réalité: le spectacle médiatique .. court·eircuite la guerre dans ce qu 'elle a de songlane, d'atroce, d'iruupportable ... Ce pavé jeté dans la mare d'un monde sans événementS détonne par son audace; " Ceue guerre-ri est !Ille guerre asexuée, chirurgicale, war processing. donl l'elHlellli ne figure que comme cible sur un ordi· naulII; WUf comme le partenaire sexuel ne figure que comme 111\ nom de code sur l'lcran du Minitel rose ..... Le mythe américain Quittant ["université en 1990, le pmrouilleur Jean B. entame une " tournée ,. en Amérique latine, tand is que son succès américain ne se dément pas. En 1996. convié à un séminaire baplisé .. Chance: TItree days in the desert .. , il enfile une vesle lamée or, da ns un casino paumé du Nevada, pour déclamer ses textes. A la même époque, les frères Wachowski - concepteurs de Matrix - recyclem ses concepts de .. dislKlricioll .. et de .. simulation ». Baudrillard crie au ft malentendu .. et juge le film ft grossier .. (lire Itxlque p. 72). Il n'en reste pas moins que l'American Baudrillard doit sa no[Oriélé à ces réalisateurs et à touS les artistes qui se revendiquent de lui, comme Jeff Koons. Ils reconnaissent en lui un gourou postmodcrne. Hélas, celte app réciation repose encore sur un malentendu, el Jean Baudrillard ne leur rend pas leur estime." L'art contemporain est nu/ .. , tranche-t·i1 dans .. le Complot de l'art .. en 1996. Il s'approprie" la banaliré, le déchet, /a IIlffdiocriré comme valeur er wmme leUologie. [ ... J Ça pré/end être lIul {. .. J et c'I'sl vraiment 11111 ... De sa période ft virale el métalepliqu e ... au cours de laquelle il vise à inverser ou à rompre .. le déroulement rationnel des choses ... il lire La Transparence du mal et Le Crime parfaH. Tous deux cominuent celle idée : a lors que nous sommes happés par un désir de sécurité et de transparence Imale, il devient urgent de retrouver la part d'ombre du monde, JI ft nous a été donné comme énigmatique et inintelligible, et la tâche de la pensée est de le rendre, si possible, encore plus énigmatique et encore plus inintelligible ", La Tral1sparence du mal suscile les vives critiques des physiciens Alan Sokal c t Jean Bricmont , dans lmpostures intellectuelles 8audrillard n'est pas seul visé, l'obscurité de Deleuze e t celle de Lacan sont éga lemem é pinglées, Ils ra illent ]'.. hyperespace à réfraction mulliple ,. baudrillardien, un jargon cache-misère, un pédant plaquage de tennes scientifiques sur des phénomènes qualifiés de« supraconducteurs,. au détour d'une sémantique hasardeuse, Qu'importe, l'idée phare de La Transparence du mal est reprise dans L'Échange impossible: l'incertitude du monde vient de ce qtl'il n'cst échangeable contre rien, ni vérité ni ré:!lité, alors qtle lOtiS nos efforts te nde nt à résoudre cene incertitude da ns un procès de vérification totale, de " réalité intégrale .. , " Tout nous porle à faire en sorte que puissent s'échanger les idées, les mots, les marchandises, les biens, les individus", [",} Au contraire, ce qui ne s'échange pas serail {.. ,} la part maudite selon Bataille - et il faut la réduire, ,. " logique de défi », 8audrillard impute même li l'Occident la res, ponsabilité du terrorisme: or À la limite, c'esl eux qui l'ont fait, mais c'est nous qui l'avons voulu, .. Le provocateur ne s'imerdit aucune embardée, À propos du sida, :!ssimilé à " une épidémie homéopathique COr!lre une sorte de dilapidat ion sexuelle de l'espèce », il ajoule dans Écran total : « Ce/ui qui vit par le même périra par le même, I.:impossibilité de l'échange, de la réciprocité, de 1'01térité, secrète cette autre altérité invisible, diabolique, insaisissable, cel Autre absolu qu'est le l'ÎlltS, .. Ses aphorismes teintés de sexisme " Jean Baudrillard ne tournera plus jamais le dos au réel. Sa maxime 7 Le réel, c'est plus fort que toi .. le 11 Septembre, « c'est nous qui l'ovons voulu» Avec l'effondrement des 1\vin Towers, à New York, 8audrillard se réjouit de voir resurgir cene part d'ombre qui donne son contraste au mo nde, Il identifie dans les attentats du Il septembre 2001 une" mort biel1 plus que réelle: symbolique er sacrificielle», il laquelle ... tout le monde sartS exceprion» aurait" rêvé .. , L'Esprit du terrorisme et Power inferoo louent ce re tour li l'accident: or Les événements Ol1t cessé de faire grève, .. Ils reconnaissent une" vÎCtoire du terrorisme JO dans ce défi lancé à la mondialisation: "Ce seraIt une erreur que de condamner ces sursauts comme populistes, archaïques, voire terrori5tes, 10ur ce qui fait événemelll aujourd'hui lefOlt contre celLe universalité abstraite,,. Dans une -« Avez-vous remarqué comme les ''femmes libres" ont pourtant gardé cette caraClérisl'ique essentielle de la femme ~aliénée" qui e.~t d'arriver systématiquement en retard? ,. - panicipent d'une polé- mique vitale pour le métabolisme b.,udrillardien, Volontiers autoréférentiel, faisant un .. usage mercenairr .. des grands textes, ainsi que l'écrit François L'Yvonnet, dans Li! Cahier de l'Herne qui lui est consacré, il n'hésite pas à force r les phénomènes pour plaquer anificiellemen t ses concepts, Et il esquive systématiquement les polémiques q u'il amorce, e n louvoyant entre les positions pas, sibles - strmégie féline, dont il fait l'éloge -, ou en se dédisant - apan age d'une pensée en mouvement, Le 6 mars 2007, 8audrillard s'éteint, « Rien ne sert de mourir, il faut savoir disparaltre,., affirmait-il au détou r d'un aphorisme, De fait, son enterrement au cimetière Montparnasse sans cérémonie ni condoléances aurait suscité cc commentaire du philosophe René Scherer: ft L'enterrement de Baudril/ord n'a pas eu lieu J Et c'est tant mieux, à présent il va vivre, .. . LA PENSÉE BAUDRILLARD PLUS QUE VIVE les vendredi 17 et ~omedl18 septembre, se tient ou musee du Quoi-Branly, 6 POfl~, un colloque Intltule« BaudlillordfTravl'rses Il, Marine Baudrlllard son épouse, nous présente cet événement. « Je suis certes 6 l'origine de ce colloque, mois très vite toos les proches de Jean m'ont aidé à le concevoir, Même s'il n'a jamais cherché ô avoir de disoples, ni ô créer d'école, il aVOlt beoucoop d'omis et sa mort n'a rien change: ils SOnitouJours là, ~l 'existence n 'est pas tout, écrivait- ~ peu de temps avant de disparaître, c'e.st mbne la moindre des choses,- le musée du Quoi- Branly s'est tout de suite imposé pour accueillir celle ~pensée éloignée", en larme de défi sa cré, qui s'est toujours voulue sans allache identihoble, Et comme il n'y a pas de hasard, ce liCtl singulier, déconcertant. se trouve ê tre l'œuvre d'un ami très cher, rarchllecte Jean Nouvel, Quant ô son directeur. Stéphane Mortin, il a d'emblée élé sédwt par le prajet, C'est d'ailleurs cuneux. mois vraiment eu le sentiment qu'en ces temps lourds et opaques, I1dée de convoquer roi Jean, son œuvre poétique et paradoxale, sa joyeuse ironIE', 50 liberté radicale .., falsolt plaisir à toot le morlde. Sons doute I1nlUllion que celle pensée powait seMr d'opératCtlr magique et SI] vi~ des choses permettre de traverser la vie au trement ? Plusieurs monifes totions ont déjà eu lieu depuis la disparition de Jean - en Italie, e n Turquie ou à Reims, sa ville nOlOle - toutes aussi ré ussies, À choque fois Jean Hé tait 16" et le fameux ~transfert poétique de sltuation"o bien eu lieu, Rien de mieu x que les Dtobles rondes", semble-t-it, pour harceler les morts .., Je plaisante, bien sOr, Branly sera la première manifestat Ion nationale de cette ample ur, De prestigieux partiCipants venant du monde entie r e t de taules les disciplines (Poul Vifllio, Giorg io Agomben, Philippe Descola, Giovani Vanimo, Alain Touraine, Régis Oebroy.. , e t bien d'aulres) ont a ccepté de venir évoquer les figures de not re modernité, via l'architecture, 10 sémiologie, l'anthropologie, le ciné ma, la philosophie, L'idée est d'échopper aussI bien à l'hommage pieux qu'ou commentOlre ScolOlre, quête rigide du sens, Il s'agit. plutÔI, de se retrouve r du CÔlé de l'exotisme radical. ou plus près de l'étrangeté, du pouvoir de séduction de Dl'ellet Baudrillard", Autour du colloque, j'avais prévu de nombreux artistes e nthousiastes qui devaient venir enchanter e t déconcerter tout le monde: Maflanne Faithlull, Hanna Schygulla, Akrylonume rik entre outres, .sans parler de cette grarlde parade d'hommes poilus et de lemmes sublimeL mais l'orgent promis n'est pas venu ! Il y a ura quand même quelques surprises el une représentation des Cool Memories por la Compagnie CAB..,» "'. 1, '" Les philosophes 1 Lexique Shadowing the World (( Obscurcir le monde») Jean Baudrillard n'a jamais cru dans les prestigieuses machines discursives que SOn! la philosophie CI la sociologie. C'est pourquoi, dès l'origine, il a pris le pani de J'objet, délaissé par des sciences humaines qui n'avaien! d'yeux que pour le sujet. Cc sujet avet: son arrogance, sa tentative prométhéenne de maÎtrise, il l'a toujours réfuté. lui préféram thorium sacré des apparences _, qu'il s'est d'ailleurs toujours rerusé à théoriser. Prendre le pani de l'objet Of contre le sujet. de l'événement contre ses interprétations, redonner aux choses leur inquiétante éuangcté comre ceux qui prétendent à leur domestic3Iion. Shodowing the World: ne pas chercher à expliquer le monde, mais lui rendre sa beauté: énigmatique. ne pas chercher la lumière mais les ombres - là réside peut-être une partie du secret de sa sédUClion. / . / _0 reo 1 e • 7Z seplembrl lOlO numtro.2 1 philosophie ITtOIICIzi .... La pensée de Baudrillord se détourne du sujet. débusque les signes de la SOCiété de consommation et proclame la dissolution du réel. Son but n'est pas d'expliquer le monde mOIs d'en chercher la port d'ombre. IX1)()\lC IJ::OXEIJJ . La société de consommation et l'objet La société de consommation, tenne utilisé par le philosophe Iienri Lefebvre dans les années 1960, désigne le stade dans lcqucll'achat des objers de consommation esl à la fois le moteur et la finalité de la société, Saudrillard en fait le titre de son deuxième essai, consacré à l'analyse de "cene organisalion totale de la quotidienneté, à cet environnement climatisé, aménagé, culruralisé ", Dans la société de consommation, la vic sc transfonne en un immense travelling où, parmi les centres commerciaux et les villes façon Disneyland, le shopping perpétuel devient l'activité principale de l'individu contemporain, eoriginalité (le sacrilège?) de Saudrillard fut de rompre avec la critique marxiste en lennes de valeur d'usage et de valeur d'échange, alors dominante dans l'université française, Car la valeur d'usage présuppose qu'un objet a pour fonction de répondre à des besoins clairement identifiables, Or, s'appuyant sur l'anthropologie, Saudrillard montre qu'un objet excède toujours sa fondionnalité: un vêtement, même dans les tribus les plus primitives, ne sert pas uniquement à se vêtir, mais revêt des fonctions à la fois esthétiques, culturelles ct de prestige. Et la ruse de [a société de consommation est d'abolir la distinction entre l'utile et le futile, le nécessaire de l'accessoire et de créer sans cesse de nouveaux besoins. Des motivations jugées secondaires (la quête de distinction, l'affiliation à un groupe social supérieur, l'affimlation de soi, la volonté d'être moderne) deviennent déterminantes dans l'acte d'achat. D'où le caractère ambivalent, à la fois" comblant" ct" déceptif» de la consommation: l'objet ultime, celui qui va combler Illon désir, satisfaire mon envie, est toujours le suivant, le prochain ... Les objets échappent donc a toute utilité et à tout usage. Ils s'abstraient dans des logiques de goût, de distinction, de connotations infinies. Bref, ils deviennem signes: « les objets renvoient à un monde moins réel que ne le laisse croire l'apparenle rOUle-puissance de la consommation el du profil ». L'échange symbolique , 1 ,, C'est te concept plus mystérieux, et pourtant il irradie l'ensemble de l'œuvre. il s'inspire du don et du contre-don des sociétés primitives, Cc que l'ethnologue Marcel Miluss a étudié sous le nom de potlatch, c'est-à-dire la règle ancestrale voulant qu'à chaque présent soit rendu un présent supérieur, cc qui engendre un duel symbolique pouvant aller jusqu'à la ruine de l'un des participants, Dans La Part maudite, Georges Bataille a fait de la dépense, du gaspillage, du sacrifice un principe anthropologique tout aussi important que la nécessité d'accumuler el de produire, Cette formidable entreprise de dépense irrationnelle, de gaspillage, de consumation des efforts de production el de travail, Saudrillard la voit à l'œuvre dans none consommation délirante, potlatch moderne. On il là un trait marquant de sa pensée: arracher à l'anthropologie des faits saillants pour les projeter <lU cœur de la modernité et les détourner de leur sens initial. eéchange symbolique, pour lui, n'est pas cantonné dans un avant ou dans un ailleurs (les sociétés primitives), C'est un principe de défi il tous les ordres en place, un principe qu'il juge supérieur à toute rébellion e[ à toute révolution (toujours menacées de récupération) et qui consiste à " défier l'adversaire par UII dOIl auquel il ne pldsse pas répondre, silloll par sa propre mort et son propre effolldrement ", écrit-il, en 1976, dans L'Échallge symbolique et la mort, C'est sous cct angle qu'il a perçu les attentats du 11 Septembre COntre le World Trade Center: comme une logique de défi maximal, puisqu'à la mort offerte, aucun adversaire ne peut répondre et surenchérir. Ces attentats, Baudrillard ne les condamne pas moralement et ne les analyse pas comme une agression des islamistes ou des déshérités, Pour lui, le Il Septembre met "la mondialisalion triomphante aux prises avec elle-même" et concrétise même un vœll inavoué des Occidentaux: " Nous ell avons rêvé car lIulne peut ne pas rêver de la destructiun d'une pljissance devenue à ce pOirlt hégémonique. "Cette position, mal comprise, entraîna une vaSTe polémique. Nombreux sc demandèrent comment il est possihle de trouver dans le spectacle de la terreur de masse matière à jubilation? ••• , " Les philosophes 1Lexique Le simulacre <'( Le simulacre, c'est la copie il l'idemique d'un original n'ayant jamais existé»: par cette définition paradoxale, 8audrîllard indique que le simulacre n'est pas la représentation truquée, falsifiée, manipulée de la réalité. nop souvent, on ronfond le mythe platonicien de la caverne et le simulacre baudrillardien. Chez Platon, il y a encore de la réalité (les hommes enchaînés au fond de la caverne) et de J'illusion (leurs ombres sur le mur). Chez Baudrillard, on monte d'un cran: il n'y a plus ni de réalité, ni de représentation. En tout cas, leur distinction est devenue impossible. Les réalisateurs de Matrix (1999), les frères wachowski, ont déclaré s'être inspirés de la pensée de Baudrillard. Une scène montre le personnage principal, Thomas Anderson (le futur Néo), sortir des logiciels pirales d'un livre-cachette qui n'est autre que Simulacres ee simulation. Dans ce film, les hommes dominés par des machines vivent dans un monde virtuel (\a oc matrice,.) généré par une son.e de méga-ordinateur. Interrogé sur son « influence .., Baudrillard a estimé qu'il y avait là un« malentendu " et que le dispositif du film étaÎt «grossier,,: Matrix, avec sa séparation du réel et du virtuel, ne fait que reproduire une version high-tech du mythe de la caverne. Or, chez lui, le monde n'est pas remplacé par la représentation, fût-eUe la plus perfcct:ionnée. C'est Je monde qui, devenu un immense anefact technologique, annule IOUle distinction entre réalité et imaginaire. Toutes les potentialités adviennent, tous les fantasmes se matérialisent: la beauté est réalisée par la chirurgie esthétique; le corps est façonné par Je body-building; le sexe par la pornographie; la santé par le code génétique et le génome; le savoir par la mémoire infinie des ordinateurs; l'clemité par le clonage; etc. «Le Simulacre esl vrai,,: il tient lieu du réel, il est (le) réel. La réalité intégrale Il n y a pas de cndavre du rée~ et pour cnuse: le réel n'est pas mort, il a disparu. • C'esll'un des leitmotive les plus saisissants de Baudrillard: le réel n'est plus, il s'est évanoui, dissipé; bienvenue dans le désen du réel. .. Il faut même parler de .. aime parfuit .. : c'est le virtuel, que l'on oppose généralement au réel, qui l'a liquidé. Les images numériques, Intcrnet, le clonage, tOutes ces technologies et ces techniques (que l'on nomme 01 virtuel,,) ne dupliquenl pas la réalité, mais œuvrem à sa dissolution. Cependant. il s'agit d'écarter les malenlcndus: la disparition du réel est pour Baudrillard une hypothèse et, bien sûr, elle intervient au plan méraphy.siquc; cene table, ce corps existent encore bel et bien! Ce que Baudrillard veut dire, c'est que le réel n'a plus de consistance propre, qu'il est systématiquement confondu avec le virtueL Il deviem irnl>ossibie de distinguer l'original ct la copie, l'authentique du faux, l'événement de son interprétation (implosion des faits dans InypertrQphie de leurs commentaires), « la chose dc sa représentation. Pour désigner cette indistinction, et donc b.1ptiser la déréalisation du monde (qu'il ne fait que décrire. alors qu'on l'accuse injustement de la promouvoir), Baudrillard a d'abord parlé du srade hyperréel, qui renvoie à l'impossibilité de discerner l'original et la copie. Puis il a opté pour l'expression paradoxale de réalité intégrale. Elle désigne l'ère où les supposés opposés (réeVvirtuel) s'entremêlent jusqu'au venige. La réalité intégrale est le stade" ail les choses perdem leur distance, leur substance, leur résistallce oons l'acœ1ération indifférente du système, où les lIIl/eurs affolées se mettent à produire leurs contraires ,.: réversibilité de la production et de la consommation dans l'ordre économique; réversibilité de la gauche et de la droite dans l'ordre politique j réversibilité du beau et du laid dans l'ordre esthétique; réversibilité du bien et du mal dans l'ordre moraL .. Cette réversibilité infinie ébranle la possibilité de perceptions el de jugements" solides ,. et fait perdre le sens des réalités. Obésité et obscénité Cool Baudrillard? Pas si sûr. Plutôt combanam, guerrier, samouraï. Voir l'abondance de ses phrases el formules assassines. L'art contemporain? «Nu/. Andy Warhol? " Anis/e donl l'icônerie extatique et insignifiante a débarrassé l'arr de faire la preuve de son existence. ,. Michael Jackson? " Chimère chirurgicale frappée du syndrome de Peler Pail. " Madonna? « L'ange musclé qui parodie l'hypersexualité dans une époque frigide. » Le Monicagalc de Clinton? « La planète mondialisée par le burle5que. el la dérision." Les d roitS de l'homme? << Valeur pieuse, faible, inucile, hypocrite qui repose Slj,. une cr"oyanC!! i/luminlsre en j'attracrion narurelle du Bien sur IIlle idéalité des rapports humains. " Mais il ne faut pas le travestir en cynique désabusé. Contestataire demeuré fidèle à l'esprit de Mai 1968, il a toujours eu dans le collimateur les dérives successives, obèses et obscènes, du capitalisme. Il n'a cessé d'en dénoncer la loi de" l'équivalence généralisée » (tout s'équivaut, tom s'échange) qui efface les singularités et les différences. Sur le fond et sur la fonne , la pensée doit être un " élément de cata5trophe, de provocation ", ce qui le rapproche des situationnistes admirés: d'où son goût pour les interventions intempestives, les tribunes agressives, comme en témoigne nt ses articles dans le quotidien Libération , qui font exploser les frontières entre journalisme et théorie. La séduction C'est un principe positif, qui excède le seul cadre de l'attraction ent"re deux êtres. La séduction, c'est une alternative et même un défi à la logique de la production et de la consommation. Non plus produire des choses, mais les détourner de leur valeur, de leur but, de ce pourquoi elles sont" faites. Le séducteur ou la séductrice, c'est celui ou celle qui détourne l'aUlfC de sa trajectoire, de sa vie prévue. 1...1 séduction est le soudain, l'imprévisible. Une possibilité d'enchantement. C'est le paradoxe, la métaphore, la métamorphose. Ce qui heurte le sens commun, désavoue les convenances, défie les certitudes, dérègle les identités. I:objct est séduisant, car il détourne le sujet. Le féminin est séduisant , car il détourne le masculin. l:ironie est séduisante, car elle détourne le sens. Le trait d'esprit est séduisant, car il émancipe de la lourdeur de la démonstration. Cécriture est séduisante, car elle détourne le langage. t:événement est séduisant lorsqu'il déjoue toute probabilité quant à son apparition. Baudrillard est séduisant, car il nous délOurne de la Vérité e t de la Réalité ~ ces principes pauvres. L'ŒUVRE DE JEAN BAUDRILLARD Le Système des objets (<< Tel », Galli ma rd) et La Société de consommation (<< Folio", Gallimard). devenus des classiques. formen t un diptyque sur les objets comme signes et la consommat ion comme lin en soi. Dons L 'tchange symbolique et la mort (Ga llimard). le philosophe annonce le remplacemen t de l'ordre de la consommation par celui de la simulation. De la séduction (Goli!éel est un éloge des apparences contre la logique de la production. Simulacres et simulation (Galilée) intradui t le concept d'hyperréalilé; lire aussi Les Stratégies fotoles {Grosset ; Livre de poche). Avec Amérique {Grosset; Livre de pochel. Baudrillard se fait le chroniqueur ambivalen t d'un pays postmoderne qui le fascine. l'hypothèse de la disporition de la réa lité est développée dons La Transparence du Hol et Le Crime parlait (Galilée). Pour ses articles dévastateu rs dans Libération. on se reportero à 10 compilation tcron total (Galilée). Ses écrits polémiques sur le 11 Septembre se trouvent dons L'Esprit du terrorisme, Power Inferno. et sont prolongés dons Le Pacte de lucidité ou l'intelligence du Ha/ (Golilée). Pour s'initier èI sa pensée, Baudrillord s'est lui-même fendu d'un lexique de ses principaux concepts: le bien nommé Hots de passe (Pouvert ; Livre de poche). les deux livres d·entretien. Le Poroxyste indifférerrt {avec Philippe Petit, Grosset: Livre de poche) et D'un fragment routre (avec Français l ·Yvonnet. Albin Michel ; livre de poche) sont également éclairants. Enlin, les Cool Hemories(en cinq volumes, Galilée : lire oussi cohier centraf}. forment un journal ou long cours composé de réflexions et d'aphorismes : cinglant. intrigant et vivi liant. SUR JEAN BAUDRllLARD Sachant que les ouvroges en fronçais sont très peu nombreux por ropport à la vaste littéroture anglo-saxonne. on lira l'essai de Ludovic Leonelli. La Séduction Baudrillord(Écale nationale supérieure des beaux-arts. 2D07). et celui d'Aloin Gau thier. Jean Boudrillord, une pensée singulière (Éditions Lignes, 200B). Le Cahier de rHerne consacré il Boudrillord (nO84, dirigé par F. L'Yvonnet) rossemble des inédits et des contributions sur son rapport 0 la sociologie. l'orchitecture.la photo... Enlin. signalons le récent numéro de la revue Lignes.« le Gai Savoir de Jean Baudrillord »(n O 31. 2010). Lesphilosophes Baudrillard aUJourd'huI Défier la , , ,, • Tout serait virtuel. .. Simulacre, artifice, les artistes s'inspirent de Boudrillard pour dénoncer la culture du foux, tondis que les économistes s'appuient sur ses analyses afin de démonter les démesures du capitalisme. PlIDRlS mmmLIS PAR """TIN DURU L'économie dans sa bulle Marc Guillaume est économiste. professeur à Paris-Dauphine et fondoteur des éditio ns Descartes ((ie. Proche de Jean Boudrillord. il 0 cosigné avec lui Figures de l'oltbité (Descartes ((ie, 1994). Dernier ouvrage paru ; Jours de colère. L'esprit du capitalisme (avec Pierre Oockès. Froncis Fukuyama et Peler Siolerdijk. Descartes t (ie, 2009). .. 8audrillard avait-il vu la calaslrophe où mènerait la vinualisation boursière des valeurs CI des titres? Avait-il anticipé le krach financier de j'automne 2008 el la crise globale qui s'en est suivi? Non ... ct oui. Non, parce qu'il ne se plaçait pas dans une position de prévision ct de correction de la vie économique et sociale. Oui. car il avait perçu et srigmatisé la "dérive spéculatil'e" (L'Échange impossible, 1999) du capitalisme contemporain. B.1udrillard avait fait le constat du décrochage grandissant entre le monde finan· cier e t le monde économique. Pour lui, il éta it évident que la bulle spéculative, à la croissance folle Ct auto·entretenue, aUait exploser. L!adage '700 big tofair', appliqué au système financier dans son ensemble, suscitait chez lui des observations ironiques et jubilatoires. Un an après le krach, les économies "réelles" ont été touchées: ce phénomène peut être analysé de manière baudrillardicnnc, en évoquant un rattrapage, une liquidmion du réel par le virtuel. Ceci étant, son intuition la plus fone me semble être la suivante: ce n'est pas seulement la finance, mais l'économie dans son ensemble qui est une bulle, une fiction. Via le marché, l'économie donne des prix li toute chose, prétend tout mesurer. Mais contre CCt impérialisme de la mesure, par lequel le capitalisme veut se rendre maître et possesseur de tOUle chose, Baudrillard pose la question, hérétique: quelle est la valeur de l'économie elle· même, et sur quoi se fonde-t·elle? JI est très nietzschéen sur cc point, en 76 1 Mpltmbn. l OtO 1 nurnh042 1 philosophie mogariM s'interrogeant sur la valeur des valeurs économiques. Sa répo nse est sans appel: l'économie n'est fondée sur rien, les prix SOIlt des conventions arbitraires, et les vale urs, des entités f1ottames, incenaines. Dès les premières lignes dc L'&hange impossible, il résume son credo: il n'y a pas de mesure à la mesure, ni même de raison à la raison ... En ce sens, la bulle financière est l'image réduite, la mise en abyme d'une indétermination économique générale qui devait bien fini r par écimer au grand jour. Autrement dit: spéculation financière ("virtuelle") ct activités économiques ("réelles'1, même combat en l'air, même baudruche appelée à se dégonner. Indifférent :'ll'argent ct à 1:1propriété dans sa vie person· nelle, Baudrillard ne proposait pas de programme, de solurions concrètes dans le domaine de I"économie, ni dans aucun aune d'ailleurs. 1\ n'était pas un réformiste, soucieux d'être uutile". Au contraire, il était dans une logique de défi e t de provocation, comme en témoigne ce fra gment d'actualité des Cool Memories: "Une proposition de loi; tous les spéculatcurs dan! les malversations dépas· serolll le gain d'un travail/eur moyen duram loure sa vie de rravail seront condamnés à la peine capiwle." Quant à moi, même si je suis séduit par sa radicalité, je rénéchis IOUt de même <lUX moyens d'innéchir le système, pour faire en sorte que le profit et la croissance matérielle ne soiem plus au centre de la mondialisation. La création d'autres indicateurs que le PIB, par exemple un indicateur santé, est l'une des pistes que je privilégie. ». La culture du spectacle Stephen Hendee est un artiste américain. résidant li los Vegas. Il est auteur de sculptures et d'installations exposées à Los Vega s. l os Angeles ou New York (notomment ou Whitney Museum 01 American Art). Pour découvrir ses trovaux. voir son site personnel : www.stephenhendee.com. " Depuis ma lecture de Simulacres et simularion,j'ai tenté de "rendre visible"les analyses de 8audrillard sur la consommation et ses signes, le tout-artificiel et rhyperréalité. J'ai ainsi fabriqué des répliques grandeur nature d'obje ts quotidiens symbolisant le capitalisme triomphant: des distributeurs automatiques de bîllcts, un jet-ski ou unc énorme voim re américaine en piteux é ta t. Les répliques som faites en carton, si bien qu'cJ1es sonl fragiles, éphémères ... , tOul comme les objets qu'elles dupli(]uent parfaitement. J'ai également conçu un .. Monument au Si mulacre" ( .. Monument to the Simulacru m ", voir pholO ci-desslls). À la base de ce projet, la ville de Las Vegas a souhaité créer un mémorial qui contiendrait certains de ses symboles (des jetons de poker, par exemple) et qui ne serait ouvert au public qu'en 2015, soit au moment du bicentenaire de sa fondation. Pour abriter ce mémorial, j'ai réalisé une reproduction en fer, de 4 mètres de hauteur, d'une montagne, pour faire référence au paysage qui environne la ville, Mais avec cette montagne artificielle, virtuelle, j'ai aussi voulu suggérer que Las Vegas elle-même n'est qu'un gigantesque si mulacre, un univers fantasmatique où tom n'es t que "copie authentique" - il suffit de penser aux ré pliques de la statue de la Liberté ou de la tour Eiffel qui en ornent le boulevard principal. Lors de l'inauguration du monument, en 2007, le maire de 1..15 Vegas, Oscar Goodman, m'a demandé: ~Simillacre, dite5-VOII5? Qu 'est·ce ql/e c'est ?" Je lui ai alors montré une autre reproduction voisine, celle de la cloche de la Libené, et lui ai répondu, ironiquement: ~C'est une copie de l'original.., Les gens veulent tou/ posséder, alors ils font des répliques," Ma démarche consiste donc à adop ter, pour mieux la défie r, la culture du faux et du spectacle constituti ve de Las Vegas, J'ai souhaité dédier celle création à Baudrillard. Sur une plaque de bronze à la base de la construction, sont inscrites ces phrases de son ami et éditeur Sylvère Lotringe r : "Uniqlle panni les philosophes contemporains, Jean Baudrillard a célébré le panorama subliml' lie l.a5 VegCl5, méraphysique dU/15 sa physicaliré, el plus narurel dans son orl ificialieé que l'Amérique e/le·miml' pourraie jamais Nlre. Pœte en concep/5 ee joueur de mots, Baudrillard a culrivé des paradoxes qui défiaienc la réalieé d'exis/I'r. Las Vegas était l'incarnation parfaire de sa pell5ée." En d'autres te rmes, nul autre endroit que Las Vegas - tem ple de l'hype rréalité - n'était plus approprié pour lui rendre hommage, sous forme de clin d'œil. " . Lesphilosophes Phrase choc « L'école nuit à l'éducation» Ivan Illich, Une société sans école (l 971 ) van Illich, inspirateur des mouvements écologistes, a attaqué J'école moderne, symbole, selon lui, d'institu- I tÎon contre-productive. Ses arguments? Il récuse d'abord l'idée selon laquelle le système scolaire COntribuerait à réduire les inégalités sociales, même qUillld il cherche à s'en donner les moyens. Il constate ainsi que le programme d'aide fédérale, Title One, en vigueur allX États-Unis de 1965 à 1968 et doté d'un budget de plus de 3 milliards de dollars, n'a pas empêché les élèves de milieux défavorisés de continuer à accumuler du retard par rapport aux enfants de familles plus aisées. D'autres programmes ont suivi depuis Tide One et la parution du livre d'Illich, Une société suns école, qui om confirmé cene analyse. Il dénonce ensuite le « processus de l'escalade..,: l'école est un service dans lequel réussir signifie consommer toujours plus d'années d'étude. Et même en s'en tenant aux années de scolarité obligatoire, Illich estime que« ces douze années d'école font des enfanu dés/lérités du Nord des adultes inVQlides parce qu'ils les onr subies, el fiélli.ssenr œuxdu Sud, enfom des êlres à jamais aniérés, parce qu'ils n'en am pas bénéficié ". Enfin, par son caractère obligatoire et monopolistique, rendant suspect tout accomplissement personnel en marge de l'institution scolaire, l'école produit un« sous-dévelopJNmenl" progressif dc la confiance cn soi ct dans la communauté. Ainsi, « le système scolaire obligaloire représentefinalemenr pour la plupan des hommes une entrave Q!j droit à l'instruction D. À ["opposé du système scolaire existant, Illich jette les bases d'une nouvelle institution éducative qui aurait trois objectifs: grâce à l"instauration d'un « crédit éducatif ", donner accès aux ressources existantes à tous ceux qui veulent apprendre à n'impon.e quel âge; favoriser le libre panage des connaissances grâce à la constitution de« réseaux dlj savoir,,; permettre aux poneurs d'idées nouvelles de se faire entendre et d'affronter l'opinion publique. Cette nouvelle institution éducative se situerait " à gauche" du spectre des institutions teUes 'lu'an<ùysées par Illich, quand le système scolaire actuel représente une institution " de droite ", au même titre que l'armée, les prisons, la police ou les hôpitaux. L'analyse spectrale des institutions d'Illich distingue ainsi des " instirutioll.5 ouvertes ct non contraignantes 1>, ;) gauche, comme les services postaux et téléphoniques ou les transports, qui sont faites pour être utilisées plutôt que pour produire, et des" institUliolL~ manipulatrices ", à droite, qLÙ créent la demande pour leurs 18 ~"pt~mbr~ 2010 1 numé.o 42 1 philosophi~ mngnIin~ services en même temps qu'elles l'assouvissent, et qui n'ont d'autre but que de justifier leur existence et leur IXluvoir, devenant contre-productives. Appliquant quelques années plus tard son analyse à d'auues institutions, comme le système de santé dans Némésis médicale, J!!ich parvient à la même conclusion: lïnstitution telle que nous la concevons n'est pas génératrice de solutions, mais la partie essentielle du problème à traiter. Dans cette perspective, il ne s'agit plus de« dégraisser le mammouth ", mais bien de se mettre en quête d'un autre mammifère _ FANNY VElUIAX À LIRE : Deschooling Society (Une société sons école) est disponible dons son intégrolité et en anglois sur: www.preservenet.comltheory/lllich/Deschooling/intro.html 1 IVAN ILLICH EN SIX DATES 1926, Naissance il Vienne, en Autriche. 1951. Après des études de théologie et de philosophie qui ront mené il la prêtrise. il pori il Princeton, aux Ëtats-Unis. 1966. Fondotion du Centre inlerculturel de documentation (Cidoc) à Cuernavaca, au Mexique. Ce cen tre de débats et d·échanges voit la publicotion de Quatre livres majeurs: Une société sans école (1971). La Convillialité (1973). Énergie et équité (1973) et NémésiS médicale (1975) . 1969_Abandon du sacerdoce. 1976. Fermeture du Cidoc. Illich ren tre en Europe et met fin volontairement à 10 célébrité apportée par ses premiers écrits tout en continuant il publier il un rythme sou tenu et en diversifiant ses sujets d'étude. 2002. Décès il Brême. en Allemagne. des sui tes d·une tumeur dant il a relusé ropéralion restant fidèle 0 ses convictions sur 10 médecine. L'exempl Les philosophes Kant et le grand seigneur Face à un puissant. à un grand de ce monde, nous éprouvons de 10 crainte, mais non du respect. Car seule la qualité morale d'un être inspire ce dernier. PAR ALJ::.\JS ~~ITC.I II!'OW itant le philosophe et poète Fontenelle, Kant remarque que ft devant un ( grand seigneur je m 'i n- cline, mais nlon esprit ne s'incline pas ". À l'inverse, .. devant un llOmme de condition inférieure,., il arrive que mon esprit s'incline,« que je le veuille DI! non "'. Le grand seÎgneur est puissant. riche, et a tous les moyens pour me contraindre à obCir. Mais si je suis obligé de me soumettre eXlérieurement, je n'en pense pas moins; intérieurement, je peux très bien me moquer de son arrogance et de ses manières. Au contraire, l'homme de condition modeste m'im- pose le respect ct m'incline intérieu- rement. Pourqu oi donc puis-je craindre sans respeeter? Et pourquoi, si je respecte, n'est-ce jamais pour des signes extérieurs de puissance? Sur quels fondements le respect reposet-il, si ce n'est pas sur la reconnaissance d'une puissance sociale? Pour saisir ce sentiment, il faut distinguer deux types de respect, ou plutôt, séparer le respect de tout ce qui n'est pas lui, Je respecte l'autre seulement quand il me paraît exentplaire sur le plan moral, nous dit Kant dans la première partie de la Critique de la raison pratique_ I:homme respecte la loi morale quand il traite autrui comme une fin, et non pas comme un moyen lui permettant d'assouvir son propre intérêt. Cette qualité morale, je peux la [rouver chez n'impone quelle personne, quelle que soit la position sociale qu'elle occupe, Le respect m'élève CI m'écrase simultanément: il me hisse à l'idée d'une perfection morale réelle en l'autre et donc possible pour moi; mais, en même temps, il me renvoie au constat de ma propre imperfection el .. humilie mon orgueil _, Par lui, je fais l'expérience à la fois de tout ce qui est poSSible ct de {Qut ce qui impossible pour moi, Le philosophe de Konigsberg pourra ainsi dire que le ciel étoilé, image scnsible de ma grandeur possible si je m'élève à la pensée de j'Univers el de Dieu, me renvoie pourtant à l'expérience de ma propre petitesse. Faisant connaître à l'homme $.1 desti· nation suprasensible, le respect est donc incommensurable avec tous les autres sentiments. En lui, je découvre aussi que mon orgueil ne peul rien contre la grandeur de l'autre _ PERFECTION HORAlE Elle est renlière conformité de la volonté à la lai morale, Dons la perfection. chacun e de mes actions s'accorde avec le devoir, Ce tte perfection est li la lois eXigée par notre raison et Impossible pour des êtres conduits par leurs intérêts égoïs tes, Elie ne peut donc être qu'une visée qui s'accord e avec l'idée d'une volonté divme absolument morale, RESPECT C'est un sentiment irr épressible, Quand je l'éprouve, c'es t parce que Je découvre chezl'autle une volon té parfaitement con forme li fa loi morale. n s'agi! donc d'un respec t pour une loi dan! je me sens indigne, isère philosophie ," Livres souvenez-vous de l'homme invisible, l'homme qui voit sans être vu? Fennez les yeux, laissez libre cours à votre imagination, ct figurez·vous, sur ce modèle, une autre créature: un homme intangible, qui pourrai! donc toucher sans être touché:" 1/ se tiem devant moi et me rend la main. j'avance ma mai" à sa rencontre. Peut-i/me prendre la main alors que ma main passerait à travers la sienne? Peut-il me serrer la main sons que je seme sa maill dOlls la mielllle? S'il me serre la maill, s'il peUl même seulement lOlIcher mu main, il faut bien que je senle sa main qui arrête la mienne et la pression que sa main exerce sur la mienne. " Une chose esr sOre: .. Notre homme, s'il peut ta/Jcher, doil pouvoir être lOl/ché. .. Conclusion: .. 1/ nya pas d'homme intouchable comme il y a, dans le monde du possible, UI1 homme invisible . .. Cette his- toire extraordinaire fait panie des nombreuses fictions qui rythment Mon Zombie er moi. La philosophie comme fiction (Seuil). Dans son nouvel ouvrage affublé d'un drôle de litre fanLOmatique, Pierre C1ssou.Noguès précise les grandes lignes de sa méthode. Déjà auleurd'un roman, L'Hiver des Peltram, ct de plusieurs essais, le jeune philosophe, né en 1971, investit aujourd'hui la fiction d'un immense pouvoir théorique: c'est elle qui détermine le champ du possible. Ne devient poSSible que ce qui peut être mis en rédt, ce que je parviens à raconter sous la forme d'une histoire à laquelle j'adhère. Un problème philosophique ne se pose ainsi que s'il peUl être posé dans le cadre d'une fiction. Le cas paniculier de l'homme intangible, (lui ne peut être imaginé, à la différenœ de son cousin, l"homme invisible, nous révèle une vérité sur nos sens: [a vue et le toucher n'om pas la même rénexivité. Dans les deux cas, pas de doute, c'est .. /aficliol! qui pt!rmet, par ulle variatioll imaginaire, d'analyser les propriétés de nos sells ". Si ta ficlion est « le milieu de l'illtuitioll philosophique,., le philo. sophe n'a pas de privilège par Tappon au romancier. Cun et l'autre poursuivent une même tâche: décrire le monde,« porter l'expérience cl l'expression ", pour reprendre une belle fonnule de Merleau-Ponty que Cassou.Noguès aime à citer... Pour m'opposer cl un certainforTnalisme, j'ai vmilllelll souhaité revenir cl l'expérience ", raconte-I-il. Et il sail de quoi il parle ... Durant sa première vie, et contre toute attente, notre auteur féru de fiction n'était pas philosophe mais scientifique. Il a intégré l'École nonnale supérieure en mathématiques, discipline dont il est agrégé mais qu'il n'a jamais enseignée: .. Les marhs, c'est un jeu que j'aimais bien, mais qui ne touche pas à la vie. Je ne me voyais pas consacrer ma vie à un jeu . .. Sa bifurcation vers la sérieuse philosophie l'a conduit, via la phénoménologie, à sOUlcnir une thèse sur Cavaillès, De l'expérience mathématique. Essc.i sur la philosophie des sciences de Jean Cavailles (Vrin). Le chercheur au CNRS a en oUlre publié deux monographies sur deux figures majeures des mathématiques, l'une sur David Hilbert (1862-1943), l'autTe sur Kurt GôdeJ (19061978), également au ecmre d'un autre ouvrage moins officiel, plus dérangeant, Les DémOliS de GOde/, qui interroge [a part de foHe du logicien, à partir de ses archives regorgeant de peurs, de croyances très bizarres - ainsi celle note, "seules les fables repré- senre/IC le monde comme il doit l'être ..... Dans le cas de CassouNoguès, on le VOit, l'équation mathématiques + philosophie ne débouche pas sur la stricte philosophie analytique . .. Ce que je refuse, c'est que la philosophie reprenne la méthodologie des sciences, qu'elle se donne comme une pseudoscience. La philosophie possède une rationalité propre, mais qui n'esl pas formalisable comme peut l'être /a mison des mO/hématiques. " Le travail que le philosophe a mené sur Cavaillès a été un palier important dans son incursion vers la fiction: « Cavaillès critique la notion de conscience, de sujet. 11 s'appuie sur une épistémologie des marhématiqlJes pour critiquer la philosophie de la conscience, ce qlj'ilnomme "1'aulO-iIIumination de la conscience", le fait de savoir illlmédiaremenl ce que je pense . .. Comment saisir le sujet si la transparence à soi n'existe pas, si l'unité n'csrjamais donnée dans un miroir? À l'identité, Cassou-Noguès préfère l"identification : .. S'il est impossible de défillir le sujet, ilfaut plutôt en chercher des images. L'identification n'a pas seulement lieu devant le miroir. Je lIl'idenlifie par le langage, dans les romans, à toute une série de , ' Dans le monde du possible, il y a un homme invisible, mais pas d'homme intouchable," , Au bistrot personnages ou de Iype de personnages [. ..) (enains personnages de la littérature touchent aur propriitis les plus essentielles du sujet et les cristallisent pour ainsi dire. les donnenl cl voir", écrit-il dans Le Bord de l'expérience, un« essai de cosmo- logie .. qui paraît aux PUF en même temps que Mon Zombie el moi. Oscillant de Marcel ProUSt à Claude Simon, de Conan Doyle à Edgar Allan Poe, en passant par les récits inventés par le philosophe lui-même (un homme qui perd, littéralement, la t~le; une opération du nerf optique à la fin du XXIV' siècle, etc.), la fiction, telle que la pratique Pierre Cassou-Noguès, a le double avantage de fournir des images du sujet et de permettre d'interroger le rapport que le sujet entretient à ses images. Panni ces figures imaginaires, cenaines ont panicu· lièrement la cote. Ainsi celles qui peuplent Une histoire de mac/lines, de vampires et defous, premier voyage de l'auteur dans les confins de l'imaginaire. Cauteur y suit l'évolution de l'homme· machine depuis la pensée de Dcscanes jusqu'à la science-fiction de Philip K. Dick, el l'opposition entre Frankenstein, la machine, et Dracula, le vampire. Notre philosophe atypique serait-il fou ? Loin s'en faut, sa critique de la raison imaginaire repose sur un credo très fondé:", Les problèmes, pour le philosophe, vÎennent avec les êtres defictioll qui jouem sur les structures de nocre expérience . .. Qui les vampirisent et les affolent . b1'bl'10 (. Hon ZOfIIlMel mol. Laphllosophlecamme fiction l'Ordre pMosoplllque _. Seuil): Le Bord de f"e"pkience. Essoi decQSmaIogie(. M étophy~iqueS _. PUf ). Et ouni ; L 'Hiver des Fellrom (MF, l009): La Ville ault deuxlumikes. GOOgroph/e /moglnfNre (MF. l009); Une histoire de fllDChines. de vampires et de faus(Vrin,l001): Les DMwnS de G6deI. Logique el folie rSeuit.l007); GMei (Les Belles Lett,es.l004): De "e~iencemoIMmotiqul'. dl's scll'ncl'$ deJI'Of1 CavalIMs(Vfin.lOO U: Hilbert{les Essoisur/ophiJosop~ Belle$lettre~.lOOt). Livres Critiques LE BILLET OE JULIETTE CERF ARC -EN-CIEL Goethe rapporte les propos d'un auteur qui aurait dit : ft le taureau devient furieux si on lui présente une étoffe rouge; moiy, fe philosophe. des qu'on porle seulement de couleur, se met en roge. J,) Claude Romono n'o pas 100ssé 10 Joune moutarde lui monter au nez. Le philosophe qui en!ieigne il la Sorbonne vient d'achever De la couleur. sobrement sous-titré. Un cours. et ironiquement publié par les éditions de la Tronsporence ... O'emblée, il montre en quoi la réftexion sur la couleur traverse toute l'histoire de la philosophie. de DémOCrite à Aristote. en passant par Locke, Newton et Meneau-Pomy. Ces auteurs dialoguent entre eux autant que les couleurs elles-mêmes qui agissent les unes sur les autn~s, suivant leur complémentarité ou leur opposition. Cette question Chromatique pose de possionnants problèmes qui rythment notre quotidien. la couleur est~elle subjechve ou ObJective? Est~elle une propriété inhérente oux choses ou liée à notre perception. immonente li 10 conscience? Claude Romano réserve un important chapitre li Wittgenstein, et à son idée de grammaire des couleurs, Wittgenstein porle de 10 « structure logique »des couleurs, alors que Merleou~Ponty en foit le « ton de rétre », Suivant le phénoménologue, Claude Romono écrit: «La couleur est un monde {..,} parce qu'elle possède sa propre profondeur, sa vibrotion et son rayonnement. son rythme, sa manière de s'adresser li nos tonalités affectives. parce qu'elle communique avec d'autres modalités perceptives. elle est une propriété tOUjours totale et. si l'on peut d,re. un mode de présentation du tout lui~même. »Refermons ce billet aux couleurs de l'orc~en~cjel par l'étrange et entNont vers de Claudel qui ouvre le livre : If Une aussi blanche/Pivoine que Je sang/est/rouge. » De la couleur. Un cours, de Claude Romano {la Transparence. 20 El. Claude Romano publie également Au cœur de la raison,la phénoménologie (<< Folio Essais n, Gallimard). MAURICE MERLEAU - PONTY L'enfance du monde " Mon cher Merleau, J'ai longtemps attendu aVO/lI de te répondre: c'est que j'ai longtemps hésité ( ... J. Tu as critiqué ma position directement ef indirectement, en conversation avec moi et publiquemenll ... ). La vraie réponse tefaire, c"est celle-ci: je n'approuw! pas la posifion et je la blâme, .. Ces lignes sentencieuses SOnt signées Jean-Paul Sartre. Le destinataire de la lettre? Maurice Merleau-Ponty. Nous sommes en 1953, Il Ya de l'cau dans le gaz entre les deux amis, qui se sont rencontrés à l'Ecole normale supérieure. Depuis 1945, ils animent ensemble Les Temps //Jol/emes, revue dont Sartre est le directeur et Merleau-Ponty le rédacteur en chef. Mais les nuages s'amoncellent entre eux, avec comme pierre d'achoppement la question du marxisme et celle du a régime soviétique. Là où Sartre se rapproche des communistes el fait l'éloge de l'URSS passée et présente, Merleau-Ponty bascule dans l'opposition au stalinisme après sa décou verte des camps de travail et l'offensive russe en Corée, .. prise de conscience ,. de la terreur en marche, En 1953, donc, il donne une conférence sur le thème Philosophie et politique aujourd'hui », et un compte rendu dans L'Express fait état de critiques envers Sartre. Pris de nausée devant le crime de lèse-majesté, cc dernier écrit la lettre mentionnée, agressive ct menaçante. Merleau PonlY, indigné, a beau lui répondre que sur les" 14 pages de nOieS " à la base de sa conférence, seules« de/a ,. le concernent, la rupture est consommée, Sartre ["autocrate le renvoie des Temps modemes. Deux ans plus tard, 0< dans Lt.S Aven/ures de la dialectique, Merleau-Ponty fustige longuement "' /"ultrabo/chévisme .. sartrien, En compilant dans sa première partie les écrits politiques de Merleau-Ponty el les lettres échangées avec Sartre, ce volume des Œuvres (quasi complètes) du philosophe. édite et préfacé par son grand disciple Claude Lefort, permct de rcconst iruer le dossier de cette broui lle qui laisse tra nsparaître une alt itude fondame ntale chez Merlcau -Po nt y, Pour lui, tou t jugement doit se faire à l'épreuve des faits, de la "' virué effectil'e de la choS#! ., pour reprendre: une expression de Machiavel, S'il finit par rejeter le marxisme Ct la version existentialiste qu'en donne Sartre, c'est qu'ils négligent les événemems concrets et imposem dogmatiquement à l'histoire un but prédéterminé (la RévolUi ion du prolétariat), Or c'est là un puissant trait d'un ion en tre les œuvres politiques et philosophiques, rassemblées dans la seconde partie du volume: le refus d'une . perule en survol., d'un regard théorique abstrait Ct surplombam, Merleau-Pomy, lui, se veut résolument terre à terre, en prise directe avec la trame contingente de l'histoire et du monde, JI adhère au mot d'ordre de Husserl qui fonde la phénoménologie: reve nir aux ... cllost!! elles-mémes », Mais contrairement au même Husserl, il n'affirme pas la prééminence de la conscience, qui constitue en objet de connaissance lout ce qui l'emoure, afin de s'en rendre maÎlre et possesseur. En phénoméno-géologue, Merleau-Pomy sonde plutôt les nappes archatques qui se tiennent sous la réflexion; il découvre la pan de passivité et d'opacité qui régit la vie de l'esprit. Le sujet n'est plus transparent à lui-même, Ct son ami Lévi-Strauss ne s'y est pas trompé en lui dédicaçant La Pensée sauvage. Telle une barque silencieuse CI aventureuse, Merleau-Ponty quitte le rivage des dualismes traditionnels (âme/corps, matière/ pensée), pour arrimer les contraires (chez lui, l'esprit s'incarne, le corps pense) et s'immerger dans le monde, La perception, phénomène In lassablement méd ité, no tamment d:ms la bien nommée Phénoménologie de la perception (194S), do nne le la; plongé dans le milieu naturel, je suis li la fois voyant et visible. touchant et touché, Cene réversibilité fait signe vers un .. entrelacs .. primordial, une coappanenance du sujet et du monde à laquelle le manuscrit inachevé et poslhume Le VÎ.sible el l'invi.sible ( 1964) donne le nom de .. chair _, Le retour à l'expérience vécue est donc affaire d'enracinement, mais également de surgissement. Dans 10US les domaines, Merleau-Ponty saisit ce qui apparaît à l'état inchoatif et dans son devenir, il scrute la ", nai.ssance conflnute .. du réel et l'avènement du sens, C'est ce qui se produit chez l'écrivain, qui faÎt éclore de nouvelles significations dans _le miracle de l'exprtssion ", C'est encore te cas du peintre, Cézanne en tête, dans L'Œil el /'espril, qui capte le ... rayonnemellf du vulbl/'! JO en son aube, L'histoire ellemême n'est jamais close, les hommes la font sous nos yeux, CI la politique re nvoie fi .. l'aclion qui s'inverlle » id et maintenant. Et le philosophe? Un • professionnel d/'! IïnséCUrllé " en ta nt qu'il est un .. commençaltl perpélllel ... .. Rapprendre à voir le monde ", c'est s'en étonner et l'arpenter comme si c'était le premier jour, JI faut imaginer Merleau-Ponty enfant. Lui qui est mon trop tôt, foudroyé par un arrêt cardiaque en mai 1961 , à l'âge de 53 ans, il faut l'imaginer sans cesse renaissant. En un mot, un . MerleauPoilly vivant ", titre de l'hommage que lui a rendu .. , Sanre, MAItTIN DUIt U 1À LIRE Œwrft. lM! Hounce Heneou-Ponrv. 1td,1"," oIiloblie et PfolilOCM pot C!oude Lefort, 1_ QUOflO _, ~d! Lwe o!iQoIl!fTIt!flt noueOOUM!< SIII HOOIKe Ht!fltou·Pont~, PfIIIaJophJe mfJ{JOL11Ie no t9 (mo! Z008! livres 1 Critiques POLITIQUE Au non de tous A ppel à la résistance citoyenne contre le fichage des enfanrs: directrices, directeurs d'écoles, nOl/5 ne mettons pas et ne met· Irons pas en place l'application dite "Base élèves" " ... Ainsi, " les appel.s à la désobéissanœ civile se sont mis d proliférer dans la France de lofi" des années 2000. C'en eSI presque 011 poilll où le refus délibéré de suivre les prescriptioru d'une loi, d'un décret ou d'une circulaire, ft'mu pour indignes ou injustes est devenu une fonne counlnlt d'action politique. .. Ce phénomène est au cœur de Pourquoi désobéir en démocratie ?, ouvrage approfondi et engagé de la phi. losophe Sandra Laugier et du sociologue Alben Ogien. Selon eux, ces « réuerions épidenniques de refus de l'inadmissible ", confinncnt la thèse de H. D. Thoreau, philosophe américain père de l'expression .. désobéissance civile ,. qui témoigne, selon lui, de la vitalité du politique inhérent à la démocratie. Paradoxe, car se mettre hors la loi pour contester une décision officielle pone en soi une menace pour la démocratie ... La désobéissance lui est-elle essentielle ou nuisible? Existe-t-il un droit à la désobéissance? Cité, le philosophe Étienne Balibar identifie trois critères de la désobéissance .. politiquement responsable ... Elle répond à une urgenœ, ouvre sur la possibilité d'une action collective et assume ses conséquences, légales e t politiques. Deux rypes de manifestations la caractérisent: .. Ulle réaction viscérale cl l'indignité ,. et " le reflls de remplir des obligations légales ". Ce dernier cas, qui pose la question de la façon dont nous sommes gouvernés, occupe le cœur de ]'ouvrage, coostirué d'une enquête minutieuse autour de trois pôles de désobéiss.ance : l'école, l'hôpital et l'université, où se fonl sentir les effetS d'une réfonne gestionnaire entamée depuis les années 1970. Ainsi à l'hôpital, le PMSI (Programme de médicalisation des sys· tèmes d'infonnation), chargé de produire des données, entrave la libe.né pour le médecin d'établir un soin adaplé qui n'entrerait pas dans les grilles. Cette .. vio/enu arithmétique de la quantification .. a introduit une rupture de la", $OCÎalité,., une .. dépossession de soi .. : le citoyen n'a plus d'emprise sur les débats publics. La désobéissance civile répond à cette dépossession. Dire >< pas en mon nom ,. équivaut à récupérer sa voix. C'est d'ailleurs l'un des ressons de la politique. «On n'a pas une voix propre par nature : il faut la trouver pour parler au nom des autres et laisser parler en votre nom. " Les auteurs militent pour un individualisme qui ne soit pas égoïste, mais qui consiste en une " confiance en soi » pe.nnettant de parler pour les autres. Ainsi les formes actuelles de. désobéissance " reflètent er rendent public l'état du rapport qui s'est noué, au fil du temps, entre la revendication individuelle de liberté et œUe, collectivt', de citoyenneté .. • ttDRlt [NJAlaUT Pourquoi désobêtr el! cMmot::rorie ? de 5{Jndr(l Lmlgie.- el Alberl 0gier1 (l(lOée~e. ZO € I . LlTIÉRATURE MÉTAPHYSIQUE DE LA PHRASE Est -il pertinent de trovmller 10 lorme des ptlmses d'un rornon ahn qU'elles reUètent la psychOlogte des personnoges ? Certoms out€\JfS le crOten1. qUt translOfment ln norratlon en une SOfte de colligraptlte. Pormt eux. Lourent COhen, qUI VIent de pubherun prerT1l€r roman VIrtuose. Sols. Deux personr.oges s'y donnent 10 réplique. S. G.. érudIt se coosocre à t'angéJolog!€. dlsoplme théologique oflrontont des Que5tlOOS OUSSI obyssolesque' les anges meurent-Ils? LecDS échéant est-ce Que D!€U meurt un peu avec eux ? Dans les chapitres mettant en scène S. G.. l aurent (ohen réUSSit un tour de force: Il porodle la phrase urwet"Sllou-e.lOngue. énumératIVE'. surchorgée de pc.lIrIts-VII"gules et de ttrets. ovec ItalIQUeS et notes de bas de page. Pour une descnptlOn. cela donne: « Ldit est un homme élégant et {Manne. /.Mde. regard bleu saturé. el - cette VISion me stupéfia -des nonnes formidablement asymétnques: la drOIre. Jargeer tWsée. relie une ventOU5e 5(J1ffeuse. imp/orOnte: 10 gauche: ossez minable vaguement denrelée. »Dans les Chapitres où LoiC Rothmon. hiStorien de VIChy dépreSSIf. parle. les phrases sont courtes. non ponctuées 1( La secrétO/l€ de Faye est une femme longue. Elle Q le cheveu orgenrlfl. Bleuté. Certoills l"a(JpellenrjUstement la sordlne.» les chapitres (je S. G. sont présentés dons une police de type Goramond. élégante. ceux (je Rothmon en Couner ou Anal. neutre. Avec ces deux fonnes de phrases. deux viSlOllS du monde s'opposent . l'unIVers mental de S. G., baroque. ésotérique. bo ~ne dons la subjectIVIté tandiS Que Rothmon s'occroche avec dé'sespoir oux laits. à l"objectMté. Cette subtilité n'est Que rune des surprISeS Que recèle l'étonnant OlNI (Objet httéfolre non identlhé) de Cohen.. De la littérature expérimentale QUI coûte quelques moux de tête. certes. mOts permet. contlOlrement à 10 promesse du titre de décoller. • ALfXAHORE lACR OIX 5dl. (le l(UeIll (ohen fAcIes Sud, 18,80 €I. JIA!.;.MICHIL OUCHOUIUAN Psychopolitique FLORILÈGE L'ART DE LA FORMULE À fUnlwniicé. mts professeurs me fmi· raient de dilf'rranff', esrimOIll domma- 01 geablt pour mon Inlell'8t'nct dl! cu/mou la paresse. Je plOldais coupable. Je nai jamais eu d'amour, mais simplemf'fIf du gOÛt, pour la philosophie. ,. Ainsi Frédéric Schifher se défarde·t-il dès les premières pages de son nouvel essai, intirulé PIUlosophie .stnll/J!enrale... Son goût P.1I'CS5eUX pour la philosophie, teinté d'une préférence pour les mora· listes CI les égotistes, sc cristall ise volontiers sur les maximes, pensées, sentences, bref sur les mnnifestations de l'idée 50US forme br!!~'C .... .. for. mule ,. plutôt que lrollé .., CaUlcurdu Philosophe som ql/a/ita (2006) CI de 01 ft Sur le blabla et le chichI des philosophes (2001) a lui-même publié. en 2009, quelques courtes Dd«lUtlollj moroses. aux éditions ... Le Dilettante 1 Dans sa Philosophie sentrmema/l', Frédéric Schifftcr commente aUJOurd'hui dix citations de penseurs qui J'om parliculièrement marqué : dans J'ordre, Niensche, Pessoa, ProUSI, Scnopennauer, l'EcclésiaSle , Monlaigne, Chamfon, Freud, Rossel el Onega y Gassel, lesquels abordent les rivages du navail, de la sagesse, de la mon, de la souffrance, de l'Ilmour, elC, Un décalogue vivant au fil duquel s'entremêlent confidences personnelles et réflexions pnilosopniques, Ainsi le chapitre ultime consacré à l'Espagnol José Onega y Gasset (1883-1955) '"' L'amour est la t/!nfati~~ dëchang/!r deux solitudes. -s'ouvre sur le sou\'enir d'un regard miraculeux échangé avec une inconnue, âme sœur entrevue. Cet événement fugace conduit à une réflexion sur la '"' chio ri/! orri· guienn/! .. de l'enamorami/!nto qui commence toujours par "' la surpris/! et la captllre d'un regard '". C'est Montaigne, auquel le pnilosopne a déjà consacré un essai, qui alimente le cha· pitre le plus substantiel de l'ouvmge, À pan ir de l'aphorisme .. Le bUI de notre cam"ère, "t'SIlo mon ,., Schiffter remet en perspective la vie de l'alilcur des Essais - sa peur du vieillissement, son amitié avec La Boétie, '"' ses coups d/!.sang et ses accès- de misanthropù.' ... Il insiste sur cette double quest ion, centrale li scs yeux: ... Quelle place occupe la vie du philosophe dam son œlM'l'el quelle place ocrupt /œuvre du phlJoseph/! dans.sa vie? .. Prônant une philosoph)e \-mIlle, il rend en chemin hommage au Ir.....-e de Diogène Laerce, boussole pour s'orienter dans la phi· losophie antique, VÎ/!s, doctrinu el senunc/!s des philosophes illustres, Lequel n'était autre q ue le livre de chevet de Montaigne, amateur de voix singulières plutôt que d'idées désincarnées _ JUU01"tClAf PSTCHOI'OUTIQUf )(AN·MICHEl OUGHOlJRUAN ~.- dt ReM G.;wd dtr~R~ 16811 1 9~ l'o.\er le prolJ!eme politique cot1(Tclt'ntetH, ('est ce que Jean-~1id,cl Oughourlian (LllI di! mal1ler admirable dûn ce p('tJr Il re d'entreCU'ns MIr/t' dl' l'Y/nee 1'(lLlr le XXI ~il'dt' (lU il rcpond aux quco;tiOlJ<i r~ ('es par un jeune tht'rcheur anteY/cain' :tf'rt FRANCOIS-XAVIER OC Ir<u :1 .. , ' 10 f1Jl' MI'!<OM. 75011 PARIS Tel 01 SB 51 t 0 42 OlfqU1Oddbed,tlOllSCom '" UvreslCritiques NOTION 3 ESSAI GRINÇANT Petit Éloge de/'ironif!, de Vincent Del(>Croi~ (w folio~, Gal limord,Zoe) Elle était l'orme préférée de Socrate. source vive de rlnterraçOlion philosophique. «L ifome:césr rensemble des sons que prodUit le langage avant qu'il ne SOI! accordé sur/a noteJUS le. Ça ql/ncl' », écnt aUJourd'huI Vincent Delecroix.. Spécialiste de Kierkegaard,le philosophe dresse son Petit t/oge de liromeen trois tableaux: des lrogments « à rusage de ceux qUi trouvent les dialogues faslldreux »; un dialogue entre MOI l'ironiste et LUI son détracteur: et un conte parisien sur le thème de l'ironie du sort. L'essayiste maliCieux manie le paradoxe et stimule la réflexion: « Sil'Irome est le négatif, el/a mort le négatif absolu. alors /() mort €Sll'Iromeau carré. CeSI sam doute /0 fOison pour laquelle elle ne IIOUS fall pm nre. )J et DRIC ENIALBERT __ - 20 19 --;"'~7"'-'6 • 6 cg 'N'T~/ LE PALAIS DU TEMPS ra/pm le temps!de Christophe Bouton, ~Iu,tré por Joch!>n G!>rnl>r (. Chouene peMert _, Golhmord Jeunesse, 10,50 €). ParloiS,lo philosophie devient un Jeu d·enfant. C'est ainsi que Chnstophe Bouton. éminent spécialiste de philosophie allemande, aborde 10 question la plus épineuse qUI soit. celle du temps, ce «compagnon InVlslble)J. En portant des Jours et des nuits, des 6ges de la Vie, des montres et des calendriers. Il aborde les mystères de la fugacité du présent, de l'irréversibilité du passé et de l'impréviSibilité de l'avenir, Le temps serait-II une désespérante «prlsan à rou/eues »? Non, allirme l'auteur, servi par des Citations et des illustrations d'une élégante simpliCité, La cage peut se translormer en vaste palOis grâce à la mémoire, à la redécouverte du présent par le Jeu, et gr6ce à la liberté de l'avenir. Un limpide exercice de pensée pour petits et grands. MICHEL ELTCH"NINOff NOS COLLABORATEURS PUBLIENT HOMMES DES CAVERNES 5,,1'% and the City, Reduction du temps dl' trouvaIlle. de lui IOorgoud. Il.S0€), Jul, qui dessine tous les mois ta BD de Phif050phle magazine, avait illustré notre dossier « Le singe descend de l'homme! » (n03S). Il publie aujourd'hui le second tome de son hilarant Silex and the City. voyage dons le préhistoire, avec la fami lle Dotcom, confrontée aux questions et laits de société qui sont les m'ltres. 810g change d'orientallon professionnelle: recruté par Désir d'avenir, il abandonne la grotte des profs et se lance dons l'événementiel en open-space.. , Le dos bloqué, Spom. sa lemme, se rend chez le kiné, ou carnet de rendez-vous déjà rempli jusqu'ou néolithique. Diagnostic du médecin: Ir Blpédie mal assumée, redressement trop rapide + stress: c'est le truc classique de l'Homo Erectus »! JUUmf:CERf « Quelqu'un sera d'autant plus savant qu'il se sera mieux aperçu qu' i1ét ait ign0 ra nt. » ~troOO::llOIlOe Jem-(t()lJOe Nlcalas de CuesOOIlS DelDdocteignorlJ/lCl', LOgomguelCerf, p. 781 BILINGUE MÉTAPHYSIQUE 1 -- tpigmmme5. de Luden. suivi d'Apologie du di!ellrJnte, d'Alberto SOVlnIQ {le Promen!>ur, I3.S0€}. Com~dksflummnes, de luclf'n, tradU it et onnoté pa, Anne-Marie Ozonom Iles Belles Lerues, 14,50 €) . Deux éditions bilingues permettent de déCOUVrir LUCIen, qUI est à l'Antrquité grecque ce que Voltoire fut ou XVIII' siècle. Salt le contempteur le plus fameux et le plus -, acerbe des travers de son époque. SI l'avocat des Lumières exceliOit dons 10 dénonciation d'une religion décadente, le rhéteur LUCien fus tigea sons reldche les écoles phllosophrques de son temps. Ses tplgrommes sont accompagnées d'Apologie du dilettante. un ~il magmhque texte écrrt par Alberto SaviniO (189 1-1952). L ____- - - - - - - ' Frère de GiorgiOde [hlrico. il permit à l'Europe littéraire de l'entre-deux-guerres de redécouvm l'œuvre du Syrien né vers 120 après Jésus - Christ. Les [om~les humamesregroupent des tex tes à l'humour ravogeur, peuplés de personnages houts en couleur. tels Le ParaSitee ! Sur les Mtes d gages. Le conseil de LUCIen: «Cours sans l'orrêter. ris le plus souvent el ne prends rien au séfleux. }} C'est entendu. JON ATHAN CHAUVEAU loI::lIo'-'_ ...... 86 sept embre ZOIO 1 numéo-o 42 1philosophie magazine "--1 HISTOIRES À S'ARRACHER LES CHEVEUX SATIRES ANTIQUES le Puzzlepflilowpflrque, de Il'; Benovsky (lthoque, 17 110 . 1 Uoestot"eetlemo"eoodmg,'edom elle est faite cons tituen t -Ils deux objets différents 7 Arthur le punk chauve dOit-II se 100sser convarncre par l'argument décapant de so COiffeuse qU'II ne l'est , pas? Elle prétend que SI l'on n'est pas ~ chauve avec 100 000 cheveux. on ne • .. l'est pas non plus avec 999 999 ... ni ove<: 2. ml. ni O. Si le raisonnement vous semble tiré par les cheveux, essayez donc de dire combien il fout de groms de soble pour foire un tas ... Les Cinq histOires proposées pOr Jin Benovsky, préfacées par Pascal Engel. sont autant de pièces d'un faSCinant puzzle phllosophrque. En prenant son lecteur ou Jeu, l'auteur. Jeune philosophe né en 1978 qui enseigne en SuiSse à l'université de Fnbourg, réussrt son pan: rendre acceSSible la métaphysique sons la simpl,fler. MATHILDE LEQUIH 1 ~ LE CLASSEMENT DES MEILLEURES VENTES EN PHILOSOPHIE If MICHEL ONFRAY, Le Crépuscule d'une/dole. L'affabulation freudienne (Grasset) ZI RÉGIS DEBRAY, À un ami isroélien. Avec une réponse d'Elie Barnovi (Flammarion) 31 ÉLISABETH BADINTER. Le Conflit. La femme et la mère(Flommorion} 4/ ALAIN BADIQU. ALAIN FINKIELKRAUl L'Explication (Nouvelles Editions Lignes) St Revue Le O~bol. 30 ans (Gallimard) 6/ CYNTHIA FLEURY, La Fin du courage (Fayard) 7f ÉLISABETH ROUOINESCO. Hais pourquoi tant de haine ?(Seuil) a/COLLECTIF, LE DÉBAT. De quoi l'avenir intellectuel sera- t -il fait? (Gallimard) 9/ ANDRÉ (OMTE-SPONVlllE. Le Goût de vrvre et cent outres propos (Albin Michel) 101 MATTHEW B. CRAWFORD. llogedu corburoteur(La Découverte) 11/ MARIE DE HENNEZEL BERTRAND VERGElY. Une vie pour se mettre ou monde (Cornets NordI lZ1 EDGAR HDRIN. Ha gauche (François Bourin) IJI ALAIN BADIOU. NICOLAS TRUONG, tloge de l'amaur(Flommorionl 141 OLLIVIER POURRIOL. t'oge du mauvais geste (Nil) lS/ NOAM CHOMSKY. Raison t liberté. Sur la nature humaine, J'éducation t le r61e des intellectuels CAgone) 161 PAUL VIRILIO. L'Administration de la peur{Te~tuel) 17/ JORGE SEMPRÛN, Une tombe ou creux des nuages. Essais sur l'Europe d'hier et d'oujourd'hui{Climots) 18/ NOAM CHOMSKY. Pourune éducation humaniste (l 'Herne) __ __ 19/ CLAUDE l~VI-STRAUSS. Tristes tropiques (Pockel) _<->_ 201 HIPPOLYTE TAINE. Vies et opinions philosophiques d'un chat (Rivages) ..*""" ___ ... _ _ ... _ I~, ..... ....... ,,_,or........ _ ... _ "w .,:_ ... , .............. ... __ _ _.O _ _ .. _ ......... ) IJ. _ PROJECTEUR EDGAR MORIN Ma gauche. plutôt Que la gauche, lont If ce LA unlflcareur!. .. ] occulre les différences. les appOSlfions elles conflits. [or 10 gauche est une nOf/on complexe. dons le sens où ce terme comporte en lUi unité. concurrences et anragomsmes ». Au hl des deux parties. (1 Pensée _ et« Mondialisation _. QUI organisent Ho gauche. recueil de réfleXIOns et d'anolyses publiques. le philosophe et SOCiologue Edgar MOM revient sur Jo notion de (fIse SOCiale. sur l'identoté natIOnale. sur l'éthique de la compleXIté. 1. c, " Les arts Littérature e ronlffiL, ~. ung I~ '? ue . Où en est l'art du roman? Se renauvelle-t-il ou se répète-t-iI 7 Pourquoi continuer à en écrire ou à en lire 7 Réunis aux 4' Assises internationales du roman, à Lyon, en moi dernier, les écrivains britannique Antonia S. Byatt et françOls Laurent Mauvignier, ainsi qu'Antoine Compagnon, professeur de littérature contemporaine, tentent d'apporter des réponses à ces questions délicates. l'!lûms ru,n;I.I. PNt AU","''''>: I.ACROIX oribonde, la ficti on ? À "heure où plus de 700 nouveaux romans déboulent en librairies, la questio n peut semble r ma lvenue. El pourtant.. . À chaque époque, son genre de prédilection, elle roman a peutêtre fait son temps. La poésie lenait le haut du pavé à la Renaissance, avec Ronsard ou du Bellay. Le théâtre a niomphé à M l'Âge classique, poné par les tragédies de Racine ou de Shakespeare. Le roman, lui, s'est imposé comme un gcnre majeur au ~ siècle, grâce aU}( plumes de Dickens, de BaI7.ac, de Flauben ... On ne compte pas les génies romanesques qui Ont éelos entre la parution de NOlreDame de Paris, de Hugo, en 1831, CI celle du Vieil Homme et la mer, de Hemingway, en 1952: Proust, Joyce, Musil, Faulkner, Céline ... La Rus· sie tout entière s'est identifiée aux fresques de Tolstoï et de Dostoïevski; le rêve américain est né chez Dos Passos. El de nos jours? Il se pourmit que Je roman soit entré dans une phase de latence. La littérature semble chercher un nouveau genre d'élection et ne plus guère innover dans celui-ci. Dans son dernier cours au Col· lège de France en 1980, Banhes se dl!clarait panisan d'un« optimisme sans progressisme .. et souhaitait l'avènement d'une nouvelle fonne lit· téraire, entre roman et es5.1.Î ... Vingt-cinq ans plus tard, dans 5.1 leçon inaugurale au Collège de France, Antoine Compagnon reprenait à son compte cette inquiétude: «Après la question traditionnelle ~Qu'esr<e que la llrrémeure ?~, question théorique ou histon·que,.se pose plllS sérieu· semellt la question critique et politique: ''Que peut la litlérarure ?~Aurre· mellf dit: WLa lit/émeure, pour quoi faire?~ .. Antonia S . B'fatt : Le roman n'est rie n d'autre qu'une nouvelle variante de l'art de raconter des histoires. Et lil narr<nion est une activité humaine très ancienne, plus encore que l'invention de l'écrimre. On peU! lire les épopées de l'Anti<juité comme des romans, de même que 88 septembre ZOIO IlUflWfO 42 pllilosopltle mG9Grine Dante ou Lao-Tseu sont pour moi des romanciers. Nul homme ne peut vivre sans mettre le monde en récits. Par ailleurs, la fonne du roman est ouvene: il existe des romans en prose, dialogués, par lettres ou en vers; C'CSt pourquoi cene fomle est fluide, tandis que celles qui Ont disparu - comme le sonnet - étaient plus rigides, plus conrraignantes. D'autre pan, ce som les critiques qui affinnem que le roman est fatigué. De fait, œtte question est indissociable de la relation entre critiques ct écrivains. Lorsque j'ai imenvievé Nathalie Sarraute sur la SBC, elle" déclaré: «Aujourd'/l1l~ on Ile peut plus décrire deJ bowons comme le faiMlit HOlloré de Balzac, avec le méme sem du dérail! » Quand je l'ai entendu dire cela ,je me suis dit:« EII bien, puisque c'est ainsi,je. vais clécrire des centa ines, des milliers de boutons!" Le département littéraire était alors dominé par le grand critique F. R. Leavis. Reprenant à son compte une expression de D. H. Lawrence, Lcavi$ soutenait que le roman était ft The One Bright Book of Life ... , ft le. livre unique et lumineux de la vie .... Il s'en faÎs..lit une idée si élevée ... que pas un seul romancier n'est sorti de son cours. Il a rraumarisé la plupan de ses étudiants, les a convaincus que nul n'était de taille à sc mesurer à un genre aussi difficile. Cependant, si vous oubliez les oukases de ces grands intellectuels critiques et que vous VOliS intéressez au roman contemporain, vous verrez qu'avec des aut eu rs comme J. M. Coetzee, W. G. Sebald ou encore Patrick White, le genre se pone bien. De droite ô gauche. Antonio S. Byott Romancière bnlonmque Iouréate du Boc»:;er Pnze en 1990 pour Possession. romon total. d'une habileté Sldérante. elle est l'auteur Des anges et des IIlsecres (Flammanon. 1992) ou de Nature morte {Flommanon. 1985}. OfnSl que d'essols non traduits consacrés 0 Ins Murdoch. Wllham Words'w'orth. Samuel T. Coiendge. Herm MatISse. etc. EHe a ensetgné 10 littérature ou London College Unrver5lty. Antoine Compagnon Il occupe ou (allège de Fronce la chOire de littérature moderne et contemporaine et enselgl"le 0 Columbia (New York). Il a publié notamment Les AntlfllOdemes (Gallimard. 2005). Proust entre deux SNk/es (Le SeUil. 1988). À SIgnaler. sa tonIQue leçon Inaugurale ou Collèçe de Fral1Ce La Lltrérature. pour quoI fOire ?(Collège de Fronce/Fayard. 2007). lourent Houvtgnief Son œuvre publiée chez MIllUlt se portQge en deux péflodes: 10 prermère explore le monologue Iméneur avec Lom d'eux(l999) ou Apprendre à hmr(2000): 10 seconde rev1Slte les trogéches de l'histOire contemporQlne. ainsI le bain de song ou stade de Heyse!. en Belgique. en 19B5. avec Dons la foule (2006) ou 10 guerre d·Algérle. ovec Des hommes(2009). " JI faut trouver une écriture qui ne fasse pas de bruit, qui ne prolonge pas le bruit dans lequel nous baignons en permanence. » LHOUYignier . ' • ~ • Antoine Compagnon : Bien que j'exerce la profession de critique, je rejoins ce point de vue et j'ajouterai même: tout est possible à tout moment en littérature. Le philosophe Siegfried Kracauer parlait de .. nonsimultanéité des oontemporoin.s .. : nous sommes là, les uns à côté des aurres, contemporains donc, mais chacun se trouve à un moment différent de l'Histoire. Les hérauts de ce qu'en France, on a nommé le Nouveau Rom.m, Sarraute ou Robbe-Grillet, prétendaient qu'il fallait en finir avec Balzac, Zola et Flaubert ... Cela n'a pas empêché d'autres éc rivains, au même moment, d'écrire dans une veine beaucoup plus traditionnelle, comme Henri Troym ou Michel Déon. À la même date, certains écrivent en alexandrins et d'autres en vers libres. Pendant longtemps, les critiques Ont voulu imponerdans le champ de la linérature la notion de progrès, grand leitmotiv de la modernité: à leurs yeux, il fallait rompre avec la nadirion, innover, avancer. JI s'agissait d'aller toujour.; plus loin dans l'exploration du langage. Quand j'avais 20 ans, en 1970, Pierre Guyotat publiait Eden, Eden, Ethn avec des préfaces de Roland Banhes, de Michel Leiris et de Philippe Sollers. tOUtes trois imposantes : nous avons eu alors le sentiment qu'une sorte de limite ••• . , Les arts 1Littérature ••• était aneinte, que nous étions arrivés au bout de ['exploration de la textualitc:, comme on dis.1it dans le jargon de l'époque. Et puis ... el puis, il était, en effet, difficile d'aller plus loin, el Pierre GUyol3t a presque cessé d'écrire pendant trente ans, avant de revenir à de très beaux récits autobiographiques, de facture beaucoup plus classique, au débUl des années 2000. Nous-mêmes, épuisés à (orce de spéculations sur la texrualité, il nous arrivait, comme Banhes, de relire un bon roman d'Alexandre Dumas le soir dans notre Iii, pour le plaisir. Car le voici, l'écueil de la critique: il y a un moment où l'intelligence du texle risque de l. M. : Les écrivains om besoin d'écrire, donc pour eux la question est réglée. M3is on peut aussi poser la question autrement: les lecteurs sont-ils fmigués? A. Co La lecrure est en effet un problème actuel crucial. Du milieu du XIX" siècle jusqu'au milieu du XX<, on lisait des romans pour se former. Le TOman a été une grande occupation des adolescents occi· dentaux, à la fois une formation éthique et un apprentissage du monde. Quandj'ai lu Le Rouge et le Noir, dur.:ant l'été 1964, j'ai compris ce qu'était l'ambition. Célé suivam, grâce à Crime et châtilllf!IIl, j'ai saisi le problème de la culpabilité. ~ée d'après, Guerre et paix m'a confromé ft la question de la mon. C'est ainsi que, pendant plus faire oublier le plaisir du texte. Je suis un critique qui d'un siècle, les jeunes gens se sont fonnés pendant leurs vacances lient au plaisir de lalattlre, el cc plaisir se renouvelle d'été, longues et ennuyeuses, ft travers des lectures demandant un au contact d'œuvres de routes sones. dfon assez soutenu. Aujourd'hui, cene fonction du TOman - Ct le r.:apport au temps estival qu'elle suppose - a dis· paru. Résultat, la tranSition emre la lecture d'en" Du milieu du XIX' siècle jusqu'au milieu fant, heureuse, facile - car nous avons aujourd'hui une littérature pour la jeunesse de du XX', on lisait des romans pour se former. très grande qualité - et la lecture des jeunes Le roman a été une grande occupation adultes est très difficile. LI y a toujours, chez les adolescents et les adultes, une demande très des adolescents occidentaux» A.Compognon forte de récits, si puissame d'ailleurs qu'elle produit parfois des effets ridicules. Aux Etats-Unis, lourent Hauvignier: Ayant eu un parcours scolaire p.1r exemple, se SOnt développées des techniques de Namm\-e Thechaotique, j'ai découvert le XX" siècle avant de m'in- rapy, qui vous rendent la maîtrise de voue vie en vous apprenant fi téresser aux classiques. D'une certaine manière, pour la raconter, ft en devenir l'auteur ! Mais, de plus en plus, nOire ntoi les modernes ont inAuenœ les classiques: Anaud demande de récit est smisfaite par d'autres moyens: le cinéma, les modifie ma lecture de Sénèque. Je sais bien ce que séries télé, les jeux vidéo ... La question est donc: que peut offrir le Claude Simon a dit sur Balz.1c, combien il l'a défié. roman par rapport ft l'audiovisuel ou ft Internet? Je vois deux supéMon rêve? Écrire des romans balzaciens avec la force riorités du roman. D'abord, l'absence d'images; dans un monde de Claude Simon. La vérité, c'est qu'on peut faire des saturé d'images, le roman crée un appel d'air, une aire de repos collages aujourd'hui. Nous venons après le grand saluraire. Ensuite, le temps: on peut arrêter et reprendre son livre, chambardement des fonnes qui a eu lieu au XX" siècle. étaler la lecture d'un roman sur quelques jours, quelques mois, voire Ceci dit, l'enjeu se situe aussi, de mon point de vue, sur une année entière, bref, lire à son rythme. à un niveau existentiel: pour un éoivain, il est difficile de vivre sans éoire. Que nous traversions une période L H. ; La lecture est intime, le roman est un rapport de soi à soi, et très riche de l'histoire littéraire ou une phase de tran· il fait surgir en permanence des images dans l'esprit du lecteur. Les sition, cela m'importe assez peu: il faul que j'écrive réalisateurs de cinéma Ont besoin de moyens considérables pour de toute façon, j'en éprouve un besoin personneL consrruir'C certaines images, alors que les écrivains peuvent les suggérer en quelques phrases. Je me souviens d'avoir pensé, en regarA. S. B.: Même chose. Pour moi, il y a les romans et dant Ti/anic de James cameron, que Joseph Conrad fa isait encore le roman. Les romans sont ceux que je trouve en mieux <:ouler les b..1teaux que Hollywood. Un naufrage chez Conrad librairies, en bibliothèques. Le roman est œlui que je m'offre plus de détails, il me suggère des sensat ions de noyade, suis en train d'écrire. Chaque fois que j'arrive à la fin d'eau froide, de peur, de cris ... Et puis, dans un roman, il est possible d'un roman, je me dis: le prochain sera différenL Je que l'action soit lrès pauvre. Les lecteurs de Dart5 lafoille Ont p.1rfois vais faire quelque chose de nouveau. Il ne s'agit pas été déroutés: après l'émeute au stade du I-ieysel qui couvre d'innover par rapport ft l1üs[oire littéraire, mais plutôt 130 pages, il reste encore 250 pages sans action ou presque. Au vis-à-vis de moi-même. Les écrivains sont des humains cinéma, ce serait impossible. Voilà une force du roman: la littérature et leur passage sur Terre est assez bref. On ne peut peut déployer des temps intimes, des presque rien qui vont toucher pas se préoccuper de faire avancer l'humanité, ni de une matière plus secrète, plus douloureuse qu'un scénario bien prendre en charge le progrès de Ibistoire de l'an, dans huilé ... Il y a un art de J'interstice, du pli, très paniculier au roman. une si petite vie. On arrive à comprendre certaines Lécrivain a une possibilité de lenteur que n'a pas le réalisateur. choses, on les exprime et puis on meurt. Un auue écrivain arrive, qui comprend d'autres choses, les A, S. B.: Le roman entre aujourd'hui en compétition avec d'autres écrit, puis meurt. Les écrivains sont des gens fatigués, genres. Mais cela a toujours été plus ou moins le cas. Auuefois, il y mais le roman, par chance, ne l'est pas: il vit de ces avait un lieu 011 l'on allait se raconter: c'était le confessionnal. Par la tentatives répétées et successives, inaccomplies. prat.îque de la confession, de l'cxa.men de conscience, les gens étaient SlO 1 seplembte 2010 1 numffo.Z 1 philosopllie IfIGgOlÎne amenés à construire le récit de leurs vies. Aujourd'hui, la religion est en recul, mais les gens se racomem à travers les blogs, Faœbook, '!Willer... Ils se confessent d'aulant plus qu'ils ne reçoivent plus ['absolution. Tout le monde est en train d'écrire ses mémoires. Or je crois que cela fait courir un grand danger à la fiction: pour moi, un roman devrait d'abord être une recherche. Il n'y a rien d'intéressant à l'intérieur de moi, devrait commencer p,:rr se dire le romancier. Il faut que j'aille voir Il l'extérieur. Le monde extérieur est très iméresS.1nt. Pour moi, le roman pennet d'étudier le réel de manière quasi scientifique c t, d'ailleurs, je me tiens très infonnée des avancées scientifiques. A. c. : Je ne ferais tout de même pas une distinction si tranchée entre intérieur ct extérieur, enue la première et la troisième personne du singulier. Prenez un livre comme Les Années, d'Annie Emaux: c'est très personnel, puisqu'elle raconte sa vie à tmvers des photographies tirées de ses archives privées. Pourtant, plus on avance dans sa vie à elle, plus on découvre que c'est notre vie à tous qu'elle raconte. Non seulement la vic de toute une génération, mais une certaine expérience commune du temps et du vieillissement. Grâce à un récit autobiogmphique, le Ie<:teur peut donner fonne à sa propre expérience. A. S, B. : Oui, mais gardons la mesure! Je suis allée récemment aux États-Unis dans un cours d'écriture (crroril'f writing). J'ai demandé aux érudiants: est-ce les romancien de travailler sur les mots, dans ces conditions de quasisaruration. Il faut trouver une écriture qui ne fasse pas de bruit, qui ne prolonge pas le bruit dans lequel nous baignons en pcnnanence. A. S. B.: Hier, dans ma chambre d'hôtel, je regardais un match de [Cnnis sur terre battue Il la télévision. J'aime beaucoup la géoméuie du coun du tennis, cene espèce de cube dans lequel la balle pan et revient. Je regardais Roger Federer. J'étais allongée sur un litlout Il fait blanc. Et la télévision de l'hôtel faisait de Roland-Garros quelque chose de rouge comme le sang. Federer marchait dans le sang. C'était extraordinaire. Ses pieds éraient rougcs, comme s'il se baignait dans du sang de bœuf. Il existe une très vieille ballade écoss.1ise, dont le héros s'en Vil sous la montagne, pour rendre visite à la reine des fées. Il doit traverser, au cours de son périple, une mer de s.1ng qui lui monte au·dessus dcs genoux. Et c'CSt précisément ce que Federer é tait en train de faire ... C'est comme ça que les romans naissent: on trouve une image, à travers laquelle la réalité se révèle. Je regardais la télé, mais j'étais plongée dans l'épouvante d'un vieux come écossais. Il faudra que les romanciers s'attaquent aux nouvelles strates du réel. Il est urgent d'écrire un roman sur Secolld Life, sureet unÎvers virtuel d'Internet, dans lequel les gens font évoluer leurs avatars. Second Life est une sone d'enfer, et les gens croient qu'il s'agit d'un paradis. Il y a maintenant là-bas des meunres ct des tribunaux, des maisons que l'on achète et que l'on vend avec de l'argent réeL.. Un romancier talentueux, qui ne peUl pas appanenir li ma génération, devra s'empa rer de cela. A. C.: Il existe un rapport rrès étroit entre la littérature et le monde de la technique et de la science. Proust est un écrivain réputé psychologique. Or il parle du traÎn, de la voiture, de [a bicyclette, du téléphone, de la façon dom ces inventions Ont modifié les rapportS sociaux. Il me semble inimaginable qu' Inter· net et les univers virtuels n'aient pas d'incidence sur le roman. Il n'est pas impossible que le changement de support, l'arrivée du numérique, » A. Byon modifie l'art de la fiction. JI existe aujourd'hui des Vooks (visullI books), qui ne SOn! p.'lS encore très intéressants: ce SOnt des livres que vous lisez et, si vous cliquez sur un lien placé dans le texte, vous pouvez visionner des images ou écouter de la musique. Cette fonne se répandra·t-elle? Sans doute. Nous avons cité l'un des plus grands écrivains de nOtre temps, W. G. Sebald, auteur d'Austerlitz ct des Émigrams: il interc.1lait dans ses romans des photos en noir et blanc qu'i! prenait !ui-même et qui produisent un effet d'étrangeté. Sebald recherchait une interaction texte/image. Nous parlons de l'épuisement du roman, alors que nous sommes au seuil d'une révolution à !a fois technologique ct eSùlétique d'une ampleur que nous ne mesurons pas CI qui ne manquera pas de renouveler le roman . " C'est comme ça que les romans naissent: on trOuve une image, à travers laquelle la réalité se révèle. Je regardais la télé, mais j'étais plongée dans s. l'épouvante d'un vieux conte écossais, qu'il y a des personnes panni vous qui sont en train d'écrire des mémoires ou une autobiographie? Ils étaient 40, tous om levé la main. L:âge moyen était de 18 ans! Il Y a un mot français que j'aime beaucoup: nombrilisme. Je suis contre l'enseignement de l'écriture, car si l'on veut devenir un écrivain, il faut commencer par lire les grands maîtres du passé. L. H. : Autobiographie ou pas, il y a beaucoup de paroles el de discours aujourd'hui, un excès de mo[$. 11 y a les journaux, les mails, les blogs ... Pas facile pour ASSISES INTERNATIONALES DU ROMAN Conçue et organisée por la Villa Gillet et Le Monde, aux SubSistances. à lyon, 10 4' édition des Assises interootionoles du romon a réuni. en moi dernier, plus de 80 romanciers et critiques du monde entier pendant une semoine. l es textes inédits de ces rencontres seront publiés chez Christian Bourgois le 4 novembre. la prochaine édition aure lieu du 23 ou 29 mlli 2011 . Renseignements : www.vilI1l9111et.ne t '" Agenda Septembre Vous organisez prochainement un evenement philosophique une conference un cofe philo 1 ÉCrivez-nous [email protected] CONFÉRENCES, COLLOQUES, SEMINAIRES DuZouZ7. Cerisy-la- Salle (50) Du 2 au 9 :« La généllque des te xtes et des formes: l'œuvre comme processus ». sous 10 dnecllon de P.' M. de 810si et A. He:rschberg Pierrot. Du Il ou lB :" L'inconSCIent et ses musiques )J, dmgé par ).-M. Vives. Du IS ou 18: « Une Normandie sensible: regards aOlsés de géographes et de plostiCiens », sous 10 direction de S. Allemand, E Sest et M. Frémont. Du 20 ou 27: {( Vines et temtoires réversibles ». dirigé por F. Scherrer el M. Vanler. Les séonce:s ont lieu ou (entre culturel mternationol. cha teau de Ceflsy~la - Solle, Inscnptlon obligatOire" www.ccic-ceri ~ y.assa .l r Tout le savoir-faire BLED au service de la philosophie! Idéal pour réussir son Bac ou être incollable en philosophie. Les 6, 13, ZD et Z7, Paris (VI' ) Séminaire de Charles Pépin Notre chroniqueur Char!es Pépin propose un rendez-vous hetxlomodOire ou Cinéma MK2 HautefeUille. Le 6, « Qu'est-ce qu"avorl du pouvoir? )l: le 13. « Peut-on encore viser le bien?»; le 20. « Que nous apprennent nos émotions esthétiques? »: le 27 . ~, La phllosopl1ie peutelle nous OIder à allronter le changement? ». Toni rédUit pour nos abonnés '190 € pour I"année (JO séances) ou lieu de 350 € . À la séance (1 MS): 15 €. À 18 h: 7, rue Hautefeuille. Rens.: 01 4804 8001. Les 1S et 3D, Bruxelles (Belgique) Question lime Oans le cadre du sémmalre organisé por « Philosophie et management ». B. Frydmon et 92 1 sept embre 2010 1 numéro 42 1 ph ilosophie mogo.ine M. Pébereau abordent la question de la responsabilité managénale dons un monde global. le IS. L'occasiOn d'annoncer le thème de la saISon « Mois bon sang qui est responsable? »:« Qui devrait assumer la tâche dlffiole de fOire évoluer notre système économique puisque cela semble Indispensable} ». À 18h30, soile de conférence de BNP Ponbos Fort is (Rue de la Chancellerie, n" 1. Bruxelles). La conlérence de Bernard LJetoer le 30 ouro pour thème« Les mystères de l'argent Enjeux Inconscients d'un tabou », À 20 h au TErRA asbl. rue Kelle 4B. www.philosophie-manogement.com Le 16, Lyon (69) Et si Foucault n'avait pas ton ? « PeUl-on donner raison aux thèses de Foucault concernant le powolr psychiatrique 7 »: le séminaire est dmgé par Cathenne Oei:euwer. Le 16, C. Oekeuwer et le docteur R P. Bouloy aborderont « La méthode Foucault )l, De 18 h à 20 h, salle Chevreul 206, Bât. de la Recherche, 18 rue Chevreul. 69 007. www.lllcde philll.univ-IYllnJ .lr Les 16 et 17, Brest (Z9) Médecine et société: vers de nouvelles fron tières du corps ? Ce colloque plurrdlSClpllnolle aborde le réexamen des lois bioéthiques autour de trois thématiques: le corps en chairet en os, le corps éternel et le corps vutueL Le 16, de Bh 30 cl 17 h.llS : « Le corps en miettes ». par 5. Agacinsh « Le corps mis en mots. étude comparée des diSCOUrs médicaux et profanes l>, par G. Lozachmeur,« Corps et chOir »): par P. Dovid, « Corps ingrat et SOin: résistance du/et ou corps ». por R. Gil. ,( Les marques du corps chez l'~enl ».porLBlelon: « ConceptlOfl du corps dons drOIt _. par C Byt le 17. *' de 8h4S à 16h30: «la ChlIUt'QIe et l'espérance dtonyWQue» par F Oubmoo;« Technique!. d'éterll6OllOfl du COlps », par Bernard Andrieu' « lmagerlfl médicale et corps w tuel ». par J. -J. Wunenborger:« le corp!. e~t Il une prothè5e pcdectlble? ~ por M. Oupuis, etc. Faculté de médeooe: 22. rUE' CorrlIIIeDesmoultn!..Rem 02980183&3 Hongar G2. Ba!.5IIl à flot n"l. QUOI AJmond-loiande. Cnémo Utopo: S_placeCOffil -.kJIIIon. www.lrDC-oquitcrine.MU t.; lCL Mantes (44) (iné ~ philo l'osSOClOt Xl« Des p!E'ds ct<Jm la tête» propo!>e une ~e outour de Pat Garrett t Billy the KId(1973) de S. Pec~lOpoh. À 20 h ou Clrlêmolographe: 2 bis, ruE' des COImêlltE'S. hllp:J/depidolote.freII!..lrl hllp:J/pagt$pet'so-ort...ge.lrf tronllerH.du.corps Le 18 et 19,. "'5,aL 1Its-1kIm(l8) les promesses du lutur la 50 !été o/ptne de pI"MIosophIe orgorvsE' les 1 . Rencontres ptW)sophIQues dlJll(XJP. le 19 : «les en,eux tecmoaog.ques du lutur: 10 d!~pafl1lOfl de l'humain?» avec Y_ MdlClud.l- Y. Goffl et J.·M~ «lopolltlQUedu progrès: Vf>fl, une nonpolitIQue? », avec M. Revault d Allonne!., 0 Bougnoul<. et D. Vefnonl, le 19:« l'évolutoo des relatlOrl!. d'OUIOflté - OV€'C P VoIodler R Damien el D. Bougnoox.« Qurlle utopie pour demOln' •. ovec t Kielll, J. -C 86~-{jlrord et J. J. Wunenburger_ Et OUS5l: mellen pour enfants.,eux +200 c.J~5 Un phtlo!.ophlques. roncloooét>! hlstorlQlJE'5. etc htlp:J/wdtl~SOfIhie­ over-bIog.coml EXPOSITION, CINÉMA ~'. . Tl. BcJnIeaux(ll) l 'espoce nu i3en'. q Moreol1retn'opprom romonllQUl? de 10 ~ et ~ ouvrage dair et complet pour tout savoir! ~ Toutes les notions ~ 50 auteurs clés et leurs œuvres majeures ~ Tous les repères re5théuQl/e. avec une eqX>Sltlorl « l'espace nu ., et un film. L Île dl:' /0 lépétmon. proJt'té ou Cinéma UtoptO, avec S0ren (Kierkegaard), Efl"IIIy (OlCkIOSOO1, Thomas ((hoUefton) et JOhn (Keats), L(> 17 Q 20h30. ?lO\<'Cllon en \lfl!~r.ce del'ortlS\e floc Aqultolfll>, " Le panthéon de Jul Anosn'c»J l IL R.tlloi(À \ Tests et jeux PAR ADRIEN BARTON PARADOXE (.tp;lnwP09l_eJ Hors de question Une conférence Internationale rassemblant les meilleurs philosophes ohn de débottre du sens de 10 vie est sur le point de commencer. Alors que le president ouvre la séance, un ange apparaît dons les airs et darde l'assemblée d'un regord hautain : « Je suis un envoyé de Dieu. Vous pouvez me poser une question. n'importe laquelle - mais uni! seuleet fv donnerai une réponse eXQcte. Demain. il midi, je reviendrai et vous devrez avoir choisi votre question. »Sur ces mOI S, ronge dlsporaÏl. laissant les philosophes surexcités se loncer dans des débats houleux. « Fantastique 1Nous devons bien sûr demander queles l le sens de la vie. après tout c'est le sujel de noire conférence », propose le président. ~j Je pense que nous devrions plu tôt demander pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien », rétorque un aUlre conférencier, Entre deux bôillements, un Iroisième hasarde: ct Amon avis, il vaudrait mieux demander les numéros gagnants de la loterie de la semaine prochaine.,. It Après une longue nuil blanche passée entre thèses, antithèses et synthèses, les yeux cernés, les philosophes s'accordent enlin. l 'ange réapparaît :. Alors, quelle est VOire question, pauvres mortels! It le président se lève : • Nous nous sommes mis d'accord pour vous demonder ceci : " Quelle est la meilleure question que nous deVrions - vouS poser, et quelle est la réponse à cette question Ol Mais enfin, il s'agit là de deux questions _, rélorque range courroucé. Ol Pas du tau!. corrige le rusé président. Il s'agit là d'une seule et unique question, qui ouend une unique réponse en deux parties. les meilleurs spécialistes de philosophie du langage ici présents pourroni vous le confirmer. _ Ol Maudits humains, maugrée l'ange en rélléchlssant. Très bien, j'ai la réponse à votre question. la réponse est ... " la meilleure question est exactement celle que vous venez de me poser, et la réponse à cette question est celle que je viens de vous donner.- It PUIS, lançant un dernier sourire condescendant il l'assemblée médusée, il disparaît dans un éclair lumineux. Dons l'assemblée consternée, nul n'ose rien dire. Finalement. une voix traînante lance : te Je vous avais bien dit qu'on aurait dû demander les numéros gagnants de la prochaine loterie ... » les philosophes se seraient- ils trompés dons ~ choix de leur que.shon 1 JEU- CONCOURS Envoyez vos légendes à redaclion @philomag.com pour cette photo d'un autocollant de Freud sur un parcmètre, en Espagne. la meilleure légende sera publiée et son auleur gagnera un abonnement d'un on 0 Philosophie magazine. r_ Esprit de contradiction Trouvet tes citaliOns opposées de celles qui suivent. el klentlhet leurs auteurs. Par exemple ; pour « J'Ignore que j"ignore loul », il vous toul trCMn/et'" . Je sois que je ne sois nen », de Socrate. Choque mot peut f.trt rempkJcl: par son controwt. mais égalemenl pOl' un synonyme ou un mol du mbne champ sHtanttque. 0 ) " le néant SUit le gasoil. It bl . l 'Ôme est la malnce du corps. It cl . Toul fout le camp dans les horribles univers parallèles. It dl . Ignore-toI avec les outres. It el te la lemme est libre d'être soumise, " f) « le loi est aimable. » g) te Je suis tout à lait d'accord avec vos thèses, mOIS je ne lèverai certainement pas le petit doigt pour que vous puissiez les défendre. It hl . le patrimoine, ça plane. » 1) « Ce qui me blesse me lait grOSSIT. » JI te Ce qui est réel est rationnel et ce qui est rationnel est réel. n , os Tests et jeux RÉPONSE AU PARADOXE RÉPONSES AU QUIZ Ce« paradoxe de la question» (J été présenté par le philosophe américain Ned Morkosion dons un article paru en 1997, puis discuté por son compatriote Ted al« L'existence précède l'essence.» (Sartre, L'existentialisme est un humanisme.) Sieder. Notons «( Q» 10 question posée par les philosophes et « A »10 réponse de ronge. Avant de se demander si les philosophes ont lait un choix judicieux, on peu t remorquer que ronge est un imposteur, cor il (1 donné une mauvaise réponse. Si sa réponse étoit juste. alors la « Q» serait la meilleure question que les philosophes pouvoient poser; cependant, la réponse donnée por ronge étant inutile. lei ne peut être le cos. Il aura it été plus utile de demander s'il allait pleuvoir le lendemain. Le raisonnement ci-dessus "'exclut pas que la question posée par les philosophes soit en lait la meilleure possible: tout ce que nous avons montré, c'est que range a donné une réponse lousse. Mois s'il n'avait pas menti. peut-ê tre 10 question posée par les philosophes aurait-elle pu amener à une réponse profitable pour l'humanité. Cependant, on peut égalemen t montrer facilement que cc Q »n'est pas 10 meilleure question que les philosophes pouvaient poser. Imaginons qu'elle le soit. Alors. lorsque les philosophes demandent quelle est la meilleure question. la réponse correcte est que cette question est la meilleure question. Mois cette réponse n'a aucun intérêt. La question n'est donc pas la meilleure que les philosophes pouvaient poser. Ainsi. les philosophes auraient pu mieux fo rmuler leur question. Ted Sieder a proposé l'alternative suivante: cc Quelle information nous serait la plus bénéfique de connaitre ? » Encore laudraiHI trouver un moyen d'éviter que l'ange ne réponde :« L'inlormation qu'il vous serait la plus bénéfique de connaître» ou u celle à loquelle je suis en train de penser en ce moment »... bl « Le corps est le tombeau de l'âme. » (Platon, [ratyle.) cl cc Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, » Cette citation, généralement associée ou Candide de Voltaire, en tant que satire de la philosophie Leibniz. n'est cependant pas présente telle quelle dons le texte original. dl « (annois-toi toi - même. »(Sacrate.) Il S'agissait là de la devise du philosophe grec, empruntée il l'inscription gravée ou Ironton du temple d' Apollon à Delphes, e) « L'homme est condamné à être libre.» (Sartre, L'existentialisme est un humanisme.) fi cc Le moi est haïssable. »(Blaise Pascal. Pensées.) g) cc Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mois je me battrai pour que vous ayez le droi t de le dire. » Là encore, cette phrase. attribuée à Voltaire, n'est présente sous cette lorme dons aucun de ses écrits, ni même de ses correspondances. h) cc La propriété c'est le vol.» (Proudhon. Qu 'es t-ce que /0 propriété ?ou Recherche sur le prmcipe du Droit et du Gouvernement.) L'anarchiste fronçais 0 emprunté cette citation à Brissot de Warville. il « (e qui ne me tue pas me rend plus fort.» (Nietzsche. Le Crépuscule des ida/es.) il cC (e qui est rotionnel est réel et ce qui est réel est rationnel. » (Hegel. Principes de la philosophie du droit.) RÉSULTATS OU JEU-CONCOURS OU N° 40 Le gagnant est : « EL là, le rou des lruuJue;; C<ljlUu'e IlL totu' de Babel en, ca.onlie.l' seul Il y,o deux lauréats: A clutqUe rois que. mon. ctüen. me. fa.i..t. le. cou.p du berger , j e.. me.. demande.. queUe. esL IlL I,U!'L de l:a.cquis el de Luuté. » « Laurent Zimmerman « QlUlIul "" do~ de. Ve,üse lient en. échec. lu. tolU' de Bub"L » Nguyen Cao Vy 96 1 sepll1mbrt ZOlO 1 oomc!ra42 1 philo sophie mOllozlne >. Guillaume Lethuillier COMMANDE D'ANCIENS NUMÉROS DOSSIEII le 1r0'll ..... _ je wil. l AUTEUil ( pocurl À NOTER : comptez une quinzolne de Jours pour recevoir votre (vos) ancien(s) numéro(s) commandé(s) ---------------------• SOMMAIRES DÉTAILLÉS ET CDMMANDE EN LIGNE SUR WWW.PHILDMAG.COM ANCIENS NUMÉROS O OUI , je souhaite recevoir les numéros suivants de Philosophie magazine ou prix unitaire de 7 e TTC (TVA 2,1%). les frais de port sonl indus. 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La question qui vous tourmente ? Que deviennent les chaussettes dans la machine li laver ? On met des paires de chausscttes et on n'en retrouve plus qu'une sur deux ... Quel lieu se rapproche, pour vous, de la cité idéale? Mon corps. Non parce que J'estime que j'ai un corps parfait, mais parce que c'est le lieu que j'ai vraiment envie d'habiter. La chose la plus grotesque que vous a)'cz faite par amour ? Me maquiller. Le banquet de votre vic? Les conœns. Ce sont mes banquets à moi. La maxime du bien que vous aimeriez transmettre li vos enfants? .. Casse-Ioi la figure 1 ,. Ou: .. N'aie pas peur de te casser la figure! ,. Mais aussi, CI cela va lIVec : " Pais-toi plaisirl ,. I.!animallc plus sage? Le chat, encore le chat 1 De quoi n'avez-vous pas encore accouché? De mon bébé. Votre truc pour colTOmpre la jeunesse ? Vénérer la vieillesse. Je pense toujours à mes vieux jours. Qu'cst<e qui peut sc cultiver tout au long d'une existence? Aforce de me préoccuper du vieillissement, j'ai l'impression de oonompre ma jeunesse. La belle mort pour vous? Dans mon lit - ou sur scène, à la Molière? Je préfère encore mourir en dormant _ Sur le fU PIUJI'OS HiX'1't: ILLlS PAR AIF_XA."UHE l.Al'HQ1X (our()l'V1f parle pnx (on~lon\1fl el par tfOIS VlClOII'es de 10 rTl\JSIQtJ{'. COIl\IIe s'eslllTlposée ovec ses l2eux oIbum~ Le FiI(2005) el MusiC HoIe(200Bl. Jouonl de sc VOIX comme d'une mot Ire premi>re Qlf elle sclJpte. el!> rl>dul t ~ occornpogoement<. W 1'I'IIf'lIIT'UI. Enceinte, lOrs de notre rencootfe ou Fewro1 des mU~IQue5 socrées, 6 Fès en JUIn dermer, eUe s'est omusée de ron té-pénultlème Question .• 1 Les nouveaux chemins de la connaissance 10h/ 11h lundi-vendredi Penser pour le plaisir avec Raphaël Enthoven 207SÉRIE @ SÉRIE SPÉCIALE RUGBY, SURF, & PIMENTS. 1 ••. 20U t-_co, "''''-'''1 "110."7 www.peugeot.f ADOPTEZ LA SUD - OUEST ATTITUOE . ~~ ,., bc><j' !' PEUGEOT el el ou "Hcwntf , .,..,f'JI 64, 10 >(l7 S. 64 _ ~_ lOI'tf el le, 207 SÉRIE 64 PEUCEO '