Modélisation de la dynamique de l’infection par le virus VIF... populations de chats domestiques (d’après F. Courchamp [1], [2])

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Modélisation de la dynamique de l’infection par le virus VIF dans les
populations de chats domestiques (d’après F. Courchamp [1], [2])
Adaptation : Frédéric Pascal, Préparation à l’agrégation de Mathématiques, Option
Modélisation Calcul Scientifique, ENS de Cachan, 2005
L’objet de ce texte est l’étude d’un modèle mathématique décrivant la dynamique de rétrovirus
dans les populations de mammifères (mis à part le cas particulier de l’homme). Les rétrovirus,
en particulier les lentivirus, sont particulièrement intéressants du fait de leur patron épidémiologique spécifique. En effet, les rétrovirus sont caractérisés en premier lieu par leur très longue
période de séropositivité, ainsi que par la succession de stades cliniques et acliniques, deux
caractéristiques induisant le besoin de modèles mathématiques spécifiques.
Nous considérons la dynamique de la circulation du Virus de l’Immunodéficience Féline (VIF)
dans les populations de chats domestiques dans le but de formaliser les mécanismes de la circulation du virus dans les populations de chats. Bien que la nature de ce modèle soit surtout
qualitative, la valeur de paramètres tels que le taux de transmission ou la capacité limite du
milieu en l’absence du virus peut fournir des informations sur l’impact (en terme de réduction
du nombre d’individus due à la maladie) du lentivirus sur la population et sur l’influence de la
structure de la population sur la circulation du virus.
Population d’hôtes
Quatre populations de chats domestiques ont fait l’objet d’une étude importante en France :
Barisey-la-Côte (depuis 1990), Aimargues (depuis 1982), Saint-Just Chaleyssin (depuis 1982)
et Lyon-Croix-Rousse (depuis 1992). Ces populations sont caractérisées par des densités et
des dynamiques différentes. Les trois premières populations sont situées en milieu rural, la
quatrième en milieu urbain. A partir de ces études, il est possible d’estimer quelques paramètres
démographiques. La fécondité est estimée à 4,8 chatons par femelle et par an en milieu rural
(soit 2.4 chatons par chat par an si on considère une sex-ratio de 1). De même, on peut estimer
un taux de mortalité annuel de 0.6 par an et par chat, tous âges confondus. En milieu urbain,
les résultats indiquent une valeur de 1.3 chatons par chat pour la fécondité et des valeurs de
mortalité de l’ordre de 0.75. En plus de l’étude de dynamique, une étude épidémiologique a
été menée dans ces populations, annuellement à partir d’échantillons de chats représentatifs des
populations. Les résultats qui nous intéressent ici sont donnés dans la Table 1.
Population
Habitat % de VIF Taille population Densité (chats /ha)
Barisey-La-Côte (BC)
rural
9,1
60
2,00
Aimargues (AI)
rural
9,5
203
1,20
St-Just-Chaleyssin (SJ)
rural
24,4
299
2,50
Lyon (LY)
urbain
33,33
40
7,33
TAB . 1 – Caractéristiques des populations étudiées
Micro-parasite
Le VIF est un virus induisant une immunosuppression létale chez le chat domestique ; il appartient à la sous-famille lentivirus des rétrovirus. La transmission du VIF ne s’effectue pas par
1/6
voie sexuelle, mais par morsure lors de combats. Le VIF induit une succession de stades cliniques et acliniques, qui ont été divisés, par analogie avec l’infection par le VIH chez l’homme,
en cinq stades différents. Après une courte phase de latence, de quelques semaines, les chats infectés souffrent d’une première période clinique, qui dure de 4 à 16 semaines. Certains peuvent
mourir à ce stade, mais cela reste rare. Cette période est suivie par une période asymptomatique qui peut durer plusieurs années (2 à 8 d’après les données actuelles), mais dont la durée
n’est toujours pas connue avec précision. Pendant cette période les chats ne semblent pas être
affectés. Viennent ensuite trois phases cliniques : la lymphadénopathie persistente (LPG) généralisée, l’ARC et le SIDA, caractérisé par l’apparition de diverses infections opportunistes. La
transmission verticale (transmission de la mère au chaton) ne semble pas possible en conditions
naturelles et n’est pas prise en compte dans le modèle. Il n’y a pas d’immunité, naturelle ou
artificielle (vaccin), ni de guérison, naturelle ou artificielle (thérapie).
Modèle
Le modèle présenté ici est inspiré des travaux d’Anderson et May (1991). Dans ce type de modèles, la population est divisée en compartiments regroupant des sous-populations, distinguées
en général par leur statut pathologique. Un système d’équations différentielles décrit les flux
entrant et sortant de ces compartiments et leur dynamique associée.
On décrit dans un premier temps la dynamique de la population en l’absence de maladie. N est
le nombre total d’individus dans la population au temps t et K est la capacité limite de l’habitat
à l’équilibre. En ce qui concerne les paramètres démographiques, on suppose que la densité
agit principalement sur la mortalité. On a un taux de naissance constant car les naissances sont
contrôlées par l’homme. La mortalité est linéairement liée à N. On notera m le taux intrinsèque
de mortalité naturelle et r/K mesure la sévérité des contraintes liées à la densité où r = b−m !
0 est le taux de croissance de la population en l’absence de limite des ressources. La mortalité
naturelle est généralement définie par opposition à la mortalité due à la maladie étudiée (bien
qu’on puisse se demander ce qui est le plus naturel pour un chat : mourir écrasé, empoisonné ou
abattu, ou bien mourir de maladie !). Lorsque la population est indemne de VIF, la dynamique
de la population sera donnée par l’équation logistique (Verlhust, 1838) :
dN
N
= rN(1 − )
dt
K
(1)
Notons qu’à l’image de la plupart des autres modèles épidémiologiques, nous ne prenons en
compte qu’une seule maladie et ne considérons que deux possibilités : présence ou absence de
cette maladie. Il est bien évident que l’équation ci-dessus décrit la dynamique d’une population
hautement improbable en conditions naturelles, puisqu’exempte de toute autre maladie.
Un certain nombre de simplifications du système biologique doit être opéré pour la réalisation
et l’étude mathématique du modèle. Par exemple, mis à part ce qui concerne leur statut pathologique, les individus seront considérés comme identiques. Ceci implique que, bien que cela ait
peut-être une importance épidémiologique majeure, ni le sexe ni l’âge (par exemple) ne sont
pris en compte. De plus, toutes les phases de la maladie ne sont pas prises en compte, car 6
phases différentes (sensibles et infectés) induiraient une trop grande complexité au niveau de
l’étude du modèle. On a dans un premier temps construit un modèle à trois compartiments :
les individus sensibles, les individus infectés asymptomatiques (appelés aussi séropositifs par
abus de langage, puisque les individus malades le sont aussi) et enfin les individus infectés et
malades. Ceci sous-entend que la première phase clinique n’est pas prise en compte car elle
dure peu de temps et n’est pas très importante du point de vue épidémiologique et que les trois
2/6
dernières sont regroupées car elles sont en effet épidémiologiquement comparables. De plus,
les individus du dernier stade sont confrontés à des infections opportunistes. De ce fait, il est
mal aisé de modéliser de manière unique une infection qui peut prendre de multiples formes.
Étant donné que ces individus ne survivent en général pas longtemps à ces maladies et que
celles-ci les laissent souvent très affaiblis, on peut considérer qu’une seule maladie survient.
Contrairement à la rage vulpine, le comportement des individus infectés ne mène à des troubles
du comportement que dans des cas exceptionnels et négligeables. On se retrouve donc avec
un système simple d’individus notés par convention X, Y et Z (pour sensibles, séropositifs et
malades). Le nombre total de chats, N est défini par N = X + Y + Z.
On désigne par ρ le taux de rencontres entre individus dans la population, par β la fréquence
d’interactions agressives induisant une morsure lors de ces rencontres et par c l’efficacité de la
transmission du VIF par morsure. Il est envisageable de tenter d’estimer c grâce à des morsures
expérimentales, mais il l’est en revanche moins pour l’estimation du taux de rencontres entre
individus dans une population (ρ) et du taux de morsures lors d’une rencontre (β). Ceci requerrait en effet d’intenses observations comportementales, puisque ces taux doivent dépendre
fortement des positions hiérarchiques relatives (et absolues) des deux protagonistes. De plus,
les résultats, à supposer qu’ils soient fiables (ou même simplement obtenus) ne seraient certainement pas généralisables à d’autres populations que celle étudiée. De ce fait et afin de réduire
la complexité du modèle, on considère σ = ρβc comme un paramètre composite qui peut être
défini comme le taux de morsures efficaces (pour la transmission du VIF). Le taux de développement du SIDA est une constante ζ. Le taux de mortalité due au VIF est α (1/α est donc la
durée de la période d’infection) et est indépendant de la densité de la population. Un choix reste
à faire quant à la forme mathématique que va prendre le taux de transmission dans la population.
Soit on considère un modèle d’action de masse où la probabilité d’infection ne dépend pas de la
densité mais du nombre d’individus infectés dans la population. Soit on considère un modèle de
mélange proportionnel où les individus infectés sont répartis de façon homogène dans la population et où les rencontres y sont donc effectuées au hasard. La probabilité d’infection dépend
alors de la densité des individus, ce qui semble réaliste pour les populations de chats (au moins
pour certaines d’entre elles). On suppose que le statut pathologique des individus n’affecte pas
la probabilité d’avoir des contacts directs avec les autres et que le taux avec lequel les individus
entrent en contact les uns avec les autres est une constante ρ. La population est définie comme
homogène, c’est à dire que tous les individus auront une probabilité équivalente de se rencontrer. De ce fait, le taux de rencontres entre individus sensibles et infectés est proportionnel à
X(Y + Z)/(X + Y + Z). Ces hypothèses mènent au système d’équations différentielles du
premier ordre suivant :

dX
rNX
σX(Y + Z)


= bN − mX −
−


K
N
 dt
dY
σX(Y + Z)
rNY
(2)
=
− mY −
− ζY

dt
N
K



 dZ = ζY − mZ − rNZ − αZ
dt
K
L’équation décrivant la dynamique de la population totale est obtenue en sommant ces trois
équations :
dN
N
= rN(1 − ) − αZ
(3)
dt
K
Des simulations numériques ont été réalisées à l’aide d’un schéma de Runge-Kutta d’ordre 4
car plus précis qu’un schéma d’Euler. Les simulations pour le modèle à trois équations montrent
3/6
qu’un état d’équilibre est atteint par les trois sous-populations de statut pathologique différent
(voir Figure 1).
40
35
30
Individus
25
X
Y
20
15
10
Z
5
0
0
2
4
6
8
10
Temps
12
14
16
18
20
F IG . 1 – Evolution des trois sous-populations pour b = 2.4, m = 0.6, K = 46, σ = 4, ζ = 0.2,
α = 0.7, dt = 0.5 pour X(0) = 5, Y (0) = 0.01, Z(0) = 0
Ce système d’équations peut être encore simplifié en considérant qu’il n’y a plus qu’un seul
stade clinique et donc un seul compartiment d’individus infectés. En effet, les individus malades sont considérés trop faibles en milieu naturel pour entrer en compétition avec les autres
individus (bien qu’on puisse considérer le contraire : les dominants sur le déclin, par exemple
lorsqu’ils sont malades, peuvent être attaqués par les challengers) que ce soit pour les territoires
(ils ne combattent donc plus) ou la reproduction (ils ne se reproduisent plus ni ne combattent
pour l’accès aux femelles). On peut aussi considérer que ces animaux ne vivent alors plus suffisamment longtemps et que leurs activités sont suffisamment réduites pour qu’ils meurent de
"causes naturelles". Ces animaux n’intervenant plus ni dans la dynamique, ni dans la transmission du virus, on peut ignorer la classe infectés malades (donc les individus arrivés aux
stades LPG, ARC ou SIDA). On retrouve donc un système simplifié à deux équations avec
N =X +Y :


 dX = bN − mX − rNX − σXY
dt
K
N
(4)
dY
σXY
rNY


=
− mY −
− αY
dt
N
K
L’équation décrivant la dynamique de la population totale est identique à (3) où l’on remplace
Z par Y . Les simulations pour ce modèle montrent que, quelles que soient les valeurs des
paramètres du modèle pourvu que celles-ci soient biologiquement réalistes, et les conditions
initiales (nombre d’individus infectés et sensibles), un état d’équilibre est atteint par les deux
sous-populations d’individus sensibles et infectés (voir les figures 2a et 2b).
Analyse de la stabilité
Lorsque le taux de morsures efficaces est inférieur ou égal au taux de mortalité induite par le
VIF, le flux entrant dans la classe des infectés est plus faible que le flux en sortant et le nombre
de chats infectés diminue :
0 < σ " α =⇒ Y (t) −→ 0 quand t −→ +∞.
4/6
(5)
50
40
45
35
40
30
X
35
25
Individus
Y
30
25
20
20
Y
15
15
10
10
5
5
0
0
5
10
15
20
25
X
30
35
40
45
0
50
0
1
2
3
4
5
Temps
6
7
8
9
10
F IG . 2 – Pour b = 2.4, m = 0.6, K = 46, σ = 4, α = 0.2, portrait de phases pour différentes
conditions initiales et évolution des sous-populations pour X(0) = 5 et Y (0) = 0.01
On supposera donc σ > α. Dans ce cas, on obtient trois solutions d’équilibre (sous réserve que
les valeurs soient positives)
(X1∗ , Y1∗ ) = %
(0, 0) , (X2∗ , Y2∗ ) = (K, 0)
&
bK(α2 − ασ + bσ + αm − σm) K(σ − α − b)(α2 − ασ + bσ + αm − σm)
∗
∗
,
(X3 , Y3 ) =
(σ − α)2 (b − m)
(σ − α)2 (b − m)
On note R0 le nombre reproductif de base c’est-à-dire le nombre moyen d’individus infectés
générés par un individu infecté multiplié par la durée de vie moyenne de cet individu infecté
dans une population saine à l’équilibre :
R0 =
σ
b+α
En écrivant l’équation que vérifie la prévalence c’est-à-dire le ratio du nombre de malades
Y (t)
, on observe que lorsque R0 " 1, l’épidémie disparaît
présents dans une population y(t) = N
(t)
et la population se retrouve à son niveau d’équilibre en l’absence de la maladie. Lorsque R0 > 1,
b
la prévalence y(t) se stabilise à y ∗ = 1 − σ−α
. On introduit alors un nouveau paramètre : le taux
de reproduction de la population lorsque la maladie est endémique défini par
R1 =
b
.
m + αy ∗
Si R1 " 1, la population disparaît, tandis que lorsque R1 > 1, la maladie reste endémique et
approche un point d’équilibre unique.
Estimation des paramètres et conclusion
On a donc cinq paramètres à considérer (b, m, K, σ et α), les deux premiers étant estimés à
partir des données biologiques. 1/α est le temps total de l’infection et comme il a était indiqué
dans l’introduction, il est toujours supérieur à 1 an.
L’équilibre décrit précédemment a été observé à partir du suivi à long terme de plusieurs populations de chats domestiques (voir Tableau 1) : ceci permet de déterminer K et σ en fonction de
α et donc par suite R0 et R1 et d’évaluer à l’aide de la Figure 3 l’influence de α.
5/6
4
1.4
3.5
1.3
1.2
2.5
2
1.1
1
BC
AI
SJ
LY
3
R1
R0
1.5
1.5
2
4
6
8
1
10
2
4
400
4
300
3.5
200
100
0
6
8
10
8
10
1/α
σ
K
1/α
3
2.5
2
4
6
1/α
8
10
2
2
4
6
1/α
F IG . 3 – Evolution des paramètres en focntion du temps d’infection
En conclusion, le modèle mathématique déterministe montre que lorsque le virus est introduit
dans une population, il s’y développe et s’y maintient toujours. L’infection ne mène ni à l’extinction des individus sensibles, ni à celle de la population totale mais à un état d’équilibre
stable des effectifs d’individus sensibles et infectés. Les proportions des effectifs des différents
compartiments dépendent des paramètres spécifiques de la population considérées.
Références
[1] Population Dynamics of Feline Immunodeficiency Virus within Cat Populations. F. Courchamp, D. Pontier, M. Langlais, M. Artois. J. Theor. Biol. (1995), 175, 553-560.
[2] Etude de l’épidémiologie du virus de l’immunodéficience féline dans les populations de
chats domestiques (Felis catus), F. Courchamp, Thèse de l’Université Claude Bernard, Lyon 1,
1996.
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