L’Encéphale, 2006 ;
32 :
205-12, cahier 1 Fondements éthiques de la psychothérapie institutionnelle
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QUELQUES MOTS SUR LA PSYCHOTHÉRAPIE
INSTITUTIONNELLE
Sur le plan historique
Il est à souligner que c’est l’indignation face au constat
de la participation de la médecine aux processus de dés-
humanisation à l’œuvre, de manière dure dans la barbarie
nazie (1, 7), et plus douce dans les hôpitaux psychiatri-
ques, qui est à l’origine de la naissance de l’éthique médi-
cale moderne et de la psychothérapie institutionnelle.
Tandis que l’éthique médicale prônait le principe de la
primauté de la personne humaine sur la science et la
société, la psychiatrie plaçait le patient au centre des fina-
lités du soin.
Concepts majeurs
Ce sont l’institutionnalisation, le transfert et le contre-
transfert institutionnels, la transversalité et l’analyse ins-
titutionnelle.
Par le processus d’
institutionnalisation
, les soignants
et les administratifs – si la gestion a pour fonction de
garantir les conditions du soin – transforment l’établisse-
ment en institution thérapeutique, en promulguant une loi
locale qui est l’obligation d’échanger (31, 32, 42). Il s’agit
de créer différents lieux de rencontres, essentiellement
les activités, mais aussi les réunions et tous les moments
forts de la vie quotidienne (repas, distribution de médica-
ments…), qui sont l’occasion privilégiée du déclenche-
ment des échanges sous le regard du tiers social. L’ins-
titution devient alors ce troisième terme médiateur qui
s’oppose au désir fusionnel et oblige à un dialogue réci-
proque.
L’objectif est de permettre au patient, au travers des
activités partagées avec d’autres et articulées avec
d’autres lieux institués, de participer à la trame institution-
nelle qui est l’ensemble des individus et les contrats et les
règles qui régissent leurs échanges (24). Le patient pourra
alors se situer ou resituer dans une dimension symboli-
que.
Si la psychothérapie institutionnelle permet de déceler,
afin de mieux le traiter, le processus psychotique, elle crée
un support symbolique utile au traitement des autres pro-
cessus psychopathologiques.
Elle situe au premier plan le sujet porteur d’une histoire
singulière et soutient que la maladie ne peut être saisie
objectivement en tant que telle (34). Elle est indissociable
du sentiment d’exister et de la manière dont le patient
l’exprime, et à qui il l’exprime. C’est dans le cadre de la
relation thérapeutique, du
transfert
, que la souffrance et
les symptômes prennent sens (4).
En situation institutionnelle, le transfert ne s’adresse
pas à un seul thérapeute mais à l’ensemble des soignants,
à l’organisation sociale (système de décision, de pouvoir)
et même matérielle de l’institution (environnement physi-
que, architecture, configuration des espaces, dispositions
des locaux).
L’analyse du
contre-transfert
ne se limite donc pas à la
réaction inconsciente du thérapeute et au cadre de la ren-
contre duelle, mais à l’analyse de l’institution dans son
ensemble : des réactions émotionnelles des soignants
impliqués, de leurs interrelations, et de la structure hos-
pitalière elle-même, car ce sont tous ces éléments qui
signifient à chaque malade sa place et son statut (3).
On connaît l’influence de la structure institutionnelle sur
le type de symptômes, leur apparition et disparition, et sur
la nosographie (36).
On sait par exemple :
– qu’il suffit que deux thérapeutes responsables du
même patient divergent secrètement dans leur façon de
voir et de manier son cas pour que le malade s’agite ou
délire (35) ;
– qu’à un régime autoritaire répondent des symptômes
régressifs et qu’au contraire à la tolérance et au laisser
faire extrême répondent les actes agressifs et auto-des-
tructifs (45) ;
– que des situations spatiales ambiguës invitant au
mouvement tout en l’entravant (cours clôturées de grilles,
portes fermées) entraînent ou aggravent des stéréotypies.
Le soin du milieu fait donc partie intégrante du traite-
ment du patient. Il nécessite une vigilance constante sur
le degré de
transversalité
qui est une dimension sans
cesse mise en cause et qui tend à se réaliser quand une
communication maximale s’effectue entre tous les
niveaux et surtout les différents sens (21). Elle est con-
traire aux modes de transmission d’une hiérarchie pyra-
midale qui stérilise les messages, paralyse la parole et
entraîne un appauvrissement de l’initiative.
Si le coefficient de transversalité est élevé, l’équipe sera
un groupe-sujet, aura une prise sur sa conduite, et alors
seulement un dialogue pourra s’instituer entre le groupe
et le patient qui pourra se révéler à lui-même.
C’est essentiellement en réunion d’équipe que se fera
l’
analyse institutionnelle
.
Au-delà de la facilitation de l’information, le but est
d’appréhender globalement le malade et la collectivité arti-
culée, elle-même, avec la société (39).
C’est en réunion que peuvent être reliées, articulées
toutes les dimensions de l’existence du malade et les
diverses possibilités d’être ressenti d’une manière diffé-
rente par l’entourage. Ces aspects sont mis en présence
et il s’ensuit des mises au point, sur le plan conscient, dans
toute l’équipe, à l’égard des relations du patient (10).
L’analyse du contre-transfert institutionnel nécessite
également l’analyse des relations entre tous les membres
de l’équipe. En effet, les conflits et divergences ne sont
pas gênants s’ils ne sont pas niés. S’ils le sont, ils s’expri-
meront par des actes ou des non-actes, des paroles ou
des silences qui auront une incidence sur le patient. Le
principe est de mettre en évidence les obstacles au fonc-
tionnement du groupe soignant, d’en faire apparaître le
sens et d’en tirer bénéfice (10).
L’analyse institutionnelle permettra encore de déceler
si l’institution est conforme à sa fonction officielle – le