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Vocabulaire
T
Le m o t tra f ic
rafic d’armes, d’organes, trafic de
drogue, d’esclaves… Voilà un mot
plutôt louche que ce trafic, un mélange
de chenapan et de malfrat, de fripon et de
malandrin… Il promène sa dégaine de vaurien,
d’apache de la Belle Époque, près des remparts de la morale qu’il a percés de brèches
pratiques pour toutes sortes d’évasions.
Étonnant, ce mot trafic dont la seule honnêteté
est d’ajuster à la perfection son orthographe
à sa prononciation, sésame phonétique qui
lui permet de voyager aisément dans toutes
les langues.
Mais d’où vient-il, ce trafic ? De quelle cellule
souche est-il né, de quelles rencontres, de
quel… trafic ? À vrai dire, on n’en sait rien ! Et
cela ne fait qu’ajouter au caractère interlope
du mot une touche de mystère.
D’aucuns situent son apparition au xive siècle,
en Italie, avec cette orthographe : “traffico”,
nom issu du verbe trafficare à l’origine obscure.
On n’est guère plus avancé… Seules des
hypothèses aux frontières du spécieux permettent d’ajuster ses racines à la vraisemblance, de les trafiquer en quelque sorte : du
catalan trafegar, devenu en napolitain trafaca,
et signifiant “vider, jusqu’à la lie, du vin dans
des fiasques”, serait né notre trafic, avec une
idée de mouvement, de transformation, peutêtre de contrebande, qui sait, et partant, de
commerce illicite. Une autre hypothèse fait du
latin transfingere (transformer) l’aïeul de trafic,
avec l’idée de tromperie sur la marchandise.
Foin de tous ces doutes, venons-en aux acceptions de notre mot au fil du temps. Toujours
porteur de son bémol à l’honnêteté, trafic
s’associe au commerce dès le xive siècle.
Au xve siècle, entre autres forfaits, il s’illustre
Par Jean-Joseph Julaud
dans le domaine spirituel en se livrant à la
vente de remises de peine en purgatoire
qui est, pour les catholiques après leur mort,
l’antichambre du paradis. Pour une somme
rondelette remise aux curés, aux évêques, on
gagne quelques dizaines ou centaines de jours
supplémentaires d’éternité bienheureuse, ce
qui n’est pas rien… C’est ce qu’on a appelé
le trafic d’indulgences, trafic qui a fait bondir
de colère Luther en 1517, et, du même coup,
donné naissance au protestantisme.
Le duc de Saint-Simon, dans ses Mémoires, au
xviiie siècle, parle de “gens de robe et de trafic”,
mettant juges, avocats et trafiquants divers
dans le même sac…
En Angleterre, au xixe siècle, le mot “traffic”,
avec deux f, désigne le mouvement des véhicules en général, puis des trains en particulier.
Cette acception entre dans la langue française
au début du xxe siècle, mais avec un seul f :
le trafic ferroviaire, aérien, routier ; un seul
f également pour le titre de l’ultime film de
Jacques Tati en 1971. Le constructeur automobile Renault utilise depuis 1981 cet héritage
anglais avec son Trafic à quatre roues, neuf
places et un f.
Enfin, entre l’apparence du rachat et l’ironie du
sort, le mot “trafik” (avec un k) orne en lettres
majuscules bien visibles l’entrée des bureaux
de tabac en Autriche.
Aujourd’hui, en France et ailleurs, les petits
trafics se multiplient pour la survie des précaires, et les grands trafics maffieux prospèrent, le trafic d’organes par exemple… C’est
celui qui heurte le plus la morale et la dignité
humaines. Gageons qu’une lutte efficace
puisse en venir à bout, par tous les moyens,
dût-on user pour cela de trafic d’influence…
Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIV - n° 2 - avril-mai-juin 2014
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