Ödipus der Tyrann ROMEO CASTELLUCCI

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SCHAUBÜHNE BERLIN
ROMEO CASTELLUCCI
FRIEDRICH HÖLDERLIN
D’APRES SOPHOCLE
CRÉATION
Ödipus
der
Tyrann
EN ALLEMAND SURTITRÉ EN FRANÇAIS
20 < 24 NOVEMBRE 2015
찞 émilie paillot graphiste - © Arno Declair -
RC BOBIGNY 562 128 397
-
LICENCES 1-1051016/2-1051017/3-1051015
- impression Stipa
{ AU THÉÂTRE DE LA VILLE }
Dossier d’accompagnement
établi par la compagnie Vita noVa
theatredelaville-paris.com
2 PLACE DU CHÂTELET PARIS 4 • 01 42 74 22 77
saison 2015 i 2016
LAZARE
Au pied du mur sans porte
TEXTE
&
lazare
bruno brinas
MISE EN SCÈNE
LUMIÈRES
& ASSISTANTE À LA MISE
marguerite bordat
Daniel migairou
COLLABORATION À LA CHORÉGRAPHIE
EN SCÈNE
marion Faure
COLLABORATION À LA SCÉNOGRAPHIE
CONSEILLER ARTISTIQUE
AVEC
&
anne baudoux, axel bogousslavsky, Julien lacroix, mourad musset, Yohann pisiou, claire-monique scherer
guillaume allardi, benjamin colin, Jean-François pauvros, Frank Williams
LES MUSICIENS
proDuction Vita Nova. coproDuction Studio-Théâtre de Vitry. aVec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication/DRAC
Île-de-France, de Beaumarchais/SACD, de la Spedidam, de L’Échangeur-Bagnolet, du Théâtre national de Bretagne-Rennes et de
La Fonderie-Le Mans. Vita Nova est conventionnée par la DRAC Île-de-France.
© Hélène Bozzi
« LAZARE, C’EST LE BASQUIAT DU THÉÂTRE »
il graffite le verbe, il réinvente la langue. une aventure osée,
singulière et bouleversante.
lazare, auteur et metteur en scène, invente ses histoires à partir du réel, à partir d’un vécu personnel trans-
cendé par une écriture métissée, percutante, qui donne à chacun de ses personnages une langue précise et
forte qui constitue une véritable partition textuelle à partir de laquelle il construit une mise en scène faite
d’images simples et sensibles. Le jeune héros, Libellule, raconte sa vie dans un quartier délaissé de banlieue,
celle d’un enfant qui grandit, de 7 à 17 ans, en préférant « les rêves à l’école », dans ce no man’s land entre
le monde réel et son monde imaginaire et se calfeutre pour se protéger de la violence qui l’entoure et rechercher sa propre liberté. Avec Lazare, nous ne sommes pas dans le documentaire, le témoignage ou l’explication, mais dans un théâtre d’aujourd’hui qui fait entendre une parole vivante, énergique et troublante.
Jean-François perrier
1
SOMMAIRE
2
une syntaxe féroce et joyeuse
p.
3
au pied du mur sans porte
p.
4
note d’intention
p.
5
résumé
p.
6
travail de plateau
p.
7
lazare,
extraits d’entretiens
p.
8
extrait
p. 10
lazare
p. 12
l’équipe
p. 13
revue de presse
p. 15
rencontre i liens vidos / son
p. 22
UNE SYNTAXE FÉROCE ET JOYEUSE
une mise en scène nerveuse et éruptive, au diapason de l’écriture vive de
lazare, qui provoque des étincelles poétiques inattendues.
De lazare, on peut dire qu’il a ressuscité. Au théâtre.
Grâce au théâtre. Que de chemin parcouru entre ses
premiers pas dans la vie, ses errements, jusqu’à la
rencontre miracle avec la scène, le plateau, l’écriture.
En 2008, il se lance dans un triptyque (Passé – je ne
sais où, qui revient, Au pied du mur sans porte et
Rabah Robert) qui s’achèvera en 2012. On découvre
Libellule (Mourad Musset, chanteur du trio La Rue
Kétanou), jeune héros cabossé qui avance dans la vie
en titubant, qui pousse comme il peut au milieu du
béton. Famille éclatée, scolarité chaotique, mauvaises fréquentations sur fond d’un passé qui vous
colle à la peau, la guerre d’Algérie, fracture pas
encore refermée, histoire coloniale qui hante notre
mémoire d’une guerre qui n’avait pas de nom.
Dans Au pied du mur sans porte, on est saisi par
l’écriture, vive qui fait désordre et provoque des étincelles poétiques inattendues, soulignées par le quatuor de musiciens sur scène. Lazare s’empare des
mots avec jubilation, recompose une syntaxe féroce
et joyeuse, qui emprunte des sens interdits pour
sans cesse repousser les limites de l’indicible, du
non-dit et des sous-entendus, dévoilant à travers les
mystères de la langue les parts d’ombre enfouies en
chacun de nous. Les mots de Lazare sèment le désordre, inventent une langue qui ose, transpose,
explose les codes et les références de la bienséance
pour mieux raconter des vies chaotiques, les rêves en
couleurs de ces êtres cantonnés à la périphérie d’une
vie en noir et blanc. Lazare ouvre des brèches dans
ces murs invisibles que d’aucuns s’entêtent à ériger,
créant un no-man’s land utopique où sorcières,
magiciens et autres fantômes s’invitent, sans crier
gare.
La mise en scène est totalement en phase avec l’écriture. Nerveuse, éruptive, elle provoque des ruptures
inattendues dont s’emparent les acteurs à la manière
des musiciens de free jazz. Les acteurs font des
prouesses, sautent, rebondissent et retombent à cet
endroit magique où se niche la phrase mélodique
initiale, ces quelques mesures qui noircissent la partition, sorte de fil d’Ariane qui ne craint pas de se
perdre dans le labyrinthe. Un jeu à l’état brut,
ludique et loufoque, joyeux et désordonné, où les
déplacements s’organisent en dépit des vents
contraires le long de lignes de fugues orchestrées
par le metteur en scène qui participe de cette fête
joyeuse, poétique et politique. Créé au Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine en 2010, Au pied du mur sans
porte a révélé Lazare lors du festival d’Avignon en
2013. Ses mots puissants et palpitants résonnent
encore plus fort aujourd’hui en ces temps troubles et
troublés. Lazare est aujourd’hui artiste associé au
Théâtre national de Strasbourg.
marie-José sirach
3
AU PIED DU MUR SANS PORTE
« au pied du mur sans porte s’inscrit dans le prolongement de mon précédent spectacle Passé – je ne sais où,
qui revient, épopée théâtrale, voyage dans la mémoire, d’une mère… d’une petite fille de cinq ans attendant toujours le retour de son père parti manifester le 8 mai 1945 à Guelma. On y retrouve les mêmes personnages,
Libellule et sa mère, plongés ici dans des réalités différentes : le présent d’un enfant en grande difficulté dans une
banlieue française. Présent autour de mon projet d’écriture théâtrale et scénique depuis plusieurs années et affrontant toutes les intempéries, le même groupe d’acteurs circule d’une pièce à l’autre. »
Lazare, octobre 2010
le triptYque
• passé - je ne sais où, qui revient
Créé à l’Échangeur à Bagnolet en février 2009.
• au pied du mur sans porte
Créé au Studio –Théâtre de Vitry sur Seine en janvier 2010 puis à l’Echangeur à Bagnolet en janvier 2011.
• rabah robert, touche ailleurs que là où tu es né
Créé en nov. 2012 au festival Mettre en scène à Rennes puis au T2G à Gennevilliers en 2013.
4
NOTE D’INTENTION
« Les animaux se tassent pour éviter
d’imaginaires prédateurs. »
roland barthes
métaphYsique D’un analphabète
Là, de l’autre coté de la porte, sur le seuil de la vie, un frère mort.
Imbéciles, nous sortons du nid où nous avions rêvé le monde et à peine nous dévalons la pente qu’il nous
faut des béquilles.
Infirmes, aveugles, il faut nous mettre sur le chemin.
Marcher sur la cime de la pensée quand tout nous enferme dans une coquille.
Me voici, sale, minable à ma vingtième année, étouffant mes pas.
En une inspiration l’univers entier s’est figé.
Homme qui remue ciel et terre sans rien toucher !
Au ciel s’amoncellent des nuages, tout est triste et rose, le murmure des prières ne m’envole pas sur leurs
tapis.
Plein de came, je suis comme une suite qui ne viendra pas.
L’air même est devenu policier. Les murs voisins contrôlent et regardent.
Une porte trouée de balles sous la peau et personne qui ne me tire dessus.
Septembre est un mois terrible où les enfants rentrent à l’école ! Ils tordent leurs doigts, marchent le long
des malédictions, sous leurs cartables trop lourds, chantent afin de délier le sort.
De ce côté de la rue, les bruits sont coupés au couteau, je tourne la tête devant les portes du Carrefour qui
réclame la grandeur idéale et vous prescrit un check-up à la machine à fric. Rien au dedans de rien.
Dans mon vêtement d’ombre, au milieu du troupeau, je ne trouve rien, j’ai plein mon cœur d’incendie.
lazare
« Au pied du mur sans porte, c’est comme une obligation de rendre possible le seul impossible.
On dirait les éclats d’une métaphysique analphabète.
L’éventualité d’être conçu et de ne pas naître instaure un doute universel, ébranle le
monde parce que, justement, ce n’est peut-être qu’une éventualité. »
claude régy
5
RÉSUMÉ
« L’homme est aveugle, sourd, fragile comme
un mur qu’habite et que ronge un insecte. »
charles baudelaire
« Libellule, un enfant au fond de la classe avec de
“grosses difficultés”, perd toujours toutes ses affaires et
sa carte de transport pour aller à l’école. Les jours de
pluie, l’ennui le fait s’égarer dans les flaques et rencontrer son double, un jumeau mort avant d’être né.
Libellule a sept ans, il y a quelque chose chez lui qui ne
va pas, il ne peut pas tracer de traits droits. Pour le guérir, sa mère, illettrée, fait venir des magiciens et la directrice de l’école lui propose de le présenter à des spécialistes.
Le chemin qui mène à l’école fait école. La route est de
plus en plus longue pour s’y rendre.
L’adolescence s’approche et s’installe dans les terrains
vagues, halls et caves d’immeubles de la cité du
Couvercle. Libellule, au pied du mur, s’initie au contact
d’autres “qui ne sont pas” : magiciens, criquets, dealer
se prenant pour Al Pacino, surveillés par un flic qui
voudrait mettre au lit tous les enfants traînant dehors
le soir.
Libellule a 17 ans, il fait des bêtises. Sa mère et sa jeune
sœur le mettent à la porte. Il dort dans une cave et
touche de ses mains les limites de ce qui fait un homme.
Ses nuits sont d’incessants cauchemars orchestrés par
son double et le spectre de Loula, une jeune fille morte
d’overdose. Il tente de regagner le cœur de ses proches et
l’appartement familial. Chaussée d’une paire de bottes,
sa mère prend la fuite dans ses rêves. »
lazare, février 2010
6
UN TRAVAIL DE PLATEAU
ouvrir les figures et laisser l’individu apparaître
Tous les personnages de la pièce vivent de fantasmes leur permettant de donner un sens à la vie et de la
codifier. Ils ont besoin de plaquer sur le monde un autre monde : une école idéale forteresse de l’humanité ;
un monde chiffré où tout a une valeur monétaire connue de tous ; un au-delà de la vie terrestre merveilleux
en forme d’oreiller confortable et douillet.
Ils éprouvent le besoin de partir. Le départ possible met en jeu l’imaginaire.
Nous cherchons les médiations poétiques d’un réel brutal. Le tragique jamais très loin du burlesque.
Réalisée, non pour engloutir ou sentimentaliser la fiction, la musique agit comme les acteurs agissent, elle
se frotte à eux, les pousse à dépasser les codes de la représentation naturaliste.
Elle permet de transformer la violence des situations en objet recevable et poétique.
lazare
7
LAZARE, EXTRAITS D’ENTRETIENS
Pour moi, les trois pièces, Passé-je ne sais où, qui
revient, Au pied du mur sans porte, et Rabah Robert,
traversent une partie cachée de l’Histoire de France.
Je ne raconte pas l’Histoire de France, je raconte les
trous. Qu’est-ce qu’on fait des trous ? Comment on
vit quand il y a des trous? À travers l’histoire de cette famille, on revisite ces temps. Comment on fait aujourd’hui pour être ensemble, travailler ensemble? Puisque
je suis là, comment je fais maintenant ? […]
Les racines sont dans les pas que l’on fait. Comment
ne pas être esclave de l’histoire, réinventer, faire des
bonds dans l’existence, ne pas se laisser manipuler par
tous les champs d’oppression, par les gens qui attendent
que l’on crée de la haine pour se servir de nous, et nous
enfermer là, maintenant. Encore Hamlet : « Je suis ici,
dans ce royaume, comme enfermé dans une noix ». […]
Libellule, lui, se bat d’abord avec la langue. C’est la bataille que j’ai, moi, entre la poésie et le fait de ne pas
avoir été à l’école, une lutte perpétuelle. D’où la confrontation des langues dans mon écriture. Ce n’est pas un
être qui écrit, ce sont des êtres qui parlent. J’aime un
théâtre monde.
propos recueillis par Daniel migairou
8
Au pied du mur sans porte est le deuxième spectacle d’une trilogie. comment est né cet ensemble ?
Y a-t-il des personnages récurrents ?
lazare :
de la trilogie, puisqu’ils sont écrits de manière à faire
du théâtre, pour donner à voir, entendre et sentir le
monde de multiples façons, sans conditionnement.
Ces personnages sont récurrents parce qu’ils sont de
véritables figures de théâtre. Charlie Chaplin et son
Charlot constituent, selon moi, un exemple extraordinaire, toujours le même, reconnaissable entre mille
et, cependant, toujours nouveau, différent, changeant
et évoluant. C’est ce que j’essaie de faire avec mes
personnages. La figure de la mère est toujours présente, mais jamais à l’identique. Il en va de même pour
le personnage central, celui de Libellule, figure inspirée d’Arlequin de la Commedia dell’arte, épicurien
généreux, qui aime passionnément et joyeusement le
monde, mais qui est toujours pris dans une souricière
et dans le trou de la mémoire, cet espace à la fois perdu et brûlant. Il n’est pas toujours cet être libre, volant
gracieusement au-dessus des maisons et des villes
qu’évoque son nom. Libellule vit un quotidien angoissant, en tentant de ne pas prendre l’autre comme champ
d’opposition, mais en essayant de le comprendre. Le
langage de ces personnages leur permet de renommer le monde avec sa propre galaxie, ses voies lactées
et ses impossibilités. Chacun de ces personnages a
sa sensibilité et sa perception du monde, mais aussi
une métaphysique difficilement partageable. Aujourd’hui, j’ai le sentiment qu’il faut ouvrir les sensibilités,
au vu du rétrécissement général auquel nous sommes
confrontés, chacun s’isolant dans un groupe ou une
chapelle.
lazare : Oui, mais ils sont réinventés à chaque épisode
L’idée de construire un ensemble de trois
pièces était présente dès l’origine du projet. Un ensemble constitué de Passé – je ne sais où, qui revient, puis
Au pied du mur sans porte et enfin Rabah Robert. J’y
explore la notion de différence, en affirmant notamment
un refus de la norme et du normatif. Il y a un lien naturel et évident entre les trois textes qui se répondent.
Ainsi, j’avais écrit des scènes pour le premier spectacle que j’ai finalement décidé d’utiliser pour le deuxième, des scènes que l’on retrouve également dans le
troisième et dernier spectacle. Par ailleurs, les titres des
deux premiers spectacles sont issus de deux poèmes
de Fernando Pessoa : Ode maritime, où l’on peut lire :
« Un amour passé je ne sais où qui revient », et Bureau
de tabac, dans lequel il est écrit : « Celui qui est resté
au pied du mur sans porte qui entendait la chanson de
l’infini au fond d’un puits bouché… ».
chaque pièce aborde-t-elle ce thème central de la
différence selon un axe différent ?
lazare : Oui. La première pièce traite des massacres du
8 mai 1945 à Sétif en Algérie. Ces événements m’interrogent depuis longtemps, moi qui suis pleinement
français, mais qui, comme beaucoup de Français, possède des origines ancrées ailleurs, notamment en Algérie. Lors de mes recherches sur ces tragédies pour écrire ce premier spectacle, j’avais le sentiment d’être un
« massacreur-massacré ». Après avoir retourné et fait
ressurgir ce passé, j’avais le sentiment de n’avoir aucune issue et me suis trouvé devant un « mur sans
porte ». J’ai alors écrit la deuxième pièce, en me projetant dans le présent de ceux qui, comme moi, se
trouvaient devant ce mur, c’est-à-dire les jeunes des
banlieues, des quartiers et des cités. La troisième pièce,
Rabah Robert, met en avant un grand absent des
deux premières : le père, figure essentielle de ce lien
entre passé et présent. Toutefois, même s’il y a un
rapport très étroit entre chaque pièce de la trilogie,
notamment à travers les personnages, chacune a un
style d’écriture particulier et une existence qui lui est
propre.
propos recueillis par Jean-François perrier
9
EXTRAIT
La lumière absorbe l’espace, l’être au-delà de l’être.
Les tables, investies d’immatérialité, se transfonnent
en petites tombes, les rangs en carrefours avec fleurs
du paradis à demi fanées modifient totalement l’effet
vivant du lieu. Éloignée, l’aiguille de l’horloge
se bloque dans une sorte d’agitation. Ignoré des autres,
Libellule voit la classe comme un cimetière au clair
de lune. Les paroles des enseignants sont prononcées
comme la dictée scolaire, leurs voix résonnent
dans un écho profond.
Il est différent
La classe de Libellule. La directrice et l’institutrice
observent les enfants. Derrière elles, intimidée
et silencieuse, la mère regarde la classe.
L’INSTITUTRICE. – Là, on a un petit garçon en petite section qui est différent. Il ne parle pas, il pousse
des petits cris, il peut être très agressif envers les autres.
LA DIRECTRICE – Il va, il vient, il va, il vient.
L’INSTITUTRICE – Il n’a pas de relation directe avec
les autres, il est capable de passer une demi-heure
seul à coller des gommettes, de façon très obsessionnelle.
L’INSTITUTRICE. – Il faut le canaliser en permanence.
LA DIRECTRICE – Il est incapable de rester trois minutes en place.
LE DOUBLE – Tu m’entends ? Des comètes ! Rendstoi mon coeur ! Donne-moi ta vie !
L’INSTITUTRICE – On ne peut pas dire avec des mots
ce qu’il a.
LIBELLULE – Quoi ?
LE DOUBLE – Ma voix, c’est le vent sur les tombes.
Têtes penchées, les enfants, les enfants, les enfants
ne m’entendent pas, têtes appliquées, aucune
ne se relève. Ils ne m’entendent pas. (Gestes rituels.)
Le double de Libellule est assis contre le mur, il ne fait rien.
Le double est une chose qui échappe. Il n’a pas de frontière
nette. L’un et l’autre sont liés par une chose indicible.
LE DOUBLE, à l’oreille de Libellule. – Pourquoi regardestu les murs ?
LIBELLULE – Non, non, non, ne le fais pas ! Qui
soulève ce bras ? Les mains ? Personne ne m’a touché
la main !
L’INSTITUTRICE – Y a des maladies que l’on repère.
On dit : il a la scarlatine. Mais lui, il a des difficultés
pour entrer en communication avec les autres.
Le double frappe sur la table.
LA DIRECTRICE – Et ce petit bout-là, on l’aide comme
on peut.
LA DIRECTRICE – Par contre il n’arrive pas à échanger avec les autres. Seulement par gestes.
LIBELLULE frappe sur la table. – Je ne peux pas
m’asseoir sans rien faire ! Sans rien faire ! Sans rien
faire.
LE DOUBLE – Tu dois partir parce que tu as constaté
que mon intelligence (des fleurs sortent de sa bouche
et se transforment en crapauds) est aussi forte que
mon vouloir. Tape cet enfant ! Tu ne veux pas
eh bien reste là. Celui-là ! Je l’aime pas ! Il m’angoisse
et me blesse.
LE DOUBLE – Ne te laisse pas capturer par le cimetière!
Attention à ta patte de renard ! Fuis et attention qu’il
ne t’arrache pas les pattes !
LIBELLULE – Je dois obéir à ta dictée.
Le double attrape Libellule qui ne le voit pas, et le
tire dans tous les sens. Libellule tape sur la table.
Libellule se dirige vers l’enfant et le frappe.
LIBELLULE.- Quel est ce bruit ?
10
L’INSTITUTRICE – Alors ce n’est pas de la méchanceté,
ça peut être une violence. Il veut dire qu’il aime
peut-être un autre enfant mais il le saisit tellement
fort qu’il lui fait peur.
LA DIRECTRICE – C’est un enfant… Attention !
Là, il y a un piège, en dif… ficulté, deux f à difficulté.
Donc, il va falloir le faire suivre par des médecins
à l’extérieur et essayer de lui trouver un endroit
où on va pouvoir l’aider.
LE DOUBLE, à travers la voix de Libellule – Eh bien,
qu’as-tu ? Ben alors !
Un enfant trace un trait sur le cahier des écoliers
puis le gomme ; de la poudre de gomme et de crayon
se disperse dans le vide, comme jetée au vent.
Libellule renverse l’enfant qui tombe.
L’ENFANT MALTRAITÉ – Attaque-toi à quelqu’un
de ta taille !
LIBELLULE – Mais regarde, la classe cache un
cimetière !
L’INSTITUTRICE – C’est ce genre de réaction. Dans
la classe, il se lève, il se jette sur un gamin, il fait une
fixation sur un gamin, et l’autre est tétanisé.
LE DOUBLE, à travers la voix de Libellule – Je suis
un bébé faible (il tord le bras de l’enfant) comme
un grain de poussière à la merci du vent (il le frappe
et le jette au sol) et celui qui n’est pas content,
qu’il parte ailleurs !
Il se jette à nouveau sur l’enfant.
L’ENFANT MALTRAITÉ pleure – Mais tu ne me
lâcheras jamais !
LIBELLULE – J’ai peur. Il y a quelque chose en moi
qui doit prendre place. Ça grelotte ici entre les
feuilles mortes. Où es-tu ?
LE DOUBLE – Je suis la mauvaise herbe dans le pré.
LA DIRECTRICE – Et c’est un petit garçon qui est
assez costaud.
L’INSTITUTRICE – Est-ce que c’est par amour, estce que c’est par… Il le serre et il peut très bien le mordre, virgule, il peut très bien le griffer, virgule, il peut
très bien…
11
LAZARE
« Cette trilogie, s’est construite autour
du personnage de Libellule, double de l’auteur,
et de sa famille. Une famille entre France
et Algérie, réunie autour d’une mère à forte
personnalité qui a sa propre langue, et d’un père
absent-présent, une famille d’un de ces quartiers
de banlieue qui subit et se bat. Mais le théâtre
de Lazare n’est pas pour autant un théâtre
documentaire. C’est un théâtre qui vit à travers
l’écriture, un théâtre de rêve, de fragments,
de retours en arrière, de frottements, de vrai
et de faux, un théâtre qui fait de la parole
recomposée le cœur de la représentation.
Une parole écrite, rythmée comme une partition,
dont l’oralité traverse le corps des acteurs
et leur donne une énergie vitale. Pas de jugements,
pas d’explications, pas de lieux communs
dans ce théâtre qui bouscule autant les formes
de représentations que l’écriture dramatique. »
Jean François perrier
En 2014, Lazare s’écarte de cette grande fresque épique pour écrire Petits contes d’amour et d’obscurité
présenté au dernier festival Mettre en scène à Rennes.
À partir de janvier 2015 il devient artiste associé au
théâtre national de Strasbourg.
lazare a franchi un jour les portes du Théâtre Gérard
Philipe de Saint-Denis. Depuis, il n’a plus quitté les salles et les plateaux, écrivant ses premières pièces et
multipliant les rencontres avec des metteurs en scène
tels François Tanguy, Claude Régy, ou Stanislas Nordey,
qui l’invite à rejoindre l’École du Théâtre national de
Bretagne.
Auteur dès son adolescence, improvisateur dans les
lieux publics, il devient acteur et metteur en scène
avant de créer, en 2006, sa compagnie Vita nova,
dont le nom est une référence à La Divine Comédie
de Dante.
Autour de Lazare se constitue un « noyau dur » de fidèles collaborateurs et des lieux refuges comme la
Fonderie au Mans le Studio-Théâtre de Vitry sur seine
et l’Échangeur à Bagnolet qui vont l’accompagner
dans une grande aventure théâtrale débutée en 2007.
Une trilogie qui s’ouvre avec Passé – je ne sais où, qui
revient, suivi en 2011 de Au pied du mur sans porte,
deux titres empruntés à Pessoa, avant de se conclure, temporairement, avec Rabah Robert, touche
ailleurs que là où tu es né.
publications
THÉÂTRE AUX éDitions Voix naVigables
• passé - je ne sais où, qui revient (2009)
• au pied du mur sans porte (2010)
THÉÂTRE AUX éDitions Des solitaires intempestiFs
• au pied du mur sans porte (2013)
• rabah robert, touche ailleurs que là où tu es né (2013)
12
L’ÉQUIPE I VITA NOVA
Julien lacroix metteur en scène, interprète, Dramaturge
Une constellation de personnalités venues d’horizons
divers, toutes générations confondues, affirment leur
présence autour de Lazare, reliant par leurs cheminements des fils tendus vers d’autres aventures artistiques fortes et différentes les unes des autres.
Anne Baudoux qui assiste depuis 8 ans à la naissance
des textes, des premières improvisations jusqu’à l’édition, Julien Lacroix (Collectif De Quark, ToméoVerges),
Mourad Musset (La Rue Ketanou), Benjamin Colin
(Fantazio Gang), Axel Bogousslavsky (Claude Régy)…
Car l’écriture de Lazare, dans sa porosité, s’offre à la
réalité des personnalités de chacun, sans préfigurer
de distribution.
anne bauDoux
Au théâtre il joue dans les trois créations de Lazare.
Il est membre du collectif De Quark dont le spectacle
La Fête de Spiro Scimone tourne toujours (l’Échangeur-Bagnolet, 104, Théâtre de Vanves…) et prépare une nouvelle création Barbecues en 2016. Il travaille aussi avec Laurence Mayor, Florence Giorgetti,
Jacques Vincey, Patrick Haggiag, François Wastiaux,
Robert Cantarella… Il danse pour Toméo Verges dans
Anatomia Publica (2012-2013) ainsi que dans la prochaine création Troubles du rythme. Il crée trois performances En vacance au musée des Abattoirs à Toulouse ainsi que dernièrement Fassbinderologie avec le
romancier Alban Lefranc (Festival Horslimites, Correspondances de Manosque..). Et Julian et Julien avec
le comédien Julian Eggerickx au Palais de Tokyo en
2014. Il met en scène au Théâtre de Vanves un texte
de Werner Schwab Excédent de poids ; insignifiant :
amorphe. Il joue au cinéma pour Nicolas Klotz, Renaud
Cohen, Pierre Duculot, Eric Veniard, Jalil Lespert.
coméDienne
Depuis 2008, elle participe à l’aventure artistique de
Lazare et joue dans toutes les pièces du triptyque
(Passé – je ne sais où qui revient, Au pied du mur sans
porte, Rabah Robert).
Sortie du Conservatoire national de région d’art dramatique à Rennes en 1989. Elle a joué au théâtre sous
la direction des metteurs en scène : Marie Christine
Soma (Les Vagues de V.Woolf), Thierry Roisin (Woyzeck
de Georg Büchner, Manque de Sarah Kane, L’Émission de télévision de Michel Vinaver), Didier Bezace
(Une femme sans importance d’Alan Bennett, GrandPeur et misère du IIIe Reich et La Noce chez les petits
bourgeois de Bertolt Brecht) et des auteurs Jean-Paul
Queïnnec (Les Tigres maritimes), Sophie Renauld (Hantés, Exercices et échauffements pour princesses au
chômage).
Au cinéma et à la télévision, elle joue entre autre sous
la direction de : Fabrice Gobert et Frédéric Mermoud,
Thomas Vincent, Antoine de Caunes, Nicolas Klotz,
Philippe Bérenger, Edwin Baily, Elisa Mantin, Hervé
Balais.
Entre 2009 et 2012, elle est conseillère pédagogique
à l’École du Théâtre national de Bretagne dirigée par
Stanislas Nordey. En 2013, elle participe à Passim la
dernière création du Théâtre du Radeau.
claire-monique scherer
coméDienne
Formée auprès de divers chorégraphes et metteurs
en scène comme Jean Gaudin, Félix Ruckert, Daniel
Larrieu, Claude Buchvald, Philippe Dormoy, Stanislas
Nordey, Jean-Michel Rabeux, Omar Porras et Antonio
Araujo et joue sous la direction de Lazare et Anne
Nozière (La petite/Théâtre de la colline-2012).
guillaume allarDi
acteur, auteur et musicien
Diplômé en 2003 de l’École du Théâtre national de
Bretagne, dirigée par Stanislas Nordey. Au théâtre,
il a travaillé notamment avec Claude Régy, Hubert
Colas, Yves-Noël Genod, Pascal Kirsh et Bénédicte
Le Lamer, Jean Michel Rivinof. En 2007, il crée,
avec Constance Arizzoli et Loïc Le Roux, la compagnie Continuum, qui donnera naissance à trois projets mêlant musique et poésie dont il est, sauf pour
le premier, l’auteur : noir(continuum), Labyrinthe(s) et
Les Muscles de l’exil. En tant qu’auteur, il publie, aux
Éditions Larousse, Le Corps ou le fruit de l’expérience,
paru en octobre 2010. Son travail poétique est publié
dans des revues telles que La Barque, Babel Tour.
mouraD musset musicien chanteur Du trio la rue kétanou
Il a reçu une formation d’acteur au Théâtre du Fil à Savigny-sur-Orge (théâtre de la protection judiciaire)
de 1993 à 1997.
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benJamin colin
marguerite borDat
poète et compositeur
Il travaille régulièrement avec Fantazio, contrebassiste
chanteur dont les projets peuvent prendre la forme
d’un bal minimaliste ou bien d’une free-party improvisée, ainsi qu’avec des gens de cirque (jongleurs,
acrobates aériens) et des performeurs (slameurs,
improvisateurs, danseurs…) depuis une petite
dizaine d’années.
Jean-François pauVros
Elle est associée aux spectacles de Pierre-Yves Chapalain et Pierre Meunier, réalise les costumes pour Éric
Lacascade et Joël Pommerat et conçoit les marionnettes de Bérangère Vantusso.
marion Faure
coméDien
Il a grandi en Guadeloupe, puis a fini son lycée en
Normandie. Il est formé à la Compagnie Maritime (Pierre
Castagné) à Montpellier et à l’ERAC. Au théâtre, il
joue sous la direction d’Anne Alvaro et David Lescot,
Jean Pierre Vincent, Laetitia Guédon, Brigitte Barilley
et Lazare.
axel bogousslaVskY
chorégraphe
Parallèlement à ses projets chorégraphiques (Cie
Ortema), en tant qu’artiste interprète, Marion Faure
danse des pièces d’Alwyn Nicholaïs, Jo Stromgren,
Luc Petton, Angelin Preljocaj, Etcha Dvornik, Lucinda
Child, Willi Dorner…
Actuellement, au sein de la Cie Vita Nova, elle développe un travail autour de la gestuelle de l’acteur en
lien aux mouvements du texte.
guitariste et compositeur
Précurseur de la guitare noise en France, il développe un univers qui l’amène à rencontrer les piliers de
la scène d’improvisation anglaise et crée le groupe
Catalogue avec Jac Berrocal et Gilbert Artman. Acteur
du nomadisme musical, il collabore avec les expérimentateurs Arto Lindsay et Sonic Youth, mais aussi
le guitariste Noël Akchoté, RED, Evan Parker, ki Onda,
les poètes Charles Pennequin et Gozo Yoshmasu. Il
compose des musiques de film.
Yohann pisiou
scénographe
coméDien
Acteur depuis plus de trente ans dans de nombreux
spectacles de Claude Régy. Au cinéma, il est Ernesto
dans Les Enfants de Marguerite Duras. Il a tourné
dans de nombreux films dont la liste s’est égarée…
(En 2008, Adieu de Arnaud De La Pallière)
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REVUE DE PRESSE
Au
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De Lazare
Lazare
THÉÂTRE Jeune
Jeune a
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scène
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dernier
ernier
festival Impatience (Odéon-Télérama), Lazare continue
d'inventer des destins pour Libellule, son personnage-valise.
D'abord adulte se souvenant de son enfance en Algérie (1945) dans
Passé - je ne sais où, qui revient, Libellule devient ici un enfant
inadapté scolaire et social dans une banlieue en déroute. La figure
de la mère est encore là, avec sa syntaxe tronquée d'où fusent des
mots précis, interprétés par la même Anne Baudoux à la voix si
prenante.
La mise en scène de Lazare est à la mesure de son écriture directe : faite
d'images sans fioritures, d'ombres, d'éclats de percussion. C'est un conte
qui commence dans une cour d'école et finit dans une cave. Pas d'issue,
pas de porte dans le mur. La poésie passe... comme l'ironie.
Jusqu'au 22 janvier à L'Echangeur, Bagnolet (93). Tél. : 01-43-62-71-20. Et
aussi : Passé - je ne sais où, qui revient, du 15 au 17 février à la Comédie
de Béthune (62). Tél. : 03-21-63-29-19.
Emmanuelle Bouchez
Telerama n° 3184 - 22 janvier 2011
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•
CULTURE
Un art de la divagation,ou de la distorsion, parmi des éléments disparates aux usages fluctuants. PHOTO HÉLÈNE BOZZI
THÉÂTRE A Bagnolet, l’auteur et metteur en scène Lazare propose «Au pied
du mur sans porte», vision onirique de la banlieue dont on ressort bluffé.
La cité sans cécité
AU PIED DU MUR
SANS PORTE de LAZARE ms.
de l’auteur. Théâtre de l’Echangeur,
59, av. du Général-de-Gaulle,
Bagnolet (93). M° Gallieni.
20h30, jusqu’au 22 janvier.
Rens.: 01 43 62 71 20.
e Lazare, auteurmetteur en scène, on
sait qu’il a vu le jour
en 1975 à Fontenayaux-Roses (c’est indiqué en une
ligne à la fin de sa pièce publiée
aux éditions Voix navigables) et
qu’il est passé par l’école du
Théâtre national de Bretagne.
Le programme mentionne aussi
qu’il a déjà écrit et mis en scène
deux pièces en 1999-2000, plus
une troisième, Passé-je ne sais
où, qui revient, créée en février 2009. Sur la «résurrection» qui a pu l’amener à choisir son pseudonyme, on n’en
saura pas plus et cela n’a pas
d’importance.
Refondateur. D’une certaine
manière, les spectateurs qui repartent de l’Echangeur de Ba-
D
gnolet à l’issue de la représentation sont aussi des Lazare. Au
pied du mur sans porte est un
spectacle refondateur, dont on
sort avec la sensation d’avoir
entendu et vu quelque chose
qui ne ressemble à rien de familier. Non que la trame soit
étrangère : il est question de
l’itinéraire de Libellule, un
gosse de banlieue élevé par sa
mère. Educateurs, dealers ou
flics, tous les personnages d’un
théâtre de la cité (Lazare a écrit
sa pièce après être retourné
dans un quartier de Bagneux
qu’il connaissait bien) sont là.
Sauf qu’aucun cliché n’est au
rendez-vous : pas une trace de
parler caillera, nulle pulsion
hip-hop, rap ou slam, ni l’ombre d’un discours militant, la
banlieue de Lazare est une réinvention qui n’emprunte à
aucun folklore. C’est vrai dans
la langue, où les dialogues,
même quand ils ont un fond de
réalisme (la mère oublie souvent la première voyelle et dit
«il est tourdi» au lieu d’étourdi
et «scabeau» à la place d’escabeau), s’évadent toujours
ailleurs. Un art de la divagation,ou de la distorsion, que les
indications scéniques résument
bien. Ainsi cette «description»
de salle de classe : «Les tables,
investies d’immatérialité, se
transforment en petites tombes,
les rangs en carrefours avec fleurs
du paradis à demi fanées modifient totalement l’effet vivant du
lieu. Eloignée, l’aiguille de l’horloge se bloque dans une sorte
d’agitation. Ignoré des autres,
Libellule voit la classe comme un
cimetière au clair de lune. Les paroles des enseignants sont prononcées comme la dictée scolaire,
leurs voix résonnent dans un écho
profond.»
Cette «modification de l’effet vivant» est sensible sur le plateau. Lazare joue de la profondeur scénique et de la
juxtaposition d’éléments disparates – cube en verre, toiles
peintes naïves, panneaux de
taille variables, tables basses –
aux usages fluctuants. Il règne
une forme de folie douce, qui
tourne à l’occasion au loufoque,
quand un acteur se déguise en
jambon géant. Une fantaisie qui
passe par la capacité des huit
comédiens à refuser le passage
en force.
Suicidés. La violence est là
pourtant, assourdie et jamais
anecdotique. Le déploiement de
fantaisie habille un doute existentiel que relaie le personnage
du double, «jumeau mort avant
d’être né» et qu’alimente la litanie des suicidés – noyé dans la
Seine au cours d’une poursuite,
surdose de cachets, mère que la
petite sœur a surprise en équilibre sur le balcon criant «Faut
débarrasser ma race !»
Le dernier mot revenant à Libellule, l’enfant bigleux devenu
dealer avant de prendre la fuite,
qui cite Hamlet et les Trois
Sœurs, sans même qu’on le remarque: «Qui voudrait supporter
ce que nous supportons/ Partir
partir partir une bonne fois pour
toutes».
RENÉ SOLIS
Libération,
20 janvier 2011
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Des cités à la scène,
l’histoire D’une ascension
Lazare est son nom. Illettré devenu ouvreur chez
Nordey, il est le metteur en scène à suivre.
Il s’appelle Lazare, et son héros, Libellule. Juste un
prénom – le sien – pour cet auteur-metteur en scèneimprovisateur de 36 ans, qui commence à beaucoup
faire parler de lui. Après avoir été présenté à L’Échangeur, à Bagnolet (la salle en pointe sur la découverte
de nouveaux talents) en mars, son spectacle Au pied
du mur sans porte est programmé par l’excellent festival « Mettre en scène » du Théâtre national de Bretagne, où Lazare se retrouve en compagnie de Romeo
Castellucci, Thomas Ostermeier, Krzysztof Warlikowski
ou François Tanguy.
Au pied du mur sans porte le dit bien : Lazare n’avait a
priori aucune raison de voir s’ouvrir en grand devant
lui les portes du théâtre français. De son enfance
entre les tours de Bagneux (Hauts-de-Seine), on ne
saura pas grand-chose, tant est tenace la crainte
d’« être réduit au garçon de banlieue » chez cet homme
dont le regard semble demander réponse à la tristesse, sous le petit chapeau de musicien gitan. « Si je
me mets à raconter ma vie, on tombe vite dans un misérabilisme qui me fait fuir. Je ne veux pas être enfermé
dans le roman communiste de l’Arabe qui s’en sort. »
Des errances de sa jeunesse, on saura juste qu’elles
le mènent jusqu’au Théâtre du Fil, qui est le joli nom
du théâtre de la Protection judiciaire de la jeunesse.
Le jeune homme qui y arrive ne sait ni lire ni écrire.
Il commence à déchiffrer « en apprenant des poèmes
par cœur » et à écrire en transcrivant ses propres textes.
Un jour, il pousse la porte du Théâtre Gérard-Philipe
de Saint-Denis, dont Stanislas Nordey vient de prendre la direction.
Nordey engage comme ouvreur ce garçon qui vit le
théâtre comme une résurrection. À Saint-Denis, Lazare
voit et revoit, de soir en soir, les spectacles de François
Tanguy, de Jean-François Sivadier et surtout de Claude
Régy, qui le prend sous son aile. Il écrit et met en
scène trois pièces, Orcime et Faïence, Cœur Instamment Dénudé et Purgatoire, mais Nordey lui conseille
de rentrer à l’école du Théâtre national de Bretagne,
où il poursuit sa formation de 2000 à 2003, avec
Tanguy, Régy, François Verret ou Bruno Meyssat.
« Mais mon école, ça a quand même été la vie », souffle-t-il.
Son spectacle est à son image, comme le précédent
créé avec sa compagnie Vita Nova. Intitulé Passé – je
ne sais où, qui revient, il évoquait les massacres de
Guelma, en Algérie, moins connus mais aussi meurtriers que ceux de Sétif, en mai 1945 : à mille lieues
de toute vision naturaliste et misérabiliste de la banlieue. Il conte, en un mélange de poésie textuelle et
sonore proche du slam, d’art brut, d’étrangeté langagière propre à déjouer les clichés, l’histoire de Libellule, son double, dont le prénom lui a été inspiré
par le film de Rainer Werner Fassbinder, Tous les
autres s’appellent Ali (1974).
Au début d’Au pied du mur sans porte, Libellule a 7
ans. Il a « un retard d’école », comme dit sa mère, porte
un cartable plus grand que lui et d’énormes lunettes
qu’il perd sans cesse, tout « tourdi » qu’il est, comme
sa Carte orange et ses habits. Les jours de pluie, il
s’égare dans les flaques, où il rencontre son jumeau
mort avant d’être né, « le Double ». « Dis à maman que
je suis passé », demande celui-ci à Libellule, petit garçon sans père, « fait de deux moitiés différentes, l’œil
gauche toujours triste et l’autre qui brille de gaieté, un
pied qui trébuche et l’autre qui joue au foot », dit sa
mère.
Alors, évidemment, avec tout ça, le psychiatre et le
renvoi menacent, dans la petite école entre les tours.
« Voilà y a quelque chose/Chez toi qu’est mal/T’arrives pas
à travailler/T’arrives pas à faire ça et ça/Parce qu’il y
a des gens méchants/Qui font la méchanceté méchante »,
se révolte la mère, qui fait venir un magicien qui tient
du charlatan déguisé en sorcier africain. Pendant ce
temps, l’adolescence pointe son nez, entre les terrains vagues, les halls et les caves d’immeuble de la
cité du Couvercle.
Libellule a 15 ans, puis 17, il entre dans la ronde formée par JR, le dealer, le Policier (ainsi nommé) et les
amis perdus par la drogue, Le Criquet ou Loula. Il a
abandonné « l’école, la maison, tout, quoi », et se dit
qu’il est « un Français sans France ». On ne racontera
pas ce qui advient alors, dans ce spectacle où les peintures inspirées d’ex-voto mexicains, les – vrais – dessins d’enfants, le travail sonore étrange et délicat de
Benjamin Colin composent un univers qui ne ressemble à aucun autre.
Les acteurs Mourad Musset (Libellule), Anne Baudoux
(la mère), l’extraordinaire lutin Axel Bogousslavski
(L’Autre), et Claire-Monique Scherer, Yohann Pisiou
et Julien Lacroix, qui jouent plusieurs rôles, les musiciens Guillaume Allardi et Benjamin Colin, jouentchantent-profèrent sans jamais tirer vers le réalisme
ce que Claude Régy a défini chez Lazare comme « les
éclats d’une métaphysique analphabète ».
Lazare, donc, un garçon que le prénom destinait à
revenir d’entre les morts, et qui n’a voulu garder que
cette identité visible. Il a bien trouvé la porte au pied
du mur, avec son théâtre salvateur, qui cherche à « ouvrir
les carapaces humaines » pour nommer le monde de
manière sensible.
Fabienne Darge
Le Monde,
10 novembre 2011, mis à jour le 11 juillet 2013
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Télérama, 3 juillet 2013 I
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Libération, 16 juillet 2013
21
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Tribune
Attentats de Paris : “Artistes, allumez vos
lampes d’inventeurs”, par Lazare (metteur
en scène)
Lazare
Publié le 16/11/2015. Mis à jour le 16/11/2015 à 13h52.
Il a déjà témoigné pour “Télérama” sur le rôle du théâtre dans sa vie. Lazare, poète-metteur en
scène, désormais associé au Théâtre National de Strasbourg, écrit à nouveau une tribune pour
mettre des mots sur l'horreur, pour témoigner toujours et encore de son expérience d'ancien
adolescent en déshérence dans les banlieues ramené à la vie par l'art et la culture...
a
22
S
amedi 14 novembre, à Paris.
« Il y a trois jours j’ai tourné des séquences d’un film à Pantin, avec le cheval Arto et Olivier Martin-Salvan. Je savourais le
plaisir d’être avec un cheval et un acteur généreux parmi les gamins de Pantin.
Un homme avec tous les signes du religieux est venu me voir et m’a dit « ça va être l’apocalypse. » Il savait la catastrophe à venir.
Le jour était trop beau et immédiatement dans ma peau j’ai senti ces inquiétudes. Hier soir j’ai pleuré et je me sentais succomber. Des
hommes ont tué. D’autres sur le sol où palpite le sang, et la vie s’éloigne d’eux, les lèvres entrouvertes sur des dernières paroles
d’incompréhension.
Je me réveille ce matin et ces événements se sont réellement passés.
Angoisse de mort
Les meurtriers suicidaires sont là, ils font un travail de terrain, minutieux et opiniâtre, dans les quartiers de périphérie, sur internet.
Ils promettent une résolution du monde, et des pays lointains originels. Les champs de représentation, la séparation, ils travaillent
dessus. Le rejet, la peur, l’inquiétude, ils travaillent dessus. Et ils déchargent sur d’autres leur angoisse de mort.
"Attaques à Paris : un choc de valeurs", par Jean Garrigues (historien)
Et nous ne faisons rien pour les arrêter et nous n’inventons pas les contre-valeurs, chacun depuis notre lieu. La séparation qui est
déjà là, ils veulent la creuser, creuser le fossé de cet « être ensemble » séparé, être ensemble par le sang, par le meurtre. Ils
s’attaquent à des lieux de représentation, où ils ne sont pas représentés. Artistes, vraiment, allumez vos lampes d’inventeurs. Mettez
les yeux en face des cœurs. Entrouvrez réellement votre porte de lumière.
Tous les théâtres de banlieue ont été créés après l’horreur de la Seconde Guerre mondiale. Qu’y fait-on maintenant ? Comment
mettre en commun une histoire cachée qu’on ne sait plus articuler ? Elle est enfoncée dans les ventres et elle revient violemment
comme un ulcère. En France dans les théâtres comme ailleurs, on a du mal à se rappeler.
Les meurtriers suicidaires vont jusqu’à la mort pour trouver une consolation à la vie. Le seul voyage qui vaille la peine à leurs yeux. Le
monde qu’on a pu leur proposer, ce n’est que ça. Alors qu’il y a tout en France. Il y a tout et ils ne rentrent nulle part.
Ils ont bercé mes amertumes
Aujourd’hui je pense avec inquiétude à tous ceux, issus de l’immigration, qui ne cessent d’être stigmatisés, inévitablement excédés
par la façon dont ils sont perçus. Cette séparation je la sens dans mon corps, par mon histoire.
Oubliés des livres d’histoire (l’histoire de la colonisation est encore à faire et à enseigner), on est adoptés par des noires colères, un
ultra monde, le monde des théories de la conspiration et des jeux vidéo. Je me souviens, à l’âge de 20 ans, j’étais à la rue, le cerveau
plein de flammes d’avoir raté. Plein de désir amer et de rancune, je serrais les poings. Des hommes sont venus me voir. Ils ont bercé
mes amertumes. Ils m’ont raconté l’histoire de la Guerre d’Algérie et l’horreur cachée. Ils m’ont expliqué qu’on voulait nous changer
en bêtes et que notre existence n’avait pas d’importance pour la France.
A
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Attaques à Paris
Attentats : “Les mots 'horreur' ou 'barbarie' !inissent par faire écran à la réalité”, par Ivan Jablonka (historien)
Eux se sont intéressés à moi et m’ont valorisé. Ils m’ont appris à lire. Ce ne sont pas d’abord les hommes de théâtre. Ce fut un effort
énorme d’aller vers le théâtre, d’entrer dans ces lieux, d’y trouver une place. J’ai brûlé des fièvres et des douleurs, je me suis construit
un corps pour aller vers l’autre. J’ai éliminé des vieux maux qui m’empoignaient. J’ai regardé des spectacles hébété avec des yeux de
vache. J’aimais le théâtre comme quand on a faim. Il faut redonner la faim à ces adolescents des quartiers, la faim et l’envie de vivre,
d’aimer, d’avoir soif de cet amour. »
Arts et scènes
Attaques à Paris
Lazare
terrorisme
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RENCONTRE
Dimanche 10 aVril 2016 à l’issue De la représentation
avec l’équipe artistique
Inscription sur le site internet du Théâtre de la Ville : http://www.theatredelaville-paris.com/rencontres-agenda-16
TOURNÉE
22 avril 2016
théâtre liberté, toulon
LIENS VIDÉO I SON
http://www.franceculture.fr/personne-lazare.html
http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/au-pied-du-mur-sans-porte/entretiens/
http://next.liberation.fr/culture/2013/07/15/je-pense-sans-arret-a-des-gens-qui-ne-sontpas_918481
http://www.theatredelaville-paris.com/spectacle-aupieddumursansportelazare-927
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