SCHAUBÜHNE BERLIN ROMEO CASTELLUCCI FRIEDRICH HÖLDERLIN D’APRES SOPHOCLE CRÉATION Ödipus der Tyrann EN ALLEMAND SURTITRÉ EN FRANÇAIS 20 < 24 NOVEMBRE 2015 찞 émilie paillot graphiste - © Arno Declair - RC BOBIGNY 562 128 397 - LICENCES 1-1051016/2-1051017/3-1051015 - impression Stipa { AU THÉÂTRE DE LA VILLE } Dossier d’accompagnement établi par la compagnie Vita noVa theatredelaville-paris.com 2 PLACE DU CHÂTELET PARIS 4 • 01 42 74 22 77 saison 2015 i 2016 LAZARE Au pied du mur sans porte TEXTE & lazare bruno brinas MISE EN SCÈNE LUMIÈRES & ASSISTANTE À LA MISE marguerite bordat Daniel migairou COLLABORATION À LA CHORÉGRAPHIE EN SCÈNE marion Faure COLLABORATION À LA SCÉNOGRAPHIE CONSEILLER ARTISTIQUE AVEC & anne baudoux, axel bogousslavsky, Julien lacroix, mourad musset, Yohann pisiou, claire-monique scherer guillaume allardi, benjamin colin, Jean-François pauvros, Frank Williams LES MUSICIENS proDuction Vita Nova. coproDuction Studio-Théâtre de Vitry. aVec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication/DRAC Île-de-France, de Beaumarchais/SACD, de la Spedidam, de L’Échangeur-Bagnolet, du Théâtre national de Bretagne-Rennes et de La Fonderie-Le Mans. Vita Nova est conventionnée par la DRAC Île-de-France. © Hélène Bozzi « LAZARE, C’EST LE BASQUIAT DU THÉÂTRE » il graffite le verbe, il réinvente la langue. une aventure osée, singulière et bouleversante. lazare, auteur et metteur en scène, invente ses histoires à partir du réel, à partir d’un vécu personnel trans- cendé par une écriture métissée, percutante, qui donne à chacun de ses personnages une langue précise et forte qui constitue une véritable partition textuelle à partir de laquelle il construit une mise en scène faite d’images simples et sensibles. Le jeune héros, Libellule, raconte sa vie dans un quartier délaissé de banlieue, celle d’un enfant qui grandit, de 7 à 17 ans, en préférant « les rêves à l’école », dans ce no man’s land entre le monde réel et son monde imaginaire et se calfeutre pour se protéger de la violence qui l’entoure et rechercher sa propre liberté. Avec Lazare, nous ne sommes pas dans le documentaire, le témoignage ou l’explication, mais dans un théâtre d’aujourd’hui qui fait entendre une parole vivante, énergique et troublante. Jean-François perrier 1 SOMMAIRE 2 une syntaxe féroce et joyeuse p. 3 au pied du mur sans porte p. 4 note d’intention p. 5 résumé p. 6 travail de plateau p. 7 lazare, extraits d’entretiens p. 8 extrait p. 10 lazare p. 12 l’équipe p. 13 revue de presse p. 15 rencontre i liens vidos / son p. 22 UNE SYNTAXE FÉROCE ET JOYEUSE une mise en scène nerveuse et éruptive, au diapason de l’écriture vive de lazare, qui provoque des étincelles poétiques inattendues. De lazare, on peut dire qu’il a ressuscité. Au théâtre. Grâce au théâtre. Que de chemin parcouru entre ses premiers pas dans la vie, ses errements, jusqu’à la rencontre miracle avec la scène, le plateau, l’écriture. En 2008, il se lance dans un triptyque (Passé – je ne sais où, qui revient, Au pied du mur sans porte et Rabah Robert) qui s’achèvera en 2012. On découvre Libellule (Mourad Musset, chanteur du trio La Rue Kétanou), jeune héros cabossé qui avance dans la vie en titubant, qui pousse comme il peut au milieu du béton. Famille éclatée, scolarité chaotique, mauvaises fréquentations sur fond d’un passé qui vous colle à la peau, la guerre d’Algérie, fracture pas encore refermée, histoire coloniale qui hante notre mémoire d’une guerre qui n’avait pas de nom. Dans Au pied du mur sans porte, on est saisi par l’écriture, vive qui fait désordre et provoque des étincelles poétiques inattendues, soulignées par le quatuor de musiciens sur scène. Lazare s’empare des mots avec jubilation, recompose une syntaxe féroce et joyeuse, qui emprunte des sens interdits pour sans cesse repousser les limites de l’indicible, du non-dit et des sous-entendus, dévoilant à travers les mystères de la langue les parts d’ombre enfouies en chacun de nous. Les mots de Lazare sèment le désordre, inventent une langue qui ose, transpose, explose les codes et les références de la bienséance pour mieux raconter des vies chaotiques, les rêves en couleurs de ces êtres cantonnés à la périphérie d’une vie en noir et blanc. Lazare ouvre des brèches dans ces murs invisibles que d’aucuns s’entêtent à ériger, créant un no-man’s land utopique où sorcières, magiciens et autres fantômes s’invitent, sans crier gare. La mise en scène est totalement en phase avec l’écriture. Nerveuse, éruptive, elle provoque des ruptures inattendues dont s’emparent les acteurs à la manière des musiciens de free jazz. Les acteurs font des prouesses, sautent, rebondissent et retombent à cet endroit magique où se niche la phrase mélodique initiale, ces quelques mesures qui noircissent la partition, sorte de fil d’Ariane qui ne craint pas de se perdre dans le labyrinthe. Un jeu à l’état brut, ludique et loufoque, joyeux et désordonné, où les déplacements s’organisent en dépit des vents contraires le long de lignes de fugues orchestrées par le metteur en scène qui participe de cette fête joyeuse, poétique et politique. Créé au Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine en 2010, Au pied du mur sans porte a révélé Lazare lors du festival d’Avignon en 2013. Ses mots puissants et palpitants résonnent encore plus fort aujourd’hui en ces temps troubles et troublés. Lazare est aujourd’hui artiste associé au Théâtre national de Strasbourg. marie-José sirach 3 AU PIED DU MUR SANS PORTE « au pied du mur sans porte s’inscrit dans le prolongement de mon précédent spectacle Passé – je ne sais où, qui revient, épopée théâtrale, voyage dans la mémoire, d’une mère… d’une petite fille de cinq ans attendant toujours le retour de son père parti manifester le 8 mai 1945 à Guelma. On y retrouve les mêmes personnages, Libellule et sa mère, plongés ici dans des réalités différentes : le présent d’un enfant en grande difficulté dans une banlieue française. Présent autour de mon projet d’écriture théâtrale et scénique depuis plusieurs années et affrontant toutes les intempéries, le même groupe d’acteurs circule d’une pièce à l’autre. » Lazare, octobre 2010 le triptYque • passé - je ne sais où, qui revient Créé à l’Échangeur à Bagnolet en février 2009. • au pied du mur sans porte Créé au Studio –Théâtre de Vitry sur Seine en janvier 2010 puis à l’Echangeur à Bagnolet en janvier 2011. • rabah robert, touche ailleurs que là où tu es né Créé en nov. 2012 au festival Mettre en scène à Rennes puis au T2G à Gennevilliers en 2013. 4 NOTE D’INTENTION « Les animaux se tassent pour éviter d’imaginaires prédateurs. » roland barthes métaphYsique D’un analphabète Là, de l’autre coté de la porte, sur le seuil de la vie, un frère mort. Imbéciles, nous sortons du nid où nous avions rêvé le monde et à peine nous dévalons la pente qu’il nous faut des béquilles. Infirmes, aveugles, il faut nous mettre sur le chemin. Marcher sur la cime de la pensée quand tout nous enferme dans une coquille. Me voici, sale, minable à ma vingtième année, étouffant mes pas. En une inspiration l’univers entier s’est figé. Homme qui remue ciel et terre sans rien toucher ! Au ciel s’amoncellent des nuages, tout est triste et rose, le murmure des prières ne m’envole pas sur leurs tapis. Plein de came, je suis comme une suite qui ne viendra pas. L’air même est devenu policier. Les murs voisins contrôlent et regardent. Une porte trouée de balles sous la peau et personne qui ne me tire dessus. Septembre est un mois terrible où les enfants rentrent à l’école ! Ils tordent leurs doigts, marchent le long des malédictions, sous leurs cartables trop lourds, chantent afin de délier le sort. De ce côté de la rue, les bruits sont coupés au couteau, je tourne la tête devant les portes du Carrefour qui réclame la grandeur idéale et vous prescrit un check-up à la machine à fric. Rien au dedans de rien. Dans mon vêtement d’ombre, au milieu du troupeau, je ne trouve rien, j’ai plein mon cœur d’incendie. lazare « Au pied du mur sans porte, c’est comme une obligation de rendre possible le seul impossible. On dirait les éclats d’une métaphysique analphabète. L’éventualité d’être conçu et de ne pas naître instaure un doute universel, ébranle le monde parce que, justement, ce n’est peut-être qu’une éventualité. » claude régy 5 RÉSUMÉ « L’homme est aveugle, sourd, fragile comme un mur qu’habite et que ronge un insecte. » charles baudelaire « Libellule, un enfant au fond de la classe avec de “grosses difficultés”, perd toujours toutes ses affaires et sa carte de transport pour aller à l’école. Les jours de pluie, l’ennui le fait s’égarer dans les flaques et rencontrer son double, un jumeau mort avant d’être né. Libellule a sept ans, il y a quelque chose chez lui qui ne va pas, il ne peut pas tracer de traits droits. Pour le guérir, sa mère, illettrée, fait venir des magiciens et la directrice de l’école lui propose de le présenter à des spécialistes. Le chemin qui mène à l’école fait école. La route est de plus en plus longue pour s’y rendre. L’adolescence s’approche et s’installe dans les terrains vagues, halls et caves d’immeubles de la cité du Couvercle. Libellule, au pied du mur, s’initie au contact d’autres “qui ne sont pas” : magiciens, criquets, dealer se prenant pour Al Pacino, surveillés par un flic qui voudrait mettre au lit tous les enfants traînant dehors le soir. Libellule a 17 ans, il fait des bêtises. Sa mère et sa jeune sœur le mettent à la porte. Il dort dans une cave et touche de ses mains les limites de ce qui fait un homme. Ses nuits sont d’incessants cauchemars orchestrés par son double et le spectre de Loula, une jeune fille morte d’overdose. Il tente de regagner le cœur de ses proches et l’appartement familial. Chaussée d’une paire de bottes, sa mère prend la fuite dans ses rêves. » lazare, février 2010 6 UN TRAVAIL DE PLATEAU ouvrir les figures et laisser l’individu apparaître Tous les personnages de la pièce vivent de fantasmes leur permettant de donner un sens à la vie et de la codifier. Ils ont besoin de plaquer sur le monde un autre monde : une école idéale forteresse de l’humanité ; un monde chiffré où tout a une valeur monétaire connue de tous ; un au-delà de la vie terrestre merveilleux en forme d’oreiller confortable et douillet. Ils éprouvent le besoin de partir. Le départ possible met en jeu l’imaginaire. Nous cherchons les médiations poétiques d’un réel brutal. Le tragique jamais très loin du burlesque. Réalisée, non pour engloutir ou sentimentaliser la fiction, la musique agit comme les acteurs agissent, elle se frotte à eux, les pousse à dépasser les codes de la représentation naturaliste. Elle permet de transformer la violence des situations en objet recevable et poétique. lazare 7 LAZARE, EXTRAITS D’ENTRETIENS Pour moi, les trois pièces, Passé-je ne sais où, qui revient, Au pied du mur sans porte, et Rabah Robert, traversent une partie cachée de l’Histoire de France. Je ne raconte pas l’Histoire de France, je raconte les trous. Qu’est-ce qu’on fait des trous ? Comment on vit quand il y a des trous? À travers l’histoire de cette famille, on revisite ces temps. Comment on fait aujourd’hui pour être ensemble, travailler ensemble? Puisque je suis là, comment je fais maintenant ? […] Les racines sont dans les pas que l’on fait. Comment ne pas être esclave de l’histoire, réinventer, faire des bonds dans l’existence, ne pas se laisser manipuler par tous les champs d’oppression, par les gens qui attendent que l’on crée de la haine pour se servir de nous, et nous enfermer là, maintenant. Encore Hamlet : « Je suis ici, dans ce royaume, comme enfermé dans une noix ». […] Libellule, lui, se bat d’abord avec la langue. C’est la bataille que j’ai, moi, entre la poésie et le fait de ne pas avoir été à l’école, une lutte perpétuelle. D’où la confrontation des langues dans mon écriture. Ce n’est pas un être qui écrit, ce sont des êtres qui parlent. J’aime un théâtre monde. propos recueillis par Daniel migairou 8 Au pied du mur sans porte est le deuxième spectacle d’une trilogie. comment est né cet ensemble ? Y a-t-il des personnages récurrents ? lazare : de la trilogie, puisqu’ils sont écrits de manière à faire du théâtre, pour donner à voir, entendre et sentir le monde de multiples façons, sans conditionnement. Ces personnages sont récurrents parce qu’ils sont de véritables figures de théâtre. Charlie Chaplin et son Charlot constituent, selon moi, un exemple extraordinaire, toujours le même, reconnaissable entre mille et, cependant, toujours nouveau, différent, changeant et évoluant. C’est ce que j’essaie de faire avec mes personnages. La figure de la mère est toujours présente, mais jamais à l’identique. Il en va de même pour le personnage central, celui de Libellule, figure inspirée d’Arlequin de la Commedia dell’arte, épicurien généreux, qui aime passionnément et joyeusement le monde, mais qui est toujours pris dans une souricière et dans le trou de la mémoire, cet espace à la fois perdu et brûlant. Il n’est pas toujours cet être libre, volant gracieusement au-dessus des maisons et des villes qu’évoque son nom. Libellule vit un quotidien angoissant, en tentant de ne pas prendre l’autre comme champ d’opposition, mais en essayant de le comprendre. Le langage de ces personnages leur permet de renommer le monde avec sa propre galaxie, ses voies lactées et ses impossibilités. Chacun de ces personnages a sa sensibilité et sa perception du monde, mais aussi une métaphysique difficilement partageable. Aujourd’hui, j’ai le sentiment qu’il faut ouvrir les sensibilités, au vu du rétrécissement général auquel nous sommes confrontés, chacun s’isolant dans un groupe ou une chapelle. lazare : Oui, mais ils sont réinventés à chaque épisode L’idée de construire un ensemble de trois pièces était présente dès l’origine du projet. Un ensemble constitué de Passé – je ne sais où, qui revient, puis Au pied du mur sans porte et enfin Rabah Robert. J’y explore la notion de différence, en affirmant notamment un refus de la norme et du normatif. Il y a un lien naturel et évident entre les trois textes qui se répondent. Ainsi, j’avais écrit des scènes pour le premier spectacle que j’ai finalement décidé d’utiliser pour le deuxième, des scènes que l’on retrouve également dans le troisième et dernier spectacle. Par ailleurs, les titres des deux premiers spectacles sont issus de deux poèmes de Fernando Pessoa : Ode maritime, où l’on peut lire : « Un amour passé je ne sais où qui revient », et Bureau de tabac, dans lequel il est écrit : « Celui qui est resté au pied du mur sans porte qui entendait la chanson de l’infini au fond d’un puits bouché… ». chaque pièce aborde-t-elle ce thème central de la différence selon un axe différent ? lazare : Oui. La première pièce traite des massacres du 8 mai 1945 à Sétif en Algérie. Ces événements m’interrogent depuis longtemps, moi qui suis pleinement français, mais qui, comme beaucoup de Français, possède des origines ancrées ailleurs, notamment en Algérie. Lors de mes recherches sur ces tragédies pour écrire ce premier spectacle, j’avais le sentiment d’être un « massacreur-massacré ». Après avoir retourné et fait ressurgir ce passé, j’avais le sentiment de n’avoir aucune issue et me suis trouvé devant un « mur sans porte ». J’ai alors écrit la deuxième pièce, en me projetant dans le présent de ceux qui, comme moi, se trouvaient devant ce mur, c’est-à-dire les jeunes des banlieues, des quartiers et des cités. La troisième pièce, Rabah Robert, met en avant un grand absent des deux premières : le père, figure essentielle de ce lien entre passé et présent. Toutefois, même s’il y a un rapport très étroit entre chaque pièce de la trilogie, notamment à travers les personnages, chacune a un style d’écriture particulier et une existence qui lui est propre. propos recueillis par Jean-François perrier 9 EXTRAIT La lumière absorbe l’espace, l’être au-delà de l’être. Les tables, investies d’immatérialité, se transfonnent en petites tombes, les rangs en carrefours avec fleurs du paradis à demi fanées modifient totalement l’effet vivant du lieu. Éloignée, l’aiguille de l’horloge se bloque dans une sorte d’agitation. Ignoré des autres, Libellule voit la classe comme un cimetière au clair de lune. Les paroles des enseignants sont prononcées comme la dictée scolaire, leurs voix résonnent dans un écho profond. Il est différent La classe de Libellule. La directrice et l’institutrice observent les enfants. Derrière elles, intimidée et silencieuse, la mère regarde la classe. L’INSTITUTRICE. – Là, on a un petit garçon en petite section qui est différent. Il ne parle pas, il pousse des petits cris, il peut être très agressif envers les autres. LA DIRECTRICE – Il va, il vient, il va, il vient. L’INSTITUTRICE – Il n’a pas de relation directe avec les autres, il est capable de passer une demi-heure seul à coller des gommettes, de façon très obsessionnelle. L’INSTITUTRICE. – Il faut le canaliser en permanence. LA DIRECTRICE – Il est incapable de rester trois minutes en place. LE DOUBLE – Tu m’entends ? Des comètes ! Rendstoi mon coeur ! Donne-moi ta vie ! L’INSTITUTRICE – On ne peut pas dire avec des mots ce qu’il a. LIBELLULE – Quoi ? LE DOUBLE – Ma voix, c’est le vent sur les tombes. Têtes penchées, les enfants, les enfants, les enfants ne m’entendent pas, têtes appliquées, aucune ne se relève. Ils ne m’entendent pas. (Gestes rituels.) Le double de Libellule est assis contre le mur, il ne fait rien. Le double est une chose qui échappe. Il n’a pas de frontière nette. L’un et l’autre sont liés par une chose indicible. LE DOUBLE, à l’oreille de Libellule. – Pourquoi regardestu les murs ? LIBELLULE – Non, non, non, ne le fais pas ! Qui soulève ce bras ? Les mains ? Personne ne m’a touché la main ! L’INSTITUTRICE – Y a des maladies que l’on repère. On dit : il a la scarlatine. Mais lui, il a des difficultés pour entrer en communication avec les autres. Le double frappe sur la table. LA DIRECTRICE – Et ce petit bout-là, on l’aide comme on peut. LA DIRECTRICE – Par contre il n’arrive pas à échanger avec les autres. Seulement par gestes. LIBELLULE frappe sur la table. – Je ne peux pas m’asseoir sans rien faire ! Sans rien faire ! Sans rien faire. LE DOUBLE – Tu dois partir parce que tu as constaté que mon intelligence (des fleurs sortent de sa bouche et se transforment en crapauds) est aussi forte que mon vouloir. Tape cet enfant ! Tu ne veux pas eh bien reste là. Celui-là ! Je l’aime pas ! Il m’angoisse et me blesse. LE DOUBLE – Ne te laisse pas capturer par le cimetière! Attention à ta patte de renard ! Fuis et attention qu’il ne t’arrache pas les pattes ! LIBELLULE – Je dois obéir à ta dictée. Le double attrape Libellule qui ne le voit pas, et le tire dans tous les sens. Libellule tape sur la table. Libellule se dirige vers l’enfant et le frappe. LIBELLULE.- Quel est ce bruit ? 10 L’INSTITUTRICE – Alors ce n’est pas de la méchanceté, ça peut être une violence. Il veut dire qu’il aime peut-être un autre enfant mais il le saisit tellement fort qu’il lui fait peur. LA DIRECTRICE – C’est un enfant… Attention ! Là, il y a un piège, en dif… ficulté, deux f à difficulté. Donc, il va falloir le faire suivre par des médecins à l’extérieur et essayer de lui trouver un endroit où on va pouvoir l’aider. LE DOUBLE, à travers la voix de Libellule – Eh bien, qu’as-tu ? Ben alors ! Un enfant trace un trait sur le cahier des écoliers puis le gomme ; de la poudre de gomme et de crayon se disperse dans le vide, comme jetée au vent. Libellule renverse l’enfant qui tombe. L’ENFANT MALTRAITÉ – Attaque-toi à quelqu’un de ta taille ! LIBELLULE – Mais regarde, la classe cache un cimetière ! L’INSTITUTRICE – C’est ce genre de réaction. Dans la classe, il se lève, il se jette sur un gamin, il fait une fixation sur un gamin, et l’autre est tétanisé. LE DOUBLE, à travers la voix de Libellule – Je suis un bébé faible (il tord le bras de l’enfant) comme un grain de poussière à la merci du vent (il le frappe et le jette au sol) et celui qui n’est pas content, qu’il parte ailleurs ! Il se jette à nouveau sur l’enfant. L’ENFANT MALTRAITÉ pleure – Mais tu ne me lâcheras jamais ! LIBELLULE – J’ai peur. Il y a quelque chose en moi qui doit prendre place. Ça grelotte ici entre les feuilles mortes. Où es-tu ? LE DOUBLE – Je suis la mauvaise herbe dans le pré. LA DIRECTRICE – Et c’est un petit garçon qui est assez costaud. L’INSTITUTRICE – Est-ce que c’est par amour, estce que c’est par… Il le serre et il peut très bien le mordre, virgule, il peut très bien le griffer, virgule, il peut très bien… 11 LAZARE « Cette trilogie, s’est construite autour du personnage de Libellule, double de l’auteur, et de sa famille. Une famille entre France et Algérie, réunie autour d’une mère à forte personnalité qui a sa propre langue, et d’un père absent-présent, une famille d’un de ces quartiers de banlieue qui subit et se bat. Mais le théâtre de Lazare n’est pas pour autant un théâtre documentaire. C’est un théâtre qui vit à travers l’écriture, un théâtre de rêve, de fragments, de retours en arrière, de frottements, de vrai et de faux, un théâtre qui fait de la parole recomposée le cœur de la représentation. Une parole écrite, rythmée comme une partition, dont l’oralité traverse le corps des acteurs et leur donne une énergie vitale. Pas de jugements, pas d’explications, pas de lieux communs dans ce théâtre qui bouscule autant les formes de représentations que l’écriture dramatique. » Jean François perrier En 2014, Lazare s’écarte de cette grande fresque épique pour écrire Petits contes d’amour et d’obscurité présenté au dernier festival Mettre en scène à Rennes. À partir de janvier 2015 il devient artiste associé au théâtre national de Strasbourg. lazare a franchi un jour les portes du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis. Depuis, il n’a plus quitté les salles et les plateaux, écrivant ses premières pièces et multipliant les rencontres avec des metteurs en scène tels François Tanguy, Claude Régy, ou Stanislas Nordey, qui l’invite à rejoindre l’École du Théâtre national de Bretagne. Auteur dès son adolescence, improvisateur dans les lieux publics, il devient acteur et metteur en scène avant de créer, en 2006, sa compagnie Vita nova, dont le nom est une référence à La Divine Comédie de Dante. Autour de Lazare se constitue un « noyau dur » de fidèles collaborateurs et des lieux refuges comme la Fonderie au Mans le Studio-Théâtre de Vitry sur seine et l’Échangeur à Bagnolet qui vont l’accompagner dans une grande aventure théâtrale débutée en 2007. Une trilogie qui s’ouvre avec Passé – je ne sais où, qui revient, suivi en 2011 de Au pied du mur sans porte, deux titres empruntés à Pessoa, avant de se conclure, temporairement, avec Rabah Robert, touche ailleurs que là où tu es né. publications THÉÂTRE AUX éDitions Voix naVigables • passé - je ne sais où, qui revient (2009) • au pied du mur sans porte (2010) THÉÂTRE AUX éDitions Des solitaires intempestiFs • au pied du mur sans porte (2013) • rabah robert, touche ailleurs que là où tu es né (2013) 12 L’ÉQUIPE I VITA NOVA Julien lacroix metteur en scène, interprète, Dramaturge Une constellation de personnalités venues d’horizons divers, toutes générations confondues, affirment leur présence autour de Lazare, reliant par leurs cheminements des fils tendus vers d’autres aventures artistiques fortes et différentes les unes des autres. Anne Baudoux qui assiste depuis 8 ans à la naissance des textes, des premières improvisations jusqu’à l’édition, Julien Lacroix (Collectif De Quark, ToméoVerges), Mourad Musset (La Rue Ketanou), Benjamin Colin (Fantazio Gang), Axel Bogousslavsky (Claude Régy)… Car l’écriture de Lazare, dans sa porosité, s’offre à la réalité des personnalités de chacun, sans préfigurer de distribution. anne bauDoux Au théâtre il joue dans les trois créations de Lazare. Il est membre du collectif De Quark dont le spectacle La Fête de Spiro Scimone tourne toujours (l’Échangeur-Bagnolet, 104, Théâtre de Vanves…) et prépare une nouvelle création Barbecues en 2016. Il travaille aussi avec Laurence Mayor, Florence Giorgetti, Jacques Vincey, Patrick Haggiag, François Wastiaux, Robert Cantarella… Il danse pour Toméo Verges dans Anatomia Publica (2012-2013) ainsi que dans la prochaine création Troubles du rythme. Il crée trois performances En vacance au musée des Abattoirs à Toulouse ainsi que dernièrement Fassbinderologie avec le romancier Alban Lefranc (Festival Horslimites, Correspondances de Manosque..). Et Julian et Julien avec le comédien Julian Eggerickx au Palais de Tokyo en 2014. Il met en scène au Théâtre de Vanves un texte de Werner Schwab Excédent de poids ; insignifiant : amorphe. Il joue au cinéma pour Nicolas Klotz, Renaud Cohen, Pierre Duculot, Eric Veniard, Jalil Lespert. coméDienne Depuis 2008, elle participe à l’aventure artistique de Lazare et joue dans toutes les pièces du triptyque (Passé – je ne sais où qui revient, Au pied du mur sans porte, Rabah Robert). Sortie du Conservatoire national de région d’art dramatique à Rennes en 1989. Elle a joué au théâtre sous la direction des metteurs en scène : Marie Christine Soma (Les Vagues de V.Woolf), Thierry Roisin (Woyzeck de Georg Büchner, Manque de Sarah Kane, L’Émission de télévision de Michel Vinaver), Didier Bezace (Une femme sans importance d’Alan Bennett, GrandPeur et misère du IIIe Reich et La Noce chez les petits bourgeois de Bertolt Brecht) et des auteurs Jean-Paul Queïnnec (Les Tigres maritimes), Sophie Renauld (Hantés, Exercices et échauffements pour princesses au chômage). Au cinéma et à la télévision, elle joue entre autre sous la direction de : Fabrice Gobert et Frédéric Mermoud, Thomas Vincent, Antoine de Caunes, Nicolas Klotz, Philippe Bérenger, Edwin Baily, Elisa Mantin, Hervé Balais. Entre 2009 et 2012, elle est conseillère pédagogique à l’École du Théâtre national de Bretagne dirigée par Stanislas Nordey. En 2013, elle participe à Passim la dernière création du Théâtre du Radeau. claire-monique scherer coméDienne Formée auprès de divers chorégraphes et metteurs en scène comme Jean Gaudin, Félix Ruckert, Daniel Larrieu, Claude Buchvald, Philippe Dormoy, Stanislas Nordey, Jean-Michel Rabeux, Omar Porras et Antonio Araujo et joue sous la direction de Lazare et Anne Nozière (La petite/Théâtre de la colline-2012). guillaume allarDi acteur, auteur et musicien Diplômé en 2003 de l’École du Théâtre national de Bretagne, dirigée par Stanislas Nordey. Au théâtre, il a travaillé notamment avec Claude Régy, Hubert Colas, Yves-Noël Genod, Pascal Kirsh et Bénédicte Le Lamer, Jean Michel Rivinof. En 2007, il crée, avec Constance Arizzoli et Loïc Le Roux, la compagnie Continuum, qui donnera naissance à trois projets mêlant musique et poésie dont il est, sauf pour le premier, l’auteur : noir(continuum), Labyrinthe(s) et Les Muscles de l’exil. En tant qu’auteur, il publie, aux Éditions Larousse, Le Corps ou le fruit de l’expérience, paru en octobre 2010. Son travail poétique est publié dans des revues telles que La Barque, Babel Tour. mouraD musset musicien chanteur Du trio la rue kétanou Il a reçu une formation d’acteur au Théâtre du Fil à Savigny-sur-Orge (théâtre de la protection judiciaire) de 1993 à 1997. 13 14 15 benJamin colin marguerite borDat poète et compositeur Il travaille régulièrement avec Fantazio, contrebassiste chanteur dont les projets peuvent prendre la forme d’un bal minimaliste ou bien d’une free-party improvisée, ainsi qu’avec des gens de cirque (jongleurs, acrobates aériens) et des performeurs (slameurs, improvisateurs, danseurs…) depuis une petite dizaine d’années. Jean-François pauVros Elle est associée aux spectacles de Pierre-Yves Chapalain et Pierre Meunier, réalise les costumes pour Éric Lacascade et Joël Pommerat et conçoit les marionnettes de Bérangère Vantusso. marion Faure coméDien Il a grandi en Guadeloupe, puis a fini son lycée en Normandie. Il est formé à la Compagnie Maritime (Pierre Castagné) à Montpellier et à l’ERAC. Au théâtre, il joue sous la direction d’Anne Alvaro et David Lescot, Jean Pierre Vincent, Laetitia Guédon, Brigitte Barilley et Lazare. axel bogousslaVskY chorégraphe Parallèlement à ses projets chorégraphiques (Cie Ortema), en tant qu’artiste interprète, Marion Faure danse des pièces d’Alwyn Nicholaïs, Jo Stromgren, Luc Petton, Angelin Preljocaj, Etcha Dvornik, Lucinda Child, Willi Dorner… Actuellement, au sein de la Cie Vita Nova, elle développe un travail autour de la gestuelle de l’acteur en lien aux mouvements du texte. guitariste et compositeur Précurseur de la guitare noise en France, il développe un univers qui l’amène à rencontrer les piliers de la scène d’improvisation anglaise et crée le groupe Catalogue avec Jac Berrocal et Gilbert Artman. Acteur du nomadisme musical, il collabore avec les expérimentateurs Arto Lindsay et Sonic Youth, mais aussi le guitariste Noël Akchoté, RED, Evan Parker, ki Onda, les poètes Charles Pennequin et Gozo Yoshmasu. Il compose des musiques de film. Yohann pisiou scénographe coméDien Acteur depuis plus de trente ans dans de nombreux spectacles de Claude Régy. Au cinéma, il est Ernesto dans Les Enfants de Marguerite Duras. Il a tourné dans de nombreux films dont la liste s’est égarée… (En 2008, Adieu de Arnaud De La Pallière) 16 REVUE DE PRESSE Au Au p pied ied d du um mur ur sa sans ns porte De Lazare Lazare THÉÂTRE Jeune Jeune a auteur-metteur uteur metteur e en n scè scène ne rrepéré epéré a au ud dernier ernier festival Impatience (Odéon-Télérama), Lazare continue d'inventer des destins pour Libellule, son personnage-valise. D'abord adulte se souvenant de son enfance en Algérie (1945) dans Passé - je ne sais où, qui revient, Libellule devient ici un enfant inadapté scolaire et social dans une banlieue en déroute. La figure de la mère est encore là, avec sa syntaxe tronquée d'où fusent des mots précis, interprétés par la même Anne Baudoux à la voix si prenante. La mise en scène de Lazare est à la mesure de son écriture directe : faite d'images sans fioritures, d'ombres, d'éclats de percussion. C'est un conte qui commence dans une cour d'école et finit dans une cave. Pas d'issue, pas de porte dans le mur. La poésie passe... comme l'ironie. Jusqu'au 22 janvier à L'Echangeur, Bagnolet (93). Tél. : 01-43-62-71-20. Et aussi : Passé - je ne sais où, qui revient, du 15 au 17 février à la Comédie de Béthune (62). Tél. : 03-21-63-29-19. Emmanuelle Bouchez Telerama n° 3184 - 22 janvier 2011 17 26 • CULTURE Un art de la divagation,ou de la distorsion, parmi des éléments disparates aux usages fluctuants. PHOTO HÉLÈNE BOZZI THÉÂTRE A Bagnolet, l’auteur et metteur en scène Lazare propose «Au pied du mur sans porte», vision onirique de la banlieue dont on ressort bluffé. La cité sans cécité AU PIED DU MUR SANS PORTE de LAZARE ms. de l’auteur. Théâtre de l’Echangeur, 59, av. du Général-de-Gaulle, Bagnolet (93). M° Gallieni. 20h30, jusqu’au 22 janvier. Rens.: 01 43 62 71 20. e Lazare, auteurmetteur en scène, on sait qu’il a vu le jour en 1975 à Fontenayaux-Roses (c’est indiqué en une ligne à la fin de sa pièce publiée aux éditions Voix navigables) et qu’il est passé par l’école du Théâtre national de Bretagne. Le programme mentionne aussi qu’il a déjà écrit et mis en scène deux pièces en 1999-2000, plus une troisième, Passé-je ne sais où, qui revient, créée en février 2009. Sur la «résurrection» qui a pu l’amener à choisir son pseudonyme, on n’en saura pas plus et cela n’a pas d’importance. Refondateur. D’une certaine manière, les spectateurs qui repartent de l’Echangeur de Ba- D gnolet à l’issue de la représentation sont aussi des Lazare. Au pied du mur sans porte est un spectacle refondateur, dont on sort avec la sensation d’avoir entendu et vu quelque chose qui ne ressemble à rien de familier. Non que la trame soit étrangère : il est question de l’itinéraire de Libellule, un gosse de banlieue élevé par sa mère. Educateurs, dealers ou flics, tous les personnages d’un théâtre de la cité (Lazare a écrit sa pièce après être retourné dans un quartier de Bagneux qu’il connaissait bien) sont là. Sauf qu’aucun cliché n’est au rendez-vous : pas une trace de parler caillera, nulle pulsion hip-hop, rap ou slam, ni l’ombre d’un discours militant, la banlieue de Lazare est une réinvention qui n’emprunte à aucun folklore. C’est vrai dans la langue, où les dialogues, même quand ils ont un fond de réalisme (la mère oublie souvent la première voyelle et dit «il est tourdi» au lieu d’étourdi et «scabeau» à la place d’escabeau), s’évadent toujours ailleurs. Un art de la divagation,ou de la distorsion, que les indications scéniques résument bien. Ainsi cette «description» de salle de classe : «Les tables, investies d’immatérialité, se transforment en petites tombes, les rangs en carrefours avec fleurs du paradis à demi fanées modifient totalement l’effet vivant du lieu. Eloignée, l’aiguille de l’horloge se bloque dans une sorte d’agitation. Ignoré des autres, Libellule voit la classe comme un cimetière au clair de lune. Les paroles des enseignants sont prononcées comme la dictée scolaire, leurs voix résonnent dans un écho profond.» Cette «modification de l’effet vivant» est sensible sur le plateau. Lazare joue de la profondeur scénique et de la juxtaposition d’éléments disparates – cube en verre, toiles peintes naïves, panneaux de taille variables, tables basses – aux usages fluctuants. Il règne une forme de folie douce, qui tourne à l’occasion au loufoque, quand un acteur se déguise en jambon géant. Une fantaisie qui passe par la capacité des huit comédiens à refuser le passage en force. Suicidés. La violence est là pourtant, assourdie et jamais anecdotique. Le déploiement de fantaisie habille un doute existentiel que relaie le personnage du double, «jumeau mort avant d’être né» et qu’alimente la litanie des suicidés – noyé dans la Seine au cours d’une poursuite, surdose de cachets, mère que la petite sœur a surprise en équilibre sur le balcon criant «Faut débarrasser ma race !» Le dernier mot revenant à Libellule, l’enfant bigleux devenu dealer avant de prendre la fuite, qui cite Hamlet et les Trois Sœurs, sans même qu’on le remarque: «Qui voudrait supporter ce que nous supportons/ Partir partir partir une bonne fois pour toutes». RENÉ SOLIS Libération, 20 janvier 2011 18 Des cités à la scène, l’histoire D’une ascension Lazare est son nom. Illettré devenu ouvreur chez Nordey, il est le metteur en scène à suivre. Il s’appelle Lazare, et son héros, Libellule. Juste un prénom – le sien – pour cet auteur-metteur en scèneimprovisateur de 36 ans, qui commence à beaucoup faire parler de lui. Après avoir été présenté à L’Échangeur, à Bagnolet (la salle en pointe sur la découverte de nouveaux talents) en mars, son spectacle Au pied du mur sans porte est programmé par l’excellent festival « Mettre en scène » du Théâtre national de Bretagne, où Lazare se retrouve en compagnie de Romeo Castellucci, Thomas Ostermeier, Krzysztof Warlikowski ou François Tanguy. Au pied du mur sans porte le dit bien : Lazare n’avait a priori aucune raison de voir s’ouvrir en grand devant lui les portes du théâtre français. De son enfance entre les tours de Bagneux (Hauts-de-Seine), on ne saura pas grand-chose, tant est tenace la crainte d’« être réduit au garçon de banlieue » chez cet homme dont le regard semble demander réponse à la tristesse, sous le petit chapeau de musicien gitan. « Si je me mets à raconter ma vie, on tombe vite dans un misérabilisme qui me fait fuir. Je ne veux pas être enfermé dans le roman communiste de l’Arabe qui s’en sort. » Des errances de sa jeunesse, on saura juste qu’elles le mènent jusqu’au Théâtre du Fil, qui est le joli nom du théâtre de la Protection judiciaire de la jeunesse. Le jeune homme qui y arrive ne sait ni lire ni écrire. Il commence à déchiffrer « en apprenant des poèmes par cœur » et à écrire en transcrivant ses propres textes. Un jour, il pousse la porte du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, dont Stanislas Nordey vient de prendre la direction. Nordey engage comme ouvreur ce garçon qui vit le théâtre comme une résurrection. À Saint-Denis, Lazare voit et revoit, de soir en soir, les spectacles de François Tanguy, de Jean-François Sivadier et surtout de Claude Régy, qui le prend sous son aile. Il écrit et met en scène trois pièces, Orcime et Faïence, Cœur Instamment Dénudé et Purgatoire, mais Nordey lui conseille de rentrer à l’école du Théâtre national de Bretagne, où il poursuit sa formation de 2000 à 2003, avec Tanguy, Régy, François Verret ou Bruno Meyssat. « Mais mon école, ça a quand même été la vie », souffle-t-il. Son spectacle est à son image, comme le précédent créé avec sa compagnie Vita Nova. Intitulé Passé – je ne sais où, qui revient, il évoquait les massacres de Guelma, en Algérie, moins connus mais aussi meurtriers que ceux de Sétif, en mai 1945 : à mille lieues de toute vision naturaliste et misérabiliste de la banlieue. Il conte, en un mélange de poésie textuelle et sonore proche du slam, d’art brut, d’étrangeté langagière propre à déjouer les clichés, l’histoire de Libellule, son double, dont le prénom lui a été inspiré par le film de Rainer Werner Fassbinder, Tous les autres s’appellent Ali (1974). Au début d’Au pied du mur sans porte, Libellule a 7 ans. Il a « un retard d’école », comme dit sa mère, porte un cartable plus grand que lui et d’énormes lunettes qu’il perd sans cesse, tout « tourdi » qu’il est, comme sa Carte orange et ses habits. Les jours de pluie, il s’égare dans les flaques, où il rencontre son jumeau mort avant d’être né, « le Double ». « Dis à maman que je suis passé », demande celui-ci à Libellule, petit garçon sans père, « fait de deux moitiés différentes, l’œil gauche toujours triste et l’autre qui brille de gaieté, un pied qui trébuche et l’autre qui joue au foot », dit sa mère. Alors, évidemment, avec tout ça, le psychiatre et le renvoi menacent, dans la petite école entre les tours. « Voilà y a quelque chose/Chez toi qu’est mal/T’arrives pas à travailler/T’arrives pas à faire ça et ça/Parce qu’il y a des gens méchants/Qui font la méchanceté méchante », se révolte la mère, qui fait venir un magicien qui tient du charlatan déguisé en sorcier africain. Pendant ce temps, l’adolescence pointe son nez, entre les terrains vagues, les halls et les caves d’immeuble de la cité du Couvercle. Libellule a 15 ans, puis 17, il entre dans la ronde formée par JR, le dealer, le Policier (ainsi nommé) et les amis perdus par la drogue, Le Criquet ou Loula. Il a abandonné « l’école, la maison, tout, quoi », et se dit qu’il est « un Français sans France ». On ne racontera pas ce qui advient alors, dans ce spectacle où les peintures inspirées d’ex-voto mexicains, les – vrais – dessins d’enfants, le travail sonore étrange et délicat de Benjamin Colin composent un univers qui ne ressemble à aucun autre. Les acteurs Mourad Musset (Libellule), Anne Baudoux (la mère), l’extraordinaire lutin Axel Bogousslavski (L’Autre), et Claire-Monique Scherer, Yohann Pisiou et Julien Lacroix, qui jouent plusieurs rôles, les musiciens Guillaume Allardi et Benjamin Colin, jouentchantent-profèrent sans jamais tirer vers le réalisme ce que Claude Régy a défini chez Lazare comme « les éclats d’une métaphysique analphabète ». Lazare, donc, un garçon que le prénom destinait à revenir d’entre les morts, et qui n’a voulu garder que cette identité visible. Il a bien trouvé la porte au pied du mur, avec son théâtre salvateur, qui cherche à « ouvrir les carapaces humaines » pour nommer le monde de manière sensible. Fabienne Darge Le Monde, 10 novembre 2011, mis à jour le 11 juillet 2013 19 Télérama, 3 juillet 2013 I 20 Libération, 16 juillet 2013 21 SITE DE Télérama Visites guidées vidéo Portfolios Photo Théâtre Danse Arts Sortir Paris Le blog mode et design Tribune Attentats de Paris : “Artistes, allumez vos lampes d’inventeurs”, par Lazare (metteur en scène) Lazare Publié le 16/11/2015. Mis à jour le 16/11/2015 à 13h52. Il a déjà témoigné pour “Télérama” sur le rôle du théâtre dans sa vie. Lazare, poète-metteur en scène, désormais associé au Théâtre National de Strasbourg, écrit à nouveau une tribune pour mettre des mots sur l'horreur, pour témoigner toujours et encore de son expérience d'ancien adolescent en déshérence dans les banlieues ramené à la vie par l'art et la culture... a 22 S amedi 14 novembre, à Paris. « Il y a trois jours j’ai tourné des séquences d’un film à Pantin, avec le cheval Arto et Olivier Martin-Salvan. Je savourais le plaisir d’être avec un cheval et un acteur généreux parmi les gamins de Pantin. Un homme avec tous les signes du religieux est venu me voir et m’a dit « ça va être l’apocalypse. » Il savait la catastrophe à venir. Le jour était trop beau et immédiatement dans ma peau j’ai senti ces inquiétudes. Hier soir j’ai pleuré et je me sentais succomber. Des hommes ont tué. D’autres sur le sol où palpite le sang, et la vie s’éloigne d’eux, les lèvres entrouvertes sur des dernières paroles d’incompréhension. Je me réveille ce matin et ces événements se sont réellement passés. Angoisse de mort Les meurtriers suicidaires sont là, ils font un travail de terrain, minutieux et opiniâtre, dans les quartiers de périphérie, sur internet. Ils promettent une résolution du monde, et des pays lointains originels. Les champs de représentation, la séparation, ils travaillent dessus. Le rejet, la peur, l’inquiétude, ils travaillent dessus. Et ils déchargent sur d’autres leur angoisse de mort. "Attaques à Paris : un choc de valeurs", par Jean Garrigues (historien) Et nous ne faisons rien pour les arrêter et nous n’inventons pas les contre-valeurs, chacun depuis notre lieu. La séparation qui est déjà là, ils veulent la creuser, creuser le fossé de cet « être ensemble » séparé, être ensemble par le sang, par le meurtre. Ils s’attaquent à des lieux de représentation, où ils ne sont pas représentés. Artistes, vraiment, allumez vos lampes d’inventeurs. Mettez les yeux en face des cœurs. Entrouvrez réellement votre porte de lumière. Tous les théâtres de banlieue ont été créés après l’horreur de la Seconde Guerre mondiale. Qu’y fait-on maintenant ? Comment mettre en commun une histoire cachée qu’on ne sait plus articuler ? Elle est enfoncée dans les ventres et elle revient violemment comme un ulcère. En France dans les théâtres comme ailleurs, on a du mal à se rappeler. Les meurtriers suicidaires vont jusqu’à la mort pour trouver une consolation à la vie. Le seul voyage qui vaille la peine à leurs yeux. Le monde qu’on a pu leur proposer, ce n’est que ça. Alors qu’il y a tout en France. Il y a tout et ils ne rentrent nulle part. Ils ont bercé mes amertumes Aujourd’hui je pense avec inquiétude à tous ceux, issus de l’immigration, qui ne cessent d’être stigmatisés, inévitablement excédés par la façon dont ils sont perçus. Cette séparation je la sens dans mon corps, par mon histoire. Oubliés des livres d’histoire (l’histoire de la colonisation est encore à faire et à enseigner), on est adoptés par des noires colères, un ultra monde, le monde des théories de la conspiration et des jeux vidéo. Je me souviens, à l’âge de 20 ans, j’étais à la rue, le cerveau plein de flammes d’avoir raté. Plein de désir amer et de rancune, je serrais les poings. Des hommes sont venus me voir. Ils ont bercé mes amertumes. Ils m’ont raconté l’histoire de la Guerre d’Algérie et l’horreur cachée. Ils m’ont expliqué qu’on voulait nous changer en bêtes et que notre existence n’avait pas d’importance pour la France. A 23 Attaques à Paris Attentats : “Les mots 'horreur' ou 'barbarie' !inissent par faire écran à la réalité”, par Ivan Jablonka (historien) Eux se sont intéressés à moi et m’ont valorisé. Ils m’ont appris à lire. Ce ne sont pas d’abord les hommes de théâtre. Ce fut un effort énorme d’aller vers le théâtre, d’entrer dans ces lieux, d’y trouver une place. J’ai brûlé des fièvres et des douleurs, je me suis construit un corps pour aller vers l’autre. J’ai éliminé des vieux maux qui m’empoignaient. J’ai regardé des spectacles hébété avec des yeux de vache. J’aimais le théâtre comme quand on a faim. Il faut redonner la faim à ces adolescents des quartiers, la faim et l’envie de vivre, d’aimer, d’avoir soif de cet amour. » Arts et scènes Attaques à Paris Lazare terrorisme 24 RENCONTRE Dimanche 10 aVril 2016 à l’issue De la représentation avec l’équipe artistique Inscription sur le site internet du Théâtre de la Ville : http://www.theatredelaville-paris.com/rencontres-agenda-16 TOURNÉE 22 avril 2016 théâtre liberté, toulon LIENS VIDÉO I SON http://www.franceculture.fr/personne-lazare.html http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/au-pied-du-mur-sans-porte/entretiens/ http://next.liberation.fr/culture/2013/07/15/je-pense-sans-arret-a-des-gens-qui-ne-sontpas_918481 http://www.theatredelaville-paris.com/spectacle-aupieddumursansportelazare-927 25