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De Lazare, on peut dire qu’il a ressuscité. Au théâtre.
Grâce au théâtre. Que de chemin parcouru entre ses
premiers pas dans la vie, ses errements, jusqu’à la
rencontre miracle avec la scène, le plateau, l’écriture.
En 2008, il se lance dans un triptyque (Passé – je ne
sais où, qui revient, Au pied du mur sans porte et
Rabah Robert) qui s’achèvera en 2012. On découvre
Libellule (Mourad Musset, chanteur du trio La Rue
Kétanou), jeune héros cabossé qui avance dans la vie
en titubant, qui pousse comme il peut au milieu du
béton. Famille éclatée, scolarité chaotique, mau-
vaises fréquentations sur fond d’un passé qui vous
colle à la peau, la guerre d’Algérie, fracture pas
encore refermée, histoire coloniale qui hante notre
mémoire d’une guerre qui n’avait pas de nom.
Dans Au pied du mur sans porte, on est saisi par
l’écriture, vive qui fait désordre et provoque des étin-
celles poétiques inattendues, soulignées par le qua-
tuor de musiciens sur scène. Lazare s’empare des
mots avec jubilation, recompose une syntaxe féroce
et joyeuse, qui emprunte des sens interdits pour
sans cesse repousser les limites de l’indicible, du
non-dit et des sous-entendus, dévoilant à travers les
mystères de la langue les parts d’ombre enfouies en
chacun de nous. Les mots de Lazare sèment le dés-
ordre, inventent une langue qui ose, transpose,
explose les codes et les références de la bienséance
pour mieux raconter des vies chaotiques, les rêves en
couleurs de ces êtres cantonnés à la périphérie d’une
vie en noir et blanc. Lazare ouvre des brèches dans
ces murs invisibles que d’aucuns s’entêtent à ériger,
créant un no-man’s land utopique où sorcières,
magiciens et autres fantômes s’invitent, sans crier
gare.
La mise en scène est totalement en phase avec l’écri-
ture. Nerveuse, éruptive, elle provoque des ruptures
inattendues dont s’emparent les acteurs à la manière
des musiciens de free jazz. Les acteurs font des
prouesses, sautent, rebondissent et retombent à cet
endroit magique où se niche la phrase mélodique
initiale, ces quelques mesures qui noircissent la par-
tition, sorte de fil d’Ariane qui ne craint pas de se
perdre dans le labyrinthe. Un jeu à l’état brut,
ludique et loufoque, joyeux et désordonné, où les
déplacements s’organisent en dépit des vents
contraires le long de lignes de fugues orchestrées
par le metteur en scène qui participe de cette fête
joyeuse, poétique et politique. Créé au Studio-Thé -
âtre de Vitry-sur-Seine en 2010, Au pied du mur sans
porte a révélé Lazare lors du festival d’Avignon en
2013. Ses mots puissants et palpitants résonnent
encore plus fort aujourd’hui en ces temps troubles et
troublés. Lazare est aujourd’hui artiste associé au
Théâtre national de Strasbourg.
Marie-José Sirach
UNE SYNTAXE FÉROCE ET JOYEUSE
Une mise en scène nerveuse et éruptive, au diapason de l’écriture vive de
Lazare, qui provoque des étincelles poétiques inattendues.