ESCo "Agriculture et biodiversité" – Chapitre 4 3
Introduction
Les pays développés prennent davantage en compte les enjeux environnementaux liés aux productions
agricoles. Pourtant, la mise en œuvre de politiques publiques en liaison avec la biodiversité dépend
largement de la construction sociale des objectifs à atteindre et des types d’outils mobilisables pour
aboutir à une efficacité satisfaisante sur les plans économique, écologique et social. Certains modèles
théoriques ont été proposés ; par exemple, l’agriculture écologiquement intensive 1 aurait
principalement pour objectifs d’une part, de réduire les impacts sur la biodiversité (améliorer
l’efficacité écologique et sociale) et d’autre part, d’améliorer la manière dont les pratiques agricoles
mobilisent les services écosystémiques. Green et al. (2005) montrent que l’arbitrage entre agricultures
intensives et extensives dans un objectif de gestion de la biodiversité est complexe et ils proposent
deux options pour le développement de l’agriculture en lien avec la biodiversité : favoriser
l’agriculture intensive potentiellement destructrice de biodiversité et protéger le reste ; extensifier
totalement la production agricole au risque d’accélérer la déforestation, donc d’avoir potentiellement
des effets destructeurs sur la biodiversité. Comme souvent dans ce genre d’arbitrage, l’optimum est
sûrement une combinaison des deux. D’ailleurs, les chapitres précédents ont montré que l’agriculture
pouvait mobiliser certains services liés à une bonne gestion de la biodiversité, notamment au plan
agronomique, et ont mis en évidence des marges de manœuvre permettant de mieux concilier objectifs
de production agricole et objectifs de préservation de la biodiversité, par exemple par le biais d’une
modification des itinéraires techniques appliqués dans les parcelles ou la gestion des espaces semi-
naturels présents sur le territoire de l’exploitation. L’analyse a également montré qu’un frein à
l’adoption de telles options plus favorables à la biodiversité résultait des coûts additionnels et du
manque à gagner au niveau de l’exploitation agricole (donc principalement un problème d’efficacité
économique de ces options).
A la suite des travaux présentés précédemment, ce chapitre a pour objectif de soulever les points
spécifiques tant pour la construction de politiques publiques associant agriculture et biodiversité que
pour la définition d’outils de mise en œuvre. L’objectif est donc d’identifier les caractéristiques qui
permettront de proposer des politiques publiques qui fassent le lien entre pratiques agricoles,
biodiversité, productions et marchés agricoles.
Dans une première section, du fait que le concept de biodiversité reste délicat à appréhender (voir
Chapitre liminaire), nous reviendrons sur le statut juridique et économique de la biodiversité. En effet,
la manière dont le concept de biodiversité a évolué au cours du temps dans les diverses disciplines
explique certaines difficultés que l’on peut encore rencontrer aujourd’hui dans la mise en œuvre de
politiques publiques. Sur le plan des sciences juridiques, cette évolution qui ne s’est pas faite sans mal,
a des effets sur l’effectivité même du droit de l’environnement. Quant aux sciences économiques,
l’évolution du concept de biodiversité n’est pas étrangère à la difficulté à en appréhender la valeur. Or
l’approche par la valeur est mobilisée pour construire des politiques publiques, ce qui a pu générer des
conflits d’usages au lieu de les régler.
La seconde section sera consacrée au cadre d’action, international, européen et national, des politiques
publiques. Même s’il existe certaines flexibilités dans la mise en œuvre de ces diverses stratégies, une
politique publique, quel que soit son levier d’action (règlementaire, définition de droits, mécanismes
incitatifs…) devra correspondre à la mise en œuvre de ces diverses stratégies retenues aux différents
niveaux d’échelle.
1 L’agriculture écologiquement intensive a plusieurs objectifs (Griffon, 2006) : i) Proposer des systèmes agricoles qui se
substituent aux pratiques basées sur un modèle où la dépendance des agriculteurs aux firmes semencières et agrochimiques
est trop importante, l’objectif étant d’améliorer l’efficacité économique et sociale ; ii) Améliorer la productivité des pratiques
extensives des agriculteurs pour limiter la déforestation, donc limiter les effets défavorables sur la biodiversité. L’objectif est
d’augmenter l’efficacité économique et sociale tout en améliorant l’efficacité écologique. L’agriculture écologiquement
intensive propose donc de mettre en œuvre des pratiques construites en harmonie avec l’écosystème dans lequel elle se
trouve, pour améliorer la production agricole sans recourir (ou de manière limitée) à des intrants chimiques.