Immigration et politiques culturelles Angéline Escafré - Dublet La documentation Française Immigration dans les politiques-MEP3.indd 1 16/12/2013 15:32:13 Déjà parus Adri L’islam en France Catherine Wihtol de Wenden L’Europe des migrations Jacques Barou L’habitat des immigrés et de leurs familles Philippe Dewitte Deux siècles d’immigration en France Lydia Scher-Zembitska Les Polonais en France au XIXe siècle Peggy Derder Immigration algérienne et guerre d'indépendance Au Musée de l'histoire de l'immigration Directeur de la publication Luc Gruson Responsable des Éditions Marie Poinsot Suivi éditorial Elisabeth Lesne-Springer Recherche iconographique Siré Diaw Illustration de couverture : Affiche de l'émission de télévision Mosaïque, le Magazine de l'immigration, tous les dimanches à 10h30 sur FR3. Émission financée par le Secrétariat d'État aux travailleurs immigrés, à partir de 1976. Paris, ICEI (Imprimerie EMF). © Coll. Christiane Herrero, Génériques Maquette : service graphique de la DILA En application de la loi du 11 mars 1957 (art. 41) et du Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992, complétés par la loi du 3 janvier 1995, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre. © Direction de l’information légale et administrative, Paris 2014 ISBN : 978-2-11-009392-9 Immigration dans les politiques-MEP3.indd 2 16/12/2013 15:32:13 Sommaire Festival culturel marocain en Europe, Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF). Paris, 1980 © Coll. de l’ATMF, Génériques Introduction5 1959 - 1974 : Les cultures immigrées oubliées10 Un rapport distancié aux cultures étrangères11 L’adaptation culturelle laissée aux acteurs sociaux16 1974 - 1981 : L’invention d’une politique culturelle adaptée24 Depuis 1981 : Les politiques culturelles au service de l’intégration39 Conclusion60 Bibliographie62 Documentation68 Immigration dans les politiques-MEP3.indd 3 16/12/2013 15:32:13 Immigration dans les politiques-MEP3.indd 4 16/12/2013 15:32:13 Introduction Les politiques culturelles en direction des publics immigrés ont la particularité de ne pas toujours avoir été mises en œuvre par le ministère de la Culture mais plutôt par l’administration des Affaires sociales, ce qui explique pourquoi la question des cultures immigrées est apparue d’abord comme une question sociale. Lorsque l’on parle de culture en lien avec l’immigration, on pense, en premier lieu, à la culture au sens anthropologique, c’est-à-dire l’ensemble des pratiques sociales et symboliques d’un groupe 1. Ainsi, les immigrés, lorsqu’ils arrivent dans le pays d’accueil, amènent des références, une langue et des manières de vivre qui s’apparentent au pays qu’ils ont quitté. Il peut s’agir de leur culture nationale, mais il ne faut pas oublier les cultures régionales ou minoritaires au sein d’un pays (celles des Kabyles d’Algérie ou des Kurdes de Turquie, par exemple). On préférera parler de cultures immigrées pour souligner le caractère constructif de ces cultures qui évoluent également au contact du pays d’accueil, plutôt que de « culture d’origine » qui tend à considérer les cultures comme des entités stables que l’on pourrait transporter avec soi 2. 5 Cependant, lorsque l’on s’intéresse aux politiques culturelles, il est également nécessaire de prendre en 1 C. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958. 2D. Cuche, La Notion de culture dans les sciences sociales, Paris, La Découverte, 2010, p. 132. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 5 16/12/2013 15:32:13 compte la notion de culture au sens artistique. En effet, le ministère de la Culture a contribué à donner une signification artistique à la définition de ce que l’on entend par culture dans le contexte des politiques publiques françaises. À sa création en 1959, celui-ci regroupe la direction des Arts et Lettres, du Théâtre et de la Musique, ainsi que les Archives de France, l’Architecture et le Centre national de la cinématographie. Il inscrit durablement l’idée selon laquelle la culture française s’incarne dans un ensemble d’œuvres et de pratiques artistiques. 6 L’histoire du rapport entre immigration et politique culturelle au cours de ces cinquante dernières années est faite de ces tensions entre acception anthropologique de la culture des immigrés et sens artistique donné aux expressions culturelles. On passe de l’hostilité au folklorisme des cultures immigrées, des années 1960 à la fascination pour le pouvoir créateur des cultures « métissées » dans les années 1980, pour finalement voir dans l’action culturelle un vecteur d’intégration. La notion d’intégration est souvent utilisée en lien avec l’immigration, alors que c’est une notion de sociologie qui s’applique à l’ensemble de la société. Ainsi, d’après Durkheim, une société est intégrée parce qu’elle est tenue par des institutions et un contrat auxquels les individus adhèrent 1. Il est vrai que le concept d’intégration est employé dans l’analyse des phénomènes migratoires pour décrire les parcours des individus dans la société d’accueil. On parle alors d’intégration économique ou spatiale des immigrés pour 1É. Durkheim, De la division du travail social, Paris, Presses universitaires de France, 1967. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 6 16/12/2013 15:32:13 désigner le processus qui consiste à passer d’un profil spécifique (la concentration d’un groupe d’immigrés dans un secteur d’activités, par exemple) à un profil qui se rapproche de la population majoritaire (l’égale répartition des immigrés dans les différents secteurs d’activités d’un pays). Cependant, la valeur descriptive de l’intégration a pris dans le discours politique une valeur normative, proche de l’injonction 1. Alors que les historiens et les sociologues décrivent l’intégration, les politiques l’encouragent. Comme l’écrivait Abdelmalek Sayad en 1994 : « Il faut que le regard porté sur l’immigration vienne à changer sous la pression de plusieurs phénomènes concomitants […] pour qu’on montre quelque hâte à l’intégration dont on ne se souciait pas ou fort peu auparavant 2. » Parler de politique d’intégration, c’est déjà poser un regard sur l’immigration qui tend à la présenter comme problématique. 7 On ne peut parler de politique d’intégration définie en tant que telle, qui regrouperait des attributions d’actions publiques précises. Le Haut Conseil à l’intégration créé en 1989 par le Premier ministre, Michel Rocard, émet des recommandations qui peuvent être reprises par les acteurs des politiques publiques en matière d’éducation ou de lutte contre les discriminations 3. On peut, cependant, considérer les politiques culturelles qui ont été mises en place pour favoriser l’intégration des populations immigrées comme un volet de cette politique d’intégration. 1 D. Lochak, « L’intégration comme injonction. Enjeux idéologiques et politiques liés à l’immigration », Cultures et Conflits, no 64, 2006, p. 131-147. 2 A. Sayad, La Double Absence, Paris, Seuil, 1999, p. 315. 3Pour une liste des rapports du Haut Conseil à l’intégration, voir son site internet : http://www.hci.gouv.fr Immigration dans les politiques-MEP3.indd 7 16/12/2013 15:32:13 La politique culturelle du ministère de la Culture est une politique symbolique qui participe de la construction nationale d’un patrimoine artistique et de son rayonnement 1. Elle comporte une dimension pratique – le fonctionnement des institutions culturelles – mais ne s’éloigne jamais vraiment de son ambition initiale : représenter la France. Elle rencontre la thématique de l’immigration lorsque celle-ci se trouve liée de manière plus prononcée à la question nationale, au tournant des années 1980, puis à nouveau dans les années 2000 avec la création de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. En dehors de ces périodes, le silence du ministère de la Culture sur les cultures immigrées montre que l’immigration n’est pas prise en compte par les politiques culturelles tant qu’elle ne fait pas partie de la symbolique nationale. 8 L’absence d’un soutien continu du ministère de la Culture aux cultures immigrées n’empêche pas cellesci de se développer et la thématique de l’immigration de venir influencer les productions artistiques. Des mouvements culturels liés à l’immigration jalonnent cette histoire : les chansons populaires des années 1960, qui évoquent l’exil des immigrés, le théâtre politique et contestataire des années 1970, l’émergence d’un cinéma propre à l’expérience de la « seconde génération » dans les années 1980 et enfin le développement de formes liées aux cultures urbaines, comme le hip-hop dans les années 1990. Sans être l’objet de cet ouvrage – une anthologie des productions culturelles liées à l’immigration en France reste à écrire –, elles représentent la toile de fond de ce questionnement sur le rapport du politique aux cultures immigrées. 1V. Dubois, La Politique culturelle. Genèse d’une catégorie d’intervention publique, Paris, Belin, 1999. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 8 16/12/2013 15:32:13 Cet ouvrage porte sur les politiques impulsées au niveau de l’État, de manière à poser des jalons et à retracer les grandes tendances qui ont animé ce domaine de politique publique. Il permet de situer des actions réalisées à l’échelle locale, au sein du mouvement général de l’évolution des politiques publiques. En effet, beaucoup de projets culturels menés par ou pour des immigrés l’ont été à l’initiative de quelques-uns qui se sont mobilisés, parfois, à l’encontre des logiques proprement sociales de la politique d’intégration française. En retraçant l’histoire des politiques culturelles en direction des immigrés, il est possible de les resituer dans une chronologie historique qui souligne le chemin parcouru et l’évolution des mentalités. 9 Immigration dans les politiques-MEP3.indd 9 16/12/2013 15:32:13 1959 - 1974 : Les cultures immigrées oubliées 10 À la création du ministère de la Culture 1, les politiques culturelles ont pour vocation de rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité. La double mission, d’accessibilité de la culture et de valorisation des œuvres d’art, fait la spécificité de la politique culturelle française. Elle n’est pas seulement une politique des beaux-arts (qui la cantonnerait à la création d’œuvres d’art), ou une politique d’éducation (qui se limiterait à les faire connaître), mais elle contribue aussi à mettre en contact l’individu et les œuvres. Le ministère de la Culture n’a pas pour projet de viser des populations spécifiques comme le sont les immigrés, ni de faire entrer la valorisation de cultures minoritaires dans les prérogatives du nouveau ministère. Sa mission est de rendre accessibles « les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France 2 ». 1À sa création, il s’agit d’un secrétariat d’État aux Affaires culturelles, qui devient successivement secrétariat d’État à la Culture en 1974 et ministère de la Culture en 1977. Depuis 1997, sa dénomination officielle est ministère de la Culture et de la Communication. On utilisera ici l’appellation « ministère de la Culture ». 2Décret du 24 juillet 1959 portant organisation du ministère chargé des Affaires culturelles (A. Malraux). Immigration dans les politiques-MEP3.indd 10 16/12/2013 15:32:13 Le ministère est créé pour remplir une fonction de diffusion des représentations étatiques. Et dans cette période, les questions d’immigration n’entrent pas dans la symbolique de la Ve République. L’immigration est une question économique et la main-d’œuvre étrangère est considérée comme temporairement installée sur le sol français. Les cultures immigrées n’y figurent donc pas. Il faut chercher du côté du ministère des Affaires sociales un intérêt pour la dimension culturelle du processus d’intégration des immigrés. Cependant, cet « oubli » du ministère de la Culture mérite d’être explicité en revenant sur les principes fondamentaux qui ont guidé sa création et en explorant le rapport du ministère de la Culture aux cultures étrangères. Un rapport distancié aux cultures étrangères 11 En ayant pour mission de « rendre accessibles au plus grand nombre » les œuvres de l’humanité, le ministère de la Culture s’inscrit dans un projet de démocratisation de la culture. De ce point de vue, il prend la suite des mouvements d’éducation populaire qui sont apparus dans les années 1930 en France et qui ont fait de l’accès à la culture pour tous leur objectif. Il s’agissait de franchir les barrières sociales, mais aussi géographiques, à une époque où musées, théâtres et salles de concert se concentraient dans la capitale. Ce mouvement a ainsi accordé une large part au spectacle vivant, considéré comme plus facile à diffuser et plus accessible. Dans l’après-guerre, il s’est en particulier incarné dans la décentralisation théâtrale qui consistait à développer la production et la diffusion théâtrales en région. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 11 16/12/2013 15:32:13 La création en 1959 d’un ministère de la Culture consacre cette volonté de diffusion de la culture au plus grand nombre, à ceci près que, par rapport aux mouvements d’éducation populaire, les moyens mis en œuvre pour y parvenir diffèrent. C’est une approche plus élitiste des contenus artistiques qui va prévaloir, moins tournée vers l’apprentissage et la formation des publics. 12 Dans les premières années de son existence, le ministère de la Culture décide de ne pas s’appuyer sur le réseau des mouvements d’éducation populaire déjà existant. Il s’agit d’un choix stratégique : ne pas avoir recours au réseau d’éducation populaire est une manière de se démarquer du ministère de l’Éducation nationale qui a eu, jusque-là, sous sa responsabilité une grande partie des directions qui se trouvent à présent sous l’autorité du ministère de la Culture (direction des Arts et Lettres, Théâtre, Architecture et Archives de France). Changer la manière de mettre en œuvre l’action conduit à affirmer une nouvelle identité politique. À l’éducation populaire fait place l’ « action culturelle ». Cette nouvelle identité de la politique publique est présentée en ces termes par Pierre Moinot, directeur du théâtre, de la musique et de l’action culturelle au Commissariat au Plan : « La valeur des enseignements pratiqués par l’université, ou de l’éducation donnée à côté d’elle par les animateurs d’éducation populaire, n’est pas ici en cause ; il s’agit d’autres mots, d’autres actes, d’une prétention d’une nature différente qui postule qu’on n’éduque pas un homme désireux de se cultiver, mais qu’on le confronte d’un seul coup et à ses risques avec les formes les plus hautes de la culture » (Paris, 6 mars 1961 1). 1 Archives du ministère de la Culture. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 12 16/12/2013 15:32:13 Ce n’est plus tant l’apprentissage, mais une conception plus élitiste de la culture qui domine, avec une croyance dans le choc esthétique que tout être humain peut éprouver face à une œuvre d’art. Ce changement d’approche dans les moyens de « rendre accessibles » les œuvres d’art au plus grand nombre a des implications importantes en ce qui concerne le sujet des cultures immigrées. Il s’accompagne d’un soupçon porté sur tout amateurisme. Après Pierre Moinot, c’est Émile Biasini qui est nommé directeur du Théâtre et de l’Action culturelle en octobre 1961. Rentré de ses précédentes affectations dans les colonies (Afrique de l’Ouest : Bénin et Guinée), il est particulièrement adepte de la théorie du choc esthétique et réticent à l’amateurisme. Chargé de mettre en place le réseau des Maisons de la culture, il a ces mots : « Elle n’est pas la salle des fêtes, le centre culturel communal, le siège d’associations ou le foyer tant attendu par les vaillantes cohortes littéraires ou musicales de l’endroit – elle n’est pas le local rêvé par les comédiens amateurs, les professeurs de cours du soir, les peintres du dimanche ou les sociétés folkloriques, ni le conservatoiredont-on-a-cruellement-besoin, ni même l’espace culture jumeau de l’espace vert sans lesquels les plans d’urbanisme ne seraient pas tout à fait ce qu’ils sont 1. » 13 En fait, au-delà de l’amateurisme, ce sont toutes les cultures représentatives d’un groupe qui sont visées. Ce qu’il fallait, c’était s’adresser à l’universel et à ce qu’il y a de commun à l’ensemble de l’humanité. Dans cette perspective, il était difficile d’envisager la représentation de la singularité des cultures portées par les immigrés. 1É. Biasini, Action culturelle An 1, 1961-1962, ministère des Affaires culturelles, direction du Théâtre, de la Musique et de l’Action culturelle, octobre 1962, 15 p. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 13 16/12/2013 15:32:13 En rendant accessibles à tous les œuvres d’art de l’humanité, le ministère de la Culture ne pouvait pas accorder de place spécifique à la singularité des cultures immigrées. Qu’en était-il cependant des publics ? En voulant surmonter les barrières sociales et géographiques, le projet de démocratisation de la culture visait-il également à surmonter les barrières de langues ou de manières de vivre entre les groupes ? 14 Le ministère de la Culture n’entendait pas identifier des groupes en particulier. À ce titre, il est intéressant de constater que la présence d’anciens administrateurs des colonies à des postes importants – comme Émile Biasini, directeur du Théâtre et de l’Action culturelle de 1961 à 1969, mais aussi son successeur Guy Brajot, de 1970 à 1979, ou encore Claude Charpentier, un haut fonctionnaire, inspecteur des services administratifs – n’a pas eu comme conséquence que ceux-ci établissent un lien entre leur expérience dans les colonies et la présence sur le territoire français d’anciens ressortissants de ces territoires. C’est pourtant un phénomène que l’on retrouve dans d’autres administrations françaises, où des administrateurs qui ont eu une expérience dans les colonies, une fois rentrés, intègrent des fonctions en lien avec l’immigration 1. Dans le cas du ministère de la Culture, la situation est différente. « Faites ce que vous avez fait en Afrique », aurait dit André Malraux à Émile Biasini. Ainsi, les Africains des colonies sont devenus, pour eux, les citoyens des provinces françaises, alors que la présence concrète de certains de ces Africains immigrés en France ne retient pas leur attention. 1S. Laurens, Une politisation feutrée. Les hauts fonctionnaires et l’immigration en France (1962-1981), Paris, Belin, 2009. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 14 16/12/2013 15:32:13 Le modèle culturel français et sa confiance dans l’universalisme de l’art se sont ainsi trouvés confortés par la décolonisation, puisque transposés, avec encore plus de conviction, sur le sol français. Enfin, la réaction des anciens administrateurs des colonies se trouve renforcée par ce que l’on pourrait qualifier de rapport désincarné aux cultures étrangères. En effet, il serait erroné de croire que le ministère de la Culture ne s’intéresse pas aux œuvres d’art étrangères. André Malraux lui-même l’a démontré. L’épisode des statues du temple de Banteay Srei qu’il a tenté de dérober dans la cité d ’Angkor lui a valu des ennuis avec la justice 1. L’idée que ces statues seraient 15 André Malraux (1901-1976), écrivain et homme politique français. Photographie prise vers 1930. © Albert Harlingue, Roger-Viollet 1H. Lebovics, Mona Lisa’s Escort. André Malraux and the Reinvention of French Culture, Ithaca, Cornell University Press, 1999. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 15 16/12/2013 15:32:13 mises en valeur et mieux appréciées en France que dans leur contexte d’origine sous-tend son acte. On peut voir dans cet épisode, et plus largement dans la pratique instituée de saisie d’œuvres d’art dans les pays colonisés, le signe d’un intérêt pour les œuvres d’art étrangères déconnectées de leur contexte de production et des populations locales, puisqu’il justifie qu’on les en éloigne. 16 Dès lors, on peut comprendre que, malgré un goût revendiqué pour les œuvres d’art étrangères, celui-ci ne se traduise pas par une prise en compte spécifique des publics immigrés venus d’Afrique du Nord, d’Asie de l’Est ou d’Afrique subsaharienne, et présents sur le sol français. Le rapport aux œuvres est encore largement empreint des cadres d’appréhension de la période de la conquête coloniale et de la colonisation. L’adaptation culturelle laissée aux acteurs sociaux Il faut chercher du côté de l’administration des Affaires sociales les prémices d’une prise en compte de la dimension culturelle de l’expérience migratoire en France. Dès 1959, une politique d’aide sociale en direction des immigrés se met en place, à travers les financements du Fonds d’action sociale 1. Elle se fait dans un contexte de montée de la pression migratoire et d’anxiété des pouvoirs publics devant l’augmentation des immigrés « nord-africains » venus des colonies. 1Créé à la fin de l’année 1958, le Fonds d’action sociale pour les travailleurs musulmans d’Algérie en métropole et pour leur famille est chargé de «promouvoir une action sociale et familiale en faveur des salariés travaillant en France métropolitaine» (ordonnance du 29 décembre 1958). Il est placé sous la tutelle du ministère des Affaires sociales et ses compétences sont étendues à l’ensemble des étrangers en 1962. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 16 16/12/2013 15:32:13 Elle comporte une dimension d’adaptation culturelle dans ses programmes, fondée sur l’idée que les immigrés doivent comprendre les codes culturels de la société française. Elle vise, dans un premier temps, ceux qui viennent des colonies. Les étrangers en France, par nationalité, de 1954 à 1968, en milliers Nationalité 1954 1962 1968 1975 Belges 107 78 65 56 Italiens 508 645 572 463 Polonais 269 177 132 94 Espagnols 289 431 607 497 Portugais 20 50 296 759 Algériens* 212 334 474 711 Marocains 11 29 94 260 17 *Bien que Français aux recensements de 1954 et 1962 (réalisé en mars), ils sont identifiés comme Algériens par le recensement, ce qui permet de connaître leur nombre. Source : Insee En 1959, l’immigration est en hausse dans la France de la reconstruction et de la haute croissance économique. Au flux d’immigrés venus d’Europe du Sud (Espagne et Italie) s’ajoutent les Algériens. Leur présence est liée à leur statut de citoyens de l’Union française, qui leur donne la libre circulation entre les départements français d’Algérie et la métropole. D’ailleurs, on utilise le terme «Algériens» mais il s’agit juridiquement de « Français musulmans d’Algérie », ainsi que le prévoyait leur statut. Leur arrivée n’étant pas organisée par l’administration française au même titre que celle des immigrés européens, pour lesquels le ministère du Travail met en place des recrutements (création de Immigration dans les politiques-MEP3.indd 17 16/12/2013 15:32:13 l’Office national de l’immigration dès 1945), ils ne font pas l’objet du même traitement. Contrainte de composer avec les Algériens, l’administration de l’action sociale, qui dépend du ministère du Travail, déploie une stratégie d’encadrement social et culturel des « Français musulmans d’Algérie » et crée le Fonds d’action sociale aux travailleurs musulmans en métropole, chargé de mettre en œuvre une politique d’action sociale. 18 Fondée en 1945 par le père Ghys, un prêtre missionnaire des Pères blancs, à son retour de Tunisie, l’Amana (Aide morale aux Nord-Africains) reçoit le soutien du Fonds d’action sociale dès sa création pour mettre en place une politique d’adaptation culturelle. Le directeur du Fonds d’action sociale a bien essayé d’associer le ministère de la Culture à son effort mais il s’est vu opposer une fin de non-recevoir, principalement en raison des motifs exposés plus haut (soupçon d’amateurisme, question sociale trop présente qui semble davantage rattacher l’initiative aux mouvements d’éducation populaire). Il lui faut donc compter sur des organismes privés et des associations caritatives comme l’Amana. L’association crée des maisons de jeunes pour « émigrés sans famille » qui comportent des activités de culture populaire. Le père Ghys développe, en outre, une expertise sur les populations nord-africaines avec les Études sociales nord-africaines et les Cahiers nord-africains (bimestriel), en 1950. Conçue à partir de l’idée du brassage entre Français métropolitains et « Nord-Africains », l’action d’adaptation culturelle de l’Amana transpose en métropole une question non résolue dans les colonies, celle de l’assimilation des populations coloniales à la culture et aux mœurs françaises. Au plus fort de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, l’idée d’adapter les coloniaux à Immigration dans les politiques-MEP3.indd 18 16/12/2013 15:32:13 la vie métropolitaine est une stratégie de la dernière chance pour faire de ces Français musulmans d’Algérie des Français à part entière. Cependant, fort de son expérience dans les pays du Maghreb et sans doute convaincu de la fin du règne colonial, le père Ghys met en place une action d’adaptation aux mœurs françaises pragmatique et imprégnée d’une vision négative des capacités d’adaptation des « Nord-Africains ». La méthode d’alphabétisation publiée par l’Amana en 1950, Ali apprend le français, met en scène un travailleur algérien désocialisé et velléitaire. L’indépendance algérienne et la fin de la tutelle de l’administration française sur les citoyens des colonies rendent caduc tout le système d’action sociale mis en place pour les encadrer, le Fonds d’action sociale en particulier. Pourtant, dans un contexte d’immigration continue et de construction d’un État social, la nécessité d’une action spécifique destinée aux populations immigrées s’est imposée. Les immigrés ont beau ne pas être des citoyens de droit commun (puisque la plupart sont étrangers), ils deviennent la population cible d’une politique d’État. Le Fonds d’action sociale est maintenu et ses compétences étendues à l’ensemble des immigrés. La spécificité algérienne a servi de « matrice » à la politique d’action sociale mise en place par la Ve République en direction des immigrés 1. 19 L’encadrement culturel et social des Nord-Africains, initié pendant la période où ils étaient encore des citoyens des colonies, se trouve étendu à l’ensemble des immigrés à partir de 1962. Le Fonds d’action 1V. Viet, La France immigrée. Construction d’une politique (1914-1997), Paris, Fayard, 1998. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 19 16/12/2013 15:32:14 sociale demande à l’Amana, comme à d’autres associations qui se sont spécialisées dans l’aide sociale aux Nord-Africains, d’étendre son action à tous les étrangers. Le manuel d’apprentissage du français intitulé Ali progresse en français est publié, à partir de 1963, sous le titre J’apprends le français, et en 1965, les Cahiers nordafricains deviennent Hommes & Migrations. 20 Le Fonds d’action sociale s’appuie également sur le comité Lyautey pour mettre en place une action d’accueil des immigrés dans les gares et les aéroports. Fondé en 1952 par la veuve du maréchal Lyautey, le comité s’est d’abord occupé des Marocains, puis des Maghrébins, et enfin de tous les immigrés à partir de 1962. Spécialisé dans l’apport de renseignements pratiques durant les premières heures de leur arrivée, le comité Lyautey se fait progressivement le chantre d’une politique d’accueil et d’information aux immigrés, dans une perspective d’adaptation culturelle. En effet, l’accès aux informations est conçu comme un vecteur d’adaptation au « milieu » et, à terme, comme susceptible d’assurer la promotion culturelle des immigrés. Le modèle culturel français de l’assimilation n’est donc pas repris en tant que tel après la décolonisation, notamment parce que l’installation des immigrés n’est pas envisagée comme permanente, mais l’idée que les politiques peuvent agir pour l’adaptation des populations étrangères à la culture française trouve son expression dans la politique sociale de l’immigration. La décolonisation, enfin, a fait des immigrés venus des anciennes colonies des étrangers, mais elle n’a pas complètement effacé la différence d’approche qui leur a été réservée par l’administration française. D’un Immigration dans les politiques-MEP3.indd 20 16/12/2013 15:32:14 point de vue politique, les autorités françaises sont peu disposées à voir les populations immigrées, anciennement sous leur tutelle, dépendre du gouvernement de leur pays d’origine, surtout quand celui-ci est marqué par son combat anticolonial. Les gouvernements Ali apprend le français, premier livret d’alphabétisation à des pays d’origine destination des travailleurs maghrébins en France, publié qui cherchent à en 1953 dans les Cahiers nord-africains, Paris. © Amana - Coll. du Musée de l’histoire de l’immigration créer des associations d’aide sociale et culturelle pour leurs ressortissants ne parviennent pas à déposer officiellement leurs statuts, au motif qu’elles seraient nécessairement politiques (l’Amicale des Algériens en Europe qui correspondait à la réactivation du réseau de la Fédération française du FLN en France, par exemple). En outre, les initiatives qu’elles mettent en place sont perçues par le Fonds d’action sociale comme de la concurrence. Les services sociaux français affirment leur monopole en matière d’encadrement social et culturel des immigrés, surtout lorsque ceux-ci viennent des anciennes colonies. 21 Le contexte spécifique de la gestion de populations coloniales en milieu métropolitain a ouvert un nouveau domaine d’intervention de l’État, avec l’encadrement social et culturel des immigrés. Les cadres Immigration dans les politiques-MEP3.indd 21 16/12/2013 15:32:14 d’appréhension de la diversité culturelle des immigrés se mettent en place à cette période, au sein des organismes d’aide sociale subventionnés par le FAS, que sont l’Amana et le comité Lyautey. Ils sont empreints de l’idée que l’adaptation à la société française se fait par l’acquisition de codes culturels et que les difficultés rencontrées par les immigrés pour y parvenir sont plus fortes chez les populations non européennes. Du côté du ministère de la Culture, le modèle culturel français et sa confiance dans l’universalisme de l’art se sont trouvés confortés par la décolonisation : on ne trouve nulle part l’idée de prendre en compte la culture des immmigrés. 22 Immigration dans les politiques-MEP3.indd 22 16/12/2013 15:32:14 Immigration et intégration au Royaume‑Uni Dans la période d’expansion économique des années 1960, la France n’est pas le seul pays d’Europe à accueillir des anciens coloniaux sur son sol. La part des immigrés venus des colonies dans l’immigration vers le Royaume‑Uni augmente fortement dès les années 1950. A la fin des années 1960, on compte 800 000 citoyens du New Commonwealth (Inde, Bangladesh, Pakistan et les Caraïbes) parmi l’ensemble des 2,5 millions d’immigrés présents sur le sol britannique, soit 32%. De même que les citoyens de l’Union française ont disposé de la libre circulation vers la métropole à partir de 1947, le British Nationality Act de 1948 a accordé aux sujets de l’Empire le droit d’entrer et de s’installer librement dans les îles britanniques et les a dotés du statut de citoyen du Royaume-Uni et des colonies (Citizenship of the United Kingdom and Colonies). La particularité du statut de citoyen du Royaume-Uni et des colonies a été d’accorder le droit de vote aux immigrés du New Commonwealth et de le maintenir, même après 1962, quand l’entrée de ces immigrés a été limitée, et après 1972, quand leur accès à la citoyenneté britannique a été restreint. Cela a eu pour conséquence de créer, dès les années 1960, la plus grande communauté immigrée détentrice du droit de vote de tous les pays européens et d’introduire la notion de défense et de représentation des intérêts des groupes ethniques minoritaires (British Minority Ethnics) dans la vie politique britannique. Confrontés à des émeutes raciales dans les quartiers à forte concentration de populations ethniques minoritaire (émeutes de Nottingham et Notting Hill à Londres, 1958), les Britanniques font ainsi le choix d’une politique de lutte contre les discriminations, fondée sur la reconnaissance des intérêts spécifiques des minorités ethniques et sur la valorisation de leurs spécificités culturelles. Ainsi, par rapport au modèle de l’universalisme français où l’intégration est vue comme l’accession des immigrés à la citoyenneté française, au Royaume-Uni, l’intégration est détachée de l’idée de citoyenneté. Aux yeux des Britanniques, une société est intégrée lorsque l’identité des groupes y est reconnue (et par là préservée des discriminations). Immigration dans les politiques-MEP3.indd 23 23 16/12/2013 15:32:14 1974 - 1981 : L’invention d’une politique culturelle adaptée 24 À partir du premier choc pétrolier et de la crise économique qui s’ensuit, le regard de la société sur les immigrés évolue. Ils ne sont plus cette maind’œuvre nécessaire à la réussite économique du pays mais plutôt les premiers exposés aux conséquences de la crise : chômage, mal-logement et précarité sociale. C’est l’émergence d’une lecture sociale – et non plus uniquement économique – de l’immigration, et aussi le début d’une intense politisation de cette question. Lorsque le nouveau président Valéry Giscard d’Estaing arrive au pouvoir en 1974, le chômage progresse et l’idée de maîtriser les flux migratoires apparaît comme un outil de résolution de la crise. Un secrétariat d’État aux Travailleurs immigrés est créé avec, à sa tête, Lionel Dijoud, chargé de mettre en place la « nouvelle politique d’immigration ». Nouvelle parce que la France n’avait encore jamais imposé de limite à l’immigration économique Immigration dans les politiques-MEP3.indd 24 16/12/2013 15:32:14 (contrairement aux États-Unis qui appliquent un système de quotas de 1924 à 1965), dans le but de restreindre les flux. Or elle comporte un volet social et culturel qui doit améliorer les conditions de vie des immigrés déjà installés ou les préparer au retour. Le secrétariat d’État aux Travailleurs immigrés ébauche alors une « politique culturelle adaptée aux immigrés » pour compléter le dispositif. La politique culturelle du secrétariat d’État aux Travailleurs immigrés est un outil pour compenser le tournant restrictif opéré par le gouvernement français en matière de politique d’immigration. La décision d’arrêter de délivrer des autorisations de travail aux étrangers venus en France est mal accueillie par les pays d’émigration. D’un point de vue diplomatique, offrir des garanties en termes d’action sociale et culturelle pour leurs ressortissants est un moyen de les ménager et de préserver les liens économiques et politiques avec la France. En outre, l’action culturelle permet de favoriser le retour : le maintien des liens culturels avec le pays d’origine prépare la réinsertion des immigrés. 25 Cette politique culturelle s’appuie sur des supports artistiques (théâtre et musique) et des médias (émissions de télévision) mais elle n’est pas réalisée avec la collaboration du ministère de la Culture. Sa finalité ne participe pas de la même symbolique : elle ne vise pas à représenter la France mais à démontrer son humanisme envers une catégorie spécifique de la population, les immigrés. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 25 16/12/2013 15:32:14 Une politique culturelle au service de l’insertion ou du retour 26 La première réalisation du secrétariat d’État aux Travailleurs immigrés en matière culturelle consiste en la création d’un Office de promotion culturelle des immigrés (1975). La consigne donnée par Paul Dijoud est de créer l’équivalent pour la culture de ce qu’était l’Office national de l’immigration pour la main-d’œuvre. Il ne s’agit cependant pas d’un établissement public mais bien d’une association « loi 1901 », ce qui lui donne un caractère plus souple pour l’administration, tout en laissant au secrétariat d’État un droit de regard sur ses activités. Il est financé en majorité par le Fonds d’action sociale. Ce dernier voit son budget considérablement allégé grâce à l’investissement du 1 % patronal dans la construction de logements pour immigrés. Il peut consacrer plus d’argent à d’autres secteurs d’action sociale comme l’information et l’action culturelle. La première initiative de promotion culturelle des immigrés est empreinte des logiques de la coopération culturelle française. Stéphane Hessel est nommé président de l’Office à sa création. Le choix d’un diplomate montre bien que cette politique est un geste en direction des pays d’origine des immigrés. Onze ambassades sont d’ailleurs représentées à l’inauguration, le 17 février 1976 : l’Algérie, l’Espagne, l’Italie, le Mali, le Maroc, la Mauritanie, le Portugal, la Tunisie, la Turquie, le Sénégal et la Yougoslavie. Mais Stéphane Hessel fait aussi figure d’homme de culture (il est le fils du poète allemand Franz Hessel et de l’artiste peintre Hélène Grund) et il a été chargé de mission de coopération culturelle avec des pays Immigration dans les politiques-MEP3.indd 26 16/12/2013 15:32:14 anciennement colonisés. Il a notamment été affecté aux affaires culturelles de l’ambassade de France, à Alger, de 1964 à 1969. L’Office accorde son soutien à l’organisation de tournées en France de troupes de théâtre qui sont des habituées de la coopération culturelle française : le théâtre Daniel-Sorano de Dakar, en 1976, et le théâtre Mohamed-V de Rabat, en 1977. L’Office annonce des intentions artistiques mais ses réalisations sont limitées. La découverte de la vie culturelle française ou l’accès à des tarifs réduits pour assister à des spectacles français sont autant de projets qui se rattachent à une ambition de démocratisation culturelle spécialement adaptée aux immigrés. L’Office s’assure d’ailleurs la collaboration d’une femme de théâtre, Sylvia Monfort, qui a pris part au mouvement de décentralisation théâtrale et a joué dans la troupe de Jean Vilar dans les années 1960. Celle-ci organise un festival en avril 1976, le Printemps des peuples présents. Elle invite trois jeunes troupes à se produire dans son théâtre le Carré Sylvia-Monfort : le Théâtre action tréteaux, le Théâtre émigré de Grenoble et le Théâtre noir de Benjamin Jules Rosette. Cependant ces quelques initiatives concentrées en région parisienne touchent peu le public immigré. De l’aveu même de son directeur, Yvon Gougenheim, à l’issue de la représentation du théâtre Mohamed-V, l’opération n’a touché qu’un dixième du public visé. 27 En voulant initier une action culturelle au sein d’un domaine ministériel à vocation sociale, l’Office n’a pas rencontré les soutiens et les relais nécessaires dans l’administration. Quant au ministère de la Culture, représenté aux deux premiers conseils d’administration de l’Office, il ne s’est pas investi plus avant malgré les incitations répétées du secrétariat d’État aux Travailleurs Immigration dans les politiques-MEP3.indd 27 16/12/2013 15:32:14 immigrés. Au fond, l’Office a été rattrapé par sa finalité objective : une politique symbolique réparatrice, en direction des pays d’origine. Elle n’a pas convaincu le ministère de la Culture de son caractère artistique, ni les immigrés qu’elle leur était destinée. L’Office s’adressait en premier lieu à leur pays d’origine. En outre, sa gestion s’avère dispendieuse et l’équipe est rapidement désavouée. Au changement de gouvernement de 1977 qui voit arriver à la tête du secrétariat d’État Lionel Stoleru, l’Office est dissous. 28 L’Office de promotion culturelle des immigrés a pourtant lancé un projet promis à un plus long avenir, l’émission de télévision Mosaïque. Celle-ci est diffusée de 1976 à 1986, tous les dimanches matin, de 10 h 30 à 12 h 30 sur la troisième chaîne de télévision publique (FR3). Le secrétariat d’État avait d’abord pensé à une émission de télévision musulmane et Paul Dijoud en avait annoncé la création lors d’un déplacement pour célébrer la fête du mouloud à Évry. Cependant, l’idée d’un programme culturel à destination de tous les immigrés semble plus adaptée pour une émission qui sera finalement entièrement financée par le FAS. En effet, comme il s’agit d’un public spécifique, la télévision publique française rejette l’idée de financer le programme. Tout au long de sa diffusion, le ministère s’acquitte donc des frais de production et de diffusion (achat du temps d’antenne) d’une émission dont l’administration contrôle d’ailleurs le contenu (les rushes sont visualisés à l’Office le vendredi qui précède leur diffusion, qui a lieu le dimanche) 1. La dissolution de l’Office ne marque pas la fin de la politique culturelle adaptée aux immigrés, mais plutôt 1Les émissions Mosaïque ne sont d’ailleurs pas conservées par l’INA mais font l’objet d’une collection particulière conservée actuellement par le Musée de l’histoire de l’immigration (Paris). Immigration dans les politiques-MEP3.indd 28 16/12/2013 15:32:14 un changement d’orientation, avec une action plus tournée vers l’information et le recours aux médias. L’organisme qui lui succède, l’ICEI (Information communication et immigration), consacre les deux tiers de son budget à la production de l’émission de télévision Mosaïque. L’ICEI correspond à l’institutionnalisation du comité Lyautey qui était devenu le 10 juillet 1975 le Centre d’étude et de documentation sur l’immigration. En devenant l’ICEI, il apporte son expertise en matière d’information sur l’immigration et reprend certaines prérogatives de l’Office en matière d’action culturelle (ainsi que certains membres de son personnel). L’organigramme de l’ICEI permet de mieux situer le rôle de l’action culturelle dans cette str ucture ainsi que le sens donné aux cultures immigrées : une définition anthropologique qui fait référence à la langue et aux traditions populaires d’un groupe. L’action culturelle s’inscrit dans un dispositif qui doit favoriser l’insertion. Elle est ainsi entièrement vouée Immigration dans les politiques-MEP3.indd 29 29 Affiche de l’émission de télévision Mosaïque, le magazine de l’immigration. émission financée par l’état, à partir de 1976. Tous les dimanches à 10 h 30 sur FR3. Paris, ICEI (Imprimerie EMF). © Coll. Christiane Herrero, Génériques 16/12/2013 15:32:14 à une fonction sociale, ce qui justifie que le ministère de la Culture ne soit pas partie prenante dans cette structure. Articulée autour de la notion de rencontre Français-immigrés, elle reprend l’idée du brassage des années 1960, de sorte que la politique d’insertion est bien fondée sur la même idée selon laquelle l’intégration des immigrés est assurée par leur contact avec la population du pays d’accueil. L’ICEI organise d’ailleurs, chaque année, la semaine du dialogue Français-immigrés pour informer sur l’immigration et les cultures d’origine des immigrés. Le trait spécifique de cette politique est d’insister sur la préparation au retour, à travers la valorisation des cultures d’origine. 30 La politique de valorisation des cultures d’origine est une politique de démonstration qui vise à assurer les engagements de la France vis-à-vis des pays d’émigration à qui le gouvernement garantit la promotion de ses ressortissants installés en France, un point Direction Secrétariat Comptabilité Documentation Hôtesses Information Formation Écrit Audiovisuel Animation Accueil travailleurs sociaux Administration Entreprises Animateurs Culturel Langues et cultures d’origine Arts et traditions populaires Animation socioculturelle Télévision Conception Production Organigramme de l’ICEI, 1977 Immigration dans les politiques-MEP3.indd 30 16/12/2013 15:32:15 important qui a été mis en avant dès l’annonce de l’intention de maîtriser les flux. D’ailleurs, elle comprend également le dispositif d’Enseignement des langues et cultures d’origine à l’école (ELCO), qui est mis en œuvre par le ministère de l’Éducation nationale et qui correspond à des accords signés par le ministère des Affaires étrangères avec les pays d’émigration (le Portugal en 1972, la Tunisie en 1974, le Maroc en 1975, la Turquie en 1978) 1. La promotion et le maintien des liens culturels sont censés garantir aux pays émetteurs le bénéfice du retour de leurs ressortissants : ils reviendront formés et pourront se réinsérer facilement dans leur société d’origine. Cependant, la mise en œuvre d’une politique culturelle de maintien des liens culturels avec les pays d’origine ne se fait pas sans heurts et la production de l’émission de télévision Mosaïque en est un bon exemple. Conçue pour informer et divertir les immigrés présents en France dans leur langue d’origine, Mosaïque est une émission de variétés présentée par un animateur français, Jean-Michel Dhermay, et des animateurs étrangers qui s’expriment dans leur langue d’origine (sans que leurs propos soient sous-titrés). Elle alterne les sujets sur la vie des immigrés en France, mais vise surtout à présenter des reportages ponctués d’intermèdes musicaux, qui viennent des pays d’ori- 31 1 Le dispositif d’Enseignement des langues et cultures d’origine (ELCO) correspond à trois heures de cours intégrées au tiers temps pédagogique (plage horaire de l’enseignement primaire réservé à des activités d’éveil). Les cours sont donnés dans les locaux de l’Éducation nationale par des instructeurs nommés et rémunérés par les consulats. Ils sont organisés par nationalité et réservés aux ressortissants de chaque pays. L’ouverture d’un enseignement de langue d’origine est soumise à un nombre suffisant d’enfants d’une même nationalité et à l’autorisation du ministère de l’Éducation nationale. En 1976, le dispositif touchait 3 % des élèves algériens, 10 % des élèves marocains, 20 % des élèves tunisiens, 6 % des élèves portugais et 13 % des élèves italiens. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 31 16/12/2013 15:32:15 gine. L’équipe de production est donc en contact avec les autorités des pays d’origine (ambassades, consulats en France ou contacts avec les chaînes de télévision officielles des pays) pour obtenir d’eux des produits culturels : fictions, documentaires et spectacles de musique. Cependant, ces derniers en profitent pour diffuser un discours nationaliste auprès de leurs ressortissants, et l’équipe de Mosaïque reçoit fréquemment du courrier de spectateurs qui se plaignent de ces reportages partisans. La réalisation de l’émission se trouve donc prise dans un faisceau de contraintes qui viennent de la difficulté à assimiler les immigrés à la culture officielle de leur pays d’origine. 32 En outre, le directeur de l’ICEI parvient à obtenir la coproduction d’émissions dans les pays d’émigration, ce qui lui permet de faire des économies en termes de réalisation, puisque les frais en incombent presque totalement aux pays concernés. Or la réalisation de ces émissions se trouve au centre de stratégies politiques. Par exemple, en 1979, le tournage d’une émission Mosaïque en Tunisie quelques jours après l’annonce de mesures restrictives en matière d’immigration est censé rassurer les Tunisiens et leur montrer que la France poursuit une politique d’immigration qui prend en compte leur intérêt. Enfin, derrière une apparente valorisation équilibrée des cultures d’origine (chaque pays d’émigration est représenté à tour de rôle dans l’émission), une logique de hiérarchie est à l’œuvre. Les cultures européennes sont présentées comme ayant une plus grande proximité culturelle que les cultures non européennes, et en particulier les cultures du Maghreb. L’émission de télévision permet d’accompagner et de justifier une politique du retour qui vise les immigrés venus du Maghreb, et notamment les Algériens. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 32 16/12/2013 15:32:15 En effet, le maintien de Mosaïque et le soutien financier continuel que le FAS, par l’intermédiaire de l’ICEI, continue de lui apporter ne sont pas dus exclusivement au succès de l’émission qui, selon une étude réalisée par publimétrie, serait suivie par 54 % du public immigré en 1977, mais bien à son utilité politique. Elle permet au secrétaire d’État Lionel Stoleru de venir « expliquer » les changements dans la législation 1 ou bien à des reportages de montrer les possibilités offertes par la nouvelle politique (des formations‑retour suivies par des immigrés algériens dans la banlieue de Creil, par exemple 2). Dans ces conditions, la stratégie culturelle du secrétariat d’État apparaît comme un outil de communication non négligeable au service de la politique d’immigration du gouvernement. Divertir pour dépolitiser 33 L’image officielle du rapport de l’État aux cultures immigrées que donnent Mosaïque et les activités de l’ICEI offre un support à la contestation et à la formulation d’une revendication d’autonomie par le mouvement de défense des immigrés. En effet, dans les années 1970, un mouvement de travailleurs immigrés émerge, visant à dénoncer l’exploitation des travailleurs et à défendre les droits des immigrés. Les militants ont recours à des moyens artistiques pour soutenir cette lutte (le théâtre en particulier) et formulent ainsi un contre-discours sur les cultures immigrées par rapport à la politique officielle de maintien des liens culturels avec le pays d’origine. Ils revendiquent l’autonomie par rapport aux gouvernements des pays d’émigration et la spécificité de leur condition d’immigré. 1 Émission du 25 avril 1979. 2 Émission du 19 janvier 1978. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 33 16/12/2013 15:32:15 En 1975, est organisé un Festival de théâtre populaire de travailleurs immigrés qui regroupe dans un local associatif de la proche banlieue parisienne seize troupes de théâtre créées par des militants immigrés. Elles se répartissent par nationalités. Par exemple, les Portugais de la troupe Semente, les Marocains d’Al Jalya et les Algériens du Théâtre dans l’immigration 1. Les pièces sont jouées en langue étrangère et mettent en scène 34 Affiche du 3e Festival des travailleurs immigrés, Paris, 1978 © Coll. Musée d’histoire contemporaine - BDIC 1M. Vaz, Expressions culturelles immigrées, 1er Festival de théâtre populaire des travailleurs immigrés, Suresnes, juin 1975, Lisbonne, Silvas, 1985. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 34 16/12/2013 15:32:15 les conditions de vie des immigrés (Il était une fois l’immigration par Al Jalya) mais aussi les combats politiques menés dans les pays d’origine (La Statue capitaliste par Semente), ainsi que la complicité des États d’origine pour exploiter les travailleurs immigrés (Ça travaille, ça travaille et ça ferme sa gueule par Al Assifa). Le ton est résolument militant et le festival qui a lieu en 1977 et 1978 devient le grand rassemblement des associations immigrées mobilisées pour la défense des travailleurs immigrés. La revendication d’autonomie culturelle du mouvement immigré est soulignée par l’utilisation d’une forme artistique comme le théâtre. En mettant en scène une situation d’exploitation, les militants immigrés prennent possession de leur propre moyen de représentation et s’affranchissent des représentations officielles données par les pays d’origine. L’opposition aux gouvernements des pays d’origine est renforcée par la présence, dans ces mouvements, de nombreux militants en exil qui sont venus en France également pour des raisons politiques. L’Association des Marocains de France, à laquelle est rattachée la troupe de théâtre Al Jalya, a été créée par des opposants au régime marocain, par exemple. De manière générale, les militants reprochent aux gouvernements des pays d’origine de vouloir garder une mainmise politique sur leurs ressortissants en participant à la politique de maintien des liens culturels mise en œuvre par le gouvernement français. 35 En outre, les militants immigrés contestent les productions culturelles soutenues par le gouvernement français, que ce soit le Printemps des peuples présents organisé au Carré Sylvia-Montfort qui donne lieu à une mobilisation à l’appel du collectif Al Assifa, ou l’émission Mosaïque, décriée dans la presse militante qui reproche au gouvernement français de vouloir capter les initiatives associatives immigrées pour les Immigration dans les politiques-MEP3.indd 35 16/12/2013 15:32:15 neutraliser et pour représenter une version dépolitisée des cultures immigrées. Par exemple, lors du reportage effectué par l’émission Mosaïque sur le 3e Festival des travailleurs immigrés 1, seul l’aspect festif de la manifestation est souligné et la dimension contestataire est passée sous silence. L’émission de télévision est conçue comme un divertissement et non comme une tribune politique 2. 36 Le secrétariat d’État aux Travailleurs immigrés et, par son intermédiaire, l’ICEI se sont largement appuyés sur le milieu associatif pour mettre en œuvre leur politique. Non seulement l’ICEI correspond à l’institutionnalisation de ce qui était à l’origine une association (le comité Lyautey) mais, en outre, son personnel compte nombre de personnes venues du milieu associatif. Enfin, les activités sont mises en œuvre grâce à la collaboration de nombreuses associations (la Semaine du dialogue est organisée grâce au concours de l’association Interservice Migrants, par exemple). Cette collaboration étroite n’est pas sans provoquer des heurts. Le secrétariat d’État souhaite s’appuyer sur des collaborateurs qui connaissent bien le terrain, mais le milieu associatif est un allié paradoxal. Il est traversé par la revendication du mouvement immigré et se montre critique à l’égard du gouvernement. La politique culturelle qui apparaît dans les années 1970 consiste à promouvoir les cultures d’origine des immigrés. Il s’agit d’une politique symbolique en direction des pays d’émigration dans le but de compenser le 1 Émission du 29 janvier 1978. 2 C. Humblot, « Divertissement sans politique », Le Monde, 12-13 mars 1978. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 36 16/12/2013 15:32:15 tournant restrictif opéré par la politique d’immigration française. La France n’est pas le seul pays à limiter ses flux, la Grande-Bretagne et l’Allemagne l’ont fait respectivement dès 1971 et 1973. Elle est cependant la seule à avoir recours à la mise en œuvre d’une politique culturelle pour contrebalancer cette politique. Le secrétariat d’État a pu s’appuyer sur un milieu associatif dynamique et désireux de s’investir dans la promotion culturelle des immigrés. Il a rencontré un intérêt pour l’adaptation culturelle des immigrés qui avait déjà fait l’objet d’initiatives dans les années 1960. Cependant, cette politique présente deux inconvénients majeurs. Premièrement, les cultures immigrées ne correspondent pas nécessairement aux cultures de leur pays d’origine, et en s’engageant dans la diffusion de produits culturels réalisés par les pays d’émigration, la politique n’atteint pas sa cible. Deuxièmement, le contexte de limitation des flux migratoires lui donne une connotation séparatiste et exclusive : les immigrés y sont présentés comme des étrangers aux traits culturels distincts. Elle entraîne de nombreuses tensions et la mobilisation du mouvement immigré. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 37 37 16/12/2013 15:32:15 Les pays d’origine et les cultures immigrées 38 Au cours des années 1970, Abdelmalek Sayad, sociologue, étudie les effets de la migration sur les Algériens en France et en Algérie. Il apporte une contribution importante à la compréhension du vécu de l’expérience migratoire dans le pays d’accueil mais aussi dans le pays de départ. Les immigrés subissent, en effet, un soupçon de "déculturation" dans leur pays d’origine. « A la manière du langage de l’économie, le langage de la culture constitue une manière d’euphémisation par la technicisation permettant de formuler toutes ces dénonciations ouvertement, sans retenue, souvent avec une bonne conscience autorisée par les "bonnes intentions". L’émigration déculture parce qu’elle acculture à quelque autre culture étrangère ; l’émigration dénature parce qu’elle "naturalise" par rapport à quelque autre nature étrangère ; l’émigration dépersonnalise, etc. Et il est significatif que le procès ainsi fait à l’émigration, et par là même aux émigrés, porte prioritairement et plus violemment sur la population féminine émigrée, et plus précisément sur le corps des femmes, à travers le costume, l’hexis corporelle, les manières de se tenir, de parler, de se comporter, avec leur corps. Il est inutile – et aussi trop long – d’insister sur la signification symbolique accordée au corps féminin, objet d’un intense et dramatique investissement, et au "corps " des femmes (au sens de l’ensemble des femmes) qu’on voue à la "tradition", allant jusqu’à célébrer la fidélité à cette tradition et les valeurs féminines qui en sont respectueuses. Il n’y a d’innovation possible que par les hommes et de la part des hommes ! Hors du monde masculin, toute innovation est interdite sans autre considération. » Abdelmalek Sayad, La Double Absence, Paris, Seuil, 1999, p. 172. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 38 16/12/2013 15:32:15 Depuis 1981 : Les politiques culturelles au service de l’intégration Le début des années 1980 voit l’investissement ponctuel du ministère de la Culture dans le champ d’intervention des politiques culturelles à l’égard des immigrés. Le changement est à la fois démographique et politique. D’une part, les enfants d’immigrés devenus adultes donnent une nouvelle visibilité à la question de l’immigration en France. De la figure du travailleur immigré venu apporter sa force de travail à l’économie française, on passe à celle de l’enfant de parents immigrés, qui a grandi en France et se confronte au racisme. C’est l’émergence d’une lecture culturelle et non plus seulement sociale de l’immigration. D’autre part, le Parti socialiste arrive au pouvoir avec un programme qui met la culture à l’honneur (le budget du ministère est multiplié par deux) et un ministre emblématique de ce ministère, Jack Lang. 39 Le ministère de la Culture de Jack Lang introduit un élargissement du champ culturel en incluant différentes Immigration dans les politiques-MEP3.indd 39 16/12/2013 15:32:15 pratiques artistiques considérées jusque-là comme mineures (le jazz, le rock, la bande dessinée, etc.) mais aussi des cultures minoritaires, comme les cultures régionales ou les « cultures de l’immigration » (selon l’appellation utilisée à cette période). Ainsi le changement qui s’opère en 1981 est un changement de registre avec un élargissement de la notion de culture et la disparition d’un blocage important : la réticence historique du ministère de la Culture à soutenir les cultures représentatives de groupes précis comme les cultures immigrées. Le décret du 10 mai 1982 stipule ainsi que le ministère de la Culture a pour vocation de « préserver le patrimoine culturel national, régional ou des divers groupes sociaux pour le profit commun de la collectivité tout entière ». Il introduit la notion de pluralité des cultures. 40 Cependant, la politisation de l’immigration continue. À partir de 1984, les succès électoraux du Front national, qui fait de cette thématique un de ses sujets de prédilection, engagent les partis politiques de gauche comme de droite à s’accorder sur des valeurs qui font consensus en matière d’immigration. L’heure n’est plus à la reconnaissance du pluralisme des cultures. L’idée de l’intégration des immigrés, qui est à mi-chemin entre l’assimilation et la conservation des traits culturels, apparaît. Elle vient guider la nouvelle politique culturelle en direction des immigrés. « Changer la vie » culturelle des immigrés En 1981, François Mitterrand est élu président de la République avec un programme qui s’intitule « changer Immigration dans les politiques-MEP3.indd 40 16/12/2013 15:32:15 la vie » et qui comporte des mesures importantes en ce qui concerne la vie des immigrés, et leur vie culturelle en particulier 1. La loi du 9 octobre 1981 leur accorde la liberté d’association en supprimant l’obligation pour toute association étrangère d’obtenir une autorisation préalable du ministère de l’Intérieur avant de se déclarer « loi 1901 » comme c’était le cas depuis 1939. En réalité, de nombreux groupements ou associations non officielles existaient, mais la promulgation de la loi a donné un élan et beaucoup d’associations se créent. Parmi elles, on remarque de nombreuses radios libres : Radio Beur, Radio Aligre à Paris, Radio Gazelle à Marseille, Radio Kaléidoscope à Grenoble et Radio G92 à Gennevilliers. Marquant parfois l’aboutissement d’années de militantisme pour l’expression culturelle des immigrés, certaines de ces nouvelles associations saisissent l’occasion de proposer des projets culturels pour leur quartier ou dans leurs villes. Par exemple, l’Association de la nouvelle génération immigrée (Aubervilliers), l’Association de la recherche et d’animation culturelle de quartier (Paris), Nahda (Nanterre), l’Association Gutenberg (Nanterre), Ali Aïcha et les Autres (Nice), Carrefour de la différence (anciennement Théâtre dans l’immigration) à Paris. Elles reçoivent un soutien financier du FAS ainsi que du ministère de la Culture. 41 L’alternance politique introduit un changement dans le système de référence de la politique gouvernementale qui permet de faire entrer ponctuellement les cultures immigrées dans la symbolique de la Ve République, et donc au ministère de la Culture. C’est la notion de droit à la 1Au chapitre des mesures qui concernent l’immigration, une vaste opération de régularisation est entamée. Par contre, l’idée d’octroyer le droit de vote aux étrangers pour les élections locales, qui figurait dans le programme, est rapidement abandonnée. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 41 16/12/2013 15:32:15 différence. Il justifie que le gouvernement se lance dans la décentralisation de l’administration (au nom du droit à la différence des territoires) et que les cultures régionales et immigrées soient valorisées (au nom du droit à la différence culturelle). Concrètement, il en ressort une valorisation de l’action publique menée au niveau local 42 Affiche pour Radio Beur, Paris, 1984. © Coll. Joël Vacher, Génériques Immigration dans les politiques-MEP3.indd 42 16/12/2013 15:32:16 et une volonté de représenter la pluralité des cultures présentes sur le sol français. Appliqué aux cultures immigrées, le droit à la différence rend possible la présence de formes d’expression étrangères sans redouter que la culture française y perde sa cohérence. Au niveau du ministère de la Culture, l’introduction du droit à la différence se traduit par la création d’un bureau des cultures minoritaires qui fonctionne de 1981 à 1986. Créé en 1982 au sein de la direction du Développement culturel qui est le fer de lance d’une nouvelle approche de l’action culturelle centrée sur l’élargissement des publics et le soutien à la création, il est initialement prévu pour soutenir les cultures régionales. Cependant, derrière la notion de cultures minoritaires, on trouve les cultures dites extraterritoriales (arménienne, juive, kurde…) et les cultures immigrées. 43 C’est donc grâce à l’abandon d’une stratégie défensive du ministère de la Culture vis-à-vis des cultures représentatives des groupes, que les cultures immigrées font leur entrée au ministère de la Culture. Vingt ans auparavant, la France sortait du traumatisme de la Deuxième Guerre mondiale et l’idée de garantir l’unité de la nation autour de valeurs culturelles communes sous-tendait le projet du tout nouveau ministère. Au début des années 1980, le gouvernement montre qu’il ne craint pas la dissolution de l’unité culturelle de la France en favorisant l’expression des différentes cultures qui la composent : le projet du ministère de la Culture évolue. La présence de Jack Lang à des manifestations en lien avec l’immigration est révélatrice d’un nouvel affichage politique de prise en compte du pluralisme Immigration dans les politiques-MEP3.indd 43 16/12/2013 15:32:16 culturel. Le 29 novembre 1983, il est filmé au côté des « marcheurs » qui participent à la Marche contre le racisme et pour l’égalité, plus connue sous le nom de Marche des Beurs 1. Un mois plus tard, le 8 janvier 1984, il inaugure, avec la secrétaire d’État aux Travailleurs immigrés, Georgina Dufoix, l’exposition Les Enfants de l’immigration au Centre Georges-Pompidou. Jack Lang fait de la question de la présence de populations issues de l’immigration sur le sol français une question de culture et de représentation. 44 L’exposition Les Enfants de l’immigration réunit des œuvres d’artistes issus de l’immigration et des projets culturels présentés par des associations 2. Elle comporte également une programmation avec des spectacles différents joués tous les soirs dans la partie amphithéâtre de l’exposition. Les commissaires ont pris soin d’éviter les productions officielles des pays d’origine, en rupture avec la politique de promotion culturelle des immigrés de la période précédente. Elles se sont appuyées sur les productions d’un milieu immigré dynamique, que la loi de 1981 a permis de structurer en associations. Réalisée grâce à des subventions du ministère de la Culture et du Fonds d’action sociale, l’exposition 1Partie de Marseille le 15 octobre 1983 à l’initiative d’une association de jeunes des Minguettes, SOS Minguettes, et avec le soutien de la Cimade , la Marche pour l’égalité et contre le racisme rencontre un franc succès. Ils étaient 32 au départ ; ils sont 100 000 à défiler dans Paris le 3 décembre 1983. Une délégation de « marcheurs » est reçue par le président de la République et ressort de cette entrevue avec la promesse d’étendre à dix ans le titre de séjour des immigrés en France. Leur arrivée est couverte par la presse et la télévision nationale. Pour plus de détails sur le rôle des productions artistiques qui ont entouré la revendication des marcheurs, voir A. Escafré-Dublet, « Art, Power and Protest. Immigrants’ Artistic Production and Political Mobilisation in France », Diversities, 2010, vol. 12, issue 1. 2V. Baux, J. Chapelle, Les Enfants de l’immigration, catalogue de l’exposition, Paris, Centre de création industrielle, 1984. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 44 16/12/2013 15:32:16 Les Enfants de l’immigration consacre la collaboration de ces deux domaines ministériels sur un champ d’intervention commun : l’action culturelle en lien avec les questions d’immigration. Elle est rendue possible grâce à un changement de principe (la possibilité de représenter les cultures des groupes) mais aussi grâce à un changement dans l’organisation du travail de l’administration. Au ministère de la Culture, au bureau des cultures minoritaires ainsi qu’au Fonds 45 Pour l’égalité contre le racisme, décembre 1983. © Coll. Génériques, Génériques Immigration dans les politiques-MEP3.indd 45 16/12/2013 15:32:16 46 d’intervention culturelle 1, des chargés de mission sont venus grossir les rangs du personnel et réalisent un travail en lien étroit avec les associations. Au Fonds d’action sociale, la réforme engagée à la suite d’un rapport très critique livré par l’Inspection générale des affaires sociales entraîne une représentation accrue des associations immigrées dans son conseil d’administration et la régionalisation d’une partie de ses services en comités régionaux pour l’insertion des populations immigrées (CRIPI). L’axe culturel reste, cependant, réservé à l’administration centrale et il est géré au siège, à Paris. La direction de l’Action culturelle bénéficie de ces relais en région pour entrer en contact avec les associations. C’est grâce au soutien des comités régionaux que le ministère de la Culture organise l’itinérance de l’exposition Les Enfants de l’immigration à Strasbourg (Strasbourg ville en couleurs, en 1984) et à Toulouse (Toulouse multiple, en 1985). L’entrée de l’immigration au ministère de la Culture et la reconnaissance de l’apport artistique des immigrés ont pour conséquence d’introduire cette thématique au sein de l’administration centrale (au ministère de la Culture et au FAS) et de la soustraire à l’organisme spécifique qu’était l’ICEI. En effet, avec l’alternance, cette structure, qui fonctionnait en lien étroit avec le gouvernement, est modifiée. D’abord menacé d’être supprimé, c’est finalement à la suite du rapport rendu par Françoise Gaspard sur l’information et l’expression culturelle des communautés 1 Le Fonds d’intervention culturelle (FIC) est une structure interministérielle rattachée au ministère de la Culture, créée en 1971 pour réaliser des actions expérimentales et atteindre des publics exclus de la culture : les publics ruraux, les personnes âgées, les enfants… (idée de « développement culturel » avancée par Joffre Dumazedier). À partir de 1981, il comporte un axe intercultures/interethnies qui s’intéresse aux publics immigrés et qui correspond à son budget. Le FIC est supprimé en 1984. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 46 16/12/2013 15:32:16 47 Couverture du catalogue de l’exposition Les Enfants de l’immigration, Centre de création industrielle, Paris, 1984. © Centre Georges-Pompidou immigrées que l’organisme ICEI est transformé en Agence pour le développement des relations interculturelles (Adri), le 23 juillet 1982 1. Toujours chargée de la production de Mosaïque, l’Adri se recentre sur sa mission d’information et de formation, tandis que ses précédentes activités culturelles 1F. Gaspard, L’Information et l’Expression culturelle des communautés immigrées, Paris, Adri, 1982. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 47 16/12/2013 15:32:16 ne sont pas retenues. La création de l’Adri marque la fin de la politique de valorisation des cultures immigrées en lien avec les pays d’origine. Alors que certains membres de l’ICEI continuent à exercer des fonctions dans le nouvel organisme, le directeur est remplacé. À la prise en compte des cultures immigrées limitée à la culture de leur pays d’origine et soumise aux intérêts de la politique de retour du gouvernement, le changement politique de 1981 a introduit un cadre nouveau pour l’expression culturelle des immigrés, marqué par la possibilité de se regrouper en associations et par l’existence d’un dispositif administratif susceptible de les soutenir, au Fonds d’action sociale et au ministère de la Culture. 48 Favoriser l’intégration À partir de 1983, les succès électoraux du Front national mettent en difficulté la stratégie politique du droit à la différence pour les populations immigrées. En septembre 1983, la liste RPR fait alliance avec le candidat du Front national, Jean-Pierre Stirbois, pour remporter les élections à la mairie de Dreux, contre Françoise Gaspard. La maire sortante s’était spécialisée sur les questions d’immigration (auteure du rapport sur l’expression culturelle des immigrés en 1982) et publie d’ailleurs, un an plus tard, avec Claude Servan-Schreiber, La Fin des immigrés, aux éditions du Seuil. Cette défaite sonne comme un désaveu pour une personnalité socialiste représentative de la politique du droit à la différence. En 1984, dix représentants du Front national sont élus au Parlement européen (soit 12,35 %) et en 1986, suite à l’introduction d’un Immigration dans les politiques-MEP3.indd 48 16/12/2013 15:32:16 scrutin à la proportionnelle, 35 députés sont élus à l’Assemblée nationale (soit 5,54 %). En 1986, le Parti socialiste constate l’effet contreproductif de la revendication du droit à la différence en tant que réponse aux enjeux posés par une société pluriculturelle. Sur fond de montée du Front national, les personnalités politiques et intellectuelles de droite s’en servent désormais pour justifier un discours d’exclusion. Les élections législatives de 1986 sont remportées par les partis de droite qui ont consacré une part importante de leur campagne à la question des immigrés (RPR et UDF). Le pacte du RPR énonce ainsi dès 1985 : « Notre pays ne veut pas devenir une société pluriculturelle. » La parenthèse du pluralisme se referme sur un retour à l’universalisme et à la notion d’identité française. La question de la nationalité devient centrale dans le débat sur l’immigration. Après les élections législatives de 1986, Albin Chalandon, ministre de la Justice, propose un projet de loi de réforme du Code de la nationalité qui vise à modifier l’article 44 permettant aux enfants nés en France de parents étrangers de devenir automatiquement français à la majorité. La remise en cause de ce principe exprime la méfiance du gouvernement à l’égard des jeunes issus de l’immigration. Le texte est finalement retiré dans un contexte général de protestation contre le gouvernement (mobilisation étudiante contre la loi Devaquet). Mais, en juin 1987, le Premier ministre, Jacques Chirac, installe une Commission de la nationalité chargée d’examiner si le Code de la nationalité est encore adapté à l’époque contemporaine. La retransmission des séances publiques à la télévision montre l’ampleur médiatique prise par les questions d’immigration en lien avec la nationalité. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 49 49 16/12/2013 15:32:16 50 Avec le débat sur la réforme du Code de la nationalité, le souhait de voir le parcours migratoire aboutir à une naturalisation devient beaucoup plus évident. Au début des années 1980, l’accession des enfants d’étrangers nés en France à la citoyenneté française avait été appréhendée de manière bien différente. Des enfants d’Algériens étaient réticents à l’idée de « prendre les papiers français », alors que leurs parents s’étaient battus pour l’indépendance de l’Algérie. Quatre années plus tard, la perspective s’est inversée. Il s’agit à présent de démontrer l’intégration et le désir d’être français. L’apparition d’un discours politique qui met en avant l’importance de l’intégration est le produit de ce contexte de montée du Front national, qui engage les politiques à se recentrer sur des valeurs communes. Il faut aussi ajouter que, pendant les années 1970 et le début des années 1980, les gouvernements des pays d’origine des immigrés se sont employés à décrier les dangers de l’acculturation de leurs ressortissants à la société française. Ils ont utilisé le cadre de la négociation des accords de main-d’œuvre avec la France pour obtenir des garanties de maintien des liens culturels avec les enfants de leurs ressortissants. Ces accords étant à présents signés (le dernier étant l’accord franco-algérien de 1983), le gouvernement français est plus libre de formuler un discours sur l’intégration des descendants d’immigrés. La création, en 1989, du Haut Conseil à l’intégration par le Premier ministre socialiste Michel Rocard marque l’officialisation de la ligne politique de l’État français en matière d’immigration. À mi-chemin entre l’assimilation (jugée trop impérialiste) et le maintien des traits culturels (perçu comme séparatiste), l’intégration se présente comme la possibilité donnée aux immigrés de « vivre Immigration dans les politiques-MEP3.indd 50 16/12/2013 15:32:16 dans une société avec leurs différences, sans les exalter 1 ». Intervenue quelques mois après la première affaire du foulard à Creil qui a mis sur le devant de la scène la notion de laïcité, la définition de l’intégration par le Haut Conseil insiste sur le fait que les immigrés doivent accepter un certain nombre de règles. Ce recentrage sur les notions de valeurs républicaines communes est renforcé par l’idée que ce modèle est historiquement situé : les différentes vagues migratoires françaises se sont intégrées dans le creuset français 2. L’apparition du principe d’intégration redéfinit les objectifs de la politique culturelle en direction des immigrés. À partir de 1986, elle est menée presque exclusivement par la direction culturelle du FAS et a pour fonction de favoriser l’intégration. Ce qui a été expérimenté et mis en œuvre avec le soutien du ministère de la Culture et du Fonds d’action sociale dans la période allant de 1981 à 1986 sert de canevas à la politique mise en place à partir de 1986. Les principes sont les suivants : stimuler des dynamiques locales en faisant participer les associations, favoriser les échanges entre les immigrés de différentes origines et développer la formation. En s’appuyant sur ses directions régionales, la direction culturelle du FAS structure un réseau d’acteurs culturels qui deviennent les relais de sa politique. Les associations ou structures d’animation culturelle en région reçoivent des subventions au motif que leurs activités ont une fonction intégratrice. On voit alors se distinguer des scènes régionales particulièrement investies sur ces questions, où la collaboration 51 1Haut Conseil à l’intégration, Pour un modèle français d’intégration, Paris, La Documentation française, 1991, p.18. 2G. Noiriel, Le Creuset français. Histoire de l’immigration (XIXe-XXe siècles), Paris, Seuil, 1988. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 51 16/12/2013 15:32:16 entre direction régionale de l’Action culturelle et direction régionale du FAS est essentielle : en Rhône-Alpes où la Maison de la culture de Grenoble est porteuse de projets créatifs et innovants tout comme la ville de Lyon, mais aussi dans le Nord-Pas-de-Calais avec les municipalités de Lille et de Roubaix. 52 La fonction sociale de l’action culturelle est retenue dans la politique culturelle qui concerne l’immigration. La formation des publics, l’apprentissage des pratiques artistiques et l’ancrage local sont autant d’idées venues de l’action culturelle et des mouvements d’éducation populaire, qui sont reprises dans la formulation d’une politique culturelle en direction des immigrés. Par rapport aux critères du ministère de la Culture, la fonction sociale prime. Les critères à évaluer dans l’octroi d’une subvention sont les publics touchés et les structures dans lesquelles s’insèrent les projets (centres d’animation culturelle, scènes théâtrales conventionnées ou maisons des jeunes et de la culture). L’axe culturel du Fonds d’action sociale n’est pas pour autant acquis. Les personnes qui en sont chargées au siège parisien relatent la difficulté à faire accepter l’utilité d’une action culturelle auprès de leurs relais en région comme auprès de l’administration centrale. L’action culturelle ne rentre pas toujours dans l’ethos d’une administration sociale et son utilité doit être, en permanence, démontrée. C’est donc, finalement, au sein de l’administration sociale que s’ancre une politique culturelle en direction des immigrés, même si elle intègre des éléments propres à l’action culturelle telle qu’elle a été élaborée au sein du ministère de la Culture : l’élargissement des publics et la formation aux pratiques artistiques. Cet ancrage ministériel Immigration dans les politiques-MEP3.indd 52 16/12/2013 15:32:16 se fait au détriment de l’aspect culturel des projets. Pour Anne Golub, chargée de mission au FAS jusqu’en 1996, cela veut dire qu’un projet culturel faisant l’objet d’une demande de subventions ne peut être soutenu pour son contenu proprement artistique : « Le culturel est contraint de se travestir en social dans ses énoncés »1. C’est la fonction sociale de la culture que l’on met en avant. Cette fonction sociale donnée à l’action culturelle éloigne durablement l’immigration des préoccupations du ministère de la Culture. Les cultures immigrées s’apparentent à des cultures spécifiques et la parenthèse qu’avait introduite le changement politique de 1981 s’est refermée, y compris lorsque Jack Lang revient au ministère de la Culture de 1988 à 1992. Il est possible de retrouver la trace d’initiatives soutenues par le ministère au titre des cultures de l’immigration à travers son soutien à des projets labellisés « cultures urbaines » dans les années 1990. La création du Festival des cultures urbaines à La Villette en 1997 en est un exemple. Mais c’est surtout autour de la danse hip-hop que l’idée d’une rencontre entre culture populaire et exigences d’une pratique artistique professionnelle se trouve le plus souvent déclinée. Dès 1992 est créée Suresnes Cités Danse, où de jeunes danseurs peuvent rencontrer des chorégraphes confirmés. On retrouve une logique similaire dans l’organisation de la Biennale de la danse de Lyon ou dans la programmation du Festival Montpellier Danse. 53 Cependant, la déclinaison de la thématique des « cultures urbaines » éloigne durablement le ministère de la Culture de la question spécifique de l’immigration 1A. Golub, « Police de l’art et des frontières. Institutions et déplacements culturels », in J. Metral (dir.), Cultures en ville, Paris, Édition de l’Aube, 2000, p. 85. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 53 16/12/2013 15:32:16 et des publics immigrés, identifiés comme tels. Cette question ne revient que vingt ans plus tard à la faveur du changement de registre qui fait passer les questions d’immigration de l’intégration à la représentation. De l’intégration à la représentation 54 À la fin des années 1990, le Fonds d’action sociale se désinvestit de la politique d’action culturelle 1 et se réoriente vers une politique de lutte contre les discriminations. Il devient, d’ailleurs, le Fonds d’action sociale et de lutte contre les discriminations, en 2001. Cette réorientation correspond à une lecture renouvelée de la question culturelle liée aux migrations : la prégnance des discriminations fondées sur l’origine culturelle engage les politiques à résoudre la question du vivre ensemble en développant des outils de lutte contre les discriminations 2. Cette nouvelle impulsion correspond d’ailleurs à une directive de l’Union européenne 3. Or cette évolution se traduit par le passage d’une logique d’intégration à une logique de représentation du point de vue de la politique culturelle. L’idée n’est plus tant de faire participer les populations immigrées à des projets culturels que de représenter leur contribution à part égale avec le reste de la société. Elle se concrétise dans deux domaines : la promotion de la 1 Haut Conseil à l’intégration, Liens culturels et intégration, 1995, p. 41. 2J.-M. Belorgey, Lutter contre les discriminations, Rapport à Madame la ministre de l’Emploi et de la Solidarité, multigraphié, 1999. 3Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 54 16/12/2013 15:32:16 diversité dans les médias et la reconnaissance de la contribution des immigrés dans l’histoire nationale. La promotion de la diversité dans les médias est fortement soutenue par le Haut Conseil à l’intégration qui y voit un moyen efficace et symbolique de faire évoluer les représentations 1. Le recours aux médias de masse fait écho à l’émission Mosaïque, qui visait aussi à changer le regard sur les immigrés. Cependant, au milieu des années 1970, ce qui apparaissait primordial était de faire connaître leurs cultures. Après l’arrêt de l’émission en 1986, les personnes en charge des programmes avaient estimé que les temps avaient changé et qu’il fallait passer d’émissions spécifiques à la diffusion des questions d’immigration dans l’ensemble des programmes 2. La question de la présence de personnes d’origine immigrée dans les programmes (présentateurs, présentatrices ou personnages de fiction) prend le relais dans cette réflexion plus large sur diversité et représentation médiatique. À partir de 2007 est mise en place la commission Images de la diversité, qui réunit le Fasild, devenu l’Acsé (Agence pour la cohésion sociale et l’égalité des chances) en 2006, et le Centre national de la cinématographie. Elle accorde un soutien financier à des projets audiovisuels ou cinématographiques qui abordent les questions de diversité, d’immigration ou de discrimination 3. 55 Quant à la reconnaissance de la contribution des immigrés à la société, elle est actée par la multipli1Haut Conseil à l’intégration, Bilan de la politique d’intégration 2002-2005, Paris, La Documentation française, 2006. 2 C. Humblot, « Les émissions spécifiques : de Mosaïque à Rencontres », in Migrations, sociétés, 1989, v.1, no 4. 3L’Acsé/CNC, Commission Images de la diversité. Bilan chiffré du premier mandat 2007-2010, 2010, 26 p. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 55 16/12/2013 15:32:17 56 cation des projets mémoriaux soutenus par l’Acsé. Dès 2005 est ainsi lancé le programme de recherche « Histoire et mémoires des immigrations en régions aux XIXe et XXe siècles » qui propose des récits historiques sur l’immigration pour vingt-deux régions françaises (départements d’outre-mer inclus) réalisés par des équipes de recherche et des associations 1. Sur le modèle de l’association Génériques à Paris qui a publié en 1999 un guide des fonds publics et privés des archives sur l’immigration 2, on voit se multiplier des initiatives locales et la mise en réseau d’associations locales pour la mémoire de l’immigration en région : le Réseau Traces qui porte la Biennale « Mémoires d’immigrés » dans la région Rhône-Alpes, le réseau aquitain pour l’histoire et la mémoire de l’immigration et le Réseau pour l’histoire et la mémoire des immigrations et des territoires en Provence-Alpes-Côte-d’Azur 3». Enfin, un nouvel épisode politique porte à l’échelle nationale la question de la représentation de l’immigration et justifie l’investissement du ministère de la Culture autour de la création d’une Cité nationale de l’histoire de l’immigration. C’est la victoire de Jacques Chirac à l’élection présidentielle de 2002, grâce à un vote massif contre le Front national, qui pousse ses conseillers à faire un geste pour rendre hommage au sursaut antiraciste et républicain des électeurs français. Il se concrétise par la 1« Histoire des immigrations. Panorama régional », volume I, Hommes & Migrations, no 1273, mai-juin 2008, et « Histoire des immigrations. Panorama régional », volume II, Hommes & Migrations no 1278, mars-avril 2009. 2Association Générique, Les Étrangers en France. Guide des sources d’archives publiques et privées (XIXe-XXe siècles), Paris, Génériques/Direction des Archives de France, 3 tomes, 1999. 3Pascal Blanchard, « Histoire, patrimoine et mémoire dans les territoires de la politique de la Ville ». Rapport au ministre délégué chargé de la politique de la Ville, 2013. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 56 16/12/2013 15:32:17 mission de préfiguration d’un « Centre de ressources et de mémoires de l’immigration » confiée à Jacques Toubon, en 2003. En réalité, le projet de créer un Musée de l’immigration avait fait l’objet d’une demande de subvention dès 1986 par Driss El Yazami et Majid Daboussi au ministère de la Culture. Malgré un avis favorable, le changement politique avait interrompu le financement. Ensuite, le rapport de l’Association pour un Musée de l’histoire de l’immigration remis aux responsables politiques en 1991 n’avait rencontré qu’un faible écho auprès du gouvernement socialiste de Lionel Jospin 1. Il faut donc attendre la volonté politique de faire entrer l’expérience migratoire dans la représentation nationale pour que le projet voie le jour. 57 Photographie de l’exposition Repères du Musée de l’histoire et des cultures de l’immigration. Paris, 2007. © Awatef Chengal, Coll. du Musée de l’histoire de l’immigration. 1AHMI, Rapport de l’Association pour un Musée de l’histoire de l’immigration, Paris, AMHI, 1991. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 57 16/12/2013 15:32:17 La Cité nationale de l’histoire de l’immigration ouvre ses portes en octobre 2007 et compte le ministère de la Culture parmi ses tutelles. La question de la représentation de l’expérience migratoire en musée a donné lieu à une réflexion artistique et scientifique quant au choix du format adopté 1. C’est une articulation entre art, histoire et témoignages qui a été privilégiée : l’exposition permanente du musée fait dialoguer œuvres d’artistes et jalons historiques au sujet de l’histoire de l’immigration en France (documents, dons personnels et photographies). Elle reflète l’exigence artistique du ministère de la Culture et le projet politique de représenter la contribution de l’immigration à la société française. 58 L’investissement du ministère de la Culture sur la thématique de l’immigration intervient à des moments précis – dans les années 1980 et dans les années 2000 – durant lesquels la thématique de l’immigration entre dans la symbolique étatique. Alors, il s’agit moins des cultures des autres – les cultures des immigrés prises au sens anthropologique du terme – que de la représentation de l’expérience migratoire au sein du patrimoine artistique français. Cet investissement en pointillé du ministère de la Culture permet d’apprécier son pouvoir de légitimation : en faisant entrer dans ses prérogatives la question de l’immigration, il démontre qu’elle est une thématique qui participe pleinement de la culture française. 1J. Toubon, Mission de préfiguration du Centre de ressources et de mémoires de l’immigration, Paris, La Documentation française, 2004. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 58 16/12/2013 15:32:17 L’immigration en musée La Cité nationale de l’histoire de l’immigration n’est pas le premier ni le seul musée à évoquer l’expérience migratoire. Chaque initiative, par son histoire et le type de financement qu’elle reçoit, reflète un rapport différent du pays à la culture et à l’immigration. Aux États-Unis, le musée d’Ellis Island met en scène l’arrivée des immigrés aux États-Unis. Sur cette île située tout près de la statue de la Liberté, à New York, quelque 12 millions d’immigrés ont été enregistrés à leur arrivée entre 1855 et 1917 (seulement 2% étaient renvoyés chez eux, la plupart du temps pour des raisons médicales). Fermés en 1954 et laissés à l’abandon, les bâtiments d’Ellis Island ont pu être rénovés et ouverts au public grâce à la création d’une fondation qui a réuni 156 millions de dollars en dons privés. En tant que lieu historique, Ellis Island fait partie du National Park Service, mais c’est le rôle central de la mémoire de l’immigration dans l’histoire américaine qui a permis une telle levée de fonds auprès des citoyens américains et la création du musée sur des fonds privés. Le musée continue sa recherche de dons et offre la possibilité à tout individu de faire figurer le nom d’un ancêtre sur le mur de la mémoire, qu’il soit ou non passé par Ellis Island, puisque les États-Unis comptent de nombreux autres ports d’entrée (San Francisco, la frontière mexicaine et, maintenant, les aéroports). À Manhattan, le Tenement Museum reconstitue la vie des immigrés dans un des quartiers emblématiques de l’histoire de l’immigration de la ville, le Lower East Side. Les « tenements » étaient des bâtiments caractéristiques de cette partie de la ville où résidaient des locataires (tenents) et qui ont abrité de nombreux immigrés à leur arrivée. À l’initiative d’un historien et d’un militant, le musée, qui présente une série d’appartements de familles immigrées à différentes époques, fonctionne également sur fonds privés mais reçoit aussi des subventions de la ville et de l’Agence fédérale pour l’enseignement des sciences humaines (National Endowment for Humanities) en raison de sa mission éducative. L’histoire de l’immigration figure dans les programmes scolaires américains. Au Royaume-Uni, le Musée de l’immigration du 19 Princelet Street est aussi une initiative venue de la société civile, qui vise à célébrer les différentes vagues migratoires qui se sont succédé dans le quartier de Bricklane, à Londres. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 59 59 16/12/2013 15:32:17 60 À travers la visite d’une maison construite par des huguenots fuyant la France en 1719, est évoquée l’arrivée de juifs immigrés d’Europe centrale (une synagogue est construite dans la cour en 1819), d’Irlandais, de Bengalis et, plus récemment, de Somaliens. Fonctionnant sur fonds privés, le bâtiment n’est ouvert au public que sur demande et les difficultés que rencontrent les initiateurs du projet à établir le musée de manière permanente reflètent le choix britannique de privilégier les expressions des minorités ethniques par groupes et non à travers une expérience commune comme celle de l’immigration. En Australie, le Musée de l’immigration de Melbourne a ouvert ses portes en 1998 dans un ancien bureau des douanes où ont été enregistrés de nombreux arrivants, à la manière d’Ellis Island. Cependant, à la différence du musée d’Ellis Island, il s’agit d’une initiative du gouvernement de l’État de Victoria et le musée est intégré à l’ensemble de ses musées. Il a été créé pour célébrer la diversité culturelle de l’Australie dans un contexte de promotion de la politique multiculturelle de cet État. Voir Hommes & Migrations, no 1293 (2011), « L’immigration dans les musées, une comparaison internationale ». Immigration dans les politiques-MEP3.indd 60 16/12/2013 15:32:17 Conclusion La construction d’un champ d’intervention publique autour des cultures immigrées tient à l’appréhension des immigrés comme différents et devant être adaptés à la société française. Cependant, on ne peut s’arrêter à cette prise en compte des cultures immigrées au sens anthropologique du terme, c’est-à-dire l’ensemble des pratiques et des symboles d’un groupe. Le ministère de la Culture a contribué à donner une signification artistique à la définition de ce que l’on entend par culture dans le contexte des politiques publiques françaises, et les politiques culturelles qui ont été mises en œuvre en direction des immigrés ont également pris en compte cette tonalité artistique. Des projets culturels reçoivent ainsi le soutien de l’État par l’intermédiaire de subventions (attribuées par le Fonds d’action sociale, devenu l’Agence pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, Acsé, en 2005) dans la mesure où ils s’intègrent dans les structures locales et touchent des publics composés de personnes issues de l’immigration. Avec l’ouverture, en 2007, de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, c’est un nouveau champ d’intervention qui s’est affirmé concernant la patrimonialisation de l’expérience migratoire et de ses apports culturels. 61 Par rapport à d’autres pays d’immigration qui se sont engagés plus tôt dans la célébration de l’histoire de l’immigration (les États-Unis) ou qui ont fait le choix de valoriser les spécificités culturelles Immigration dans les politiques-MEP3.indd 61 16/12/2013 15:32:17 des groupes (le Royaume-Uni), la politique culturelle française vise, elle, à démontrer le pouvoir intégrateur de sa société à travers les représentations artistiques. Elle accorde une importance primordiale à la qualité des productions soutenues pour démontrer qu’artistes immigrés et artistes français sont traités de manière égale. Elle met en scène la rencontre des cultures et les points communs dans la vie des immigrés pour faire ressortir l’universalité de l’expérience migratoire. 62 L’introduction de la thématique de l’immigration dans le champ d’intervention du ministère de la Culture garantit que les populations immigrées ou issues de l’immigration sont comprises dans ce qui constitue la culture nationale. Dans un pays où près d’un Français sur quatre est lié à l’immigration de par son histoire personnelle, le fait que cette expérience soit intégrée à l’ensemble des représentations étatiques contribue à ce que chacun puisse se reconnaître dans le récit national. Immigration dans les politiques-MEP3.indd 62 16/12/2013 15:32:17 Bibliographie ❚❚ Véronique BAUX, Josée CHAPELLE, Les Enfants de l’immigration. 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Immigration dans les politiques-MEP3.indd 70 16/12/2013 15:32:18 Immigration dans les politiques-MEP3.indd 71 16/12/2013 15:32:18 Immigration dans les politiques-MEP3.indd 72 16/12/2013 15:32:18