Les indicateurs de biodiversité forestière - GIP

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représentants des mondes scientifique, institutionnel, professionnel et associatif. Animée par le Gip Ecofor
avec le soutien des ministères en charge du développement durable et de l’agriculture, cette réflexion rassemble des
considérations variées, tantôt analytiques, tantôt synthétiques, sur les indicateurs de biodiversité des forêts et au-delà,
sur la biodiversité elle-même. Elle donne un aperçu de la variété des approches existantes qui adoptent des points de
vue allant de la recherche au développement et jusqu’à la gestion tout en invitant à l’amélioration continue des jeux
d’indicateurs. Elle illustre également la nécessité d’élaborer des indicateurs supplémentaires, à différents niveaux et dans
plusieurs domaines, qui répondent à des objectifs clairs. De ce travail, il ressort la nécessité de continuer à progresser sur
cette thématique à forts enjeux, tout en raisonnant en la matière avec un certain recul. Puisse cet ouvrage constituer le
point de départ pour de futures investigations et mises en pratique.
ISBN 978-2-914770-07-7
Synthèse des réflexions issues du programme de recherche «Biodiversité, gestion forestière et politiques publiques»
d’une démarche collective menée pour et avec les acteurs de la gestion durable des forêts que sont les
LeS INdICateurS de BIodIverSIté foreStIère
C
et ouvrage sur les indicateurs écologiques et socio-économiques de biodiversité forestière est le fruit
Les indicateurs
de biodiversité forestière
Synthèse des réflexions issues du programme de recherche
«Biodiversité, gestion forestière et politiques publiques»
Coordonné par Cécile Nivet, Ingrid Bonhême et Jean-Luc Peyron
Les indicateurs
de biodiversité forestière
Synthèse des réflexions issues du programme de recherche
«Biodiversité, gestion forestière et politiques publiques»
Coordonné par Cécile Nivet*, Ingrid Bonhême* et Jean-Luc Peyron**
*Chargée de mission, Gip Ecofor
**Directeur, Gip Ecofor
© Gip Ecofor, MEDDE, 2012, 1ère édition.
Citation recommandée (pour l’ouvrage complet) :
Coordonné par Cécile Nivet, Ingrid Bonhême et Jean-Luc Peyron, 2012.
Les indicateurs de biodiversité forestière.
Synthèse des réflexions issues du programme de recherche
«Biodiversité, gestion forestière et politiques publiques».
Paris, Gip Ecofor-MEDDE, 144 p.
ISBN 978-2-914770-05-7
Ministère de l’écologie, du Développement durable et de l’énergie.
92055 La Défense Cedex.
Tél : 01 40 81 21 22.
Gip Ecofor
42 rue Scheffer, 75116 Paris.
Tél : 01 53 70 21 70.
Conception graphique : Nathalie Boutté
Tél : 01 48 58 19 86.
Couverture : Nathalie Boutté.
Crédits photographiques (couverture) : François Lebourgeois et Jean-Luc Peyron
6
« Les indicateurs de biodiversité offrent
l’opportunité de créer des passerelles
entre le monde des experts et celui des profanes,
entre celui de la science et celui de la politique,
en facilitant l’émergence d’un langage commun
à propos de cet objet qu’est la biodiversité »
Harold levrel, 2007
Au sein du Gip Ecofor, Harold Levrel a assuré pendant deux ans
l’animation de la réflexion sur les indicateurs de biodiversité en
forêt, qui a finalement permis la concrétisation de cet ouvrage.
Qu’il soit ici remercié pour son dynamisme et l’ensemble de ses
apports.
Ont également contribué à la démarche, au sein du Gip Ecofor
et outre les coordonnateurs Cécile Nivet, Ingrid Bonhême et
Jean-Luc Peyron : Awa Ba, Viviane Appora, Marjolaine Billaud,
Marie Cipière, Patrizia Foti-Délu, Wilfried Heintz, Marie-Hélène
Lagarrigue, Guy Landmann, Natacha Massu et Bernard Riéra.
Cet ouvrage n’aurait évidemment pas pu voir le jour sans les financements du ministère en charge du développement durable,
du ministère en charge de l’agriculture et d’un autofinancement
du Gip Ecofor.
Que soient aussi remerciés tous les participants aux ateliers de
réflexion, tous les auteurs et les membres du Conseil scientifique
du programme de recherche « Biodiversité, gestion forestière
et politiques publiques », en particulier Frédéric Gosselin, Hervé
Jactel et ses deux présidents successifs Claude Millier et Meriem
Fournier.
L’ouvrage doit enfin beaucoup à sa mise en forme : merci à
Nathalie Boutté pour la réalisation de cette maquette colorée
et à François Lebourgeois pour ses talents de photographe
(couverture).
7
Sommaire
10
Préface
12
Avant-propos
14
Claire Hubert (MEDDE)6
Mériem Fournier (AgroParisTech)6
Introduction
Cécile Nivet (GIP ECOFOR) 6
19 Partie I - les indicateurs écologiques
21
de biodiversité forestière
les indicateurs écologiques de biodiversité forestière :
questions introductives
Ingrid Bonhême (GIP ECOFOR)
41
évaluation des indicateurs nationaux de biodiversité forestière
1
1
1
Cécile Nivet (GIP ECOFOR), Marion Gosselin (IRSTEA) et Hélène Chevalier (IGN)
57
Pourquoi et comment construire un indicateur composite de la biodiversité
en forêt ?
Jean-Luc Peyron (GIP ECOFOR)
59
73
Utilité des indicateurs taxonomiques de biodiversité forestière
Cécile Nivet (GIP ECOFOR), Frédéric Gosselin (IRSTEA) et Marion Gosselin (IRSTEA)
l’Indice de biodiversité potentielle (IBP) : un indicateur composite pour
intégrer la diversité taxonomique ordinaire dans la gestion forestière
Laurent Larrieu (INRA) et Pierre Gonin (CNPF-IDF)
79
Indicateurs de la diversité intra-spécifique chez les arbres forestiers
Éric Collin (IRSTEA), François Lefèvre et Sylvie Oddou-Muratorio (INRA)
1
1
1
1
83 Partie II - les indicateurs socio-économiques
85
de biodiversité forestière
Quelle contribution socio-économique à la production d’indicateurs
de biodiversité ?
Jean-Luc Peyron (GIP ECOFOR)
8
1
Sommaire
91
les services écosystémiques offerts par la biodiversité forestière
97
les fonctions écologiques offertes par la biodiversité
Harold Levrel (IFREMER, GIP ECOFOR à l’époque où l’article a été rédigé)
Mathilde Bouvron (MNHN)
103
l’identification ordinaire de la biodiversité. en dehors du Codex,
des indicateurs ordinaires de biodiversité
Richard Raymond (CNRS)
109
Indicateurs de perception sociale de la biodiversité en milieu
forestier
Daniel Terrasson et Sophie Le Floch (IRSTEA)
115
la biodiversité comme enjeu stratégique pour l’entreprise.
l’indicateur d’interdépendance de l’entreprise à la biodiversité
Joël Houdet (Orée/Synergiz), Béatrice Bellini (Université de Versailles
Saint-Quentin-en-Yvelines) et Marc Barra (Natureparif , Université d’Orsay à l’époque
où l’article a été rédigé)
123 Quelques caractéristiques de la forêt privée sous l’angle de la biodiversité
Pierre Beaudesson (CNPF)
l’empreinte écologique des sociétés humaines sur les forêts
127 évaluer
Daniel Vallauri (WWF)
133 Suivi des aires protégées en afrique centrale : vers une analyse objective
des liens entre biodiversité et développement
Guillaume Lescuyer (CIRAD)
139 développer des outils opérationnels pour atteindre nos objectifs
écologiques
Brice Quenouille et Philippe Thiévent (CDC Biodiversité)
141 Conclusion
Jean-Luc Peyron, Cécile Nivet et Ingrid Bonhême (GIP ECOFOR)
9
Préface
l
a biodiversité est une notion d’une exceptionnelle ampleur. elle englobe la variété de la vie
à toutes les échelles (du local au global, du
court au long terme) à tous les niveaux (génétique,
spécifique, écosystémique), sous tous les angles (du
structurel au fonctionnel, de l’artificiel au naturel).
elle se trouve ainsi à la base d’enjeux essentiels, non
seulement pour les espèces végétales, fongiques et
animales, mais surtout pour les sociétés humaines.
ainsi, faire progresser les politiques en faveur de la
biodiversité par la connaissance de ses différentes
facettes est un véritable défi. le ministère en charge
du développement durable (Medde) s’emploie à le
relever aux côtés de nombreux partenaires français
et étrangers. le programme de recherche « Biodiversité, gestion forestière et politiques publiques » (BGF)
est l’un des outils de progrès que le Ministère s’est
donné en association avec le ministère en charge de
l’agriculture. Une communauté scientifique a ainsi
été constituée dans le cadre d’une animation qui a
été confiée depuis l’origine au groupement d’intérêt
public ecofor (GIP ecofor). de nombreux projets de
recherche ont été conduits et des débats se sont tenus autour de leurs résultats.
10
la volonté constante du Medde est de faire le lien
entre les résultats de recherche et la mise en œuvre
de ses politiques.
dans une culture désormais acquise de contrôle des
performances des politiques et des projets publics,
les indicateurs sont devenus un outil indispensable.
Constatant un manque flagrant dans ce domaine
pour la biodiversité forestière, le comité d’orientation du programme BGF a souhaité que le GIP ecofor,
en lien avec le Conseil scientifique, anime des débats
et un travail sur les indicateurs de biodiversité forestière.
Cet ouvrage, résultat de ce travail de réflexion et
d’animation, est proposé à votre lecture. Il établit
une référence et témoigne de la réflexion collective
sur ce sujet. Il permettra de développer les recherches et d’orienter l’action au cours des années qui
viennent.
Il met notamment en évidence la difficulté de
construire des indicateurs de biodiversité forestière
simples et pourtant fiables. Pour illustrer ce problème, il suffit de regarder de façon comparative
les approches des deux grandes conventions internationales relatives au climat, d’une part, à la diversité biologique, d’autre part. elles sont extrêmement différentes mais ont au moins en commun de
s’appliquer toutes les deux à la forêt. dans le cas
du climat, la tonne d’équivalent dioxyde de carbone
constitue une unité de mesure assez simple et générale pour faciliter l’émergence d’indicateurs pertinents, à défaut de régler l’ensemble des problèmes.
dans le cas de la biodiversité, l’absence d’une telle
unité commune complique l’analyse et encore plus
la synthèse de l’information par quelques indicateurs
seulement.
Ma recommandation avant d’amorcer la lecture de
cet ouvrage est de ne pas oublier que les indicateurs sont avant tout des outils au service d’objectifs
préalablement définis. la fixation de ces objectifs
suppose une bonne connaissance des mécanismes
biologiques en jeu. de fait, politiques, indicateurs et
connaissances doivent progresser de concert, dans
une boucle d’amélioration progressive.
l’ouvrage qui vous est ici proposé n’aplanit évidemment pas tous les obstacles. Mais en rassemblant
une somme de connaissances, en présentant des
synthèses et en produisant une analyse, il suggère
des pistes de progrès et se situe donc dans cette
boucle d’amélioration.
Je remercie tout particulièrement les experts, gestionnaires et oNG qui ont participé à cette aventure, le GIP ecofor qui les a accompagnés, les membres du Conseil scientifique du programme BGF qui
s’y sont investis sous l’autorité des deux présidents
successifs Claude Millier et Meriem Fournier. Ils ont
ainsi significativement contribué à développer le
service rendu par la recherche et le développement
à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques
publiques. n
La présidente du comité d’orientation du programme
« Biodiversité, gestion forestière et politiques
publiques »,
Claire Hubert
Chef du service de la recherche,
Direction de la recherche et de l’innovation
Commissariat général au développement durable
Ministère de l’écologie, du développement durable
et de l’énergie
11
Avant-propos
l
’intégration des enjeux relatifs à la conservation
de la biodiversité dans les politiques de gestion
de l’espace et d’aménagement du territoire est
désormais acquise. l’état français s’est notamment
engagé, dans le cadre de la publication de la Stratégie nationale pour la biodiversité 2011-2020, à
lancer de nouvelles actions en faveur de la biodiversité. les programmes et projets de recherche sont
nombreux1 qui cherchent à formaliser ce concept de
biodiversité en étudiant (i) les interactions entre ses
différentes composantes (gènes, espèces, paysages),
(ii) les relations entre les diversités observées, leurs
dynamiques et les services rendus via les méthodes
de l’écologie fonctionnelle, évolutive et des communautés ainsi que (iii) les interactions entre enjeux de
la biodiversité et actions de conservation d’une part,
entre enjeux de la biodiversité et fonctionnement
des systèmes politiques, économiques, sociologiques
ou juridiques d’autre part.
la biodiversité peut se concevoir comme l’ensemble
des processus et des fonctions qui contribuent au
maintien de la vie, offrant en retour aux sociétés
humaines des services essentiels (régulation du climat, photosynthèse, production de biomasse, etc.).
les scientifiques (à l’origine du concept de biodiversité) ainsi que l’ensemble des représentants de la
société sont conscients que la complexité de cette
notion et les incertitudes qui la caractérise sont a
priori peu compatibles avec le temps de l’action et
de la prise de décision. Mais ces derniers savent aussi
que ces incertitudes, bien que réelles, ne permettent
pas d’attendre, que des décisions doivent être prises
même si elles se basent sur des outils d’observation
et d’évaluation encore bien mal formalisés.
la biodiversité offre aujourd’hui un grand potentiel pour le développement d’une recherche-action basée sur des synergies entre les acteurs de
la recherche, de la décision et de la gestion d’espaces et de ressources. Précurseur en la matière,
le programme de recherche « Biodiversité, Gestion
forestière et Politiques publiques » (BGF) a été
lancé en 1996 à l’initiative du ministère en charge
du développement durable et du Gip ecofor, avec
le soutien du ministère en charge de l’agriculture
Issus de l’Agence nationale de la recherche (exemple : le programme Era-net BiodivERsA) et du ministère en charge du développement durable au niveau national ou du septième programme cadre au niveau européen.
1
12
pour aborder la biodiversité sous l’angle de la gestion du territoire et plus précisément des forêts.
étalées sur le tiers du territoire métropolitain et
sur des millions d’hectares dans les territoires
d’outre-mer (tant insulaires que continentaux),
ces forêts sont soumises à une variabilité exceptionnelle de conditions climatiques et de modes
de gestion et apparaissent ainsi comme un milieu
et un patrimoine emblématique du point de vue
de la biodiversité.
les questions récurrentes que soulève la gestion de
la biodiversité en forêt – relatives aux impacts de
la sylviculture et du changement global, à la définition de l’état de référence, au choix de l’échelle
spatiale et temporelle (incluant les interactions
forêts/autres milieux), au passage de l’existence
à la valeur, à la perception et à l’appropriation du
concept par les acteurs – partent d’une caractérisation a priori de la biodiversité, qui se traduit en général par l’élaboration de méthodes opérationnelles
d’observations et de mesures. l’une d’elle consiste
à élaborer – et cela n’a rien d’implicite ni d’immédiat –, des indicateurs de biodiversité pour donner
en particulier un aperçu, sous la forme d’une information simple, quantifiable et reproductible, de
l’état et de l’évolution de la biodiversité, elle-même
très multiforme selon le point de vue adopté (économique, naturaliste, politique, citoyen), le milieu
étudié (réserve, forêt « ordinaire » multifonctionnelle, forêt tropicale, forêt de production, etc.) ou
encore l’échelle considérée (du territoire plus ou
moins grand à la propriété individuelle, du suivi sur
quelques années à la construction de scénarios sur
cinquante ans et plus).
le programme BGF a donc initié et soutenu la réalisation de cette réflexion d’ouverture sur les indicateurs de la biodiversité forestière. Certains auteurs
des articles qui suivent ont été impliqués dans l’animation ou la réalisation des projets de recherche du
programme, d’autres ont été invités spécifiquement
en raison de leurs compétences. l’objectif était de
rendre compte de façon large sinon consensuelle
des indicateurs utilisés ou en développement et
d’initier le débat entre différents points de vue en
couplant réflexions et retour d’expériences. n
Mériem Fournier (AgroParisTech)
Présidente du Conseil scientifique du programme
« Biodiversité, gestion forestière et politiques
publiques »
13
Introduction
les indicateurs écologiques et socio-économiques
de biodiversité forestière
C
’est au sein de la communauté des naturalistes que le terme de « biodiversité » a
fait son apparition dans les années quatrevingt. Complexe et subtile dans son fonctionnement d’une part, menacée dans son intégrité et
fondamentale pour les sociétés humaines d’autre
part, la biodiversité s’est rapidement émancipée
du cadre strict des sciences biologiques, acquérant
bientôt une dimension économique, sociale mais
aussi morale et éthique (cf. Peyron, page 85). la
Convention sur la diversité biologique, adoptée
en 1992 lors du Sommet de la Terre à rio de Janeiro, a accompagné cette prise de conscience, en
reconnaissant notamment l’importance des services offerts à l’homme par la biodiversité (utilisation durable de la biodiversité) et la responsabilité
de ce dernier dans sa conservation. deux visions
interdépendantes de la biodiversité ont progressivement émergé : centrée sur la compréhension
des processus naturels qui déterminent le fonctionnement des écosystèmes, la première repose
essentiellement sur la description de la structure
et de la composition de la biodiversité à ses diverses échelles. la seconde est à l’inverse davantage
centrée sur la société qui perçoit ces processus, en
recueille les fruits et les perturbe par ses usages ou
pour d’autres motifs.
le présent ouvrage concrétise une réflexion menée
entre 2006 et 2011 sur les indicateurs écologiques
et socio-économiques de biodiversité en milieu forestier. animée par le Gip ecofor avec le soutien des
ministères en charge du développement durable et
de l’agriculture, elle s’est concrétisée par l’organisation de réunions, par la réalisation d’études ciblées
et par la coordination de cette synthèse. Ce travail
est ainsi le fruit d’une expertise collective menée
pour et avec les acteurs de la gestion durable des
forêts que sont les représentants des mondes scientifique, institutionnel, professionnel et associatif.
14
Qu’ils soient ici remerciés pour leur implication à
nos côtés, qui s’est exprimée à fois par le partage de
leurs savoirs et de leurs questionnements.
I. Les indicateurs écologiques
de biodiversité forestière
la prise de conscience politique de la fragilité des
écosystèmes forestiers date du début des années
quatre-vingt-dix. des rendez-vous marquants, pris
à l’échelle internationale et européenne, ont abouti
progressivement à la reconnaissance des besoins de
suivis de la biodiversité forestière et à la construction de séries d’indicateurs conçues à différentes
échelles. la réflexion initiée en 2006 au sein du
programme de recherche « Biodiversité, gestion
forestière et politiques publiques » s’est construite
autour de quelques questions structurantes liées à
la production et à l’utilisation des indicateurs de
biodiversité :
• Des indicateurs pour caractériser quelle biodiversité ?
• Des indicateurs pour quoi faire ? Pour qui ?
• Des indicateurs à quelle échelle spatiale et temporelle ?
• Quelles conditions de réussite ?
Construit autour de ces questions, l’article introductif (Bonhême, page 21) permet de clarifier les
concepts, d’apporter des éléments de cadrage sur
le champ de biodiversité à suivre, sur les liens entre
la nature des données récoltées et les indicateurs
associés et sur les différents acteurs concernés.
Une grille descriptive des indicateurs de biodiversité forestière est ensuite proposée afin de préciser
la signification, la validité et l’usage de chaque
indicateur ainsi que pour caractériser les données
utilisées.
n deux
approches pour appréhender la
biodiversité
les données dont nous disposons actuellement
pour suivre l’état et l’évolution de la biodiversité
forestière sont actuellement peu nombreuses. après
avoir analysé l’existant et pointé ses lacunes, le panel d’experts à jugé pertinent de réaliser plusieurs
études-test, pour (i) évaluer la pertinence du jeu
d’indicateurs nationaux de biodiversité forestière1
(Nivet et al., page 41), (ii) analyser l’utilité des indicateurs taxonomiques de biodiversité forestière
(Nivet et al., page 59) et (iii) caractériser la force des
relations qui existent entre la structure du paysage
(ou de l’habitat local) et la richesse spécifique de
plusieurs groupes taxonomiques (cf. encadré, page
45).
Ces études reposent essentiellement sur deux
grands types d’indicateurs.
Indicateurs de biodiversité construits à partir de
données structurelles
Cette première approche, qualifiée de « structurelle », est actuellement la plus répandue dans le cadre
de la gestion durable des forêts. elle consiste à privilégier l’usage d’indicateurs de biodiversité fondés
sur la récolte de données relatives à la structure des
peuplements, des massifs forestiers et des paysages. Il s’agit donc de données liées, c’est du moins
le présupposé, à la présence ou à l’abondance de
certaines espèces. Cette approche, qui offre généralement aux gestionnaires une information parlante et à moindre coût, s’accompagne néanmoins
d’incertitudes au niveau des liens présumés entre
ce type d’indicateurs et l’état réel de la biodiversité
forestière.
C’est une caractéristique du milieu forestier que
d’avoir mobilisé les données fournies par les inventaires forestiers nationaux pour renseigner les indicateurs de biodiversité. Centrée sur ces derniers, la
synthèse de Nivet et al. (page 41) se base essentiellement sur une étude coordonnée en 2007 par l’Inventaire forestier national (Hamza et al., 2007)2. l’analyse, qui porte sur des thématiques variées allant de la
diversité des essences à la fragmentation du paysage
en passant par le suivi des espèces menacées, des
forêts protégées ou encore du degré de naturalité
des forêts (cf. critère 4 des indicateurs de gestion
durable des forêts françaises métropolitaines, relatif
à la biodiversité), est structurée à partir du modèle
conceptuel de référence Pression-état-réponse, qui
semble adapté à l’évaluation de la durabilité d’un
système de gestion3. l’analyse permet de dégager
les principales améliorations possibles et précise les
besoins prioritaires de recherche à plus ou moins
long terme pour consolider le système d’indicateurs
existant.
les indicateurs nationaux de biodiversité actuellement disponibles ne permettent de fournir que
des vues partielles de la diversité biologique. Pour
acquérir une vision plus synthétique, des auteurs
plaident actuellement pour le développement d’indicateurs de biodiversité basés sur l’intégration de
plusieurs jeux de données ou indicateurs. À l’échelle
nationale, Peyron (page 57) propose ainsi l’élabo-
MAP-IFN, 2006. les indicateurs de gestion durable de forêts françaises, édition 2005. Paris : Ministère de l’Agriculture et de
la Pêche-Inventaire forestier national, 148p.
2
Hamza N., Boureau J.G., Cluzeau C., Dupouey J.L., Gosselin F., Gosselin M., Julliard R. et Vallauri D., 2007. évaluation des indicateurs nationaux de biodiversité́ forestière. Nogent-sur-Vernisson : Gip-Ecofor-Inventaire Forestier National, 133 p.
3
Ce système de classement des indicateurs, qui met la société en position d’acteur vis-à-vis de l’environnement, dépasse la
vision strictement écologique de la biodiversité.
1
15
ration d’un indicateur de biodiversité basé sur les
critères et indicateurs de gestion durable établis au
niveau européen (dans le cadre de Forest Europe4).
Il s’appuie principalement sur les indicateurs du critère 4 d’Helsinki (relatif à la biodiversité) et effleure
ceux du critère 1 (relatif aux ressources forestières).
À l’échelle du peuplement, des initiatives existent
également. l’exemple le plus connu est sans doute
celui de l’Indice de biodiversité potentielle (IBP), un
outil développé en 2008 qui permet à tout propriétaire forestier d’intégrer la biodiversité taxonomique ordinaire dans le cadre de sa gestion courante.
Cet indicateur structurel composite, qui agrège dix
facteurs clés pour lesquels des relations avec les
taxons forestiers sont documentées, cristallise un
certain nombre de critiques, relatives notamment
à la finesse du diagnostic, à la pertinence écologique de l’indice, à la pondération de ses critères, etc.
Cependant, il est inscrit depuis peu dans la Stratégie nationale pour la biodiversité («engagements
de l’état » 2011-2013). les concepteurs de cet outil
ont donc été sollicités a posteriori pour préciser son
domaine d’utilisation, ses limites et envisager ses
perspectives d’amélioration (larrieu et Gonin, page
73).
Indicateurs de biodiversité construits à partir de
données taxonomiques
la seconde approche, qualifiée de « taxonomique »,
consiste au contraire à introduire au sein des jeux
d’indicateurs existants des indicateurs établis à partir de données de richesse ou d’abondance de différentes espèces (ou de tout autre niveau de classification, depuis les allèles jusqu’au groupe d’espèces).
Force est de constater qu’il existe aujourd’hui très
peu d’indicateurs basés sur ce type de données : à
l’échelle européenne, aucun système de suivi global
autre que celui sur les espèces en danger (liste rouge
UICN) n’existe. dans les pays forestiers tels que la
France, où les suivis de biodiversité forestière s’appuient essentiellement sur les données des inventaires forestiers nationaux, les indicateurs taxonomiques sont rares et concernent le plus souvent des
espèces qui ne sont pas forcément les plus forestières, ni les plus menacées (flore vasculaire, oiseaux).
l’ajout de ce type d’indicateurs dans les systèmes
existants permettrait sans doute de mieux évaluer
les pratiques de gestion. la possibilité de compléter
les indicateurs de gestion forestière durable par des
indicateurs taxonomiques de biodiversité est ainsi
étudiée dans la synthèse de Nivet et al. (page 59),
qui se base sur les propositions de Gosselin et dallari
(2007)5. l’article analyse en amont la place que tiennent les suivis taxonomiques de biodiversité en France
et à l’étranger, s’interroge sur les taxons à suivre en
priorité – en lien avec la définition d’objectifs clairs
(veut-on évaluer l’état de la biodiversité ? l’impact
d’une politique sur la biodiversité ? etc.) – et propose
des pistes de réflexion concernant les deux étapes
clés pour la mise en place opérationnelle de ces suivis que sont le type de données à récolter et le plan
d’échantillonnage.
n évaluer
la diversité génétique
des essences forestières
les études-tests menées dans le cadre de cette
réflexion traitent essentiellement de la composante spécifique et paysagère de la biodiversité
forestière. or la biodiversité englobe aussi la variabilité génétique des populations, la diversité
fonctionnelle des communautés ou bien encore
la diversité des écosystèmes. le fait de disposer, à
l’échelle (supra-)nationale, d’indicateurs de la diversité génétique des espèces - en particulier pour
les essences forestières - est aujourd’hui considéré
comme primordial. la diversité intra-spécifique
des arbres tient en particulier une place majeure
dans l’éventail des processus qui déterminent le
potentiel adaptatif des espèces et des écosystèmes forestiers. Pourtant, la palette des indicateurs
de biodiversité actuels ne repose sur le suivi direct d’aucune donnée à cette échelle. l’ampleur de
ce projet n’a pas permis de faire le point sur ce
type d’indicateurs. Néanmoins, des membres de la
Commission des ressources génétiques forestières
ont été sollicités a posteriori pour brosser les perspectives qu’ils nourrissent en la matière. on apprend notamment que la technique du marquage
moléculaire est de plus en plus largement utilisée
Processus pan-européen qui s’appuie sur les Conférences ministérielles pour la protection des forêts en Europe (CMPFE).
Gosselin F. et Dallari R., 2007. des suivis « taxonomiques » de biodiversité en forêt. Pourquoi ? Quoi ? Comment ? Nogentsur-Vernisson : Gip Ecofor-Cemagref, 119 p.
4
5
16
à mesure que son potentiel d’analyse augmente et
que son coût décroît (Collin et al., page 79).
II. Les indicateurs socioéconomiques de biodiversité
forestière
depuis la publication du rapport d’évaluation des
écosystèmes pour le millénaire (Mea, 2005)6, diverses initiatives ont remis en exergue l’importance de
la biodiversité et des implications que représente
son érosion d’un point de vue économique et social. Citons notamment, à l’échelle internationale,
la publication en 2010 d’une étude coordonnée par
Pavan Sukhdev qui montre, à travers une analyse
coûts-avantages, l’intérêt d’agir contre l’érosion de
la biodiversité et la dégradation des écosystèmes
(de l’économie des écosystèmes et de la biodiversité, 2010). À l’échelle nationale, la publication, par
le Conseil d’analyse stratégique, de travaux relatifs
à la prise en compte de la valeur socio-économique
de la biodiversité et des services écosystémiques
(Chevassus-au-louis et al., 2009)7 et de l’impact
des subventions publiques et des dépenses fiscales
sur la biodiversité (Guillaume Sainteny et al., 2011)8
concrétisent également l’intégration de la dimension socio-économique de la biodiversité dans les
politiques publiques.
la biodiversité se trouve ainsi en étroite relation avec
les activités humaines qu’elle alimente ou favorise et
qui, parallèlement, l’affectent ou contribuent à sa
sauvegarde, voire à son développement. Pour caractériser ces relations, des représentants du monde de
la recherche et des milieux professionnel et associatif
ont été sollicités sous la forme de contributions écrites, introduites par l’article de Peyron (page 85). Ils
abordent les indicateurs de biodiversité sous l’angle
des services écosystémiques offerts par la forêt (levrel, page 91), des impacts que celle-ci subit (Houdet
et al., page 115 ; Beaudesson, page 123 ; vallauri,
page 127) et des réponses qui peuvent être apportées
pour éviter ces derniers, les réduire ou les compen6
ser (lescuyer, page 133 ; Quenouille et al., page 139)
selon l’importance qu’ils tiennent des points de vue
des représentations sociales (raymond, page 103 ;
Terrasson et al., page 109) comme du fonctionnement écologique (Bouvron, page 97). Ces articles ne
constituent en aucun cas un recueil d’indicateurs
que chacun pourrait mobiliser pour ses besoins. Ils
proposent néanmoins des pistes dans cette direction,
qui permettent de prendre conscience de l’ensemble
du domaine à décrire et d’éviter certains écueils.
Pour conclure, comme l’ont écrit Chevassus-au-louis
et al. (2009), « notre connaissance de la biodiversité,
de sa relation avec les fonctions et services que les
sociétés humaines s’y procurent, de sa magnitude
et des processus qui régissent son évolution reste
[…] largement lacunaire ». Si ce recueil d’articles ne
traite pas de la biodiversité forestière dans toutes
ses composantes (et ses interactions), ni à toute ses
échelles (spatiale et temporelle), il offre néanmoins
des pistes de réponse et ouvre des perspectives : il
donne un aperçu de la variété des approches existantes, du point de vue de la recherche et du développement, voire de la gestion et des moyens à
mettre en œuvre pour une amélioration continue des
jeux d’indicateurs. Il illustre également la nécessité
d’élaborer des jeux d’indicateurs supplémentaires
qui répondent à des objectifs clairs, en particulier
pour évaluer l’état de la biodiversité et l’impact des
politiques publiques sur cette dernière. Ce travail
souligne aussi l’intérêt de créer des passerelles entre
les sciences économiques et sociales et les sciences
écologiques pour affiner l’efficacité opérationnelle
des jeux d’indicateurs de biodiversité forestière, tout
comme celle des indicateurs de gestion durable des
forêts françaises. dans l’esprit du Grenelle de l’environnement, cette publication s’inscrit enfin dans un
processus d’ouverture de la communauté des spécialistes à l’ensemble de la société et à la diversité des
utilisateurs de ce type d’indicateurs. n
Cécile Nivet
Chargée de mission pour le Gip Ecofor
Millenium Ecosystem Assessment (MEA), 2005. ecosystem and Human Well-Being: synthesis. Island Press,137p.
Chevassus-au-Louis B., Salles et J-M, Pujol J-L, 2009. rapport du Centre d’analyse stratégique : approche économique de la
biodiversité et des services liés aux écosystèmes. La Documentation française, 376p.
7
8
Sainteny G., Salles J-M., Duboucher P., Ducos G., Marcus V., Paul E., Auverlot D. et Pujol J-L., 2011. rapport du Centre d’analyse
stratégique : les aides publiques dommageables à la biodiversité. Centre d’analyse stratégique, 333p.
17
18
PArtIe I
Les indicateurs
écologiques
de biodiversité
forestière
19
20
les indicateurs écologiques de biodiversité forestière :
questions introductives
Ingrid Bonhême*
*Gip Ecofor
Introduction
au lancement en 2006, par le programme « Biodiversité gestion forestière et politique publiques
» (BGF), d’une animation scientifique sur les indicateurs de biodiversité forestière, étaient à la fois
présentes une grande perplexité et une forte attente.
Une grande perplexité d’abord, dans la mesure où
la disponibilité en indicateurs de biodiversité forestière était mince et où les potentialités d’études du
domaine pour en développer de nouveaux était au
contraire extrêmement étendues : par où commencer, quelles sont les priorités ? le panel d’experts
réunis au cours de ce travail a permis de sérier les
questions principales auxquelles il faut d’abord répondre et les points primordiaux qu’il ne faut pas
oublier lorsque l’on souhaite développer des indicateurs de biodiversité forestière. Certains de ces
questionnements ont donné lieu à des études dont
les apports sont repris dans cette partie introductive mais aussi dans les parties suivantes.
Une forte attente aussi, puisque les engagements
français en termes de biodiversité commençaient à
se concrétiser sur le territoire national : Convention
sur la diversité biologique, Conférences ministérielles sur la protection des forêts en europe (devenu
Forest Europe par la suite) et leurs déclinaisons
nationales. enfin, de manière générale, la prise
de conscience des problématiques de biodiversité
dépassait la communauté scientifique pour toucher de plus en plus le grand public, les acteurs de
terrain et les décideurs et il devenait donc urgent
de se rattacher à quelques éléments simples mais
pertinents pour suivre l’évolution de la biodiversité
et communiquer autour de celle-ci dans les différentes sphères concernées.
Cette partie introductive concerne les indicateurs
écologiques de biodiversité forestière ; elle s’attache à reprendre en les commentant les grandes
questions qui ont été posées par les experts du
panel assemblé par le Gip ecofor à cette occasion
dans le but de délimiter le cadre d’un système de
suivi de la biodiversité forestière.
I. Définitions
Selon la Convention sur la diversité biologique, la
diversité biologique, ou biodiversité, est la « variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins
et autres écosystèmes aquatiques et les complexes
écologiques dont ils font partie ; cela comprend la
diversité des espèces et entre les espèces ainsi que
celle des écosystèmes ».
Chevassus-au-louis et al. (2009) précisent que la
variété des espèces n’est qu’une partie de la diversité biologique ; la diversité au sein des espèces
(diversités génétique et comportementale) est un
autre facteur important de la biodiversité, de même
que la diversité des écosystèmes, la répartition des
êtres vivants sur la planète, les interactions fonctionnelles entre les espèces et la place des différents groupes fonctionnels dans le fonctionnement
de l’écosystème sont des éléments primordiaux
pour caractériser la biodiversité.
levrel (2007a) définit un indicateur comme « un
outil d’évaluation indirecte d’un phénomène qu’il est
trop coûteux de (vouloir) mesurer directement ».
21
les indicateurs de biodiversité sont des outils d’évaluation de la biodiversité construits à partir de données descriptives (qualitatives, quantitatives) mesurées périodiquement et qui permettent de faciliter le
suivi des évolutions relatives à la biodiversité.
les indicateurs de biodiversité forestière sont la
restriction des indicateurs de biodiversité appliqués
au domaine forestier. on distinguera les indicateurs
écologiques de biodiversité forestière qui s’attachent à décrire la biodiversité forestière du point de
vue de l’écologie forestière et les indicateurs socioéconomiques qui traitent de la dimension sociale et
économique de la biodiversité.
II. Des indicateurs pour
caractériser quelle biodiversité ?
la biodiversité est impossible à caractériser dans
son intégralité et c’est pourquoi il est intéressant
de détenir les indicateurs les plus représentatifs
du champ de biodiversité que l’on décide de suivre. dans cette optique, les connaissances écologiques sur les différents niveaux d’organisation de la
biodiversité ou les différents types de biodiversité
permettent, en fonction des objectifs assignés au
suivi, de sérier le champ de biodiversité à suivre
d’une part et les indicateurs les plus représentatifs
de celui-ci d’autre part.
n Niveau d’organisation et types
de biodiversité
la biodiversité est classiquement décrite selon ses
différents niveaux d’organisation, génétique, taxonomique et écosystémique. Par ailleurs, la description de la biodiversité se fait toujours à une échelle
précisée. dans l’analyse de la diversité taxonomique, par exemple, on parle de diversité alpha pour
l’échelle locale (parcelle d’observation), de diversité bêta pour mesurer la ressemblance entre deux
communautés, du point de vue de leur composition
et de diversité gamma à l’échelle d’un ensemble de
communautés (Gosselin et laroussinie, 2004).
Quels que soient l’échelle et le niveau d’organisation de la biodiversité considérés, on peut aussi
répartir ses composantes en fonction d’autres ré22
férences comme, par exemple, leur rareté ou au
contraire leur banalité ou leur rôle dans l’écosystème ou bien leur caractère emblématique pour la
société humaine. C’est ainsi que certains auteurs
distinguent la biodiversité ordinaire, la biodiversité remarquable et la biodiversité fonctionnelle. Gosselin et al. (2009) les décrivent comme
suit.
« La biodiversité remarquable concerne espaces
et espèces rares et/ou menacés, parfois objet de
protections spécifiques (parcs nationaux, réserves, espèces protégées, etc.). En forêt, les espaces
protégés correspondent le plus souvent aux forêts « subnaturelles » et à certains milieux intraforestiers limités, notamment les zones humides.
Utile pour la faune directement liée à ces formations (insectes saproxyliques et chauve-souris,
batraciens), cette politique de réserves nécessairement limitées et réparties sur le territoire a peu
d’impact sur les autres espèces remarquables plus
mobiles, spécifiques de la forêt, telles que grands
mammifères ou oiseaux. Ces espèces font l’objet
des plans nationaux de restauration des espèces
menacées ».
« La biodiversité ordinaire est la biodiversité non
remarquable. C’est pour les citoyens une biodiversité
de proximité. Ses enjeux commencent par l’échelle
locale des écosystèmes, socialement vécue, passent
par l’échelle du paysage et du territoire, socialement
perçue, pour arriver aux niveaux régional, national et
européen, auxquels les analyses des tendances sont
souvent les plus pertinentes – simplement parce que
c’est à ces niveaux qu’on peut espérer produire des
informations fiables avec un coût raisonnable pour
la société ».
La biodiversité fonctionnelle est « […] la partie de la
biodiversité qui joue un rôle important dans le fonctionnement durable des écosystèmes, au sens des
grands flux d’éléments (eau, carbone, minéraux) et
d’énergie ; et au sens des interactions biotiques façonnant l’écosystème (prédation, parasitisme, symbioses,
etc.). Le lien entre biodiversité inter-spécifique ou infra-spécifique et fonctionnement de l’écosystème est
un champ de recherches très actif. À cette biodiversité fonctionnelle sont attachés l’essentiel des « services environnementaux » promus récemment par le
« Millennium ecosystem assessment » (20051). La forêt
y est identifiée pour ses fonctions environnementales,
économiques et sociales (eau, CO2, etc.). Les niveaux
de biodiversité forestière les plus souvent cités dans
ce volet fonctionnel sont la diversité génétique des
arbres, la diversité des organismes du sol et les grands
prédateurs ».
Cette dernière présentation de la biodiversité (ordinaire, remarquable, fonctionnelle) offre l’avantage
de proposer aux décideurs et aux gestionnaires une
vision simplifiée des enjeux écologiques de la préservation.
Cependant, d’autres « typologies de biodiversité »
existent évidemment, on peut par exemple vouloir
analyser la biodiversité en la scindant en biodiversité animale, végétale, microbienne ou en différents
groupes d’organismes ayant des fonctions différentes dans l’écosystème. Ces différentes typologies,
loin de s’opposer, sont complémentaires et renvoient en réalité à des questionnements distincts,
adaptés à des centres d’intérêt bien définis de la
part de ceux qui les utilisent.
n Choix du champ de la biodiversité
à suivre
le choix du champ de la biodiversité à suivre, que
l’on appellera « biodiversité ciblée » par la suite devrait se faire sur la base d’un compromis entre :
• les enjeux et les objectifs des utilisateurs (qui résultent aussi parfois d’arbitrage entre besoins),
• les préconisations des scientifiques, en termes de
validité écologique, de choix des variables et protocole de mesure des données,
• les possibilités techniques et financières de ceux
qui vont assurer la collecte des données et la fabrication des indicateurs.
Comme le suggère levrel (2007b), l’explication du
compromis réalisé devrait être conservée en mémoire dans la perspective d’une amélioration continue des indicateurs.
1
les préconisations scientifiques permettant de faire
un choix d’indicateurs représentatifs de biodiversité
ont été synthétisées par Chevassus-au-louis et al.
(2009) ; il s’agit, à travers la batterie d’indicateurs
choisie, de :
• « rendre compte, à partir d’un nombre nécessairement limité d’entités facilement observables, d’un
ensemble beaucoup plus vaste et encore en grande
partie inconnu ;
• décrire les différents niveaux d’organisation de la
biodiversité (génétique, spécifique, écologique) en
s’appuyant, au moins aujourd’hui, sur des métriques
spécifiques à chaque niveau et incommensurables ;
• dépasser l’inventaire des entités pour prendre en
compte l’importance des interactions entre elles,
que ce soit à court terme comme fondement des
services des écosystèmes ou à long terme comme
moteur de l’adaptation du vivant ;
• percevoir et mesurer, à l’échelle humaine, des variations éventuelles de cette biodiversité et l’évolution des facteurs responsables de ces variations, en
particulier les activités humaines ».
Malgré les progrès scientifiques, on mesure encore
la difficulté de la mise en place d’un panel d’indicateurs répondant à toutes ces conditions.
n Interprétation écologique de
la biodiversité suivie
la part de biodiversité que l’on choisit de suivre, la
« biodiversité ciblée », étant évidemment partielle
par rapport à la globalité de la biodiversité, il est
utile de la resituer dans un cadre plus général sur
la biodiversité du milieu concerné pour en affiner
sa signification écologique. le niveau d’organisation, l’échelle d’analyse et le type de biodiversité
ciblée apportent des éléments pour caractériser la
signification écologique de la biodiversité ciblée.
Pour préciser encore la signification écologique des
variations de l’indicateur ainsi construit, il est également primordial de connaître le lien qui le relie
aux autres composantes de l’écosystème.
Cf. le site http://www.maweb.org
23
ainsi, pour répondre à la question initiale « des indicateurs pour caractériser quelle biodiversité ? », il
faut avant tout clarifier :
• les enjeux et les objectifs du suivi,
• le champ de biodiversité concerné par ces enjeux,
au regard des connaissances scientifiques.
Une fois le champ identifié, les indicateurs les plus
pertinents pour le représenter peuvent être identifiés au vu des connaissances scientifiques en écologie forestière et des possibilités techniques.
III. Des indicateurs écologiques
de biodiversité forestière, pour
quoi, par qui, pour qui ?
depuis les engagements internationaux sur le développement durable (rio, 1992) et ceux qui en ont
découlés (Forest Europe, Convention sur la diversité
biologique), les indicateurs sont l’objet de toutes les
attentions. Ce sont en effet pour l’instant les outils
les mieux adaptés au suivi de l’état des écosystèmes
à grande échelle. au-delà des engagements internationaux, le suivi des évolutions relatives à la biodiversité forestière peut être fait avec des objectifs
divers et concerne des publics variés.
n des indicateurs, dans quels buts ?
les objectifs des utilisateurs
les objectifs assignés aux systèmes de suivi des
indicateurs peuvent être multiples : suivi de l’état
de la biodiversité de l’échelle nationale à l’échelle
locale, suivi de la mise en œuvre de politiques publiques ou de gestion de limitation de la perte en
biodiversité, suivi des pressions qui s’exercent sur la
biodiversité, apport de connaissances scientifiques
sur le fonctionnement des écosystèmes, etc.
Cependant, la mise en place d’un suivi doit répondre à des besoins. dès lors, il est indispensable de
les identifier le plus clairement possible. Chaque
utilisateur doit d’abord définir ses propres besoins
et ensuite les confronter à ceux des autres utilisateurs potentiels afin de les affiner soit en les dif24
férenciant soit en les faisant converger. À l’échelle
nationale, les ministères en charge de l’agriculture et du développement durable expriment de
nombreuses attentes en matière de suivi de la
biodiversité, cependant les besoins ne semblent
pas clairement identifiés. Il apparaît maintenant
crucial d’avancer en ce sens afin de déterminer
si une convergence des objectifs des systèmes de
suivi est possible ou s’il faut envisager de différencier les systèmes.
Fonctions des indicateurs de biodiversité
forestière
au-delà des objectifs assignés au système de suivi
par les utilisateurs, les indicateurs peuvent avoir
différentes fonctions.
Pour levrel (2007b), un indicateur a toujours trois
fonctions : « représenter un phénomène, agir ou
communiquer sur celui-ci ». Cependant, en général, une fonction prime sur les autres. de son côté,
Gosselin (2006) distingue des indicateurs « simples » ayant comme méthode sous-jacente la communication et les indicateurs « d’analyse » ayant
un intérêt d’ordre scientifique.
les indicateurs permettant de communiquer auprès
du grand public ou entre acteurs aux intérêts divergents sont focalisés sur les objets d’intérêts (par
exemple, une espèce emblématique pour le grand
public ou une espèce chassée pour un conflit chasseur-forestier) alors même que ces objets ne suffisent pas à caractériser la biodiversité forestière
d’un point de vue scientifique.
les indicateurs pour agir de levrel ou les indicateurs d’analyse de Gosselin sont centrés sur des
enjeux de gestion, de politique publique ou scientifiques. Ils doivent représenter au mieux la biodiversité concernée par ces enjeux. Ils servent à
comprendre le fonctionnement de l’écosystème
d’une part et à orienter la gestion et la politique
d’autre part. Ces indicateurs sont ceux auxquels
nous nous intéressons majoritairement dans cette
partie introductive. dans un classement de type
« Pression-état-réponse » (oCde, 1994), ils seraient des indicateurs de pression ou d’état selon
le cas.
Pressions
état
réponses
Information
État de
activitÉs
Économique et
naturelles
environnemental
Pressions
Information
air
Industrie
eau
agriculture
Sol
autre
Ressources
du monde
et des ressources
énergie
Transport
acteurs
l’environnement
humaines
administrations
Ménages
réponses sociétales
ressources naturelles
entreprises
(décisions – actions)
International
réponses sociétales
(décisions – actions)
Figure 1 : modèle « Pressions-État-Réponses » de représentation des indicateurs environnementaux, d’après
l’OCDE (OCDE, 1994).
Modèle « Pressions-état-réponses » :
une classification qui favorise l’action
a travers le système de référence « Pressions-étatréponses », l’oCde propose une répartition des
indicateurs environnementaux, selon qu’ils caractérisent les pressions des activités humaines sur
l’environnement, l’état de celui-ci ou les réponses
sociales permettant de compenser les effets négatifs des pressions (figure 1) (oCde, 1994). Cette
méthode de classement des indicateurs (ou sa variante dPSIr, pour « Force motrice-Pressions-étatImpact-réponses ») bien que perfectible (levrel,
2007b) a cependant un intérêt évident : elle met la
société en position d’acteur vis-à-vis de l’environnement. et, selon les décisions prises, la société
se met en position de réduire ou d’augmenter sa
pression sur l’écosystème. en cela, cette classification permet de soutenir l’action des décideurs.
Ce modèle peut parfaitement être appliqué aux indicateurs de biodiversité et c’est d’ailleurs ce qu’a
fait Hamza (2007) dans son travail d’analyse des
indicateurs du critère biodiversité des indicateurs
de gestion durable des forêts françaises (MaP-IFN,
2006), facilitant ainsi la possibilité pour les décideurs de s’emparer de ces résultats pour orienter
leurs décisions. Sur les quinze indicateurs nationaux
concernés, cinq ont été classés comme des indicateurs de pression, huit comme des indicateurs d’état
et enfin deux comme des indicateurs de réponse de
la société pour limiter ses pressions sur la biodiversité forestière. dans cette étude, de nouveaux
indicateurs ont en outre été proposés pour parvenir
à un meilleur équilibre entre ces différentes catégories d’indicateurs (cf. Nivet et al., page 41).
Si cette classification a un intérêt pour des utilisateurs-décideurs, son usage pour un jeu d’indicateurs
donné n’est pas toujours aussi évident qu’il y paraît
et des discussions contradictoires apparaissent au
sein de la communauté scientifique lorsqu’il s’agit
de placer un indicateur dans telle ou telle catégorie,
des indicateurs pouvant à la fois être perçus comme
des indicateurs d’état et comme des indicateurs de
pression selon le point de vue duquel on se place,
s’agissant par exemple d’une diversité taxonomique
des essences totalement ou partiellement contrôlée
25
par le gestionnaire (cf. Nivet et al., page 41). Sofie
Blanchart (2010) reproche également à ce type de
modèle d’être trop simpliste dans sa représentation
des liens de cause à effet entre les indicateurs de
gestion durable, ce modèle n’étant pas satisfaisant si l’on cherche à expliquer les phénomènes
écologiques. Comme alternative, elle propose une
carte mentale représentant les relations entre indicateurs de gestion durable, la représentation permet de déterminer les indicateurs qui ont le plus
d’interactions avec les autres indicateurs. lorsque
l’on se place du point de vue de la biodiversité, les
indicateurs relatifs aux conditions du sol (2.2), à la
composition en essences (4.1) et au bois mort (4.5)
se trouvent être au centre des interactions, alors
même qu’ils ne sont pas renseignés de manière systématique au sein des différents pays européens.
Pour conclure, on retiendra que l’utilisation de ce
type de modèle n’est pas systématiquement pertinente et qu’elle est plutôt adaptée à un système de
suivi s’intéressant, au-delà de l’état de la biodiversité, à la mise en œuvre des politiques publiques et
aux pratiques de gestion.
n de la conception à l’utilisation,
les différents acteurs concernés
les différents acteurs qui s’intéressent aux indicateurs de biodiversité forestière constituent un
public varié : les scientifiques, les instituts de données statistiques, les décideurs, les gestionnaires
et le grand public. Ils peuvent être regroupés en
trois catégories « fonctionnelles » ayant des espaces d’intersection entre-elles : les concepteurs, les
fabricants et les utilisateurs (figure 2).
les concepteurs définissent les indicateurs, c’està-dire les éléments qui précisent sa définition, son
sens, la manière dont il est construit, sa qualité,
Utilisateurs
Ex : grand public, décideurs, associations régionales
de certification forestière3, etc.
Ex : certains
gestionnaires
et propriétaires
forestiers
Concepteurs
Ex : scientifiques
Fabricants
Ex : Amateurs - MNHN2, IFN
Figure 2 : représentation schématique du rôle des différents acteurs s’intéressant aux indicateurs de
biodiversité
2
3
26
Muséum national d’Histoire naturelle
Le nouveau schéma PEFC supprime cependant la nécessité d’indicateurs au niveau régional
etc. Ce sont eux aussi qui délimitent les conditions
d’utilisation d’un indicateur. Ce sont en général
des scientifiques. après les avoir construits, ils
peuvent devenir des fabricants et des utilisateurs
dans le cadre de leurs projets de recherche, on les
retrouve alors à l’intersection des trois disques de
la figure 2.
la fabrication, qui va de la collecte de données à la
construction et à la représentation de l’indicateur
sous sa forme finale (chiffrée ou visuelle), intègre
en général plusieurs catégories de personnes (collecte d’information sur le terrain, saisie, traitement
statistique, etc.). Parmi les fabricants d’indicateurs,
on distingue des « fabricants amateurs » (cas des volontaires pour le suivi des papillons par le MNHN2)
ou bien des « fabricants professionnels ». Ces spécialistes collectent des données et produisent des
indicateurs à partir de celles-ci, selon le protocole
défini par les concepteurs. on pense ici notamment
à l’Institut national de l’information géographique
et forestière (IGN). Ils peuvent aussi participer à
leur conception et les utiliser.
les « utilisateurs simples » sont les usagers qui
se contentent d’utiliser les indicateurs sans participer à leur définition ou à leur renseignement. Ils
appartiennent à des sphères très diverses. Ce sont
par exemple les décideurs, les associations de certification forestière, les enseignants, le grand public.
Ils peuvent devenir des « utilisateurs-fabricants »
lorsqu’ils vont à la fois récolter les données nécessaires au renseignement de l’indicateur et utiliser le
résultat pour orienter leur action. les gestionnaires ou les propriétaires forestiers peuvent être dans
cette catégorie où les deux disques utilisateurs et
fabricants s’interceptent.
évidemment, chaque acteur concerné par les indicateurs peut se retrouver dans les trois catégories
fonctionnelles selon les moments, cependant il reste
souvent majoritairement rattaché à l’une de ces trois
catégories. lors du processus de construction d’un
système de suivi, il peut être utile que chacun des
acteurs s’identifie à l’un de ces groupes fonctionnels
afin que son rôle y soit plus clairement reconnu. Il
s’agit d’éviter, par exemple, que les fabricants ne
décident seuls des indicateurs à produire oubliant
alors qu’il est d’abord nécessaire que les utilisateurs
aient définis les objectifs, que les concepteurs aient
proposés des indicateurs permettant d’y répondre
avant qu’ils mettent en perspective les limitations
techniques qui les concernent.
des objectifs initiaux aux indicateurs finalement
choisis, bon nombre d’interactions entre acteurs
sont nécessaires, il s’agit dès lors de favoriser un esprit de collaboration entre acteurs tout en sachant
que chacun a un rôle particulier à jouer.
IV. Quels liens entre la
biodiversité ciblée, les indicateurs
et la nature des données ?
le schéma de la figure 3 tente de résumer les différentes étapes de la construction d’un indicateur,
c’est-à-dire le passage d’une « biodiversité ciblée »
au choix et à la caractérisation d’un indicateur pour
la représenter puis à la définition des données à
mesurer et enfin à la récolte de celles-ci puis à la
valeur prise par l’indicateur.
Il devient alors évident d’une part que l’indicateur
se distingue de la biodiversité ciblée et des données
récoltées et d’autre part que la caractérisation de
chacun d’entre eux et de leurs liens est nécessaire.
les données utilisées pour construire les indicateurs écologiques de biodiversité peuvent être de
différentes natures. Sont utilisées, par exemple,
des données taxonomiques, génétiques, sylvicoles, paysagères, chimiques, etc. Ces données sont
collectées (selon un protocole précis) puis traitées
(agrégées, transformées par le calcul, etc.) afin de
construire un indicateur. Celui-ci reflète la biodiversité directement afférente aux données collectées mais il pourra aussi éventuellement donner des
informations sur d’autres composantes ou niveaux
d’organisation de la biodiversité, si des liens entre
les deux ont été préalablement établis scientifiquement, c’est le postulat des indicateurs « indirects ».
on parle souvent, dans le milieu forestier, d’ « indicateurs directs » pour des indicateurs construits
à partir de données taxonomiques et d’ « indicateurs indirects » pour des indicateurs construits
27
Choix de la biodiversité à cibler
Biodiversité ciblée
évaluation de la précision de l’indicateur
Choix d’un indicateur pour représenter la biodiversité ciblée
Caractéristiques de l’indicateur
- description : nom, variable et unité, définition, source, périodicité actuelle,
calculs, compromis effectués lors du choix, etc.
- signification écologique et validité scientifique : échelle d’utilisation
pertinente, niveau d’organisation de la biodiversité caractérisée, type de
biodiversité caractérisée, groupes taxonomiques ou écologiques représentés
par l’indicateur, conditions écologiques de validité, niveau de précision, force
et significativité des résultats, forme de la relation entre l’indicateur et la
biodiversité ciblée, publications, réserves et avantages actuels
- usage : place dans la classification dPSIr, utilisateurs potentiels
Données sur la biodiversité ciblée
faciles à caractériser : mesures de
celles-ci
Indicateur direct
Définition des données à mesurer
Données sur la biodiversité ciblée
difficiles à acquérir : mesures de
données plus faciles à acquérir
ayant un lien caractérisé avec la
biodiversité ciblée
Indicateur indirect
Caractéristiques des données
- nature
- variable(s) et unité(s)
- définition
- protocole et échelle de mesure
- source de données
- périodicité de mise à jour souhaitable
- réserves et avantages actuels sur les données
Récolte des données et construction de l’indicateur : agrégation de données, calculs, composition
Valeur prise par l’indicateur
forme chiffrée, graphique, commentaires sur son évolution, etc.
Biodiversité évaluée par l’indicateur
Figure 3 : schématisation des liens entre biodiversité ciblée, données, indicateurs et biodiversité évaluée
par l’indicateur et attributs de chacune de ces composantes, la précision étant entendue comme le degré
de proximité entre la valeur mesurée et la valeur réelle de la biodiversité
28
à partir de données caractérisant le peuplement
forestier (de nature dendrométrique, taxonomique,
etc.). Cette approche suppose, de façon abusive,
que la composante principale de la biodiversité soit
la biodiversité taxonomique qui peut donc être mesurée soit directement, soit indirectement en présumant que le peuplement forestier a une influence
connue sur le reste de la biodiversité forestière.
En réalité, la notion d’indicateur direct ou indirect doit pouvoir s’appliquer aux différentes
composantes de la biodiversité et pas uniquement à la composante spécifique. en effet, cette
notion indique le fait que les données mesurées
donnent directement ou non des informations
sur celles que l’on veut caractériser, c’est-à dire
la biodiversité ciblée. on pourrait prendre l’exemple
bien connu des données taxonomiques de la flore
qui apportent une indication sur la richesse minérale et organique des sols, ce sont des « espèces
indicatrices » de la richesse du sol. on utilise dans
ce cas des données taxonomiques pour caractériser
chimiquement un substrat. des espèces indicatrices
de la présence d’autres espèces (donc des données
taxonomiques servant à construire des indicateurs
indirects) sont d’ailleurs recherchées par les scientifiques, il s’agit alors d’indicateurs taxonomiques
indirects. Il existe évidemment des liens privilégiés
entre certains types de données et certains niveaux
d’organisation de la biodiversité : les données taxonomiques caractériseront la biodiversité taxonomique même si ensuite ces données peuvent aussi être
utilisées pour caractériser la biodiversité fonctionnelle par exemple.
Ainsi, la nature des données qui sont échantillonnées pour fabriquer un indicateur ne préjuge pas forcément du niveau d’organisation ou
du type de biodiversité qui sera indiqué par l’indicateur. Il est donc primordial de préciser, pour
un indicateur donné, la composante (taxonomique, génétique, écosystémique, etc.) de la biodiversité qui est décrite et la nature des données
utilisées. À partir de ces informations capitales,
on pourra, si on le souhaite, qualifier l’indicateur
de « direct » ou d’« indirect », cette qualification étant secondaire par rapport à l’information
précédente.
V. Quelles échelles pour les
données et les indicateurs ?
la question des échelles spatiale et temporelle auxquelles devaient être développés les indicateurs de
biodiversité a été posée dès le début de la mission
confiée au Gip ecofor. Il ne semble pas qu’il y ait une
solution unique, au contraire, les échelles préconisées sont en général liées aux besoins des acteurs
concernés. on remarque d’ailleurs que les échelles
temporelles sont autant sujettes à discussion que
les échelles spatiales.
n échelle spatiale
des indicateurs de biodiversité forestière peuvent
être développés pour donner des indications à différentes échelles :
• nationale, régionale,
• du paysage,
• de la parcelle.
Il existe une demande en indicateurs de biodiversité
forestière au niveau national émanant des ministères (en charge de l’agriculture et du développement
durable) mais aussi au niveau régional (associations régionales de certification forestière) et enfin
au plus près du terrain de la part des gestionnaires
ou des collectivités locales. Une sorte de consensus
semble émerger pour que soient d’abord consolidés
les indicateurs nationaux (les indicateurs régionaux
étant pour une bonne part des déclinaisons des indicateurs nationaux) avant de travailler sur les indicateurs locaux.
Il est important de distinguer l’échelle de collecte
des données et celle de la présentation des indicateurs qui sont en général différentes. Par ailleurs, il
est parfois possible que des données servent à la fois
pour construire des indicateurs au niveau national,
régional voire local (si l’échantillonnage statistique
a été conçu à cet effet et sur certains indicateurs
ayant une signification à toutes ces échelles). Cependant, en général des adaptations ou le recours
à d’autres indicateurs sont nécessaires lorsque l’on
change d’échelle spatiale.
29
Gosselin et dallari (2007) estiment que compte
tenu des contraintes logistiques (liées à la collecte
des données), il serait préférable de privilégier le
développement d’indicateurs taxonomiques directs liés à des suivis de biodiversité à de larges
échelles (biogéographique, nationale ou européenne) plutôt que régionalement ou plus localement (cf. Nivet et al., page 59). S’il est certain
que les informations nationales et régionales sont
plébiscitées par les ministères, les associations régionales de certification de gestion forestière durable, etc., le point de vue de ces auteurs convient
moins bien à ceux qui, localement, souhaiteraient
pouvoir bénéficier d’informations sur la biodiversité de leur forêt.
en outre, s’il semble possible que des experts se
mettent d’accord sur une liste d’indicateurs de biodiversité améliorée au niveau national, l’établissement d’une liste d’indicateurs pertinents au niveau
local semble plus complexe à établir car elle devra
être adaptée et discutée pour chaque zone. Il n’est
donc pas évident de pouvoir rassembler des spécialistes pour construire un éventail d’indicateurs
adaptés à chaque fois que cela serait nécessaire.
l’idée de larrieu et Gonin (2008) de développer
un indicateur synthétique4, l’indice de biodiversité
potentielle (IBP), à l’échelle du peuplement forestier est séduisante. en effet, selon ces auteurs, cet
indicateur ne préjuge pas de la biodiversité réelle
mais il indique que le peuplement se trouve dans
une situation où, selon les données bibliographiques, la biodiversité devrait être de très forte à très
faible en fonction de la valeur que prend l’IBP. Il
permet aussi par son rendu visuel en graphique radar de diagnostiquer les facteurs améliorables par
la gestion en vue d’un bénéfice pour la biodiversité.
l’utilisation de cet indice ne requiert pas de compétences naturalistes particulières, ainsi tout gestionnaire forestier devrait être en mesure de s’en
servir. Moyennant des adaptations en fonction de
la zone biogéographique, il a en outre l’intérêt de
couvrir un domaine d’application large allant des
domaines atlantiques et continentaux, jusqu’aux
étages montagnards et subalpins. Son ajustement
est en cours de validation scientifique (cf. larrieu
et Gonin, page 73). Cela en fait un outil très opérationnel de pilotage de la gestion à l’échelle de la
parcelle, son utilisation n’étant pas validée pour
d’autres usages que celui-là.
en plus des questions d’échelle spatiale, les questions relatives à l’échelle temporelle sont aussi très
importantes pour définir une méthode de suivi de
la biodiversité.
n échelle temporelle
les indicateurs étant conçus pour permettre de
suivre l’évolution dans le temps de la biodiversité,
il faut donc prévoir avec quelle périodicité sont renouvelées les mesures permettant la construction
des indicateurs. la périodicité souhaitée du renouvellement peut être différente selon les acteurs et
est à étudier au cas par cas (levrel, 2007b). Par
exemple, les gestionnaires peuvent vouloir évaluer
l’impact de leur gestion sur la biodiversité à une
échelle de pas de temps de dix ans, les politiques
à une échelle annuelle et les scientifiques à une
échelle saisonnière. au-delà des échéances auxquelles chacun des acteurs veut rendre compte
ou gérer, il semble important que les scientifiques puissent définir l’échelle temporelle adaptée
à chaque indicateur de biodiversité pour un suivi
« en routine », c’est-à-dire une fois que la bonne
fréquence pour le phénomène étudié (Jactel et al.,
2006) ait pu être établie par des suivis expérimentaux assez fréquents. Par ailleurs, si les besoins
d’information des utilisateurs sont différents de
ceux préconisés par les scientifiques pour un suivi
en routine, il devrait être possible de leur fournir
des estimations approchées pour les échéances qui
les intéressent.
VI. Conditions de réussite
au-delà de la clarification des points discutés dans
les précédents paragraphes, un certain nombre de
conditions supplémentaires doivent être remplies
Un indicateur synthétique permet, à lui seul, de rendre compte de différents aspects de la biodiversité (cf. également Peyron,
page 57).
4
30
pour le développement et l’utilisation d’un jeu d’indicateurs de biodiversité forestière.
• il soit envisagé dans un processus d’amélioration
continue.
ainsi, pour qu’un système de suivi de la biodiversité
réponde aux besoins, il est nécessaire de veiller à
ce que :
la question du cadre du suivi a été discutée aux
paragraphes précédents, les trois autres conditions
de réussite sont discutées ci-après.
• le cadre du suivi (objectifs, biodiversité ciblée,
utilisateurs et échelle) soit clairement défini ;
• sa qualité soit reconnue par les différents acteurs ;
• il puisse perdurer sur le long terme grâce à des
moyens permettant d’assurer la quantité et la qualité idoine des données ;
n Qualité des indicateurs et
du système de suivi
OCDE
Il existe différents critères pour apprécier la qualité
d’un indicateur ; le tableau 1 présente, en les mettant
en correspondance, quand cela est possible, des critè-
Desrosières (2003) et Levrel (2007b)
Bubb et al., 2010
Pertinence : adéquation entre
l’outil et les besoins de l’utilisateur
Correspondant aux
besoins des utilisateurs
Pertinence politique
actualité et ponctualité par rapport
aux échéances décisionnelles
Précision : proximité entre
la valeur estimée et la vraie valeur
validité scientifique :
a) lien validé entre l’indicateur et
l’objet qu’il représente ainsi que sur
leurs évolutions respectives
b) données utilisées fiables et vérifiables
Solidité analytique
Cohérence relative à la méthode de
standardisation des données issues de
sources différentes et aux interprétations
que les données entraînent
Sensibilité de l’indicateur aux
changements susceptibles
d’affecter l’objet qu’il représente
Comparabilité des données
Caractère quantifiable
accessibilité des données statistiques
existence (préalable) et persistance
des données dans le temps
Clarté de la présentation des données
pour les instances décisionnaires
Facilement compréhensible
a) conceptuellement
b) dans sa représentation
c) dans l’interprétation
Utilisé pour : mesurer des progrès,
alerter précocement sur des problèmes,
comprendre un phénomène, faire du
suivi, etc.
Tableau 1 : parallélismes entre critères de qualité ou critères de succès d’un indicateur, selon différents
auteurs.
31
res de qualité des indicateurs, présentés par différents
auteurs. S’ils se recoupent en grande partie, on peut
cependant noter que Bubb et al. (2010) ajoutent un
critère « facilité de compréhension » par rapport aux
propositions des autres auteurs. le type d’utilisation,
apparaît également parmi les critères de qualités définis par ces auteurs ; cependant sauf si on l’entend
comme la nécessité de la clarification des objectifs, il
ne constitue pas en soi un critère de qualité.
Si les critères présentés dans le tableau 1 concernent la qualité d’un indicateur, ils sont également
valables pour caractériser la qualité d’un système
de suivi. Pour levrel (2007b), la qualité des indicateurs (entendu alors dans le sens du système de
suivi) résulte de la qualité des arbitrages pris entre
les différents critères de qualité. le consensus établi équivaut bien alors à la validation par les acteurs de la qualité du système.
Certains de ces critères de qualité vont maintenant
être interrogés. Il s’agit de les affiner et de déterminer les contraintes qui s’appliquent à eux.
n validité scientifique
des indicateurs de biodiversité
définition
Selon les auteurs, la validité scientifique (le terme
de Bubb et al., 2010 est choisi ici), recouvre des caractéristiques similaires mais pas exactement iden-
Indicateur de
biodiversité envisagé
tiques, la qualité des données au sens large étant
incluse ou non dans la notion de validité scientifique (cf. tableau 1).
Gosselin (2006) et Gosselin et al. (2008) ne font
pas référence à la validité scientifique mais au
« caractère indicateur » des indicateurs, c’est-àdire à la capacité de l’indicateur à représenter ce
qu’il est censé représenter. Il indique qu’il est nécessaire, pour caractériser ce caractère indicateur,
de connaître pour chaque indicateur écologique de
biodiversité :
• les groupes taxonomiques et écologiques représentés par l’indicateur ;
• les conditions écologiques de validité de l’indicateur ;
• la force et la significativité des résultats ;
• la forme de la relation entre l’indicateur et la biodiversité : indicateur en moyenne, en variance voire
en équitabilité ;
• les publications qui justifient ces résultats.
la « force et la significativité des résultats » dont
parlent Gosselin et al. (2008) sont à rapprocher de
la notion de « précision » évoquée par desrosières
(2003) pour exprimer le degré de proximité de la
valeur mesurée et de la valeur réelle de la biodiversité. Ce degré de proximité pourrait être exprimé
comme un pourcentage de la biodiversité mesurable qu’il parvient à représenter puisque le niveau
réel de la biodiversité ne peut pas être mesuré. Plus
Mesure « exhaustive »
de la biodiversité
Niveau réel
de la biodiversité
100 % pratique
100 % théorique
écart mesurable
servant à évaluer
la « précision »
de l’indicateur
envisagé
écart non-mesurable,
supposé faible
Figure 4 : schéma illustrant le taux de biodiversité représenté par un indicateur
32
Taux de
biodiversité
représentée par
l’indicateur
(ou précision)
l’indicateur est précis et plus l’écart entre la valeur
donnée par l’indicateur et la valeur donnée par la
mesure exhaustive est faible (figure 4).
on estime a priori que la mesure donnée par l’indicateur est moins précise que la mesure « exhaustive »
de la biodiversité, la mesure exhaustive de la biodiversité est dans ce cas définie comme la biodiversité
mesurée de façon la plus exhaustive possible dans
les conditions expérimentales. l’écart entre la valeur
donnée par l’indicateur et celle donnée par la mesure exhaustive est mesurable en condition expérimentale et la valeur de la mesure exhaustive peut
alors servir de référence pour évaluer la précision de
l’indicateur envisagé. en effet, on choisira le niveau
de biodiversité mesurable comme référence (100 %
pratique) plutôt que celui de la biodiversité réelle
(100 % théorique) car il n’est évidemment pas possible de connaître le niveau réel de la biodiversité.
Ces considérations suggèrent que la description
d’un indicateur devrait toujours être associée à la
caractérisation de sa validité scientifique afin que
les acteurs qui l’utilisent en connaissent les potentialités et les limites éventuelles.
Pour Bubb et al. (2010), la validité scientifique repose a) sur l’existence d’un lien validé entre l’indicateur et l’objet qu’il représente, mais aussi sur
b) l’utilisation de données fiables et vérifiables (tableau 1). Sur la base des travaux de Gosselin (2006)
et Gosselin et al. (2008) et de Bubb et al. (2010),
la validité scientifique des indicateurs repose donc
sur :
• la définition des groupes taxonomiques et écologiques représentés par l’indicateur ;
• l’utilisation de données fiables et vérifiables ;
• la description des conditions écologiques de validité de l’indicateur ;
• le niveau de précision de l’indicateur, la précision
étant entendue comme le degré de proximité de la
valeur donnée par l’indicateur et la valeur réelle de
la biodiversité ;
• la forme de la relation entre l’indicateur et la biodiversité : indicateur en moyenne, en variance voire
en équitabilité ;
• la citation des publications qui justifient ces
résultats.
Contraintes des acteurs
les acteurs qui participent à la construction d’un
indicateur subissent des contraintes qui limitent
l’expression de la validité scientifique des indicateurs, que ce soit au niveau de leur définition ou
bien de la collecte de données. Ces contraintes sont
présentées ici pour les différents types d’acteurs
décrits dans la partie III.
les concepteurs, à l’origine de nouveaux indicateurs,
ont des contraintes fortes car ils doivent définir les indicateurs les plus pertinents et les plus valides scientifiquement alors que les connaissances concernant
le fonctionnement de l’écosystème (relations entre
les espèces, les liens entre espèces et habitats, entre
espèce et traits fonctionnels, etc.) sont limitées. Ils
sont donc amenés à arbitrer entre différents indicateurs imparfaits à leurs yeux. dans un souci pragmatique, ils sont aussi fortement influencés dans leurs
choix par la disponibilité des données qui pourraient
servir à construire ces indicateurs.
les utilisateurs, quant à eux, recherchent les indicateurs pertinents pour répondre à leurs questions.
Pour cela, ils ont éventuellement le choix entre plusieurs indicateurs définis par les concepteurs mais
souvent, ils ne disposent d’aucun indicateur validé
par leurs concepteurs, aussi utilisent-ils souvent
des indicateurs existants peu adaptés à leur besoin
initial. leur contrainte principale est donc la disponibilité d’indicateurs validés et renseignés pour la
composante de la biodiversité qui les intéresse.
les fabricants ont également des contraintes qui limitent les choix envisageables d’indicateurs validés
scientifiquement : par exemple et au premier chef,
le coût des mesures en elles-mêmes, mais aussi, le
niveau de connaissances (taxonomique par exemple), le temps disponible pour faire des mesures, etc.
Cela explique qu’ils peuvent parfois se tourner vers
des indicateurs peu pertinents, non validés scientifiquement mais moins contraignants pour eux.
n Qualité et quantité des données
Si l’on veut mieux pouvoir suivre la biodiversité forestière française, il sera nécessaire que des indicateurs supplémentaires soient construits, que les
33
indicateurs existants soient améliorés et enfin que
des données puissent les alimenter. le dispositif
français semble actuellement amendable. Un des
points contraignant actuellement l’amélioration des
indicateurs de biodiversité est celui de la collecte
de données de biodiversité à une échelle nationale,
comme cela est fait pour les données sylvicoles par
l’IGN. la récolte de données doit être pensée pour
permette, grâce à l’échantillonnage et le protocole
adéquats, d’alimenter des indicateurs prédéfinis.
respect d’un protocole et la compétence technique
des observateurs dans un programme de bénévoles
que dans un organisme professionnel. Cependant, il
se peut également que le réseau de bénévoles soit
justement constitué par des naturalistes amateurs
très compétents. ainsi, le recours à un institut spécialisé ou à un réseau amateur doit être étudié au
cas par cas, la collecte de données devant, quoi qu’il
en soit, s’appuyer sur des personnes compétentes
qui s’engagent à respecter le protocole approprié.
Des données bien choisies et bien interprétées
le choix des indicateurs, et donc des données qui
lui donneront naissance est primordial pour l’interprétation qui découlera des mesures (figure 3). C’est
aux scientifiques, principaux concepteurs, que reviennent ces choix afin de garantir la bonne validité
scientifique des indicateurs. au même titre que les
informations concernant l’indicateur stricto sensu, la
description des données nécessaires à sa construction
doivent être consignées et il est important que les
scientifiques puissent partager leur expertise en ce
domaine.
l’amélioration des systèmes de suivi de la biodiversité repose avant tout sur des choix politiques. les
engagements français en termes de limitation de
l’érosion de la biodiversité dans le cadre le Convention sur la diversité biologique devraient cependant
peser en faveur d’une amélioration de ces suivis
de biodiversité. la mise en place de l’observatoire
national de la biodiversité (lancement officiel en
2011) et la Stratégie nationale pour la biodiversité
(publiée pour la première fois en 2004) en sont des
illustrations positives.
Des données bien mesurées et représentatives
les données doivent être collectées selon un protocole et un échantillonnage précis permettant d’optimiser la qualité des données et la représentativité
de l’indicateur à construire à l’échelle voulue, sur
ce point également l’expertise scientifique est importante. la fiabilité des données repose également
sur la compétence des personnes qui, sur le terrain,
les relève.
Pour construire des indicateurs au niveau national,
la représentativité des données est une question
importante, il est en effet nécessaire de s’appuyer
sur des données suffisamment abondantes pour
qu’elles soient effectivement représentatives. la
qualité et la quantité des données sont en effet
indissociables en termes d’inventaire. les outils à
disposition des pouvoirs publics pour développer la
collecte de données de biodiversité sont les institutions spécialisées (comme l’IGN, les Conservatoires botaniques, etc.) ou les réseaux de volontaires
(exemple du programme vigie Nature du Muséum
national d’Histoire naturelle). Si le recours à des
réseaux de bénévoles permet une collecte peu onéreuse de données, la fiabilité de celles-ci devrait être
évaluée. Il est en effet plus difficile de maîtriser le
34
n Processus d’amélioration continue
au gré des avancées scientifiques ou des possibilités de collecte d’information sur le terrain, les indicateurs et les données doivent pouvoir évoluer. Il
s’agit d’améliorer en continu la qualité des protocoles, des mesures des données et des indicateurs.
Pour cela, une veille ou une démarche « qualité » du
type de celles développées dans les certifications
ISo pourrait être envisagée pour le suivi des indicateurs écologiques de biodiversité au niveau national (Jactel et al., 2006).
de même, Bubb et al. (2010) proposent un schéma
(figure 5) représentant le processus de développement itératif des indicateurs où les étapes de
construction alimentent la réflexion au niveau des
autres étapes. Par exemple, les valeurs prises par
les indicateurs alimentent le choix des objectifs de
gestion et déterminent les questions clés et l’usage de l’indicateur. on se trouve bien dans le cadre
d’un processus d’amélioration continue, processus
faisant d’ailleurs partie intégrante de la gestion
adaptative qui cherche également à se doter d’indicateurs (Chauvin et al., 2011).
Identifier et consulter
les décideurs/les utilisateurs
Identifier les objectifs de
gestion et les valeurs cibles
déterminer les questions clés
et l’usage de l’indicateur
développer un
modèle théorique
Identifier les indicateurs
possibles
rassembler et analyser
les données
Calculer la valeur
des indicateurs
Développer des
systèmes de suivis
Communiquer et
interpréter
les résultats
Tester et affiner
les indicateurs en lien
avec les décideurs et
les utilisateurs
Figure 5 : schéma du cadre de développement des indicateurs de biodiversité, d’après Bubb et al. (2010)
VII. Proposition d’une grille
descriptive des indicateurs de
biodiversité forestière
les réunions d’experts et les études financées dans
le cadre de ce travail sur les indicateurs ont mis
en exergue certaines questions et ont permis de
proposer quelques réponses présentées dans les
paragraphes précédents. les questions généralement posées étaient des questions de clarification.
Il semblait en effet nécessaire pour avancer dans
la démarche que tous les acteurs soient d’accord
sur les mots. aussi, sur la base des clarifications
proposées dans cette synthèse et en prenant appui
sur la grille qu’utilise l’IGN (Hamza et al., 2007), sur
la trame proposée par la Stratégie nationale pour
la biodiversité (2011-2020) et sur la figure 3, nous
proposons ci-dessous une grille descriptive des indicateurs de biodiversité forestière. elle a pour objet
de mettre noir sur blanc les caractéristiques à renseigner pour chaque indicateur et pour les données
associées, ceci indépendamment de la présentation
de la valeur chiffrée ou graphique de l’indicateur.
Pour valider cette grille, il faudrait la compléter
pour chacun des indicateurs actuellement à notre
disposition et en discuter collectivement.
35
NOm DE L’INDICATEuR
Échelle à laquelle utiliser l’indicateur
1) Description de l’indicateur
Identité de l’indicateur
Nom détaillé (éventuellement) :
Définition :
Variable et unité :
Source (organisme qui renseigne cet indicateur) :
Périodicité actuelle de disponibilité de l’indicateur :
Repères vis-à-vis de documents de référence :
o indicateurs français de gestion durable des forêts, n° indicateur (MAAPRAT-IFN, 2011) :
Thème Forest europe éventuel :
o Indicateur international de la CDB5
o Indicateur de l’ONB8
6
o Indicateur européen SEBI (EEA, 2007)
o Indicateur de développement durable INSEE7 (INSEE, 2008)
Calculs nécessaires à la construction de l’indicateur :
o Indicateur composite (fabriqué à partir de plusieurs types de données)
o Agrégation de données
o Autres calculs
Détails de la méthode de construction :
Contrainte actuelle concernant la pertinence :
Compromis effectué pour le choix de cet indicateur :
2) Signification et validité scientifique de l’indicateur
a) Signification écologique
Type de biodiversité caractérisée par l’indicateur :
o biodiversité ordinaire
o biodiversité remarquable
o biodiversité fonctionnelle
Niveau d’organisation concernée et groupes taxonomiques ou écologiques représentés par
l’indicateur :
o génétique, groupe concerné : ____________________________________
o taxonomique , groupe concerné : _________________________________
o écosystémique, groupe concerné : ________________________________
o fonctionnelle, groupe concerné : _________________________________
o comportementale, groupe concerné : ______________________________
Echelle(s) d’utilisation pertinente(s) :
o nationale/internationale
o régionale
o locale, échelle précise :
Commentaires sur les échelles d’utilisation :
Lien entre la biodiversité ciblée par l’indicateur et les autres composantes de la biodiversité
(avec références bibliographiques) :
Convention sur la diversité biologique - www.cdb.int/2010-target/framework/indicators.shtml
Streamlining European Biodiversity Indicators
7
Institut national de la statistique et des études économiques
8
Observatoire national de la biodiversité - www.indicateurs-biodiversite.naturefrance.fr/indicateurs/tous
5
6
36
b) Validité scientifique :
- populations, groupes taxonomiques et écologiques représentés par l’indicateur
- fiabilité et vérifiabilité des données
- conditions écologiques de validité de l’indicateur, domaine d’application
- précision (degré de proximité de la valeur donnée par l’indicateur et la valeur réelle de la
biodiversité)
- forme de la relation entre l’indicateur et la biodiversité ciblée
- publications scientifiques qui justifient ces résultats
Réserves et avantages scientifiques actuels concernant l’indicateur :
3) Usage de l’indicateur
Interprétation de l’indicateur en lien avec la gestion (plusieurs réponses sont possibles) :
o indicateur d’état, explication :
o indicateur d’impact, explication :
o indicateur de pression, explication :
o indicateur de réponse, explication :
o indicateur de force motrice, explication :
utilisateurs potentiels principaux :
o gestionnaires
o décideurs
o grand public
o autre : __________________
4) Données écologiques utilisées
Nature des données :
o génétiques
o taxonomiques
o de structure forestière
o autre, précisez :
Nom de la ou des variables utilisées :
unité des données :
Définition des données :
Échelle de mesure des données :
Données existantes :
o OUI, source actuelle de données :
o NON
Protocole à respecter pour le relevé des données :
Biodiversité caractérisée par les données brutes :
o Identique à celle de l’indicateur => indicateur direct
o Différente à celles de l’indicateur => indicateur indirect
Périodicité de mise à jour souhaitable, en suivi de routine :
Réserves et avantages actuels concernant la fourniture des données : lacunes, récupération,
format, fiabilité, précision, périodicité possible/souhaitable, problème technique, etc.
37
Conclusion
références bibliographiques
après avoir passé en revue les questions de clarification sur le champ de la biodiversité à suivre, les
liens entre données et indicateurs et les différents
acteurs concernés, les conditions de réussite décrites permettent de se rendre compte que le développement d’un panel d’indicateurs de biodiversité
forestière n’en est qu’à ses balbutiements.
Blanchart S., 2010. Mapping the complex interactions of sustainable forest management: an indicator based network approach. Master thesis. Nancy:
agroParisTech-eFI-oeF, 90 p.
des efforts dans le domaine de la définition d’indicateurs pertinents seront particulièrement nécessaires dans les années à venir. le temps de la
construction d’indicateurs à partir des données
existantes semble révolu puisque cela ne permet
que d’apporter des informations peu en phase avec
les préoccupations des utilisateurs. À l’heure du
Grenelle et de la gestion participative, il devient
nécessaire de passer à une étape d’amélioration
continue et de co-construction entre acteurs du jeu
d’indicateurs de biodiversité forestière.
Par ailleurs, leur déploiement à l’échelle nationale
sera indispensable si l’on veut répondre aux engagements pris par la France dans ce domaine (Forest Europe, Convention sur la diversité biologique).
Il semble donc pour l’instant plus important de se
focaliser sur cette échelle même si des travaux intéressants se développent à l’échelle de la parcelle
(cf. larrieu et Gonin, p.73). n
Remerciements :
Je tiens à remercier Marion Gosselin, Cécile Nivet et
Frédéric Gosselin pour leur relecture attentive.
Bubb P., almond r., Kapos v., Stanwell-Smith d. and
Jenkins M., 2010. Guidance for national biodiversity
indicator developpement and use. Cambridge (UK) :
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Communication orale, Colloque « Indicateurs forestiers, sur la voie d’une gestion durable ». Montargis,
Irstea-IFN-Gip ecofor, 6-7 décembre 2011.
Chevassus-au-louis B., Salles J.-M. et Pujol J.-l.,
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Gosselin F., archaux F. et Gosselin M., 2008. Suivre la
biodiversité en forêt : pourquoi ? Quoi ? Comment ?
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39
40
évaluation des indicateurs nationaux
de biodiversité forestière
Cécile Nivet*, Marion Gosselin**, Hélène Chevalier***
*Gip Ecofor
**Institut de recherche pour l’ingénierie de l’agriculture et de l’environnement (IRSTEA)
***Institut national de l’information géographique et forestière (IGN)
Contexte
organisée à rio de Janeiro en juin 1992, la Conférence des Nations unies sur l’environnement et
le développement permet, pour la première fois,
d’aborder conjointement les préoccupations relatives à la conservation et à l’exploitation forestière.
elle aboutit notamment à l’adoption d’une déclaration non contraignante sur les principes forestiers
qui promeut un nouveau concept, celui de « gestion
forestière durable ». le relais de cette conférence
à l’échelle pan-européenne se fait un an plus tard,
dans le cadre du processus d’Helsinki initié en juin
1993 lors de la deuxième Conférence ministérielle
pour la protection des forêts en europe1. les pays
s’engagent à produire périodiquement un rapport
national sur la situation en matière de gestion forestière durable. en France, ce rapport est produit
tous les cinq ans depuis 1995. Il s’intitule « les indicateurs de gestion durable [IGd] des forêts françaises métropolitaines » (MaaPraT-IFN2, 2011) et
regroupe, pour chacun des six critères de gestion
durable d’Helsinki (cf. encadré 1), des indicateurs
quantitatifs3 élaborés dans le cadre des conférences
ministérielles et des indicateurs complémentaires
destinés à prendre en compte la spécificité de la
forêt française4. Centrés sur la biodiversité, les indicateurs du critère 4 (critère relatif à la biodiversité)
abordent des thématiques allant de la diversité des
essences à la fragmentation du paysage en passant
par les espèces forestières menacées, les forêts protégées, la naturalité, etc. C’est à ces derniers que
cette synthèse s’intéresse suite à la publication des
réflexions d’un groupe de travail piloté par l’Inventaire forestier national (Hamza et al., 2007)5, qui a
évalué la pertinence du jeu d’indicateurs de biodiversité de l’édition 2005 des IGd. l’édition 2010 de
ces indicateurs marque une rupture avec les éditions précédentes, principalement en raison :
• de l’adoption par l’IFN de la définition internationale de la forêt (Fao, 2010) : « la forêt est un territoire occupant une superficie d’au moins 50 ares
[soit un demi hectare] avec des arbres capables
d’atteindre une hauteur supérieure à cinq mètres à
maturité in situ, un couvert arboré de plus de 10 %
et une largeur d’au moins 20 mètres »6 ;
• du changement de méthode d’inventaire de l’IFN
fin 2004, qui permet désormais la publication annuelle de statistiques nationales, interrégionales et
régionales, basées sur une fenêtre glissante de cinq
campagnes nationales annuelles7,8.
Ce processus pan-européen à été rebaptisé Forest europe.
Depuis le 1er janvier 2012, l’Institut forestier national a fusionné avec l’Institut géographique national, qui s’appelle
dorénavant l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN). Dans la suite de cet article, l’ancienne
appellation est conservée.
3
35 indicateurs européens fondés sur ceux de la conférence de Vienne (2003).
4
19 indicateurs français à ce jour.
5
C’est principalement à partir de ce rapport d’expertise qu’a été rédigé cet article.
6
La nouvelle et l’ancienne définition sont disponibles sur le site de l’IFN (http://www.ifn.fr), sous l’onglet « Définitions ».
7
Auparavant l’échantillon devait être basé sur cinq campagnes pour fournir des résultats, aussi bien nationaux que régionaux.
8
Cf. MAAPRAT-IFN, 2011 : les avertissements (page 4).
1
2
41
du fait de ces changements, les données 2005 et
2010 s’avèrent difficilement comparables. dans
l’édition 2010, le lecteur est même invité à considérer les résultats comme un état zéro des indicateurs
construits à partir des nouvelles données de l’IFN.
la présente synthèse porte essentiellement sur les
indicateurs de biodiversité de l’édition 2005 même
si les principales évolutions méthodologiques apportées par l’IFN en 2010 sont mentionnées. elle
analyse la cohérence d’ensemble des indicateurs
du critère « biodiversité » à travers le système de
référence Pression-état-réponse, ainsi que la pertinence de chaque indicateur de biodiversité et les
besoins de recherche exprimés. étant donnée l’ampleur des évolutions survenues entre les éditions
2005 et 2010, les pistes d’amélioration proposées
en 2007 par le groupe de travail n’ont été prises
en compte qu’à la marge en 2010. elles seront cependant reprises dans le cadre de l’amélioration des
éditions futures.
I. Évaluation de la cohérence
d’ensemble des indicateurs de
biodiversité dans le modèle
Pression-État-Réponse (PER)
les indicateurs de gestion durable sont généralement structurés selon un modèle conceptuel de
référence qui vise à faciliter l’analyse. le modèle le
plus couramment utilisé par l’agence européenne
de l’environnement et le ministère en charge du
développement durable pour structurer les jeux
d’indicateurs environnementaux est actuellement
le modèle dPSIr9 (forces motrices – pression – état
– impact – réponse). or, selon Hamza et al. (2007),
ce modèle complexe s’adapte mal à l’analyse des
indicateurs nationaux de biodiversité - le classement des indicateurs dans ce modèle montre en
particulier l’absence totale d’indicateurs de force
motrice et un très faible nombre d’indicateurs d’impact (seul l’indicateur relatif aux espèces menacées
est concerné). le modèle Pression – état – réponse
(Per), plus simple, semble plus adapté. dans ce modèle, des pressions dues aux activités humaines ou
aux conditions biogéographiques influencent l’état
de la biodiversité (composition, richesse ou abondance des différents niveaux taxonomiques). l’état
constaté de la biodiversité entraîne des réponses,
c’est-à-dire des décisions et actions en termes de
politique forestière ou pratiques de gestion. Ces réponses modifient en retour le niveau et la nature
des pressions. le groupe de travail a réparti les
quinze indicateurs de biodiversité de la façon suivante (tableau 1):
• Cinq indicateurs de pression dont trois sont directement liés à l’activité de gestion forestière courante : surfaces en régénération (4.2), en essences
introduites (4.4) et en coupes fortes et rases (4.7.3).
l’indicateur synthétique 4.3, qui cherche à quantifier le caractère naturel des forêts françaises par le
biais de l’empreinte anthropique (exploitation, sylviculture), résulte de l’ensemble de ces pressions de
gestion. Un cinquième indicateur relatif à la densité
de cervidés aux cent hectares a été supprimé du
critère 4 dans la mesure où il ne permettait pas de
conclure quant à l’évolution de la biodiversité.
• Huit indicateurs d’état de la biodiversité parmi
lesquels Hamza et al. distinguent trois indicateurs
taxonomiques et cinq indicateurs structurels de
biodiversité (cf. encadré 1) :
- les indicateurs taxonomiques sont élaborés à
partir de données de présence-absence ou d’abondance de populations de différentes espèces (ou de
tout autre niveau de classification, depuis les allèles
jusqu’au groupe d’espèces). Construits à partir de
données de l’IFN, les deux indicateurs 4.1 et 4.1.1
s’intéressent au suivi de la diversité des essences,
par le biais de la diversité intra-peuplement et du
degré de pureté des peuplements par essence principale. la proportion d’espèces forestières considérées comme menacées (4.8) est évaluée par le biais
d’un indicateur élaboré à partir des listes rouges de
Le modèle DPSIR (forces motrices – pression – état – impact – réponse) s’articule en cinq éléments, tous reliés par des liens de
causalité : une force motrice, c’est-à-dire une activité ou un développement humain, provoque une pression sur
l’environnement, caractérisée de façon quantitative et qualitative. Celle-ci se traduit par une modification de l’état général de
l’environnement pouvant avoir un impact sur l’homme, l’environnement, l’économie, etc. Cet impact entraîne une réponse de la
société qui se traduit à son tour par la mise en œuvre d’instruments qui vont agir sur les quatre éléments précédents.
9
42
Thème
n°
Libellé détaillé de l’indicateur
édition 2005
Libellé détaillé de l’indicateur
édition 2010
les indicateurs de pression
régénération
4.2
Caractère
naturel
essences
introduites
organisation
du paysage
Forêts
protégées
4.3
4.4
4.7.3
4.9.1
Surface en régénération dans les
Surface en régénération dans les
peuplements forestiers équiennes et
peuplements forestiers, classés
inéquiennes, classés par type de
par type de régénération (naturelle,
régénération (naturelle, artificielle,
artificielle) et essence principale
recépage de taillis)
du peuplement
Surface de forêts et autres terres boisées, classées en « non perturbées
par l’homme », « semi-naturelles » ou « plantations », par type de forêts
Surface de forêts et autres terres boisées composées principalement
d’essences introduites
Coupes fortes et rases
Supprimé
densité de cervidés aux 100 hectares
du groupe de travail
Supprimé suite aux réflexions du
groupe de travail (Hamza et al., 2007)
les indicateurs d’état
Indicateurs taxonomiques (Cf. encadré 1)
Composition
en essences
espèces
forestières
menacées
4.1
4.1.1
4.8
Surface de forêts et autres terres boisées, classées par nombre
d’essences présentes et par type de forêts
Pureté en surface terrière des
Part de l’essence principale
peuplements par essence principale
dans les peuplements
Proportion d’espèces forestières menacées, classées conformément
aux catégories de la liste rouge de l’UICN
Indicateurs structurels (Cf. encadré 1)
Caractère
naturel
Bois mort
4.3.1
4.5
4.7
organisation
du paysage
4.7.1
4.7.2
Surface de futaies régulières très âgées constituant des habitats spécifiques
volume de bois mort sur pied et de bois
volume de bois mort sur pied et de bois
mort au sol dans les forêts et autres
mort au sol dans les forêts et autres
terres boisées classé par type de forêts,
terres boisées classé par type de forêts
dimension ou état de décomposition
organisation spatiale du couvert
Fragmentation du territoire forestier
forestier du point de vue paysager
en ensembles élémentaires
(surface par classe de taille de massif)
longueur de lisière à l’ha
Temporairement indisponible
longueur de lisière à l’ha par
Supprimé
type de peuplement national IFN
les indicateurs de réponse
ressources
génétiques
4.6
Forêts
protégées
4.9
Surface et nombre d’entités génétiques
gérés pour la conservation et
l’utilisation des ressources génétiques
forestières (conservation génétique
in situ et ex situ) pour la production de
semences forestières et plants forestiers
Surface de forêts et autres terres boisées protégées pour conserver la biodiversité, le paysage et des éléments naturels spécifiques, conformément aux
recommandations d’inventaire de Forest Europe
Surface gérée pour la conservation et
l’utilisation des ressources génétiques
forestières (conservation génétique in
situ et ex situ) et surface gérée pour la
production de semences forestières
Tableau 1 : regroupement des indicateurs de gestion forestière durable du critère « biodiversité » dans le
modèle Pression-État-Réponse, d’après Hamza et al. (2007) .
43
l’Union internationale pour la conservation de la
nature (UICN) ;
- les indicateurs structurels sont établis à partir de
quantités autres (dendrométriques, par exemple) qui
décrivent la structure du peuplement ou du paysage
et sont censées être liées à la présence ou à l’abondance de certaines espèces (ou de tout autre niveau
de classification, depuis les allèles jusqu’au groupe
d’espèces). a l’échelle du paysage, trois indicateurs
abordent le thème de la fragmentation du territoire
forestier via l’organisation spatiale des massifs (4.7)
et la longueur de lisière à l’hectare (4.7.1 et 4.7.2).
À l’échelle intra-peuplement, deux indicateurs évaluent les peuplements âgés par le biais des surfaces
en futaies régulières très âgées (4.3.1) et les volumes associés au bois morts (4.5).
• Deux indicateurs de réponse : ces indicateurs
ont pour objectif d’évaluer l’état d’avancement de
mesures spécifiques prises en faveur de la restauration, de la protection et/ou de la gestion des écosystèmes et de la biodiversité. on peut diviser l’indicateur 4.6 en deux parties distinctes : la première
concerne l’utilisation des ressources génétiques
pour la production de semences et de plants forestiers, une activité relative à la gestion courante – il
ne s’agit donc pas d’un indicateur de réponse pour
le critère biodiversité ; la seconde, au contraire,
relève bien de la conservation des ressources génétiques (réseau de peuplements conservatoires).
l’indicateur 4.9 relève aussi de la gestion conservatoire : il permet d’évaluer les surfaces forestières protégées au titre de la biodiversité (réserves
biologiques, Parcs nationaux, etc.), des paysages et
d’autres éléments naturels spécifiques (Parcs naturels régionaux, forêts de protection alluviales et
périurbaines, etc.)10.
Néanmoins, l’exercice qui consiste à classer ces indicateurs dans l’une de ces trois catégories s’avère
difficile et tout relatif, notamment du fait des interactions multiples qui existent entre les composantes d’un même écosystème et de ce fait entre
les indicateurs du critère 4 (ainsi qu’avec les indicateurs des autres critères). Prenons le cas d’un
suivi d’abondance réalisé sur un groupe d’espèces
donné : l’indicateur peut servir à se faire une idée
précise de l’état (et de l’évolution) de ce groupe ou
de l’état d’un autre groupe sur lequel le premier
exerce une pression (positive ou négative). dans
le premier cas, on aura plutôt tendance à classer
l’indicateur parmi les indicateurs d’état, dans le
second, parmi les indicateurs de pression. Globalement, la pertinence de ce type de modèle repose en
grande partie sur des éléments pour lesquels nous
manquons d’information ou de recul, en particulier
(i) sur les liens (interactions) qui existent réellement entre les différents éléments de l’écosystème
forestier, (ii) sur la nature des questions qui soustendent l’élaboration de l’indicateur (que veut-on
savoir ?) et (iii) sur la signification des résultats
fournis par l’indicateur du point de vue de la biodiversité (interprétation). Malgré tout, ce système
simplifié permet une première évaluation de la cohérence d’ensemble des indicateurs du critère 4. on
observe notamment :
• une nette dominance d’indicateurs structurels
basés sur des données de structure du peuplement
ou du paysage ; ces indicateurs sont tous directement liés à des pratiques de gestion, ce qui semble
cohérent pour un système censé évaluer la durabilité de la gestion forestière ;
• un petit nombre d’indicateurs taxonomiques de
biodiversité basés sur des données de composition,
de richesse ou d’abondance des différents niveaux
taxonomiques pour évaluer l’état de la biodiversité.
Ce point reflète la difficulté actuelle de suivre directement l’évolution de tous les taxons présents
dans l’écosystème forestier ;
• un petit nombre également d’indicateurs de réponse, ce qui aboutit à un certain déséquilibre du
système d’indicateurs. Ce constat généralisable à
l’ensemble des indicateurs de gestion forestière durable pourrait être dû au fait que les réponses de la
société aux menaces qui pèsent sur la biodiversité
sont davantage appréhendées par les indicateurs
qualitatifs de Forest Europe (Forest Europe et al.,
2011), qui présentent les progrès accomplis entre
deux conférences en matière de gestion forestière
durable, dans les domaines institutionnel, juridique,
économique, financier et informationnel.
Dans l’édition 2010, les surfaces classées au titre de Natura 2000 (les zones de protection spéciales et les zones spéciales de
conservation) sont présentées selon les types de formation boisée (futaie de feuillus, futaie de résineux, taillis, peupleraie, etc.).
10
44
ENCADRÉ 1
Critère : définit les éléments essentiels, l’ensemble des conditions ou les processus par lesquels la
gestion durable peut être jugée. la Conférence d’Helsinki a donné lieu à la constitution d’une liste
de six critères de gestion forestière durable, habituellement dénommés « critères d’Helsinki », qui représentent chacun une facette de la multifonctionnalité des forêts : ressource forestière et carbone,
santé des forêts, fonctions de production des forêts, biodiversité, fonctions de protection et aspects
socio-économiques liés à la forêt (d’après IFN, 2011).
Indicateur : mesure quantitative, qualitative ou descriptive qui, mesurée et surveillée périodiquement,
montre la direction du changement (Ministry of agriculture and Forestry, 1996). Il s’agit d’une statistique qui permet de vérifier objectivement si l’état ou la dynamique observée pour un système donné
reflètent une avancée vers l’objectif poursuivi (lequel est défini à partir des différents critères). les
indicateurs doivent transposer un état généralement complexe en faits faciles à observer ; ils doivent
être suffisamment simples, politiquement et scientifiquement pertinents, utiles, mesurables et comparables (d’après Montagne-Huck et Niedzwiedz, 2011).
Les indicateurs taxonomiques de biodiversité : les indicateurs se focalisent sur le suivi de certains
taxons — plantes, oiseaux, insectes, mammifères, etc. Ils sont utilisés en tant qu’indicateurs de l’état
de leur propre diversité (on peut alors parler d’indicateur direct de biodiversité) ou en tant qu’indicateurs de l’état d’autres taxons (bio-indicateurs, indirects). l’utilité de recourir à ce type d’indicateurs
pour évaluer l’état de la biodiversité inter-spécifique est développée dans l’article Nivet et al., (cf.
page 59).
Les indicateurs structurels de biodiversité : les indicateurs structurels de biodiversité sont à mettre
en relation avec l’idée qu’il existe des structures paysagères - biologiques, physiques et sociales - qui
ont un effet important sur la biodiversité et qui permettent donc de renseigner sur l’état de cette
dernière de manière indirecte.
Liens entre structure de l’habitat et diversité taxonomique
dans le cadre de l’animation par le Gip ecofor de la réflexion sur les indicateurs de biodiversité forestière (cf. introduction page 14), rossi et al. (2007) ont recherché l’existence
de relations entre la structure du paysage ou de l’habitat local et la richesse spécifique de
différents groupes taxonomiques (oiseaux, coléoptères carabiques, papillons rhophalocères
et plantes). les résultats obtenus dans la forêt de plantation de pins maritimes des landes
montrent effectivement l’existence d’un lien statistique significatif entre la richesse spécifique et les données descriptives du paysage dans un rayon de cent à deux cents mètres
et parfois dans un rayon supérieur. les résultats montrent que la diversité des papillons est
liée en premier lieu aux caractéristiques de l’habitat local (notamment recouvrement d’espèces végétales et humidité du sol) et en second lieu aux caractéristiques du paysage (selon les sites, cela peut être la présence de pare-feux11, de certaines plantes herbacées utiles
à la larve et au papillon, la densité de lisières, de routes forestières et de haies). Concernant
les oiseaux et les carabes12, les variables explicatives sont différentes pour chacun des deux
groupes mais le degré de fermeture apparaît comme un facteur globalement négatif.
afin de percevoir le maximum d’effet du paysage sur la diversité, rossi et al. (2007) ont plaidé
en faveur d’une approche taxonomique multi-scalaire et l’utilisation d’un nombre de variables restreint pour améliorer les modèles de prédiction de la richesse spécifique.
Espace linéaire de largeur variable, aménagé par débroussaillement du tapis végétal, restreignant la quantité de matière
combustible dans le but de limiter ou d’arrêter la propagation d’un incendie et de favoriser la circulation des véhicules antiincendie.
12
Seul l’effet du paysage a pu être testé car les chercheurs ne disposaient pas de données locales.
11
45
Globalement, la structuration selon le modèle Pression-état-réponse, pourtant bien adaptée pour évaluer la durabilité d’un système de gestion, est sousexploitée (très lacunaire) dans le système actuel. en
particulier, les triplets Pression-état-réponse sont
incomplets, c’est-à-dire que pour un indicateur
classé dans une catégorie donnée, les indicateurs
correspondants aux deux autres catégories ne sont
pas toujours présents. Par conséquent, il s’avère
aujourd’hui relativement difficile d’évaluer, à travers
ce système, l’efficacité des réponses mises en œuvres
en faveur de la biodiversité ainsi que la durabilité de
la gestion forestière au regard de ce critère.
II. Analyse de la pertinence
des indicateurs de biodiversité
la plupart des indicateurs sont construits à partir
des données de l’IFN et ne concernent donc que les
forêts de production, soit environ 95 % des forêts
françaises métropolitaines. divers cas de figure
ont été relevés lors de la phase d’analyse menée
par Hamza et al. (2007). Généralement, ces indicateurs souffrent d’un manque (i) de données (parfois
difficiles à récupérer comme celles associées aux
espèces menacées), (ii) de méthodologie (protocole
de récolte des données non pertinent, calcul de l’indicateur inadapté, etc.), (iii) de clarté ou de consensus sur les concepts utilisés (définitions à revoir,
classification à améliorer, etc.), (iv) d’information
historique (par exemple sur l’origine des peuplements) et scientifique, etc. de plus, l’interprétation
en termes décisionnels des résultats obtenus n’est
pas toujours évidente. Tous ces éléments conduisent à limiter la pertinence des indicateurs et les
possibilités de les interpréter au mieux.
n Pertinence des indicateurs de
pression
la pertinence thématique de ce groupe d’indicateurs (régénération, essences introduites, organisation du paysage, caractère naturel et forêts
protégées) est globalement forte au regard de la
biodiversité en général et des catégories définies
par Forest Europe. Par contre, l’adéquation entre
l’indicateur et la thématique à laquelle il est asso46
cié ne fonctionne pas toujours (cf. indicateur 4.9.1
sur la densité de cervidés associé au thème « forêts
protégées », c’est-à-dire faisant l’objet d’un statut
de protection officiel). l’usage de définitions insatisfaisantes, le manque de clarté ou de consensus
sur les concepts utilisés limite de surcroît la pertinence globale d’indicateurs comme celui relatif
à la naturalité des forêts françaises (cf. indicateur synthétique 4.3). Un dernier problème majeur
est relatif au jeu de données utilisé pour élaborer
l’indicateur : il est parfois incomplet – l’absence
d’éléments sur les formations boisées non disponibles pour la production limite particulièrement la
pertinence de l’indicateur de naturalité (4.3) et de
celui relatif aux essences introduites (4.4) – voire
carrément non pertinent, lorsque les mécanismes
reliant un facteur de pression donné aux éléments
de biodiversité sont mal compris. C’est le cas pour
les indicateurs de coupes fortes et rases (4.7.3) et
de régénération (4.2).
Nous reprenons ci-dessous les principaux points
de l’analyse de pertinence réalisée par Hamza et
al. (2007) concernant les indicateurs de pression.
4.2 – Surface forestière en régénération naturelle
et artificielle (thème « régénération ») :
les surfaces en régénération sont propices à de
nombreuses espèces périforestières (carabes, papillons de jour, etc.) et inversement défavorables à
des espèces typiquement forestières et peu mobiles associées aux stades âgés (certaines bryophytes
par exemple) et aux stades intermédiaires comme
les papillons de nuit (Gosselin, 2004). Selon Hamza
et al. (2007), une augmentation durable des surfaces dédiées à la régénération artificielle serait
pénalisante au regard de la diversité biologique.
Cet indicateur donne donc a priori une information
intéressante mais il ne reflète pas la complexité
des mécanismes en jeu. Par exemple, une coupe de
régénération n’aura certainement pas le même impact sur la biodiversité selon que les autres stades
de maturité seront ou non simultanément présents
dans le paysage. des données supplémentaires mériteraient donc d’être prises en compte comme :
• la distance entre la zone de régénération et les
peuplements âgés ;
• la proportion des surfaces en régénération par
rapport à la surface forestière totale ;
• l’âge d’exploitabilité des peuplements.
Dans l’édition 2010 : la nouvelle méthode d’inventaire de l’IFN, avec l’acquisition de données sur le
terrain supplémentaires, permet de combler en partie le jeu de données, en fournissant notamment
des informations sur la nature de la coupe (coupe
rase avec ou sans travaux, coupe totale ou forte
de l’étage dominant, etc.) et l’essence principale
du peuplement13. Le manque de recul actuel sur les
interactions entre « régénération » et « biodiversité »
demeure cependant, notamment quant à l’appréciation des régénérations par petites trouées.
4.3 – Degré de naturalité des forêts françaises (thème « caractère naturel ») :
cet indicateur permet de classer les forêts en fonction de leur degré de naturalité (forêts non perturbées par l’homme, forêts semi-naturelles et plantations). l’approche est pertinente mais le concept de
naturalité reste particulièrement difficile à apprécier et les définitions de la Fao14 pour décrire les
classes de perturbation associées aux plantations et
aux forêts semi-naturelles sont imprécises. au final,
cet indicateur ne permet pas de se faire une idée du
degré de naturalité des forêts françaises.
les résultats montrent en effet :
• la quasi-inexistence de forêts non perturbées en
France métropolitaine (environ 30 000 hectares
en 2005 et 2010). le manque de données sur ces
forêts non perturbées explique ce résultat : l’IFN
ne dispose en effet pas d’information sur l’ancienneté de la gestion. C’est ainsi à partir des données
de l’office national des forêts (oNF) extrapolées
aux forêts privées que ce chiffre de 30 000 hectares a été estimé en 1994. Il a été repris tel quel
dans les éditions successives, faute de nouvelles
connaissances ;
• une proportion de plantations vraisemblablement
sous-évaluée (12 % en 2010) dans la mesure où
l’origine des boisements n’est notée par l’IFN que
pour les peuplements de moins de 40 ans et que les
plantations qui ne font pas l’objet d’une exploitation intensive sont classées en forêts semi-naturelles, conformément aux définitions de la Fao ;
13
14
• une catégorie fourre-tout, les forêts seminaturelles, qui regroupe la quasi-totalité des forêts
(87 % en 2010).
À cela s’ajoute un autre biais lié aux surfaces inventoriées de l’IFN (regroupées sous l’appellation
« forêt de production »), qui excluent 5 % de la surface des forêts françaises, probablement parmi les
moins perturbées.
4.4 – Surface forestière composée principalement
d’essences introduites (thème « essences introduites ») :
l’introduction d’essences exotiques influence en
effet la biodiversité des écosystèmes forestiers,
souvent dans le sens d’un appauvrissement (Hamza
et al., 2007). Cependant, la définition utilisée pour
juger du caractère autochtone ou non d’une essence est inadaptée car basée sur les seules limites
administratives de la France métropolitaine. Cela
signifie qu’une essence présente naturellement en
un point quelconque du territoire est considérée
comme autochtone sur l’ensemble de ce territoire.
avec cette définition, des essences telles que le pin
laricio de Corse et l’épicéa commun sont classées
parmi les essences autochtones partout en France.
Cette représentation entraîne une sous-estimation
des surfaces composées principalement d’essences
exotiques. Une solution serait de régionaliser ces
listes d’essences, aujourd’hui uniquement nationales. Il faudrait pour cela disposer de cartes de
la distribution naturelle de chaque essence, qui
n’existent malheureusement pas à l’heure actuelle
pour toutes les essences.
4.7.3 – Coupes fortes et rases (thème « organisation du paysage ») :
les coupes de régénération fortes, fréquentes et
sur de grandes surfaces défavorisent les espèces
forestières à faible capacité de dispersion et les
espèces inféodées aux phases terminales du cycle
sylvigénétique (Bergès, 2004). du point de vue de
la biodiversité, il paraît pertinent de lier le thème
« organisation du paysage » à l’activité de coupe.
Par contre, l’indicateur ne traite que de l’intensité
L’indicateur 4.7.3, spécifique des coupes fortes et rases, a disparu concomitamment.
Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.
47
des coupes qui entraînent les perturbations les
plus fortes (fortes et rases). de plus, il ne prend pas
en compte des facteurs susceptibles d’accentuer
ou de réduire l’impact d’une coupe sur la biodiversité, en particulier la taille de la coupe15 ou la
présence de peuplements-refuge à proximité. des
données relatives à la topographie et à localisation des coupes au sein du massif permettraient
probablement aussi de renforcer la pertinence de
cet indicateur.
Dans l’édition 2010 : cet indicateur a été supprimé
mais les données sont partiellement exploitées par
l’indicateur de régénération (4.2)16.
4.9.1 – Densité de cervidés aux cent hectares (thème « forêts protégées ») :
le libellé de cet indicateur est ambigu. S’agit-il de
suivre l’évolution de la capacité d’accueil des massifs forestiers vis-à-vis des cervidés ? ou de suivre
l’évolution de la pression exercée par les cervidés
sur la biodiversité de ces massifs ?
Dans l’édition 2010 : classé à tort dans la catégorie
« forêts protégées », cet indicateur a été supprimé du
critère « biodiversité ». Les données cynégétiques de
l’Office national de la chasse et de la faune sauvage
(ONCFS) et des fédérations de chasseurs sont désormais exploitées dans le critère 2, relatif à la santé
des écosystèmes (présence simultanée de plusieurs
espèces d’ongulés et progression des ongulés sauvages sur le milieu forestier).
Conclusion
Ces indicateurs traitent uniquement des pressions
liées à l’activité de gestion courante (exploitation,
sylviculture). d’autres pressions influencent pourtant l’évolution de la biodiversité forestière : la
fréquentation des espaces forestiers (dans le cadre
de l’exploitation forestière et du tourisme), l’implantation d’infrastructures extra-forestières (pour
les transports et dans le cadre de l’urbanisation),
le changement climatique. Ces pressions mérite-
raient l’élaboration d’indicateurs complémentaires ou le renforcement des indicateurs existants.
dans le cas de l’indicateur synthétique 4.3, des
travaux de l’INra montrent en particulier l’intérêt
du concept de « forêt ancienne» pour apprécier le
degré de naturalité d’un écosystème forestier. des
données relatives à la taille des coupes, à la nature des travaux préparatoires du sol ou encore à la
diversité génétique des matériels forestiers de reproduction (cf. indicateur 4.6), permettraient sans
doute également de mieux appréhender l’impact
de la régénération des surfaces forestières sur la
biodiversité.
n Pertinence des indicateurs d’état
Parmi ce groupe, les indicateurs structurels dominent. Ce sont donc des descripteurs de structure
du peuplement, du paysage, censés être liés à une
partie de la biodiversité. or, la relation entre ces
indicateurs structurels et la biodiversité n’est pas
toujours bien connue : avec quel compartiment de
biodiversité l’indicateur est-il relié ? la relation estelle positive ou négative ? Forte ou faible ? étayée
par la bibliographie ou seulement hypothétique ?
de plus, lorsque cette relation est connue, rien ne
permet généralement de dire si elle est stable dans
le temps. de leur côté, les rares indicateurs taxonomiques de biodiversité sont élaborés à partir de
données existantes et mobilisables qui ne permettent pas forcément de suivre les espèces à enjeu
fort (par exemple des espèces particulièrement
sensibles à la gestion forestière). À l’échelle nationale, les suivis d’abondance actuels concernent les
oiseaux communs et les papillons17 ; aucun indicateur n’existe par exemple concernant la faune et
la flore des décomposeurs. Globalement, ce groupe
d’indicateurs aborde, à différentes échelles, des
thèmes importants, dont la pertinence est néanmoins parfois limitée par :
• l’usage de formulations inadaptées - les indicateurs de composition en essences (4.1 et 4.1.1) sont
Cette variable n’a pas été exploitée à l’échelle nationale du fait de l’indisponibilité dans certains départements de données
sur les coupes rases.
16
En réalité, il ne s’agit pas vraiment des mêmes données car la méthode de calcul a changé entre l’édition 2005 et 2010 (méthode du report sur photo aérienne pour l’ancien indicateur, données terrains pour le nouveau).
17
Cf. programme Vigie-Nature du Muséum national d’Histoire naturelle.
15
48
en réalité des indicateurs de la diversité locale en
essences ;
• l’utilisation de certains concepts qui manquent de
clarté : que faut-il exactement inclure sous le vocable d’« espèce forestière » ou de « massif » ?;
• des difficultés liées à la collecte des données
(cf. indicateur 4.8 sur les espèces forestières menacées), qui reflètent souvent des problèmes d’ordre méthodologique et le besoin de connaissances
supplémentaires (cf. indicateur 4.5 sur le volume de
bois mort).
4.1 et 4.1.1 – Nombre d’essences par peuplement
(feuillus, résineux et mixtes) et surface terrière
par essence principale (thème « composition en
essences ») : Hamza et al. (2007) ont regroupé ces
deux indicateurs.
4.1 – les études montrant une corrélation positive
et significative entre la richesse locale en essences et
les différents compartiments de la biodiversité sont
peu nombreuses. l’échelle optimale à laquelle mesurer cette richesse en essences n’est pas claire non
plus dans la bibliographie. Toutefois, l’indicateur 4.1
n’est pas contredit (Gosselin et Paillet, 2011) et permet de renseigner directement sur l’état d’une partie
de la biodiversité, à savoir les essences ligneuses.
4.1.1 – l’essence principale est un facteur majeur de différenciation de biodiversité (Gosselin et
Paillet, 2011). la bibliographie incite à promouvoir
l’accroissement du degré de mélange et de richesse
en essences dans les peuplements dominés par des
exotiques ou des résineux. elle incite à l’inverse au
maintien ou au développement de peuplements purs
(ce qui n’exclut pas la présence d’essences secondaires en faible proportion) dans les peuplements
d’essences autochtones. Il est dommage que cet indicateur ne tienne pas compte de l’abondance et de
la répartition spatiale de chaque essence considérée
isolément. Ces variables seraient pourtant corrélées
à la diversité génétique des peuplements forestiers
futurs et à une partie de la diversité spécifique (certaines espèces étant inféodées à des peuplements
purs). Il serait donc utile de vérifier que l’abondance
des essences de faible intérêt économique ne régresse pas trop fortement.
Concernant ces deux indicateurs, des incertitudes
subsistent également quant à l’influence de la sta-
tion sur la relation entre richesse en essences et
biodiversité. la collecte de données supplémentaires, relatives aux caractéristiques écologiques des
placettes inventoriées (type de station ou type de
forêt, stade successionnel, classe de gestion, etc.) et
aux essences considérées (classes de taille des essences, classes d’abondance et classes d’indigénat)
permettrait probablement d’accroître la pertinence
de ces indicateurs.
4.3.1 – Surface de futaies régulières très âgées
constituant des habitats spécifiques (thème « caractère naturel ») :
cet indicateur est classé parmi les indicateurs de la
naturalité des forêts françaises, tout comme l’indicateur de pression 4.3 sur le degré de naturalité des
forêts françaises. les arbres et peuplements très
âgés sont en effet la niche potentielle de nombreuses espèces nécessitant des cavités, du bois mort
et autres microhabitats. Mais cet indicateur est
associé au caractère naturel des forêts alors qu’il
est basé sur des données prélevées en futaie régulière, une structure relativement artificielle et qui
ne représente que 49 % des forêts françaises en
2004 (vallauri et al., 2010). Son libellé est ambigu
car l’indicateur s’intéresse à toutes les surfaces de
futaies âgées, qu’elles incluent ou non la présence
d’habitats spécifiques. en conséquence, Hamza et
al. (2007) proposent de s’intéresser à l’abondance
des arbres sénescents et ce, quelle que soit la structure du peuplement (donc pas uniquement en futaie régulière) et l’utilisation du bois associée (actuellement, seuls les peuplements disponibles pour
la production rentrent en compte dans le calcul de
l’indicateur). Ils proposent également de réviser les
seuils de sénescence en les adaptant au type de
station (ou à défaut à la sylvoécorégion).
Dans l’édition 2010 : cet indicateur a une faible significativité (au sens statistique) dans la mesure où
il continue à ne s’intéresser qu’aux vieilles futaies
régulières et que les seuils (ou âges limites) par essence sont trop restrictifs (ils reviennent à filtrer trop
drastiquement les peuplements). L’élargissement de
l’indicateur à d’autres types de structures (mélanges
futaies-taillis, etc.), voire sa révision complète (une
approche différente pourrait être envisagée, centrée
par exemple sur les gros et vieux arbres) permettrait
sans doute de résoudre ce problème.
49
4.5 – Volume de bois mort en forêt feuillue, résineuse et mixte (thème « bois mort ») :
20 à 25 % des espèces forestières seraient associées au bois mort et une relation positive existe
vraisemblablement entre la présence de bois mort et
la richesse ou l’abondance de nombreuses espèces,
saproxyliques notamment. l’indicateur de l’édition
2005 est cependant pratiquement inutilisable car
élaboré au départ pour évaluer la production nette
de bois (volume vif - mortalité) et non pour évaluer
la biodiversité (protocole inadapté). Il n’intègre en
particulier que les volumes de bois mort sur pied
depuis moins de cinq ans. Parmi les recommandations, Hamza et al. (2007) insistent sur la nécessité
de récolter des variables supplémentaires relatives
à l’essence du bois mort, à la taille et à la position
(dressé, suspendu ou couché) des pièces de bois ou
au degré de décomposition et d’ensoleillement.
Dans l’édition 2010 : la nouvelle méthode d’inventaire permet désormais de comptabiliser les arbres
morts sur pied depuis plus de cinq ans et les chablis
ordinaires de moins de cinq ans (par type de peuplement feuillu, résineux et mixte) ainsi que le bois
mort au sol (incluant les chablis de plus de cinq ans).
Les volumes de bois mort au sol (m3/ha) sont désormais classés en fonction de leur diamètre et leur
degré de décomposition. Cette évolution répond
en partie à la nécessité de s’intéresser à d’autres
variables que le volume de bois mort sur pied pour
juger de la richesse spécifique. Le lien entre ces indicateurs (présence et abondance de pièces de bois
mort de nature variée) et la biodiversité de nos forêts tempérées doit en outre être encore étudié. Des
travaux menés récemment montrent en effet que les
niveaux de corrélation observés en milieu boréal entre la richesse saproxylique (coléoptères et mycètes)
et le volume de bois mort ne sont pas transposables
aux forêts tempérées (Lassauce et al., 2011).
4.7 – Fragmentation du territoire forestier en ensembles élémentaires (thème « organisation du
paysage ») :
l’évolution du nombre de massifs forestiers par
classe de surface (huit classes en 2005, allant de 4
à plus de 100 000 hectares) permet de se faire une
idée du degré de fragmentation de la forêt à l’échelle
nationale. Selon Hamza et al. (2007), l’agencement
spatial des écosystèmes influence a priori fortement
50
les processus écologiques et par là-même la biodiversité, ce qui confère une certaine pertinence au
thème « organisation du paysage ». Néanmoins, la
définition utilisée pour définir un massif, qui revient
à considérer que des fragments distants de moins
de deux cents mètres constituent une seule tâche
forestière, est discutable. la matrice peut en effet
s’avérer imperméable sur cette distance, être coupée par exemple par des obstacles infranchissables
pour certains animaux (autoroutes sans passages
spéciaux, fleuves, etc.).
Dans l’édition 2010 : le seuil de continuité de l’espace boisé à été maintenu. Bien que les seuils de
représentation aient été abaissés (onze classes de
surface en 2010 allant de 2,5 à plus de 100 000
hectares), la pertinence de cet indicateur se limite
toujours aux gros animaux qui requièrent de larges
territoires (mobilité) et aux espèces d’intérieur qui
fuient les lisières. L’indicateur 4.7.2 (longueur de
lisière par type de peuplement) a été supprimé car
il ne permettait pas vraiment de conclure quant à
l’évolution du phénomène qu’il était censé appréhender, à savoir la fragmentation. De plus, il ne
permettait pas de cibler correctement les espèces
les plus sensibles à la fragmentation, à savoir les
espèces forestières d’intérieur et les espèces forestières peu mobiles (habitats mal choisis). L’indicateur 4.7.1 (longueur de lisière à l’hectare) aurait dû
être reconduit mais n’a pas pu être calculé dans la
mesure où tous les départements ne sont pas encore passés à la nouvelle version de cartographie de
l’IFN. Outre sa formulation peu satisfaisante, cet indicateur évoluait par ailleurs intrinsèquement avec
l’augmentation des surfaces forestières.
4.8 – Proportion d’espèces forestières menacées
(thème « espèces menacées ») :
c’est l’un des rares indicateurs taxonomiques parmi les indicateurs de gestion forestière durable.
au niveau international, il est important car très
souvent discuté, comparé entre les pays et compilé
en méta-index. des imprécisions méthodologiques
pénalisent toutefois sa fiabilité : le regroupement
et la déclinaison des catégories UICN soulèvent des
questions (les espèces en déclin ne sont pas prises
en compte) et la définition des espèces considérées
comme « forestières » reste imprécise.
Dans l’édition 2010 : l’absence de données sur la
flore méditerranéenne a été comblée (Rameau et al.,
2008). Les données disponibles ont de plus été améliorées puisque l’on dispose maintenant des premières listes rouges nationales établies avec la méthodologie UICN pour les mammifères, les amphibiens,
les reptiles et les oiseaux (en 2005, seules des données à dire d’expert étaient disponibles). L’extension
des listes rouges à des groupes clés de la biodiversité
des forêts (les champignons, les mousses, les lichens
et les invertébrés) s’avère néanmoins toujours nécessaire afin d’améliorer sa représentativité.
Conclusion
la prise de données directes (les relevés d’espèces par
exemple) pour fournir des indicateurs d’abondance
de population est rare (cf. Nivet et al., page 59). en
France métropolitaine, on ne connaît pas le nombre
d’espèces forestières de plusieurs groupes très présents en forêt comme les insectes, les champignons,
les lichens et les bryophytes. Ils sont pourtant probablement bien plus nombreux que des groupes mieux
surveillés tels que les mammifères, les oiseaux ou les
plantes vasculaires. le nombre limité d’indicateurs
d’état basés sur le suivi de taxons nuit ainsi à la pertinence de ce système d’indicateurs. Selon Gosselin
et Gosselin (2008), il serait très utile de renforcer
ces suivis taxonomiques en se concentrant sur des
taxons à enjeux, par exemple ceux qui s’avèrent particulièrement sensibles aux évolutions des pratiques
sylvicoles (cf. Nivet et al., page 59).
À une échelle inférieure, la variabilité génétique
constitue aussi un indicateur majeur du potentiel
de régénération et d’adaptation des différents compartiments de la biodiversité (et donc de sa survie).
Maintenir la diversité génétique des essences, c’est
garantir le capital d’adaptation de ces dernières aux
changements environnementaux. or la palette des
indicateurs de gestion durable ne repose sur aucun
suivi direct de biodiversité à l’échelle intra-spécifique. Seul l’indicateur 4.6 traite de la conservation
des ressources génétiques forestières mais sous un
angle très indirect qui ne permet pas de se faire
une idée réelle du niveau de diversité génétique
des populations d’arbres forestiers. Cela s’explique notamment par la complexité et le coût élevé
des analyses de laboratoires nécessaires. Il semble
pourtant primordial de disposer d’indicateurs de la
diversité génétique des espèces, en particulier pour
les essences forestières, qui sont les objets directs
de la gestion forestière (Collin et al., page 79).
Globalement, le classement de ces indicateurs parmi
les indicateurs d’état est discutable. Selon Gosselin
et Gosselin (2008), un indicateur d’état est un indicateur qui permet, dans une situation donnée, de
se faire une idée objective de l’état de la biodiversité (ou d’une partie de la biodiversité), par exemple de la richesse et de l’abondance de la flore, des
oiseaux, des champignons, etc. S’en tenir à cette
définition reviendrait à exclure la plupart des indicateurs classés par Hamza et al. dans la catégorie
des indicateurs d’état. Prenons le cas de l’indicateur
du volume de bois mort, classé parmi les indicateurs structurels d’état de la biodiversité : il serait
logique, si l’on souhaite calculer un volume de bois
mort pour en déduire une richesse potentielle en
espèces saproxyliques (usage actuel) de classer cet
indicateur parmi les indicateurs de pression (plus
on exploite de bois mort et plus la pression sur les
espèces saproxyliques augmente). Par contre, si l’on
veut évaluer l’efficacité des mesures mises en place
pour augmenter le volume de bois mort, il faudrait
plutôt classer cet indicateur dans la catégorie des
indicateurs de réponse. Cet exemple illustre à nouveau la difficulté qui consiste, de manière générale, à répartir ces indicateurs au sein du système
Pression-état-réponse.
enfin, les indicateurs d’état issus d’autres critères de
gestion durable pourraient aussi faire l’objet d’une
analyse sous l’angle de la biodiversité, notamment
ceux des critères 1 à 3, qui traitent des ressources
forestières et des stocks de carbone dans la biomasse et dans le sol, de la santé des écosystèmes et notamment de l’évaluation des propriétés chimiques
du sol (niveau d’acidité et de disponibilité en azote)
ou encore du maintien et de l’encouragement des
fonctions de production de la forêt (équilibre production-récolte).
n Pertinence des indicateurs de réponse
le premier indicateur de ce groupe (l’indicateur 4.6)
est subdivisé en deux parties dont la première, qui
concerne les peuplements porte-graines gérés pour
la production de semences forestières, est assez peu
51
liée à la diversité génétique (cf. cependant l’encadré
2 sur les régions de provenance). la seconde, qui
concerne le réseau de conservation des ressources
génétiques forestières, représente bien en revanche
un indicateur de réponse pour la partie génétique
du critère biodiversité.
le deuxième indicateur classé dans cette catégorie
concerne l’étendue des surfaces forestières placées
sous statut de protection pour conserver la biodiversité. Ces deux indicateurs abordent l’un comme
l’autre des thèmes importants du point de vue des
politiques publiques et de la gestion forestière.
4.6 – Production de matériel de reproduction (semences et plants) pour la régénération artificielle
et surfaces forestières dédiées à la conservation
des ressources génétiques forestières (thème
« ressources génétiques ») :
la composante intra-spécifique de la diversité est
abordée de manière indirecte par une partie de
cet indicateur. l’indicateur 4.6 s’intéresse en effet
à l’évolution des surfaces destinées à assurer la
disponibilité et l’existence continue des ressources
forestières sur le territoire19. Cet indicateur ne permet pas de visualiser la distribution géographique
des surfaces dédiées à l’activité de conservation des
ressources génétiques. des données complémentaires permettraient de se faire une idée plus précise
du degré d’exhaustivité de ce réseau national de
gestion et de conservation des ressources génétiques à l’échelle nationale.
l’indicateur s’intéresse, en même temps, à la production de semences et de plants forestiers pour la
régénération artificielle. Selon Hamza et al. (2007),
dans son état actuel et à cette échelle (nationale), il est inadapté au critère « biodiversité ». les
peuplements d’intérêt relèvent en effet d’une réglementation dont l’objectif n’est pas la conservation de la biodiversité mais plutôt la facilitation du
commerce des graines par l’Union européenne. Ils
sont sélectionnés et gérés avant tout pour répondre
aux besoins actuels des reboiseurs et non pour leur
représentativité quant à la diversité génétique de
l’essence considérée. Ces peuplements sélectionnés
ou testés ne préjugent pas, en outre, de la récolte
et de l’utilisation effective du matériel forestier de
reproduction. la pertinence du phénomène ainsi
représenté vis-à-vis de la biodiversité s’avère en
conséquence assez médiocre (cf. encadré 2).
4.9 – surfaces forestières protégées (thème : forêts protégées) :
les différents statuts de protection attribués aux
espaces naturels constituent actuellement l’une
des réponses politiques les plus concrètes pour limiter, voire réduire l’intensité des pressions d’origine anthropique sur la biodiversité. l’indicateur 4.9,
qui s’intéresse à l’évolution des surfaces forestières protégées en fonction du degré d’intervention
humaine autorisé (aucune intervention humaine
dans les réserves biologiques et naturelles intégrales, intervention minimale dans les zones centrales
des parcs nationaux, etc.), représente à ce titre une
ENCADRÉ 2
en collaboration avec des chercheurs généticiens d’autres instituts scientifiques, Irstea a défini les
régions de provenance les plus représentatives de la diversité des peuplements présents sur le territoire
français. Ce découpage territorial traduit les adaptations de chaque espèce au climat et au sol. Il serait
plus pertinent, à l’avenir, de recentrer la partie « peuplements porte-graines » de l’indicateur 4.6 sur ces
régions de provenance, établies dans une optique véritable de préservation de la diversité génétique
(protection de l’autochtonie, garantie de diversité génétique des essences à l’échelle de leur aire de
répartition). des données concernant les efforts réalisés pour augmenter la diversité génétique des lots
de semences pourraient également venir compléter à terme cet indicateur (elles ne sont actuellement
pas disponibles).
19
52
dans le cadre de la mise en œuvre de la politique nationale de conservation des ressources génétiques forestières
Thème
Gestion forestière
courante
Gestion conservatoire
Indicateurs complémentaires
Formation / sensibilisation des propriétaires et gestionnaires
à la biodiversité
Intégration des pratiques en faveur de la biodiversité dans les processus
de certification forestière et d’aménagement
Plans de restauration d’espèces forestières menacées
Observatoires nationaux de la biodiversité
Tableau 2 : propositions d’indicateurs de réponse complémentaires, Hamza et al. (2007).
base solide, synthétique et internationalement lisible des différents statuts de protection en place
sur le territoire métropolitain. la régionalisation de
l’information permettrait néanmoins d’améliorer
la visibilité de ce réseau d’espaces forestiers protégés (carte départementale ou régionale du taux/
statut de protection).
III. Besoins prioritaires de
recherche
n Pour préciser l’indicateur lui-même
l’analyse a mis en évidence le besoin de préciser certains indicateurs, notamment en ce qui
concerne : la cartographie des boisements anciens
(4.3), la caractérisation de la zone d’indigénat des
essences présentes en France (4.4) ou encore le
développement d’indicateurs relatifs à la production et à l’utilisation des matériels forestiers de
reproduction (4.6). la recherche de valeurs de référence, par exemple dans les forêts non exploitées
ou semi-naturelles (4.3), se rattache aussi à cette
catégorie. Ces questions ne relèvent pas toujours
de l’activité de recherche mais parfois plutôt d’un
processus de développement ou d’expertise. dans
ce cas, des réponses relativement simples, bien
que relativement onéreuses pour certaines (cas
de la cartographie des forêts anciennes à l’échelle
de la France), pourraient être mises en œuvre. au
contraire, elles nécessitent parfois d’importants
programmes de recherche. C’est le cas par exemple de la connaissance des zones d’indigénat des
essences françaises, qui requiert encore un gros
travail de paléoécologie et de génétique.
n Pour préciser les liens entre
l’indicateur et ce qu’il indique
le manque de connaissances sur les liens entre un
indicateur et ce qu’il indique vraiment constitue
l’une des principales faiblesses des systèmes d’indicateurs actuels (cf. Bonhême, page 21). en effet,
pour la plupart des indicateurs de biodiversité forestière, les commentaires ne précisent pas (parfois
parce qu’on ne le sait pas) ce qu’ils évaluent réellement. Un moyen de progresser dans ce domaine
pourrait consister à :
• préciser les groupes taxonomiques, les groupes
écologiques voire les espèces associées positivement ou négativement à l’indicateur ;
• quantifier cette relation, par grand type stationnel, grande essence dominante et grand stade successionnel (ou alors uniquement en peuplements
« adultes ») ;
• préciser les échelles de pertinence et de validité
de l’indicateur.
les groupes taxonomiques qui pourraient être étudiés sont (i) des groupes à large amplitude et présents sur tout types de milieux terrestres, tels que
les oiseaux, la flore vasculaire (données existantes
et publications) ; (ii) des groupes typiquement forestiers (insectes de la litière, lichens, etc.) et parmi
eux des groupes forestiers sensibles aux pratiques
sylvicoles tels que les taxons saproxyliques et/ou
cavicoles20 (au moins pour les indicateurs associés
aux peuplements âgés et au bois mort). Ce travail
pourrait être fait à travers une méta-analyse pour
des indicateurs déjà bien étudiés (4.2 : régénération). de nouvelles données seront probablement
nécessaires pour les autres.
53
la relation entre l’indicateur et la partie de la biodiversité qu’il indique résulte pour la plupart du
temps de causes multiples, qui évolueront très probablement en lien avec de nombreux facteurs tels
que le changement climatique. l’idéal serait donc
de prévoir de vérifier la permanence de ces relations dans le futur, en particulier en développant un
suivi de biodiversité fondé sur la récolte de données
taxonomiques permettant de renseigner de manière
directe sur l’état de santé de la biodiversité.
n Pour étudier les mécanismes
sous-jacents qui lient ces indicateurs
à la biodiversité
on peut notamment l’envisager pour des indicateurs en lien assez direct avec la biodiversité (cf.
indicateurs 4.2 : régénération, 4.4 : indigénat, 4.5 :
bois mort, 4.9 : surfaces protégées). des travaux
de recherche traitent en particulier des liens entre
sénescence, bois mort et biodiversité (lassauce et
al., 2011). Ces approfondissements nécessitent de
tester les indicateurs existants et d’approfondir nos
connaissances sur les mécanismes en jeu : quels
sont par exemple les mécanismes qui expliquent le
lien entre un âge avancé des arbres et la présence
de certaines espèces ? Quels sont les effets respectifs du diamètre des troncs, de la présence des blessures, de la composition chimique du bois et des
écorces, etc. sur la préférence de certaines espèces
pour ces arbres âgés ? Dans le cas des bois morts,
quels sont les mécanismes physiologiques et écologiques à l’origine du lien entre la taille des bois
morts, l’état de décomposition, la nature de l’essence et la présence des espèces ? des programmes
centrés sur ce type d’approche pourraient notamment être développés en lien par exemple avec la
mise en place d’un suivi d’espèces saproxyliques au
niveau français ou européen.
20
54
Cf. Nivet et al., page 59.
Conclusion
l’appréciation de la cohérence d’ensemble des indicateurs de biodiversité montre la nécessité de
repenser l’ensemble des indicateurs de gestion forestière durable, tous critères confondus, en définissant un cadre conceptuel rigoureux. Concernant
les seuls indicateurs de biodiversité, l’application
du modèle Pression – état – réponse permet de
compléter l’analyse par indicateur mais un travail
d’approfondissement s’avère nécessaire. Pour avoir
valeur de modèle, des relations causales devront
en particulier être établies entre les indicateurs de
chaque triplet. l’analyse détaillée des quinze indicateurs de biodiversité a ensuite permis de dégager les principales améliorations possibles et les
besoins de recherche à plus ou moins long terme.
Concernant les améliorations, il reste à définir précisément la faisabilité de certaines propositions,
notamment en faisant tester certaines mesures ou/
et observations par l’IFN, le principal fournisseur
de données (concernant par exemple l’inventaire
des arbres sénescents ou porteurs de microhabitats). d’autres actions plus spécifiques pourraient
être développées (recherche des zones d’indigénat,
cartographie des forêts anciennes, etc.). enfin, ces
propositions ont montré l’intérêt de constituer des
groupes d’experts sur certains sujets (définition de
niveaux de naturalité, liste d’arbres forestiers, zones
d’indigénat, etc.). les besoins de recherche à plus
long terme sont importants, notamment pour préciser certaines valeurs de référence, le caractère indicateur de biodiversité de l’indicateur choisi et les
mécanismes sous-jacents au lien entre indicateur
et biodiversité. Il semble important de disposer à la
fois d’un suivi d’espèces et d’un suivi de variables
dendrométriques ou écologiques mais surtout de
relier, par des analyses statistiques, ces deux types
d’information (rossi et al., 2007). n
Cette synthèse se base en priorité sur les
références suivantes
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Quelques réflexions sur les éléments et stades tronqués par la sylviculture, in Gosselin M. et laroussinie
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pour préserver - synthèse bibliographique. antony :
Co-édition GIP ecofor – Cemagref-éditions., p.217256.
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numéro spécial, 8 p.
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L’IF, 13, 8 p.
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Forest europe, UNeCe et Fao, 2011. Pan-European
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55
56
Pourquoi et comment construire un indicateur
composite de la biodiversité en forêt ?
Jean-Luc Peyron
*Gip Ecofor
Comprise comme la variété des formes de la vie,
la biodiversité apparaît étendue, complexe et encore largement méconnue. elle incite en premier à
l’analyse de ses multiples formes selon les objectifs
que l’on poursuit et les objets ou phénomènes auxquels on s’intéresse. d’aussi nombreux indicateurs
permettent d’en donner une idée plus précise et
approfondie qu’une simple observation, et de débattre ou échanger, notamment entre scientifiques
et utilisateurs.
du point de vue des politiques publiques voire de la
communication, une vision différenciée reste utile
mais, dans certains cas, il apparaît souhaitable de
raisonner sur une base synthétique pour permettre
un arbitrage entre des décisions aux effets contradictoires sur les différentes composantes de la biodiversité. lorsque l’on a accès à des évaluations
monétaires, une approche économique classique de
type coûts avantages est possible et on adopte la
valeur comme indicateur synthétique. Mais lorsque
l’on ne dispose pas d’une telle référence monétaire,
il peut être intéressant d’en élaborer une sous la
forme d’un indicateur synthétique ou composite.
on reproche souvent à de tels indicateurs de prétendre résumer en une seule dimension une multiplicité de facettes et, partant, d’être réducteurs.
Mais, d’une part, appréhender la complexité passe
par des simplifications qui s’attachent à conserver le maximum d’information mais peuvent aussi
être radicales : c’est ce que font couramment les
chercheurs qui élaborent des modèles, les experts
qui construisent des typologies, les statisticiens
qui résument en un, deux ou trois plans factoriels
l’ensemble des données dont ils disposent. d’autre
part, l’indicateur composite ne substitue pas une
dimension à toutes les autres : bien conçu et utilisé, il ajoute une synthèse à toutes les analyses qui,
quant à elles, subsistent. Il apporte donc une vision
globale sans rien perdre du détail et des éléments
d’interprétation.
de fait, le besoin d’un indicateur composite pour la
biodiversité en forêt s’est fait sentir en plusieurs occasions, notamment lorsqu’il s’est agi d’évaluer une
politique de multiples points de vue parmi lesquels
celui de la biodiversité. Par ailleurs, son élaboration
peut donner l’occasion d’aborder des problèmes de
fond qui auraient tendance à être rapidement évacués sinon, concernant par exemple la préférence à
accorder à l’évolution d’un indicateur par rapport
à un autre.
Pour établir un indicateur composite de la biodiversité en forêt, quelles propriétés doivent être recherchées ? dans la mesure où existent des indicateurs
de gestion durable publiés et reconnus, il apparaît
cohérent de prendre ceux-ci comme base d’un indicateur composite. À partir de là, on peut recommander l’approche consistant à :
• sélectionner parmi les indicateurs existants ceux
qui caractérisent le mieux la biodiversité et se prêtent le mieux à un étalonnage et à une composition
avec d’autres indicateurs ; ces indicateurs existants
appartiendront préférentiellement au critère d’Helsinki relatif à la biodiversité mais pourront aussi
émaner d’autres critères ; en particulier, la surface
forestière est une variable importante pour la biodiversité qui pourrait constituer l’un des indicateurs
retenus ;
• sérier, pour chaque indicateur, la plage de valeurs
efficaces, d’une façon qui soit cohérente et homogène entre les différents indicateurs ;
• transformer la plage de valeurs efficaces de l’indicateur pour la faire varier entre 0 et 1, cette dernière
valeur étant préférable à 0 ; ce faisant, il convient
57
de décider du mode de transformation (linéaire,
concave, convexe) selon la nature des phénomènes
évalués et des préférences qui s’expriment ;
• combiner en un seul les différents indicateurs retenus, par multiplication ou addition ;
• analyser les variations temporelles de l’indicateur
composite et de ses composantes en référence à la
valeur d’une année donnée prise pour base 100 ;
• représenter les résultats sur un graphique en barres reprenant les valeurs de chaque composante et
de l’indicateur composite.
Une telle procédure est de nature à favoriser le
dialogue entre les acteurs, notamment pour ce qui
concerne la sélection des indicateurs, le choix de la
plage de valeurs, la fonction de variation des valeurs sur la plage [0, 1]. n
58
Utilité des indicateurs taxonomiques
de biodiversité forestière
Cécile Nivet*, Frédéric Gosselin**, Marion Gosselin**
* GIP ECOFOR
** Institut de recherche pour l’ingénierie de l’agriculture et de l’environnement (IRSTEA)
Introduction
la biodiversité est un concept complexe, englobant
à la fois la variabilité génétique des populations, la
diversité spécifique et fonctionnelle des communautés, la diversité des écosystèmes et les interactions
entre ces différents niveaux organisationnels. Nul
indicateur ne saurait prendre en compte l’ensemble de ces composantes : les indicateurs évaluent
des compartiments partiels de la biodiversité. dans
cette synthèse, nous nous limitons à la composante
interspécifique de la biodiversité forestière, à savoir
la diversité des communautés d’espèces forestières,
pour laquelle deux grands types d’indicateurs sont
envisageables. les indicateurs structurels de biodiversité sont fondés sur des données écologiques (des
données spatiales, des données issues de la dendrométrie et de la typologie des peuplements, etc.), en
lien avec la gestion et les politiques de conservation
de la biodiversité. Ils sont censés être corrélés à la
diversité spécifique des communautés forestières.
Cependant, le lien entre ces indicateurs et l’état
réel de la biodiversité n’est pas toujours bien connu.
les indicateurs taxonomiques de biodiversité sont,
au contraire, des indicateurs directement issus de
données d’abondance et de présence-absence d’espèces, permettant d’appréhender la diversité des
communautés. Il s’agit donc d’indicateurs centrés
sur le suivi de certains taxons – plantes, oiseaux,
insectes, mammifères, etc. – pour renseigner sur
l’état de la biodiversité.
actuellement, les indicateurs structurels sont les
plus couramment utilisés dans le jeu des indicateurs
de gestion durable [IGd] des forêts françaises métropolitaines (MaaPraT - IFN, 2011). la possibilité
de les compléter par des indicateurs taxonomiques
de biodiversité est étudiée ici. Quel est l’intérêt de
réaliser des suivis taxonomiques de la biodiversité,
quelle place tiennent actuellement ces suivis en
France et à l’étranger, quels taxons est-il judicieux
de suivre, sur la base de quelles variables, selon
quels protocoles d’échantillonnage ? les pages qui
suivent apportent certains éléments de réponse,
sur la base des réflexions et travaux menés sur ce
thème entre 2006 et 2011 au sein du programme de
recherche « Biodiversité, gestion forestière et politiques publiques »1.
I. Pourquoi réaliser des suivis
taxonomiques de la biodiversité
forestière ?
actuellement, les indicateurs de biodiversité associés à la gestion durable des forêts sont pour
l’essentiel des indicateurs fondés sur les caractéristiques structurelles des peuplements et des paysages (MaaPraT - IFN, 2011). Ils évaluent l’état
des différents compartiments de la biodiversité de
manière indirecte : on suit par exemple l’évolution
des volumes en bois mort pour se faire une idée de
la diversité des espèces saproxyliques qui dépendent de ce micro-habitat. Ce type d’indicateur a le
mérite d’offrir aux gestionnaires une information
parlante, qui peut être collectée à moindre coût.
Programme animé par le Gip Ecofor avec le soutien des ministères en charge du développement durable et de l’agriculture.
Plus d’information sur le site BGF : http://bgf.gip-ecofor.org/
1
59
on sait de plus que la strate arborée conditionne
effectivement la présence de nombreuses composantes de la biodiversité et il ne fait ainsi nul
doute que les jeux d’indicateurs doivent inclure
des indicateurs structurels, en particulier ceux qui
font consensus et que l’on sait interpréter du point
de vue de la biodiversité (levrel, 2007). Cependant, même pour les indicateurs structurels assez
consensuels, il existe aujourd’hui des incertitudes
sur les liens présumés entre ces derniers et l’état
réel de la biodiversité forestière. des informations
manquent, en particulier sur :
• les groupes taxonomiques et écologiques effectivement représentés par les indicateurs structurels :
par exemple, quels sont les groupes taxonomiques
favorisés par le mélange d’essences (indicateur de
composition en essences 4.1 de Forest Europe 2) ?
• les conditions écologiques de validité de ces indicateurs : par exemple, l’effet du mélange d’essences
(indicateur 4.1) sur la flore est-il le même sur tous les
types de stations et pour tous les types de mélange ?
• la force, la significativité et la constance du lien
entre l’indicateur et le(s) compartiment(s) de biodiversité au(x)quel(s) il est relié ; les mécanismes
sous-jacents.
• la forme de la relation entre l’indicateur et la biodiversité. est-il à interpréter en moyenne, en variance (Bergès et al., 2002), en équitabilité ? dans
le cas de l’indicateur 4.1, cela reviendrait à savoir
s’il faut privilégier partout les peuplements les plus
mélangés ou s’il faut promouvoir pour partie des
peuplements mélangés et pour partie des peuplements plus purs.
Ces lacunes, ainsi que l’absence de suivis taxonomiques directs en complément des indicateurs structurels, peuvent conduire à des interprétations erronées concernant les tendances de la biodiversité.
Tous les cinq ans, l’Institut national de l’information
géographique et forestière (IGN)3 publie la liste des
indicateurs de gestion durable des forêts françaises
métropolitaines (cf. Nivet et al., page 41). Mis en
place à l’origine pour évaluer la durabilité des pratiques sylvicoles et non pour assurer le suivi de la
biodiversité, ce document propose des indicateurs
majoritairement structurels pour évaluer le critère
« biodiversité » (critère 4 d’Helsinki). Ces indicateurs
donnent une image plutôt positive de l’évolution de
la biodiversité en forêt4 :
• les peuplements monospécifiques ont tendance à
régresser au profit des peuplements mélangés depuis une vingtaine d’années ;
• les forêts semi-naturelles sont celles qui profitent le plus de l’expansion forestière (plus que les
plantations) ;
• on observe une relative stabilité des futaies régulières très âgées5 ;
• les surfaces occupées par les espèces acclimatées
(douglas, pin noir, etc.) augmentent plus vite que
celles occupées par les espèces indigènes mais ces
dernières dominent largement les forêts françaises
(92 % des peuplements en 2010);
• les espèces exotiques ne couvrent que 2 % des
forêts et ce taux reste relativement stable ;
• la quantité de bois mort est en progression, tout
comme les surfaces d’espaces protégés.
Il est surprenant de constater que dans un système
conçu pour évaluer la durabilité de la gestion forestière, le seul indicateur qui renvoie une image
vraiment négative concerne la fragmentation du
territoire forestier (cf. synthèse précédente, indicateur 4.7), un phénomène influencé par des facteurs
extérieurs à la gestion forestière tels que les changements d’affectation des terres, les pollutions diffuses ou le changement climatique. Ces pressions
mériteraient d’être évaluées dans une optique de
Le processus Forest europe s’appuie sur les Conférences ministérielles pour la protection des Forêts en Europe : Strasbourg
(1990), Helsinki (1993), Lisbonne (1998), Vienne (2003), Varsovie (2007), Oslo (2011).
3
Cet organisme résulte de la fusion, au 1er janvier 2012, de l’Institut géographique national (IGN) et de l’Inventaire forestier
national (IFN)
4
L’édition 2010 des indicateurs de gestion durable des forêts françaises métropolitaines (MAAPRAT - IFN, 2011) marque
une rupture avec les éditions précédentes, principalement en raison de l’adoption d’une nouvelle définition de la forêt et du
changement de méthode d’inventaire de l’IGN. Il convient ainsi plutôt de considérer les résultats de la nouvelle édition comme
un état zéro des indicateurs (Nivet et al., page 41). Les tendances mentionnées ci-dessous se basent ainsi plutôt sur les séries
précédentes (1995, 2000 et 2005) même si les chiffres sont actualisés.
5
Néanmoins très variable selon les essences concernées (MAAPRAT - IFN, 2011)
2
60
suivi de la biodiversité forestière, dans un cadre plus
large que celui de l’évaluation de la gestion forestière. les indicateurs taxonomiques sont quasiment
absents des indicateurs de gestion forestière durable. l’indicateur 4.8 sur les espèces forestières menacées d’extinction montre pourtant que l’état de
la biodiversité forestière n’est pas aussi bon que la
plupart des indicateurs structurels le laissent penser. d’autres indicateurs taxonomiques traduisent
une baisse de la diversité des espèces forestières.
ainsi, l’abondance des populations d’oiseaux communs inféodées aux milieux forestiers a reculé de
12 % entre 1989 et 2009 (Jiguet F., 2010). Cette
observation montre qu’il existe des incertitudes
sur les liens qui existent réellement entre les indicateurs taxonomiques (ici, l’abondance d’oiseaux
communs) et structurels (par exemple, présence
de futaies régulières âgées, richesse en essences
dans les peuplements, supposées être favorable aux
oiseaux), une incertitude d’ailleurs confirmée par la
littérature6.
de plus, ce système d’indicateurs fondé essentiellement sur le suivi de données dendrométriques liées
(c’est le présupposé) à une composante de biodiversité pourrait participer à une forme de normalisation des pratiques de gestion forestière alors qu’il
existe des incertitudes de taille sur l’effet réel de
ces dernières sur la biodiversité. Ces considérations
portent finalement à croire que l’information obtenue par le biais des suivis d’espèces permettrait
de mieux caractériser l’état de la biodiversité et de
rééquilibrer le système d’indicateurs Pression-étatréponse (cf. Nivet et al., page 41).
II. Quels suivis taxonomiques à
l’étranger7?
la plupart des pays européens ayant signé la
Convention sur la diversité biologique (CdB) s’organisent actuellement pour l’appliquer dans le domaine forestier et plusieurs organismes publient des
listes d’indicateurs dont une partie est en rapport
avec la biodiversité forestière, à l’image du processus européen SEBI 20108 (EEA9, 2009). Concernant
la biodiversité forestière, les suivis taxonomiques
peuvent exister :
• soit au sein du volet forestier des suivis nationaux
ou internationaux de biodiversité, qui concernent
plusieurs types de milieux ;
• soit au sein du volet biodiversité des suivis tels
que ceux réalisés dans le cadre des inventaires forestiers nationaux.
n volet forestier des suivis de
biodiversité
Globalement, au niveau international et tous types de milieux confondus, les suivis de biodiversité concernent très peu de taxons en dehors des
vertébrés (oiseaux, mammifères), des plantes vasculaires et de certains champignons ou insectes
facilement identifiables (lépidoptères, libellules,
gros coléoptères). À l’échelle européenne et aux
échelles nationales, Gosselin et Paillet (2011) notent que les taxons actuellement les plus surveillés
sont les oiseaux, les mammifères ainsi que les papillons de jour, pour partie en raison de l’essor récent de programmes fondés sur la participation du
public (naturalistes ou amateurs) à la récolte de
données10. C’est le cas, en France métropolitaine,
du Suivi temporel des oiseaux communs (SToC),
un programme qui s’appuie sur des ornithologues volontaires pour suivre l’évolution annuelle
de l’abondance de différentes espèces d’oiseaux
communs, en particulier celle d’oiseaux spécialistes des milieux forestiers.
les stratégies de collecte des données nécessaires
à ces suivis de biodiversité varient selon les pays.
dans la majorité des cas, ce sont les ministères en
charge de l’environnement qui rassemblent les données des suivis existants et coordonnent les différents opérateurs en charge de la réalisation de ces
derniers. Ce système se heurte à de nombreuses
questions, notamment d’ordre méthodologique, du
Cf. Redford, 1992 ; Gosselin et Laroussinie, 2004 ; Balmford et al., 2005 ; Dudley et al., 2005
Cf. Gosselin et Paillet, 2011
8
Le processus Streamlining European Biodiversity Indicators (SEBI) s’inscrit dans la Stratégie européenne pour la biodiversité.
9
L’Agence européenne pour l’environnement
10
Cf. les résultats du projet européen BIOMAT : http://eumon.ckff.si/biomat/
6
7
61
type « comment agréger des données récoltées à
différents niveaux et pour différents objectifs ? »,
« comment valoriser des données dans un objectif autre que celui pour lequel l’organisation de
leur collecte a été conçue ? (types de relevés, dimensionnement de l’échantillonnage)», etc. dans
quelques cas plus rares, des pays ou provinces se
lancent dans la mise en place de programmes réellement dédiés au suivi de la biodiversité. Ils sont
fondés sur un échantillonnage statistique rigoureux
afin de permettre une interprétation des résultats
sur l’ensemble du territoire ciblé : c’est le cas des
suivis de la biodiversité conduits en Suisse11 ou en
alberta (Canada)12. Menés sur l’ensemble du territoire, ils ont assez de points d’échantillonnage en
milieu forestier pour contribuer significativement à
un suivi de biodiversité forestière. dans le cas de la
Suisse, l’exploitation des données recueillies dans le
cadre de ce suivi a déjà donné des résultats intéressants pour la biodiversité forestière (cf. Gosselin et
Paillet, 2011).
n volet biodiversité des suivis forestiers
l’importance de mesurer et de surveiller l’évolution
des forêts est largement reconnue dans les processus politiques internationaux, qui portent un intérêt
à la disponibilité de la ressource en bois mais également à la conservation de la biodiversité des forêts et à la gestion durable ; des systèmes de suivis
ont été mis en place pour évaluer la durabilité de la
gestion forestière où la biodiversité est un critère
d’évaluation parmi d’autres. au niveau européen,
la stratégie en faveur du développement durable et
plus précisément le processus Forest Europe identifient la biodiversité comme l’un des six critères
de gestion durable. la biodiversité est évaluée par
un système essentiellement composé d’indicateurs
structurels de pression liés à la gestion forestière
(variables dendrométriques corrélées à telle ou telle
composante de la biodiversité ou supposées l’être) ;
la déclinaison française de ce processus donne lieu
à la publication, tous les cinq ans, des indicateurs
de gestion durable des forêts françaises métropolitaines (MaaPraT - IFN, 2011), qui reprennent et
complètent ceux de Forest Europe (Forest Europe et
al., 2011).
Il n’existe pas encore à proprement parler de système global de suivi de la biodiversité forestière à
l’échelle européenne autre que celui sur les espèces en danger13. les pays forestiers qui sont dotés
d’inventaires forestiers nationaux ajoutent néanmoins progressivement à leurs relevés des données
d’abondance d’espèces ou de groupes d’espèces
particuliers, notamment les plantes vasculaires,
les bryophytes, les lichens et les champignons saproxyliques. les suivis de biodiversité s’appuient
donc le plus souvent sur les données des inventaires forestiers nationaux pour organiser le reporting
sur la biodiversité forestière. Mais les indicateurs
taxonomiques y sont encore rares ou concernent
des taxons qui ne sont pas les plus forestiers ni les
plus menacés. Un récent ouvrage de Tomppo et al.
(2010) explore les possibilités d’utiliser ces inventaires pour répondre aux demandes internationales en matière de suivi et notamment en matière
de suivi de la biodiversité. l’étude porte sur trente-sept pays14 dont vingt-trois sont membres de
l’Union européenne. vingt-sept pays (soit les deux
tiers) utilisent des données de leur inventaire forestier national pour les suivis de biodiversité15 et
parmi eux :
• presque tous (excepté le Portugal) recourent à des
indicateurs de biodiversité basés sur des données
structurelles comme le volume de bois mort ou la
structure verticale du peuplement ;
Cf. site du monitoring de la biodiversité en Suisse
Cf. le site internet Alberta Biodiversity Monitoring Institute
13
Cf. listes et livres rouges de la flore et de la faune menacées sur le site de l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN)
14
Allemagne, Autriche, Belgique (Wallonie), Brésil, Canada, Chine, Chypre, Corée, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, USA,
Finlande, France, Grande-Bretagne, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Italie, Japon, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Norvège,
Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République slovaque, République tchèque, Roumanie, Russie, Slovénie, Suède,
Suisse
15
Suivis nationaux ou internationaux requis par les engagements internationaux issus du processus Forest europe, de la
Convention sur la diversité biologique (CDB), des rapports de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
11
12
62
• les deux tiers, dont la France, recourent à des indicateurs taxonomiques directs, de type « présenceabsence » ou « abondance » d’espèces. dans cette
catégorie :
- les groupes taxonomiques les plus surveillés en
dehors des ligneux concernent le plus souvent
la végétation du sous-bois. dans la moitié des
cas, les données collectées au niveau de l’espèce
concernent le groupe des plantes vasculaires ;
- les données concernant d’autres groupes sont
rares : six pays relèvent des données sur les lichens épiphytes, deux pays s’intéressent aux
bryophytes (France et Slovaquie) et aux champignons (Slovaquie et Suisse).
Cependant, ces suivis taxonomiques restent limités, (i) soit parce qu’ils portent sur une liste limitée d’espèces ; par exemple, l’allemagne relève les
abondances de seulement huit espèces de plantes
vasculaires fréquentes et la Norvège une espèce
seulement ; la Suisse surveille l’évolution de onze
espèces de champignons saproxyliques ; (ii) soit
parce que les données sont prélevées à des niveaux
moins fins que l’espèce :
• à l’échelle du groupe d’espèces : pour les lichens
épiphytes, les données consistent fréquemment à
estimer le couvert de trois groupes morphologiques,
à savoir les lichens fruticuleux, foliacés ou crustacés (espagne, Irlande) ;
• à l’échelle du genre : c’est le cas par exemple des
champignons saproxyliques du genre polypore en
estonie ou des lichens Usnea Bryoria et Alectoria
en Suède ;
• à des échelles taxonomiques supérieures : relevé
du couvert végétal (toutes espèces confondues) par
exemple.
III. Quelles espèces suivre en
forêt et comment ?
on a vu précédemment qu’il existait de nombreuses
incertitudes sur les liens entre les variables utilisées
comme indicateurs de biodiversité et l’état réel de
celle-ci en milieu forestier ; les indicateurs taxo-
nomiques sont donc des compléments nécessaires
aux indicateurs structurels. Mais il existe aussi des
incertitudes quant à la capacité des suivis actuels
à répondre aux questions que la société se pose en
termes d’évolution de la biodiversité forestière. actuellement, les objectifs des suivis de biodiversité
forestière ne sont pas assez clairs : « sur quels compartiments de la biodiversité met-on l’accent ? » ;
« à quelle échelle le suivi doit-il être mené ? » ; etc.
des auteurs (exemple : levrel et al., 2007) plaident
par conséquent pour l’introduction de suivis de biodiversité supplémentaires dont la mise en place soit
conditionnée par la définition préliminaire d’objectifs clairs : on ne s’intéressera en effet pas aux
mêmes espèces selon que l’on veut évaluer l'état de
populations d'espèces rares ou l'efficacité de mesures conservatoire du bois mort pour la biodiversité
saproxylique.
n Quelles espèces suivre ?
Parmi les multiples objectifs de suivis possibles
concernant la biodiversité forestière, deux objectifs
principaux sont identifiés ici :
• évaluer l'état et l'évolution de la biodiversité forestière pour les reporting requis par les conventions internationales (espèces communes et bien
connues, espèces forestières menacées, espèces
patrimoniales, etc.) ;
• évaluer l'impact des politiques publiques (politique forestière, politique de conservation) sur les
espèces sensibles aux changements globaux (dont
les pratiques sylvicoles)16.
dans cette optique, on recommandera alors par
exemple le suivi des trois catégories d’espèces ou
groupe d’espèces suivantes :
• les espèces menacées, tous milieux confondus
(listes rouge UICN) ;
• les espèces communes à large amplitude de milieux ;
• et les espèces spécialistes des milieux forestiers17, telles que :
On ne s’intéresse ici qu’à la composante spécifique de la biodiversité forestière. La composante génétique n’est pas traitée,
sinon de façon marginale.
16
63
- des espèces ou groupes d’espèces choisis en fonction des enjeux de biodiversité en forêt, des menaces
qui pèsent sur eux, des politiques mises en œuvre
et de la capacité à suivre ces groupes (par exemple les espèces de l’annexe II de la directive « Habitats-Faune-Flore» (1992), pour lesquelles le réseau
conservatoire Natura 2000 est mis en œuvre) ;
- des espèces ou groupes d’espèces les plus sensibles aux choix de gestion, notamment à l’exploitation (ex : bryophytes, les insectes saproxyliques et
les champignons), dont :
(i) les espèces ou groupes limités par les ressources
(espèces inféodées au bois mort, aux forêts non exploitées, aux vieux arbres, etc.) ;
(ii) des espèces ou groupes limités par leurs capacités de dispersion et potentiellement sensibles soit
à la fragmentation par des linéaires de transport,
soit au rythme et à l’intensité des coupes, soit au
changement climatique ;
(iii) des espèces ou groupes particulièrement sensibles au climat.
le choix des groupes d’espèces à suivre repose en
grande partie sur la connaissance des menaces qui
pèsent sur elles, notamment en termes d’évolution
des pratiques de gestion. Pour cela, on peut s’inspirer de la littérature scientifique : par exemple, si
les forestiers appréhendent souvent la biodiversité
à travers la diversité des essences d’arbres et de la
flore vasculaire, celle-ci s’avère moins sensible à
l’exploitation du bois que d’autres groupes taxonomiques (Gosselin, 2004 ; Paillet et al. 2010). de
même, les analyses ci-dessus mettent peu l’accent
sur les groupes indicateurs de parties plus grandes
de la biodiversité car les arguments scientifiques
en faveur de cette approche sont discutés (dallari
2007; Gosselin et dallari, 2007).
Par ailleurs, le choix des espèces est aussi largement subordonné à d’autres considérations, telles
que le coût du suivi, la quantité de données déjà
disponibles, la capacité technique à suivre les groupes taxonomiques, etc.
n Pour les suivis de taxons
saproxyliques en forêt
Gosselin et dallari (2007) plaident pour coupler les
suivis de biodiversité existants (flore vasculaire,
oiseaux) avec le suivi d’au moins un groupe d’espèces saproxyliques. dépendantes du bois mort pour
tout ou partie de leur cycle, ces dernières représenteraient près du quart des espèces forestières,
faune, flore et champignons confondus. en France,
près de dix mille espèces seraient concernées, en
particulier des champignons, des insectes (coléoptères) mais aussi de nombreuses espèces d’invertébrés, de bryophytes (mousses et hépatiques) et de
vertébrés (oiseaux, rongeurs, etc.). actuellement,
on estime à 11 % la proportion de coléoptères saproxyliques menacés à l’échelle pan-européenne et
à 14 % dans les pays de l’Union (Geburek et al.,
2010). Cette évaluation est faite à dire d’expert.
Plus généralement, dans les pays européens dotés
d’observatoires environnementaux, c’est environ 20
à 50 % des espèces saproxyliques qui figurent sur
les livres rouges des taxons menacés d’extinction
(notamment l’allemagne)18.
Pourtant, durant les dernières décennies, le volume
de bois mort a eu plutôt tendance à augmenter en
europe. Ce constat fait douter certains de l’importance de ce micro-habitat pour la conservation
de la biodiversité. Mais selon Gosselin et dallari
(2007), c’est méconnaître l’importance de l’effet de
traîne associé au phénomène d’extinction d’espèces
(Pimm, 2002). de plus, les évolutions prévisibles de
la gestion forestière, notamment avec la montée du
bois énergie, pourraient conduire (i) au maintien
ou à une baisse du volume moyen de bois mort,
(ii) à une plus grande variance spatiale du volume
de bois mort (juxtaposition d’îlots de vieux bois ou
de sénescences et de parcelles gérées de manière
intensive) et (iii) à une plus grande variance temporelle du volume de bois mort, là où le bois énergie
sera récolté. Ces tendances, notamment la première, pourraient être relativisées, par exemple dans le
cas de l’augmentation du phénomène de dépérissement. Ce qui est certain aujourd’hui, c’est qu’on ne
17
Cf. exemple des carabiques forestiers qui répondent plus fortement et plus nettement à la surface terrière que la flore forestière (où ?) voir les travaux des Equipes en Bretagne ( ?) Emmanuelle Richard, 2004 ?
18
On manque néanmoins de données sur les espèces saproxyliques menacées autres que les insectes.
64
sait pas bien prédire l’impact de ce type de scénario
sur les cortèges saproxyliques et c’est pourquoi la
mise en place d’un suivi de taxons saproxyliques à
l’échelle européenne ou française serait utile. Gosselin et dallari (2007) proposent deux groupes d’espèces saproxyliques faciles à suivre : les coléoptères
saproxyliques et les polypores.
n Comment suivre ces espèces ?
Nous proposons ici quelques pistes de réflexion
concernant deux étapes clés liées à la mise en place
opérationnelle d’un suivi taxonomique de biodiversité : la première concerne le type de données à
récolter, la seconde concerne le plan d’échantillonnage. d’autres aspects méthodologiques, liés par
exemple au choix des variables écologiques ou aux
analyses statistiques, ne sont pas abordés ici (cf.
encadré 1). Il est néanmoins important de garder à
l’esprit que toutes ces étapes doivent être pensées
en fonction des objectifs du suivi.
Quelles données récolter ?
la richesse spécifique (cf. encadré 2) est la mesure
ENCADRÉ 1
la qualité d’un suivi taxonomique repose sur
plusieurs critères essentiels identifiés par Gosselin (2011) comme suit :
Critère 1 définir des objectifs du suivi (inclut
le choix des groupes à suivre)
Critère 2 construire un plan d’échantillonnage adapté aux objectifs du suivi
Critère 3 conduire éventuellement une
étude pilote pour améliorer la précision du
suivi. Il pourra s’agir par exemple d’améliorer
les connaissances sur les seuils de détectabilité
des individus ou des espèces dans le cadre du
protocole de suivi ou des analyses de données.
Critère 4 choisir les méthodes standard de
relevés
Critère 5 choisir les variables écologiques
explicatives à collecter (spatiale, stationnelle
ou dendrométrique) en parallèle aux données
taxonomiques, pour améliorer par exemple la
précision statistique du suivi ou pour répondre
aux questions définies initialement.
ENCADRÉ 2
Richesse spécifique : nombre total d’espèces de la communauté. Plus la richesse est grande, plus la
diversité est élevée. Cette quantité n’a de sens que précisée par rapport à l’échelle à laquelle elle se
rapporte (Gosselin et laroussinie, 2004).
Abondance d’espèce : elle peut être mesurée et quantifiée de différentes façons (non équivalentes)
par :
• le nombre d’individus de l’espèce (abondance numérique)
• la biomasse de l’espèce
• le recouvrement, en pourcentage de la surface recouverte par l’espèce (pour les plantes
notamment)
• la fréquence, ou le pourcentage de présences de l’espèce dans des fractions du relevé
l’abondance relative d’une espèce se présente bien souvent comme l’abondance d’une espèce dans
un relevé par rapport à l’abondance totale du relevé (toutes espèces confondues) (d’après Gosselin et
laroussinie, 2004).
Répartition ou distribution spatiale : elle peut se définir comme l’aire de répartition ou comme la
fluctuation spatiale de l’abondance des organismes dans leur aire de répartition. Une communauté
est dite équirépartie lorsque tous les taxons (familles, genres, espèces) qui la composent ont la même
abondance. Par construction, plus une communauté tend vers l’équirépartition, plus sa diversité augmente. de même, à équitabilité donnée, plus la richesse taxonomique est grande, plus la diversité
augmente (Gosselin et laroussinie, 2004).
65
de biodiversité actuellement la plus utilisée. or, il
existe aujourd’hui un consensus parmi les écologues
pour dire que les indicateurs basés sur des données
de richesse sont peu informatifs en ce qui concerne
les dynamiques des écosystèmes et de la biosphère
de manière générale. les indicateurs basés sur ce
type de données seraient en particulier très dépendants des échelles auxquelles ils sont mesurés et
peu sensibles aux variations de court terme (notamment lorsque l’on raisonne à large échelle) dans
la mesure où l’extinction d’une espèce est un processus lent (Chevassus-au-louis et al., 2009).
depuis quelques années, la communauté des écologues favorise plutôt l’élaboration d’indicateurs
basés sur les variations d’abondance (cf. encadré 2)
ou sur des suivis considérant l’identité des espèces et non seulement leur nombre. Ces indicateurs
seraient non seulement plus sensibles aux dynamiques de court terme mais aussi plus compréhensibles pour les parties prenantes. Ils sont déjà utilisés
dans les méthodologies proposées par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN)
et dans certains cas par l’agence européenne pour
l’environnement, par la Convention sur la diversité
biologique (CdB) ou encore dans le cadre du Suivi
temporel des oiseaux communs (programme SToC).
la méthodologie de l’UICN pour évaluer le degré de
menace pesant sur les espèces peut aussi utiliser
des données démographiques (taux de survie, reproduction, dispersion, etc.). Selon certains auteurs
comme Thompson (2006), cette approche démogra-
phique serait la plus rigoureuse car elle permettrait
d’estimer très précisément les probabilités d’extinction d’une espèce à différents horizons de temps.
Mais la récolte des données nécessaires à cette approche requiert un travail de terrain très important
et c’est pourquoi Gosselin et dallari (2007) plaident
plutôt en faveur des suivis d’abondance, en tout cas
dans le cas des suivis de groupes d’espèces. Ces derniers permettent selon eux de suivre un plus grand
nombre d’espèces et d’aboutir sur un large territoire
et sur le moyen terme aux mêmes tendances que
les suivis démographiques. en croisant les catégories d’espèces à suivre avec le type de données à
récolter, ils aboutissent finalement au tableau1.
Ces analyses rejoignent globalement celles de levrel
et al. (2007), qui proposent de faire des regroupements taxonomiques et d’élaborer des indicateurs
composites de biodiversité fondés sur des données
recueillies au niveau de l’espèce. Ces regroupements peuvent prendre en compte des caractéristiques variées d’espèces, qu’elles concernent les
fonctions des espèces dans les écosystèmes, leurs
réponses à des gradients écologiques, leur sensibilité à des types d’habitats ou de gestion ou, plus généralement, leurs caractéristiques écologiques. les
données d’abondance de communautés permettent
ainsi une diversité de modes d’analyse qui en font
des données riches, pouvant d’ailleurs être utilisées
pour évaluer d’autres critères de la gestion durable forestière que le critère biodiversité (Gosselin et
Gosselin, 2008).
Espèces ou groupe d’espèces…
Critère de choix
Démographie
Abondance
Répartition
…menacées
Tous milieux
x
(x)
(x)
…à large amplitude
de milieux
x
x
…spécialistes forestiers
x
x
x
x
…communes
…dont sensibles à
la gestion forestière
(x)
Tableau 1 : taxons sélectionnés par Gosselin (2011) pour l’élaboration d’indicateurs de biodiversité en
fonction du type de données à récolter. Une croix « x » signifie que le croisement est envisageable, une croix
entre parenthèses émet certaines réserves et l’absence de croix signifie qu’a priori, le croisement n’est pas
envisageable.
66
Quel plan d’échantillonnage associé ?
Comme il est rare de pouvoir suivre l’ensemble des
populations d’un taxon, on procède généralement
à un échantillonnage ciblé qui consiste à récolter
des données de populations représentatives de
l’ensemble des populations. Pour y arriver, il est
important de veiller à ce que la sélection des sites
d’échantillonnage ne soit pas biaisée ; veiller par
exemple à ce qu’ils ne se situent pas exclusivement
dans des zones à « problème », en bord de route ou
dans des zones qui tronquent une partie du territoire comme c’est légèrement le cas du réseau de
l’IGN, qui relève des données exclusivement dans
les forêts de production (95 % des forêts françaises
métropolitaines).
la méthode d’échantillonnage à mettre en œuvre
dépend directement des questions que l’on se pose
et des populations ou espèces à suivre. Si l’on souhaite avoir une bonne représentation des tendances
spatiale ou temporelle des espèces communes, on
procèdera par exemple plutôt à un échantillonnage
systématique, aléatoire ou stratifié. Si l’on cible à
l’inverse des espèces rares, on sera alors plutôt amené à mettre en place un échantillonnage adaptatif
(densité plus forte autour des sites de présence). Si
l’on cherche encore à évaluer une politique de préservation ou de gestion – par exemple dans le cadre d’une étude d’impact d’une nouvelle pratique –,
l’échantillonnage recommandé sera alors probablement un échantillonnage stratifié, qui consistera
par exemple à suivre des populations d’espèces cibles en et hors zone concernée (cf. encadré 3).
IV. Quelles perspectives pour le
développement d’indicateurs
taxonomiques ?
Comme nous l’avons vu précédemment, nous disposons aujourd’hui de très peu d’indicateurs d’état
de la biodiversité spécifique. Plusieurs auteurs tels
que Pereira et Cooper (2006) plaident pour la mise
en place supplémentaire de ce type de suivis. Ils
plaident aussi pour l’insertion, au sein des indicateurs de gestion durable des forêts, d’indicateurs
pour évaluer l’impact des politiques publiques sur
la biodiversité.
n Pour le développement d’indicateurs
pour évaluer l’impact des politiques
publiques sur la biodiversité
les indicateurs de biodiversité actuellement proposés en forêt ne permettent pas, pour la plupart,
d’évaluer l’impact des politiques (exemple : la direc-
ENCADRÉ 3
Échantillonnage systématique : la population étudiée est échantillonnée sur une grille régulière de
points dont l’origine est choisie au hasard.
Échantillonnage aléatoire : chaque unité statistique de la population étudiée a la même probabilité
d’être choisie dans l’échantillon (Bastien et Gauberville, 2011).
Échantillonnage stratifié : la population étudiée est découpée préalablement en sous-ensembles appelés strates et où les unités statistiques font, dans chacune d’entre elles, l’objet d’un échantillonnage
aléatoire indépendant des autres strates (Bastien et Gauberville, 2011).
Échantillonnage adaptatif : le nombre de placettes échantillonnées dépend de l’occurrence et du
nombre d’individus rencontrés durant l’échantillonnage. Particulièrement adaptée pour le suivi d’espèces rares, en bouquet ou distribuées de façon non homogène, cette méthode ne permet cependant pas
de prévoir à l’avance le coût de l’échantillonnage et nécessite des calculs supplémentaires (moyenne,
variance).
67
tive Habitats-Faune-Flore, 1992) sur la biodiversité
inter-spécifique ou de fournir aux futurs décideurs
des éléments de diagnostic utiles pour la conception de nouvelles politiques. Il s’agit pourtant d’un
objectif important19. les politiques mises en œuvre sont souvent basées sur des hypothèses dont il
faudrait en effet vérifier l’efficacité, une remarque
qui plaide pour une intégration plus forte des suivis
dans les processus de décision et de régulation et
qui va de pair avec la nécessité de mieux définir les
objectifs du suivi. les liens du suivi et des indicateurs retenus avec une politique peuvent se faire de
différentes façons :
• le suivi peut avoir pour seul but de donner un
état de la situation ; nous sommes aujourd’hui très
souvent dans ce cas ; il s’agit alors de cerner l’état
du « système » ;
• le suivi peut avoir pour but d’évaluer les politiques
de conservation ou de gestion, sans hypothèse a
priori sur les mécanismes biologiques sous-jacents :
on cherche simplement à voir si l’évolution de la biodiversité est différente selon qu’on est en zone bénéficiant d’actions de préservation ou non ; on pourrait
ainsi envisager d’évaluer l’efficacité de la gestion
pratiquée au sein du réseau Natura 2000 forestier
en comparant l’évolution de sa biodiversité via des
indicateurs biotiques par rapport à celle de forêts
situées en dehors du réseau ; dans ce cas, la répartition du plan d’échantillonnage doit être équilibrée
entre zones protégées et zones non protégées20 ;
• le suivi peut enfin avoir pour but d’évaluer les
politiques de conservation, en faisant des hypothèses a priori sur les mécanismes biologiques sousjacents que l’on suppose dominants.
dans les niveaux d’intégration les plus poussés,
le système de suivi de l’efficacité d’une politique
publique devrait comporter, de façon équilibrée,
des indicateurs d’état, de pression et de réponse :
à chaque indicateur d’état de la biodiversité (ou
d’un compartiment donné de biodiversité) devrait
ainsi correspondre un ou plusieurs indicateurs de
pression (pression anthropique influençant cette
part de biodiversité, via des impacts sur son habitat par exemple) et un ou plusieurs indicateurs de
réponse (actions ou politiques mises en œuvre pour
remédier à ces impacts). À titre d’exemple, Hagan
et Whitman (2006) proposent de sélectionner cinq
à quinze « composantes » de biodiversité d’importance (pas de choix préétabli). Pour chacune d’elles,
les auteurs proposent de développer des indicateurs
d’état, de pression et de réponse.
en somme, une meilleure intégration des systèmes
de suivis dans la politique permettrait d’améliorer
la clarté et la pertinence des objectifs du suivi, de
mieux adapter les plans d’échantillonnage et, par
ricochet, les indicateurs associés. Cela permettrait
notamment, selon Gosselin et al. (2009), de mieux
prendre en compte les enjeux de biodiversité (écologique, politique) actuels. la politique actuelle en
faveur de l’utilisation du bois énergie nécessiterait
par exemple la mise en place d’un suivi robuste
d’espèces saproxyliques.
n Propositions pour le développement
d’indicateurs taxonomiques
Nous avons ci-dessus expliqué de quels points de
vue l’insertion d’indicateurs taxonomiques de biodiversité supplémentaires parmi les indicateurs de
gestion forestière durable apparaît souhaitable.
dans cette perspective, quelques propositions peuvent être formulées sur la base du travail de Gosselin et dallari (2007) :
(i) privilégier le développement d’indicateurs taxonomiques à large échelle (biogéographique, nationale ou européenne) plutôt qu’à l’échelle régionale
ou locale, compte tenu des contraintes logistiques ;
il paraît en effet difficile de viser des indicateurs
taxonomiques statistiquement interprétables aux
échelles locales, en tout cas avec des moyens raisonnables ;
(ii) améliorer, si c’est possible, le principal indicateur d’état de la biodiversité forestière (Gosselin et
Gosselin, 2008), à savoir l’indicateur 4.8 de gestion
forestière durable qui présente la proportion d’espèces forestières menacées conformément aux caté-
Cf. Underwood, 1995 ; Bawa et Menon, 1997; Lindenmayer, 1999 ; Vos et al., 2000 ; Thompson, 2006
Cf. sur ce point l’exemple du projet GNB – Gestion, Naturalité et Biodiversité – qui compare la biodiversité en réserve forestière non–exploitée et en forêt exploitée (https://gnb.cemagref.fr/).
19
20
68
gories de l’UICN ; cet indicateur présente l’avantage
d’être la version forestière d’un indicateur utilisé
plus globalement ou dans d’autres milieux ; les pistes d’amélioration formulées par exemple dans le
cadre de l’observatoire national de la Biodiversité
(oNB) pourraient être appliquées au niveau forestier (par exemple : incorporation dans le périmètre
de l’indicateur d’une partie des espèces éteintes ;
considération d’une version dynamique de cet indicateur – Red List Index21, etc.). on pourrait aussi
compléter ou illustrer l’indicateur 4.8 par des zooms
sur des espèces qui seraient l’objet d’une attention
ou d’un suivi – par exemple démographique – particuliers (cf. Hamza et al., 2007) ;
(iii) suivre l’abondance d’espèces ou de groupes
taxonomiques à large amplitude de milieux incluant des généralistes, des spécialistes forestières et d’autres milieux, notamment terrestres. Ces
données pourraient être utilisées en France, voire
à l’échelle européenne ou mondiale22 afin de comparer l’évolution de la biodiversité dans différents
milieux, comme le fait déjà par exemple le programme SToC. Il serait intéressant de restreindre
ces analyses à celle d’espèces très spécialistes de
ces différents milieux. Il existe déjà des données
d’abondance de populations relatives aux suivis de
certains groupes taxonomiques en forêt : au niveau
français, cela concerne en particulier les oiseaux via le programme SToC coordonné par le Muséum
national d’Histoire naturelle (MNHN) - et la flore
vasculaire - via les réseaux de placettes gérés par
l’IGN et par le département de la santé des forêts
(dSF) du ministère en charge de l’agriculture. l’utilisation des données taxonomiques existantes ne
doit cependant pas se faire à n’importe quel prix
et il faudra bien réfléchir à la pertinence de faire
évoluer le plan d’échantillonnage et les protocoles
associés (cf. Gosselin et dallari, 2007) ;
(iv) compléter les suivis taxonomiques existants
par le suivi national ou supra-régional (européens
dans notre cas) de groupes liés à des objectifs particuliers. Gosselin et dallari (2007) et Gosselin et al.
(2009) insistent sur l’intérêt de suivre l’abondance
de groupes taxonomiques davantage liés aux enjeux forestiers que les groupes déjà suivis. Parmi
les enjeux, la pression pesant sur certains habitats
ou micro-habitats (les vieux peuplements et le bois
mort) plaide selon eux pour le suivi de l’abondance
ou de la répartition de groupes taxonomiques saproxyliques comme les coléoptères et les polypores
sparoxyliques. Pour tester la faisabilité d’un tel suivi
et identifier le type de données qu’il serait le plus
pertinent de récolter, ils proposent de tester son opportunité à travers un projet pilote, en se servant
par exemple du réseau de placettes du dSF.
(v) Pour évaluer le critère de gestion forestière durable relatif à la biodiversité (critère 4), il est important de pouvoir relier les évolutions de la biodiversité à :
• des pressions issues de la gestion forestière ainsi,
éventuellement, qu’à d’autres pressions extérieures
à la forêt (artificialisation, etc.) ;
• des réponses ou politiques publiques visant pour
partie à préserver la biodiversité, notamment
forestière.
Gosselin et dallari (2007) insistent dans ce cadre
sur la définition des questions auxquelles aura à
répondre le suivi de biodiversité : devra-t-il être représentatif de la situation française moyenne? devra-t-il évaluer des politiques générales (comme le
réseau Natura 2000) ou plus particulières (comme
la mise en place par l’oNF d’une politique en faveur
des îlots de vieux bois et de sénescence23)? devrat-il évaluer l’impact des unités de cogénération
issues de biomasse forestière sur la biodiversité
saproxylique ? etc.
Une fois ces questions posées et les groupes taxonomiques sélectionnés, il faut construire le plan
d’échantillonnage et collecter les variables (écologiques, de gestion) qui permettront d’apporter des
réponses aux questions retenues. en parallèle à ces
suivis, landmann et Gosselin (2009) plaident pour
Cf. Gosselin et Dallari (2007) ainsi que le site internet Birdlife International : http://www.birdlife.org/
Cf. Pereira et Cooper (2006) et Lughadha et al. (2005)
23
Cf. ONF, 2009. Instruction biodiversité « conservation de la biodiversité dans la gestion courante des forêts publiques ». 11
pages.
21
22
69
la mise en place de projets pilotes en France et/ou
en europe pour (i) mieux jauger des liens qui existent réellement entre la biodiversité et les groupes
écologiques/taxonomiques et (ii) identifier les facteurs de changement et les évolutions les plus probables (par exemple, l’évolution du bois mort, des
vieux arbres, de la non exploitation, du climat ou
de la fragmentation). Certains de ces projets pourraient impliquer une approche expérimentale ou de
gestion adaptative (Cordonnier et Gosselin, 2009 ;
Cordonnier et al., 2009).
Conclusion
Il reste beaucoup à faire pour améliorer les systèmes
de suivis actuels de la biodiversité forestière. Cet
article plaide pour l’intégration de nouveaux suivis
d’état de la biodiversité dans un système d’analyse
équilibré (système Pression - état - réponse, cf. Nivet et al., page 41), construit en lien avec des objectifs clairement définis. aux côtés des indicateurs
structurels existants, ces indicateurs taxonomiques
limiteraient vraisemblablement les controverses et
amélioreraient les débats sur la biodiversité, sa gestion et son évaluation aux différentes échelles.
la concrétisation des pistes évoquées ci-dessus dépendra pour partie des crédits publics disponibles.
on peut néanmoins déjà supposer que la reconnaissance récente de ces problématiques au sein
de la Convention sur la diversité biologique et de
l’agence européenne pour l’environnement jouera
probablement en faveur de l’intégration d’indicateurs supplémentaires aux côtés des indicateurs de
gestion forestière durable actuels. n
Cette synthèse se base essentiellement
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l’Indice de biodiversité potentielle (IBP) :
un indicateur composite pour intégrer la diversité
taxonomique ordinaire dans la gestion forestière
Laurent Larrieu* et Pierre Gonin**
*Institut national de la recherche agronomique (INRA)
**Centre national de la propriété forestière (CNPF) - Institut pour le développement forestier (IDF)
n a l’origine de l’IBP : le besoin d’un
outil opérationnel
en forêt, la diversité des espèces est très forte (plusieurs milliers d’espèces, même sur des faibles surfaces, rameau et al., 2000) et il est illusoire d’espérer la recenser de manière exhaustive. l’approche
qui consiste à miser sur des taxons intégrateurs
de la diversité taxonomique globale1 est prometteuse, mais à l’heure actuelle, les relations entre ces
taxons indicateurs et la biodiversité taxonomique
générale ne sont pas encore bien établies (lindenmayer et al., 2000 ; Mcelhinny et al., 2005). de plus,
l’utilisation de ce type d’outil (les bio-indicateurs)
présente un coût élevé car elle exige de longues
périodes d’observation (souvent plusieurs années)
et le concours de spécialistes taxonomistes (Puumalainen et al., 2003). des efforts sont actuellement entrepris pour simplifier leur utilisation, mais
aucun outil n’est encore utilisable par les gestionnaires eux-mêmes. Une approche alternative, plus
« indirecte » consiste à centrer le diagnostic sur des
attributs « clés » des écosystèmes forestiers. lindenmayer et al. (2000) ont ainsi suggéré d’utiliser des
variables de structure des peuplements forestiers.
depuis, les indicateurs basés sur des facteurs structuraux clés ont montré leur caractère pratique et
leur efficacité pour la prise en compte la biodiversité dans la gestion courante (larsson, 2001). Tews
et al. (2004) ont ainsi proposé d’utiliser le bois mort
pour la gestion de la biodiversité taxonomique. Pour
guider la conservation de la biodiversité en forêt,
lindenmayer et al. (2006) ont publié une liste de
stratégies comprenant le maintien d’éléments clés
de la complexité structurale des peuplements.
n l’Indice de biodiversité potentielle
l’Indice de biodiversité potentielle (IBP) s’appuie sur
cette démarche. Il se présente comme un indicateur
indirect composite qui agrège dix facteurs clés (tableau 1) pour lesquels des relations avec des taxons
forestiers sont documentées (larrieu et Gonin,
2009). l’objectif de l’IBP est de mettre à la disposition des gestionnaires forestiers un outil pertinent
et pratique qui leur permette d’intégrer la biodiversité taxonomique ordinaire dans la gestion courante. Chacun des dix facteurs reçoit le même poids
dans le diagnostic car l’IBP s’intéresse à l’ensemble
des espèces et nous ne disposons pas d’éléments
scientifiques suffisants pour attribuer plus de poids
à tel facteur plutôt qu’à tel autre. Néanmoins, quatre facteurs concernent plus particulièrement les
cortèges d’espèces saproxyliques2 pour tenir compte du fait que ces cortèges constituent au moins le
quart des espèces forestières dans les forêts boréales ou tempérées (Stockland et al., 2004 ; Bobiec
et al., 2005), qu’ils jouent un rôle fonctionnel très
important et que les substrats saproxyliques présentent une grande diversité (Speight, 1989).
les taxons sont choisis pour leur capacité à fournir des informations sur l’état du milieu et sur d’autres espèces (espèces
indicatrices).
2
Il s’agit d’espèces liées, pendant au moins une partie de leur cycle de vie, au bois mort ou mourant, ou aux microhabitats des
arbres, ou encore à d’autres organismes saproxyliques (Speight, 1989).
1
73
Sept facteurs liés au peuplement et à la gestion forestière
végétation
Bois mort et microhabitats liés aux arbres
(quelle que soit l’essence autochtone ou non)
Habitats associés
essences forestières autochtones
Structure verticale de la végétation
Bois mort sur pied de grosse circonférence
Bois mort au sol de grosse circonférence
Très gros bois vivants
arbres vivants porteurs de microhabitats
Milieux ouverts
Trois facteurs liés plutôt au contexte,
résultant de l’histoire ou des conditions stationnelles, mais pouvant être modifiés par l’activité forestière
Continuité temporelle de l’état boisé
Continuité temporelle de l’état boisé
(forêt ancienne)
Habitats associés
Habitats aquatiques
Milieux rocheux
Tableau 1 : les dix facteurs à décrire de l’IBP
n les utilisateurs de l’IBP sont variés
depuis sa création, l’IBP a suscité de l’intérêt car il
rejoint la démarche habituelle du gestionnaire, qui
analyse son peuplement sous différents angles (économique, technique, environnemental, etc.) pour
prendre ensuite des mesures de gestion compatibles avec des objectifs de gestion forestière durable.
Il s’agit d’un outil simple, bien défini, dont les liens
avec la diversité taxonomique sont aisés à identifier
et qui met en évidence les facteurs actuellement
favorables ou, au contraire, améliorables par la
gestion. l’IBP répond ainsi à une demande d’évaluation de la biodiversité qui était jusqu’à présent
trop complexe pour être intégrée dans le cadre de
la gestion courante : le diagnostic est simplifié par
réduction du niveau de précision, mais sans trop
altérer la pertinence de l’analyse.
Créé en 2009 au sein du Centre national de la propriété forestière (CNPF) après plusieurs années de
réflexion, l’IBP constitue un outil dont le développement est actuellement soutenu par la forêt privée. Il s’agit d’un outil potentiellement accessible
à une grande diversité d’acteurs (propriétaires, gestionnaires, conseillers forestiers, entreprises, etc.)
74
confrontés à la nécessité de prendre en compte la
biodiversité dans des contextes très variés.
outre les gestionnaires forestiers, l’IBP a recueilli un
accueil favorable auprès des gestionnaires d’espaces protégés (Parcs nationaux, Parcs naturels régionaux, réserves, etc.) qui souhaitaient tenir compte
de la biodiversité ordinaire et plus seulement la biodiversité remarquable ou à statut de protection.
n le domaine d’utilisation et les limites
de l’IBP sont bien identifiés
l’IBP concerne seulement la diversité des espèces. Il
ne tient pas compte de la diversité génétique dans
la mesure où un tel diagnostic nécessiterait des
manipulations et des techniques très spécifiques,
accessibles uniquement à un public très spécialisé
(Collin et al., page 79). de même, la prise en compte
de la biodiversité à l’échelle du paysage (biodiversité des écosystèmes) requiert des compétences
(reconnaissance des habitats naturels, etc.) et des
outils de cartographie encore difficiles à mobiliser
lors des actes courants de gestion.
le diagnostic IBP se fait donc à l’échelle locale, celle
du peuplement homogène (quelques dizaines d’hec-
tares au maximum). Cet outil a été conçu volontairement à une échelle opérationnelle pour la gestion
courante, à savoir celle de la parcelle ou de la sousparcelle (unité de gestion forestière). Cette échelle
permet également de s’affranchir partiellement des
aspects liés à la complexité d’un paysage, niveau
d’organisation pour lequel la complémentarité des
différents éléments (présence d’habitats différents,
connectivité, etc.) est encore insuffisamment documentée. C’est aussi l’échelle qui demande le moins
de compétences naturalistes (reconnaissance des
habitats naturels pour juger de leur complémentarité par exemple). Néanmoins, des synthèses graphiques et cartographiques permettent d’agréger
des diagnostics IBP contigus pour en tirer des enseignements, en les utilisant par exemple pour la
mise en place d’un réseau de conservation (arbres à
intérêt biologique, etc.) dans le cadre de la rédaction d’un document de gestion.
le cahier des charges très contraignant fixé pour
l’élaboration de l’IBP restreint de fait son champ
d’application. voici résumées ci-dessous les principales contraintes :
• faire reposer le diagnostic sur la seule observation
des arbres, du peuplement et du milieu, de façon
à pouvoir se dispenser d’autres compétences taxonomiques que celles demandées a minima par la
sylviculture ;
• pouvoir réaliser le diagnostic rapidement (quinze à
vingt min/ha, moins si le relevé est couplé avec
d’autres observations), directement sur le terrain,
sans mesures complexes, pour minimiser le coût du
diagnostic et les difficultés pour les gestionnaires à
intégrer un outil qu’ils jugeraient trop complexe ;
• pouvoir conclure le diagnostic sur le terrain, afin
d’intégrer immédiatement les résultats dans l’itinéraire sylvicole.
le respect de ces exigences a des conséquences sur
les limites d’utilisation de l’outil.
1- une perte de finesse pour une meilleure
ergonomie
l’IBP n’est pas un modèle prédictif de la biodiversité : le diagnostic permet de se faire une idée de la
capacité d’accueil, mais le « taux de remplissage »
n’est pas connu. la seule approche indirecte ne
pourra bien entendu jamais se substituer totalement à l’approche directe de la biodiversité réelle.
Une étude menée à l’Inra Toulouse (UMr dynafor)
sur les relations entre l’IBP et les principaux indicateurs directs utilisés en France (coléoptères saproxyliques, carabes, champignons saproxyliques,
plantes, etc.) vise d’ici à 2013 à préciser les corrélations entre ces taxons et les différentes composantes de l’IBP (score global, score partiel, facteurs pris
individuellement, etc.). l’IBP est un outil de routine
« ergonomique » et « générique » qui complète les
méthodes d’investigation plus précises.
2- L’IBP n’est pas un indicateur du bon
fonctionnement de l’écosystème forestier
Un diagnostic complet de l’état de fonctionnement
de l’écosystème forestier nécessiterait au moins la
vérification de (i) l’intégrité de l’ensemble des groupes fonctionnels (saproxyliques, pollinisateurs, parasitoïdes, mycorhiziques, saprotrophes des litières,
etc.), (ii) l’absence d’un déséquilibre persistant (par
exemple, la pullulation permanente d’un pathogène ou d’un parasite), (iii) le maintien des dynamiques naturelles qui régissent cet écosystème et
(iv) l’absence d’altération forte des sols. Même si
l’IBP permet de diagnostiquer la capacité d’accueil
de la parcelle pour les espèces saproxyliques (avec
les quatre facteurs concernant le bois mort et les
microhabitats des arbres vivants) et les pollinisateurs (avec le facteur « milieu ouvert ») et que l’on
sait qu’une forte diversité en espèces contribue au
bon fonctionnement de l’écosystème, ce diagnostic
reste partiel. en d’autres termes, les écosystèmes
qui fonctionnent de façon optimale obtiennent un
score IBP élevé, mais un score maximum ne suffit
pas pour affirmer que l’écosystème fonctionne de
façon optimale.
3- L’IBP n’est pas un indicateur de naturalité
Si l’IBP permet le diagnostic partiel de la continuité
de l’état boisé, de la diversité biologique et de la
maturité du peuplement, il n’intègre pas toutes les
dimensions relatives au concept de naturalité. Précisément, la vérification du maintien d’un régime
naturel des perturbations (par exemple, inondations régulières pour une forêt riveraine), la prise
en compte du degré d’anthropisation ou encore de
la présence de groupes fonctionnels clés requiert
beaucoup de finesse au niveau de la phase d’observation ainsi que des recherches historiques qui
dépassent largement le cadre d’un outil de terrain.
75
Par contre, l’analyse du gradient de naturalité peut
intégrer l’ensemble des facteurs de l’IBP : il est ainsi
possible, à partir des mêmes données, d’obtenir simultanément l’indicateur de naturalité et le score
IBP (voir la méthode développée actuellement par
le World Wildlife Fund (WWF) pour les forêts anciennes de Méditerranée).
constituer un ensemble cohérent pour évaluer la
biodiversité ordinaire, qui devrait être complété par
l’analyse des atteintes évidentes à la biocénose.
4- L’IBP n’est pas une norme de gestion
Un peuplement forestier qui obtient un score IBP
maximum possède une capacité d’accueil pour la
biodiversité taxonomique supérieure à un peuplement qui obtient un score faible. Il est donc préférable que les peuplements obtiennent des scores élevés. Néanmoins, les seuils fixés par l’IBP ne doivent
pas être considérés comme des normes à atteindre
mais plutôt comme des tendances favorables à la
biodiversité, celles-ci ne se réduisant pas aux dix
facteurs de l’IBP, même si ceux-ci ont un poids
scientifiquement reconnu. Par ailleurs, l’IBP peut
varier au cours d’un cycle sylvicole (interventions
sur le peuplement). Une baisse importante et rapide
du score traduit cependant une instabilité qui peut
nuire fortement à un grand nombre d’espèces.
dans le cas de certaines sylvicultures qualifiées
d’intensives (peupleraies de culture, taillis à courte
rotation, etc.), les itinéraires envisagés ne pourront
jamais permettre de maximiser l’IBP. Par contre, le
gestionnaire pourra limiter la fragilité de ce type de
peuplement en favorisant le développement de la
biodiversité dans les compartiments les plus facilement améliorables.
n l’IBP contribue à faire évoluer le
diagnostic et les pratiques sylvicoles
5- L’IBP n’est pas un outil de mesure de l’état
de conservation des habitats naturels forestiers
la mesure de l’état de conservation d’un habitat
naturel nécessite un diagnostic plus global comprenant au moins l’observation :
• des facteurs de pérennité de l’habitat : présence
des éléments stationnels déterminants pour l’habitat, persistance de la dynamique naturelle, absence
de perturbations anthropiques modifiant les éléments précédents ;
• du groupement végétal : typicité du cortège
dendrologique, présence de la végétation caractéristique de l’habitat, absence d’espèces invasives
concurrentielles ;
• de la complexité de la biocénose et de la continuité temporelle de l’état boisé : l’IBP peut ici
76
l’IBP peut ainsi enrichir un autre outil plus global, mais ne peut pas le remplacer ou se substituer
complètement à des approches plus directes.
Par sa définition, l’IBP attire l’attention des gestionnaires sur les facteurs importants pour la diversité
ordinaire, parfois méconnus ou sous-estimés.
C’est le cas du facteur « continuité de l’état boisé »
qui joue un rôle important sur les assemblages d’espèces (dupouey et al., 2002 ; diedhiou et al., 2009)
et qui est encore peu connu des gestionnaires forestiers. l’IBP contribue ainsi à l’intégration du
concept de forêts anciennes dans le raisonnement
sylvicole et met en évidence l’intérêt de conserver
ces forêts.
C’est également le cas des facteurs associés à la
diversité saproxylique, qui sont centrés sur l’intérêt
de conserver du bois mort. Cet intérêt a jusqu’ici
été mis en avant surtout pour les stations très acides et très pauvres sur un plan nutritionnel, où le
maintien d’un volume important de bois mort est
indispensable pour permettre l’exploitation raisonnée du bois d’œuvre. Cette recommandation est
bien comprise par les gestionnaires car la menace
sur la station peut être quantifiée (cf. larrieu et al.,
2007) et peut se traduire par une baisse de productivité. en complément de cette approche centrée
sur les cycles biogéochimiques, l’IBP permet d’élargir le cadre d’application de cette recommandation
en introduisant la notion de diversité des substrats
saproxyliques, une notion qui concerne alors tous
les types de station.
n l’IBP n’est pas un outil figé
Bien que la structure de l’IBP n’ait pas changée depuis 2009 (elle est toujours basée sur les dix mêmes
facteurs), les définitions ont évolué sur des points
de détail afin d’améliorer la qualité du diagnostic
et de réduire l’ « effet observateur ». la version la
plus récente de cet outil est disponible en ligne sur
le site de la Forêt Privée Française3. des recherches
sur le bois mort et les microhabitats se poursuivent
en parallèle, notamment au sein du laboratoire Inra
dynafor, sur :
• la distribution du bois mort et des microhabitats
dans les forêts subnaturelles ;
• l’impact de la gestion forestière sur l’abondance
et la diversité du bois mort et des microhabitats ;
• les effets de la densité et de la diversité des microhabitats sur les assemblages de coléoptères saproxyliques.
liers (par exemple le volume et la diversité du bois
mort) est enfin également intéressante.
l’IBP est inscrit depuis peu dans la Stratégie nationale pour la biodiversité («engagements de l’etat »
2011-2013) afin d’élargir son utilisation. Pour atteindre cet objectif, le CNPF, avec l’aide financière
du ministère en charge du développement durable,
conduit actuellement un programme national de
formation à l’IBP à l’attention des gestionnaires,
des conseillers et partenaires de la Forêt privée.
Ce programme comporte également un volet communication. n
Il est prévu d’intégrer les résultats de ces études
dans la définition de l’IBP en 2013. elles permettront
d’affiner les définitions et les seuils des facteurs qui
sont actuellement insuffisamment documentés.
Parallèlement, le CNPF pilote un programme pour
améliorer les méthodes d’évaluation de l’IBP, en
particulier sur de grandes surfaces, et étendre son
domaine d’utilisation à la région méditerranéenne,
actuellement non couverte bien qu’il existe une
version de pré-développement.
n Quelles sont les perspectives
d’utilisation de l’IBP ?
l’IBP est actuellement utilisé pour évaluer la biodiversité ordinaire dans le cadre de la gestion, mais
ne constitue pas une norme. Il peut être utilisé lors
d’un diagnostic avant toute intervention sylvicole,
en particulier avant l’exploitation de bois ou lors
de l’élaboration des documents de gestion. l’IBP
est aussi un outil pédagogique car il constitue une
grille d’analyse de la biodiversité taxonomique facile à appréhender et à utiliser pour tout gestionnaire forestier. on peut aussi l’envisager comme un
module intégré à un diagnostic plus global de la
biodiversité (par exemple dans le cas de l’analyse
du gradient de naturalité d’un peuplement). l’IBP
peut aussi s’avérer utile comme un complément à
large échelle d’approches plus directes menées sur
des surfaces restreintes en raison de la lourdeur de
leur mise en œuvre (en contrepartie, l’analyse est
plus fine). Son utilisation en complément d’autres
indicateurs indirects centrés sur des taxons particu3
http://www.foretpriveefrancaise.com
77
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Indicateurs de la diversité intra-spécifique
chez les arbres forestiers
Éric Collin*, François Lefèvre et Sylvie Oddou-Muratorio**,
*Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement (IRSTEA)
**Institut national de la recherche agronomique (INRA)
Les trois auteurs sont membres de la Commission des ressources génétiques forestières (CRGF)
la diversité intra-spécifique des arbres tient une
place majeure dans l’éventail des processus qui
déterminent le potentiel adaptatif des espèces et
des écosystèmes forestiers. en effet, la diversité
biologique repose notamment sur les mécanismes
de l’hérédité (reproduction sexuée), qui confèrent
aux populations leur capacité à évoluer au fil des
générations, à s’adapter localement, à répondre
aux changements environnementaux. Une population qui ne présente aucune diversité génétique
au niveau d’un caractère morpho-physiologique
donné (exemple : l’efficience d’utilisation de l’eau)
ne présentera en effet aucune dynamique évolutive
pour ce caractère (dans le sens, par exemple, d’une
meilleure résistance à la sècheresse).
l’arbre auquel on s’intéresse ici constitue une espèce
clef de voûte pour l’écosystème forestier. Il offre un
support au développement de nombreux autres organismes et la gestion forestière est généralement
définie et orientée à son profit. Ces éléments plaident en faveur de la mise à disposition, auprès des
gestionnaires des espaces forestiers et des décideurs,
d’indicateurs permettant de suivre l’impact des pratiques sylvicoles et des changements globaux sur la
diversité adaptative des arbres forestiers.
l’évaluation et le suivi de la diversité intra-spécifique
d’une population d’arbres forestiers - et a fortiori de
forêts ou d’espèces entières - ne peut pas se limiter au recensement et à la conservation de formes
de gènes particulières (on parle de formes alléliques
des gènes ou allèles). en effet, l’essentiel de la di-
1
versité génétique des caractères morphologiques ou
physiologiques des individus résulte en premier lieu
de la diversité des combinaisons d’allèles d’un grand
nombre de gènes à faible effet plutôt que de l’existence d’allèles ayant un effet individuel majeur sur la
diversité des caractères. en d’autres termes, la « valeur » d’un allèle (son effet sur un caractère donné)
dépend du fonds génétique dans lequel il se trouve,
c’est-à-dire des formes alléliques des autres gènes
de l’individu. enfin, la diversité génétique d’une population évolue sous l’effet de différents processus
qui modifient les fréquences alléliques1 des gènes et
l’assemblage des gènes au sein des individus au fil
des générations. Parmi ces processus, la sélection naturelle qui s’exerce tout au long de la vie du peuplement conserve certains allèles, certains assemblages,
parce qu’ils confèrent une meilleure valeur adaptative aux individus qui les portent. d’autres processus
aléatoires lors de la reproduction ainsi que les flux de
gènes par pollen et graines issus d’autres populations
contribuent également à l’évolution des fréquences
alléliques. au-delà de la conservation d’allèles particuliers, il importe surtout de conserver la diversité
génétique globale et de ne pas bloquer les processus
qui permettent l’adaptation des populations.
n évaluer la diversité intra-spécifique
à l’aide des marqueurs moléculaires :
intérêts et limites
le marquage moléculaire consiste à dénombrer les
différentes formes (ou «allèles») de petites portions
Fréquence à laquelle se trouve l’allèle d’un gène dans une population.
79
d’adN (gènes exprimés ou non2) par des technologies issues de la biologie moléculaire. Cette technique est de plus en plus largement utilisée à mesure
que son potentiel d’analyse (nombre d’individus et
de marqueurs) augmente et que son coût décroît.
Cette approche ne constitue généralement pas une
mesure directe de la variabilité génétique réelle des
caractères adaptatifs (vigueur, date de débourrement, résistance à une maladie, etc.) présents dans
la population étudiée. en revanche, cette approche
est très utile pour évaluer la diversité génétique de
façon globale sur l’ensemble du génome et donner
des informations indirectes sur les processus qui
ont façonné cette diversité dans un passé plus ou
moins récent, ainsi que sur les forces évolutives en
cours. on peut notamment détecter les risques de
changement de fonctionnement (dérive génétique,
consanguinité) qui peuvent affecter des populations dont la taille a brusquement diminué (fragmentation, etc.).
n Combinaisons d’indicateurs de suivi
de la diversité intra-spécifique à
l’échelle locale
les différentes combinaisons d’indicateurs génétiques proposées à ce jour pour la gestion durable des
forêts (exemple : Namkoong et al., 1996 ; Brown
et al., 1997 ; Koski et al., 1997 ; Palmberg-lerche,
1998 ; lefèvre et Kajba, 2001 ; aravanopoulos,
2011) visent à caractériser certains mécanismes
contribuant à l’adaptation (par exemple proportion
d’autofécondation, distance de dispersion des gènes par pollen ou par graine, niveau de dérive). Ces
indicateurs portent sur (i) des informations générales acquises à l’échelle de l’écosystème (régime
des perturbations, fragmentation, etc.), (ii) des
informations démographiques sur la population
ciblée (nombre d’arbres adultes, classes de diamètre, faculté germinative des graines, abondance
de la régénération, etc.) et, lorsque l’utilisation de
marqueurs moléculaires est possible, (iii) des para-
mètres génétiques qui résument la diversité et sa
trajectoire (taille efficace de la population, richesse
allélique, taux d’allo/autofécondation, etc.).
n les indicateurs nationaux de
gestion durable des ressources
génétiques forestières
la première tentative d’intégration de la diversité
intra-spécifique parmi les indicateurs de gestion
durable des forêts date de la quatrième Conférence
ministérielle pour la protection des forêts en europe
(vienne, 2003). l’indicateur 4.6 de gestion forestière durable (Nivet et al., page 41) est centré sur la
conservation des ressources génétiques. Il ne reflète pas l’état réel de ces ressources mais seulement
l’effort et les progrès consentis au niveau national
en termes de surfaces dédiées à la conservation de
ressources génétiques (in situ et ex situ) ainsi qu’à
la production de semences et de plants forestiers. a
un tel niveau d’agrégation, les chiffres ne rendent
que très imparfaitement compte des différences entre deux pays ou entre deux périodes d’inventaire.
Pour remédier à ce défaut, les données relatives à la
France assemblées par Irstea sont assorties de commentaires et de tableaux plus détaillés. récemment,
le programme EUFORGEN (European Forest Genetic
Resources Programme)3 a mis en place un système d’information sur le réseau pan-européen de
conservation dynamique des ressources génétiques
forestières (accessible sur le portail EUFGIS4, plus de
trente pays et quatre-vingts espèces concernés). de
nouveaux indicateurs globaux basés sur des critères
et définitions standards clairs combinant informations écologiques, démographiques et génétiques
sont en cours de développement.
n Quelles perspectives ?
Il n’existe actuellement pas d’indicateur opérationnel et communément admis de l’état de la diversité
intra-spécifique de populations d’arbres forestiers.
Un gène est constitué d’une alternance de séquences exprimées (ou codantes) qui contiennent l’information nécessaire à la
synthèse des protéines et de séquences non exprimées (non codantes).
3
eUForGeN, établi en 1994, constitue le mécanisme de mise en œuvre de la Résolution S2 (Conservation des ressources
générales) de la première Conférence ministérielle sur la protection des forêts en Europe (Strasbourg, 1990). Ce programme
collaboratif vise la promotion de la conservation et l’utilisation durable des ressources génétiques forestières : http://www.
euforgen.org/abouteuforgen.html
4
Portail european Information System on Forest Genetic resources (eUFGIS) : http://portal.eufgis.org/
2
80
Plusieurs facteurs fournissent cenpendant des informations susceptibles d’en faire émerger : (i) les
progrès de la recherche en termes de connaissance
et de modélisation des processus écologiques et
génétiques au sein des populations d’arbres forestiers ; (ii) le développement de techniques de caractérisation moléculaire de l’adN extrêmement puissantes et à faible coût ; (iii) la volonté de développer
à l’échelle pan-européenne (programme EUFORGEN
et réseau conservatoire EUFGIS) un suivi de l’évolution des ressources génétiques conservées de manière coordonnée par plus de trente pays d’europe.
en plus d’indicateurs nécessitant l’acquisition de
telles données génétiques et démographiques complexes, il serait utile de mettre à disposition des
gestionnaires des indicateurs simplifiés fondés sur
l’évaluation des impacts de la diversité de pratiques
en matière de régénération naturelle (nombre de
semenciers, durée de la régénération, densité de semis, etc.) ou artificielle (utilisation de lots de plants
répondant à une charte de diversité génétique, densité de plantation, etc.). le développement de tels
indicateurs devra s’appuyer sur la connaissance importante des mécanismes évolutifs chez les arbres
forestiers (valadon, 2009).
enfin, pour les espèces soumises à la réglementation des graines et plants forestiers, on utilise actuellement des statistiques sur les volumes commercialisés pour chaque variété, ce qui constitue
une approche très indirecte de la diversité génétique plantée. Il serait en effet utile de combiner les
informations sur la diversité des matériels forestiers
de reproduction avec celles sur leurs aires effectives
d’utilisation. n
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81
82
PArtIe II
Les indicateurs
socio-économiques
de biodiversité
forestière
83
84
Quelle contribution socio-économique à la production
d’indicateurs de biodiversité ?
Jean-Luc Peyron*
*Gip Ecofor
n la biodiversité : de l’objet au sujet
la biodiversité s’est d’abord présentée aux naturalistes sous un jour écologique : elle était un objet
d’étude qu’il fallait s’attacher à décrire de manière
ordonnée et systématique. Son examen a progressivement révélé son ampleur, sa complexité, les subtilités de son fonctionnement. on a pris conscience
à la fois de son importance pour les sociétés humaines et de sa fragilité face aux perturbations, notamment anthropiques, qu’elle subissait. elle a ainsi
acquis une valeur, non seulement écologique, mais
encore éthique et morale, d’une part, utilitariste,
économique et sociale, d’autre part.
de fait, la biodiversité se trouve en étroite relation avec les activités humaines qu’elle alimente
ou favorise et qui, parallèlement, l’affectent ou
contribuent à sa sauvegarde, voire à son développement. en outre, l’état actuel des connaissances
n’explique qu’une fraction du fonctionnement des
écosystèmes si bien que les arbitrages concernant
la biodiversité ou certaines de ses composantes re-
Composition
posent au moins en partie sur une longue histoire
culturelle, des appréciations subjectives individuelles ou collectives, et une application du principe de
précaution.
on voit ainsi se dessiner deux mondes interdépendants (figure 1). Pour l’un, la biodiversité est un
objet dont il faut mieux décrire la composition et
la structure, mieux comprendre le fonctionnement.
Pour l’autre, elle est un sujet d’intérêt, de désir, de
préoccupation. entre les deux, entre l’objectif et le
subjectif, apparaissent un ensemble de relations qui
peuvent être classées en deux types :
• des services que la biodiversité rend à la société
et qui ont bien été décrits par l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Millenium Ecosystem
Assessment, 2005) ;
• des impacts, en théorie favorables ou néfastes,
plus souvent considérés en pratique comme des
perturbations, que la société occasionne à la biodiversité en recueillant les services que celle-ci lui
BIODIVERSITÉ
Structure
ImPACTS
Autres intervenants
Fonctionnement
SERVICES
SOCIÉTÉ
Usagers
Figure 1 : interactions entre biodiversité et société.
85
rend ou en intervenant par ailleurs dans le cadre de
ses autres activités.
ainsi, le besoin d’indicateurs se fait sentir non seulement du point de vue de la biodiversité, pour décrire
sa composition, sa structure, son fonctionnement
et ses évolutions sous l’effet de perturbations naturelles et anthropiques, mais encore du point de vue
de la société, des bénéfices qu’elle en retire et des
conséquences que ses activités produisent.
Il s’agit là de deux visions qui peuvent regarder le
même objet, par exemple un processus écologique,
mais sous deux angles différents. dans un cas, on
cherche à étudier ce processus en détail pour en
comprendre le mieux possible les mécanismes et interactions. dans l’autre cas, on appréhende le processus essentiellement à travers les services qui en
découlent ou les perturbations qui l’affectent ; l’objectif est alors d’en tirer les plus grands bénéfices en
évitant ou limitant les impacts correspondants.
Cependant, la vision de la société est plus large
que celle du naturaliste et englobe aussi bien les
ressources en général que l’ensemble des services
rendus par celles-ci. elle n’est donc pas loin de
considérer la gestion durable des forêts dans son
ensemble. Si l’on se réfère aux critères de gestion durable issus du processus d’Helsinki et des
conférences ministérielles pour la protection des
forêts en europe, elle ne porte pas seulement sur
le quatrième critère relatif à la conservation de la
biodiversité mais tend à concerner l’ensemble des
six critères dont les deux premiers caractérisent
effectivement les ressources, en quantité et en
qualité, tandis que les quatre suivants s’adressent
aux services rendus en matière de production de
produits forestiers, de conservation de la diversité
biologique, de protection des sols et des eaux, enfin de développement socioculturel. d’ailleurs, la
Convention sur la diversité biologique envisage très
explicitement aussi bien l’utilisation durable de la
biodiversité que sa conservation.
Pour mieux appréhender cette vision socio-économique de la biodiversité forestière, une série d’articles courts a été rédigée par quelques auteurs. elle
porte sur les services produits par la biodiversité,
sur les représentations sociales, sur les impacts des
activités humaines sur la biodiversité, enfin sur les
mesures susceptibles de réduire ces impacts.
Sols
Climat
Maladies
Eau (qualité)
Eau (quantité)
Services de régulation
Services de base
Production primaire
Formation des sols
Évaporation
Transpiration
Nutrition
Eau
Bois
Énergie
Alimentation
Médicaments
Services d’approvisionnement
Emploi
Paysage
Éducation
Récréation
Spiritualité
Services socioculturels
Figure 2 : principaux services écologiques (d’après Millenium Ecosystem Assessment, 2005).
86
n Services produits par la biodiversité
forestière
Par sa composition et sa structure, mais surtout
sous l’action de son fonctionnement, la biodiversité
engendre des services de base (on les qualifie aussi
de services de support, de soutien ou encore d’autoentretien) qui déterminent les autres services classés
en trois catégories : services d’approvisionnement,
de régulation et socioculturels (figure 2). Cette classification est essentielle pour la production d’indicateurs, comme le note levrel (page 91).
Cette structure permet en particulier d’analyser les
interdépendances entre services, à un niveau agrégé
ou plus fin, qui peuvent se traduire par des tensions
mais se trouvent aussi à la base des compromis à
trouver. la production d’indicateurs pour représenter ces services est alors fondamentale pour régler
les tensions et ajuster des compromis.
Ces services sont placés sous la dépendance de
fonctions écologiques dont une description quantitative, sous forme d’indicateurs, peut permettre
d’analyser la relation entre fonctions et services.
C’est cet objectif ambitieux qui est décrit par Bouvron (page 97).
n représentations sociales de la
biodiversité
la biodiversité a pour le grand public une définition
moins précise et plus floue que pour les scientifiques. dans la mesure où le public est amené à juger
les actions entreprises en faveur de la biodiversité, il
est important d’avoir conscience de la signification
de ce concept pour les acteurs sociaux et donc de
l’étudier, ce qui a été fait par raymond (page 103),
d’une part, Terrasson et le Floch (page 109), d’autre
part.
le grand public est caractérisé par trois types de comportements vis-à-vis de la biodiversité : ou bien il en
parle sans savoir de quoi il s’agit mais pour donner
l’impression qu’il le sait, soit il se réfère à un expert
reconnu à qui il fait confiance, soit il accepte effectivement de se prononcer lui-même. dans ce dernier
cas, il va accorder de l’importance à quelques aspects
particuliers de la biodiversité plutôt qu’à d’autres :
diversité très visible du paysage, espèces emblématiques ou plus simplement remarquables parce qu’elles sont susceptibles d’être reconnues, notamment
lorsqu’il s’agit de les cueillir ou au contraire de les
éviter. dans ces conditions, la production d’indicateurs doit esquiver un certain nombre de pièges que
soulignent Terrasson et le Floch (page 109).
n Impacts des activités humaines sur la
biodiversité
les activités humaines bénéficient des services rendus par la biodiversité et, en retour, viennent souvent perturber les écosystèmes. Il est ainsi utile de
se demander comment analyser les conséquences
pour la forêt des diverses interventions qui s’y déroulent, parmi lesquelles les activités d’exploitation
des bois et de gestion sylvicole.
dans leur article, Houdet et al. (page 115) proposent
d’analyser l’activité de chaque entreprise sous l’angle des liens que celle-ci entretient avec le monde
vivant, des marchés qu’elle alimente, des impacts
qu’elle induit sur la biodiversité, de la façon dont
ces impacts sont compensés, des stratégies selon
lesquelles elle s’organise. Chacun de ces critères fait
l’objet d’indicateurs qui permettent de juger ensuite
de l’intensité de la pression exercée sur les forêts.
Qu’en est-il de la pression exercée sur les forêts
par les industries du bois notamment ? Beaudesson fait remarquer (page 123) que la forêt privée
française ne cesse de s’accroître, qu’elle fait l’objet
de gestions très différenciées du fait même de son
morcellement entre de nombreux petits propriétaires, qu’elle est en grande majorité feuillue, en
phase de forte capitalisation, qu’elle comprend des
réserves intégrales de fait en raison de l’absence
de gestion par certains propriétaires : ces caractéristiques font que, globalement, les forêts privées
contribuent largement au maintien d’une certaine
biodiversité.
l’empreinte écologique est un indicateur qui a été
développé pour quantifier le prélèvement sur la
nature effectué par l’homme. Il montre que la société française consomme chaque année trois fois
ce qu’elle devrait consommer. Selon vallauri (page
127), cet indicateur tient compte de la forêt et du
87
bois et permet d’indiquer que, en France, les prélèvements sont inférieurs aux possibilités.
n Mesures de réduction des impacts
des activités humaines sur la
biodiversité
Face aux impacts des activités humaines (et parfois
de phénomènes naturels), il s’agit d’abord bien sûr
d’essayer d’éviter, de juguler, de réduire les conséquences néfastes attendues ou subies jusqu’à un
niveau qui les rende supportables. Cet objectif peut
être atteint à travers une gestion durable de la forêt, un développement durable des sociétés (cf. par
exemple l’article de Beaudesson). dans certains cas,
il apparaît opportun de créer des aires protégées. À
partir de l’exemple de l’afrique centrale, Guillaume
lescuyer (page 133) interroge le lien entre conservation et développement productif dans le cadre
d’un suivi environnemental fondé sur des critères
Composition
et indicateurs. l’exemple est issu des régions tropicales auxquelles ses enseignements ne se limitent
cependant pas.
Si l’impact des activités humaines sur la biodiversité
ne peut être totalement évité, alors des actions de
restauration méritent d’être envisagées, ou encore
la mise en place d’une compensation dont le développement donne lieu aujourd’hui à l’émergence
de nouveaux métiers, comme le mentionnent Quenouille et Thiévent (page 139). la mise en œuvre
d’une telle compensation n’est pas chose facile et
requiert des indicateurs de manière à comparer la
contrepartie demandée ou promise avec la perte
subie à partir d’un état initial. les propositions de
quantification des fonctions écologiques, présentées
par Bouvron (page 97), trouvent une utilité non seulement pour passer des fonctions écologiques aux
services qu’elles engendrent mais aussi pour préparer l’instauration de mesures de compensation.
BIODIVERSITÉ
Structure
Fonctionnement
Compensation, restauration
ImPACTS
SERVICES
Évitement, réduction
Activités
diverses
Gestion
forestière
Autres intervenants
Conservation
SOCIÉTÉ
Figure 3 : schéma détaillé des relations entre biodiversité et société.
88
Usagers
Conclusion
référence bibliographique
des indicateurs sont utiles aux multiples étapes des
relations entre biodiversité et société (figure 3). Ils
ne s’intéressent pas seulement aux impacts qui ont
suggéré les approches de type « pressions-état-réponses » ou encore « déterminants-pressions-étatimpacts-réponses » et prennent aussi en compte les
services fournis à la société par les écosystèmes,
en particulier forestiers. de manière globale, ils visent à :
Millenium ecosystem assessment, 2005. Ecosystem and Human Well-Being: synthesis, Island Press,
Millenium ecosystem assessment, 137 p.
• traduire les relations entre fonctions écologiques
et services rendus par les écosystèmes ;
• représenter les divers services écosystémiques
ainsi que leurs interdépendances dont l’analyse
permet de réduire les tensions ou d’imaginer des
compromis ;
• appréhender les conséquences sur la biodiversité
des activités humaines sylvicoles ou industrielles, du
secteur forestier ou d’autres secteurs ;
• prévenir les conséquences néfastes (évitement),
voire renforcer les bénéfices s’il y en a ;
• pallier les conséquences néfastes, notamment
par la mise en œuvre de mesures compensatoires en
rapport avec les atteintes à l’environnement.
les textes présentés dans cette partie socioéconomique lancent des pistes dans cette direction.
Ils donnent la conscience de l’ensemble du domaine
à décrire. Ils mettent en garde aussi contre certains
écueils à éviter. Ils ne constituent pas un recueil
d’indicateurs que chacun pourrait mobiliser pour
ses besoins. Mais ils sont utiles pour organiser le
travail futur et progresser dans la description de la
biodiversité et l’élaboration de stratégies d’utilisation durable et de préservation. n
89
90
les services écosystémiques offerts par
la biodiversité forestière
Harold Levrel*
*Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER, GIP ECOFOR à l’époque où l’article a été rédigé)
Introduction
la question de la conservation des forêts suscite
un fort intérêt dans l’opinion publique. Ceci est
dû au fait que des pans entiers de la biodiversité
semblent pouvoir disparaître lorsqu’une forêt est
détruite, notamment dans les zones tropicales. Pour
faire face aux menaces que les forêts subissent, une
stratégie récemment adoptée consiste à mettre en
avant les nombreux « services écosystémiques » que
les forêts fournissent.
depuis la fin des années quatre-vingt-dix, le
concept de « biodiversité » est en effet de plus en
plus articulé avec celui de « service écosystémique »
(daily, 1997). Une liste relativement standardisée
de ces services a été produite par le programme
sur l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire
(Millenium Ecosystem Assessment, 2005a).
l’approche par les services écosystémiques a pour
origine une volonté de porter les débats autour de
la conservation de la biodiversité au même niveau
que la question du changement climatique. ainsi,
en soulignant le lien entre conservation de la biodiversité et maintien des services écosystémiques
pour l’homme, cette approche permet de mettre
l’accent sur les interdépendances qui existent entre les questions de conservation et de bien-être
humain (figure 1).
Ces services commencent par le fonctionnement
lui-même des écosystèmes forestiers (auto-entre-
tien), pour aller vers la fourniture de produits de
première consommation (services de prélèvement),
l’assurance des grands équilibres environnementaux
(services de régulation) et le support d’activités de
loisir (services culturels). adopter cette approche a
pour avantage de pouvoir porter un discours moins
manichéen sur la question de la conservation de la
biodiversité. en effet, il est plus constructif de souligner les efforts qui ont été accomplis sur le long
terme par les gestionnaires forestiers dans le domaine des services de prélèvement et d’insister sur
les besoins d’un rééquilibrage des modes de gestion
en faveur des services culturels que de simplement
évoquer l’effet négatif de la gestion forestière sur
la biodiversité au cours des cinquante dernières
années1.
I. Les services écosystémiques
offerts par la forêt
robert Costanza (1997) a proposé une évaluation
de l’ensemble des services écosystémiques offerts
par la biosphère. Son calcul conduit à attribuer une
valeur à chacun des grands types d’écosystèmes.
Même si les montants évoqués n’ont pas trop de
sens, ils ont pour intérêt de pouvoir offrir une évaluation de l’importance relative de ces différents
types d’écosystèmes dans la production de services
écosystémiques. les milieux forestiers seraient ainsi
à l’origine de 15 % des services écosystémiques produits par la planète. Même si ce pourcentage peut
paraître faible, la forêt constitue l’habitat qui offre
Il ne s’agit pas ici de défendre telle ou telle position sur les effets de la gestion des forêts sur la biodiversité à partir de cet
exemple mais simplement de souligner l’intérêt de pouvoir mobiliser un nouveau champ argumentaire pour travailler sur la
conservation de la biodiversité.
1
91
Service des écosystèmes
vie sur terre et biodiversité
Autoentretien
• Cycle nutritionnel
• Constitution des sols
• Production primaire...
Prélèvement
• Nourriture
• Eau douce
• Bois et fibres
• Combustibles...
régulation
• Régulation du climat
• Régulation de l’eau
• Régulation des maladies
• épuration des eaux...
Culturel
• Esthétique
• Spirituel
• éducatif
• Agrément...
Sécurité
éléments d’une vie agréable
Santé
• Personnelle
• D’accès aux ressources
• Vis-à-vis
des catastrophes
• Moyens d’existence adéquats
• Alimentation suffisante
• Logement
• accès aux biens
• Vigueur
• Bien être
• accès à l’eau et l’air pur
Bonnes relations
sociales
• Cohésion sociale
• Respect mutuel
• Capacité à aider
les autres
Libertés et possibilité de choisir
Capacité pour les individus de se réaliser avec des valeurs dans le faire et l’être
éléments du bien-être
Couleur des flèches : potentiel d’influence sur les
facteurs sociéconomiques.
Faible
Moyen
Haut
Largeur des flèches : intensité du lien entre les
services écologiques et le bien être.
Faible
Moyen
Haut
Figure1 : liens entre les services écosystémiques et les éléments du bien-être, d’après Millenium
ecosystem assessment (2005a)
la plus grande diversité de services écosystémiques
(Millenium Ecosystem Assessment, 2005). des services qui sont eux-mêmes à l’origine d’une grande
diversité d’opportunités pour l’homme (tableau 1).
l’évolution de la production de ces services est
pour une part importante liée aux usages que les
sociétés en font. ainsi, dans les pays du Nord, après
que les services de prélèvement eurent longtemps
dominé les stratégies d’aménagement du territoire
92
et orienté les modes de gestion des forêts, ils sont
aujourd’hui devenus moins prépondérants par rapport aux services culturels (activités récréatives) et
aux services de régulation (séquestration de carbone notamment).
Il existe ainsi des tensions entre les partisans des
différentes catégories de services, liées en grande
partie à la diversité des objectifs fixés dans le cadre de l’aménagement forestier. Ces différends ap-
Services de support
Services de régulation
Services de prélèvement
Services culturels
Production de biomasse
Photosynthèse
Production de sols
régulation du climat global
atténuation des effets du réchauffement climatique à des échelles locales
régulation de l’érosion des sols
Filtration de l’eau
Purification de l’air
Bois de feu
Bois d’industrie (dont de trituration)
Bois d’œuvre
Produits non ligneux
Captation d’eau douce
Gibier
Chasse
loisirs et détente (observation des oiseaux, ballades…)
ecotourisme
dimension spirituelle (forêts sacrées)
Tableau 1 : exemples de services écosystémiques fournis par les forêts
paraissent de façon assez évidente entre certaines
catégories de services, comme entre les services de
prélèvement et les services culturels. les premiers
impliquent des choix guidés par des critères de productivité tandis que les seconds conduisent plutôt à
des choix basés sur des critères esthétiques.
on retrouve également des oppositions au sein
d’une même catégorie de services écosystémiques.
ainsi, pour ce qui concerne les services culturels,
un accroissement de la population de cervidés peut
être perçu comme une évolution positive pour la
chasse mais comme négatif pour les promeneurs
car ces populations peuvent avoir de forts impacts
sur la flore si leur densité est trop importante. Un
autre exemple est celui des puits de carbone ; les
forêts offriraient en effet le meilleur moyen de lutter contre le réchauffement climatique en stockant
le Co2 émis par les activités humaines. au-delà des
controverses sur l’importance réelle des forêts dans
le cycle du carbone à l’échelle de la biosphère, il
est important de souligner qu’il existe aussi des
phénomènes non désirés (Körner, 2004). ainsi, avec
l’augmentation de Co2 dans l’atmosphère, les rythmes écologiques devraient s’accélérer et les cycles
sylvicoles se raccourcir, pénalisant ainsi probablement la biodiversité. C’est pourquoi il est difficile
d’envisager une gestion des forêts basée uniquement sur la production de l’un ou l’autre service
écosystémique.
II. Indicateurs de l’évolution
de la production des services
écosystémiques
Comme le montre un certain nombre d’indicateurs,
les services écosystémiques rendus par les forêts subissent actuellement une phase importante d’érosion (Millenium Ecosystem Assessment, 2005b).
Un premier indicateur bien connu est celui de la
surface forestière. de nombreux articles sont régulièrement publiés sur les surfaces de forêts qui disparaissent chaque jour, chaque heure, chaque minute, en équivalent de terrain de football ou autre
unité d’équivalence « parlante ». en effet, si les forêts (formations naturelles et plantations) gagnent
du terrain dans les pays occidentaux, ce n’est pas le
cas dans les pays tropicaux (tableau 2).
au-delà de l’évolution des surfaces forestières qui
traduisent une évolution quantitative des services
93
Domaine
Forêts naturelles
Pertes
Gains
Tropical
déforestation
Conversion en forêt
de plantation
Perte totale
expansion naturelle
Variation nette
Non tropical
Global
-14,2
-0,4
-14,6
-1,0
-15,2
+1
-14,2
-0,5
-0,9
+2,6
+1,7
-1,5
-16,1
+3,6
-12,5
+1
+0,9
+1,9
+0,5
+0,7
+1,2
+1,5
+1,6
+3,1
-12,3
+2,9
-9,4
Forêts de plantations
Gains
reboisement
Boisement
Variation nette
Variation nette totale
Tableau 2 : évolution des surfaces forestières sur la période 1990–2000 pour les zones tropicales et non
tropicales (en millions d’hectares par an), d’après Millenium Ecosystem Assessment (2005b).
écosystémiques associés à ces milieux, d’autres indicateurs permettent de porter un regard plus précis sur la dimension qualitative de l’évolution des
services écosystémiques forestiers. Prenons l’exemple de la France. Plusieurs catégories d’indicateurs
peuvent être utilisées pour décrire plus précisément
l’évolution des quatre catégories de services écosystémiques forestiers.
Pour ce qui concerne les services de support ou
auto-entretien, on peut penser à des indicateurs
fondés sur des relevés satellitaires, comme les indicateurs de concentration de chlorophylle qui permettent d’avoir une approximation des niveaux de
production de biomasse.
Pour ce qui concerne les services de régulation, il
est nécessaire d’avoir recours à des indicateurs écologiques qui permettent de bien qualifier les processus qui régulent les écosystèmes et leur offrent
une bonne résilience. Il est possible d’utiliser l’indicateur des oiseaux spécialistes des milieux forestiers. Cet indicateur, qui décroît fortement depuis
une quinzaine d’années, permet de souligner que
l’accroissement de la taille des forêts ne se traduit
pas nécessairement par une augmentation des ser94
vices de régulation au sein de ces milieux (levrel
et al., 2007).
Pour ce qui concerne les services de prélèvement, il est possible d’utiliser des indicateurs qui
renvoient à l’exploitation des forêts mais aussi
à la cueillette ou à la chasse, c’est-à-dire à un
usage direct : bois sur pied décrit par essences,
abondance de champignons décrite par espèces,
fruits sauvages consommables, abondance de
gibier, etc.
Pour les services culturels, nous pouvons réutiliser
les indicateurs de cueillette et de chasse qui représentent tout autant, voire plus, des activités de
loisir. Cependant les activités culturelles en forêt ne
se limitent pas à cela. l’observation des oiseaux, les
promenades, le lieu de détente que peut représenter
un bois. sont autant d’éléments qu’il serait nécessaire de prendre en compte. Il n’existe cependant pas
encore vraiment d’information sur la manière dont
il est possible de comptabiliser ces services écosystémiques. ainsi, si les enquêtes réalisées auprès des
usagers permettent de souligner l’existence d’une
forte demande pour des services écosystémiques
culturels (office National des Forêts, 2004), il est
délicat de proposer des indicateurs des services à
proprement parler. Il est en revanche possible d’utiliser des indicateurs indirects tels que la surface de
forêt « accessible » aux usagers, les linéaires de chemins ou de berges au sein des forêts, etc. Il est aussi
possible d’évoquer des indicateurs qui renvoient
à l’abondance d’espèces animales forestières non
chassées telles que les oiseaux forestiers, les insectes communs, les petits mammifères (notamment les
chauves souris), etc. Une autre piste est d’identifier
des indicateurs traduisant l’existence d’habitats pour
des espèces menacées comme l’abondance d’arbres
morts qui forment un habitat favorable à beaucoup
d’insectes et d’oiseaux. d’autres indicateurs permettent de souligner une diversité paysagère qui sera
appréciée des promeneurs : diversité des essences,
pourcentage d’espèces autochtones / espèces allochtones, pourcentage de plantation / forêts non
exploitées, etc.
Une piste envisagée pour lutter contre l’érosion des
services écosystémiques associés aux milieux forestiers est d’attribuer une valeur monétaire à l’ensemble des services dont la valeur n’est pas renseignée
par les prix de marché, comme c’est le cas notamment pour les services de régulation et les services culturels. dans le cadre d’un rapport du Centre
d’analyse stratégique (Chevassus-au-louis et al.,
2009), la valeur moyenne à accorder aux écosystèmes forestiers métropolitains est estimée à 970
euros par hectare et par an (bénéfices annuels) et la
valeur totale actualisée à 35 000 euros par hectare2.
evidemment, cela offre une valeur beaucoup plus
importante à l’hectare que la simple valeur foncière
et, de ce point de vue, c’est une bonne chose. Pourtant, on peut penser que les projets d’aménagement
qui induisent les impacts les plus importants sur les
écosystèmes naturels – la fragmentation et l’artificialisation (devictor et al., 2007) – sont des projets
qui vont générer des bénéfices actualisés bien plus
élevés à l’échelle d’un hectare, comme par exemple un programme immobilier ou le développement
d’un réseau routier. effectivement la biodiversité ne
vaudra plus zéro euro dans les calculs de rentabilité
des projets. Mais le fait de pouvoir avancer l’argument selon lequel la valeur monétaire de la biodiversité aura été prise en compte dans le calcul de
l’évaluation de projet a plus de chance d’être utilisé
2
en défaveur de la biodiversité qu’en faveur de cette
dernière, en particulier lorsque cet argument pourra
être avancé pour contrer les modes de justification
« conventionnels » (fondés sur des indicateurs « écologiques ») des associations environnementales et
de couper ainsi cours aux négociations qui s’instaurent généralement à l’échelle locale. Par ailleurs,
les arbitrages réalisés à partir de ces considérations
monétaires contribueront à mieux protéger la biodiversité uniquement là où la valeur des projets est
faible et pas du tout là où les pressions s’exercent
de manière importante (qui sont situées dans des
zones où la valeur ajoutée des projets est justement
élevée). les projets seront certes gérés de manière
plus « optimale » du point de vue de la rationalité
économique mais si cela se fait systématiquement
en défaveur de la biodiversité et aux dépens d’une
certaine démocratie locale, la portée opérationnelle
de cet outil d’aide à la décision risque pour le moins
de perdre de sa pertinence.
Conclusion
la notion de service écosystémique nous offre une
nouvelle unité de référence à partir de laquelle il est
possible de repenser la question de la production
de richesse ou de la conservation de la biodiversité.
C’est particulièrement le cas pour les forêts dont
la fonction première est actuellement fortement
débattue : simple puits de carbone, espace de loisir pour une population de plus en plus urbaine ou
lieu d’exploitation avant tout ? Il est probable que
la réponse se trouve justement dans une meilleure
prise en compte des interdépendances qui existent
entre les quatre catégories de services qui sont associées à ces fonctions socio-économiques. adopter
un tel point de vue implique de repenser les unités
spatiales, les unités de temps mais aussi les unités
organisationnelles à partir desquelles la gestion des
interactions Société-Nature en milieu forestier a
jusqu’à présent été envisagée. en revanche, il peut
sembler risqué de vouloir envisager ces services
écosystémiques à partir d’une seule unité d’évaluation que pourrait être la valeur monétaire de ces
derniers, du fait de l’uniformisation des systèmes de
valeur et de l’instrumentalisation que cela pourrait
engendrer. n
Selon un taux d’actualisation compris entre 2 et 4 %, conformément aux recommandations officielles françaises.
95
références bibliographiques
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une union durable, 1960 – 2003 : évolution de la
demande sociale face à la forêt. RDV techniques
n° 5, 5 p.
96
les fonctions écologiques offertes par la biodiversité
Mathilde Bouvron*
*Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN)
n de la considération des espèces rares
à celle des fonctions écologiques
afin d’intégrer l’aménagement du territoire à une
stratégie de développement durable, le ministère en
charge du développement durable a souhaité développer une politique de mesures compensatoires
et la création d’une banque d’actifs écologiques.
la mise en œuvre des mesures compensatoires,
en prévision des dommages causés à la biodiversité, nécessite des méthodes de quantification de
ces dommages d’une part, mais aussi des bénéfices
attendus de la compensation d’autre part. Ces méthodes de quantification font appel à des indicateurs de biodiversité, ou plus généralement à des
indicateurs de qualité des milieux. Ces indicateurs
sont aujourd’hui basés uniquement sur les espèces
d’intérêt patrimonial, espèces rares, menacées ou
protégées. Mais peut-on considérer que la conservation de la biodiversité est assurée uniquement
par la conservation des espèces rares ?
le projet d’évaluation des fonctions écologiques
développé par le ministère en charge du développement durable et le Muséum national d’Histoire
naturelle, propose une approche complémentaire
de conservation de la biodiversité par l’évaluation
de la qualité des milieux, au-delà de la présence
d’espèces rares ou patrimoniales. en effet, comme
le montrent Montoya et ses collaborateurs (2003),
la richesse spécifique à elle seule ne contribue que
partiellement aux services écologiques rendus. les
modifications de la complexité du réseau trophique doivent également être prises en compte lors
de prédictions de perturbation des communautés
naturelles engendrées par l’Homme. Cette proposition s’inscrit dans un contexte actuel d’intérêt grandissant pour les services écologiques que la nature
fournit aux sociétés humaines. l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Millenium Ecosystem
Assessment, 2005), projet de référence sur le thème
des services écologiques, soulève notamment l’importance des services rendus aux sociétés humaines
par les écosystèmes et entre autres leur biodiversité.
l’enjeu n’est alors plus uniquement de conserver la
diversité biologique des écosystèmes mais de savoir
comment les gérer de façon durable pour maintenir
les services écologiques qu’ils fournissent.
dans ce contexte, une compensation basée sur la
présence d’espèces rares reste importante mais non
suffisante. l’enjeu est donc de pouvoir développer
de nouvelles méthodes d’évaluation du fonctionnement des écosystèmes. Celles-ci seront complémentaires des approches centrées sur la biodiversité, car
bien que la relation entre biodiversité et fonctions
écologiques d’un écosystème ne soit pas toujours
clairement établie (Schwartz et al., 2000 ; Srivastava et vellend, 2005), la biodiversité est nécessairement étroitement associée aux fonctions écologiques. Par exemple, plusieurs études montrent le rôle
de la biodiversité dans le fonctionnement des écosystèmes, par la modification de certaines fonctions
clefs telles que la productivité (Tilman et al., 1997a ;
Tilman et al., 1997b), le recyclage des nutriments
ou la biomasse totale (Hooper et vitousek, 1997 ;
loreau, 2000 ; Coleman et Whitman, 2005 ; Hooper
et al., 2005 ; danovaro et Pusceddu, 2007), en lien
avec la modification de la diversité biologique.
ainsi, la biodiversité reste une notion clef pour le
fonctionnement des écosystèmes dont elle augmente la capacité à assurer différentes fonctions
écologiques ; lorsqu’elle est élevée, une compensation entre espèces ayant les mêmes fonctions est
possible.
les fonctions écologiques méritent particulièrement
d’être étudiées car elles sont au cœur de la relation
entre la diversité biologique des écosystèmes et la
97
production de services pour les sociétés humaines.
les services écologiques sont définis comme « les
bénéfices que les humains peuvent tirer des écosystèmes » (Millenium Ecosystem assessment, 2005)
ou encore les « composants de la nature, directement appréciés, consommés ou utilisés pour assurer
le bien être humain » (Boyd et Banzhaf, 2007) ainsi
que les « conditions et les processus selon lesquels
les écosystèmes et les espèces qui les composent
maintiennent et assurent la vie humaine » (Tallis et
Kareiva, 2005). les fonctions écologiques sont les
mécanismes qui permettent la production de ces
services. elles font donc plutôt référence aux processus de maintien et de fonctionnement de l’écosystème, alors que les services écologiques sont
directement liés à l’homme et aux bénéfices dont
il peut tirer profit, assurant ainsi le maintien des
activités humaines (figure 1).
n Quelles fonctions écologiques évaluer
et où ?
Un intérêt majeur est donc d’intégrer l’évaluation
des fonctions écologiques dans les programmes de
conservation et d’aménagement. Pour atteindre cet
objectif, il est nécessaire de développer un système
de quantification des fonctions écologiques, à partir
d’indicateurs pertinents d’un point de vue des processus biologiques liés à ces fonctions, mais aussi
relativement simple à mettre en œuvre (protocoles,
faisabilité des mesures, disponibilité des données,
etc.). Il s’agit d’identifier un ou plusieurs indicateurs
pertinents qui reflètent la capacité d’un écosystème
à réaliser une ou plusieurs fonction(s) écologique(s).
Ces indicateurs se différencient ainsi des indicateurs
de biodiversité déjà développés, qui ne tiennent pas
compte de cette dimension fonctionnelle.
la liste des fonctions écologiques à retenir pour une
évaluation a ainsi été réalisée par la détermination
de l’ensemble des fonctions écologiques nécessaires
pour assurer les services écologiques pour l’homme
Écosystème
Fonctions écologiques
(services écologiques de régulation et de support
recensés dans Millenium Ecosystem Assessment,
2005). Chaque fonction a été définie précisément
pour l’identification d’indicateurs pertinents. Suite
à des réunions de concertations entre experts, une
quinzaine de fonctions « clefs » ont été identifiées
(tableau 1).
la mise en place de mesures compensatoires nécessite de quantifier ces fonctions par rapport à un
état de référence optimal. Cependant, il est important de tenir compte de l’hétérogénéité des habitats naturels français pour intégrer l’ensemble des
fonctions écologiques identifiées. en effet, chaque
habitat n’est le lieu de réalisation que de certaines
fonctions et inversement. Une typologie en neuf
types principaux d’habitats et en une trentaine de
sous-types a été dégagée par comparaison entre les
bases Corine land Cover, eUNIS (European nature
information system) et Corine Biotope (tableau 2).
n vers des indicateurs
du fonctionnement écologique
en s’appuyant sur cette typologie ainsi que sur la
liste des fonctions écologiques citée précédemment, il faut désormais élaborer des indicateurs
pour quantifier les différentes fonctions. Ces indicateurs doivent permettre une évaluation synthétique et quantifiée des fonctions recensées pour un
habitat. Cette quantification doit également être
évaluée dans des milieux dits « de référence » pour
permettre de comparer la valeur des indicateurs obtenus sur les zones susceptibles de mettre en place
des mesures compensatoires à ces valeurs de référence. ainsi, un écart important à la valeur de référence traduira un état dégradé de la fonction, alors
qu’une valeur proche de celle de référence traduira
une très bonne réalisation de cette fonction dans
l’habitat concerné. Par ailleurs, il est important de
prendre en compte les divergences pouvant exister
Services écologiques
Bénéfices
Figure 1 : liens et distinctions entre écosystèmes, fonctions écologiques, services écologiques et bénéfices
98
echanges gazeux végétation - atmosphère
autoépuration de l’eau
Piégeage des particules
Transports des solides
résistance de la végétation aux perturbations (feux, tempêtes)
rétention de l’eau dans les sols et les sédiments
ecoulements d’eau (des cours d’eau, de surface et de sub-surface, de profondeur)
effet albédo (réflexion)
approvisionnement des sols et des sédiments en matière organique
décomposition de la matière organique dans les sols
recyclage des éléments nutritifs dans les sols
Formation de la structure des sols (sédimentation)
Transferts de pollen
Interactions biotiques (prédation, parasitisme, compétition)
existence d’un habitat/biotope particulier
Tableau 1 : liste des fonctions écologiques clefs retenues.
entre certaines fonctions : un même habitat pourra
être à la fois le lieu de fonctions très dégradées et
de fonctions proches de la valeur de référence.
Grâce à ce système d’évaluation, il serait ainsi possible de disposer d’un bilan de l’état des fonctions
écologiques d’un milieu donné et d’observer l’évolution ainsi que les modifications des capacités de
ce milieu à assurer les fonctions écologiques lors
de la construction d’infrastructures. Cette évaluation serait alors un outil dans la mise en place de
mécanismes de compensation, qui tiennent compte
de la fonctionnalité des écosystèmes. Cependant,
la réflexion doit être renforcée et développée, pour
aboutir à un ensemble d’indicateurs pertinents et
fonctionnels pour la quantification des fonctions
écologiques et pour définir les modalités de leur
utilisation. Il convient, dès lors, d’adapter les indicateurs existants et de développer des indicateurs
pour évaluer les fonctions non prises en compte
dans ces derniers. Ces indicateurs devront intégrer
le lien entre la complexité des écosystèmes et leur
stabilité écologique, comme le soulignent Montoya
et ses collaborateurs (2006).
les indicateurs existants ont différents cadres théoriques : certains indicateurs se fondent sur le réseau
trophique de l’écosystème considéré, la complexité
de ce réseau, la diversité des espèces à chaque niveau trophique (cf. par exemple le Marine Trophic
Index, Pauly et al., 1998), etc. d’autres indicateurs
se fondent sur la spécialisation des communautés
pour un écosystème ou une région comme l’indicateur de spécialisation des communautés d’oiseaux
(Julliard et al., 2006). Ces indicateurs de spécialisation des communautés peuvent également être calculés pour d’autres groupes taxonomiques tels que
les papillons, les chauves-souris, les odonates, etc.
Certaines fonctions écologiques, comme la pollinisation, peuvent être abordées plus directement par
l’étude des communautés qui assurent cette fonction : les pollinisateurs. en effet, la pollinisation de
très nombreuses plantes dépend des insectes et,
réciproquement, des dizaines de milliers d’espèces
d’insectes dépendent des plantes à fleurs pour leur
survie. les pollinisateurs sont donc la source d’un
véritable service écologique. des études récentes
ont montré que ce service est d’autant mieux rendu
que la diversité des pollinisateurs est importante –
la diversité engendre une meilleure fructification
et garantit le maintien d’une activité pollinisatrice
en cas d’épidémie ou de présence de parasites sur
une espèce particulière. Pourtant, ce service est
aujourd’hui menacé. Si le symbole de cette menace
est le déclin de l’abeille domestique, des dizaines
d’espèces rares et localisées ont déjà disparu. Qu’en
est-il des espèces sauvages les plus communes ?
Quelles sont celles qui assurent l’essentiel du service ? Un suivi de la diversité des pollinisateurs à
99
l’échelle de la France est d’ores et déjà en train de
se mettre en place au Muséum national d’Histoire
naturelle. les pollinisateurs comptent plusieurs
milliers d’espèces appartenant à des ordres très variés, en particulier :
- les lépidoptères (papillons),
- les hyménoptères (bourdons, abeilles),
- les coléoptères (longicornes, cétoines),
- les diptères (syrphes et autres mouches).
Ces indicateurs biotiques doivent également être
associés à des indicateurs plus physiques ou biophysiques pour l’évaluation de fonctions telles que
l’écoulement des eaux, le transport de solides, la
Habitats marins
1.1. Zones intertidales, roches sédiments, sable vase, généralement sans végétation
1.2. Mers et océans, zones au-delà de la limite des plus basses marées, fonds marins
Habitats côtiers, surfaces en eaux maritimes, zones soumises aux marées, dunes continentales
2.1. Plages de sable et de galets, dunes littorales et continentales
2.2. lagunes littorales
2.3. estuaires
2.4. Marais maritimes
Surfaces en eau douce continentales
3.1. Surfaces d’eau stagnante
3.2. Surfaces en eau courante, rivières, fleuves sources, canaux
Zones humides
4.1. Marais intérieurs, tourbières de transition
4.2. Tourbières
Prairies et milieux à végétation arbustive ou herbacée
5.1. Prairies, surfaces enherbées denses
5.2. Pelouses et pâturages naturels, prairies humides, pelouses alpines et subalpines
5.3. Forêt et milieux à végétation arbustive en mutation
5.4. landes et broussailles tempérées, broussailles alpines et subalpines
5.5. Maquis, garrigue, landes épineuses méditerranéennes, milieux à végétation sclérophylle.
Bois et forêts
6.1. Forêt de feuillues caduques et à feuilles persistantes
6.2. Forêt de conifères
6.3. Forêt mixtes
espaces ouverts sans végétation ou avec peu de végétation
7.1. eboulis, rochers, falaises, affleurements, grottes
7.2. Glaciers et neiges éternelles
7.3. Milieux à végétation clairsemée
Territoires agricoles cultivés
8.1. Terres arables irriguées et hors périmètre d’irrigation
8.2. rizières
8.3. Cultures permanentes : vignes, vergers et petits fruits, oliveraies, plantations
8.4. Zones agricoles hétérogènes
Habitats artificialisés
9.1. espaces verts, parcs, jardins
9.2. equipements sportifs et de loisirs
9.3. Sites d’extraction industrielle, mines, décharges, chantiers
9.4. Marais salants exploités
Tableau 2 : typologie des habitats naturels français en neuf types et vingt-neuf sous-types.
100
sédimentation, etc. Certains indicateurs biophysiques sont déjà utilisés dans certaines études comme des indicateurs de qualité des sols (Braunisch et
Suchant, 2008). leur utilisation doit cependant être
simplifiée et redéfinie en fonction du milieu naturel
considéré.
références bibliographiques
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fonctionnement écologique
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le système de quantification ne constitue cependant qu’un point de départ. en effet, les indicateurs
mesurés sur les zones où peuvent s’appliquer les
mesures de compensation doivent non seulement
être comparés à une valeur de référence de « bon
fonctionnement » mais également à une valeur
seuil de résilience de cette fonction. en effet, la résilience des écosystèmes est le reflet de la capacité
d’un écosystème à conserver un fonctionnement
producteur de services pendant et/ou après des
perturbations. evaluer la résilience des écosystèmes
nécessite donc de déterminer des seuils en-deçà
desquels les fonctions ne sont pas maintenues et
ne peuvent être acquises de nouveau au sein de
l’écosystème considéré.
enfin, la quantification des fonctions écologiques
ne semble pas suffisante car il est également indispensable de tenir compte du contexte socio-économique dont dépendent les services écologiques. en
effet, pour un milieu donné dans un contexte qui lui
est propre, une fonction écologique peut avoir une
valeur forte, mais en termes de service pour l’homme, avoir une importance mineure (par exemple, un
milieu riche en pollinisateurs, mais sans parcelles
agricoles).
Pour finir, cette approche par indicateurs du fonctionnement des écosystèmes permet une préservation des milieux et donc des habitats des espèces
patrimoniales ou menacées, ainsi que des espèces
communes, souvent négligées dans les stratégies de
conservation. n
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102
l’identification ordinaire de la biodiversité.
en dehors du Codex1, des indicateurs ordinaires de biodiversité
Richard Raymond*
*Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
n la biodiversité,
un mot du vocabulaire ordinaire
Ce texte a pour origine une série de constats simples. (1) les acteurs sociaux agissent en fonction
de ce qu’ils savent ou croient savoir. C’est donc en
fonction de ces savoirs2 que les acteurs sociaux
évaluent les conséquences de leurs pratiques sur la
biodiversité. C’est aussi en fonction de ces savoirs
que les acteurs sociaux évaluent les pratiques des
autres (les gestionnaires des forêts, par exemple) ;
ces savoirs constituent le fondement de leurs revendications concernant d’éventuels changements
de ces pratiques. (2) le mot « biodiversité » appartient au vocabulaire scientifique. Il a, dans ce
domaine, une signification stabilisée. Il désigne la
diversité de toutes les formes du vivant. Cette signification, aussi générique soit-elle, semble peu
appropriée par le grand public. Cependant, (3) les
discours sur la biodiversité sont légion et sortent
fréquemment du domaine scientifique pour aborder
celui de l’action, de l’engagement, de la politique
ou de l’opinion. ainsi, le terme « biodiversité » n’est
plus l’apanage de spécialistes, il appartient au vocabulaire ordinaire. Une étude récente réalisée pour
le compte de la Commission européenne révèle que
65 % des européens et 75 % des français ont déjà
entendu ce terme (European Commission, 2007)3.
enfin, (4) la protection de la biodiversité apparaît
comme un impératif social, c’est-à-dire une injonction qui ne peut pas être écartée ou ignorée. Selon
cette même étude, 94 % des européens reconnaissent que l’érosion de la biodiversité globale est un
problème et 97 % des français considèrent que
c’est un problème à l’échelle nationale.
Pourtant, dans le registre ordinaire, la signification
du mot « biodiversité » est incertaine. Plusieurs études rapportent que de nombreuses personnes sont
réticentes à le définir. Seulement 35 % des personnes interrogées affirment savoir ce que ce terme
signifie (34 % des français) sans qu’il leur ait été
demandé de le définir effectivement. la conclusion
selon laquelle ces difficultés seraient l’expression
d’une méconnaissance ou d’une incompréhension
de ce que ce vocable désigne semble fragile. en effet, il existe de nombreux mots que nous ne savons
pas définir précisément, mais dont nous connaissons le sens ou dont nous savons reconnaître ce
qu’il désigne, au moins de manière approximative.
C’est le cas de termes tels que « liberté », « amour »,
« justice » ou « bonheur ». ainsi, à défaut de pouvoir
être défini avec précision, le mot « biodiversité »
est utilisé et vraisemblablement compris. Plus en-
Un Codex est un manuscrit écrit sur un assemblage de feuilles de parchemin, de forme semblable à nos livres actuels, par
opposition au rouleau de papyrus. Le Codex désigne le recueil officiel de formules de drogues et médicaments autorisés en
France. Par extension, ce mot désigne les listes officielles. Il désigne ici l’ensemble des indicateurs de biodiversité construits par
des spécialistes ou des agents administratifs et officiellement reconnus.
2
Dans ce texte, « savoir » et « croyance » seront considérés comme équivalents. Cette position est motivée par le fait que la
proposition « je crois qu’il y a un génie dans cette forêt » est équivalente à « je sais qu’il y a un génie dans cette forêt » pour la
personne qui croit qu’il y a un génie dans cette forêt, et c’est bien cette personne-là qui nous intéresse ici, lorsqu’elle agit ou
revendique différentes modalités de gestion des forêts.
3
25 080 personnes ont été interrogées dont 1 000 français.
1
103
core, ce mot, mal défini, flou, incertain, fait l’objet
d’échanges collectifs, d’intercompréhensions, de
consensus et d’actions. ainsi, selon l’étude précédemment citée, 88 % des européens se disent prêts
à faire des efforts pour préserver la biodiversité et
67 % d’entre eux affirment en faire effectivement
(79 % des français). les acteurs sociaux suivent ce
que donald davidson a nommé le principe de charité (davidson, 1984)4.
n Identification et pratiques ordinaires
Il est fort probable que la signification ordinaire du
mot « biodiversité » et ce qu’il désigne diffèrent de
sa portée conceptuelle. Si cette hypothèse est vraie,
alors l’identification ordinaire de la biodiversité ne
recouvre pas nécessairement ce que désignent les
naturalistes. Cette identification est néanmoins
possible, voire courante. Constater que les acteurs
sociaux ne reconnaissent que très rarement les indicateurs de biodiversité définis par les spécialistes
ne saurait conduire à conclure que ces acteurs ne
croient pas savoir ce qu’est la biodiversité ou qu’ils
ne s’intéressent pas à la biodiversité.
par la biodiversité dépend avant tout de ce que ces
acteurs sociaux identifient comme étant de la biodiversité. Cette évaluation par soi-même est importante pour la simple raison qu’il n’y a pas de spécialiste derrière chaque acteur et que l’évaluation
par soi-même est souvent la seule possible. Saisir
ce que les acteurs sociaux identifient comme de
la biodiversité permet aux gestionnaires des forêts
ou de la biodiversité de comprendre le langage du
« grand public ». Cela aiderait à lever les incompréhensions qui émaillent parfois les tentatives d’explications ou de justifications de pratiques sylvicoles au « grand public ». l’idée est alors de rechercher
les indicateurs reconnus et utilisés par les acteurs
sociaux ordinaires5 pour identifier ce que désigne,
pour eux, le mot « biodiversité ». Cela permettrait
de se référer à ces indicateurs pour construire un
discours qui fasse sens pour eux.
n des indicateurs ordinaires de
biodiversité, cinq cas de figure
les acteurs sociaux ne sont pas tous des spécialistes de la biodiversité. Soit. Ils ne reconnaissent donc
que rarement un habitat, une espèce indicatrice
d’une structure fonctionnelle ou l’importance des
arbres morts dans une forêt. Mais qui, outre quelques spécialistes, sait reconnaître les populations
d’oiseaux nicheurs ou les différentes espèces de
carabes ? Si ces acteurs ne disposent pas d’un savoir de spécialistes, ils disposent d’un autre savoir.
Celui-ci guide leurs pratiques et les relations qu’ils
entretiennent avec ce qu’ils identifient, eux, comme
de la biodiversité. Ce savoir ordinaire structure les
intentions vers la biodiversité et, par conséquent,
les attentions à la biodiversité.
Un travail sur l’évaluation de la biodiversité en Seine
et Marne fut l’occasion de réfléchir à ce que pourraient être les formes d’identification ordinaire de la
biodiversité et les indicateurs qui pourraient y être
associés. Ces indicateurs ont pour fonction de permettre de cerner ce qui est identifié comme des signes de biodiversité importante par des acteurs sociaux non-spécialistes. Ils permettent de suivre des
indices qui sont identifiés, à tort ou à raison, par le
grand public comme des signes de biodiversité. les
cinq cas de figure présentés ici (tableau 1) ne prétendent nullement à l’exhaustivité. Néanmoins, ils
témoignent de la diversité des modes d’identification de la biodiversité. les deux premiers cas témoignent d’une grande méconnaissance de ce qu’est la
biodiversité. Ils se réfèrent, pour l’un, au discours
courant, pour l’autre, au discours du spécialiste :
ainsi, l’évaluation par les acteurs sociaux eux-mêmes de l’impact de pratiques ou des services offerts
1- L’évocation rhétorique. le locuteur ne reconnaît
aucune extension6 au mot « biodiversité ». Il ne sait
Une traduction française de ce texte est disponible (Davidson, 1993). Donald Davidson donne de ce principe le sens suivant :
« quand nous abordons une conversation, nous attribuons à notre interlocuteur les mêmes croyances, le même monde que
nous-mêmes ».
5
Les non-spécialistes, c’est-à-dire la part la plus importante des acteurs sociaux.
6
L’extension d’un mot est ce que ce mot désigne ou permet de désigner.
4
104
pas désigner ce qu’est de la biodiversité et par voie
de conséquence, ne sait pas reconnaître un espace
riche en biodiversité ou une atteinte à la biodiversité.
en évoquant la biodiversité, le locuteur ne fait que
répéter un discours convenu qu’il espère crédible, séduisant ou impressionnant. C’est le récepteur de ce
discours qui l’interprète et lui donne sens. Il suit en
cela ce qu’Hillary Putnam (1981) appelle la théorie
magique de la référence. dans ce cas, l’utilisation de
ce mot est réelle mais elle n’est que rhétorique.
les discours médiatiques, empreints de sensationnel. Ce peut être le tigre du Bengale, l’éléphant
d’afrique, le pingouin, la baleine bleue mais aussi le
loup ou l’ours. autant d’espèces peu présentes dans
la majeure partie des forêts françaises (bien que
l’on puisse y observer quelques ours ou quelques
loups). la biodiversité ainsi identifiée est alors, le
plus souvent, lointaine, hors du territoire du locuteur. Sa prise en compte pour évaluer les services ou
les impacts environnementaux est difficile.
2- La délégation à un expert. l’identification de
l’extension du mot « biodiversité » peut être indirecte. elle est alors déléguée à un expert dont la compétence est reconnue par le locuteur. la biodiversité
ou les espaces riches en biodiversité sont alors ceux
qui sont désignés par cette autorité. les indicateurs
de biodiversité sont alors de deux ordres :
4- L’identification remarquable. Ces espèces sont
moins exceptionnelles que précédemment. elles
sont, ou peuvent être, présentes dans le territoire
du locuteur et sont, ou peuvent être, reconnues par
lui. la présence constatée ou regrettée d’Orchidacées, de cervidés, de loutres, de castors, etc., sont
autant d’indicateurs utilisés par l’homme ordinaire
pour reconnaître de la biodiversité et se situer par
rapport à elle.
• ceux qui sont utilisés par l’expert lui-même (identification directe) pour reconnaître de la biodiversité : habitat, espèces, variétés, structure paysagères, etc. Ces indicateurs sont généralement ceux qui
sont reconnus comme pertinents par les sciences de
la nature ou les acteurs administratifs en charge de
la gestion de la biodiversité.
• ceux qui sont reconnus par le locuteur et qui témoignent qu’un expert a identifié de la biodiversité
(identification indirecte). Ces indicateurs reposent
sur des conventions : espaces délimités réputés riches en biodiversité (exemples : ZNIeFF, eNS, rN7,
etc.), taxons réputés rares ou menacés (listes rouges,
espèces emblématiques, etc.), etc. Ce qui caractérise
ces indicateurs, c’est qu’ils procèdent par métonymie : ils désignent le contenu par le contenant, la
biodiversité par les labels attribués aux espaces qui
la contiennent.
Mais l’identification de l’extension du mot « biodiversité » peut aussi être faite directement par un
homme ordinaire. elle peut alors se faire de trois
manières différentes :
3- L’identification sensationnelle. les espèces
emblématiques sont celles qui sont présentées dans
5- L’identification d’une diversité perçue. le locuteur peut identifier l’extension du mot « biodiversité » à partir d’un ensemble d’éléments différents
et présents simultanément en un lieu délimité. Ces
éléments peuvent être des espèces ou des motifs
paysagers (habitats). les espaces de biodiversité
sont alors les endroits riches en espèces ou en motifs paysagers dont il sait reconnaître la diversité.
dans ce cas de figure, pour être un indicateur de
biodiversité, il n’est alors pas nécessaire que ces espèces ou ces motifs paysagers soient rares ou menacés. Il n’est pas non plus nécessaire que ces espèces ou ces motifs paysagers soient identifiés par
les naturalistes comme des indicateurs fiables de
biodiversité. Ces espèces ou motifs paysagers peuvent être parfaitement ordinaires et banals. Ce peut
même être des marques d’atteintes à la biodiversité
comme le sont les plantes envahissantes. Ce qui est
important, c’est leur juxtaposition révélant ainsi
une diversité valorisée en tant que telle. C’est ainsi
que les futaies irrégulières sont identifiées comme
des espaces de biodiversité non pas parce qu’elles
offrent une diversité d’habitats mais parce qu’elles
offrent une diversité d’apparences.
les Zones naturelles d’intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF), les Espaces naturels sensibles (ENS) et les Réserves naturelles (RN).
7
105
Formes d’identification
de la biodiversité
Identification
scientifique
(1) évocation rhétorique
(2) délégation
à un expert
(3) Identification
sensationnelle
(4) Identification
remarquable
(5) Perception
d’une diversité
Types d’indicateurs mobilisés pour désigner
Espèces (Community Specialisation Index, etc.), habitats, organisations
spatiales d’habitats, populations ou variétés témoignant de formes de vie
originales ou variées.
aucun indicateur. la biodiversité ne peut être reconnue par le locuteur.
labels et marques interprétés comme des témoins de la présence de
biodiversité reconnue par une autorité (rN, ZNIeFF, etc.).
les marques de biodiversité sont des espèces ou des paysages
sensationnels présentés dans les médias (forêts tropicales humides,
baleines bleues, tigre du Bengale, etc.).
les marques de biodiversité sont des espèces ou des espaces remarquables
présents dans le territoire de référence.
la biodiversité est reconnue à partir de la présence simultanée d’espèces
ou de motifs paysagers variés dans un même lieu.
Tableau 1 : les formes d’identification de la biodiversité et les types d’indicateurs associés.
les indicateurs associés à ces différentes formes
d’identifications varient. Ce sont ces indicateurs
qui fondent l’appréciation par les acteurs sociaux
eux-mêmes des conséquences de leurs pratiques
sur la biodiversité qu’ils pensent reconnaître. Ce
sont aussi ces indicateurs qui fondent l’évaluation,
par ces acteurs, des services que leur offre cette
biodiversité. C’est donc à partir de ces indicateurs
que les acteurs sociaux se situent par rapport à ce
qu’ils pensent être de la biodiversité. C’est enfin ces
indicateurs qui guident leurs pratiques.
n Un nécessaire retour aux savoirs
naturalistes
Mais ne nous leurrons pas. Si ces différentes formes
d’identification de la biodiversité et les indicateurs
associés font sens pour les acteurs sociaux nonspécialistes, elles ne désignent pas ce qu’est la biodiversité dans le cadre des sciences de la nature. les
formes d’identification ordinaire de la biodiversité
s’apparentent à des savoirs profanes au regard de
savoirs experts ou de savoirs scientifiques. Cependant, la prise en compte de ces formes d’identification de la biodiversité n’est pas sans intérêt. elle
éclaire trois aspects importants de la connaissance
de la gestion de la biodiversité :
• ces identifications ordinaires de la biodiversité
106
sont des sources d’information sur le monde (et la
biodiversité qu’il contient) pour les naturalistes. Il
revient à ces derniers de vérifier ces informations
et d’en déterminer le domaine de fiabilité (Carol
Brewer, 2006) ;
• ce sont des informations qui permettent de comprendre les attitudes des acteurs sociaux face au
monde qui les entoure ;
• connaître ces formes ordinaires d’identification de
la biodiversité permet aux naturalistes engagés dans
l’action de concevoir des indicateurs de biodiversité
qui soient conformes aux préconceptions du public
auquel ils s’adressent. Ces indicateurs feraient alors
sens pour les personnes qui agissent (dunn et al.,
2006 ; Schwartz, 2006). Ils répondent en cela à une
des difficultés importantes des raisonnements ordinaires qui suivent un schéma inductif : le biais de
confirmation d’hypothèse mis en évidence par les
sciences cognitives (Wason, 1960). Cet aspect prend
tout son intérêt dans les processus de construction
de stratégie de communication et d’apprentissage.
enfin, il importe de noter que ces trois aspects
intéressent à la fois la connaissance et l’action.
les explorer nécessite une collaboration entre les
sciences humaines et les sciences de la nature qui
dépasse la simple juxtaposition de recherches mais
demande une réelle mise en perspective de regards
différents. n
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107
108
Indicateurs de perception sociale
de la biodiversité en milieu forestier
Daniel Terrasson et Sophie Le Floch*
*Institut de recherche pour l’ingénierie de l’agriculture et de l’environnement (IRSTEA)
Introduction
les tentatives pour élaborer des indicateurs sur
les rapports entre la société et la forêt sont nombreuses. Il faut par exemple citer les critères et
indicateurs d’une « fonction sociale » mis au point
dans le cadre du processus intergouvernemental
sur la gestion durable des forêts ou du bilan patrimonial de l’office national des forêts (oNF). Plus
récemment, le World Wildlife Fund (WWF) a publié une brochure (vallauri, 2007) qui consacre un
chapitre aux « critères et indicateurs du sentiment
de Nature dans les forêts ». Mais, si la biodiversité
intervient souvent à un titre ou à un autre dans
ces démarches1, aucune ne traite de la perception
de la seule biodiversité en milieu forestier. Tout au
plus permettent-elles de tirer quelques enseignements sur les difficultés à surmonter pour traiter
de la dimension sociale. la première d’entre elles
est le risque d’englobement, qui peut se traduire
par un certain nombre de confusions, par exemple
entre (i) la gestion de la biodiversité et la gestion
de la forêt, (ii) la gestion de la biodiversité et la
mise en œuvre du développement durable, (iii) la
biodiversité et les autres ressources naturelles,
etc.
Par ailleurs, il faut remarquer que si nous cherchons
à élaborer cet indicateur de perception, ce n’est pas
pour suivre l’évolution de la perception de la société sur un phénomène doté de sa propre dynamique, c’est avant tout parce que cette dynamique
est conditionnée par une politique et des pratiques
concrètes de gestion. dans ce contexte, nous nous
proposons donc de croiser deux réflexions : la première concerne la conception d’indicateurs adaptés
au suivi de politiques publiques, la seconde l’état
des connaissances sur la perception de la biodiversité et ceci quel que soit le milieu considéré. Nous
verrons alors que la conception des indicateurs
n’est pas indépendante de l’objectif politique implicitement visé à travers le souci de disposer d’un
indicateur de perception sociale de la biodiversité
en milieu forestier. après avoir proposé un objectif possible, nous déduirons de l’état précédent des
connaissances une suggestion pour un jeu d’indicateurs adapté au cas théorique de la forêt de
plaine.
en ce qui concerne la conception d’indicateurs de
biodiversité pour les politiques forestières, Failing
et Gregory (2003) ont identifié dix pièges à éviter. Si
nous suivons leurs conclusions, parler d’indicateur
de perception sociale de la biodiversité suppose au
moins :
• d’avoir une connaissance fine des perceptions de
la biodiversité et des objectifs que l’on va viser à
travers sa gestion (erreur 1 : échouer à définir des
points à atteindre) ;
• d’être en mesure de mettre en relation des pratiques de gestion avec les évolutions de cette perception (erreur 3 : ignorer le contexte de gestion ;
erreur 7 : échouer à relier les indicateurs aux décisions) ;
• de trouver des indicateurs de ces relations répondant aux critères habituels (pertinence, sensibilité,
stabilité, etc.), sans tomber dans « le syndrome du
Soit, indirectement, comme support/décor à certaines pratiques récréatives (qui peuvent d’ailleurs avoir un impact en retour
sur cette même biodiversité) ; soit, plus directement, comme source d’inspiration à un « sentiment de nature » par exemple.
1
109
lampadaire »2 (erreur 9 : substituer la collecte de
données à l’analyse critique).
voyons maintenant comment nous pouvons répondre à la première de ces conditions et quel est l’état
actuel des connaissances sur la perception de la
biodiversité.
n Quelle perception de la biodiversité ?
Il est possible de mettre en évidence des représentations sociales de la nature (larrère et larrère, 1997)
ou de la forêt, mais que veut-dire une perception
sociale de la biodiversité en forêt ? Hormis quelques études ponctuelles (cf. par exemple Héritier,
1996 et Petit, 1999), il n’existe pratiquement pas de
références bibliographiques abordant ce sujet de façon centrale. Si, pour Nicole eizner (1995), la forêt
est « l’archétype de la nature », il est frappant de
constater que dans l’ensemble de textes rassemblés
dans l’ouvrage La forêt, les savoirs et les citoyens
(eizner, 1995 ; Harrison, 1992 ; larrère et larrère,
1997) et traitant des représentations sociales, du
statut philosophique, de l’imaginaire, on ne trouve
pratiquement aucune réflexion renvoyant à un compartiment quelconque de la biodiversité (le vert, la
promenade facile, l’anti-ville, la pérennité, le silence,
le « sauvage balisé », la peur et l’enfermement, l’espace du retranchement, etc.) sinon quelques références à l’arbre (objet mais être vivant) et aux animaux de préférence gros et dotés de plumes ou de
dents. dans une enquête consacrée à la façon dont
les propriétaires forestiers abordent la biodiversité,
Bailly et Brédif (2009) soulignent que l’utilisation de
ce terme pouvait dans un premier temps être source
de blocage lors des entretiens (ce qui avait déjà été
mentionné par Mauz et rémy, 2004, pour les agriculteurs des alpes du Nord), puisque la biodiversité
était principalement vue comme un problème planétaire (la forêt tropicale, les zones polaires, etc.) mais
trouvant peu d’échos localement.
en fait, on ne sait pas ce que recouvre la notion de
biodiversité pour ceux qui, dans le « public », s’en feraient effectivement l’écho. on ne sait pas non plus
si ce que le mot recouvre pour ceux qui s’en font les
porteurs privilégiés (scientifiques, politiques, etc.)
est aussi présent au niveau du « public » : quels
objets sont désignés ? avec quelles significations ?
dans quels contextes géographiques ? Faute de
cette connaissance, nous avons balayé un ensemble
de travaux abordant, d’une part, les représentations
de la biodiversité dans différents contextes (Micoud, 1997, 2005 ; Mauz et rémy, 2004), d’autre
part, les pratiques et représentations associées à la
forêt (Petit, 1999 ; le Floch, 2002 ; dobré, 2005).
Cette méthode permet de repérer, de façon éparse,
des informations sur quelques compartiments de la
biodiversité qui participent plus particulièrement à
la construction des représentations sociales. Cela
ne veut pas dire que ces éléments sont forcément
perçus comme contribuant à quelque chose de plus
vaste qui ressemblerait à une idée de la « biodiversité », mais donne simplement une idée des prises
possibles. Nous avons identifié :
• quelques espèces emblématiques qui ont trois
caractéristiques principales : ce sont des espèces
animales (charismatic megafauna selon Failing et
Gregory, 2003) ; elles sont rares et en effectif très
faible ; la connaissance de leur existence est plus
importante que la manifestation visible de leur présence. le grand tétras ou l’ours en constituent de
bons exemples. Ces espèces sont naturellement très
peu nombreuses, surtout lorsque le champ est limité au domaine forestier ; elles sont cantonnées dans
des milieux très spécifiques et ne se confondent pas
avec la multitude d’espèces recensées dans les divers inventaires (liste rouge, etc.) ;
• des animaux ordinaires que l’on peut identifier au
moins par leurs traces (Petit, 1999) et, pour le domaine forestier, ce sont plus particulièrement les
grands ongulés (chevreuils, cerfs) mais aussi les
lapins, dans certaines conditions les sangliers, etc.
les oiseaux et les papillons ont une importance sociale particulière, mais en dehors de quelques espèces (dont le coucou), ils sont plutôt associés au
domaine champêtre et, pour certains, aux trouées
dans les peuplements ;
le syndrome du lampadaire désigne la propension à ne regarder que « là où c’est éclairé ». Dit autrement, cela revient à formuler les problèmes non pas pour ce qu’ils sont mais en fonction des solutions dont on dispose. Cela revient à investir dans des
solutions connues même si elles ne sont pas forcément adaptées.
2
110
• des espèces mobilisées pour des usages de
cueillette : muguet, jonquille, champignons (moins
d’une dizaine d’espèces pour la quasi totalité des
cueilleurs), baies et fleurs, même si ces dernières
sont plus associées aux champs et aux alpages
qu’aux forêts ;
• « tout ce qui fait peur » ou plus simplement génère des répulsions : ce n’est pas tellement le loup (au
moins dans les forêts ordinaires) mais la « vermine », les « épines », les araignées, serpents et autres
« petites bêtes », inféodées à la « broussaille et au
fouillis » (le Floch, 2002). Notons au passage que
cette catégorie n’est pas associée à une perception
positive de la biodiversité et que l’existence d’oppositions dans les représentations peut probablement
être généralisée. Mauz et rémy (2004) soulignent
à ce titre que pour les agriculteurs « tout ne leur
paraît pas bon à prendre », qu’il n’y a pas UNe mais
deS biodiversités, que ces oppositions ne recouvrent pas les catégories « d’utile » et de « nuisible »
et que les animaux diffèrent fortement de certains
végétaux ;
• de façon moins prégnante, des éléments de diversité à l’échelle des paysages : clairières, mares,
plans d’eau, etc. la question que l’on peut se poser
est alors de savoir en quoi ces différents milieux
sont perçus comme des écosystèmes ou génèrent
seulement une appréciation sur le plan de l’esthétique (Mauz et rémy, 2004 ; Petit, 1999).
Cette tentative de catégorisation a probablement
un sens pour ce qu’on peut désigner sous le terme
de « grand public » alors qu’il existe une diversité et
une ambivalence des représentations. Cette diversité s’applique notamment aux « espèces emblématiques » et l’ours des Pyrénées en est certainement
un bon exemple. Par ailleurs, il faudrait ajouter
des composantes de la biodiversité influant sur les
perceptions, attitudes, usages de groupes sociaux
particuliers : les chasseurs, les chasseurs photographes, les naturalistes, les professionnels (sylviculteurs, bucherons, techniciens), etc. Ces groupes ont
chacun leurs centres propres d’intérêt, avec, de façon générale, une perception plus fine qui s’étend à
une variété plus large d’espèces et couvre au moins
deux niveaux d’organisation : niveau spécifique et
écosystémique. Mais nous connaissons aussi tou-
tes les limites de ces catégorisations sociales trop
schématiques dont la pertinence dépend largement
du contexte local (Ginelli et le Floch, 2006).
Trois remarques peuvent être faites, à ce stade :
• il y a un risque à vouloir évaluer la relation de
la société à la biodiversité de façon générale. Ces
représentations sont toujours celles de groupes sociaux donnés en relation avec des espaces géographiques déterminés. valeurs et pratiques sont indissociables et ne peuvent être décontextualisées,
ni dans l’espace, ni dans le temps ;
• les éléments qui jouent un rôle significatif sont
en nombre très limités, rattachés à un niveau préférentiel, la diversité spécifique, et, sauf exception,
plus corrélés à l’abondance d’un tout petit nombre
d’espèces très communes, qu’à des critères comme
la richesse spécifique, la rareté, la vulnérabilité,
etc. la figure de la biodiversité fonctionne d’abord
comme une « appréhension holistique propice aux
mobilisations affectives » (Micoud, 2005), comme
une tautologie du type « la vie, c’est la diversité de
la vie » (Micoud, 1997) et la vie c’est la présence
d’êtres animés, d’où l’importance des animaux ;
• nous ne faisons ici qu’ébaucher des pistes de réflexion sur la façon dont il est possible d’aborder la
perception sociale de la biodiversité. Mais le sujet
est complexe et il est clair qu’une réflexion plus
approfondie ne peut se soustraire à la question de
l’esthétique. en matière d’appréciation esthétique
de la nature, le modèle de pensée dominant a longtemps reposé (repose toujours ?) sur une conception de l’esthétique comme catégorie autonome du
jugement : le paysage, qui relèverait exclusivement
de l’esthétique, ne pourrait être confondu avec
l’environnement, qui relèverait exclusivement de la
connaissance scientifique (roger, 1995). or, ce modèle est de plus en plus remis en cause aujourd’hui.
le cognitivisme esthétique d’allen Carlson (dumas,
2001), par exemple, souligne la nécessité d’adjoindre aux qualités formelles des objets, des connaissances sur ce qu’ils sont et sur la façon dont ils ont
été produits. Pour le sujet qui nous intéresse ici, la
question de l’esthétique doit être posée, dans ses
liens avec la connaissance scientifique : quelle est
la part des dimensions esthétique et savante dans
111
les représentations sociales d’une espèce (Javelle et
al., 2006) ou d’un paysage, que celles-ci émanent
de personnes « ordinaires » ou de scientifiques ?
en compte mais il semble assez facile d’imaginer un
indicateur spatial de la forme : nombre de trouées de
dimensions à définir par surface de cent hectares.
Passer de cet état des connaissances à l’élaboration d’une batterie d’indicateurs suppose alors que
soient précisés les objectifs de la politique (endpoints) et leurs bénéficiaires (pour qui ?). de nombreuses options sont possibles. a titre d’exemple,
nous tenterons de faire l’exercice sur un cas théorique et pour un objectif formulé comme suit : générer une représentation positive de la richesse de
la biodiversité auprès d’un « public non averti ».
Nous pouvons maintenant tenter de répondre aux
deux dernières conditions citées en introduction.
Intervenir sur le troisième paramètre est plus complexe, notamment pour les champignons. Si nous
suivons Failing et Gregory (2003), nous n’avons pas
à le prendre en considération tant que nous ne sommes pas en mesure de mettre en relation des pratiques de gestion avec un effet. de plus, il fait appel
à des phénomènes difficiles à cerner, sur lesquels il
y a peu de données et, en tout cas, pas de données
renseignées en routine pour toutes les forêts. enfin,
construire un indicateur pertinent demanderait un
peu d’imagination pour s’abstraire des variations
multiples qui affectent ce paramètre dans le temps
(variations interannuelles et saisonnières, diversité
des publics).
n Quels indicateurs des perceptions de
la biodiversité ?
Pour atteindre l’objectif que nous avons proposé
dans une forêt de plaine ordinaire à fréquentation
majoritairement urbaine, les moyens qui semblent
les plus pertinents consisteraient alors à intervenir sur trois paramètres prioritaires : l’occurrence
d’animaux visibles (le chevreuil ayant une place
prépondérante), la fréquence des clairières (non
embroussaillées), la richesse en produits de collecte
(champignons, baies et fleurs). Se pose alors la question de l’existence de pratiques de gestion ayant un
effet sur ces paramètres (erreur 7 de Failing et Gregory, 2003).
Il existe un arsenal de pratiques, dont l’effet est
connu, pour intervenir sur le premier critère. elles
font appel à des méthodes de gestion de la population animale mais aussi d’aménagement forestier
(répartition des aires de gagnage, de repos, etc.). elles
doivent être complétées de mesures d’aménagement
et d’entretien permettant la visibilité des animaux
(sous-bois clairs, layons, etc.). de plus, il existe un indicateur bien maîtrisé, l’Indice kilométrique d’abondance (Cemagref, 1984) dont il suffirait d’adapter le
protocole d’estimation à ce nouvel objectif.
la fréquence des clairières relève, quant à elle, du
simple aménagement de la forêt. elle est corrélée
avec la présence de certaines baies et fleurs. la dimension, le niveau de fermeture devraient être pris
112
Pour atteindre l’objectif choisi, nous avons recherché les mesures techniques adaptées à ce que nous
supposons des représentations du public mais il
est également possible de jouer directement sur
les valeurs associées à ces représentations. C’est
d’ailleurs la solution privilégiée par les institutions
chargées de la gestion de biens publics, en général
convaincues de la justesse de leur propre conception de l’intérêt général : sont alors mises en avant
la nécessaire « éducation du public », son « information ». les pratiques de gestion à considérer ne
se limitent donc pas au seul registre des techniques
mais cela pose des vrais problèmes politiques et
éthiques : quelles représentations sont légitimes ?
Qui est détenteur de l’intérêt général ? en particulier, les objectifs de préservation de la biodiversité
ont souvent été définis en excluant la « société » :
réserves intégrales interdites au public, accès règlementé, etc. l’objectif, qui viserait à générer une
représentation positive de la biodiversité, ne passe
probablement pas seulement par une éducation du
public par des gens « avertis » mais sans doute aussi
par une révolution culturelle de ceux qui sont en
charge de cette protection. C’est imaginer que la
construction de l’image de la biodiversité peut être
une co-construction ; qu’il faut d’abord comprendre
ce qui, dans les pratiques et représentations de tel
groupe social, renvoie à une certaine idée de la biodiversité, dans le but de construire une image et un
objectif d’action communs.
Conclusion
la biodiversité des uns n’est pas la biodiversité des
autres et les « naturalistes » seront vraisemblablement heurtés par de telles propositions qui n’intègrent aucun des aspects qui représentent à leurs
yeux la richesse de la biodiversité : espèces rares,
mélange des essences, présence de bois morts, etc.
Il y a deux réponses à cela. d’une part, les « naturalistes » ne constituent qu’une fraction très minime
de la population : dans une enquête de Peyron et al.
(2002), il apparaît que moins de 2,5 % des visites
sont consacrées aux activités dites « faune-flore ».
d’autre part, les représentations de ces groupes sont
très liées à l’état réel de la biodiversité et celui-ci
est déjà renseigné par des indicateurs appropriés.
équipements) ou les moyens réglementaires (inventaires et dispositions administratives décidées pour
l’essentiel hors de la sphère forestière) que sur la nature même des relations des groupes sociaux à l’environnement (erreur 9 de Failing et Gregory, 2003).
or, il faudra bien considérer, un jour, que chaque
dimension a également besoin d’un suivi approprié,
que les aspects sociaux, comme les aspects écologiques, ne peuvent pas être isolés de leur contexte
local et qu’il est urgent de commencer à recueillir
les données correspondantes en faisant appel aux
méthodes et aux compétences qui sont celles des
sciences sociales. n
les propositions contenues dans ce texte ont pour
seul mérite de suggérer une manière d’aborder ce
type de questions. les moyens proposés seraient à
adapter au contexte géographique et social de chaque forêt. le public de la Chartreuse n’est pas celui
de la forêt de Sénart, etc. Par ailleurs, le « public »
n’est pas homogène et l’objectif n’est pas correctement défini si la tranche de public visé n’est pas
précisée (erreur 1 de Failing et Gregory, 2003), ce
qui est généralement le cas.
enfin, l’expérience des débats antérieurs sur l’élaboration d’indicateurs relatifs à la « fonction sociale »
de la forêt montre que, dès qu’il s’agit d’objets sociaux, le constat d’une absence de données est toujours mis en avant pour brider l’imagination. Si la
légitimité de la collecte de données écologiques ou
économiques est rarement mise en cause, il n’en est
pas de même pour cette troisième dimension. À titre
d’exemple, dans les Indicateurs de gestion durable
des forêts françaises (MaP-IFN, 2006), seulement
deux indicateurs sur un total de cinquante-six ne
relèvent pas du couple économie-écologie : l’indicateur 6.10 « surface de forêts et autres terres boisées accessibles au public à des fins de récréation
et indication du degré d’utilisation » et l’indicateur
6.11 « nombre de sites en forêts et dans les autres
terres boisées désignés comme ayant une valeur
culturelle ou spirituelle ». et encore faut-il observer
que, dans la majorité des dispositifs existants, ces
indicateurs portent plus sur le contexte (la densité
de population et sa répartition spatiale), l’offre (les
113
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la biodiversité comme enjeu stratégique
pour l’entreprise
l’indicateur d’interdépendance de l’entreprise à la biodiversité
Joël Houdet*, Béatrice Bellini**, Marc Barra***
*Orée/Synergiz
**Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
***Natureparif (Université d’Orsay à l’époque où l’article a été rédigé)
Introduction
l’évolution actuelle de la planète est en grande
partie la conséquence des activités humaines,
dans lesquelles les entreprises tiennent une place
majeure. or, comme la durabilité de ces activités
repose essentiellement sur le maintien de la biosphère, ces entreprises souhaitent comprendre leur
place au sein de celle-ci, afin de pouvoir l’assumer.
dans ce contexte, le groupe de travail1 orée - Institut français de la biodiversité (IFB)2 et le Master
« Sciences et Génie de l’environnement » de l’université de Paris diderot3 ont développé l’Indicateur
d’Interdépendance de l’Entreprise à la Biodiversité
(IIeB). outil d’auto-évaluation, l’IIeB invite les
entreprises à mettre en exergue les interactions
directes et indirectes qu’elles entretiennent avec
le monde vivant. Cette démarche avait pour objectif de permettre aux entreprises (i) de s’approprier le concept de biodiversité, (ii) de se situer par
rapport à certains critères choisis comme les plus
révélateurs et (iii) de poser les premières bases
pour la mise en place d’actions stratégiques. le
présent article vise à présenter l’IIeB, ses composantes et perspectives.
I. L’IIEB, un outil de formalisation
des perceptions
Selon levrel (2006), les indicateurs offrent un
moyen détourné pour « approximer » un phénomène
qu’il est trop coûteux de mesurer directement : leur
propriété essentielle par rapport aux autres instruments de mesure est « de disjoindre le signifiant
(la mesure) et le signifié (l’objet à mesurer), en les
reliant par des termes de correspondance variés »
(desrosières, 2003). Un indicateur peut être à paramètre unique ou regrouper plusieurs critères. Si
l’IIeB appartient à la seconde catégorie, il ne permet néanmoins pas d’appréhender la diversité du
monde vivant dans toute sa complexité.
le champ d’application de l’indicateur peut concerner le produit semi-fini ou fini, le service, l’activité
ou l’ensemble des activités de l’entreprise. Suivant
les situations, des adaptations aux spécificités de
l’objet d’étude peuvent s’avérer nécessaires. Suite
à une revue bibliographique (alloin et al., 2006),
des entretiens avec des experts et des entreprises, vingt-trois critères ont été retenus dans le
cadre de l’élaboration d’une grille d’évaluation
(tableau 1).
Groupe de travail initié fin 2005 sur la thématique « comment intégrer la biodiversité dans les stratégies des entreprises ».
L’IFB a fusionné, en 2008, avec le Bureau des ressources génétiques (BRG), pour donner naissance à la Fondation pour la
recherche sur la biodiversité (FRB) : www.fondationbiodiversite.fr
3
Dans le cadre d’un projet pédagogique de l’option MECE (Management de l’Environnement dans les Collectivités et les Entreprises), encadré par Béatrice Bellini.
1
2
115
l’IIeB vise à être simple et facile à appréhender
par l’entreprise. durant l’entretien, l’interlocuteur
fixe lui-même une note pour chaque critère, celle-ci pouvant varier de 1 (critère ne concernant
pas l’entreprise) à 4 (critère très important pour
l’organisation). Ses choix sont conditionnés par son
poste4 au sein de la firme, ses valeurs ou encore les
conventions intra-organisationnelles auxquelles il
adhère. en conséquence, l’objectif n’est pas d’obtenir une représentation exacte de la réalité mais
bien l’image que l’interlocuteur s’en fait. en justifiant par écrit ses choix, il formalise sa réflexion sur
les liens directs et indirects que son entreprise noue
avec la diversité du vivant.
II. Représentation graphique
des auto-évaluations
Une trentaine d’entretiens auprès d’entreprises ont
été réalisés depuis 2007. Pour chaque entretien, un
pentagramme des résultats est élaboré. Il représente
l’image que l’interlocuteur se fait de l’interdépendance de son entreprise à la biodiversité (figure 1).
Certaines entreprises ont accepté de publier la synthèse de leur entretien comme « retours d’expériences » (Houdet, 2008) : l’IIeB devient alors un indicateur pour communiquer avec les parties prenantes.
l’analyse a porté essentiellement sur l’activité globale, en fonction des connaissances de l’interlocu-
Secteur du bois
extraction de minerais
Critères liés aux stratégies
de l’organisation
Critères liés à la
compensation des impacts
Critères en lien direct
avec le monde vivant
4
3,5
3
2,5
2
1,5
1
0,5
0
Critères liés aux marchés
actuels
Critères liés aux impacts
sur la biodiversité
Figure 1 : pentagrammes d’auto-évaluation à partir de l’IIEB pour deux entreprises hypothétiques appartenant à différents secteurs d’activité, l’industrie du bois et celle de l’extraction de minerais. La note sur
chaque axe représente la moyenne des critères pour le groupe de critères correspondant. Plus celle-ci est
élevée, plus le groupe de critère est important pour l’entreprise.
Le discours d’un comptable ou d’un contrôleur de gestion diffère de celui d’un ingénieur ou d’une personne chargée de la
communication au sein d’une même organisation.
4
116
teur en termes de dépendances et impacts :
• directs, associés à l’activité quotidienne de l’entreprise (contrôle direct) ;
• indirects, ce qui englobe la relation avec les fournisseurs ainsi que les interactions entre biodiversité
et produit en fin de vie (analyse de cycle de vie).
III. Présentation des critères de l’IIEB
Catégories
Vise l’évaluation …
Critères
C1.1.a Pourcentage de matières premières
issues du monde vivant
… de la dépendance
C1.1 C1.1.b Pourcentage de matières premières
aux matières premières
issues du monde vivant du passé
Critères en lien
Utilisation de services écologiques
… de la dépendance
C1.2 (dont biotechnologies)
direct avec le
aux services et technomonde vivant
logies du monde vivant C1.3 Biomimétisme
… de la dépendance à C1.4 variabilité des écosystèmes
la variabilité, santé et
C1.5 Santé des écosystèmes
complexité des écosysC1.6 Complexité des écosystèmes
tèmes
Coût des matières premières issues de la
C2.1 biodiversité par rapport au coût total de fabrication
Critères liés
… de la dépendance
C2.2 Positionnement marketing (niveau de gamme)
aux marchés
du chiffre d’affaires
volume commercial des produits et services issus
actuels
à la biodiversité
C2.3 de la biodiversité par rapport au total des produits
et services vendus
C3.1 réversibilité des impacts
Critères liés aux … des impacts
C3.2 Modification des paysages
impacts sur la
de l’activité sur
C3.3 Génération de pollutions, déchets, émissions
biodiversité
le monde vivant
C3.4 Pressions sélectives et disparitions d’espèces
C3.5 Fragmentation des milieux
Compensation liée aux impacts de l’activité dans
C4.1 le cadre de la réglementation
Critères liés à
… de la restitution à
Compensation liée aux impacts de l’activité hors
la compensaC4.2
la biodiversité
réglementation
tion des impacts
Compensation monétaire non liée directement
C4.3 aux impacts de l’activité
Importance de la biodiversité pour
C5.1 la pérennisation des activités
Critères liés
C5.2 Pression sociale
… du positionnement
aux stratégies de stratégique de
C5.3 Gain en termes de compétitivité
l’organisation
l’entreprise
C5.4 effets de communication externe
C5.5 Génération de nouveaux marchés
C5.6 Impacts sur la culture de l’entreprise
Tableau 1 : critères retenus pour la grille d’auto-évaluation de l’IIEB. Une note de 1 à 4 est attribuée à
chaque critère (ordre croissant d’importance du critère pour l’entreprise).
117
n Critères en lien direct avec le monde
vivant
La dépendance aux matières premières issues
du monde vivant
le premier critère concerne la part de matières premières issue de la biodiversité « actuelle » (critère
1.1.a) pour le produit fini ou l’activité, c’est-à-dire
l’ensemble des organismes vivants, leurs composantes, produits et modélisations utiles aux entreprises. dans l’industrie du bois, les matières premières issues du vivant sont au cœur du processus de
production. Pour d’autres, elles peuvent concerner
les services de support de l’activité, comme l’achat
de mobiliers ou la restauration des salariés.
la dépendance aux matières premières issues de la
biodiversité s’inscrit également dans le passé (critère 1.1.b), à l’image des ressources fossiles (pétrole,
gypse) ou toute matière résultant de la décomposition ou de l’activité d’organismes vivants sur des
échelles de temps d’ordre géologique. Cette dépendance peut concerner le cœur du processus de production, au niveau des composants des produits ou
de leur conditionnement, à l’image des colles et de
la consommation d’énergie (gaz, pétrole, etc.) pour
l’industrie du bois. les activités de support peuvent
elles aussi être concernées, via notamment le carburant nécessaire au transport des marchandises et
du personnel.
le vivant comme matière première est au cœur de
l’activité de nombreuses entreprises. renseigner ces
deux critères invite l’interlocuteur à la réflexion sur
la politique d’approvisionnement de son entreprise
(linton et al., 2007), vers une prise en compte des
interactions entre biodiversité et autres enjeux socio-écologiques (changement climatique, eau, déchets, santé). Cela pourrait conduire l’entreprise à
se questionner sur les analyses de cycle de vie ayant
pour principal indicateur d’arbitrage la tonne équivalent Co2 (controverse sur les « biocarburants » ;
SCNaT, 2008). Il s’agit de s’intéresser aux activités
des fournisseurs et à la gestion des espaces dont
sont tirées ces matières premières, vers la mise en
exergue des tensions sous-jacentes aux choix et
modèles de développement.
118
La dépendance aux services et technologies du
monde vivant
les services écologiques (critère 1.2) sont les bénéfices que les populations humaines tirent gratuitement du fonctionnement des écosystèmes.
les transactions économiques ne concernent, en
effet, que les frais de transport, la main d’œuvre,
les investissements (machines), les droits d’accès et
d’usage mais non la ressource en elle-même ni les
processus écosystémiques qui la génèrent. l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Millennium Ecosystem Assessment, 2005) regroupe ces
services en quatre catégories : services de prélèvement, services de régulation, services de support et
services culturels.
les services de prélèvement sont aisément identifiables par les entreprises interrogées : ils renvoient aux matières premières issues du monde
vivant (critères 1.1.a et b) et sont donc facilement
assimilables à l’activité. en revanche, les liens de
dépendance aux services de support (recyclage des
nutriments, production primaire, cycle de l’eau,
production d’o2) et de régulation (protection contre
l’érosion, régulation du climat, épuration de l’eau)
devraient être moins évidents, car ils sont soit méconnus, soit relèvent de la responsabilité des fournisseurs (lien indirect). Cela peut poser des difficultés pour les interlocuteurs.
en sylviculture, les services culturels, de soutien
et de régulation pourraient s’avérer particulièrement importants pour l’innovation technologique,
organisationnelle et institutionnelle associée aux
espaces forestiers. Ils conditionnent leur évolution
et les activités qui en bénéficient directement (tourisme, exploitation du bois, chasse) et indirectement (vente de meubles, construction). Ce critère
soulève nombre de questions, parmi lesquelles celle
des modes de coordination des agents économiques
à mettre en place pour que l’ensemble de la chaîne
d’approvisionnement les prenne en compte.
enfin, imiter ou s’inspirer de la nature, de ses modèles et du fonctionnement des écosystèmes pour résoudre des problèmes humains renvoie au concept
de biomimétisme (critère 1.3). Cela concerne directement les propriétaires et gestionnaires forestiers,
notamment au niveau des plans de gestion des fo-
rêts et de la sylviculture. Il s’agit en outre de comprendre la perception de l’interlocuteur vis-à-vis
de l’origine conceptuelle des activités quotidiennes
de l’entreprise, notamment en termes de recherche
et développement (produits cosmétiques et pharmaceutiques) et de conception des outils de production (agencement de la chaîne de production,
architecture).
La dépendance à la variabilité, santé et
complexité des écosystèmes
la variabilité des écosystèmes (critère 1.4), en particulier les aléas climatiques non maîtrisables et
la complexité des écosystèmes (critère 1.6) sont
souvent perçues comme des contraintes dans les
processus de production. en sylviculture, on peut
citer la pluviométrie, les dégâts des tempêtes et les
changements globaux qui conditionnent l’évolution des couverts forestiers et celle de leurs composantes biologiques. Chercher à les comprendre
est capital pour l’entreprise : elle pourra avoir une
influence sur ces critères en fonction des avancées
scientifiques.
l’approche industrielle orthodoxe vise à s’affranchir
de la variabilité et de la complexité des écosystèmes. en agriculture en particulier, on a décomposé
des processus de production complexes en séquences simples dont on a cherché à optimiser le rendement via des facteurs de production fournis par
l’industrie (larrère, 2006). Minimiser la complexité
du fonctionnement réel est possible mais cela peut
générer des externalités négatives (cultures horssol en andalousie) ; parfois aux conséquences écologiques irréversibles.
or, favoriser la complexité et la variabilité des écosystèmes peut s’avérer avantageux pour l’entreprise.
on commence à les prendre en compte au cœur des
règles sylvicoles : mélange des essences, équilibre
des classes d’âge, arbres sénescents. Les futaies irrégulières permettraient de faire face aux risques
climatiques (exemple : la tempête de 1999) et aux
invasions biologiques auxquels les futaies régulières
monospécifiques sont particulièrement vulnérables.
5
Quant à la santé des écosystèmes (critère 1.5), il
s’agit de formaliser la perception de l’importance
d’un « bon état » écologique des milieux pour la pérennité des activités de l’entreprise. Celles avec de
fortes emprises foncières ou avec des implantations
au cœur de milieux naturels remarquables, comme
nombre d’exploitations minières, devraient se sentir
particulièrement concernées par ce critère. Il s’agit
de minimiser les surcoûts (dépollution, restauration
des milieux) pouvant se répercuter sur l’ensemble
de la chaîne d’approvisionnement.
n la dépendance des marchés actuels
au monde vivant
Ce groupe de critères vise à permettre aux entreprises de faire le lien entre biodiversité et comptabilité financière. C’est une manière complémentaire,
c’est-à-dire monétaire, de représenter la dépendance de l’entreprise à la biodiversité, sans pour autant
lui attribuer un prix via des méthodes contestables,
comme l’évaluation contingente pour laquelle il est
impossible de répliquer les protocoles ou de comparer les résultats, ni dans le temps, ni dans l’espace
(Bonnieux, 1998 ; Weber, 2002).
deux des trois critères permettent l’évaluation des
éléments de biodiversité achetés et vendus par l’entreprise. Il s’agit de comparer le coût des matières
premières issues de la biodiversité par rapport au
coût total de fabrication (critère 2.1), c’est-à-dire
par rapports aux autres charges de l’entreprise (salaires, électricité, taxes), et le volume commercial
des produits et services associés à la biodiversité
par rapport au total des produits et services vendus
(critère 2.3).
en outre, on s’intéresse au positionnement marketing (niveau de gamme) (critère 2.2) des produits et
services. Celui-ci peut être associé à des éléments
de biodiversité rares, nobles ou exotiques, ou encore à une gestion « éco-responsable » des milieux,
à l’image de concessions forestières certifiées PeFC
ou FSC. Cela justifie un niveau « haut de gamme »,
donc une marge5 plus importante.
Différence entre le prix de vente et le coût de revient d’un produit ou service.
119
n les impacts de l’activité sur le monde
vivant
Poser la question des impacts sur la biodiversité ne
relève pas uniquement de la responsabilité de l’entreprise interrogée. Celle-ci s’intéresse-t-elle aux
activités de ses fournisseurs, filiales et clients ? les
implications réglementaires et financières associées
à ce critère doivent être soulignées, comme l’illustre la transposition en droit français de la directive
européenne sur la responsabilité environnementale
(Huglo, 2007). la responsabilité environnementale
des maisons mères par rapport aux impacts de leurs
filiales soulève également de nombreuses questions
pour les grands groupes, tous secteurs confondus.
les critères suivants visent à mettre en exergue le
périmètre d’action et de responsabilité que l’entreprise accepte d’assumer d’un point de vue conceptuel. Cinq critères ont ainsi été retenus :
• le critère de la modification des paysages (critère
3.2) est-il important pour l’interviewé ? Il s’agit
de considérer la valeur psychologique positive ou
péjorative d’atteinte aux milieux : si la vigne est
considérée comme « naturelle », les carrières ne le
sont pas, alors que dans les deux cas, il y a modifications de paysage ;
• qu’en est-il de la réversibilité des impacts (critère
3.1), qui peut notamment se mesurer par le temps
nécessaire à un site dégradé pour retourner à son
état écologique initial sans intervention humaine ?
Cela pourrait inciter l’entreprise à se questionner
sur ses choix de développement à long terme, en
particulier au sein d’écosystèmes fortement modifiés par les humains depuis des centaines d’années
(forêts et campagnes européennes) ;
• de même, quelle importance est attachée à la
maîtrise des effluents, émissions et déchets (critère
3.3) ? Comment l’entreprise formalise-t-elle leurs
liens avec les enjeux de biodiversité ?
• certaines activités exercent des pressions sélectives (critère 3.4) sur les milieux et les espèces,
qu’elles soient « positives » (par exemple les coupes
6
120
une filiale de la Caisse des Dépôts lancée en février 2008
d’éclaircie) ou négatives (surexploitation des ressources, introduction d’espèces envahissantes). Ce
quatrième critère a pour principal intérêt de renvoyer à la nature du processus de production en lien
direct avec le vivant : comment l’entreprise perçoitelle la nature de son activité ? Y a-t-il uniformisation ou enrichissement de la biodiversité ? l’activité
conduit-elle ou non à l’exclusion compétitive des
organismes « inutiles » ou « nuisibles » sur les espaces exploités ?
• enfin, avec le critère de fragmentation des milieux
(critère 3.5), on s’intéresse à la création de discontinuités écologiques, pouvant être soit négatives (défrichements, voiries, monocultures), soit positives
pour la biodiversité (polyculture, agroforesterie).
n la restitution à la biodiversité
l’objectif est d’évaluer le niveau de restitution à
la biodiversité réalisé par l’entreprise par rapport
à ses impacts directs et indirects sur le monde vivant. Cela peut se matérialiser par la restauration
ou l’enrichissement des milieux dans lesquels la
firme opère, dont elle dépend ou dont elle tire des
services écologiques. l’importance de la compensation réglementaire (critère 4.1) est conditionnée par
plusieurs variables, dont la nature des dommages
causés par l’activité, le cadre législatif en vigueur
(et son application) selon le pays dans lequel l’entreprise opère ou encore l’existence de mécanismes
de coordination entre agents pour encadrer les mesures compensatoires. C’est pourquoi la distinction
entre compensation réglementaire et compensation
volontaire (critère 4.2) peut s’avérer difficile. Pour
certaines entreprises, la seconde fait partie intégrante de sa stratégie, illustrant une nouvelle façon
d’opérer ; en complément de compensations monétaires non liées directement aux impacts de l’activité (mécénat ; critère 4.3). en France, CdC biodiversité6 travaille à la mise en place d’un mécanisme
de compensation cohérent à l’échelle nationale (cf.
Quenouille et al., page 141). on peut noter en outre
l’expertise en ingénierie écologique développée
par certaines entreprises depuis plusieurs années
(Houdet, 2008).
n le positionnement stratégique de
l’organisation
pement à l’approvisionnement ou encore de la communication externe à la formation du personnel.
d’un point de vue stratégique, la biodiversité estelle un facteur clé pour la pérennisation des activités (critère 5.1) ? elle peut être critique pour le droit
d’opérer, particulièrement pour les organisations
avec de fortes emprises foncières ou situées à proximité de zones d’intérêt écologique, comme dans le
cas de la sylviculture. Il s’agit alors de formaliser
le positionnement stratégique de l’organisation et
d’identifier les leviers d’action, en termes de gestion
des pressions sociales (critère 5.2), de gains de compétitivité (critère 5.3), d’effets de la communication
externe (critère 5.4), de création de nouveaux marchés (critère 5.5) et de communication interne pour
enrichir la culture d’entreprise (critère 5.6). Cette
analyse permet de juger des opportunités commerciales à faire de la biodiversité en standard de gestion et production de biens et de services (Houdet,
2008) tout en identifiant les leviers d’une rentabilité
à court, moyen et long terme ?
le besoin d’un référentiel reconnu permettant la
réalisation d’un état initial par rapport à la biodiversité est très largement exprimé par le secteur
privé. en ce sens, l’IIeB répond à une réelle attente
de l’entreprise au regard de son positionnement, en
complément des éco-certifications pouvant présenter d’importantes limites en matière de biodiversité, à l’image du label « agriculture biologique »
(le roux et al., 2008). Il propose une approche originale pour éclairer les enjeux de biodiversité, en
incitant l’interlocuteur à formaliser ses perceptions.
la nature stratégique de certains critères dans les
débats actuels illustre le fait que nous sommes
encore dans une phase de problématisation (levrel, 2007). la branche d’activité, comme vecteur
d’analyse, permettrait de comparer la diversité des
représentations entre organisations. Cela renvoie
à l’étude des interactions interentreprises par rapport à la biodiversité : filières agro-alimentaires,
filières cosmétiques-parfums, industrie financière
et l’ensemble des acteurs économiques. Comment
faire converger la diversité des positionnements,
dont celles des parties prenantes, afin de favoriser
la cogestion adaptative de la biodiversité ? dans
une perspective de coévolution entre entreprises et
écosystèmes (Porter, 2006), il s’agirait alors de s’intéresser aux outils à mobiliser et à construire afin
d’intégrer la biodiversité au cœur des stratégies des
réseaux de firmes (Houdet, 2008).
IV. La biodiversité comme enjeu
stratégique pour l’entreprise :
perspectives pour l’IIEB
au-delà d’une auto-analyse multicritère, l’IIeB offre l’opportunité de créer des passerelles entre le
monde scientifique et celui de l’entreprise, en facilitant l’émergence d’un langage commun à propos de
la biodiversité. l’indicateur offre la possibilité aux
interviewés de s’apercevoir que les interactions entreprises – biodiversité :
• se font explicitement ou implicitement à de multiples échelles, du site industriel aux territoires
adjacents, du local à l’international, des unités de
production au siège ou encore des fournisseurs et
filiales à la maison mère ;
dans l’immédiat, l’usage de l’IIeB pourrait devenir
un exercice fédérateur annuel au sein de l’entreprise : l’évolution de son renseignement par le personnel pourrait contribuer activement à l’apprentissage
collectif. de manière concomitante, il permettrait
aux entreprises (i) de se positionner par rapport à
un état initial, (ii) d’identifier les axes prioritaires
pour l’action et (iii) de développer des indicateurs de
performance adaptés à leurs spécificités pour l’intégration de la biodiversité au cœur de leurs systèmes
de management. n
• concernent de nombreuses fonctions et compétences au sein de l’organisation, de l’innovation à la
maîtrise des coûts de production, de la comptabilité
à la fiscalité, de la gestion des parties prenantes aux
stratégies commerciales, de la recherche et dévelop121
références bibliographiques
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d’agriculture, décembre 2002.
Quelques caractéristiques de la forêt privée
sous l’angle de la biodiversité1
Pierre Beaudesson*
*Centre national de la propriété forestière (CNPF)
Introduction
Si les données sur la biodiversité des forêts françaises sont déjà peu explicites (Gosselin et laroussinie, 2004 ; MaaPraT-IFN, 2005 et 2011), celles
spécifiques à la forêt privée sont encore plus mal
connues du fait de leur difficulté d’accès. Pourtant, ces forêts représentent les trois quarts de la
surface forestière française (11,1 millions d’hectares). outre leur importance dans les espaces bénéficiant d’un statut de protection ou d’un label
(la moitié des forêts incluses dans un site Natura
2000 sont privées), montrant par là leur intérêt
biologique au niveau national, l’analyse succincte
de quelques caractéristiques propres à ce statut
foncier permet de souligner la place importante
des forêts privées dans le paysage national en termes de biodiversité.
Six critères, pouvant être considérés comme des indicateurs de biodiversité, sont ici mis en exergue.
n Critère 1 : extension des forêts
françaises en terrain privé par
colonisation de milieux ouverts
Si l’extension des forêts en France est connue de
tous, au détriment des paysages ouverts ou des espèces inféodées aux pelouses, landes ou friches, on
mentionne moins souvent les terrains sur lesquels
elle a lieu.
1
2
les résultats de l’Inventaire forestier national (IFN)
montrent une progression importante des forêts
depuis de nombreuses années, bien que moins forte
actuellement. la surface forestière s’est accrue de
1,7 million d’hectares au cours des vingt-sept dernières années, dont 1,4 million d’hectares en forêt
privée (ce qui représente plus de 170 terrains de
football par jour). Cet accroissement se fait sur tous
les types de propriétés, mais davantage sur des terrains privés. les nouvelles forêts sont peu issues de
plantations : celles-ci ne représentent en effet que
13 % de l’extension des forêts (période 1992-2002)
feuillues et résineuses confondues (source : IFN). la
majorité des extensions se fait par la colonisation
spontanée de milieux ouverts (landes, maquis, garrigues, terres agricoles, etc.). Ces nouvelles forêts
sont d’une diversité étonnante car elles juxtaposent
en grande partie la richesse des milieux ouverts et
fermés. elles font par ailleurs l’objet de peu d’intrants chimiques, contrairement aux surfaces agricoles auxquelles elles ont la plupart du temps succédés, soit directement, soit après enfrichement2.
Situées essentiellement sur des terrains privés, ces
nouvelles forêts apportent ainsi une diversité importante aux forêts plus âgées.
n Critère 2 : une forêt privée morcelée
induisant une diversité de sylviculteurs
Bien que la surface moyenne des propriétés de plus
d’un hectare soit en augmentation (elle est passée
Cet article se fonde en grande partie sur les chiffres clé de la forêt privée, éditions 2008-2009 (cf. références bibliographiques).
Colonisation naturelle de sols nus ou enherbés par la végétation ligneuse.
123
de 6,8 à 8,8 hectares en vingt ans), la forêt privée
française reste encore très morcelée : en effet, la
surface moyenne des propriétés privées est de trois
hectares, souvent en plusieurs tènements, multipliant ainsi les unités de gestion. Ce morcellement
ne facilite ni la gestion sylvicole, ni la mobilisation
des bois à exploiter.
Cependant, grâce à la multitude de propriétaires
(3,5 millions dont 2,4 millions possédant moins de
un hectare), nous pouvons presqu’affirmer qu’il y
a autant de pratiques différentes. de fait, les objectifs des propriétaires sont variés, allant d’une
production intensive de bois à l’absence de toute
intervention. les pratiques diffèrent énormément
selon le lien qu’entretient le propriétaire à la nature, selon qu’il fait appel ou non à un homme
de l’art, selon sa culture technique, etc. Même
lorsqu’elles sont précises et appliquées dans des
conditions similaires (climat, milieu, matériel génétique), comme par exemple en populiculture, on
observe des différences, au moins visuelles, entre
propriétés. les dates d’intervention, les machines
utilisées, les cultures pratiquées sont autant de
critères induisant une diversité. la diversité des
sylviculteurs est un gage de diversité biologique
déjà à l’échelle du paysage.
Malheureusement, le morcellement n’apporte pas
que des bienfaits pour la biodiversité. Par exemple,
les modes d’exploitation et de transport induisent
une sylviculture adaptée aux machines et au volume des grumiers. Un propriétaire qui veut vendre
son bois à un prix compétitif doit au moins réunir
un volume assez conséquent. Ceci peut être préjudiciable et visible sur des petites propriétés (coupe
rase ou décapitalisation massive en cas de vente de
bois, etc.). de même, des interventions trop irrégulières ou trop éloignées dans le temps ne permettent pas aux propriétaires d’exiger de leurs prestataires (exploitants, débardeurs, etc.) des cahiers
des charges complexes avec des clauses relatives à
la biodiversité. enfin, la faible taille de la propriété
ne pousse pas le propriétaire à se former sur des
thèmes liés à l’environnement. leur méconnaissance pourrait provoquer des impacts négatifs sur
l’environnement.
124
n Critère 3 : une forêt privée plus feuillue
que la moyenne nationale
la surface de feuillus est plus importante en France
que celle des résineux (69 % environ). Cette proportion est encore plus forte en forêt privée (71 %),
même en comptant le massif landais essentiellement privé et résineux.
Sans chercher à opposer les feuillus aux résineux
en matière de biodiversité, la proportion importante
de feuillus en majorité autochtones et bien adaptés aux stations forestières françaises est un gage
de biodiversité entomologique, ornithologique, etc.
Bien évidemment, les résineux qui se rencontrent
naturellement en France (piémont, zone de montagne, région méditerranéenne, etc.) sont le support
d’une biodiversité spécifique. d’ailleurs, en plaine,
leur présence, souvent sur des sols ingrats ou sur
d’anciennes terres agricoles, apporte de la diversité
paysagère aux massifs forestiers.
n Critère 4 : une forêt privée sousexploitée en phase de capitalisation
loin d’être surexploitée, la forêt française souffre
de sous-exploitation. le taux de récolte en forêt,
bois de feu compris, par rapport à ce qui pousse
chaque année, n’atteint pas 60 %, il y a donc une
capitalisation.
les forêts privées comme publiques connaissent
une progression importante de leur volume de bois
sur pied (+ 560 millions de m3 entre 1985 et 200506 au niveau national). Cette capitalisation se fait
principalement en forêt privée (seulement 60 % du
volume des récoltes se font en forêt privée, alors
qu’elles représentent 75 % de la surface forestière
totale). l’augmentation du volume sur pied y est de
39 % contre 13 % en forêt publique (source : IFN).
on observe cependant de grandes disparités suivant
les propriétés. Cette capitalisation peut également
être corrélée à l’extension de la surface des forêts qui
se fait essentiellement en terrain privé ou à la classe
d’âge des peuplements.
Peu à peu, les gros et très gros bois sont de plus en
plus nombreux et ceci malgré les tempêtes successives. le retard des forêts privées, en volume de bois
sur pied, par rapport aux forêts publiques s’estompe.
Cette présence de gros bois âgés entraîne potentiellement plus d’arbres sénescents et morts, supports
d’une grande diversité.
n Critère 5 : des parcelles en forêt
privée inexploitées ou inexploitables,
réserves intégrales de fait
Situées dans des zones à relief très prononcé, inaccessibles, enclavées, terrains impraticables ou impropres à la production, une multitude de parcelles
forestières en forêt privée sont laissées à leur libre
évolution. elles peuvent être aussi le résultat d’une
déshérence ou d’une volonté de ne pas exploiter. Il
peut s’agir aussi de parcelles dont les rôles protecteur, esthétique, récréatif ou culturel, interdisent
que des coupes à objectif de production soient
réalisées.
Ces surfaces, sans avoir la garantie de non gestion,
tendent vers une grande naturalité. elles peuvent
être considérées comme des « réserves intégrales
potentielles ». Près de 600 000 hectares de forêts
privées ont leur fonction de production nulle ou très
accessoire (source : IFN). la proportion de ce type de
forêt est légèrement plus élevée en terrains privés
qu’en terrains publics. Une initiative se développe
actuellement en région rhône-alpes pour obtenir
l’engagement des propriétaires à ne pas exploiter
leurs espaces forestiers de plus d’un hectare durant
au moins dix ans. elle permet de garantir une non
gestion sur des espaces déjà peu accessibles mais
trouve cependant peu de volontaires en l’absence
d’une contrepartie attractive et suffisante.
français (48 % contre 36 %). Ce sont les premiers
résultats que révèle une enquête menée fin 2009
par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), à la demande
de la Fédération Forestiers privés de France (FPF) et
du CNPF.
après l’autoconsommation, ce sont les dimensions
immatérielles de la propriété forestière qui représentent les principaux bénéfices mis en avant par les
propriétaires privés, bien avant l’intérêt financier : le
bois pour l’usage personnel (35 %), l’espace de promenade et de loisir (17 %), le patrimoine à transmettre (17 %), le cadre paysager (12 %), l’espace
de nature (10 %), les champignons (8 %), la chasse
(7 %), la vente de bois (5 %), le produit financier
(4 %). au delà de la valorisation des produits bois,
l’intérêt des propriétaires forestiers pour la valorisation des services écologiques et sociaux rendus par
la forêt est donc bien marqué. d’ailleurs le nombre de propriétaires s’inscrivant à des réunions de
vulgarisation ayant l’environnement comme thème
principal augmente. en 2011, plus de deux mille
personnes ont participé à des réunions de ce type,
organisées par les Centres régionaux de la propriété
forestière (CrPF).
Conclusion
bles aux questions environnementales
l’analyse rapide de quelques critères définissant la
forêt privée fait ressortir un impact positif sur la
biodiversité. Même s’il ne s’agit pas toujours d’une
volonté du propriétaire de prendre en compte tous
les aspects de la biodiversité, le résultat est là.
d’ailleurs, leur sensibilité à la biodiversité est réelle
et ancienne. Si la biodiversité des forêts françaises
est encore si riche, c’est qu’elle est issue d’une gestion durable et multifonctionnelle pratiquée depuis
de longues générations de propriétaires forestiers
respectueux de ce patrimoine naturel. des efforts
sont cependant possibles et des réflexions nécessaires pour maintenir cette forêt dans un bon état écologique, voire l’améliorer tout en l’exploitant plus.
les propriétaires forestiers sont très attachés à leurs
bois en tant qu’élément constitutif de leur patrimoine, plutôt qu’un moyen de production et de revenus.
les propriétaires sont surtout plus sensibles aux
questions environnementales que la moyenne des
Face aux exigences de la société en faveur des espaces et paysages, nécessitant plus de recommandations et de réglementations pour préserver ce patrimoine naturel considéré comme collectif et face aux
contraintes économiques et techniques évoluant
n Critère 6 : des propriétaires sensi-
125
très rapidement, les propriétaires se trouvent acculés à des choix de gestion difficiles. Sans rétribution
des services environnementaux, pourtant demandée
par la société, ce constat global positif de la diversité des forêts privées tiendra-t-il longtemps ? n
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126
évaluer l’empreinte écologique des sociétés
humaines sur les forêts
Daniel Vallauri*
*World Wildlife Fund (WWF)
Introduction
n Bienvenue dans l’anthropocène
l’empreinte écologique des cultures humaines
– générales ou techniques – est l’un des quatre
gradients à évaluer pour mieux comprendre et répondre aux questionnements actuels en matière
environnementale. les trois autres gradients à évaluer conjointement sont la biodiversité, la naturalité
et le sentiment de nature (vallauri, 2007). les deux
derniers gradients sont émergents et il reste beaucoup à faire pour bâtir des évaluations multicritères
fiables et surtout partagées. les deux premiers (empreinte ou impact sur les forêts et la biodiversité)
sont des préoccupations déjà plus anciennes, mais
leur évaluation fait encore débat. Cet article traite
essentiellement de l’empreinte écologique des sociétés humaines sur les forêts.
en europe, en moins de 2 000 générations, Homo
sapiens a eu une empreinte telle sur la Nature que
certains auteurs n’hésitent pas à rebaptiser la période géologique actuelle du nom d’anthropocène
(Crutzen, 2002).
Si l’homme n’a pas créé d’espèces, il a fortement
contribué à réorganiser la biodiversité, notamment
en forêt, la réduisant le plus souvent par rapport
à ce qu’elle était avant l’expansion humaine. les
exemples sont nombreux dans l’histoire (y compris
en europe) où Homo sapiens a provoqué l’épuisement local des ressources forestières, parfois même
jusqu’à conduire à l’effondrement de sa propre société (diamond, 2006).
Photo 1 : travail
du sol entre deux
rotations dans une
plantation
industrielle
d’Eucalyptus au
Portugal. Les chênes
liège, protégés par la
loi, sont
conservés d’une
rotation à l’autre.
(© Daniel Vallauri)
127
aujourd’hui, en europe, une majorité des forêts sont
secondaires ou semi-naturelles. Certaines régions
sont constituées prioritairement de plantations
industrielles artificielles (landes ou Portugal par
exemple, photo 1). Près de 90 % des forêts alluviales et 80 % des forêts euro-méditerranéennes ont
été déboisées.
Sont ici succinctement présentés trois outils
d’évaluation fondés sur la construction d’indices
synthétiques.
Toutefois, près de neuf millions d’hectares de forêts sont encore considérés comme « non modifiés
par l’homme » en europe, pour la plupart dans la
Fédération de russie et les pays scandinaves. en
Suède, 16 % des forêts sont qualifiées de naturelles
contre 5 % en Finlande et moins de 1 % en europe
de l’ouest (dudley, 2003). en France, on recense
30 000 hectares de forêts subnaturelles, soit 0,2 %
de la surface forestière nationale (derF, 1995).
aujourd’hui, l’expression « empreinte écologique »
fait souvent référence à un indice développé dans
les années 1990 et qui se focalise sur l’une des causes d’impact, la consommation des ressources naturelles (avec un poids important donné aux questions énergétiques). Il s’agit, à l’aide de cet indice,
d’essayer de quantifier au mieux et pour une entité
politique donnée, la surface de terre et d’eau nécessaire pour satisfaire les besoins de sa population.
l’une des conséquences de ces transformations est
une perte de biodiversité. en France, sept espèces
de mammifères forestiers (soit 9 % de ceux-ci) ont
disparu et plus de deux cents espèces forestières
(faune et flore confondues) sont aujourd’hui menacées d’extinction ou nécessitent pour leur survie
une vigilance renforcée (vallauri et Poncet, 2003).
Il ne porte donc pas principalement sur les forêts,
mais la forêt intervient dans le calcul à la fois
comme source de matière première pour évaluer
la biocapacité et comme produit de consommation
(grume, bois énergie, équivalent des émissions de
Co2).
n Mieux évaluer l’empreinte écologique
des sociétés
Toutes les cultures n’ont pas un impact équivalent
sur la Nature. la culture occidentale, dominante
dans le monde depuis le XvIIIème siècle, présente
aujourd’hui une empreinte significative et globale.
Comme le rappelle Blondel (2006), quand l’Inde
prit son indépendance en 1947, Gandhi faisait remarquer que les anglais avaient mobilisé la moitié des richesses de la planète pour construire leur
prospérité et s’interrogeait : « combien de planètes
faudrait-il pour qu’un pays comme l’Inde arrive au
même résultat ? ».
Nous savons maintenant répondre à cette question.
divers chercheurs, écologues ou géographes, ont mis
au point des méthodes pour évaluer l’influence ou
l’impact des cultures humaines sur la nature. Cela
a conduit à définir des concepts nouveaux comme
l’hémérobie (Steinhardt et al. 1999, Hill et al. 2002)
– l’antonyme de la naturalité – mais également plus
récemment l’empreinte écologique.
128
1- L’empreinte écologique humaine (Wackernagel et rees, 1996 ; Wackernagel et al., 1999, 2002,
2005)
Par les évaluations de cet indice, nous savons
que pour satisfaire une population mondiale qui
consommerait comme un français, il serait nécessaire d’exploiter entièrement les ressources naturelles de l’équivalent de trois planètes comme la
Terre. la France présente une empreinte écologique
presque deux fois supérieure à sa biocapacité. Pour
ce qui concerne les forêts françaises, la biocapacité
reste supérieure à la consommation (WWF, 2006).
2- Les indices de perturbation ou d’influences
humaines (Sanderson et al., 2002)
Ces indices se focalisent sur certaines conséquences ou marques de présence humaine, comme la
présence d’infrastructures ou la modification drastique des paysages. Ils s’attachent à quantifier et
spatialiser l’influence humaine à partir de données
macro-écologiques ou macro-économiques. Sanderson et al. (2002) identifient par cette méthode
les dernières régions du monde sous faible influence d’une culture contemporaine (cf. figure 2 centrée
sur l’europe). Ils cartographient les grands massifs
forestiers continus, sans préjuger de leur naturalité
Figure 2 : l’empreinte
humaine sur le territoire
européen d’après l’indice
d’influence humaine de
Sanderson et al. (2002).
L’indice est fondé sur la
densité de population
résidente, la densité des
infrastructures et l’accessibilité des territoires
ainsi que des indicateurs
de développement
(exemple, l’empreinte
lumineuse). L’analyse
mondiale et les cartes
des derniers espaces sous
faible influence humaine
sont accessibles sur le
site www.wcs.org/humanfootprint/.
L’empreinte humaine en Europe
Valeur de
l’empreinte Faible
humaine
Gradient d’influence humaine
Élevé
réelle à une échelle fine, ni de l’empreinte humaine
des cultures indigènes plus sobres et discrètes.
n vers des indicateurs adaptés à
l’évaluation des forêts
3- un indice de naturalité mixte et territorialisé
(Machado, 2004)
Parmi les indicateurs de biodiversité (levrel et al.,
2007) et de développement durable, les indicateurs
relatifs à l’empreinte écologique sont pour l’instant
sous-utilisés car ils sont conceptuellement peu organisés. de nombreux indicateurs de pressions et
d’impacts humains sur les forêts ont été évalués individuellement. Parmi d’autres exemples, il y a ceux
relatifs à :
Construit pour les îles Canaries pour traduire la
réalité d’un territoire en un gradient discret en dix
niveaux, l’indice de Machado est fondé sur la description des milieux (composants biologiques, fragmentation, dynamique) et sur des données relatives
aux actions humaines (pollution, extraction de matière, etc.). l’indice est cartographié au 1/25000e. le
profil de « naturalité » des différents territoires (îles)
est une riche source de discussions et d’applications
pour l’aménagement et la gestion de ces milieux
(figure 3).
Bien sûr, ces indices complexes (il en existe d’autres)
ne sont en aucun cas universels et ne répondent pas
à toutes les questions que l’on se pose. de même
que le Produit intérieur brut (PIB), l’indice des prix,
le quotient intellectuel, etc., ils présentent chacun
des limites d’interprétation et de domaine d’application que discutent les auteurs eux-mêmes.
• la sylviculture (Du bus de Warnaffe et Lebrun,
2004 ; Gosselin et laroussinie (coord), 2004) ;
• l’exploitation forestière et les routes (Crist et
al., 2000 ; de Paul et Bailly, 2005 ; lamandé et al.,
2005) ;
• les choix de filières de production et le cycle de vie
d’un produit forestier (Kissinger et al., 2006 ; Nunery
et al. 2010) ;
• les usages récréatifs (Leung et Marion, 2000) ;
• le bruit et le dérangement de la faune (Fidell et al.,
1996 ; Krause, 2002 ; rachwald et al., 2004 ; radle,
sans date) ;
129
Figure 3 : exemple de profils de naturalité de trois
territoires insulaires des Canaries (Machado, 2004).
Le gradient de « naturalité » sensu lato inclut des
indicateurs de composition et structure du paysage
et des impacts relatifs aux activités humaines. Il est
discrétisé en dix niveaux dont la part est proportionnelle à la surface correspondante, des espaces
les plus transformés (en rouge et à droite) aux
espaces vierges d’impacts humains négatifs (en vert
et à gauche).
• la mise en œuvre de recherches scientifiques
(landres, 2000 ; Parsons, 2000).
Peu de recherches synthétiques ont été effectuées
en France pour décrire et évaluer globalement l’empreinte écologique générale de l’homme (et/ou de
la gestion) sur les forêts. Toutefois, les sources de
données disponibles sont nombreuses, même si elles
sont souvent dispersées, qu’elles portent sur la population, l’urbanisme, les transports, la pollution, les
ressources forestières ou la biodiversité.
dans les critères et les indicateurs de gestion durable (MaP, 1995, 2000 ; MaP-IFN, 2006 ; MaaPraT-IFN, 2011), cette problématique reste mal
analysée en tant que telle, même si de nombreuses
informations existent et des recoupements sont
possibles. Certains indicateurs de pression relatifs
à l’impact de la gestion ont même été supprimés
(derF, 2000). des croisements thématiques population-forêts comme ceux entrepris par derrière et
lucas (2006) et concernant les forêts sous influence
urbaine sont par exemple instructifs à de multiples
titres. du point de vue strictement sylvicole, l’IFN
(pour la dGFar, 2006), distingue bien un gradient
d’empreinte globale de la gestion forestière (appelé
d’ailleurs improprement « degré de naturalité »).
Mais ce gradient est trop peu détaillé (trois degrés :
plantations, forêts semi-naturelles, forêts non perturbées), imprécis ou pas toujours pertinent dans
la définition des degrés pour discriminer la réalité.
l’analyse est souvent limitée à des observations bien
connues (quasi-inexistence des forêts naturelles en
France métropolitaine) ou par des difficultés d’évaluation (sous-estimation probable à 13 % de la pro-
1
130
Cf. Nivet et al., page 41.
portion de plantations)1. dès lors, comment évaluer
les différences d’empreintes écologiques pourtant
plus qu’évidentes dans la majorité des forêts correspondant au degré intermédiaire « forêts semi-naturelles » ? Cette catégorie – Ô combien hétérogène,
est-elle réellement pertinente ? elle regroupe pêlemêle les pessières non-indigènes du Massif central,
les suberaies des Maures, les taillis sous futaie et les
chênaies cathédrales de Tronçais ou les futaies du
Jura jardinées depuis des temps immémoriaux ?
Toute analyse de l’empreinte écologique d’une
Culture demande une approche raisonnée, multiculturelle (culture générale, culture des forestiers,
des autres usagers, etc.), multithématique (démographie, toxicologie, foresterie, urbanisme, aménagement) et multiscalaire (vallauri, 2007 ; tableau 2).
elle repose sur la recherche d’un ensemble cohérent
de critères et indicateurs permettant :
• de décrire les facteurs de dégradation passés,
les pressions actives et d’anticiper les menaces
potentielles ;
• de comprendre les impacts, positifs ou négatifs,
directs ou indirects et toujours entremêlés mais
aussi les effets de seuils (notamment les seuils d’irréversibilité) ;
• de qualifier ou quantifier l’impact des activités
humaines à des échelles de temps et d’espaces
variés. n
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Système national de comptabilité de l’empreinte
132
Suivi des aires protégées en afrique centrale :
vers une analyse objective des liens entre biodiversité
et développement
Guillaume Lescuyer*
*Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD)
Introduction
Si les ressources naturelles ont depuis toujours été
l’objet de l’attention humaine, c’est seulement depuis
quelques années que le suivi ou monitoring constitue un volet à part entière de leur gestion. l’objectif
de cet instrument est de pouvoir confronter le mode
de gestion d’une ressource à sa performance réelle
selon un certain nombre de Critères et Indicateurs
(CetI) préalablement définis. Cette démarche s’applique à un nombre croissant de modes d’utilisation
des ressources naturelles et même, depuis une dizaine d’années, à l’établissement et au fonctionnement des aires protégées, dont l’objectif est pourtant
la conservation de la nature. S’inspirant des travaux
pour évaluer a posteriori la gestion durable des forêts
(lammerts van Bueren et Blom, 1997) et fondant
leur légitimité sur un certain nombre de conventions
internationales, des approches d’évaluation de l’efficacité des aires protégées ont été élaborées à partir
du début des années 2000 principalement par des
organisations non gouvernementales (oNG) conservationnistes anglo-saxonnes (Hockings et al., 2000).
elles se sont rapidement étendues aux aires protégées des pays du Sud où les enjeux de biodiversité
sont majeurs.
I. Suivi de la biodiversité en
Afrique centrale : une tentative
de mise en ordre
la première initiative d’ampleur visant à élaborer
un système de suivi de la conservation de la biodiversité dans les pays du Bassin du Congo remonte à
2002 : elle a été conduite par le programme eCoFaC (eCosystèmes Forestiers d’afrique Centrale)
financé par l’Union européenne, qui désirait mettre
en place un système de suivi environnemental pour
huit aires protégées réparties dans la sous-région.
Pour différentes raisons, cet outil a longtemps été
ignoré par les gestionnaires. Toutefois, surtout à
la demande des bailleurs, la démarche de monitoring est devenue quasi-obligatoire et il existe
aujourd’hui très peu d’aires protégées en afrique
centrale qui ne soient pas dotées d’un ensemble de
CetI devant révéler la performance de leur gestion.
leur application effective et leur intégration dans
la prise de décision restent une autre affaire…
le mode dominant – en tout cas le plus visible –
de conservation de la biodiversité est l’aire protégée, quelle que soit sa catégorie. dans le Bassin du
Congo, de nombreux acteurs interviennent pour la
promotion de cette forme de protection des ressources (devers et vande weghe, 2006). la conférence
de durban en 2002 puis celle de Nagoya en 2010
n’ont fait qu’accélérer ce processus, tous les pays
de la sous-région s’efforçant depuis d’atteindre le
seuil des 17 % de la superficie nationale placée en
aires protégées. des financements internationaux
substantiels facilitent cette évolution, même s’ils
s’avèrent souvent insuffisants pour compenser réellement les coûts d’opportunité liés à la création de
ces parcs (lescuyer et al., 2009).
Une vision globale du fonctionnement des dispositifs de conservation de la biodiversité manque
aujourd’hui dans les pays du Bassin du Congo.
C’est l’objectif de l’observatoire des forêts d’afri133
que centrale (oFaC), qui appuie la Commission des
forêts d’afrique centrale (CoMIFaC), d’harmoniser,
de synthétiser puis de diffuser par le biais d’un site
internet l’information disponible sur la diversité
biologique de la sous-région (http://www.observatoire-comifac.net).
Grâce à la collaboration avec les administrations
nationales et aux opérateurs de la conservation,
l’oFaC fait le bilan des mesures prises pour le
maintien de la biodiversité en afrique centrale aux
niveaux local, national et sous-régional. Partant de
la collecte des données à l’échelle de chaque site de
conservation, le niveau national compile ces informations partielles et inclut également des informations spécifiquement nationales quant à la politique
menée. Il en est de même pour l’échelle internationale qui combine données nationales agrégées et
informations sur des mesures spécifiquement sousrégionales (parcs transfrontaliers, fleuves partagés
par plusieurs pays, traités, etc.).
l’essentiel du travail est de collecter de manière
homogène les informations pertinentes sur la gestion de la biodiversité dans les différents sites de
conservation, c’est-à-dire pour les différentes aires
protégées de la sous-région. la question préalable est celle de l’établissement d’un ensemble de
CetI qui puisse être renseigné par les acteurs de la
conservation et fournir des informations fiables sur
l’état de la biodiversité.
II. Contenu et hypothèses sousjacentes du système de suivi
Il existe plusieurs approches pour construire un
système de suivi environnemental, mais la structuration du type Pression-état-réponse élaborée
dans les années 1990 par l’organisation de coopération et de développement économiques (oCde)
constitue actuellement le modèle dominant (levrel
et Bouamrane, 2008). Ce système vise à apprécier
les pressions qui s’exercent sur l’environnement et
à identifier les réponses sociales qui permettent
d’atténuer, voire d’éliminer les effets négatifs de ces
pressions.
Cette structuration du système de suivi est presque
toujours celle retenue par les gestionnaires d’aire
protégée en afrique centrale et c’est donc elle qui a
été utilisée pour élaborer la grille d’organisation des
informations sur la biodiversité par l’oFaC. la version finale des critères retenus est présentée dans
le tableau 11.
l’information y est organisée de manière classique,
avec un premier niveau qui synthétise les connaissances sur l’état de la biodiversité. Cet état se décline sous trois formes : étendue du couvert forestier, présence et qualité d’espèces emblématiques,
présence et qualité d’espèces clefs. Hormis quelques
discussions techniques sur la façon de traduire ces
critères sous forme d’indicateurs, les participants
ont été rapidement d’accord sur cette grille de collecte de l’information.
Un tel compromis n’a pu être trouvé quant à l’influence des dynamiques socio-économiques sur la
conservation de la biodiversité. Initialement vus
sous l’angle unique d’une menace, le maintien et le
développement des activités anthropiques locales
sont également apparus pour plusieurs participants
comme un élément essentiel à la réussite des aires
protégées. Ce débat n’a pu être tranché mais il a
permis deux avancées importantes. Il a tout d’abord
conduit à reformuler le critère C3 : les « menaces
par les activités humaines » se sont transformées
en « dynamiques socio-économiques » et le bienêtre des populations a été pris en compte (C3.4).
au niveau du critère C4, ensuite, l’implication des
acteurs a été considérée comme l’un des éléments
nécessaires à la « stratégie de gestion », qui se focalisait initialement sur les procédures formelles de
gestion (budget, personnel, document de gestion),
censées être seules garantes, avec l’éco-tourisme,
de la protection de la biodiversité.
Sur le terrain, la mise en œuvre de ce système de
suivi, notamment pour les critères venant des scien-
Nous nous contentons ici de reproduire la liste des critères de suivi de la biodiversité à l’échelle des sites de protection bien
que de nombreux autres éléments d’information aient été identifiés : liste des indicateurs, sources d’information, fréquence des
collectes, degré de priorité, etc.
1
134
ces sociales, ne se fera sans doute pas sans rencontrer quelques résistances. la première difficulté
tient à la formation académique ou professionnelle
des gestionnaires d’aire protégée, qui sont généralement peu convaincus de l’intérêt de telles données
pour améliorer le fonctionnement et la durabilité
des aires protégées. le coût de collecte de ces informations peut constituer un deuxième obstacle :
si l’analyse régulière d’images satellite peut donner
une idée rapide de l’évolution de la pression agricole ou des feux de brousse, la plupart des données
sur le bien-être local doit être collectée à l’échelle
des villages, ce qui requiert temps, compétences et
moyens. l’enjeu n’est pas tant de dresser un tableau
rapide des infrastructures et des cadres formels de
concertation entre acteurs que d’analyser comment
leur fonctionnement est effectif sur le terrain. outre
le diagnostic quantitatif, il faut donc recourir à des
C1 - État des ressources: superficies et végétation
C.1.1.
Superficie administrative
C.1.2.
Superficie réelle
C.1.3.
Superficies des types de végétation naturelle
C2 - État des ressources : espèces
C.2.1.
espèces emblématiques
C.2.2.
espèces clés
C.2.3.
distribution des espèces emblématiques et clés
C.2.4.
abondances relatives des espèces emblématiques et clés
C.2.5.
densité des espèces emblématiques et clés
C.2.6.
Présence et superficie des espèces envahissantes
C3 - Dynamiques socio-économiques
C.3.1.
densité des populations humaines
C.3.2.
Pression des activités agricoles
C.3.3.
Pression de chasse
C.3.4.
Bien-être des populations locales (infrastructures et revenus)
C.3.5.
Nombre de feux incontrôlés
C4 - Stratégie de gestion
C.4.1.
Personnel affecté à la conservation
C.4.2.
Budget de l’aire protégée
C.4.3.
équipements logistiques de gestion/km²
C.4.4.
retombées touristiques
C.4.5.
existence des documents de gestion
C.4.6.
Zonage de l’aire protégée
C.4.7.
Implication des autres acteurs
Tableau 1 : liste des critères de suivi de la biodiversité à l’échelle des sites de protection
135
méthodes d’analyse qualitative, telles que celles
développées dans le cadre de la Méthode accélérée
de recherche participative (MarP), aujourd’hui bien
connues en afrique centrale.
III. Le suivi des aires protégées
pour réinterroger le lien
conservation-développement
l’établissement de CetI de suivi environnemental
n’est pas un exercice nouveau et l’une de ses vertus
est bien de révéler, clarifier, confronter les préférences et les stratégies des acteurs engagés (Garcia
et lescuyer, 2008). les CetI établis dans le cadre
de l’oFaC pour la conservation de la biodiversité
n’échappent pas à la règle. Ils dévoilent les caractéristiques du modèle dominant de la conservation
en afrique centrale, celui d’une gestion technique
de l’aire protégée où les usages humains sont vus
comme des menaces : on suit bien davantage les
populations animales que le bien-être des populations humaines, ce qui pose problème dans un
contexte d’extrême pauvreté (Balint, 2006).
Par son ampleur – toutes les aires protégées du Bassin du Congo – et la volonté d’en faire un mécanisme pérenne, le système de suivi mis en place par
l’oFaC devrait permettre d’alimenter le débat sur
les liens entre conservation et activités humaines,
qu’elles soient à proximité ou plus éloignées des
aires protégées. Il est certain que, dans un grand
nombre de cas, les populations humaines exercent
une pression excessive sur les espèces et les espaces
protégés. Il n’en demeure pas moins probable que
considérer les activités anthropiques sous l’angle
unique de la menace réduit fortement les chances
de réussite de la conservation.
le système de suivi de l’oFaC présente donc un
double intérêt. d’une part, en s’appliquant à l’ensemble des aires protégées d’afrique centrale, il
devrait permettre de faire un bilan objectif des
corrélations entre état de biodiversité et niveau
de bien-être humain. d’autre part, et à la suite de
l’analyse précédente, il est probable qu’un certain
nombre de critères propres aux activités humaines devraient être considérés non plus comme des
136
« pressions » mais bien comme des « réponses » à la
dégradation de la biodiversité (adams et al., 2004),
notamment dans les zones périphériques des aires
protégées. de tels indicateurs synthétiques des activités humaines seront sans aucun doute insuffisants
pour comprendre le succès ou l’échec des modes de
gestion de la biodiversité. Un approfondissement de
la réflexion devrait mettre à jour les arrangements
institutionnels propices à la fois au développement
et à la conservation. de telles recherches, si elles
paraissent encore peu prioritaires dans le monde des
experts de la conservation, sont néanmoins nécessaires pour envisager des modes novateurs de gestion durable de la biodiversité en afrique centrale,
par exemple, pour l’élaboration et la mise en œuvre
des paiements pour services environnementaux. n
références bibliographiques
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« Concilier les priorités de conservation des aires
protégées et de développement local : expériences,
leçons apprises et perspectives en Afrique centrale »,
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levrel H. and Bouamrane M., 2008. Instrumental
learning and Sustainability Indicators : outputs
from Co-Construction experiments in West african
Biosphere reserves. Ecology and Society, vol.13(1).
137
138
développer des outils opérationnels pour atteindre
nos objectifs écologiques
Brice Quenouille et Philippe Thiévent*
*CDC Biodiversité
le constat d’érosion de la biodiversité et des services rendus par les écosystèmes1 a contribué à
extraire le débat relatif à la protection des espèces et leurs habitats hors du traditionnel triptyque
associations/scientifiques/pouvoirs publics. Tous les
acteurs économiques s’interrogent désormais sur
leur relation à la biodiversité et sont, à ce titre, demandeurs d’outils pour poursuivre leur développement. Parmi ces outils, les indicateurs écologiques
se trouvent aujourd’hui dans la position d’un acteur
vedette, à qui il serait demandé de jouer plusieurs
rôles :
• un rôle d’éclaireur ex-ante : évaluer les conséquences d’un projet ou d’un métier sur la biodiversité, aider à choisir le scénario « gagnant-gagnant »,
etc. ;
• un rôle d’auditeur concourant : suivre et contrôler
les interactions d’un projet ou d’un métier avec la
biodiversité et, le cas échéant, aider à adapter ses
modalités de mise en œuvre, etc. ;
• enfin, un rôle d’analyste ex-post : aider à dresser
le « bilan biodiversité » d’un projet, d’un métier ou
d’une entreprise, contribuer à l’apprentissage d’une
culture écologique, etc.
Si les attentes sont clairement identifiées, notre
difficulté à modéliser, donc à restituer des dynamiques écologiques par nature complexes reste une
barrière au développement d’indicateurs spécifiques, fiables dans le temps et peu coûteux.
1
2
le recours à des indicateurs n’a d’intérêt que si les
objectifs qu’ils nous aident à définir peuvent ensuite
être atteints. Pour une entreprise qui souhaite s’engager dans des actions concrètes en faveur de la biodiversité, il s’agit de disposer des moyens nécessaires
à leur mise en œuvre. aussi évidente soit-elle, cette
allégation n’est pas toujours confirmée dans la pratique, empêchant des engagements, pris parfois au
titre d’une contrainte réglementaire, d’être réalisés.
Nous prendrons ici l’exemple de l’aménagement du
territoire, qui illustre bien cette problématique sur
laquelle la Caisse des dépôts et consignations (CdC)
s’implique aujourd’hui via sa filiale CdC Biodiversité.
Considéré comme une des causes principales d’érosion de la biodiversité, l’aménagement du territoire
a pour corollaire la destruction et la fragmentation
d’habitats. le vote en 1976 de la loi relative à la protection de la nature2 a introduit dans le droit français une procédure obligeant les maîtres d’ouvrage
à évaluer ce type de dommages et à prendre des
mesures pour les réparer. l’article l122-3 du Code
de l’environnement stipule que les maîtres d’ouvrage
de projets d’aménagement doivent, dans un ordre
hiérarchique :
1- éviter les impacts négatifs sur l’environnement,
2- réduire les impacts non évités,
3- compenser les impacts résiduels.
les mesures dites d’évitement et de réduction font
partie intégrante de l’ingénierie de conception du
projet et permettent d’en réduire l’empreinte écologique (optimisation du tracé, construction de passa-
Cf. http://www.millenniumassessment.org/
Loi n° 76-629 du 10/07/76
139
ges pour la faune, etc.). Néanmoins, des impacts résiduels persistent généralement qui, s’ils ne sont pas
pris en compte, entraîneraient une perte de biodiversité. les mesures compensatoires ont pour objet de
contrebalancer ces impacts résiduels. elles consistent
en des actions positives pour la biodiversité, généralement réalisées à distance du site d’impact, devant
générer une valeur additionnelle au moins égale à la
perte qui n’a pu être évitée ou réduite.
Malgré un objectif clair et plus de trente années
d’application, la compensation reste en France insuffisamment mise en œuvre ; constat largement
partagé par les acteurs de la biodiversité. les raisons
sont diverses, mais tiennent principalement aux difficultés que rencontrent les maîtres d’ouvrage dans
la mise en oeuvre de leurs mesures compensatoires.
Ces actions ne s’inscrivent pas dans leur cœur de
métier et ne coïncident généralement pas avec le
périmètre et le contexte opérationnel de leurs projets - notamment lorsqu’il s’agit de développer puis
soutenir un programme d’actions en faveur de la
biodiversité sur des périodes de trente ou cinquante
ans, voire plus.
début 2008, la Caisse des dépôts annonce le lancement de sa filiale CdC Biodiversité. dotée au départ
d’un capital de quinze millions d’euros, elle est dédiée entièrement aux enjeux de la biodiversité. Son
lancement conduit à développer de nouveaux métiers à la croisée de l’intérêt général et de l’économie3. Il s’agit d’accompagner l’état, les entreprises,
les maîtres d’ouvrage, les associations et les collectivités dans leurs actions en faveur de la nature, en
mobilisant de l’ingénierie financière, en pilotant des
projets (en tant que « tiers de confiance ») et en inscrivant ces actions dans le long terme. la compensation en constitue le premier levier d’intervention.
• CDC Biodiversité se porte garant pour celui-ci (qui
garde sa responsabilité) auprès des autorités (qui
continuent à contrôler) et joue un rôle d’ensemblier
et de pilote en s’occupant de la sécurisation foncière, en mettant en œuvre et en suivant l’action
de compensation, en rendant compte au maître
d’ouvrage et aux autorités.
Mais il est aussi possible de s’engager dans une approche innovante, dite « par l’offre ». elle repose sur
la réalisation concrète, sur fonds propres, d’actions
positives et additionnelles en faveur de la biodiversité, représentant des enjeux écologiques majeurs
et visant à répondre aux besoins de compensation
actuels et futurs des maîtres d’ouvrage. elle permet de mutualiser les financements de compensation de plusieurs maîtres d’ouvrage sur des actions
d’envergure, spatialement et écologiquement plus
cohérentes. À l’échelle d’un territoire, cette offre
de mutualisation est particulièrement intéressante
pour optimiser la contribution aux stratégies régionales de biodiversité (schéma directeur, trame verte
et bleue, etc.) de mesures compensatoires qui, prises séparément, concerneraient de petites surfaces
déconnectées.
la compensation répond manifestement à un besoin appelé à croître pour lequel de bons indicateurs de biodiversité sont indispensables. n
À la demande d’un maître d’ouvrage, CdC Biodiversité peut intervenir selon le processus suivant :
• les autorités administratives et scientifiques définissent les obligations de compensation d’un maître
d’ouvrage ;
3
140
En cohérence avec l’article L518-1 du Code monétaire et financier
Conclusion
les indicateurs de biodiversité forestière :
témoins d’un processus d’amélioration continue
C
et ouvrage sur les indicateurs de biodiversité
forestière montre d’abord l’intérêt de raisonner en la matière avec un certain recul. Il
rend ensuite compte du besoin fort d’indicateurs de
biodiversité à différents niveaux et dans plusieurs
domaines. Il met enfin en évidence les progrès accomplis et, en même temps, la nécessité de continuer à progresser dans ce domaine complexe et à
fort enjeu.
n Prendre du recul par rapport au
champ de la biodiversité
le traitement d’un sujet tel que les indicateurs de
biodiversité en milieu forestier constitue une invitation à embrasser un champ très large. Celui-ci est
en effet susceptible d’englober des considérations
socio-économiques aussi bien qu’écologiques, de
replacer la forêt dans le cadre général de la biodiversité, de considérer cette dernière à la fois du
point de vue des perturbations qu’elle subit et des
bénéfices qu’elle offre à la société.
l’identification, l’élaboration et le suivi d’indicateurs de biodiversité permettent de poursuivre divers types d’objectifs. leur but peut être d’abord
scientifique et servir à faciliter des expérimentations, à s’engager sur la voie de la modélisation, à
approfondir les interdépendances entre composantes écologiques. Mais les indicateurs sont aussi essentiels pour piloter et évaluer les politiques, voire
pour les mettre en œuvre comme c’est le cas avec
le suivi du bon état de conservation des milieux et
habitats dans le cadre européen. au gestionnaire,
ils procurent des moyens de raisonner une gestion
intégrée, de faire la preuve, par la certification, du
caractère durable de cette gestion, d’apporter les
garanties que des mesures compensatoires représentent effectivement une juste contrepartie à un
impact qui n’a pu être évité. Ils s’avèrent enfin particulièrement utiles au plan de la communication,
en direction du grand public, certes, mais aussi au
sein même du monde professionnel, par exemple
pour favoriser les échanges entre chercheurs et
praticiens. À la faveur de cette énumération, qui
n’est pas forcément exhaustive, on voit bien que
141
si les problématiques traitées s’appuient forcément
sur les sciences de la nature, elles font aussi amplement appel aux sciences économiques, humaines et
sociales.
la biodiversité est considérée de manière large par
la convention internationale qui la soutient, tandis
que le monde forestier voit sa conservation comme
une composante parmi les autres services écosystémiques, que ceux-ci soient relatifs à l’offre de
produits forestiers, à la séquestration de carbone,
à la protection des eaux et des sols ou aux attentes socioculturelles. Cette différence de points de
vue rend ambigu le champ de la biodiversité et est
même source de quiproquos. dans cet ouvrage, la
partie écologique a plutôt adopté la vision stricte
des forestiers tandis que la partie socio-économique s’est rapprochée d’une vision plus globale.
les relations entre la société et son environnement
sont étudiées à l’aide de divers modèles socioéconomiques qui mettent l’accent sur les pressions
exercées par les activités humaines sur la biodiversité. Mais à côté de l’analyse de tels impacts
et des moyens permettant de les réduire, celle des
services rendus à la société par son environnement
est tout autant digne d’intérêt. dans cet ouvrage,
lorsque cela s’est avéré opportun, les deux visions
complémentaires ont été développées pour rendre
l’approche plus équilibrée et l’interface entre écologie et socio-économie plus cohérente. du point
de vue écologique, les activités humaines sont essentiellement perçues comme des perturbations du
milieu naturel : la logique des impacts domine et
les modèles « Pressions-état-réponses » ou « déterminants-Pressions-état-Impact-réponses » sont
utilisés. du point de vue socio-économique, la reconnaissance de l’existence des services écosystémiques est tout aussi fondamentale que celle des
conséquences des interventions anthropiques sur la
biodiversité.
n Un besoin patent d’indicateurs
dans ce champ large et complexe de la biodiversité, de nombreuses grandeurs essentielles ne sont
pas forcément mesurables. Il n’existe pas non plus
de manière évidente un dénominateur commun
142
aux différents aspects à prendre en compte comme c’est le cas dans le domaine économique avec
l’unité monétaire ou dans celui de la lutte contre
l’effet de serre avec la tonne de dioxyde de carbone.
Pourtant, il faut pouvoir analyser la situation avant
toute décision, en débattre le cas échéant, évaluer
les résultats obtenus une fois la décision prise et
appliquée. Tout au long de ce processus, les indicateurs constituent un appui indispensable.
le besoin d’indicateurs est ainsi patent pour représenter chaque composante de la biodiversité,
pour gérer l’ensemble de manière cohérente, pour
le combiner à d’autres considérations. Pour autant,
plusieurs écueils doivent être évités :
• tout d’abord, un indicateur constitue une aide
mais ne remplace pas complètement la mesure de
la grandeur qu’il est censé représenter ; il doit donc
toujours être considéré avec un regard critique ;
• ensuite, l’état des connaissances, encore fragmentaire, ne permet pas de prendre en compte tous
les éléments qui devraient intervenir : l’appréciation
d’une partie de la réalité ne doit pas faire oublier
qu’elle n’en est pas la totalité ;
• enfin, les indicateurs ne sont qu’un moyen, de
surcroît imparfait, au service d’un objectif qui ne
doit jamais être perdu de vue.
Nombreuses sont les raisons pour lesquelles doivent
être développés des indicateurs de biodiversité. le
suivi d’indicateurs de gestion forestière durable
constitue tout d’abord un axe fort d’une stratégie
internationale en faveur des forêts et les indicateurs de biodiversité participent largement de cette
approche. l’évaluation du bon état de conservation
des habitats et espèces d’intérêt communautaire
est imposé par la directive européenne « HabitatsFaune-Flore » et passe aussi par l’expression d’indicateurs de biodiversité. la Convention internationale sur la diversité biologique est à la base de la
stratégie nationale correspondante dont la mise en
œuvre nécessite, encore une fois, des indicateurs de
biodiversité, etc.
Même si l’approche en termes d’indicateurs est
assez peu promue par les politiques scientifiques,
ces outils présentent de nombreuses utilités pour la
science. Ils permettent par exemple d’illustrer le niveau de la description de la biodiversité, d’analyser
les relations entre structure, composition et fonctionnement, d’organiser la compréhension des mécanismes écologiques à l’œuvre, de faire progresser
également l’aide à la décision en s’intégrant à des
modèles de gestion.
enfin, des indicateurs de biodiversité sont utiles
aussi pour la gestion, dans le cadre de la planification des interventions (démarche d’aménagement),
de la certification et des garanties de gestion durable, le cas échéant de la compensation des impacts
occasionnés.
n des progrès accomplis aux progrès
nécessaires
en faisant le point sur l’état des réflexions dans
le domaine des indicateurs de biodiversité en forêt, cet ouvrage prépare les réflexions actuelles ou
futures relatives à la biodiversité ou, de manière
plus large, à la gestion durable des forêts. Il recense et commente un grand nombre d’indicateurs
allant de la génétique à l’utilisation du bois en
passant par les espèces et les paysages. Il discute
des questions d’objectif, d’échelle, de données, de
moyens. Il donne des pistes d’amélioration pour
les indicateurs existant dans le cadre du processus des Conférences ministérielles pour la protection des forêts en europe (Forest Europe). Il rend
compte des tentatives de mise en relation entre
indicateurs taxonomiques de composition et indicateurs structurels des peuplements ou paysages
forestiers. Il permet en outre de reconnaître que
des progrès complémentaires sont encore nécessaires. dans quels domaines ?
Un premier axe de progrès concerne les données à
tous les niveaux, à commencer par les taxons. en effet, les analyses portent encore le plus fréquemment
sur quelques taxons seulement. en dehors de la flore
et de la fonge, les oiseaux communs sont emblématiques de ce point de vue même si d’autres groupes
du règne animal sont couramment étudiés (chiroptères, coléoptères, lépidoptères, etc.). le suivi d’espèces ou de taxons occupe une place majeure dans
l’analyse de la biodiversité. Il est suggéré de s’intéresser en priorité à des indicateurs taxonomiques à
grande échelle, c’est-à-dire à des espèces à large
amplitude, pour mettre en évidence des tendances
ou approfondir des mécanismes de fonctionnement
sur de vastes espaces à un coût acceptable.
Même si la richesse taxonomique est fondamentale,
elle est loin de traduire l’ensemble de la biodiversité. la diversité génétique intraspécifique est elle
aussi cruciale mais plus difficile à analyser. Son
étude bénéficie de développements technologiques
importants mais ne porte guère encore en forêt
que sur les espèces d’arbres. les aspects structurels dépassent largement la seule composition des
écosystèmes et englobent toute leur organisation
qui influence le fonctionnement écologique. les aspects fonctionnels sont eux mêmes complexes et
tout aussi dignes d’attention. Il faut donc à la fois
étendre la gamme des taxons suivis, s’intéresser aux
autres aspects de la biodiversité (génétique, structure, fonctionnement) et établir des relations éventuelles entre ces éléments. l’expérience montre que
les relations attendues ne sont pas forcément évidentes : ainsi, la richesse en coléoptères et mycètes
saproxyliques n’apparaît pas toujours directement
proportionnelle au volume de bois mort en forêt1.
la construction d’indicateurs fondés sur les données
recueillies pour répondre aux objectifs poursuivis
constitue une seconde préoccupation. les analyses
réalisées dans le cadre du travail ayant abouti à cet
ouvrage ont montré que les indicateurs existants
méritaient d’être consolidés : des données complémentaires s’avèrent nécessaires dans certains cas ;
des améliorations sont en outre souhaitables au niveau des protocoles de recueil d’information dont
il est attendu qu’ils soient plus fiables et stabilisés
dans le temps.
la constitution progressive de jeux d’indicateurs
est par ailleurs source de débats : d’une part, il
apparaît opportun d’ajouter de nouveaux indica-
Bouget, 2011. Le bois mort, indicateur indirect de biodiversité. Colloque « les indicateurs forestiers sur la voie d’une
gestion durable ? » Communication orale, Montargis, 6 et 7 décembre.
1
143
teurs, par exemple lorsqu’il s’agit d’étendre la palette des taxons suivis ou de mieux représenter la
structure et le fonctionnement des écosystèmes ;
d’autre part des approches plus synthétiques sont
souhaitées par les décideurs qui peuvent s’accommoder, pour des objectifs généraux, de quelques
indicateurs mais tout de même en nombre limité.
Il faut donc réfléchir aux possibilités de se référer,
pour les besoins des politiques publiques, de la
gestion voire des recherches, à quelques indicateurs représentant bien les grandes composantes
de la biodiversité.
Quoi qu’il en soit, il semble important d’assurer
dans tous les cas une bonne correspondance entre les objectifs poursuivis et l’indicateur ou le jeu
d’indicateurs censé en rendre compte. Il est également fondamental de maîtriser et mentionner les
précautions d’usage propres à chaque indicateur, en
particulier son domaine d’utilisation et les bases de
son interprétation.
les échelles spatiales et temporelles pour lesquelles sont établis les indicateurs sont fondamentales
à cet égard. Un indicateur relatif à un peuplement
à un moment donné n’est représentatif ni de l’ensemble d’une forêt, ni d’un cycle de vie complet. la
richesse spécifique en espèces d’oiseaux nicheurs
dans les forêts de plaine en Bourgogne est éloquen-
te à cet égard : elle est plus élevée dans un peuplement comportant des arbres de tous âges que
dans un peuplement homogène comportant un seul
stade de développement, quel que soit celui-ci ; en
revanche, elle y est nettement plus faible que dans
un ensemble gradué de peuplements homogènes2.
on note donc la nécessité de mieux articuler différentes échelles entre elles et de mieux prendre en
considération le cycle de vie des arbres.
enfin, comme l’ont bien montré les articles de cet
ouvrage, les indicateurs de biodiversité fournissent
la possibilité d’approfondir de nombreuses questions relatives aux liens entre structure paysagère
et diversité taxonomique, entre fonctionnement
des écosystèmes et services rendus ou encore entre
politiques publiques et état de la biodiversité.
Cet ouvrage rassemble des considérations variées,
tantôt analytiques, tantôt synthétiques, sur les
indicateurs de biodiversité des forêts et, au-delà,
sur la biodiversité elle-même. Il constitue, certes,
un aboutissement d’une période riche en réflexions
collectives, mais surtout un point de départ pour de
futures investigations et mises en pratique. n
Jean-Luc Peyron, Cécile Nivet et Ingrid Bonhême
Gip Ecofor
Frochot, 2011. Biodiversité et gestion forestière. Colloque « Gestion forestière et préservation de l’avifaune ». Communication
orale, Velaine-en-Haye, 4 et 5 novembre 2011.
2
144
Impression : Promoprint - Paris
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