représentants des mondes scientifique, institutionnel, professionnel et associatif. Animée par le Gip Ecofor avec le soutien des ministères en charge du développement durable et de l’agriculture, cette réflexion rassemble des considérations variées, tantôt analytiques, tantôt synthétiques, sur les indicateurs de biodiversité des forêts et au-delà, sur la biodiversité elle-même. Elle donne un aperçu de la variété des approches existantes qui adoptent des points de vue allant de la recherche au développement et jusqu’à la gestion tout en invitant à l’amélioration continue des jeux d’indicateurs. Elle illustre également la nécessité d’élaborer des indicateurs supplémentaires, à différents niveaux et dans plusieurs domaines, qui répondent à des objectifs clairs. De ce travail, il ressort la nécessité de continuer à progresser sur cette thématique à forts enjeux, tout en raisonnant en la matière avec un certain recul. Puisse cet ouvrage constituer le point de départ pour de futures investigations et mises en pratique. ISBN 978-2-914770-07-7 Synthèse des réflexions issues du programme de recherche «Biodiversité, gestion forestière et politiques publiques» d’une démarche collective menée pour et avec les acteurs de la gestion durable des forêts que sont les LeS INdICateurS de BIodIverSIté foreStIère C et ouvrage sur les indicateurs écologiques et socio-économiques de biodiversité forestière est le fruit Les indicateurs de biodiversité forestière Synthèse des réflexions issues du programme de recherche «Biodiversité, gestion forestière et politiques publiques» Coordonné par Cécile Nivet, Ingrid Bonhême et Jean-Luc Peyron Les indicateurs de biodiversité forestière Synthèse des réflexions issues du programme de recherche «Biodiversité, gestion forestière et politiques publiques» Coordonné par Cécile Nivet*, Ingrid Bonhême* et Jean-Luc Peyron** *Chargée de mission, Gip Ecofor **Directeur, Gip Ecofor © Gip Ecofor, MEDDE, 2012, 1ère édition. Citation recommandée (pour l’ouvrage complet) : Coordonné par Cécile Nivet, Ingrid Bonhême et Jean-Luc Peyron, 2012. Les indicateurs de biodiversité forestière. Synthèse des réflexions issues du programme de recherche «Biodiversité, gestion forestière et politiques publiques». Paris, Gip Ecofor-MEDDE, 144 p. ISBN 978-2-914770-05-7 Ministère de l’écologie, du Développement durable et de l’énergie. 92055 La Défense Cedex. Tél : 01 40 81 21 22. Gip Ecofor 42 rue Scheffer, 75116 Paris. Tél : 01 53 70 21 70. Conception graphique : Nathalie Boutté Tél : 01 48 58 19 86. Couverture : Nathalie Boutté. Crédits photographiques (couverture) : François Lebourgeois et Jean-Luc Peyron 6 « Les indicateurs de biodiversité offrent l’opportunité de créer des passerelles entre le monde des experts et celui des profanes, entre celui de la science et celui de la politique, en facilitant l’émergence d’un langage commun à propos de cet objet qu’est la biodiversité » Harold levrel, 2007 Au sein du Gip Ecofor, Harold Levrel a assuré pendant deux ans l’animation de la réflexion sur les indicateurs de biodiversité en forêt, qui a finalement permis la concrétisation de cet ouvrage. Qu’il soit ici remercié pour son dynamisme et l’ensemble de ses apports. Ont également contribué à la démarche, au sein du Gip Ecofor et outre les coordonnateurs Cécile Nivet, Ingrid Bonhême et Jean-Luc Peyron : Awa Ba, Viviane Appora, Marjolaine Billaud, Marie Cipière, Patrizia Foti-Délu, Wilfried Heintz, Marie-Hélène Lagarrigue, Guy Landmann, Natacha Massu et Bernard Riéra. Cet ouvrage n’aurait évidemment pas pu voir le jour sans les financements du ministère en charge du développement durable, du ministère en charge de l’agriculture et d’un autofinancement du Gip Ecofor. Que soient aussi remerciés tous les participants aux ateliers de réflexion, tous les auteurs et les membres du Conseil scientifique du programme de recherche « Biodiversité, gestion forestière et politiques publiques », en particulier Frédéric Gosselin, Hervé Jactel et ses deux présidents successifs Claude Millier et Meriem Fournier. L’ouvrage doit enfin beaucoup à sa mise en forme : merci à Nathalie Boutté pour la réalisation de cette maquette colorée et à François Lebourgeois pour ses talents de photographe (couverture). 7 Sommaire 10 Préface 12 Avant-propos 14 Claire Hubert (MEDDE)6 Mériem Fournier (AgroParisTech)6 Introduction Cécile Nivet (GIP ECOFOR) 6 19 Partie I - les indicateurs écologiques 21 de biodiversité forestière les indicateurs écologiques de biodiversité forestière : questions introductives Ingrid Bonhême (GIP ECOFOR) 41 évaluation des indicateurs nationaux de biodiversité forestière 1 1 1 Cécile Nivet (GIP ECOFOR), Marion Gosselin (IRSTEA) et Hélène Chevalier (IGN) 57 Pourquoi et comment construire un indicateur composite de la biodiversité en forêt ? Jean-Luc Peyron (GIP ECOFOR) 59 73 Utilité des indicateurs taxonomiques de biodiversité forestière Cécile Nivet (GIP ECOFOR), Frédéric Gosselin (IRSTEA) et Marion Gosselin (IRSTEA) l’Indice de biodiversité potentielle (IBP) : un indicateur composite pour intégrer la diversité taxonomique ordinaire dans la gestion forestière Laurent Larrieu (INRA) et Pierre Gonin (CNPF-IDF) 79 Indicateurs de la diversité intra-spécifique chez les arbres forestiers Éric Collin (IRSTEA), François Lefèvre et Sylvie Oddou-Muratorio (INRA) 1 1 1 1 83 Partie II - les indicateurs socio-économiques 85 de biodiversité forestière Quelle contribution socio-économique à la production d’indicateurs de biodiversité ? Jean-Luc Peyron (GIP ECOFOR) 8 1 Sommaire 91 les services écosystémiques offerts par la biodiversité forestière 97 les fonctions écologiques offertes par la biodiversité Harold Levrel (IFREMER, GIP ECOFOR à l’époque où l’article a été rédigé) Mathilde Bouvron (MNHN) 103 l’identification ordinaire de la biodiversité. en dehors du Codex, des indicateurs ordinaires de biodiversité Richard Raymond (CNRS) 109 Indicateurs de perception sociale de la biodiversité en milieu forestier Daniel Terrasson et Sophie Le Floch (IRSTEA) 115 la biodiversité comme enjeu stratégique pour l’entreprise. l’indicateur d’interdépendance de l’entreprise à la biodiversité Joël Houdet (Orée/Synergiz), Béatrice Bellini (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines) et Marc Barra (Natureparif , Université d’Orsay à l’époque où l’article a été rédigé) 123 Quelques caractéristiques de la forêt privée sous l’angle de la biodiversité Pierre Beaudesson (CNPF) l’empreinte écologique des sociétés humaines sur les forêts 127 évaluer Daniel Vallauri (WWF) 133 Suivi des aires protégées en afrique centrale : vers une analyse objective des liens entre biodiversité et développement Guillaume Lescuyer (CIRAD) 139 développer des outils opérationnels pour atteindre nos objectifs écologiques Brice Quenouille et Philippe Thiévent (CDC Biodiversité) 141 Conclusion Jean-Luc Peyron, Cécile Nivet et Ingrid Bonhême (GIP ECOFOR) 9 Préface l a biodiversité est une notion d’une exceptionnelle ampleur. elle englobe la variété de la vie à toutes les échelles (du local au global, du court au long terme) à tous les niveaux (génétique, spécifique, écosystémique), sous tous les angles (du structurel au fonctionnel, de l’artificiel au naturel). elle se trouve ainsi à la base d’enjeux essentiels, non seulement pour les espèces végétales, fongiques et animales, mais surtout pour les sociétés humaines. ainsi, faire progresser les politiques en faveur de la biodiversité par la connaissance de ses différentes facettes est un véritable défi. le ministère en charge du développement durable (Medde) s’emploie à le relever aux côtés de nombreux partenaires français et étrangers. le programme de recherche « Biodiversité, gestion forestière et politiques publiques » (BGF) est l’un des outils de progrès que le Ministère s’est donné en association avec le ministère en charge de l’agriculture. Une communauté scientifique a ainsi été constituée dans le cadre d’une animation qui a été confiée depuis l’origine au groupement d’intérêt public ecofor (GIP ecofor). de nombreux projets de recherche ont été conduits et des débats se sont tenus autour de leurs résultats. 10 la volonté constante du Medde est de faire le lien entre les résultats de recherche et la mise en œuvre de ses politiques. dans une culture désormais acquise de contrôle des performances des politiques et des projets publics, les indicateurs sont devenus un outil indispensable. Constatant un manque flagrant dans ce domaine pour la biodiversité forestière, le comité d’orientation du programme BGF a souhaité que le GIP ecofor, en lien avec le Conseil scientifique, anime des débats et un travail sur les indicateurs de biodiversité forestière. Cet ouvrage, résultat de ce travail de réflexion et d’animation, est proposé à votre lecture. Il établit une référence et témoigne de la réflexion collective sur ce sujet. Il permettra de développer les recherches et d’orienter l’action au cours des années qui viennent. Il met notamment en évidence la difficulté de construire des indicateurs de biodiversité forestière simples et pourtant fiables. Pour illustrer ce problème, il suffit de regarder de façon comparative les approches des deux grandes conventions internationales relatives au climat, d’une part, à la diversité biologique, d’autre part. elles sont extrêmement différentes mais ont au moins en commun de s’appliquer toutes les deux à la forêt. dans le cas du climat, la tonne d’équivalent dioxyde de carbone constitue une unité de mesure assez simple et générale pour faciliter l’émergence d’indicateurs pertinents, à défaut de régler l’ensemble des problèmes. dans le cas de la biodiversité, l’absence d’une telle unité commune complique l’analyse et encore plus la synthèse de l’information par quelques indicateurs seulement. Ma recommandation avant d’amorcer la lecture de cet ouvrage est de ne pas oublier que les indicateurs sont avant tout des outils au service d’objectifs préalablement définis. la fixation de ces objectifs suppose une bonne connaissance des mécanismes biologiques en jeu. de fait, politiques, indicateurs et connaissances doivent progresser de concert, dans une boucle d’amélioration progressive. l’ouvrage qui vous est ici proposé n’aplanit évidemment pas tous les obstacles. Mais en rassemblant une somme de connaissances, en présentant des synthèses et en produisant une analyse, il suggère des pistes de progrès et se situe donc dans cette boucle d’amélioration. Je remercie tout particulièrement les experts, gestionnaires et oNG qui ont participé à cette aventure, le GIP ecofor qui les a accompagnés, les membres du Conseil scientifique du programme BGF qui s’y sont investis sous l’autorité des deux présidents successifs Claude Millier et Meriem Fournier. Ils ont ainsi significativement contribué à développer le service rendu par la recherche et le développement à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques. n La présidente du comité d’orientation du programme « Biodiversité, gestion forestière et politiques publiques », Claire Hubert Chef du service de la recherche, Direction de la recherche et de l’innovation Commissariat général au développement durable Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie 11 Avant-propos l ’intégration des enjeux relatifs à la conservation de la biodiversité dans les politiques de gestion de l’espace et d’aménagement du territoire est désormais acquise. l’état français s’est notamment engagé, dans le cadre de la publication de la Stratégie nationale pour la biodiversité 2011-2020, à lancer de nouvelles actions en faveur de la biodiversité. les programmes et projets de recherche sont nombreux1 qui cherchent à formaliser ce concept de biodiversité en étudiant (i) les interactions entre ses différentes composantes (gènes, espèces, paysages), (ii) les relations entre les diversités observées, leurs dynamiques et les services rendus via les méthodes de l’écologie fonctionnelle, évolutive et des communautés ainsi que (iii) les interactions entre enjeux de la biodiversité et actions de conservation d’une part, entre enjeux de la biodiversité et fonctionnement des systèmes politiques, économiques, sociologiques ou juridiques d’autre part. la biodiversité peut se concevoir comme l’ensemble des processus et des fonctions qui contribuent au maintien de la vie, offrant en retour aux sociétés humaines des services essentiels (régulation du climat, photosynthèse, production de biomasse, etc.). les scientifiques (à l’origine du concept de biodiversité) ainsi que l’ensemble des représentants de la société sont conscients que la complexité de cette notion et les incertitudes qui la caractérise sont a priori peu compatibles avec le temps de l’action et de la prise de décision. Mais ces derniers savent aussi que ces incertitudes, bien que réelles, ne permettent pas d’attendre, que des décisions doivent être prises même si elles se basent sur des outils d’observation et d’évaluation encore bien mal formalisés. la biodiversité offre aujourd’hui un grand potentiel pour le développement d’une recherche-action basée sur des synergies entre les acteurs de la recherche, de la décision et de la gestion d’espaces et de ressources. Précurseur en la matière, le programme de recherche « Biodiversité, Gestion forestière et Politiques publiques » (BGF) a été lancé en 1996 à l’initiative du ministère en charge du développement durable et du Gip ecofor, avec le soutien du ministère en charge de l’agriculture Issus de l’Agence nationale de la recherche (exemple : le programme Era-net BiodivERsA) et du ministère en charge du développement durable au niveau national ou du septième programme cadre au niveau européen. 1 12 pour aborder la biodiversité sous l’angle de la gestion du territoire et plus précisément des forêts. étalées sur le tiers du territoire métropolitain et sur des millions d’hectares dans les territoires d’outre-mer (tant insulaires que continentaux), ces forêts sont soumises à une variabilité exceptionnelle de conditions climatiques et de modes de gestion et apparaissent ainsi comme un milieu et un patrimoine emblématique du point de vue de la biodiversité. les questions récurrentes que soulève la gestion de la biodiversité en forêt – relatives aux impacts de la sylviculture et du changement global, à la définition de l’état de référence, au choix de l’échelle spatiale et temporelle (incluant les interactions forêts/autres milieux), au passage de l’existence à la valeur, à la perception et à l’appropriation du concept par les acteurs – partent d’une caractérisation a priori de la biodiversité, qui se traduit en général par l’élaboration de méthodes opérationnelles d’observations et de mesures. l’une d’elle consiste à élaborer – et cela n’a rien d’implicite ni d’immédiat –, des indicateurs de biodiversité pour donner en particulier un aperçu, sous la forme d’une information simple, quantifiable et reproductible, de l’état et de l’évolution de la biodiversité, elle-même très multiforme selon le point de vue adopté (économique, naturaliste, politique, citoyen), le milieu étudié (réserve, forêt « ordinaire » multifonctionnelle, forêt tropicale, forêt de production, etc.) ou encore l’échelle considérée (du territoire plus ou moins grand à la propriété individuelle, du suivi sur quelques années à la construction de scénarios sur cinquante ans et plus). le programme BGF a donc initié et soutenu la réalisation de cette réflexion d’ouverture sur les indicateurs de la biodiversité forestière. Certains auteurs des articles qui suivent ont été impliqués dans l’animation ou la réalisation des projets de recherche du programme, d’autres ont été invités spécifiquement en raison de leurs compétences. l’objectif était de rendre compte de façon large sinon consensuelle des indicateurs utilisés ou en développement et d’initier le débat entre différents points de vue en couplant réflexions et retour d’expériences. n Mériem Fournier (AgroParisTech) Présidente du Conseil scientifique du programme « Biodiversité, gestion forestière et politiques publiques » 13 Introduction les indicateurs écologiques et socio-économiques de biodiversité forestière C ’est au sein de la communauté des naturalistes que le terme de « biodiversité » a fait son apparition dans les années quatrevingt. Complexe et subtile dans son fonctionnement d’une part, menacée dans son intégrité et fondamentale pour les sociétés humaines d’autre part, la biodiversité s’est rapidement émancipée du cadre strict des sciences biologiques, acquérant bientôt une dimension économique, sociale mais aussi morale et éthique (cf. Peyron, page 85). la Convention sur la diversité biologique, adoptée en 1992 lors du Sommet de la Terre à rio de Janeiro, a accompagné cette prise de conscience, en reconnaissant notamment l’importance des services offerts à l’homme par la biodiversité (utilisation durable de la biodiversité) et la responsabilité de ce dernier dans sa conservation. deux visions interdépendantes de la biodiversité ont progressivement émergé : centrée sur la compréhension des processus naturels qui déterminent le fonctionnement des écosystèmes, la première repose essentiellement sur la description de la structure et de la composition de la biodiversité à ses diverses échelles. la seconde est à l’inverse davantage centrée sur la société qui perçoit ces processus, en recueille les fruits et les perturbe par ses usages ou pour d’autres motifs. le présent ouvrage concrétise une réflexion menée entre 2006 et 2011 sur les indicateurs écologiques et socio-économiques de biodiversité en milieu forestier. animée par le Gip ecofor avec le soutien des ministères en charge du développement durable et de l’agriculture, elle s’est concrétisée par l’organisation de réunions, par la réalisation d’études ciblées et par la coordination de cette synthèse. Ce travail est ainsi le fruit d’une expertise collective menée pour et avec les acteurs de la gestion durable des forêts que sont les représentants des mondes scientifique, institutionnel, professionnel et associatif. 14 Qu’ils soient ici remerciés pour leur implication à nos côtés, qui s’est exprimée à fois par le partage de leurs savoirs et de leurs questionnements. I. Les indicateurs écologiques de biodiversité forestière la prise de conscience politique de la fragilité des écosystèmes forestiers date du début des années quatre-vingt-dix. des rendez-vous marquants, pris à l’échelle internationale et européenne, ont abouti progressivement à la reconnaissance des besoins de suivis de la biodiversité forestière et à la construction de séries d’indicateurs conçues à différentes échelles. la réflexion initiée en 2006 au sein du programme de recherche « Biodiversité, gestion forestière et politiques publiques » s’est construite autour de quelques questions structurantes liées à la production et à l’utilisation des indicateurs de biodiversité : • Des indicateurs pour caractériser quelle biodiversité ? • Des indicateurs pour quoi faire ? Pour qui ? • Des indicateurs à quelle échelle spatiale et temporelle ? • Quelles conditions de réussite ? Construit autour de ces questions, l’article introductif (Bonhême, page 21) permet de clarifier les concepts, d’apporter des éléments de cadrage sur le champ de biodiversité à suivre, sur les liens entre la nature des données récoltées et les indicateurs associés et sur les différents acteurs concernés. Une grille descriptive des indicateurs de biodiversité forestière est ensuite proposée afin de préciser la signification, la validité et l’usage de chaque indicateur ainsi que pour caractériser les données utilisées. n deux approches pour appréhender la biodiversité les données dont nous disposons actuellement pour suivre l’état et l’évolution de la biodiversité forestière sont actuellement peu nombreuses. après avoir analysé l’existant et pointé ses lacunes, le panel d’experts à jugé pertinent de réaliser plusieurs études-test, pour (i) évaluer la pertinence du jeu d’indicateurs nationaux de biodiversité forestière1 (Nivet et al., page 41), (ii) analyser l’utilité des indicateurs taxonomiques de biodiversité forestière (Nivet et al., page 59) et (iii) caractériser la force des relations qui existent entre la structure du paysage (ou de l’habitat local) et la richesse spécifique de plusieurs groupes taxonomiques (cf. encadré, page 45). Ces études reposent essentiellement sur deux grands types d’indicateurs. Indicateurs de biodiversité construits à partir de données structurelles Cette première approche, qualifiée de « structurelle », est actuellement la plus répandue dans le cadre de la gestion durable des forêts. elle consiste à privilégier l’usage d’indicateurs de biodiversité fondés sur la récolte de données relatives à la structure des peuplements, des massifs forestiers et des paysages. Il s’agit donc de données liées, c’est du moins le présupposé, à la présence ou à l’abondance de certaines espèces. Cette approche, qui offre généralement aux gestionnaires une information parlante et à moindre coût, s’accompagne néanmoins d’incertitudes au niveau des liens présumés entre ce type d’indicateurs et l’état réel de la biodiversité forestière. C’est une caractéristique du milieu forestier que d’avoir mobilisé les données fournies par les inventaires forestiers nationaux pour renseigner les indicateurs de biodiversité. Centrée sur ces derniers, la synthèse de Nivet et al. (page 41) se base essentiellement sur une étude coordonnée en 2007 par l’Inventaire forestier national (Hamza et al., 2007)2. l’analyse, qui porte sur des thématiques variées allant de la diversité des essences à la fragmentation du paysage en passant par le suivi des espèces menacées, des forêts protégées ou encore du degré de naturalité des forêts (cf. critère 4 des indicateurs de gestion durable des forêts françaises métropolitaines, relatif à la biodiversité), est structurée à partir du modèle conceptuel de référence Pression-état-réponse, qui semble adapté à l’évaluation de la durabilité d’un système de gestion3. l’analyse permet de dégager les principales améliorations possibles et précise les besoins prioritaires de recherche à plus ou moins long terme pour consolider le système d’indicateurs existant. les indicateurs nationaux de biodiversité actuellement disponibles ne permettent de fournir que des vues partielles de la diversité biologique. Pour acquérir une vision plus synthétique, des auteurs plaident actuellement pour le développement d’indicateurs de biodiversité basés sur l’intégration de plusieurs jeux de données ou indicateurs. À l’échelle nationale, Peyron (page 57) propose ainsi l’élabo- MAP-IFN, 2006. les indicateurs de gestion durable de forêts françaises, édition 2005. Paris : Ministère de l’Agriculture et de la Pêche-Inventaire forestier national, 148p. 2 Hamza N., Boureau J.G., Cluzeau C., Dupouey J.L., Gosselin F., Gosselin M., Julliard R. et Vallauri D., 2007. évaluation des indicateurs nationaux de biodiversité́ forestière. Nogent-sur-Vernisson : Gip-Ecofor-Inventaire Forestier National, 133 p. 3 Ce système de classement des indicateurs, qui met la société en position d’acteur vis-à-vis de l’environnement, dépasse la vision strictement écologique de la biodiversité. 1 15 ration d’un indicateur de biodiversité basé sur les critères et indicateurs de gestion durable établis au niveau européen (dans le cadre de Forest Europe4). Il s’appuie principalement sur les indicateurs du critère 4 d’Helsinki (relatif à la biodiversité) et effleure ceux du critère 1 (relatif aux ressources forestières). À l’échelle du peuplement, des initiatives existent également. l’exemple le plus connu est sans doute celui de l’Indice de biodiversité potentielle (IBP), un outil développé en 2008 qui permet à tout propriétaire forestier d’intégrer la biodiversité taxonomique ordinaire dans le cadre de sa gestion courante. Cet indicateur structurel composite, qui agrège dix facteurs clés pour lesquels des relations avec les taxons forestiers sont documentées, cristallise un certain nombre de critiques, relatives notamment à la finesse du diagnostic, à la pertinence écologique de l’indice, à la pondération de ses critères, etc. Cependant, il est inscrit depuis peu dans la Stratégie nationale pour la biodiversité («engagements de l’état » 2011-2013). les concepteurs de cet outil ont donc été sollicités a posteriori pour préciser son domaine d’utilisation, ses limites et envisager ses perspectives d’amélioration (larrieu et Gonin, page 73). Indicateurs de biodiversité construits à partir de données taxonomiques la seconde approche, qualifiée de « taxonomique », consiste au contraire à introduire au sein des jeux d’indicateurs existants des indicateurs établis à partir de données de richesse ou d’abondance de différentes espèces (ou de tout autre niveau de classification, depuis les allèles jusqu’au groupe d’espèces). Force est de constater qu’il existe aujourd’hui très peu d’indicateurs basés sur ce type de données : à l’échelle européenne, aucun système de suivi global autre que celui sur les espèces en danger (liste rouge UICN) n’existe. dans les pays forestiers tels que la France, où les suivis de biodiversité forestière s’appuient essentiellement sur les données des inventaires forestiers nationaux, les indicateurs taxonomiques sont rares et concernent le plus souvent des espèces qui ne sont pas forcément les plus forestières, ni les plus menacées (flore vasculaire, oiseaux). l’ajout de ce type d’indicateurs dans les systèmes existants permettrait sans doute de mieux évaluer les pratiques de gestion. la possibilité de compléter les indicateurs de gestion forestière durable par des indicateurs taxonomiques de biodiversité est ainsi étudiée dans la synthèse de Nivet et al. (page 59), qui se base sur les propositions de Gosselin et dallari (2007)5. l’article analyse en amont la place que tiennent les suivis taxonomiques de biodiversité en France et à l’étranger, s’interroge sur les taxons à suivre en priorité – en lien avec la définition d’objectifs clairs (veut-on évaluer l’état de la biodiversité ? l’impact d’une politique sur la biodiversité ? etc.) – et propose des pistes de réflexion concernant les deux étapes clés pour la mise en place opérationnelle de ces suivis que sont le type de données à récolter et le plan d’échantillonnage. n évaluer la diversité génétique des essences forestières les études-tests menées dans le cadre de cette réflexion traitent essentiellement de la composante spécifique et paysagère de la biodiversité forestière. or la biodiversité englobe aussi la variabilité génétique des populations, la diversité fonctionnelle des communautés ou bien encore la diversité des écosystèmes. le fait de disposer, à l’échelle (supra-)nationale, d’indicateurs de la diversité génétique des espèces - en particulier pour les essences forestières - est aujourd’hui considéré comme primordial. la diversité intra-spécifique des arbres tient en particulier une place majeure dans l’éventail des processus qui déterminent le potentiel adaptatif des espèces et des écosystèmes forestiers. Pourtant, la palette des indicateurs de biodiversité actuels ne repose sur le suivi direct d’aucune donnée à cette échelle. l’ampleur de ce projet n’a pas permis de faire le point sur ce type d’indicateurs. Néanmoins, des membres de la Commission des ressources génétiques forestières ont été sollicités a posteriori pour brosser les perspectives qu’ils nourrissent en la matière. on apprend notamment que la technique du marquage moléculaire est de plus en plus largement utilisée Processus pan-européen qui s’appuie sur les Conférences ministérielles pour la protection des forêts en Europe (CMPFE). Gosselin F. et Dallari R., 2007. des suivis « taxonomiques » de biodiversité en forêt. Pourquoi ? Quoi ? Comment ? Nogentsur-Vernisson : Gip Ecofor-Cemagref, 119 p. 4 5 16 à mesure que son potentiel d’analyse augmente et que son coût décroît (Collin et al., page 79). II. Les indicateurs socioéconomiques de biodiversité forestière depuis la publication du rapport d’évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Mea, 2005)6, diverses initiatives ont remis en exergue l’importance de la biodiversité et des implications que représente son érosion d’un point de vue économique et social. Citons notamment, à l’échelle internationale, la publication en 2010 d’une étude coordonnée par Pavan Sukhdev qui montre, à travers une analyse coûts-avantages, l’intérêt d’agir contre l’érosion de la biodiversité et la dégradation des écosystèmes (de l’économie des écosystèmes et de la biodiversité, 2010). À l’échelle nationale, la publication, par le Conseil d’analyse stratégique, de travaux relatifs à la prise en compte de la valeur socio-économique de la biodiversité et des services écosystémiques (Chevassus-au-louis et al., 2009)7 et de l’impact des subventions publiques et des dépenses fiscales sur la biodiversité (Guillaume Sainteny et al., 2011)8 concrétisent également l’intégration de la dimension socio-économique de la biodiversité dans les politiques publiques. la biodiversité se trouve ainsi en étroite relation avec les activités humaines qu’elle alimente ou favorise et qui, parallèlement, l’affectent ou contribuent à sa sauvegarde, voire à son développement. Pour caractériser ces relations, des représentants du monde de la recherche et des milieux professionnel et associatif ont été sollicités sous la forme de contributions écrites, introduites par l’article de Peyron (page 85). Ils abordent les indicateurs de biodiversité sous l’angle des services écosystémiques offerts par la forêt (levrel, page 91), des impacts que celle-ci subit (Houdet et al., page 115 ; Beaudesson, page 123 ; vallauri, page 127) et des réponses qui peuvent être apportées pour éviter ces derniers, les réduire ou les compen6 ser (lescuyer, page 133 ; Quenouille et al., page 139) selon l’importance qu’ils tiennent des points de vue des représentations sociales (raymond, page 103 ; Terrasson et al., page 109) comme du fonctionnement écologique (Bouvron, page 97). Ces articles ne constituent en aucun cas un recueil d’indicateurs que chacun pourrait mobiliser pour ses besoins. Ils proposent néanmoins des pistes dans cette direction, qui permettent de prendre conscience de l’ensemble du domaine à décrire et d’éviter certains écueils. Pour conclure, comme l’ont écrit Chevassus-au-louis et al. (2009), « notre connaissance de la biodiversité, de sa relation avec les fonctions et services que les sociétés humaines s’y procurent, de sa magnitude et des processus qui régissent son évolution reste […] largement lacunaire ». Si ce recueil d’articles ne traite pas de la biodiversité forestière dans toutes ses composantes (et ses interactions), ni à toute ses échelles (spatiale et temporelle), il offre néanmoins des pistes de réponse et ouvre des perspectives : il donne un aperçu de la variété des approches existantes, du point de vue de la recherche et du développement, voire de la gestion et des moyens à mettre en œuvre pour une amélioration continue des jeux d’indicateurs. Il illustre également la nécessité d’élaborer des jeux d’indicateurs supplémentaires qui répondent à des objectifs clairs, en particulier pour évaluer l’état de la biodiversité et l’impact des politiques publiques sur cette dernière. Ce travail souligne aussi l’intérêt de créer des passerelles entre les sciences économiques et sociales et les sciences écologiques pour affiner l’efficacité opérationnelle des jeux d’indicateurs de biodiversité forestière, tout comme celle des indicateurs de gestion durable des forêts françaises. dans l’esprit du Grenelle de l’environnement, cette publication s’inscrit enfin dans un processus d’ouverture de la communauté des spécialistes à l’ensemble de la société et à la diversité des utilisateurs de ce type d’indicateurs. n Cécile Nivet Chargée de mission pour le Gip Ecofor Millenium Ecosystem Assessment (MEA), 2005. ecosystem and Human Well-Being: synthesis. Island Press,137p. Chevassus-au-Louis B., Salles et J-M, Pujol J-L, 2009. rapport du Centre d’analyse stratégique : approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes. La Documentation française, 376p. 7 8 Sainteny G., Salles J-M., Duboucher P., Ducos G., Marcus V., Paul E., Auverlot D. et Pujol J-L., 2011. rapport du Centre d’analyse stratégique : les aides publiques dommageables à la biodiversité. Centre d’analyse stratégique, 333p. 17 18 PArtIe I Les indicateurs écologiques de biodiversité forestière 19 20 les indicateurs écologiques de biodiversité forestière : questions introductives Ingrid Bonhême* *Gip Ecofor Introduction au lancement en 2006, par le programme « Biodiversité gestion forestière et politique publiques » (BGF), d’une animation scientifique sur les indicateurs de biodiversité forestière, étaient à la fois présentes une grande perplexité et une forte attente. Une grande perplexité d’abord, dans la mesure où la disponibilité en indicateurs de biodiversité forestière était mince et où les potentialités d’études du domaine pour en développer de nouveaux était au contraire extrêmement étendues : par où commencer, quelles sont les priorités ? le panel d’experts réunis au cours de ce travail a permis de sérier les questions principales auxquelles il faut d’abord répondre et les points primordiaux qu’il ne faut pas oublier lorsque l’on souhaite développer des indicateurs de biodiversité forestière. Certains de ces questionnements ont donné lieu à des études dont les apports sont repris dans cette partie introductive mais aussi dans les parties suivantes. Une forte attente aussi, puisque les engagements français en termes de biodiversité commençaient à se concrétiser sur le territoire national : Convention sur la diversité biologique, Conférences ministérielles sur la protection des forêts en europe (devenu Forest Europe par la suite) et leurs déclinaisons nationales. enfin, de manière générale, la prise de conscience des problématiques de biodiversité dépassait la communauté scientifique pour toucher de plus en plus le grand public, les acteurs de terrain et les décideurs et il devenait donc urgent de se rattacher à quelques éléments simples mais pertinents pour suivre l’évolution de la biodiversité et communiquer autour de celle-ci dans les différentes sphères concernées. Cette partie introductive concerne les indicateurs écologiques de biodiversité forestière ; elle s’attache à reprendre en les commentant les grandes questions qui ont été posées par les experts du panel assemblé par le Gip ecofor à cette occasion dans le but de délimiter le cadre d’un système de suivi de la biodiversité forestière. I. Définitions Selon la Convention sur la diversité biologique, la diversité biologique, ou biodiversité, est la « variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité des espèces et entre les espèces ainsi que celle des écosystèmes ». Chevassus-au-louis et al. (2009) précisent que la variété des espèces n’est qu’une partie de la diversité biologique ; la diversité au sein des espèces (diversités génétique et comportementale) est un autre facteur important de la biodiversité, de même que la diversité des écosystèmes, la répartition des êtres vivants sur la planète, les interactions fonctionnelles entre les espèces et la place des différents groupes fonctionnels dans le fonctionnement de l’écosystème sont des éléments primordiaux pour caractériser la biodiversité. levrel (2007a) définit un indicateur comme « un outil d’évaluation indirecte d’un phénomène qu’il est trop coûteux de (vouloir) mesurer directement ». 21 les indicateurs de biodiversité sont des outils d’évaluation de la biodiversité construits à partir de données descriptives (qualitatives, quantitatives) mesurées périodiquement et qui permettent de faciliter le suivi des évolutions relatives à la biodiversité. les indicateurs de biodiversité forestière sont la restriction des indicateurs de biodiversité appliqués au domaine forestier. on distinguera les indicateurs écologiques de biodiversité forestière qui s’attachent à décrire la biodiversité forestière du point de vue de l’écologie forestière et les indicateurs socioéconomiques qui traitent de la dimension sociale et économique de la biodiversité. II. Des indicateurs pour caractériser quelle biodiversité ? la biodiversité est impossible à caractériser dans son intégralité et c’est pourquoi il est intéressant de détenir les indicateurs les plus représentatifs du champ de biodiversité que l’on décide de suivre. dans cette optique, les connaissances écologiques sur les différents niveaux d’organisation de la biodiversité ou les différents types de biodiversité permettent, en fonction des objectifs assignés au suivi, de sérier le champ de biodiversité à suivre d’une part et les indicateurs les plus représentatifs de celui-ci d’autre part. n Niveau d’organisation et types de biodiversité la biodiversité est classiquement décrite selon ses différents niveaux d’organisation, génétique, taxonomique et écosystémique. Par ailleurs, la description de la biodiversité se fait toujours à une échelle précisée. dans l’analyse de la diversité taxonomique, par exemple, on parle de diversité alpha pour l’échelle locale (parcelle d’observation), de diversité bêta pour mesurer la ressemblance entre deux communautés, du point de vue de leur composition et de diversité gamma à l’échelle d’un ensemble de communautés (Gosselin et laroussinie, 2004). Quels que soient l’échelle et le niveau d’organisation de la biodiversité considérés, on peut aussi répartir ses composantes en fonction d’autres ré22 férences comme, par exemple, leur rareté ou au contraire leur banalité ou leur rôle dans l’écosystème ou bien leur caractère emblématique pour la société humaine. C’est ainsi que certains auteurs distinguent la biodiversité ordinaire, la biodiversité remarquable et la biodiversité fonctionnelle. Gosselin et al. (2009) les décrivent comme suit. « La biodiversité remarquable concerne espaces et espèces rares et/ou menacés, parfois objet de protections spécifiques (parcs nationaux, réserves, espèces protégées, etc.). En forêt, les espaces protégés correspondent le plus souvent aux forêts « subnaturelles » et à certains milieux intraforestiers limités, notamment les zones humides. Utile pour la faune directement liée à ces formations (insectes saproxyliques et chauve-souris, batraciens), cette politique de réserves nécessairement limitées et réparties sur le territoire a peu d’impact sur les autres espèces remarquables plus mobiles, spécifiques de la forêt, telles que grands mammifères ou oiseaux. Ces espèces font l’objet des plans nationaux de restauration des espèces menacées ». « La biodiversité ordinaire est la biodiversité non remarquable. C’est pour les citoyens une biodiversité de proximité. Ses enjeux commencent par l’échelle locale des écosystèmes, socialement vécue, passent par l’échelle du paysage et du territoire, socialement perçue, pour arriver aux niveaux régional, national et européen, auxquels les analyses des tendances sont souvent les plus pertinentes – simplement parce que c’est à ces niveaux qu’on peut espérer produire des informations fiables avec un coût raisonnable pour la société ». La biodiversité fonctionnelle est « […] la partie de la biodiversité qui joue un rôle important dans le fonctionnement durable des écosystèmes, au sens des grands flux d’éléments (eau, carbone, minéraux) et d’énergie ; et au sens des interactions biotiques façonnant l’écosystème (prédation, parasitisme, symbioses, etc.). Le lien entre biodiversité inter-spécifique ou infra-spécifique et fonctionnement de l’écosystème est un champ de recherches très actif. À cette biodiversité fonctionnelle sont attachés l’essentiel des « services environnementaux » promus récemment par le « Millennium ecosystem assessment » (20051). La forêt y est identifiée pour ses fonctions environnementales, économiques et sociales (eau, CO2, etc.). Les niveaux de biodiversité forestière les plus souvent cités dans ce volet fonctionnel sont la diversité génétique des arbres, la diversité des organismes du sol et les grands prédateurs ». Cette dernière présentation de la biodiversité (ordinaire, remarquable, fonctionnelle) offre l’avantage de proposer aux décideurs et aux gestionnaires une vision simplifiée des enjeux écologiques de la préservation. Cependant, d’autres « typologies de biodiversité » existent évidemment, on peut par exemple vouloir analyser la biodiversité en la scindant en biodiversité animale, végétale, microbienne ou en différents groupes d’organismes ayant des fonctions différentes dans l’écosystème. Ces différentes typologies, loin de s’opposer, sont complémentaires et renvoient en réalité à des questionnements distincts, adaptés à des centres d’intérêt bien définis de la part de ceux qui les utilisent. n Choix du champ de la biodiversité à suivre le choix du champ de la biodiversité à suivre, que l’on appellera « biodiversité ciblée » par la suite devrait se faire sur la base d’un compromis entre : • les enjeux et les objectifs des utilisateurs (qui résultent aussi parfois d’arbitrage entre besoins), • les préconisations des scientifiques, en termes de validité écologique, de choix des variables et protocole de mesure des données, • les possibilités techniques et financières de ceux qui vont assurer la collecte des données et la fabrication des indicateurs. Comme le suggère levrel (2007b), l’explication du compromis réalisé devrait être conservée en mémoire dans la perspective d’une amélioration continue des indicateurs. 1 les préconisations scientifiques permettant de faire un choix d’indicateurs représentatifs de biodiversité ont été synthétisées par Chevassus-au-louis et al. (2009) ; il s’agit, à travers la batterie d’indicateurs choisie, de : • « rendre compte, à partir d’un nombre nécessairement limité d’entités facilement observables, d’un ensemble beaucoup plus vaste et encore en grande partie inconnu ; • décrire les différents niveaux d’organisation de la biodiversité (génétique, spécifique, écologique) en s’appuyant, au moins aujourd’hui, sur des métriques spécifiques à chaque niveau et incommensurables ; • dépasser l’inventaire des entités pour prendre en compte l’importance des interactions entre elles, que ce soit à court terme comme fondement des services des écosystèmes ou à long terme comme moteur de l’adaptation du vivant ; • percevoir et mesurer, à l’échelle humaine, des variations éventuelles de cette biodiversité et l’évolution des facteurs responsables de ces variations, en particulier les activités humaines ». Malgré les progrès scientifiques, on mesure encore la difficulté de la mise en place d’un panel d’indicateurs répondant à toutes ces conditions. n Interprétation écologique de la biodiversité suivie la part de biodiversité que l’on choisit de suivre, la « biodiversité ciblée », étant évidemment partielle par rapport à la globalité de la biodiversité, il est utile de la resituer dans un cadre plus général sur la biodiversité du milieu concerné pour en affiner sa signification écologique. le niveau d’organisation, l’échelle d’analyse et le type de biodiversité ciblée apportent des éléments pour caractériser la signification écologique de la biodiversité ciblée. Pour préciser encore la signification écologique des variations de l’indicateur ainsi construit, il est également primordial de connaître le lien qui le relie aux autres composantes de l’écosystème. Cf. le site http://www.maweb.org 23 ainsi, pour répondre à la question initiale « des indicateurs pour caractériser quelle biodiversité ? », il faut avant tout clarifier : • les enjeux et les objectifs du suivi, • le champ de biodiversité concerné par ces enjeux, au regard des connaissances scientifiques. Une fois le champ identifié, les indicateurs les plus pertinents pour le représenter peuvent être identifiés au vu des connaissances scientifiques en écologie forestière et des possibilités techniques. III. Des indicateurs écologiques de biodiversité forestière, pour quoi, par qui, pour qui ? depuis les engagements internationaux sur le développement durable (rio, 1992) et ceux qui en ont découlés (Forest Europe, Convention sur la diversité biologique), les indicateurs sont l’objet de toutes les attentions. Ce sont en effet pour l’instant les outils les mieux adaptés au suivi de l’état des écosystèmes à grande échelle. au-delà des engagements internationaux, le suivi des évolutions relatives à la biodiversité forestière peut être fait avec des objectifs divers et concerne des publics variés. n des indicateurs, dans quels buts ? les objectifs des utilisateurs les objectifs assignés aux systèmes de suivi des indicateurs peuvent être multiples : suivi de l’état de la biodiversité de l’échelle nationale à l’échelle locale, suivi de la mise en œuvre de politiques publiques ou de gestion de limitation de la perte en biodiversité, suivi des pressions qui s’exercent sur la biodiversité, apport de connaissances scientifiques sur le fonctionnement des écosystèmes, etc. Cependant, la mise en place d’un suivi doit répondre à des besoins. dès lors, il est indispensable de les identifier le plus clairement possible. Chaque utilisateur doit d’abord définir ses propres besoins et ensuite les confronter à ceux des autres utilisateurs potentiels afin de les affiner soit en les dif24 férenciant soit en les faisant converger. À l’échelle nationale, les ministères en charge de l’agriculture et du développement durable expriment de nombreuses attentes en matière de suivi de la biodiversité, cependant les besoins ne semblent pas clairement identifiés. Il apparaît maintenant crucial d’avancer en ce sens afin de déterminer si une convergence des objectifs des systèmes de suivi est possible ou s’il faut envisager de différencier les systèmes. Fonctions des indicateurs de biodiversité forestière au-delà des objectifs assignés au système de suivi par les utilisateurs, les indicateurs peuvent avoir différentes fonctions. Pour levrel (2007b), un indicateur a toujours trois fonctions : « représenter un phénomène, agir ou communiquer sur celui-ci ». Cependant, en général, une fonction prime sur les autres. de son côté, Gosselin (2006) distingue des indicateurs « simples » ayant comme méthode sous-jacente la communication et les indicateurs « d’analyse » ayant un intérêt d’ordre scientifique. les indicateurs permettant de communiquer auprès du grand public ou entre acteurs aux intérêts divergents sont focalisés sur les objets d’intérêts (par exemple, une espèce emblématique pour le grand public ou une espèce chassée pour un conflit chasseur-forestier) alors même que ces objets ne suffisent pas à caractériser la biodiversité forestière d’un point de vue scientifique. les indicateurs pour agir de levrel ou les indicateurs d’analyse de Gosselin sont centrés sur des enjeux de gestion, de politique publique ou scientifiques. Ils doivent représenter au mieux la biodiversité concernée par ces enjeux. Ils servent à comprendre le fonctionnement de l’écosystème d’une part et à orienter la gestion et la politique d’autre part. Ces indicateurs sont ceux auxquels nous nous intéressons majoritairement dans cette partie introductive. dans un classement de type « Pression-état-réponse » (oCde, 1994), ils seraient des indicateurs de pression ou d’état selon le cas. Pressions état réponses Information État de activitÉs Économique et naturelles environnemental Pressions Information air Industrie eau agriculture Sol autre Ressources du monde et des ressources énergie Transport acteurs l’environnement humaines administrations Ménages réponses sociétales ressources naturelles entreprises (décisions – actions) International réponses sociétales (décisions – actions) Figure 1 : modèle « Pressions-État-Réponses » de représentation des indicateurs environnementaux, d’après l’OCDE (OCDE, 1994). Modèle « Pressions-état-réponses » : une classification qui favorise l’action a travers le système de référence « Pressions-étatréponses », l’oCde propose une répartition des indicateurs environnementaux, selon qu’ils caractérisent les pressions des activités humaines sur l’environnement, l’état de celui-ci ou les réponses sociales permettant de compenser les effets négatifs des pressions (figure 1) (oCde, 1994). Cette méthode de classement des indicateurs (ou sa variante dPSIr, pour « Force motrice-Pressions-étatImpact-réponses ») bien que perfectible (levrel, 2007b) a cependant un intérêt évident : elle met la société en position d’acteur vis-à-vis de l’environnement. et, selon les décisions prises, la société se met en position de réduire ou d’augmenter sa pression sur l’écosystème. en cela, cette classification permet de soutenir l’action des décideurs. Ce modèle peut parfaitement être appliqué aux indicateurs de biodiversité et c’est d’ailleurs ce qu’a fait Hamza (2007) dans son travail d’analyse des indicateurs du critère biodiversité des indicateurs de gestion durable des forêts françaises (MaP-IFN, 2006), facilitant ainsi la possibilité pour les décideurs de s’emparer de ces résultats pour orienter leurs décisions. Sur les quinze indicateurs nationaux concernés, cinq ont été classés comme des indicateurs de pression, huit comme des indicateurs d’état et enfin deux comme des indicateurs de réponse de la société pour limiter ses pressions sur la biodiversité forestière. dans cette étude, de nouveaux indicateurs ont en outre été proposés pour parvenir à un meilleur équilibre entre ces différentes catégories d’indicateurs (cf. Nivet et al., page 41). Si cette classification a un intérêt pour des utilisateurs-décideurs, son usage pour un jeu d’indicateurs donné n’est pas toujours aussi évident qu’il y paraît et des discussions contradictoires apparaissent au sein de la communauté scientifique lorsqu’il s’agit de placer un indicateur dans telle ou telle catégorie, des indicateurs pouvant à la fois être perçus comme des indicateurs d’état et comme des indicateurs de pression selon le point de vue duquel on se place, s’agissant par exemple d’une diversité taxonomique des essences totalement ou partiellement contrôlée 25 par le gestionnaire (cf. Nivet et al., page 41). Sofie Blanchart (2010) reproche également à ce type de modèle d’être trop simpliste dans sa représentation des liens de cause à effet entre les indicateurs de gestion durable, ce modèle n’étant pas satisfaisant si l’on cherche à expliquer les phénomènes écologiques. Comme alternative, elle propose une carte mentale représentant les relations entre indicateurs de gestion durable, la représentation permet de déterminer les indicateurs qui ont le plus d’interactions avec les autres indicateurs. lorsque l’on se place du point de vue de la biodiversité, les indicateurs relatifs aux conditions du sol (2.2), à la composition en essences (4.1) et au bois mort (4.5) se trouvent être au centre des interactions, alors même qu’ils ne sont pas renseignés de manière systématique au sein des différents pays européens. Pour conclure, on retiendra que l’utilisation de ce type de modèle n’est pas systématiquement pertinente et qu’elle est plutôt adaptée à un système de suivi s’intéressant, au-delà de l’état de la biodiversité, à la mise en œuvre des politiques publiques et aux pratiques de gestion. n de la conception à l’utilisation, les différents acteurs concernés les différents acteurs qui s’intéressent aux indicateurs de biodiversité forestière constituent un public varié : les scientifiques, les instituts de données statistiques, les décideurs, les gestionnaires et le grand public. Ils peuvent être regroupés en trois catégories « fonctionnelles » ayant des espaces d’intersection entre-elles : les concepteurs, les fabricants et les utilisateurs (figure 2). les concepteurs définissent les indicateurs, c’està-dire les éléments qui précisent sa définition, son sens, la manière dont il est construit, sa qualité, Utilisateurs Ex : grand public, décideurs, associations régionales de certification forestière3, etc. Ex : certains gestionnaires et propriétaires forestiers Concepteurs Ex : scientifiques Fabricants Ex : Amateurs - MNHN2, IFN Figure 2 : représentation schématique du rôle des différents acteurs s’intéressant aux indicateurs de biodiversité 2 3 26 Muséum national d’Histoire naturelle Le nouveau schéma PEFC supprime cependant la nécessité d’indicateurs au niveau régional etc. Ce sont eux aussi qui délimitent les conditions d’utilisation d’un indicateur. Ce sont en général des scientifiques. après les avoir construits, ils peuvent devenir des fabricants et des utilisateurs dans le cadre de leurs projets de recherche, on les retrouve alors à l’intersection des trois disques de la figure 2. la fabrication, qui va de la collecte de données à la construction et à la représentation de l’indicateur sous sa forme finale (chiffrée ou visuelle), intègre en général plusieurs catégories de personnes (collecte d’information sur le terrain, saisie, traitement statistique, etc.). Parmi les fabricants d’indicateurs, on distingue des « fabricants amateurs » (cas des volontaires pour le suivi des papillons par le MNHN2) ou bien des « fabricants professionnels ». Ces spécialistes collectent des données et produisent des indicateurs à partir de celles-ci, selon le protocole défini par les concepteurs. on pense ici notamment à l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN). Ils peuvent aussi participer à leur conception et les utiliser. les « utilisateurs simples » sont les usagers qui se contentent d’utiliser les indicateurs sans participer à leur définition ou à leur renseignement. Ils appartiennent à des sphères très diverses. Ce sont par exemple les décideurs, les associations de certification forestière, les enseignants, le grand public. Ils peuvent devenir des « utilisateurs-fabricants » lorsqu’ils vont à la fois récolter les données nécessaires au renseignement de l’indicateur et utiliser le résultat pour orienter leur action. les gestionnaires ou les propriétaires forestiers peuvent être dans cette catégorie où les deux disques utilisateurs et fabricants s’interceptent. évidemment, chaque acteur concerné par les indicateurs peut se retrouver dans les trois catégories fonctionnelles selon les moments, cependant il reste souvent majoritairement rattaché à l’une de ces trois catégories. lors du processus de construction d’un système de suivi, il peut être utile que chacun des acteurs s’identifie à l’un de ces groupes fonctionnels afin que son rôle y soit plus clairement reconnu. Il s’agit d’éviter, par exemple, que les fabricants ne décident seuls des indicateurs à produire oubliant alors qu’il est d’abord nécessaire que les utilisateurs aient définis les objectifs, que les concepteurs aient proposés des indicateurs permettant d’y répondre avant qu’ils mettent en perspective les limitations techniques qui les concernent. des objectifs initiaux aux indicateurs finalement choisis, bon nombre d’interactions entre acteurs sont nécessaires, il s’agit dès lors de favoriser un esprit de collaboration entre acteurs tout en sachant que chacun a un rôle particulier à jouer. IV. Quels liens entre la biodiversité ciblée, les indicateurs et la nature des données ? le schéma de la figure 3 tente de résumer les différentes étapes de la construction d’un indicateur, c’est-à-dire le passage d’une « biodiversité ciblée » au choix et à la caractérisation d’un indicateur pour la représenter puis à la définition des données à mesurer et enfin à la récolte de celles-ci puis à la valeur prise par l’indicateur. Il devient alors évident d’une part que l’indicateur se distingue de la biodiversité ciblée et des données récoltées et d’autre part que la caractérisation de chacun d’entre eux et de leurs liens est nécessaire. les données utilisées pour construire les indicateurs écologiques de biodiversité peuvent être de différentes natures. Sont utilisées, par exemple, des données taxonomiques, génétiques, sylvicoles, paysagères, chimiques, etc. Ces données sont collectées (selon un protocole précis) puis traitées (agrégées, transformées par le calcul, etc.) afin de construire un indicateur. Celui-ci reflète la biodiversité directement afférente aux données collectées mais il pourra aussi éventuellement donner des informations sur d’autres composantes ou niveaux d’organisation de la biodiversité, si des liens entre les deux ont été préalablement établis scientifiquement, c’est le postulat des indicateurs « indirects ». on parle souvent, dans le milieu forestier, d’ « indicateurs directs » pour des indicateurs construits à partir de données taxonomiques et d’ « indicateurs indirects » pour des indicateurs construits 27 Choix de la biodiversité à cibler Biodiversité ciblée évaluation de la précision de l’indicateur Choix d’un indicateur pour représenter la biodiversité ciblée Caractéristiques de l’indicateur - description : nom, variable et unité, définition, source, périodicité actuelle, calculs, compromis effectués lors du choix, etc. - signification écologique et validité scientifique : échelle d’utilisation pertinente, niveau d’organisation de la biodiversité caractérisée, type de biodiversité caractérisée, groupes taxonomiques ou écologiques représentés par l’indicateur, conditions écologiques de validité, niveau de précision, force et significativité des résultats, forme de la relation entre l’indicateur et la biodiversité ciblée, publications, réserves et avantages actuels - usage : place dans la classification dPSIr, utilisateurs potentiels Données sur la biodiversité ciblée faciles à caractériser : mesures de celles-ci Indicateur direct Définition des données à mesurer Données sur la biodiversité ciblée difficiles à acquérir : mesures de données plus faciles à acquérir ayant un lien caractérisé avec la biodiversité ciblée Indicateur indirect Caractéristiques des données - nature - variable(s) et unité(s) - définition - protocole et échelle de mesure - source de données - périodicité de mise à jour souhaitable - réserves et avantages actuels sur les données Récolte des données et construction de l’indicateur : agrégation de données, calculs, composition Valeur prise par l’indicateur forme chiffrée, graphique, commentaires sur son évolution, etc. Biodiversité évaluée par l’indicateur Figure 3 : schématisation des liens entre biodiversité ciblée, données, indicateurs et biodiversité évaluée par l’indicateur et attributs de chacune de ces composantes, la précision étant entendue comme le degré de proximité entre la valeur mesurée et la valeur réelle de la biodiversité 28 à partir de données caractérisant le peuplement forestier (de nature dendrométrique, taxonomique, etc.). Cette approche suppose, de façon abusive, que la composante principale de la biodiversité soit la biodiversité taxonomique qui peut donc être mesurée soit directement, soit indirectement en présumant que le peuplement forestier a une influence connue sur le reste de la biodiversité forestière. En réalité, la notion d’indicateur direct ou indirect doit pouvoir s’appliquer aux différentes composantes de la biodiversité et pas uniquement à la composante spécifique. en effet, cette notion indique le fait que les données mesurées donnent directement ou non des informations sur celles que l’on veut caractériser, c’est-à dire la biodiversité ciblée. on pourrait prendre l’exemple bien connu des données taxonomiques de la flore qui apportent une indication sur la richesse minérale et organique des sols, ce sont des « espèces indicatrices » de la richesse du sol. on utilise dans ce cas des données taxonomiques pour caractériser chimiquement un substrat. des espèces indicatrices de la présence d’autres espèces (donc des données taxonomiques servant à construire des indicateurs indirects) sont d’ailleurs recherchées par les scientifiques, il s’agit alors d’indicateurs taxonomiques indirects. Il existe évidemment des liens privilégiés entre certains types de données et certains niveaux d’organisation de la biodiversité : les données taxonomiques caractériseront la biodiversité taxonomique même si ensuite ces données peuvent aussi être utilisées pour caractériser la biodiversité fonctionnelle par exemple. Ainsi, la nature des données qui sont échantillonnées pour fabriquer un indicateur ne préjuge pas forcément du niveau d’organisation ou du type de biodiversité qui sera indiqué par l’indicateur. Il est donc primordial de préciser, pour un indicateur donné, la composante (taxonomique, génétique, écosystémique, etc.) de la biodiversité qui est décrite et la nature des données utilisées. À partir de ces informations capitales, on pourra, si on le souhaite, qualifier l’indicateur de « direct » ou d’« indirect », cette qualification étant secondaire par rapport à l’information précédente. V. Quelles échelles pour les données et les indicateurs ? la question des échelles spatiale et temporelle auxquelles devaient être développés les indicateurs de biodiversité a été posée dès le début de la mission confiée au Gip ecofor. Il ne semble pas qu’il y ait une solution unique, au contraire, les échelles préconisées sont en général liées aux besoins des acteurs concernés. on remarque d’ailleurs que les échelles temporelles sont autant sujettes à discussion que les échelles spatiales. n échelle spatiale des indicateurs de biodiversité forestière peuvent être développés pour donner des indications à différentes échelles : • nationale, régionale, • du paysage, • de la parcelle. Il existe une demande en indicateurs de biodiversité forestière au niveau national émanant des ministères (en charge de l’agriculture et du développement durable) mais aussi au niveau régional (associations régionales de certification forestière) et enfin au plus près du terrain de la part des gestionnaires ou des collectivités locales. Une sorte de consensus semble émerger pour que soient d’abord consolidés les indicateurs nationaux (les indicateurs régionaux étant pour une bonne part des déclinaisons des indicateurs nationaux) avant de travailler sur les indicateurs locaux. Il est important de distinguer l’échelle de collecte des données et celle de la présentation des indicateurs qui sont en général différentes. Par ailleurs, il est parfois possible que des données servent à la fois pour construire des indicateurs au niveau national, régional voire local (si l’échantillonnage statistique a été conçu à cet effet et sur certains indicateurs ayant une signification à toutes ces échelles). Cependant, en général des adaptations ou le recours à d’autres indicateurs sont nécessaires lorsque l’on change d’échelle spatiale. 29 Gosselin et dallari (2007) estiment que compte tenu des contraintes logistiques (liées à la collecte des données), il serait préférable de privilégier le développement d’indicateurs taxonomiques directs liés à des suivis de biodiversité à de larges échelles (biogéographique, nationale ou européenne) plutôt que régionalement ou plus localement (cf. Nivet et al., page 59). S’il est certain que les informations nationales et régionales sont plébiscitées par les ministères, les associations régionales de certification de gestion forestière durable, etc., le point de vue de ces auteurs convient moins bien à ceux qui, localement, souhaiteraient pouvoir bénéficier d’informations sur la biodiversité de leur forêt. en outre, s’il semble possible que des experts se mettent d’accord sur une liste d’indicateurs de biodiversité améliorée au niveau national, l’établissement d’une liste d’indicateurs pertinents au niveau local semble plus complexe à établir car elle devra être adaptée et discutée pour chaque zone. Il n’est donc pas évident de pouvoir rassembler des spécialistes pour construire un éventail d’indicateurs adaptés à chaque fois que cela serait nécessaire. l’idée de larrieu et Gonin (2008) de développer un indicateur synthétique4, l’indice de biodiversité potentielle (IBP), à l’échelle du peuplement forestier est séduisante. en effet, selon ces auteurs, cet indicateur ne préjuge pas de la biodiversité réelle mais il indique que le peuplement se trouve dans une situation où, selon les données bibliographiques, la biodiversité devrait être de très forte à très faible en fonction de la valeur que prend l’IBP. Il permet aussi par son rendu visuel en graphique radar de diagnostiquer les facteurs améliorables par la gestion en vue d’un bénéfice pour la biodiversité. l’utilisation de cet indice ne requiert pas de compétences naturalistes particulières, ainsi tout gestionnaire forestier devrait être en mesure de s’en servir. Moyennant des adaptations en fonction de la zone biogéographique, il a en outre l’intérêt de couvrir un domaine d’application large allant des domaines atlantiques et continentaux, jusqu’aux étages montagnards et subalpins. Son ajustement est en cours de validation scientifique (cf. larrieu et Gonin, page 73). Cela en fait un outil très opérationnel de pilotage de la gestion à l’échelle de la parcelle, son utilisation n’étant pas validée pour d’autres usages que celui-là. en plus des questions d’échelle spatiale, les questions relatives à l’échelle temporelle sont aussi très importantes pour définir une méthode de suivi de la biodiversité. n échelle temporelle les indicateurs étant conçus pour permettre de suivre l’évolution dans le temps de la biodiversité, il faut donc prévoir avec quelle périodicité sont renouvelées les mesures permettant la construction des indicateurs. la périodicité souhaitée du renouvellement peut être différente selon les acteurs et est à étudier au cas par cas (levrel, 2007b). Par exemple, les gestionnaires peuvent vouloir évaluer l’impact de leur gestion sur la biodiversité à une échelle de pas de temps de dix ans, les politiques à une échelle annuelle et les scientifiques à une échelle saisonnière. au-delà des échéances auxquelles chacun des acteurs veut rendre compte ou gérer, il semble important que les scientifiques puissent définir l’échelle temporelle adaptée à chaque indicateur de biodiversité pour un suivi « en routine », c’est-à-dire une fois que la bonne fréquence pour le phénomène étudié (Jactel et al., 2006) ait pu être établie par des suivis expérimentaux assez fréquents. Par ailleurs, si les besoins d’information des utilisateurs sont différents de ceux préconisés par les scientifiques pour un suivi en routine, il devrait être possible de leur fournir des estimations approchées pour les échéances qui les intéressent. VI. Conditions de réussite au-delà de la clarification des points discutés dans les précédents paragraphes, un certain nombre de conditions supplémentaires doivent être remplies Un indicateur synthétique permet, à lui seul, de rendre compte de différents aspects de la biodiversité (cf. également Peyron, page 57). 4 30 pour le développement et l’utilisation d’un jeu d’indicateurs de biodiversité forestière. • il soit envisagé dans un processus d’amélioration continue. ainsi, pour qu’un système de suivi de la biodiversité réponde aux besoins, il est nécessaire de veiller à ce que : la question du cadre du suivi a été discutée aux paragraphes précédents, les trois autres conditions de réussite sont discutées ci-après. • le cadre du suivi (objectifs, biodiversité ciblée, utilisateurs et échelle) soit clairement défini ; • sa qualité soit reconnue par les différents acteurs ; • il puisse perdurer sur le long terme grâce à des moyens permettant d’assurer la quantité et la qualité idoine des données ; n Qualité des indicateurs et du système de suivi OCDE Il existe différents critères pour apprécier la qualité d’un indicateur ; le tableau 1 présente, en les mettant en correspondance, quand cela est possible, des critè- Desrosières (2003) et Levrel (2007b) Bubb et al., 2010 Pertinence : adéquation entre l’outil et les besoins de l’utilisateur Correspondant aux besoins des utilisateurs Pertinence politique actualité et ponctualité par rapport aux échéances décisionnelles Précision : proximité entre la valeur estimée et la vraie valeur validité scientifique : a) lien validé entre l’indicateur et l’objet qu’il représente ainsi que sur leurs évolutions respectives b) données utilisées fiables et vérifiables Solidité analytique Cohérence relative à la méthode de standardisation des données issues de sources différentes et aux interprétations que les données entraînent Sensibilité de l’indicateur aux changements susceptibles d’affecter l’objet qu’il représente Comparabilité des données Caractère quantifiable accessibilité des données statistiques existence (préalable) et persistance des données dans le temps Clarté de la présentation des données pour les instances décisionnaires Facilement compréhensible a) conceptuellement b) dans sa représentation c) dans l’interprétation Utilisé pour : mesurer des progrès, alerter précocement sur des problèmes, comprendre un phénomène, faire du suivi, etc. Tableau 1 : parallélismes entre critères de qualité ou critères de succès d’un indicateur, selon différents auteurs. 31 res de qualité des indicateurs, présentés par différents auteurs. S’ils se recoupent en grande partie, on peut cependant noter que Bubb et al. (2010) ajoutent un critère « facilité de compréhension » par rapport aux propositions des autres auteurs. le type d’utilisation, apparaît également parmi les critères de qualités définis par ces auteurs ; cependant sauf si on l’entend comme la nécessité de la clarification des objectifs, il ne constitue pas en soi un critère de qualité. Si les critères présentés dans le tableau 1 concernent la qualité d’un indicateur, ils sont également valables pour caractériser la qualité d’un système de suivi. Pour levrel (2007b), la qualité des indicateurs (entendu alors dans le sens du système de suivi) résulte de la qualité des arbitrages pris entre les différents critères de qualité. le consensus établi équivaut bien alors à la validation par les acteurs de la qualité du système. Certains de ces critères de qualité vont maintenant être interrogés. Il s’agit de les affiner et de déterminer les contraintes qui s’appliquent à eux. n validité scientifique des indicateurs de biodiversité définition Selon les auteurs, la validité scientifique (le terme de Bubb et al., 2010 est choisi ici), recouvre des caractéristiques similaires mais pas exactement iden- Indicateur de biodiversité envisagé tiques, la qualité des données au sens large étant incluse ou non dans la notion de validité scientifique (cf. tableau 1). Gosselin (2006) et Gosselin et al. (2008) ne font pas référence à la validité scientifique mais au « caractère indicateur » des indicateurs, c’est-àdire à la capacité de l’indicateur à représenter ce qu’il est censé représenter. Il indique qu’il est nécessaire, pour caractériser ce caractère indicateur, de connaître pour chaque indicateur écologique de biodiversité : • les groupes taxonomiques et écologiques représentés par l’indicateur ; • les conditions écologiques de validité de l’indicateur ; • la force et la significativité des résultats ; • la forme de la relation entre l’indicateur et la biodiversité : indicateur en moyenne, en variance voire en équitabilité ; • les publications qui justifient ces résultats. la « force et la significativité des résultats » dont parlent Gosselin et al. (2008) sont à rapprocher de la notion de « précision » évoquée par desrosières (2003) pour exprimer le degré de proximité de la valeur mesurée et de la valeur réelle de la biodiversité. Ce degré de proximité pourrait être exprimé comme un pourcentage de la biodiversité mesurable qu’il parvient à représenter puisque le niveau réel de la biodiversité ne peut pas être mesuré. Plus Mesure « exhaustive » de la biodiversité Niveau réel de la biodiversité 100 % pratique 100 % théorique écart mesurable servant à évaluer la « précision » de l’indicateur envisagé écart non-mesurable, supposé faible Figure 4 : schéma illustrant le taux de biodiversité représenté par un indicateur 32 Taux de biodiversité représentée par l’indicateur (ou précision) l’indicateur est précis et plus l’écart entre la valeur donnée par l’indicateur et la valeur donnée par la mesure exhaustive est faible (figure 4). on estime a priori que la mesure donnée par l’indicateur est moins précise que la mesure « exhaustive » de la biodiversité, la mesure exhaustive de la biodiversité est dans ce cas définie comme la biodiversité mesurée de façon la plus exhaustive possible dans les conditions expérimentales. l’écart entre la valeur donnée par l’indicateur et celle donnée par la mesure exhaustive est mesurable en condition expérimentale et la valeur de la mesure exhaustive peut alors servir de référence pour évaluer la précision de l’indicateur envisagé. en effet, on choisira le niveau de biodiversité mesurable comme référence (100 % pratique) plutôt que celui de la biodiversité réelle (100 % théorique) car il n’est évidemment pas possible de connaître le niveau réel de la biodiversité. Ces considérations suggèrent que la description d’un indicateur devrait toujours être associée à la caractérisation de sa validité scientifique afin que les acteurs qui l’utilisent en connaissent les potentialités et les limites éventuelles. Pour Bubb et al. (2010), la validité scientifique repose a) sur l’existence d’un lien validé entre l’indicateur et l’objet qu’il représente, mais aussi sur b) l’utilisation de données fiables et vérifiables (tableau 1). Sur la base des travaux de Gosselin (2006) et Gosselin et al. (2008) et de Bubb et al. (2010), la validité scientifique des indicateurs repose donc sur : • la définition des groupes taxonomiques et écologiques représentés par l’indicateur ; • l’utilisation de données fiables et vérifiables ; • la description des conditions écologiques de validité de l’indicateur ; • le niveau de précision de l’indicateur, la précision étant entendue comme le degré de proximité de la valeur donnée par l’indicateur et la valeur réelle de la biodiversité ; • la forme de la relation entre l’indicateur et la biodiversité : indicateur en moyenne, en variance voire en équitabilité ; • la citation des publications qui justifient ces résultats. Contraintes des acteurs les acteurs qui participent à la construction d’un indicateur subissent des contraintes qui limitent l’expression de la validité scientifique des indicateurs, que ce soit au niveau de leur définition ou bien de la collecte de données. Ces contraintes sont présentées ici pour les différents types d’acteurs décrits dans la partie III. les concepteurs, à l’origine de nouveaux indicateurs, ont des contraintes fortes car ils doivent définir les indicateurs les plus pertinents et les plus valides scientifiquement alors que les connaissances concernant le fonctionnement de l’écosystème (relations entre les espèces, les liens entre espèces et habitats, entre espèce et traits fonctionnels, etc.) sont limitées. Ils sont donc amenés à arbitrer entre différents indicateurs imparfaits à leurs yeux. dans un souci pragmatique, ils sont aussi fortement influencés dans leurs choix par la disponibilité des données qui pourraient servir à construire ces indicateurs. les utilisateurs, quant à eux, recherchent les indicateurs pertinents pour répondre à leurs questions. Pour cela, ils ont éventuellement le choix entre plusieurs indicateurs définis par les concepteurs mais souvent, ils ne disposent d’aucun indicateur validé par leurs concepteurs, aussi utilisent-ils souvent des indicateurs existants peu adaptés à leur besoin initial. leur contrainte principale est donc la disponibilité d’indicateurs validés et renseignés pour la composante de la biodiversité qui les intéresse. les fabricants ont également des contraintes qui limitent les choix envisageables d’indicateurs validés scientifiquement : par exemple et au premier chef, le coût des mesures en elles-mêmes, mais aussi, le niveau de connaissances (taxonomique par exemple), le temps disponible pour faire des mesures, etc. Cela explique qu’ils peuvent parfois se tourner vers des indicateurs peu pertinents, non validés scientifiquement mais moins contraignants pour eux. n Qualité et quantité des données Si l’on veut mieux pouvoir suivre la biodiversité forestière française, il sera nécessaire que des indicateurs supplémentaires soient construits, que les 33 indicateurs existants soient améliorés et enfin que des données puissent les alimenter. le dispositif français semble actuellement amendable. Un des points contraignant actuellement l’amélioration des indicateurs de biodiversité est celui de la collecte de données de biodiversité à une échelle nationale, comme cela est fait pour les données sylvicoles par l’IGN. la récolte de données doit être pensée pour permette, grâce à l’échantillonnage et le protocole adéquats, d’alimenter des indicateurs prédéfinis. respect d’un protocole et la compétence technique des observateurs dans un programme de bénévoles que dans un organisme professionnel. Cependant, il se peut également que le réseau de bénévoles soit justement constitué par des naturalistes amateurs très compétents. ainsi, le recours à un institut spécialisé ou à un réseau amateur doit être étudié au cas par cas, la collecte de données devant, quoi qu’il en soit, s’appuyer sur des personnes compétentes qui s’engagent à respecter le protocole approprié. Des données bien choisies et bien interprétées le choix des indicateurs, et donc des données qui lui donneront naissance est primordial pour l’interprétation qui découlera des mesures (figure 3). C’est aux scientifiques, principaux concepteurs, que reviennent ces choix afin de garantir la bonne validité scientifique des indicateurs. au même titre que les informations concernant l’indicateur stricto sensu, la description des données nécessaires à sa construction doivent être consignées et il est important que les scientifiques puissent partager leur expertise en ce domaine. l’amélioration des systèmes de suivi de la biodiversité repose avant tout sur des choix politiques. les engagements français en termes de limitation de l’érosion de la biodiversité dans le cadre le Convention sur la diversité biologique devraient cependant peser en faveur d’une amélioration de ces suivis de biodiversité. la mise en place de l’observatoire national de la biodiversité (lancement officiel en 2011) et la Stratégie nationale pour la biodiversité (publiée pour la première fois en 2004) en sont des illustrations positives. Des données bien mesurées et représentatives les données doivent être collectées selon un protocole et un échantillonnage précis permettant d’optimiser la qualité des données et la représentativité de l’indicateur à construire à l’échelle voulue, sur ce point également l’expertise scientifique est importante. la fiabilité des données repose également sur la compétence des personnes qui, sur le terrain, les relève. Pour construire des indicateurs au niveau national, la représentativité des données est une question importante, il est en effet nécessaire de s’appuyer sur des données suffisamment abondantes pour qu’elles soient effectivement représentatives. la qualité et la quantité des données sont en effet indissociables en termes d’inventaire. les outils à disposition des pouvoirs publics pour développer la collecte de données de biodiversité sont les institutions spécialisées (comme l’IGN, les Conservatoires botaniques, etc.) ou les réseaux de volontaires (exemple du programme vigie Nature du Muséum national d’Histoire naturelle). Si le recours à des réseaux de bénévoles permet une collecte peu onéreuse de données, la fiabilité de celles-ci devrait être évaluée. Il est en effet plus difficile de maîtriser le 34 n Processus d’amélioration continue au gré des avancées scientifiques ou des possibilités de collecte d’information sur le terrain, les indicateurs et les données doivent pouvoir évoluer. Il s’agit d’améliorer en continu la qualité des protocoles, des mesures des données et des indicateurs. Pour cela, une veille ou une démarche « qualité » du type de celles développées dans les certifications ISo pourrait être envisagée pour le suivi des indicateurs écologiques de biodiversité au niveau national (Jactel et al., 2006). de même, Bubb et al. (2010) proposent un schéma (figure 5) représentant le processus de développement itératif des indicateurs où les étapes de construction alimentent la réflexion au niveau des autres étapes. Par exemple, les valeurs prises par les indicateurs alimentent le choix des objectifs de gestion et déterminent les questions clés et l’usage de l’indicateur. on se trouve bien dans le cadre d’un processus d’amélioration continue, processus faisant d’ailleurs partie intégrante de la gestion adaptative qui cherche également à se doter d’indicateurs (Chauvin et al., 2011). Identifier et consulter les décideurs/les utilisateurs Identifier les objectifs de gestion et les valeurs cibles déterminer les questions clés et l’usage de l’indicateur développer un modèle théorique Identifier les indicateurs possibles rassembler et analyser les données Calculer la valeur des indicateurs Développer des systèmes de suivis Communiquer et interpréter les résultats Tester et affiner les indicateurs en lien avec les décideurs et les utilisateurs Figure 5 : schéma du cadre de développement des indicateurs de biodiversité, d’après Bubb et al. (2010) VII. Proposition d’une grille descriptive des indicateurs de biodiversité forestière les réunions d’experts et les études financées dans le cadre de ce travail sur les indicateurs ont mis en exergue certaines questions et ont permis de proposer quelques réponses présentées dans les paragraphes précédents. les questions généralement posées étaient des questions de clarification. Il semblait en effet nécessaire pour avancer dans la démarche que tous les acteurs soient d’accord sur les mots. aussi, sur la base des clarifications proposées dans cette synthèse et en prenant appui sur la grille qu’utilise l’IGN (Hamza et al., 2007), sur la trame proposée par la Stratégie nationale pour la biodiversité (2011-2020) et sur la figure 3, nous proposons ci-dessous une grille descriptive des indicateurs de biodiversité forestière. elle a pour objet de mettre noir sur blanc les caractéristiques à renseigner pour chaque indicateur et pour les données associées, ceci indépendamment de la présentation de la valeur chiffrée ou graphique de l’indicateur. Pour valider cette grille, il faudrait la compléter pour chacun des indicateurs actuellement à notre disposition et en discuter collectivement. 35 NOm DE L’INDICATEuR Échelle à laquelle utiliser l’indicateur 1) Description de l’indicateur Identité de l’indicateur Nom détaillé (éventuellement) : Définition : Variable et unité : Source (organisme qui renseigne cet indicateur) : Périodicité actuelle de disponibilité de l’indicateur : Repères vis-à-vis de documents de référence : o indicateurs français de gestion durable des forêts, n° indicateur (MAAPRAT-IFN, 2011) : Thème Forest europe éventuel : o Indicateur international de la CDB5 o Indicateur de l’ONB8 6 o Indicateur européen SEBI (EEA, 2007) o Indicateur de développement durable INSEE7 (INSEE, 2008) Calculs nécessaires à la construction de l’indicateur : o Indicateur composite (fabriqué à partir de plusieurs types de données) o Agrégation de données o Autres calculs Détails de la méthode de construction : Contrainte actuelle concernant la pertinence : Compromis effectué pour le choix de cet indicateur : 2) Signification et validité scientifique de l’indicateur a) Signification écologique Type de biodiversité caractérisée par l’indicateur : o biodiversité ordinaire o biodiversité remarquable o biodiversité fonctionnelle Niveau d’organisation concernée et groupes taxonomiques ou écologiques représentés par l’indicateur : o génétique, groupe concerné : ____________________________________ o taxonomique , groupe concerné : _________________________________ o écosystémique, groupe concerné : ________________________________ o fonctionnelle, groupe concerné : _________________________________ o comportementale, groupe concerné : ______________________________ Echelle(s) d’utilisation pertinente(s) : o nationale/internationale o régionale o locale, échelle précise : Commentaires sur les échelles d’utilisation : Lien entre la biodiversité ciblée par l’indicateur et les autres composantes de la biodiversité (avec références bibliographiques) : Convention sur la diversité biologique - www.cdb.int/2010-target/framework/indicators.shtml Streamlining European Biodiversity Indicators 7 Institut national de la statistique et des études économiques 8 Observatoire national de la biodiversité - www.indicateurs-biodiversite.naturefrance.fr/indicateurs/tous 5 6 36 b) Validité scientifique : - populations, groupes taxonomiques et écologiques représentés par l’indicateur - fiabilité et vérifiabilité des données - conditions écologiques de validité de l’indicateur, domaine d’application - précision (degré de proximité de la valeur donnée par l’indicateur et la valeur réelle de la biodiversité) - forme de la relation entre l’indicateur et la biodiversité ciblée - publications scientifiques qui justifient ces résultats Réserves et avantages scientifiques actuels concernant l’indicateur : 3) Usage de l’indicateur Interprétation de l’indicateur en lien avec la gestion (plusieurs réponses sont possibles) : o indicateur d’état, explication : o indicateur d’impact, explication : o indicateur de pression, explication : o indicateur de réponse, explication : o indicateur de force motrice, explication : utilisateurs potentiels principaux : o gestionnaires o décideurs o grand public o autre : __________________ 4) Données écologiques utilisées Nature des données : o génétiques o taxonomiques o de structure forestière o autre, précisez : Nom de la ou des variables utilisées : unité des données : Définition des données : Échelle de mesure des données : Données existantes : o OUI, source actuelle de données : o NON Protocole à respecter pour le relevé des données : Biodiversité caractérisée par les données brutes : o Identique à celle de l’indicateur => indicateur direct o Différente à celles de l’indicateur => indicateur indirect Périodicité de mise à jour souhaitable, en suivi de routine : Réserves et avantages actuels concernant la fourniture des données : lacunes, récupération, format, fiabilité, précision, périodicité possible/souhaitable, problème technique, etc. 37 Conclusion références bibliographiques après avoir passé en revue les questions de clarification sur le champ de la biodiversité à suivre, les liens entre données et indicateurs et les différents acteurs concernés, les conditions de réussite décrites permettent de se rendre compte que le développement d’un panel d’indicateurs de biodiversité forestière n’en est qu’à ses balbutiements. Blanchart S., 2010. Mapping the complex interactions of sustainable forest management: an indicator based network approach. Master thesis. Nancy: agroParisTech-eFI-oeF, 90 p. des efforts dans le domaine de la définition d’indicateurs pertinents seront particulièrement nécessaires dans les années à venir. le temps de la construction d’indicateurs à partir des données existantes semble révolu puisque cela ne permet que d’apporter des informations peu en phase avec les préoccupations des utilisateurs. À l’heure du Grenelle et de la gestion participative, il devient nécessaire de passer à une étape d’amélioration continue et de co-construction entre acteurs du jeu d’indicateurs de biodiversité forestière. Par ailleurs, leur déploiement à l’échelle nationale sera indispensable si l’on veut répondre aux engagements pris par la France dans ce domaine (Forest Europe, Convention sur la diversité biologique). Il semble donc pour l’instant plus important de se focaliser sur cette échelle même si des travaux intéressants se développent à l’échelle de la parcelle (cf. larrieu et Gonin, p.73). n Remerciements : Je tiens à remercier Marion Gosselin, Cécile Nivet et Frédéric Gosselin pour leur relecture attentive. Bubb P., almond r., Kapos v., Stanwell-Smith d. and Jenkins M., 2010. Guidance for national biodiversity indicator developpement and use. Cambridge (UK) : UNeP-WCMC, 27 p. Chauvin C., Fuhr M. et Cordonnier T., 2011. Indicateurs de gestion durable et gestion adaptative. Communication orale, Colloque « Indicateurs forestiers, sur la voie d’une gestion durable ». Montargis, Irstea-IFN-Gip ecofor, 6-7 décembre 2011. Chevassus-au-louis B., Salles J.-M. et Pujol J.-l., (coord.), 2009. Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes. Contribution à la décision publique. Paris : Centre d’analyse stratégique, 376 p. + annexes. desrosières, 2003. la qualité des quantités, Courrier des statistiques, n°105-106, p.51-63. eea, 2007. Halting the loss of biodiversity by 2010: proposal for a first set of indicators to monitor progress in Europe. luxembourg : european environment agency, 186 p. Gosselin M. et laroussinie o., coordonnateurs, 2004. Biodiversité et gestion forestière. Connaître pour préserver. Synthèse bibliographique. Nogentsur-vernisson : co-édition Gip ecofor-Cemagref, 320 p. + Cd-rom. Gosselin F., 2006. Pour une évaluation du caractère indicateur des indicateurs de biodiversité. Communication orale, Réunion de lancement de l’animation scientifique sur les indicateurs de biodiversité forestière du programme de recherche « biodiversité et gestion forestière ». Paris : Gip-ecofor, 23 mai 2006. Gosselin F., archaux F. et Gosselin M., 2008. Suivre la biodiversité en forêt : pourquoi ? Quoi ? Comment ? Actes du colloque « de l’observation des écosystèmes 38 forestiers à l’information sur la forêt ». Paris : Symposciences-Quae, 2-3 février 2005, p.26-32. Gosselin F. et dallari r., 2007. Des suivis taxonomiques de biodiversité en forêt ? Pourquoi ? Sur quels groupes d’espèces et comment ? Rapport de recherche. Nogent-sur-vernisson : Cemagref-Gip ecofor, 38 p. + annexe 4. Gosselin F., Bouget C., Gosselin M., Chauvin C. et landmann G., 2009. L’état et les enjeux de biodiversité forestière en France dans landmann G., Gosselin F. et Bonhême I., coordonnateurs, 2009. Bio 2, Biomasse et biodiversité forestières. Augmentation de l’utilisation de la biomasse forestière : implications pour la biodiversité et les ressources naturelles. Paris : MeeddM-Gip ecofor, p.63-69. disponible sur le site Biomadi, onglet « le projet Biomadi ». MaaPraT-IFN, 2011. les indicateurs de gestion durable des forêts françaises, édition 2010. Paris : MaaPraT-IFN, 200 p. MaP-IFN, 2006. Les indicateurs de gestion durable de forêts françaises, édition 2005. Paris : Ministère de l’agriculture et de la Pêche-Inventaire forestier national, 148 p. organisation de Coopération et de développement economique (oCde), 1994. Indicateurs d’environnement : Corps central de l’OCDE. Paris : oCde. INSee, 2008.les indicateurs de développement durable. l’économie française, dossier, p.51-71. Hamza N., Boureau J.G., Cluzeau C., dupouey J.l., Gosselin F., Gosselin M., Julliard r. et vallauri d., 2007. Évaluation des indicateurs nationaux de biodiversité forestière. Nogent-sur-vernisson : Gipecofor-Inventaire Forestier National, 133 p. Jactel H., Barbaro l. et van Halder I., 2006. vers des indicateurs d’habitat pour la biodiversité des forêts ? Communication orale, Réunion de lancement de l’animation scientifique sur les indicateurs de biodiversité forestière du programme de recherche « biodiversité et gestion forestière ». Paris : Gip ecofor, 23 mai 2006. larrieu l. et Gonin P., 2008. l’indice de biodiversité potentielle (IBP) : une méthode simple et rapide pour évaluer la biodiversité potentielle des peuplements forestiers, Revue forestière française, vol. 60 (6), p.727-748. levrel H., 2007a. Indicateurs de biodiversité forestière pour les forêts françaises. etat des lieux et perspectives, Revue forestière française, vol. 59(1), p.45-56. levrel H., 2007b. Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ? Paris : IFB, 94 p. 39 40 évaluation des indicateurs nationaux de biodiversité forestière Cécile Nivet*, Marion Gosselin**, Hélène Chevalier*** *Gip Ecofor **Institut de recherche pour l’ingénierie de l’agriculture et de l’environnement (IRSTEA) ***Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) Contexte organisée à rio de Janeiro en juin 1992, la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement permet, pour la première fois, d’aborder conjointement les préoccupations relatives à la conservation et à l’exploitation forestière. elle aboutit notamment à l’adoption d’une déclaration non contraignante sur les principes forestiers qui promeut un nouveau concept, celui de « gestion forestière durable ». le relais de cette conférence à l’échelle pan-européenne se fait un an plus tard, dans le cadre du processus d’Helsinki initié en juin 1993 lors de la deuxième Conférence ministérielle pour la protection des forêts en europe1. les pays s’engagent à produire périodiquement un rapport national sur la situation en matière de gestion forestière durable. en France, ce rapport est produit tous les cinq ans depuis 1995. Il s’intitule « les indicateurs de gestion durable [IGd] des forêts françaises métropolitaines » (MaaPraT-IFN2, 2011) et regroupe, pour chacun des six critères de gestion durable d’Helsinki (cf. encadré 1), des indicateurs quantitatifs3 élaborés dans le cadre des conférences ministérielles et des indicateurs complémentaires destinés à prendre en compte la spécificité de la forêt française4. Centrés sur la biodiversité, les indicateurs du critère 4 (critère relatif à la biodiversité) abordent des thématiques allant de la diversité des essences à la fragmentation du paysage en passant par les espèces forestières menacées, les forêts protégées, la naturalité, etc. C’est à ces derniers que cette synthèse s’intéresse suite à la publication des réflexions d’un groupe de travail piloté par l’Inventaire forestier national (Hamza et al., 2007)5, qui a évalué la pertinence du jeu d’indicateurs de biodiversité de l’édition 2005 des IGd. l’édition 2010 de ces indicateurs marque une rupture avec les éditions précédentes, principalement en raison : • de l’adoption par l’IFN de la définition internationale de la forêt (Fao, 2010) : « la forêt est un territoire occupant une superficie d’au moins 50 ares [soit un demi hectare] avec des arbres capables d’atteindre une hauteur supérieure à cinq mètres à maturité in situ, un couvert arboré de plus de 10 % et une largeur d’au moins 20 mètres »6 ; • du changement de méthode d’inventaire de l’IFN fin 2004, qui permet désormais la publication annuelle de statistiques nationales, interrégionales et régionales, basées sur une fenêtre glissante de cinq campagnes nationales annuelles7,8. Ce processus pan-européen à été rebaptisé Forest europe. Depuis le 1er janvier 2012, l’Institut forestier national a fusionné avec l’Institut géographique national, qui s’appelle dorénavant l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN). Dans la suite de cet article, l’ancienne appellation est conservée. 3 35 indicateurs européens fondés sur ceux de la conférence de Vienne (2003). 4 19 indicateurs français à ce jour. 5 C’est principalement à partir de ce rapport d’expertise qu’a été rédigé cet article. 6 La nouvelle et l’ancienne définition sont disponibles sur le site de l’IFN (http://www.ifn.fr), sous l’onglet « Définitions ». 7 Auparavant l’échantillon devait être basé sur cinq campagnes pour fournir des résultats, aussi bien nationaux que régionaux. 8 Cf. MAAPRAT-IFN, 2011 : les avertissements (page 4). 1 2 41 du fait de ces changements, les données 2005 et 2010 s’avèrent difficilement comparables. dans l’édition 2010, le lecteur est même invité à considérer les résultats comme un état zéro des indicateurs construits à partir des nouvelles données de l’IFN. la présente synthèse porte essentiellement sur les indicateurs de biodiversité de l’édition 2005 même si les principales évolutions méthodologiques apportées par l’IFN en 2010 sont mentionnées. elle analyse la cohérence d’ensemble des indicateurs du critère « biodiversité » à travers le système de référence Pression-état-réponse, ainsi que la pertinence de chaque indicateur de biodiversité et les besoins de recherche exprimés. étant donnée l’ampleur des évolutions survenues entre les éditions 2005 et 2010, les pistes d’amélioration proposées en 2007 par le groupe de travail n’ont été prises en compte qu’à la marge en 2010. elles seront cependant reprises dans le cadre de l’amélioration des éditions futures. I. Évaluation de la cohérence d’ensemble des indicateurs de biodiversité dans le modèle Pression-État-Réponse (PER) les indicateurs de gestion durable sont généralement structurés selon un modèle conceptuel de référence qui vise à faciliter l’analyse. le modèle le plus couramment utilisé par l’agence européenne de l’environnement et le ministère en charge du développement durable pour structurer les jeux d’indicateurs environnementaux est actuellement le modèle dPSIr9 (forces motrices – pression – état – impact – réponse). or, selon Hamza et al. (2007), ce modèle complexe s’adapte mal à l’analyse des indicateurs nationaux de biodiversité - le classement des indicateurs dans ce modèle montre en particulier l’absence totale d’indicateurs de force motrice et un très faible nombre d’indicateurs d’impact (seul l’indicateur relatif aux espèces menacées est concerné). le modèle Pression – état – réponse (Per), plus simple, semble plus adapté. dans ce modèle, des pressions dues aux activités humaines ou aux conditions biogéographiques influencent l’état de la biodiversité (composition, richesse ou abondance des différents niveaux taxonomiques). l’état constaté de la biodiversité entraîne des réponses, c’est-à-dire des décisions et actions en termes de politique forestière ou pratiques de gestion. Ces réponses modifient en retour le niveau et la nature des pressions. le groupe de travail a réparti les quinze indicateurs de biodiversité de la façon suivante (tableau 1): • Cinq indicateurs de pression dont trois sont directement liés à l’activité de gestion forestière courante : surfaces en régénération (4.2), en essences introduites (4.4) et en coupes fortes et rases (4.7.3). l’indicateur synthétique 4.3, qui cherche à quantifier le caractère naturel des forêts françaises par le biais de l’empreinte anthropique (exploitation, sylviculture), résulte de l’ensemble de ces pressions de gestion. Un cinquième indicateur relatif à la densité de cervidés aux cent hectares a été supprimé du critère 4 dans la mesure où il ne permettait pas de conclure quant à l’évolution de la biodiversité. • Huit indicateurs d’état de la biodiversité parmi lesquels Hamza et al. distinguent trois indicateurs taxonomiques et cinq indicateurs structurels de biodiversité (cf. encadré 1) : - les indicateurs taxonomiques sont élaborés à partir de données de présence-absence ou d’abondance de populations de différentes espèces (ou de tout autre niveau de classification, depuis les allèles jusqu’au groupe d’espèces). Construits à partir de données de l’IFN, les deux indicateurs 4.1 et 4.1.1 s’intéressent au suivi de la diversité des essences, par le biais de la diversité intra-peuplement et du degré de pureté des peuplements par essence principale. la proportion d’espèces forestières considérées comme menacées (4.8) est évaluée par le biais d’un indicateur élaboré à partir des listes rouges de Le modèle DPSIR (forces motrices – pression – état – impact – réponse) s’articule en cinq éléments, tous reliés par des liens de causalité : une force motrice, c’est-à-dire une activité ou un développement humain, provoque une pression sur l’environnement, caractérisée de façon quantitative et qualitative. Celle-ci se traduit par une modification de l’état général de l’environnement pouvant avoir un impact sur l’homme, l’environnement, l’économie, etc. Cet impact entraîne une réponse de la société qui se traduit à son tour par la mise en œuvre d’instruments qui vont agir sur les quatre éléments précédents. 9 42 Thème n° Libellé détaillé de l’indicateur édition 2005 Libellé détaillé de l’indicateur édition 2010 les indicateurs de pression régénération 4.2 Caractère naturel essences introduites organisation du paysage Forêts protégées 4.3 4.4 4.7.3 4.9.1 Surface en régénération dans les Surface en régénération dans les peuplements forestiers équiennes et peuplements forestiers, classés inéquiennes, classés par type de par type de régénération (naturelle, régénération (naturelle, artificielle, artificielle) et essence principale recépage de taillis) du peuplement Surface de forêts et autres terres boisées, classées en « non perturbées par l’homme », « semi-naturelles » ou « plantations », par type de forêts Surface de forêts et autres terres boisées composées principalement d’essences introduites Coupes fortes et rases Supprimé densité de cervidés aux 100 hectares du groupe de travail Supprimé suite aux réflexions du groupe de travail (Hamza et al., 2007) les indicateurs d’état Indicateurs taxonomiques (Cf. encadré 1) Composition en essences espèces forestières menacées 4.1 4.1.1 4.8 Surface de forêts et autres terres boisées, classées par nombre d’essences présentes et par type de forêts Pureté en surface terrière des Part de l’essence principale peuplements par essence principale dans les peuplements Proportion d’espèces forestières menacées, classées conformément aux catégories de la liste rouge de l’UICN Indicateurs structurels (Cf. encadré 1) Caractère naturel Bois mort 4.3.1 4.5 4.7 organisation du paysage 4.7.1 4.7.2 Surface de futaies régulières très âgées constituant des habitats spécifiques volume de bois mort sur pied et de bois volume de bois mort sur pied et de bois mort au sol dans les forêts et autres mort au sol dans les forêts et autres terres boisées classé par type de forêts, terres boisées classé par type de forêts dimension ou état de décomposition organisation spatiale du couvert Fragmentation du territoire forestier forestier du point de vue paysager en ensembles élémentaires (surface par classe de taille de massif) longueur de lisière à l’ha Temporairement indisponible longueur de lisière à l’ha par Supprimé type de peuplement national IFN les indicateurs de réponse ressources génétiques 4.6 Forêts protégées 4.9 Surface et nombre d’entités génétiques gérés pour la conservation et l’utilisation des ressources génétiques forestières (conservation génétique in situ et ex situ) pour la production de semences forestières et plants forestiers Surface de forêts et autres terres boisées protégées pour conserver la biodiversité, le paysage et des éléments naturels spécifiques, conformément aux recommandations d’inventaire de Forest Europe Surface gérée pour la conservation et l’utilisation des ressources génétiques forestières (conservation génétique in situ et ex situ) et surface gérée pour la production de semences forestières Tableau 1 : regroupement des indicateurs de gestion forestière durable du critère « biodiversité » dans le modèle Pression-État-Réponse, d’après Hamza et al. (2007) . 43 l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) ; - les indicateurs structurels sont établis à partir de quantités autres (dendrométriques, par exemple) qui décrivent la structure du peuplement ou du paysage et sont censées être liées à la présence ou à l’abondance de certaines espèces (ou de tout autre niveau de classification, depuis les allèles jusqu’au groupe d’espèces). a l’échelle du paysage, trois indicateurs abordent le thème de la fragmentation du territoire forestier via l’organisation spatiale des massifs (4.7) et la longueur de lisière à l’hectare (4.7.1 et 4.7.2). À l’échelle intra-peuplement, deux indicateurs évaluent les peuplements âgés par le biais des surfaces en futaies régulières très âgées (4.3.1) et les volumes associés au bois morts (4.5). • Deux indicateurs de réponse : ces indicateurs ont pour objectif d’évaluer l’état d’avancement de mesures spécifiques prises en faveur de la restauration, de la protection et/ou de la gestion des écosystèmes et de la biodiversité. on peut diviser l’indicateur 4.6 en deux parties distinctes : la première concerne l’utilisation des ressources génétiques pour la production de semences et de plants forestiers, une activité relative à la gestion courante – il ne s’agit donc pas d’un indicateur de réponse pour le critère biodiversité ; la seconde, au contraire, relève bien de la conservation des ressources génétiques (réseau de peuplements conservatoires). l’indicateur 4.9 relève aussi de la gestion conservatoire : il permet d’évaluer les surfaces forestières protégées au titre de la biodiversité (réserves biologiques, Parcs nationaux, etc.), des paysages et d’autres éléments naturels spécifiques (Parcs naturels régionaux, forêts de protection alluviales et périurbaines, etc.)10. Néanmoins, l’exercice qui consiste à classer ces indicateurs dans l’une de ces trois catégories s’avère difficile et tout relatif, notamment du fait des interactions multiples qui existent entre les composantes d’un même écosystème et de ce fait entre les indicateurs du critère 4 (ainsi qu’avec les indicateurs des autres critères). Prenons le cas d’un suivi d’abondance réalisé sur un groupe d’espèces donné : l’indicateur peut servir à se faire une idée précise de l’état (et de l’évolution) de ce groupe ou de l’état d’un autre groupe sur lequel le premier exerce une pression (positive ou négative). dans le premier cas, on aura plutôt tendance à classer l’indicateur parmi les indicateurs d’état, dans le second, parmi les indicateurs de pression. Globalement, la pertinence de ce type de modèle repose en grande partie sur des éléments pour lesquels nous manquons d’information ou de recul, en particulier (i) sur les liens (interactions) qui existent réellement entre les différents éléments de l’écosystème forestier, (ii) sur la nature des questions qui soustendent l’élaboration de l’indicateur (que veut-on savoir ?) et (iii) sur la signification des résultats fournis par l’indicateur du point de vue de la biodiversité (interprétation). Malgré tout, ce système simplifié permet une première évaluation de la cohérence d’ensemble des indicateurs du critère 4. on observe notamment : • une nette dominance d’indicateurs structurels basés sur des données de structure du peuplement ou du paysage ; ces indicateurs sont tous directement liés à des pratiques de gestion, ce qui semble cohérent pour un système censé évaluer la durabilité de la gestion forestière ; • un petit nombre d’indicateurs taxonomiques de biodiversité basés sur des données de composition, de richesse ou d’abondance des différents niveaux taxonomiques pour évaluer l’état de la biodiversité. Ce point reflète la difficulté actuelle de suivre directement l’évolution de tous les taxons présents dans l’écosystème forestier ; • un petit nombre également d’indicateurs de réponse, ce qui aboutit à un certain déséquilibre du système d’indicateurs. Ce constat généralisable à l’ensemble des indicateurs de gestion forestière durable pourrait être dû au fait que les réponses de la société aux menaces qui pèsent sur la biodiversité sont davantage appréhendées par les indicateurs qualitatifs de Forest Europe (Forest Europe et al., 2011), qui présentent les progrès accomplis entre deux conférences en matière de gestion forestière durable, dans les domaines institutionnel, juridique, économique, financier et informationnel. Dans l’édition 2010, les surfaces classées au titre de Natura 2000 (les zones de protection spéciales et les zones spéciales de conservation) sont présentées selon les types de formation boisée (futaie de feuillus, futaie de résineux, taillis, peupleraie, etc.). 10 44 ENCADRÉ 1 Critère : définit les éléments essentiels, l’ensemble des conditions ou les processus par lesquels la gestion durable peut être jugée. la Conférence d’Helsinki a donné lieu à la constitution d’une liste de six critères de gestion forestière durable, habituellement dénommés « critères d’Helsinki », qui représentent chacun une facette de la multifonctionnalité des forêts : ressource forestière et carbone, santé des forêts, fonctions de production des forêts, biodiversité, fonctions de protection et aspects socio-économiques liés à la forêt (d’après IFN, 2011). Indicateur : mesure quantitative, qualitative ou descriptive qui, mesurée et surveillée périodiquement, montre la direction du changement (Ministry of agriculture and Forestry, 1996). Il s’agit d’une statistique qui permet de vérifier objectivement si l’état ou la dynamique observée pour un système donné reflètent une avancée vers l’objectif poursuivi (lequel est défini à partir des différents critères). les indicateurs doivent transposer un état généralement complexe en faits faciles à observer ; ils doivent être suffisamment simples, politiquement et scientifiquement pertinents, utiles, mesurables et comparables (d’après Montagne-Huck et Niedzwiedz, 2011). Les indicateurs taxonomiques de biodiversité : les indicateurs se focalisent sur le suivi de certains taxons — plantes, oiseaux, insectes, mammifères, etc. Ils sont utilisés en tant qu’indicateurs de l’état de leur propre diversité (on peut alors parler d’indicateur direct de biodiversité) ou en tant qu’indicateurs de l’état d’autres taxons (bio-indicateurs, indirects). l’utilité de recourir à ce type d’indicateurs pour évaluer l’état de la biodiversité inter-spécifique est développée dans l’article Nivet et al., (cf. page 59). Les indicateurs structurels de biodiversité : les indicateurs structurels de biodiversité sont à mettre en relation avec l’idée qu’il existe des structures paysagères - biologiques, physiques et sociales - qui ont un effet important sur la biodiversité et qui permettent donc de renseigner sur l’état de cette dernière de manière indirecte. Liens entre structure de l’habitat et diversité taxonomique dans le cadre de l’animation par le Gip ecofor de la réflexion sur les indicateurs de biodiversité forestière (cf. introduction page 14), rossi et al. (2007) ont recherché l’existence de relations entre la structure du paysage ou de l’habitat local et la richesse spécifique de différents groupes taxonomiques (oiseaux, coléoptères carabiques, papillons rhophalocères et plantes). les résultats obtenus dans la forêt de plantation de pins maritimes des landes montrent effectivement l’existence d’un lien statistique significatif entre la richesse spécifique et les données descriptives du paysage dans un rayon de cent à deux cents mètres et parfois dans un rayon supérieur. les résultats montrent que la diversité des papillons est liée en premier lieu aux caractéristiques de l’habitat local (notamment recouvrement d’espèces végétales et humidité du sol) et en second lieu aux caractéristiques du paysage (selon les sites, cela peut être la présence de pare-feux11, de certaines plantes herbacées utiles à la larve et au papillon, la densité de lisières, de routes forestières et de haies). Concernant les oiseaux et les carabes12, les variables explicatives sont différentes pour chacun des deux groupes mais le degré de fermeture apparaît comme un facteur globalement négatif. afin de percevoir le maximum d’effet du paysage sur la diversité, rossi et al. (2007) ont plaidé en faveur d’une approche taxonomique multi-scalaire et l’utilisation d’un nombre de variables restreint pour améliorer les modèles de prédiction de la richesse spécifique. Espace linéaire de largeur variable, aménagé par débroussaillement du tapis végétal, restreignant la quantité de matière combustible dans le but de limiter ou d’arrêter la propagation d’un incendie et de favoriser la circulation des véhicules antiincendie. 12 Seul l’effet du paysage a pu être testé car les chercheurs ne disposaient pas de données locales. 11 45 Globalement, la structuration selon le modèle Pression-état-réponse, pourtant bien adaptée pour évaluer la durabilité d’un système de gestion, est sousexploitée (très lacunaire) dans le système actuel. en particulier, les triplets Pression-état-réponse sont incomplets, c’est-à-dire que pour un indicateur classé dans une catégorie donnée, les indicateurs correspondants aux deux autres catégories ne sont pas toujours présents. Par conséquent, il s’avère aujourd’hui relativement difficile d’évaluer, à travers ce système, l’efficacité des réponses mises en œuvres en faveur de la biodiversité ainsi que la durabilité de la gestion forestière au regard de ce critère. II. Analyse de la pertinence des indicateurs de biodiversité la plupart des indicateurs sont construits à partir des données de l’IFN et ne concernent donc que les forêts de production, soit environ 95 % des forêts françaises métropolitaines. divers cas de figure ont été relevés lors de la phase d’analyse menée par Hamza et al. (2007). Généralement, ces indicateurs souffrent d’un manque (i) de données (parfois difficiles à récupérer comme celles associées aux espèces menacées), (ii) de méthodologie (protocole de récolte des données non pertinent, calcul de l’indicateur inadapté, etc.), (iii) de clarté ou de consensus sur les concepts utilisés (définitions à revoir, classification à améliorer, etc.), (iv) d’information historique (par exemple sur l’origine des peuplements) et scientifique, etc. de plus, l’interprétation en termes décisionnels des résultats obtenus n’est pas toujours évidente. Tous ces éléments conduisent à limiter la pertinence des indicateurs et les possibilités de les interpréter au mieux. n Pertinence des indicateurs de pression la pertinence thématique de ce groupe d’indicateurs (régénération, essences introduites, organisation du paysage, caractère naturel et forêts protégées) est globalement forte au regard de la biodiversité en général et des catégories définies par Forest Europe. Par contre, l’adéquation entre l’indicateur et la thématique à laquelle il est asso46 cié ne fonctionne pas toujours (cf. indicateur 4.9.1 sur la densité de cervidés associé au thème « forêts protégées », c’est-à-dire faisant l’objet d’un statut de protection officiel). l’usage de définitions insatisfaisantes, le manque de clarté ou de consensus sur les concepts utilisés limite de surcroît la pertinence globale d’indicateurs comme celui relatif à la naturalité des forêts françaises (cf. indicateur synthétique 4.3). Un dernier problème majeur est relatif au jeu de données utilisé pour élaborer l’indicateur : il est parfois incomplet – l’absence d’éléments sur les formations boisées non disponibles pour la production limite particulièrement la pertinence de l’indicateur de naturalité (4.3) et de celui relatif aux essences introduites (4.4) – voire carrément non pertinent, lorsque les mécanismes reliant un facteur de pression donné aux éléments de biodiversité sont mal compris. C’est le cas pour les indicateurs de coupes fortes et rases (4.7.3) et de régénération (4.2). Nous reprenons ci-dessous les principaux points de l’analyse de pertinence réalisée par Hamza et al. (2007) concernant les indicateurs de pression. 4.2 – Surface forestière en régénération naturelle et artificielle (thème « régénération ») : les surfaces en régénération sont propices à de nombreuses espèces périforestières (carabes, papillons de jour, etc.) et inversement défavorables à des espèces typiquement forestières et peu mobiles associées aux stades âgés (certaines bryophytes par exemple) et aux stades intermédiaires comme les papillons de nuit (Gosselin, 2004). Selon Hamza et al. (2007), une augmentation durable des surfaces dédiées à la régénération artificielle serait pénalisante au regard de la diversité biologique. Cet indicateur donne donc a priori une information intéressante mais il ne reflète pas la complexité des mécanismes en jeu. Par exemple, une coupe de régénération n’aura certainement pas le même impact sur la biodiversité selon que les autres stades de maturité seront ou non simultanément présents dans le paysage. des données supplémentaires mériteraient donc d’être prises en compte comme : • la distance entre la zone de régénération et les peuplements âgés ; • la proportion des surfaces en régénération par rapport à la surface forestière totale ; • l’âge d’exploitabilité des peuplements. Dans l’édition 2010 : la nouvelle méthode d’inventaire de l’IFN, avec l’acquisition de données sur le terrain supplémentaires, permet de combler en partie le jeu de données, en fournissant notamment des informations sur la nature de la coupe (coupe rase avec ou sans travaux, coupe totale ou forte de l’étage dominant, etc.) et l’essence principale du peuplement13. Le manque de recul actuel sur les interactions entre « régénération » et « biodiversité » demeure cependant, notamment quant à l’appréciation des régénérations par petites trouées. 4.3 – Degré de naturalité des forêts françaises (thème « caractère naturel ») : cet indicateur permet de classer les forêts en fonction de leur degré de naturalité (forêts non perturbées par l’homme, forêts semi-naturelles et plantations). l’approche est pertinente mais le concept de naturalité reste particulièrement difficile à apprécier et les définitions de la Fao14 pour décrire les classes de perturbation associées aux plantations et aux forêts semi-naturelles sont imprécises. au final, cet indicateur ne permet pas de se faire une idée du degré de naturalité des forêts françaises. les résultats montrent en effet : • la quasi-inexistence de forêts non perturbées en France métropolitaine (environ 30 000 hectares en 2005 et 2010). le manque de données sur ces forêts non perturbées explique ce résultat : l’IFN ne dispose en effet pas d’information sur l’ancienneté de la gestion. C’est ainsi à partir des données de l’office national des forêts (oNF) extrapolées aux forêts privées que ce chiffre de 30 000 hectares a été estimé en 1994. Il a été repris tel quel dans les éditions successives, faute de nouvelles connaissances ; • une proportion de plantations vraisemblablement sous-évaluée (12 % en 2010) dans la mesure où l’origine des boisements n’est notée par l’IFN que pour les peuplements de moins de 40 ans et que les plantations qui ne font pas l’objet d’une exploitation intensive sont classées en forêts semi-naturelles, conformément aux définitions de la Fao ; 13 14 • une catégorie fourre-tout, les forêts seminaturelles, qui regroupe la quasi-totalité des forêts (87 % en 2010). À cela s’ajoute un autre biais lié aux surfaces inventoriées de l’IFN (regroupées sous l’appellation « forêt de production »), qui excluent 5 % de la surface des forêts françaises, probablement parmi les moins perturbées. 4.4 – Surface forestière composée principalement d’essences introduites (thème « essences introduites ») : l’introduction d’essences exotiques influence en effet la biodiversité des écosystèmes forestiers, souvent dans le sens d’un appauvrissement (Hamza et al., 2007). Cependant, la définition utilisée pour juger du caractère autochtone ou non d’une essence est inadaptée car basée sur les seules limites administratives de la France métropolitaine. Cela signifie qu’une essence présente naturellement en un point quelconque du territoire est considérée comme autochtone sur l’ensemble de ce territoire. avec cette définition, des essences telles que le pin laricio de Corse et l’épicéa commun sont classées parmi les essences autochtones partout en France. Cette représentation entraîne une sous-estimation des surfaces composées principalement d’essences exotiques. Une solution serait de régionaliser ces listes d’essences, aujourd’hui uniquement nationales. Il faudrait pour cela disposer de cartes de la distribution naturelle de chaque essence, qui n’existent malheureusement pas à l’heure actuelle pour toutes les essences. 4.7.3 – Coupes fortes et rases (thème « organisation du paysage ») : les coupes de régénération fortes, fréquentes et sur de grandes surfaces défavorisent les espèces forestières à faible capacité de dispersion et les espèces inféodées aux phases terminales du cycle sylvigénétique (Bergès, 2004). du point de vue de la biodiversité, il paraît pertinent de lier le thème « organisation du paysage » à l’activité de coupe. Par contre, l’indicateur ne traite que de l’intensité L’indicateur 4.7.3, spécifique des coupes fortes et rases, a disparu concomitamment. Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. 47 des coupes qui entraînent les perturbations les plus fortes (fortes et rases). de plus, il ne prend pas en compte des facteurs susceptibles d’accentuer ou de réduire l’impact d’une coupe sur la biodiversité, en particulier la taille de la coupe15 ou la présence de peuplements-refuge à proximité. des données relatives à la topographie et à localisation des coupes au sein du massif permettraient probablement aussi de renforcer la pertinence de cet indicateur. Dans l’édition 2010 : cet indicateur a été supprimé mais les données sont partiellement exploitées par l’indicateur de régénération (4.2)16. 4.9.1 – Densité de cervidés aux cent hectares (thème « forêts protégées ») : le libellé de cet indicateur est ambigu. S’agit-il de suivre l’évolution de la capacité d’accueil des massifs forestiers vis-à-vis des cervidés ? ou de suivre l’évolution de la pression exercée par les cervidés sur la biodiversité de ces massifs ? Dans l’édition 2010 : classé à tort dans la catégorie « forêts protégées », cet indicateur a été supprimé du critère « biodiversité ». Les données cynégétiques de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et des fédérations de chasseurs sont désormais exploitées dans le critère 2, relatif à la santé des écosystèmes (présence simultanée de plusieurs espèces d’ongulés et progression des ongulés sauvages sur le milieu forestier). Conclusion Ces indicateurs traitent uniquement des pressions liées à l’activité de gestion courante (exploitation, sylviculture). d’autres pressions influencent pourtant l’évolution de la biodiversité forestière : la fréquentation des espaces forestiers (dans le cadre de l’exploitation forestière et du tourisme), l’implantation d’infrastructures extra-forestières (pour les transports et dans le cadre de l’urbanisation), le changement climatique. Ces pressions mérite- raient l’élaboration d’indicateurs complémentaires ou le renforcement des indicateurs existants. dans le cas de l’indicateur synthétique 4.3, des travaux de l’INra montrent en particulier l’intérêt du concept de « forêt ancienne» pour apprécier le degré de naturalité d’un écosystème forestier. des données relatives à la taille des coupes, à la nature des travaux préparatoires du sol ou encore à la diversité génétique des matériels forestiers de reproduction (cf. indicateur 4.6), permettraient sans doute également de mieux appréhender l’impact de la régénération des surfaces forestières sur la biodiversité. n Pertinence des indicateurs d’état Parmi ce groupe, les indicateurs structurels dominent. Ce sont donc des descripteurs de structure du peuplement, du paysage, censés être liés à une partie de la biodiversité. or, la relation entre ces indicateurs structurels et la biodiversité n’est pas toujours bien connue : avec quel compartiment de biodiversité l’indicateur est-il relié ? la relation estelle positive ou négative ? Forte ou faible ? étayée par la bibliographie ou seulement hypothétique ? de plus, lorsque cette relation est connue, rien ne permet généralement de dire si elle est stable dans le temps. de leur côté, les rares indicateurs taxonomiques de biodiversité sont élaborés à partir de données existantes et mobilisables qui ne permettent pas forcément de suivre les espèces à enjeu fort (par exemple des espèces particulièrement sensibles à la gestion forestière). À l’échelle nationale, les suivis d’abondance actuels concernent les oiseaux communs et les papillons17 ; aucun indicateur n’existe par exemple concernant la faune et la flore des décomposeurs. Globalement, ce groupe d’indicateurs aborde, à différentes échelles, des thèmes importants, dont la pertinence est néanmoins parfois limitée par : • l’usage de formulations inadaptées - les indicateurs de composition en essences (4.1 et 4.1.1) sont Cette variable n’a pas été exploitée à l’échelle nationale du fait de l’indisponibilité dans certains départements de données sur les coupes rases. 16 En réalité, il ne s’agit pas vraiment des mêmes données car la méthode de calcul a changé entre l’édition 2005 et 2010 (méthode du report sur photo aérienne pour l’ancien indicateur, données terrains pour le nouveau). 17 Cf. programme Vigie-Nature du Muséum national d’Histoire naturelle. 15 48 en réalité des indicateurs de la diversité locale en essences ; • l’utilisation de certains concepts qui manquent de clarté : que faut-il exactement inclure sous le vocable d’« espèce forestière » ou de « massif » ?; • des difficultés liées à la collecte des données (cf. indicateur 4.8 sur les espèces forestières menacées), qui reflètent souvent des problèmes d’ordre méthodologique et le besoin de connaissances supplémentaires (cf. indicateur 4.5 sur le volume de bois mort). 4.1 et 4.1.1 – Nombre d’essences par peuplement (feuillus, résineux et mixtes) et surface terrière par essence principale (thème « composition en essences ») : Hamza et al. (2007) ont regroupé ces deux indicateurs. 4.1 – les études montrant une corrélation positive et significative entre la richesse locale en essences et les différents compartiments de la biodiversité sont peu nombreuses. l’échelle optimale à laquelle mesurer cette richesse en essences n’est pas claire non plus dans la bibliographie. Toutefois, l’indicateur 4.1 n’est pas contredit (Gosselin et Paillet, 2011) et permet de renseigner directement sur l’état d’une partie de la biodiversité, à savoir les essences ligneuses. 4.1.1 – l’essence principale est un facteur majeur de différenciation de biodiversité (Gosselin et Paillet, 2011). la bibliographie incite à promouvoir l’accroissement du degré de mélange et de richesse en essences dans les peuplements dominés par des exotiques ou des résineux. elle incite à l’inverse au maintien ou au développement de peuplements purs (ce qui n’exclut pas la présence d’essences secondaires en faible proportion) dans les peuplements d’essences autochtones. Il est dommage que cet indicateur ne tienne pas compte de l’abondance et de la répartition spatiale de chaque essence considérée isolément. Ces variables seraient pourtant corrélées à la diversité génétique des peuplements forestiers futurs et à une partie de la diversité spécifique (certaines espèces étant inféodées à des peuplements purs). Il serait donc utile de vérifier que l’abondance des essences de faible intérêt économique ne régresse pas trop fortement. Concernant ces deux indicateurs, des incertitudes subsistent également quant à l’influence de la sta- tion sur la relation entre richesse en essences et biodiversité. la collecte de données supplémentaires, relatives aux caractéristiques écologiques des placettes inventoriées (type de station ou type de forêt, stade successionnel, classe de gestion, etc.) et aux essences considérées (classes de taille des essences, classes d’abondance et classes d’indigénat) permettrait probablement d’accroître la pertinence de ces indicateurs. 4.3.1 – Surface de futaies régulières très âgées constituant des habitats spécifiques (thème « caractère naturel ») : cet indicateur est classé parmi les indicateurs de la naturalité des forêts françaises, tout comme l’indicateur de pression 4.3 sur le degré de naturalité des forêts françaises. les arbres et peuplements très âgés sont en effet la niche potentielle de nombreuses espèces nécessitant des cavités, du bois mort et autres microhabitats. Mais cet indicateur est associé au caractère naturel des forêts alors qu’il est basé sur des données prélevées en futaie régulière, une structure relativement artificielle et qui ne représente que 49 % des forêts françaises en 2004 (vallauri et al., 2010). Son libellé est ambigu car l’indicateur s’intéresse à toutes les surfaces de futaies âgées, qu’elles incluent ou non la présence d’habitats spécifiques. en conséquence, Hamza et al. (2007) proposent de s’intéresser à l’abondance des arbres sénescents et ce, quelle que soit la structure du peuplement (donc pas uniquement en futaie régulière) et l’utilisation du bois associée (actuellement, seuls les peuplements disponibles pour la production rentrent en compte dans le calcul de l’indicateur). Ils proposent également de réviser les seuils de sénescence en les adaptant au type de station (ou à défaut à la sylvoécorégion). Dans l’édition 2010 : cet indicateur a une faible significativité (au sens statistique) dans la mesure où il continue à ne s’intéresser qu’aux vieilles futaies régulières et que les seuils (ou âges limites) par essence sont trop restrictifs (ils reviennent à filtrer trop drastiquement les peuplements). L’élargissement de l’indicateur à d’autres types de structures (mélanges futaies-taillis, etc.), voire sa révision complète (une approche différente pourrait être envisagée, centrée par exemple sur les gros et vieux arbres) permettrait sans doute de résoudre ce problème. 49 4.5 – Volume de bois mort en forêt feuillue, résineuse et mixte (thème « bois mort ») : 20 à 25 % des espèces forestières seraient associées au bois mort et une relation positive existe vraisemblablement entre la présence de bois mort et la richesse ou l’abondance de nombreuses espèces, saproxyliques notamment. l’indicateur de l’édition 2005 est cependant pratiquement inutilisable car élaboré au départ pour évaluer la production nette de bois (volume vif - mortalité) et non pour évaluer la biodiversité (protocole inadapté). Il n’intègre en particulier que les volumes de bois mort sur pied depuis moins de cinq ans. Parmi les recommandations, Hamza et al. (2007) insistent sur la nécessité de récolter des variables supplémentaires relatives à l’essence du bois mort, à la taille et à la position (dressé, suspendu ou couché) des pièces de bois ou au degré de décomposition et d’ensoleillement. Dans l’édition 2010 : la nouvelle méthode d’inventaire permet désormais de comptabiliser les arbres morts sur pied depuis plus de cinq ans et les chablis ordinaires de moins de cinq ans (par type de peuplement feuillu, résineux et mixte) ainsi que le bois mort au sol (incluant les chablis de plus de cinq ans). Les volumes de bois mort au sol (m3/ha) sont désormais classés en fonction de leur diamètre et leur degré de décomposition. Cette évolution répond en partie à la nécessité de s’intéresser à d’autres variables que le volume de bois mort sur pied pour juger de la richesse spécifique. Le lien entre ces indicateurs (présence et abondance de pièces de bois mort de nature variée) et la biodiversité de nos forêts tempérées doit en outre être encore étudié. Des travaux menés récemment montrent en effet que les niveaux de corrélation observés en milieu boréal entre la richesse saproxylique (coléoptères et mycètes) et le volume de bois mort ne sont pas transposables aux forêts tempérées (Lassauce et al., 2011). 4.7 – Fragmentation du territoire forestier en ensembles élémentaires (thème « organisation du paysage ») : l’évolution du nombre de massifs forestiers par classe de surface (huit classes en 2005, allant de 4 à plus de 100 000 hectares) permet de se faire une idée du degré de fragmentation de la forêt à l’échelle nationale. Selon Hamza et al. (2007), l’agencement spatial des écosystèmes influence a priori fortement 50 les processus écologiques et par là-même la biodiversité, ce qui confère une certaine pertinence au thème « organisation du paysage ». Néanmoins, la définition utilisée pour définir un massif, qui revient à considérer que des fragments distants de moins de deux cents mètres constituent une seule tâche forestière, est discutable. la matrice peut en effet s’avérer imperméable sur cette distance, être coupée par exemple par des obstacles infranchissables pour certains animaux (autoroutes sans passages spéciaux, fleuves, etc.). Dans l’édition 2010 : le seuil de continuité de l’espace boisé à été maintenu. Bien que les seuils de représentation aient été abaissés (onze classes de surface en 2010 allant de 2,5 à plus de 100 000 hectares), la pertinence de cet indicateur se limite toujours aux gros animaux qui requièrent de larges territoires (mobilité) et aux espèces d’intérieur qui fuient les lisières. L’indicateur 4.7.2 (longueur de lisière par type de peuplement) a été supprimé car il ne permettait pas vraiment de conclure quant à l’évolution du phénomène qu’il était censé appréhender, à savoir la fragmentation. De plus, il ne permettait pas de cibler correctement les espèces les plus sensibles à la fragmentation, à savoir les espèces forestières d’intérieur et les espèces forestières peu mobiles (habitats mal choisis). L’indicateur 4.7.1 (longueur de lisière à l’hectare) aurait dû être reconduit mais n’a pas pu être calculé dans la mesure où tous les départements ne sont pas encore passés à la nouvelle version de cartographie de l’IFN. Outre sa formulation peu satisfaisante, cet indicateur évoluait par ailleurs intrinsèquement avec l’augmentation des surfaces forestières. 4.8 – Proportion d’espèces forestières menacées (thème « espèces menacées ») : c’est l’un des rares indicateurs taxonomiques parmi les indicateurs de gestion forestière durable. au niveau international, il est important car très souvent discuté, comparé entre les pays et compilé en méta-index. des imprécisions méthodologiques pénalisent toutefois sa fiabilité : le regroupement et la déclinaison des catégories UICN soulèvent des questions (les espèces en déclin ne sont pas prises en compte) et la définition des espèces considérées comme « forestières » reste imprécise. Dans l’édition 2010 : l’absence de données sur la flore méditerranéenne a été comblée (Rameau et al., 2008). Les données disponibles ont de plus été améliorées puisque l’on dispose maintenant des premières listes rouges nationales établies avec la méthodologie UICN pour les mammifères, les amphibiens, les reptiles et les oiseaux (en 2005, seules des données à dire d’expert étaient disponibles). L’extension des listes rouges à des groupes clés de la biodiversité des forêts (les champignons, les mousses, les lichens et les invertébrés) s’avère néanmoins toujours nécessaire afin d’améliorer sa représentativité. Conclusion la prise de données directes (les relevés d’espèces par exemple) pour fournir des indicateurs d’abondance de population est rare (cf. Nivet et al., page 59). en France métropolitaine, on ne connaît pas le nombre d’espèces forestières de plusieurs groupes très présents en forêt comme les insectes, les champignons, les lichens et les bryophytes. Ils sont pourtant probablement bien plus nombreux que des groupes mieux surveillés tels que les mammifères, les oiseaux ou les plantes vasculaires. le nombre limité d’indicateurs d’état basés sur le suivi de taxons nuit ainsi à la pertinence de ce système d’indicateurs. Selon Gosselin et Gosselin (2008), il serait très utile de renforcer ces suivis taxonomiques en se concentrant sur des taxons à enjeux, par exemple ceux qui s’avèrent particulièrement sensibles aux évolutions des pratiques sylvicoles (cf. Nivet et al., page 59). À une échelle inférieure, la variabilité génétique constitue aussi un indicateur majeur du potentiel de régénération et d’adaptation des différents compartiments de la biodiversité (et donc de sa survie). Maintenir la diversité génétique des essences, c’est garantir le capital d’adaptation de ces dernières aux changements environnementaux. or la palette des indicateurs de gestion durable ne repose sur aucun suivi direct de biodiversité à l’échelle intra-spécifique. Seul l’indicateur 4.6 traite de la conservation des ressources génétiques forestières mais sous un angle très indirect qui ne permet pas de se faire une idée réelle du niveau de diversité génétique des populations d’arbres forestiers. Cela s’explique notamment par la complexité et le coût élevé des analyses de laboratoires nécessaires. Il semble pourtant primordial de disposer d’indicateurs de la diversité génétique des espèces, en particulier pour les essences forestières, qui sont les objets directs de la gestion forestière (Collin et al., page 79). Globalement, le classement de ces indicateurs parmi les indicateurs d’état est discutable. Selon Gosselin et Gosselin (2008), un indicateur d’état est un indicateur qui permet, dans une situation donnée, de se faire une idée objective de l’état de la biodiversité (ou d’une partie de la biodiversité), par exemple de la richesse et de l’abondance de la flore, des oiseaux, des champignons, etc. S’en tenir à cette définition reviendrait à exclure la plupart des indicateurs classés par Hamza et al. dans la catégorie des indicateurs d’état. Prenons le cas de l’indicateur du volume de bois mort, classé parmi les indicateurs structurels d’état de la biodiversité : il serait logique, si l’on souhaite calculer un volume de bois mort pour en déduire une richesse potentielle en espèces saproxyliques (usage actuel) de classer cet indicateur parmi les indicateurs de pression (plus on exploite de bois mort et plus la pression sur les espèces saproxyliques augmente). Par contre, si l’on veut évaluer l’efficacité des mesures mises en place pour augmenter le volume de bois mort, il faudrait plutôt classer cet indicateur dans la catégorie des indicateurs de réponse. Cet exemple illustre à nouveau la difficulté qui consiste, de manière générale, à répartir ces indicateurs au sein du système Pression-état-réponse. enfin, les indicateurs d’état issus d’autres critères de gestion durable pourraient aussi faire l’objet d’une analyse sous l’angle de la biodiversité, notamment ceux des critères 1 à 3, qui traitent des ressources forestières et des stocks de carbone dans la biomasse et dans le sol, de la santé des écosystèmes et notamment de l’évaluation des propriétés chimiques du sol (niveau d’acidité et de disponibilité en azote) ou encore du maintien et de l’encouragement des fonctions de production de la forêt (équilibre production-récolte). n Pertinence des indicateurs de réponse le premier indicateur de ce groupe (l’indicateur 4.6) est subdivisé en deux parties dont la première, qui concerne les peuplements porte-graines gérés pour la production de semences forestières, est assez peu 51 liée à la diversité génétique (cf. cependant l’encadré 2 sur les régions de provenance). la seconde, qui concerne le réseau de conservation des ressources génétiques forestières, représente bien en revanche un indicateur de réponse pour la partie génétique du critère biodiversité. le deuxième indicateur classé dans cette catégorie concerne l’étendue des surfaces forestières placées sous statut de protection pour conserver la biodiversité. Ces deux indicateurs abordent l’un comme l’autre des thèmes importants du point de vue des politiques publiques et de la gestion forestière. 4.6 – Production de matériel de reproduction (semences et plants) pour la régénération artificielle et surfaces forestières dédiées à la conservation des ressources génétiques forestières (thème « ressources génétiques ») : la composante intra-spécifique de la diversité est abordée de manière indirecte par une partie de cet indicateur. l’indicateur 4.6 s’intéresse en effet à l’évolution des surfaces destinées à assurer la disponibilité et l’existence continue des ressources forestières sur le territoire19. Cet indicateur ne permet pas de visualiser la distribution géographique des surfaces dédiées à l’activité de conservation des ressources génétiques. des données complémentaires permettraient de se faire une idée plus précise du degré d’exhaustivité de ce réseau national de gestion et de conservation des ressources génétiques à l’échelle nationale. l’indicateur s’intéresse, en même temps, à la production de semences et de plants forestiers pour la régénération artificielle. Selon Hamza et al. (2007), dans son état actuel et à cette échelle (nationale), il est inadapté au critère « biodiversité ». les peuplements d’intérêt relèvent en effet d’une réglementation dont l’objectif n’est pas la conservation de la biodiversité mais plutôt la facilitation du commerce des graines par l’Union européenne. Ils sont sélectionnés et gérés avant tout pour répondre aux besoins actuels des reboiseurs et non pour leur représentativité quant à la diversité génétique de l’essence considérée. Ces peuplements sélectionnés ou testés ne préjugent pas, en outre, de la récolte et de l’utilisation effective du matériel forestier de reproduction. la pertinence du phénomène ainsi représenté vis-à-vis de la biodiversité s’avère en conséquence assez médiocre (cf. encadré 2). 4.9 – surfaces forestières protégées (thème : forêts protégées) : les différents statuts de protection attribués aux espaces naturels constituent actuellement l’une des réponses politiques les plus concrètes pour limiter, voire réduire l’intensité des pressions d’origine anthropique sur la biodiversité. l’indicateur 4.9, qui s’intéresse à l’évolution des surfaces forestières protégées en fonction du degré d’intervention humaine autorisé (aucune intervention humaine dans les réserves biologiques et naturelles intégrales, intervention minimale dans les zones centrales des parcs nationaux, etc.), représente à ce titre une ENCADRÉ 2 en collaboration avec des chercheurs généticiens d’autres instituts scientifiques, Irstea a défini les régions de provenance les plus représentatives de la diversité des peuplements présents sur le territoire français. Ce découpage territorial traduit les adaptations de chaque espèce au climat et au sol. Il serait plus pertinent, à l’avenir, de recentrer la partie « peuplements porte-graines » de l’indicateur 4.6 sur ces régions de provenance, établies dans une optique véritable de préservation de la diversité génétique (protection de l’autochtonie, garantie de diversité génétique des essences à l’échelle de leur aire de répartition). des données concernant les efforts réalisés pour augmenter la diversité génétique des lots de semences pourraient également venir compléter à terme cet indicateur (elles ne sont actuellement pas disponibles). 19 52 dans le cadre de la mise en œuvre de la politique nationale de conservation des ressources génétiques forestières Thème Gestion forestière courante Gestion conservatoire Indicateurs complémentaires Formation / sensibilisation des propriétaires et gestionnaires à la biodiversité Intégration des pratiques en faveur de la biodiversité dans les processus de certification forestière et d’aménagement Plans de restauration d’espèces forestières menacées Observatoires nationaux de la biodiversité Tableau 2 : propositions d’indicateurs de réponse complémentaires, Hamza et al. (2007). base solide, synthétique et internationalement lisible des différents statuts de protection en place sur le territoire métropolitain. la régionalisation de l’information permettrait néanmoins d’améliorer la visibilité de ce réseau d’espaces forestiers protégés (carte départementale ou régionale du taux/ statut de protection). III. Besoins prioritaires de recherche n Pour préciser l’indicateur lui-même l’analyse a mis en évidence le besoin de préciser certains indicateurs, notamment en ce qui concerne : la cartographie des boisements anciens (4.3), la caractérisation de la zone d’indigénat des essences présentes en France (4.4) ou encore le développement d’indicateurs relatifs à la production et à l’utilisation des matériels forestiers de reproduction (4.6). la recherche de valeurs de référence, par exemple dans les forêts non exploitées ou semi-naturelles (4.3), se rattache aussi à cette catégorie. Ces questions ne relèvent pas toujours de l’activité de recherche mais parfois plutôt d’un processus de développement ou d’expertise. dans ce cas, des réponses relativement simples, bien que relativement onéreuses pour certaines (cas de la cartographie des forêts anciennes à l’échelle de la France), pourraient être mises en œuvre. au contraire, elles nécessitent parfois d’importants programmes de recherche. C’est le cas par exemple de la connaissance des zones d’indigénat des essences françaises, qui requiert encore un gros travail de paléoécologie et de génétique. n Pour préciser les liens entre l’indicateur et ce qu’il indique le manque de connaissances sur les liens entre un indicateur et ce qu’il indique vraiment constitue l’une des principales faiblesses des systèmes d’indicateurs actuels (cf. Bonhême, page 21). en effet, pour la plupart des indicateurs de biodiversité forestière, les commentaires ne précisent pas (parfois parce qu’on ne le sait pas) ce qu’ils évaluent réellement. Un moyen de progresser dans ce domaine pourrait consister à : • préciser les groupes taxonomiques, les groupes écologiques voire les espèces associées positivement ou négativement à l’indicateur ; • quantifier cette relation, par grand type stationnel, grande essence dominante et grand stade successionnel (ou alors uniquement en peuplements « adultes ») ; • préciser les échelles de pertinence et de validité de l’indicateur. les groupes taxonomiques qui pourraient être étudiés sont (i) des groupes à large amplitude et présents sur tout types de milieux terrestres, tels que les oiseaux, la flore vasculaire (données existantes et publications) ; (ii) des groupes typiquement forestiers (insectes de la litière, lichens, etc.) et parmi eux des groupes forestiers sensibles aux pratiques sylvicoles tels que les taxons saproxyliques et/ou cavicoles20 (au moins pour les indicateurs associés aux peuplements âgés et au bois mort). Ce travail pourrait être fait à travers une méta-analyse pour des indicateurs déjà bien étudiés (4.2 : régénération). de nouvelles données seront probablement nécessaires pour les autres. 53 la relation entre l’indicateur et la partie de la biodiversité qu’il indique résulte pour la plupart du temps de causes multiples, qui évolueront très probablement en lien avec de nombreux facteurs tels que le changement climatique. l’idéal serait donc de prévoir de vérifier la permanence de ces relations dans le futur, en particulier en développant un suivi de biodiversité fondé sur la récolte de données taxonomiques permettant de renseigner de manière directe sur l’état de santé de la biodiversité. n Pour étudier les mécanismes sous-jacents qui lient ces indicateurs à la biodiversité on peut notamment l’envisager pour des indicateurs en lien assez direct avec la biodiversité (cf. indicateurs 4.2 : régénération, 4.4 : indigénat, 4.5 : bois mort, 4.9 : surfaces protégées). des travaux de recherche traitent en particulier des liens entre sénescence, bois mort et biodiversité (lassauce et al., 2011). Ces approfondissements nécessitent de tester les indicateurs existants et d’approfondir nos connaissances sur les mécanismes en jeu : quels sont par exemple les mécanismes qui expliquent le lien entre un âge avancé des arbres et la présence de certaines espèces ? Quels sont les effets respectifs du diamètre des troncs, de la présence des blessures, de la composition chimique du bois et des écorces, etc. sur la préférence de certaines espèces pour ces arbres âgés ? Dans le cas des bois morts, quels sont les mécanismes physiologiques et écologiques à l’origine du lien entre la taille des bois morts, l’état de décomposition, la nature de l’essence et la présence des espèces ? des programmes centrés sur ce type d’approche pourraient notamment être développés en lien par exemple avec la mise en place d’un suivi d’espèces saproxyliques au niveau français ou européen. 20 54 Cf. Nivet et al., page 59. Conclusion l’appréciation de la cohérence d’ensemble des indicateurs de biodiversité montre la nécessité de repenser l’ensemble des indicateurs de gestion forestière durable, tous critères confondus, en définissant un cadre conceptuel rigoureux. Concernant les seuls indicateurs de biodiversité, l’application du modèle Pression – état – réponse permet de compléter l’analyse par indicateur mais un travail d’approfondissement s’avère nécessaire. Pour avoir valeur de modèle, des relations causales devront en particulier être établies entre les indicateurs de chaque triplet. l’analyse détaillée des quinze indicateurs de biodiversité a ensuite permis de dégager les principales améliorations possibles et les besoins de recherche à plus ou moins long terme. Concernant les améliorations, il reste à définir précisément la faisabilité de certaines propositions, notamment en faisant tester certaines mesures ou/ et observations par l’IFN, le principal fournisseur de données (concernant par exemple l’inventaire des arbres sénescents ou porteurs de microhabitats). d’autres actions plus spécifiques pourraient être développées (recherche des zones d’indigénat, cartographie des forêts anciennes, etc.). enfin, ces propositions ont montré l’intérêt de constituer des groupes d’experts sur certains sujets (définition de niveaux de naturalité, liste d’arbres forestiers, zones d’indigénat, etc.). les besoins de recherche à plus long terme sont importants, notamment pour préciser certaines valeurs de référence, le caractère indicateur de biodiversité de l’indicateur choisi et les mécanismes sous-jacents au lien entre indicateur et biodiversité. Il semble important de disposer à la fois d’un suivi d’espèces et d’un suivi de variables dendrométriques ou écologiques mais surtout de relier, par des analyses statistiques, ces deux types d’information (rossi et al., 2007). n Cette synthèse se base en priorité sur les références suivantes Hamza N., Boureau J.G., Cluzeau C., dupouey J.l., Gosselin F., Gosselin M., Julliard r. et vallauri d., 2007. Evaluation des indicateurs nationaux de biodiversité́ forestière. Nogent-sur-vernisson : Inventaire Forestier National, 133 p. Gosselin M., Paillet Y., 2011. Suivis opérationnels de biodiversité forestière : quelles expériences à l’étranger ? Nogent-sur-vernisson, 50 p. MaaPraT-IFN, 2011. Les indicateurs de gestion durable des forêts françaises métropolitaines, édition 2010. Paris : MaaPraT-IFN., 200 p. autres références bibliographiques Bergès l., 2004. Rôle des coupes, de la stratification verticale et du mode de traitement dans la conservation de la biodiversité, in Gosselin M., laroussinie, o. (eds). Gestion Forestière et Biodiversité : connaître pour préserver - synthèse bibliographique. antony : Cemagref-éditions., p.149 – 215. Gosselin F. et Gosselin M., 2008. Pour une amélioration des indicateurs et suivis de biodiversité forestière. Ingénieries-EAT, 55-56, p.113-120. Gosselin F., 2004. Imiter la nature, hâter son œuvre ? Quelques réflexions sur les éléments et stades tronqués par la sylviculture, in Gosselin M. et laroussinie o. (eds). Gestion Forestière et Biodiversité: connaître pour préserver - synthèse bibliographique. antony : Co-édition GIP ecofor – Cemagref-éditions., p.217256. Trends in Sustainable Forest Management in Europe. oslo (Norvège). Part II, p.143-195. IFN, 2011. les indicateurs de gestion durable des forêts françaises métropolitaines - édition 2010. L’IF, numéro spécial, 8 p. IFN, 2006. les indicateurs de gestion durable des forêts françaises : un outil de suivi indispensable. L’IF, 13, 8 p. lassauce a., Paillet Y., Jactel H. et Bouget C., 2011. deadwood as a surrogate for forest biodiversity: meta-analysis of correlations between deadwood volume and species richness of saproxylic organisms. Ecological Indicators, 11, 5, p.1027-1039. Ministry of agriculture and Forestry, Finland. 1996. Intergovernmental Seminar on Criteria and Indicators for Sustainable Forest Management (ISCI Seminar). Helsinki, Finland, 19-22 august 1996. Montagne-Huck C. et Niedzwiedz a., 2011. les indicateurs socio-économiques de gestion durable des forêts de France métropolitaine. Communication orale au colloque « Les indicateurs forestiers sur la voie d’une gestion durable ? ». Montargis, 6-7 décembre 2011. rameau J.-C., Mansion d., dumé G. et Gauberville C., 2008. Flore forestière française - Tome 3, Région méditerranéenne. IdF, 2432 p. rossiJ.P., Jactel H., van Halder I., Barbaro l., Corcket e. et alard d., 2007. Indicateurs indirects de biodiversité en forêt de plantation. rapport final. Paris : Gip ecofor, 19 p. vallauri d., andré J., Génot J.C., de Palma J.P., eynard-Machet r. (coordonnateurs), 2010. Biodiversité, naturalité, humanité - pour inspirer la gestion des forêts. Paris : éditions Tec&doc, 474 p. Fao, 2010. Évaluation des ressources forestières mondiales 2010 – Termes et définitions. rome : Fao., 30 p. Forest europe, UNeCe et Fao, 2011. Pan-European Qualitative Indicators for Sustainable Forest Management in State of Europe’s Forests 2011. Status and 55 56 Pourquoi et comment construire un indicateur composite de la biodiversité en forêt ? Jean-Luc Peyron *Gip Ecofor Comprise comme la variété des formes de la vie, la biodiversité apparaît étendue, complexe et encore largement méconnue. elle incite en premier à l’analyse de ses multiples formes selon les objectifs que l’on poursuit et les objets ou phénomènes auxquels on s’intéresse. d’aussi nombreux indicateurs permettent d’en donner une idée plus précise et approfondie qu’une simple observation, et de débattre ou échanger, notamment entre scientifiques et utilisateurs. du point de vue des politiques publiques voire de la communication, une vision différenciée reste utile mais, dans certains cas, il apparaît souhaitable de raisonner sur une base synthétique pour permettre un arbitrage entre des décisions aux effets contradictoires sur les différentes composantes de la biodiversité. lorsque l’on a accès à des évaluations monétaires, une approche économique classique de type coûts avantages est possible et on adopte la valeur comme indicateur synthétique. Mais lorsque l’on ne dispose pas d’une telle référence monétaire, il peut être intéressant d’en élaborer une sous la forme d’un indicateur synthétique ou composite. on reproche souvent à de tels indicateurs de prétendre résumer en une seule dimension une multiplicité de facettes et, partant, d’être réducteurs. Mais, d’une part, appréhender la complexité passe par des simplifications qui s’attachent à conserver le maximum d’information mais peuvent aussi être radicales : c’est ce que font couramment les chercheurs qui élaborent des modèles, les experts qui construisent des typologies, les statisticiens qui résument en un, deux ou trois plans factoriels l’ensemble des données dont ils disposent. d’autre part, l’indicateur composite ne substitue pas une dimension à toutes les autres : bien conçu et utilisé, il ajoute une synthèse à toutes les analyses qui, quant à elles, subsistent. Il apporte donc une vision globale sans rien perdre du détail et des éléments d’interprétation. de fait, le besoin d’un indicateur composite pour la biodiversité en forêt s’est fait sentir en plusieurs occasions, notamment lorsqu’il s’est agi d’évaluer une politique de multiples points de vue parmi lesquels celui de la biodiversité. Par ailleurs, son élaboration peut donner l’occasion d’aborder des problèmes de fond qui auraient tendance à être rapidement évacués sinon, concernant par exemple la préférence à accorder à l’évolution d’un indicateur par rapport à un autre. Pour établir un indicateur composite de la biodiversité en forêt, quelles propriétés doivent être recherchées ? dans la mesure où existent des indicateurs de gestion durable publiés et reconnus, il apparaît cohérent de prendre ceux-ci comme base d’un indicateur composite. À partir de là, on peut recommander l’approche consistant à : • sélectionner parmi les indicateurs existants ceux qui caractérisent le mieux la biodiversité et se prêtent le mieux à un étalonnage et à une composition avec d’autres indicateurs ; ces indicateurs existants appartiendront préférentiellement au critère d’Helsinki relatif à la biodiversité mais pourront aussi émaner d’autres critères ; en particulier, la surface forestière est une variable importante pour la biodiversité qui pourrait constituer l’un des indicateurs retenus ; • sérier, pour chaque indicateur, la plage de valeurs efficaces, d’une façon qui soit cohérente et homogène entre les différents indicateurs ; • transformer la plage de valeurs efficaces de l’indicateur pour la faire varier entre 0 et 1, cette dernière valeur étant préférable à 0 ; ce faisant, il convient 57 de décider du mode de transformation (linéaire, concave, convexe) selon la nature des phénomènes évalués et des préférences qui s’expriment ; • combiner en un seul les différents indicateurs retenus, par multiplication ou addition ; • analyser les variations temporelles de l’indicateur composite et de ses composantes en référence à la valeur d’une année donnée prise pour base 100 ; • représenter les résultats sur un graphique en barres reprenant les valeurs de chaque composante et de l’indicateur composite. Une telle procédure est de nature à favoriser le dialogue entre les acteurs, notamment pour ce qui concerne la sélection des indicateurs, le choix de la plage de valeurs, la fonction de variation des valeurs sur la plage [0, 1]. n 58 Utilité des indicateurs taxonomiques de biodiversité forestière Cécile Nivet*, Frédéric Gosselin**, Marion Gosselin** * GIP ECOFOR ** Institut de recherche pour l’ingénierie de l’agriculture et de l’environnement (IRSTEA) Introduction la biodiversité est un concept complexe, englobant à la fois la variabilité génétique des populations, la diversité spécifique et fonctionnelle des communautés, la diversité des écosystèmes et les interactions entre ces différents niveaux organisationnels. Nul indicateur ne saurait prendre en compte l’ensemble de ces composantes : les indicateurs évaluent des compartiments partiels de la biodiversité. dans cette synthèse, nous nous limitons à la composante interspécifique de la biodiversité forestière, à savoir la diversité des communautés d’espèces forestières, pour laquelle deux grands types d’indicateurs sont envisageables. les indicateurs structurels de biodiversité sont fondés sur des données écologiques (des données spatiales, des données issues de la dendrométrie et de la typologie des peuplements, etc.), en lien avec la gestion et les politiques de conservation de la biodiversité. Ils sont censés être corrélés à la diversité spécifique des communautés forestières. Cependant, le lien entre ces indicateurs et l’état réel de la biodiversité n’est pas toujours bien connu. les indicateurs taxonomiques de biodiversité sont, au contraire, des indicateurs directement issus de données d’abondance et de présence-absence d’espèces, permettant d’appréhender la diversité des communautés. Il s’agit donc d’indicateurs centrés sur le suivi de certains taxons – plantes, oiseaux, insectes, mammifères, etc. – pour renseigner sur l’état de la biodiversité. actuellement, les indicateurs structurels sont les plus couramment utilisés dans le jeu des indicateurs de gestion durable [IGd] des forêts françaises métropolitaines (MaaPraT - IFN, 2011). la possibilité de les compléter par des indicateurs taxonomiques de biodiversité est étudiée ici. Quel est l’intérêt de réaliser des suivis taxonomiques de la biodiversité, quelle place tiennent actuellement ces suivis en France et à l’étranger, quels taxons est-il judicieux de suivre, sur la base de quelles variables, selon quels protocoles d’échantillonnage ? les pages qui suivent apportent certains éléments de réponse, sur la base des réflexions et travaux menés sur ce thème entre 2006 et 2011 au sein du programme de recherche « Biodiversité, gestion forestière et politiques publiques »1. I. Pourquoi réaliser des suivis taxonomiques de la biodiversité forestière ? actuellement, les indicateurs de biodiversité associés à la gestion durable des forêts sont pour l’essentiel des indicateurs fondés sur les caractéristiques structurelles des peuplements et des paysages (MaaPraT - IFN, 2011). Ils évaluent l’état des différents compartiments de la biodiversité de manière indirecte : on suit par exemple l’évolution des volumes en bois mort pour se faire une idée de la diversité des espèces saproxyliques qui dépendent de ce micro-habitat. Ce type d’indicateur a le mérite d’offrir aux gestionnaires une information parlante, qui peut être collectée à moindre coût. Programme animé par le Gip Ecofor avec le soutien des ministères en charge du développement durable et de l’agriculture. Plus d’information sur le site BGF : http://bgf.gip-ecofor.org/ 1 59 on sait de plus que la strate arborée conditionne effectivement la présence de nombreuses composantes de la biodiversité et il ne fait ainsi nul doute que les jeux d’indicateurs doivent inclure des indicateurs structurels, en particulier ceux qui font consensus et que l’on sait interpréter du point de vue de la biodiversité (levrel, 2007). Cependant, même pour les indicateurs structurels assez consensuels, il existe aujourd’hui des incertitudes sur les liens présumés entre ces derniers et l’état réel de la biodiversité forestière. des informations manquent, en particulier sur : • les groupes taxonomiques et écologiques effectivement représentés par les indicateurs structurels : par exemple, quels sont les groupes taxonomiques favorisés par le mélange d’essences (indicateur de composition en essences 4.1 de Forest Europe 2) ? • les conditions écologiques de validité de ces indicateurs : par exemple, l’effet du mélange d’essences (indicateur 4.1) sur la flore est-il le même sur tous les types de stations et pour tous les types de mélange ? • la force, la significativité et la constance du lien entre l’indicateur et le(s) compartiment(s) de biodiversité au(x)quel(s) il est relié ; les mécanismes sous-jacents. • la forme de la relation entre l’indicateur et la biodiversité. est-il à interpréter en moyenne, en variance (Bergès et al., 2002), en équitabilité ? dans le cas de l’indicateur 4.1, cela reviendrait à savoir s’il faut privilégier partout les peuplements les plus mélangés ou s’il faut promouvoir pour partie des peuplements mélangés et pour partie des peuplements plus purs. Ces lacunes, ainsi que l’absence de suivis taxonomiques directs en complément des indicateurs structurels, peuvent conduire à des interprétations erronées concernant les tendances de la biodiversité. Tous les cinq ans, l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN)3 publie la liste des indicateurs de gestion durable des forêts françaises métropolitaines (cf. Nivet et al., page 41). Mis en place à l’origine pour évaluer la durabilité des pratiques sylvicoles et non pour assurer le suivi de la biodiversité, ce document propose des indicateurs majoritairement structurels pour évaluer le critère « biodiversité » (critère 4 d’Helsinki). Ces indicateurs donnent une image plutôt positive de l’évolution de la biodiversité en forêt4 : • les peuplements monospécifiques ont tendance à régresser au profit des peuplements mélangés depuis une vingtaine d’années ; • les forêts semi-naturelles sont celles qui profitent le plus de l’expansion forestière (plus que les plantations) ; • on observe une relative stabilité des futaies régulières très âgées5 ; • les surfaces occupées par les espèces acclimatées (douglas, pin noir, etc.) augmentent plus vite que celles occupées par les espèces indigènes mais ces dernières dominent largement les forêts françaises (92 % des peuplements en 2010); • les espèces exotiques ne couvrent que 2 % des forêts et ce taux reste relativement stable ; • la quantité de bois mort est en progression, tout comme les surfaces d’espaces protégés. Il est surprenant de constater que dans un système conçu pour évaluer la durabilité de la gestion forestière, le seul indicateur qui renvoie une image vraiment négative concerne la fragmentation du territoire forestier (cf. synthèse précédente, indicateur 4.7), un phénomène influencé par des facteurs extérieurs à la gestion forestière tels que les changements d’affectation des terres, les pollutions diffuses ou le changement climatique. Ces pressions mériteraient d’être évaluées dans une optique de Le processus Forest europe s’appuie sur les Conférences ministérielles pour la protection des Forêts en Europe : Strasbourg (1990), Helsinki (1993), Lisbonne (1998), Vienne (2003), Varsovie (2007), Oslo (2011). 3 Cet organisme résulte de la fusion, au 1er janvier 2012, de l’Institut géographique national (IGN) et de l’Inventaire forestier national (IFN) 4 L’édition 2010 des indicateurs de gestion durable des forêts françaises métropolitaines (MAAPRAT - IFN, 2011) marque une rupture avec les éditions précédentes, principalement en raison de l’adoption d’une nouvelle définition de la forêt et du changement de méthode d’inventaire de l’IGN. Il convient ainsi plutôt de considérer les résultats de la nouvelle édition comme un état zéro des indicateurs (Nivet et al., page 41). Les tendances mentionnées ci-dessous se basent ainsi plutôt sur les séries précédentes (1995, 2000 et 2005) même si les chiffres sont actualisés. 5 Néanmoins très variable selon les essences concernées (MAAPRAT - IFN, 2011) 2 60 suivi de la biodiversité forestière, dans un cadre plus large que celui de l’évaluation de la gestion forestière. les indicateurs taxonomiques sont quasiment absents des indicateurs de gestion forestière durable. l’indicateur 4.8 sur les espèces forestières menacées d’extinction montre pourtant que l’état de la biodiversité forestière n’est pas aussi bon que la plupart des indicateurs structurels le laissent penser. d’autres indicateurs taxonomiques traduisent une baisse de la diversité des espèces forestières. ainsi, l’abondance des populations d’oiseaux communs inféodées aux milieux forestiers a reculé de 12 % entre 1989 et 2009 (Jiguet F., 2010). Cette observation montre qu’il existe des incertitudes sur les liens qui existent réellement entre les indicateurs taxonomiques (ici, l’abondance d’oiseaux communs) et structurels (par exemple, présence de futaies régulières âgées, richesse en essences dans les peuplements, supposées être favorable aux oiseaux), une incertitude d’ailleurs confirmée par la littérature6. de plus, ce système d’indicateurs fondé essentiellement sur le suivi de données dendrométriques liées (c’est le présupposé) à une composante de biodiversité pourrait participer à une forme de normalisation des pratiques de gestion forestière alors qu’il existe des incertitudes de taille sur l’effet réel de ces dernières sur la biodiversité. Ces considérations portent finalement à croire que l’information obtenue par le biais des suivis d’espèces permettrait de mieux caractériser l’état de la biodiversité et de rééquilibrer le système d’indicateurs Pression-étatréponse (cf. Nivet et al., page 41). II. Quels suivis taxonomiques à l’étranger7? la plupart des pays européens ayant signé la Convention sur la diversité biologique (CdB) s’organisent actuellement pour l’appliquer dans le domaine forestier et plusieurs organismes publient des listes d’indicateurs dont une partie est en rapport avec la biodiversité forestière, à l’image du processus européen SEBI 20108 (EEA9, 2009). Concernant la biodiversité forestière, les suivis taxonomiques peuvent exister : • soit au sein du volet forestier des suivis nationaux ou internationaux de biodiversité, qui concernent plusieurs types de milieux ; • soit au sein du volet biodiversité des suivis tels que ceux réalisés dans le cadre des inventaires forestiers nationaux. n volet forestier des suivis de biodiversité Globalement, au niveau international et tous types de milieux confondus, les suivis de biodiversité concernent très peu de taxons en dehors des vertébrés (oiseaux, mammifères), des plantes vasculaires et de certains champignons ou insectes facilement identifiables (lépidoptères, libellules, gros coléoptères). À l’échelle européenne et aux échelles nationales, Gosselin et Paillet (2011) notent que les taxons actuellement les plus surveillés sont les oiseaux, les mammifères ainsi que les papillons de jour, pour partie en raison de l’essor récent de programmes fondés sur la participation du public (naturalistes ou amateurs) à la récolte de données10. C’est le cas, en France métropolitaine, du Suivi temporel des oiseaux communs (SToC), un programme qui s’appuie sur des ornithologues volontaires pour suivre l’évolution annuelle de l’abondance de différentes espèces d’oiseaux communs, en particulier celle d’oiseaux spécialistes des milieux forestiers. les stratégies de collecte des données nécessaires à ces suivis de biodiversité varient selon les pays. dans la majorité des cas, ce sont les ministères en charge de l’environnement qui rassemblent les données des suivis existants et coordonnent les différents opérateurs en charge de la réalisation de ces derniers. Ce système se heurte à de nombreuses questions, notamment d’ordre méthodologique, du Cf. Redford, 1992 ; Gosselin et Laroussinie, 2004 ; Balmford et al., 2005 ; Dudley et al., 2005 Cf. Gosselin et Paillet, 2011 8 Le processus Streamlining European Biodiversity Indicators (SEBI) s’inscrit dans la Stratégie européenne pour la biodiversité. 9 L’Agence européenne pour l’environnement 10 Cf. les résultats du projet européen BIOMAT : http://eumon.ckff.si/biomat/ 6 7 61 type « comment agréger des données récoltées à différents niveaux et pour différents objectifs ? », « comment valoriser des données dans un objectif autre que celui pour lequel l’organisation de leur collecte a été conçue ? (types de relevés, dimensionnement de l’échantillonnage)», etc. dans quelques cas plus rares, des pays ou provinces se lancent dans la mise en place de programmes réellement dédiés au suivi de la biodiversité. Ils sont fondés sur un échantillonnage statistique rigoureux afin de permettre une interprétation des résultats sur l’ensemble du territoire ciblé : c’est le cas des suivis de la biodiversité conduits en Suisse11 ou en alberta (Canada)12. Menés sur l’ensemble du territoire, ils ont assez de points d’échantillonnage en milieu forestier pour contribuer significativement à un suivi de biodiversité forestière. dans le cas de la Suisse, l’exploitation des données recueillies dans le cadre de ce suivi a déjà donné des résultats intéressants pour la biodiversité forestière (cf. Gosselin et Paillet, 2011). n volet biodiversité des suivis forestiers l’importance de mesurer et de surveiller l’évolution des forêts est largement reconnue dans les processus politiques internationaux, qui portent un intérêt à la disponibilité de la ressource en bois mais également à la conservation de la biodiversité des forêts et à la gestion durable ; des systèmes de suivis ont été mis en place pour évaluer la durabilité de la gestion forestière où la biodiversité est un critère d’évaluation parmi d’autres. au niveau européen, la stratégie en faveur du développement durable et plus précisément le processus Forest Europe identifient la biodiversité comme l’un des six critères de gestion durable. la biodiversité est évaluée par un système essentiellement composé d’indicateurs structurels de pression liés à la gestion forestière (variables dendrométriques corrélées à telle ou telle composante de la biodiversité ou supposées l’être) ; la déclinaison française de ce processus donne lieu à la publication, tous les cinq ans, des indicateurs de gestion durable des forêts françaises métropolitaines (MaaPraT - IFN, 2011), qui reprennent et complètent ceux de Forest Europe (Forest Europe et al., 2011). Il n’existe pas encore à proprement parler de système global de suivi de la biodiversité forestière à l’échelle européenne autre que celui sur les espèces en danger13. les pays forestiers qui sont dotés d’inventaires forestiers nationaux ajoutent néanmoins progressivement à leurs relevés des données d’abondance d’espèces ou de groupes d’espèces particuliers, notamment les plantes vasculaires, les bryophytes, les lichens et les champignons saproxyliques. les suivis de biodiversité s’appuient donc le plus souvent sur les données des inventaires forestiers nationaux pour organiser le reporting sur la biodiversité forestière. Mais les indicateurs taxonomiques y sont encore rares ou concernent des taxons qui ne sont pas les plus forestiers ni les plus menacés. Un récent ouvrage de Tomppo et al. (2010) explore les possibilités d’utiliser ces inventaires pour répondre aux demandes internationales en matière de suivi et notamment en matière de suivi de la biodiversité. l’étude porte sur trente-sept pays14 dont vingt-trois sont membres de l’Union européenne. vingt-sept pays (soit les deux tiers) utilisent des données de leur inventaire forestier national pour les suivis de biodiversité15 et parmi eux : • presque tous (excepté le Portugal) recourent à des indicateurs de biodiversité basés sur des données structurelles comme le volume de bois mort ou la structure verticale du peuplement ; Cf. site du monitoring de la biodiversité en Suisse Cf. le site internet Alberta Biodiversity Monitoring Institute 13 Cf. listes et livres rouges de la flore et de la faune menacées sur le site de l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN) 14 Allemagne, Autriche, Belgique (Wallonie), Brésil, Canada, Chine, Chypre, Corée, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, USA, Finlande, France, Grande-Bretagne, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Italie, Japon, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République slovaque, République tchèque, Roumanie, Russie, Slovénie, Suède, Suisse 15 Suivis nationaux ou internationaux requis par les engagements internationaux issus du processus Forest europe, de la Convention sur la diversité biologique (CDB), des rapports de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). 11 12 62 • les deux tiers, dont la France, recourent à des indicateurs taxonomiques directs, de type « présenceabsence » ou « abondance » d’espèces. dans cette catégorie : - les groupes taxonomiques les plus surveillés en dehors des ligneux concernent le plus souvent la végétation du sous-bois. dans la moitié des cas, les données collectées au niveau de l’espèce concernent le groupe des plantes vasculaires ; - les données concernant d’autres groupes sont rares : six pays relèvent des données sur les lichens épiphytes, deux pays s’intéressent aux bryophytes (France et Slovaquie) et aux champignons (Slovaquie et Suisse). Cependant, ces suivis taxonomiques restent limités, (i) soit parce qu’ils portent sur une liste limitée d’espèces ; par exemple, l’allemagne relève les abondances de seulement huit espèces de plantes vasculaires fréquentes et la Norvège une espèce seulement ; la Suisse surveille l’évolution de onze espèces de champignons saproxyliques ; (ii) soit parce que les données sont prélevées à des niveaux moins fins que l’espèce : • à l’échelle du groupe d’espèces : pour les lichens épiphytes, les données consistent fréquemment à estimer le couvert de trois groupes morphologiques, à savoir les lichens fruticuleux, foliacés ou crustacés (espagne, Irlande) ; • à l’échelle du genre : c’est le cas par exemple des champignons saproxyliques du genre polypore en estonie ou des lichens Usnea Bryoria et Alectoria en Suède ; • à des échelles taxonomiques supérieures : relevé du couvert végétal (toutes espèces confondues) par exemple. III. Quelles espèces suivre en forêt et comment ? on a vu précédemment qu’il existait de nombreuses incertitudes sur les liens entre les variables utilisées comme indicateurs de biodiversité et l’état réel de celle-ci en milieu forestier ; les indicateurs taxo- nomiques sont donc des compléments nécessaires aux indicateurs structurels. Mais il existe aussi des incertitudes quant à la capacité des suivis actuels à répondre aux questions que la société se pose en termes d’évolution de la biodiversité forestière. actuellement, les objectifs des suivis de biodiversité forestière ne sont pas assez clairs : « sur quels compartiments de la biodiversité met-on l’accent ? » ; « à quelle échelle le suivi doit-il être mené ? » ; etc. des auteurs (exemple : levrel et al., 2007) plaident par conséquent pour l’introduction de suivis de biodiversité supplémentaires dont la mise en place soit conditionnée par la définition préliminaire d’objectifs clairs : on ne s’intéressera en effet pas aux mêmes espèces selon que l’on veut évaluer l'état de populations d'espèces rares ou l'efficacité de mesures conservatoire du bois mort pour la biodiversité saproxylique. n Quelles espèces suivre ? Parmi les multiples objectifs de suivis possibles concernant la biodiversité forestière, deux objectifs principaux sont identifiés ici : • évaluer l'état et l'évolution de la biodiversité forestière pour les reporting requis par les conventions internationales (espèces communes et bien connues, espèces forestières menacées, espèces patrimoniales, etc.) ; • évaluer l'impact des politiques publiques (politique forestière, politique de conservation) sur les espèces sensibles aux changements globaux (dont les pratiques sylvicoles)16. dans cette optique, on recommandera alors par exemple le suivi des trois catégories d’espèces ou groupe d’espèces suivantes : • les espèces menacées, tous milieux confondus (listes rouge UICN) ; • les espèces communes à large amplitude de milieux ; • et les espèces spécialistes des milieux forestiers17, telles que : On ne s’intéresse ici qu’à la composante spécifique de la biodiversité forestière. La composante génétique n’est pas traitée, sinon de façon marginale. 16 63 - des espèces ou groupes d’espèces choisis en fonction des enjeux de biodiversité en forêt, des menaces qui pèsent sur eux, des politiques mises en œuvre et de la capacité à suivre ces groupes (par exemple les espèces de l’annexe II de la directive « Habitats-Faune-Flore» (1992), pour lesquelles le réseau conservatoire Natura 2000 est mis en œuvre) ; - des espèces ou groupes d’espèces les plus sensibles aux choix de gestion, notamment à l’exploitation (ex : bryophytes, les insectes saproxyliques et les champignons), dont : (i) les espèces ou groupes limités par les ressources (espèces inféodées au bois mort, aux forêts non exploitées, aux vieux arbres, etc.) ; (ii) des espèces ou groupes limités par leurs capacités de dispersion et potentiellement sensibles soit à la fragmentation par des linéaires de transport, soit au rythme et à l’intensité des coupes, soit au changement climatique ; (iii) des espèces ou groupes particulièrement sensibles au climat. le choix des groupes d’espèces à suivre repose en grande partie sur la connaissance des menaces qui pèsent sur elles, notamment en termes d’évolution des pratiques de gestion. Pour cela, on peut s’inspirer de la littérature scientifique : par exemple, si les forestiers appréhendent souvent la biodiversité à travers la diversité des essences d’arbres et de la flore vasculaire, celle-ci s’avère moins sensible à l’exploitation du bois que d’autres groupes taxonomiques (Gosselin, 2004 ; Paillet et al. 2010). de même, les analyses ci-dessus mettent peu l’accent sur les groupes indicateurs de parties plus grandes de la biodiversité car les arguments scientifiques en faveur de cette approche sont discutés (dallari 2007; Gosselin et dallari, 2007). Par ailleurs, le choix des espèces est aussi largement subordonné à d’autres considérations, telles que le coût du suivi, la quantité de données déjà disponibles, la capacité technique à suivre les groupes taxonomiques, etc. n Pour les suivis de taxons saproxyliques en forêt Gosselin et dallari (2007) plaident pour coupler les suivis de biodiversité existants (flore vasculaire, oiseaux) avec le suivi d’au moins un groupe d’espèces saproxyliques. dépendantes du bois mort pour tout ou partie de leur cycle, ces dernières représenteraient près du quart des espèces forestières, faune, flore et champignons confondus. en France, près de dix mille espèces seraient concernées, en particulier des champignons, des insectes (coléoptères) mais aussi de nombreuses espèces d’invertébrés, de bryophytes (mousses et hépatiques) et de vertébrés (oiseaux, rongeurs, etc.). actuellement, on estime à 11 % la proportion de coléoptères saproxyliques menacés à l’échelle pan-européenne et à 14 % dans les pays de l’Union (Geburek et al., 2010). Cette évaluation est faite à dire d’expert. Plus généralement, dans les pays européens dotés d’observatoires environnementaux, c’est environ 20 à 50 % des espèces saproxyliques qui figurent sur les livres rouges des taxons menacés d’extinction (notamment l’allemagne)18. Pourtant, durant les dernières décennies, le volume de bois mort a eu plutôt tendance à augmenter en europe. Ce constat fait douter certains de l’importance de ce micro-habitat pour la conservation de la biodiversité. Mais selon Gosselin et dallari (2007), c’est méconnaître l’importance de l’effet de traîne associé au phénomène d’extinction d’espèces (Pimm, 2002). de plus, les évolutions prévisibles de la gestion forestière, notamment avec la montée du bois énergie, pourraient conduire (i) au maintien ou à une baisse du volume moyen de bois mort, (ii) à une plus grande variance spatiale du volume de bois mort (juxtaposition d’îlots de vieux bois ou de sénescences et de parcelles gérées de manière intensive) et (iii) à une plus grande variance temporelle du volume de bois mort, là où le bois énergie sera récolté. Ces tendances, notamment la première, pourraient être relativisées, par exemple dans le cas de l’augmentation du phénomène de dépérissement. Ce qui est certain aujourd’hui, c’est qu’on ne 17 Cf. exemple des carabiques forestiers qui répondent plus fortement et plus nettement à la surface terrière que la flore forestière (où ?) voir les travaux des Equipes en Bretagne ( ?) Emmanuelle Richard, 2004 ? 18 On manque néanmoins de données sur les espèces saproxyliques menacées autres que les insectes. 64 sait pas bien prédire l’impact de ce type de scénario sur les cortèges saproxyliques et c’est pourquoi la mise en place d’un suivi de taxons saproxyliques à l’échelle européenne ou française serait utile. Gosselin et dallari (2007) proposent deux groupes d’espèces saproxyliques faciles à suivre : les coléoptères saproxyliques et les polypores. n Comment suivre ces espèces ? Nous proposons ici quelques pistes de réflexion concernant deux étapes clés liées à la mise en place opérationnelle d’un suivi taxonomique de biodiversité : la première concerne le type de données à récolter, la seconde concerne le plan d’échantillonnage. d’autres aspects méthodologiques, liés par exemple au choix des variables écologiques ou aux analyses statistiques, ne sont pas abordés ici (cf. encadré 1). Il est néanmoins important de garder à l’esprit que toutes ces étapes doivent être pensées en fonction des objectifs du suivi. Quelles données récolter ? la richesse spécifique (cf. encadré 2) est la mesure ENCADRÉ 1 la qualité d’un suivi taxonomique repose sur plusieurs critères essentiels identifiés par Gosselin (2011) comme suit : Critère 1 définir des objectifs du suivi (inclut le choix des groupes à suivre) Critère 2 construire un plan d’échantillonnage adapté aux objectifs du suivi Critère 3 conduire éventuellement une étude pilote pour améliorer la précision du suivi. Il pourra s’agir par exemple d’améliorer les connaissances sur les seuils de détectabilité des individus ou des espèces dans le cadre du protocole de suivi ou des analyses de données. Critère 4 choisir les méthodes standard de relevés Critère 5 choisir les variables écologiques explicatives à collecter (spatiale, stationnelle ou dendrométrique) en parallèle aux données taxonomiques, pour améliorer par exemple la précision statistique du suivi ou pour répondre aux questions définies initialement. ENCADRÉ 2 Richesse spécifique : nombre total d’espèces de la communauté. Plus la richesse est grande, plus la diversité est élevée. Cette quantité n’a de sens que précisée par rapport à l’échelle à laquelle elle se rapporte (Gosselin et laroussinie, 2004). Abondance d’espèce : elle peut être mesurée et quantifiée de différentes façons (non équivalentes) par : • le nombre d’individus de l’espèce (abondance numérique) • la biomasse de l’espèce • le recouvrement, en pourcentage de la surface recouverte par l’espèce (pour les plantes notamment) • la fréquence, ou le pourcentage de présences de l’espèce dans des fractions du relevé l’abondance relative d’une espèce se présente bien souvent comme l’abondance d’une espèce dans un relevé par rapport à l’abondance totale du relevé (toutes espèces confondues) (d’après Gosselin et laroussinie, 2004). Répartition ou distribution spatiale : elle peut se définir comme l’aire de répartition ou comme la fluctuation spatiale de l’abondance des organismes dans leur aire de répartition. Une communauté est dite équirépartie lorsque tous les taxons (familles, genres, espèces) qui la composent ont la même abondance. Par construction, plus une communauté tend vers l’équirépartition, plus sa diversité augmente. de même, à équitabilité donnée, plus la richesse taxonomique est grande, plus la diversité augmente (Gosselin et laroussinie, 2004). 65 de biodiversité actuellement la plus utilisée. or, il existe aujourd’hui un consensus parmi les écologues pour dire que les indicateurs basés sur des données de richesse sont peu informatifs en ce qui concerne les dynamiques des écosystèmes et de la biosphère de manière générale. les indicateurs basés sur ce type de données seraient en particulier très dépendants des échelles auxquelles ils sont mesurés et peu sensibles aux variations de court terme (notamment lorsque l’on raisonne à large échelle) dans la mesure où l’extinction d’une espèce est un processus lent (Chevassus-au-louis et al., 2009). depuis quelques années, la communauté des écologues favorise plutôt l’élaboration d’indicateurs basés sur les variations d’abondance (cf. encadré 2) ou sur des suivis considérant l’identité des espèces et non seulement leur nombre. Ces indicateurs seraient non seulement plus sensibles aux dynamiques de court terme mais aussi plus compréhensibles pour les parties prenantes. Ils sont déjà utilisés dans les méthodologies proposées par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et dans certains cas par l’agence européenne pour l’environnement, par la Convention sur la diversité biologique (CdB) ou encore dans le cadre du Suivi temporel des oiseaux communs (programme SToC). la méthodologie de l’UICN pour évaluer le degré de menace pesant sur les espèces peut aussi utiliser des données démographiques (taux de survie, reproduction, dispersion, etc.). Selon certains auteurs comme Thompson (2006), cette approche démogra- phique serait la plus rigoureuse car elle permettrait d’estimer très précisément les probabilités d’extinction d’une espèce à différents horizons de temps. Mais la récolte des données nécessaires à cette approche requiert un travail de terrain très important et c’est pourquoi Gosselin et dallari (2007) plaident plutôt en faveur des suivis d’abondance, en tout cas dans le cas des suivis de groupes d’espèces. Ces derniers permettent selon eux de suivre un plus grand nombre d’espèces et d’aboutir sur un large territoire et sur le moyen terme aux mêmes tendances que les suivis démographiques. en croisant les catégories d’espèces à suivre avec le type de données à récolter, ils aboutissent finalement au tableau1. Ces analyses rejoignent globalement celles de levrel et al. (2007), qui proposent de faire des regroupements taxonomiques et d’élaborer des indicateurs composites de biodiversité fondés sur des données recueillies au niveau de l’espèce. Ces regroupements peuvent prendre en compte des caractéristiques variées d’espèces, qu’elles concernent les fonctions des espèces dans les écosystèmes, leurs réponses à des gradients écologiques, leur sensibilité à des types d’habitats ou de gestion ou, plus généralement, leurs caractéristiques écologiques. les données d’abondance de communautés permettent ainsi une diversité de modes d’analyse qui en font des données riches, pouvant d’ailleurs être utilisées pour évaluer d’autres critères de la gestion durable forestière que le critère biodiversité (Gosselin et Gosselin, 2008). Espèces ou groupe d’espèces… Critère de choix Démographie Abondance Répartition …menacées Tous milieux x (x) (x) …à large amplitude de milieux x x …spécialistes forestiers x x x x …communes …dont sensibles à la gestion forestière (x) Tableau 1 : taxons sélectionnés par Gosselin (2011) pour l’élaboration d’indicateurs de biodiversité en fonction du type de données à récolter. Une croix « x » signifie que le croisement est envisageable, une croix entre parenthèses émet certaines réserves et l’absence de croix signifie qu’a priori, le croisement n’est pas envisageable. 66 Quel plan d’échantillonnage associé ? Comme il est rare de pouvoir suivre l’ensemble des populations d’un taxon, on procède généralement à un échantillonnage ciblé qui consiste à récolter des données de populations représentatives de l’ensemble des populations. Pour y arriver, il est important de veiller à ce que la sélection des sites d’échantillonnage ne soit pas biaisée ; veiller par exemple à ce qu’ils ne se situent pas exclusivement dans des zones à « problème », en bord de route ou dans des zones qui tronquent une partie du territoire comme c’est légèrement le cas du réseau de l’IGN, qui relève des données exclusivement dans les forêts de production (95 % des forêts françaises métropolitaines). la méthode d’échantillonnage à mettre en œuvre dépend directement des questions que l’on se pose et des populations ou espèces à suivre. Si l’on souhaite avoir une bonne représentation des tendances spatiale ou temporelle des espèces communes, on procèdera par exemple plutôt à un échantillonnage systématique, aléatoire ou stratifié. Si l’on cible à l’inverse des espèces rares, on sera alors plutôt amené à mettre en place un échantillonnage adaptatif (densité plus forte autour des sites de présence). Si l’on cherche encore à évaluer une politique de préservation ou de gestion – par exemple dans le cadre d’une étude d’impact d’une nouvelle pratique –, l’échantillonnage recommandé sera alors probablement un échantillonnage stratifié, qui consistera par exemple à suivre des populations d’espèces cibles en et hors zone concernée (cf. encadré 3). IV. Quelles perspectives pour le développement d’indicateurs taxonomiques ? Comme nous l’avons vu précédemment, nous disposons aujourd’hui de très peu d’indicateurs d’état de la biodiversité spécifique. Plusieurs auteurs tels que Pereira et Cooper (2006) plaident pour la mise en place supplémentaire de ce type de suivis. Ils plaident aussi pour l’insertion, au sein des indicateurs de gestion durable des forêts, d’indicateurs pour évaluer l’impact des politiques publiques sur la biodiversité. n Pour le développement d’indicateurs pour évaluer l’impact des politiques publiques sur la biodiversité les indicateurs de biodiversité actuellement proposés en forêt ne permettent pas, pour la plupart, d’évaluer l’impact des politiques (exemple : la direc- ENCADRÉ 3 Échantillonnage systématique : la population étudiée est échantillonnée sur une grille régulière de points dont l’origine est choisie au hasard. Échantillonnage aléatoire : chaque unité statistique de la population étudiée a la même probabilité d’être choisie dans l’échantillon (Bastien et Gauberville, 2011). Échantillonnage stratifié : la population étudiée est découpée préalablement en sous-ensembles appelés strates et où les unités statistiques font, dans chacune d’entre elles, l’objet d’un échantillonnage aléatoire indépendant des autres strates (Bastien et Gauberville, 2011). Échantillonnage adaptatif : le nombre de placettes échantillonnées dépend de l’occurrence et du nombre d’individus rencontrés durant l’échantillonnage. Particulièrement adaptée pour le suivi d’espèces rares, en bouquet ou distribuées de façon non homogène, cette méthode ne permet cependant pas de prévoir à l’avance le coût de l’échantillonnage et nécessite des calculs supplémentaires (moyenne, variance). 67 tive Habitats-Faune-Flore, 1992) sur la biodiversité inter-spécifique ou de fournir aux futurs décideurs des éléments de diagnostic utiles pour la conception de nouvelles politiques. Il s’agit pourtant d’un objectif important19. les politiques mises en œuvre sont souvent basées sur des hypothèses dont il faudrait en effet vérifier l’efficacité, une remarque qui plaide pour une intégration plus forte des suivis dans les processus de décision et de régulation et qui va de pair avec la nécessité de mieux définir les objectifs du suivi. les liens du suivi et des indicateurs retenus avec une politique peuvent se faire de différentes façons : • le suivi peut avoir pour seul but de donner un état de la situation ; nous sommes aujourd’hui très souvent dans ce cas ; il s’agit alors de cerner l’état du « système » ; • le suivi peut avoir pour but d’évaluer les politiques de conservation ou de gestion, sans hypothèse a priori sur les mécanismes biologiques sous-jacents : on cherche simplement à voir si l’évolution de la biodiversité est différente selon qu’on est en zone bénéficiant d’actions de préservation ou non ; on pourrait ainsi envisager d’évaluer l’efficacité de la gestion pratiquée au sein du réseau Natura 2000 forestier en comparant l’évolution de sa biodiversité via des indicateurs biotiques par rapport à celle de forêts situées en dehors du réseau ; dans ce cas, la répartition du plan d’échantillonnage doit être équilibrée entre zones protégées et zones non protégées20 ; • le suivi peut enfin avoir pour but d’évaluer les politiques de conservation, en faisant des hypothèses a priori sur les mécanismes biologiques sousjacents que l’on suppose dominants. dans les niveaux d’intégration les plus poussés, le système de suivi de l’efficacité d’une politique publique devrait comporter, de façon équilibrée, des indicateurs d’état, de pression et de réponse : à chaque indicateur d’état de la biodiversité (ou d’un compartiment donné de biodiversité) devrait ainsi correspondre un ou plusieurs indicateurs de pression (pression anthropique influençant cette part de biodiversité, via des impacts sur son habitat par exemple) et un ou plusieurs indicateurs de réponse (actions ou politiques mises en œuvre pour remédier à ces impacts). À titre d’exemple, Hagan et Whitman (2006) proposent de sélectionner cinq à quinze « composantes » de biodiversité d’importance (pas de choix préétabli). Pour chacune d’elles, les auteurs proposent de développer des indicateurs d’état, de pression et de réponse. en somme, une meilleure intégration des systèmes de suivis dans la politique permettrait d’améliorer la clarté et la pertinence des objectifs du suivi, de mieux adapter les plans d’échantillonnage et, par ricochet, les indicateurs associés. Cela permettrait notamment, selon Gosselin et al. (2009), de mieux prendre en compte les enjeux de biodiversité (écologique, politique) actuels. la politique actuelle en faveur de l’utilisation du bois énergie nécessiterait par exemple la mise en place d’un suivi robuste d’espèces saproxyliques. n Propositions pour le développement d’indicateurs taxonomiques Nous avons ci-dessus expliqué de quels points de vue l’insertion d’indicateurs taxonomiques de biodiversité supplémentaires parmi les indicateurs de gestion forestière durable apparaît souhaitable. dans cette perspective, quelques propositions peuvent être formulées sur la base du travail de Gosselin et dallari (2007) : (i) privilégier le développement d’indicateurs taxonomiques à large échelle (biogéographique, nationale ou européenne) plutôt qu’à l’échelle régionale ou locale, compte tenu des contraintes logistiques ; il paraît en effet difficile de viser des indicateurs taxonomiques statistiquement interprétables aux échelles locales, en tout cas avec des moyens raisonnables ; (ii) améliorer, si c’est possible, le principal indicateur d’état de la biodiversité forestière (Gosselin et Gosselin, 2008), à savoir l’indicateur 4.8 de gestion forestière durable qui présente la proportion d’espèces forestières menacées conformément aux caté- Cf. Underwood, 1995 ; Bawa et Menon, 1997; Lindenmayer, 1999 ; Vos et al., 2000 ; Thompson, 2006 Cf. sur ce point l’exemple du projet GNB – Gestion, Naturalité et Biodiversité – qui compare la biodiversité en réserve forestière non–exploitée et en forêt exploitée (https://gnb.cemagref.fr/). 19 20 68 gories de l’UICN ; cet indicateur présente l’avantage d’être la version forestière d’un indicateur utilisé plus globalement ou dans d’autres milieux ; les pistes d’amélioration formulées par exemple dans le cadre de l’observatoire national de la Biodiversité (oNB) pourraient être appliquées au niveau forestier (par exemple : incorporation dans le périmètre de l’indicateur d’une partie des espèces éteintes ; considération d’une version dynamique de cet indicateur – Red List Index21, etc.). on pourrait aussi compléter ou illustrer l’indicateur 4.8 par des zooms sur des espèces qui seraient l’objet d’une attention ou d’un suivi – par exemple démographique – particuliers (cf. Hamza et al., 2007) ; (iii) suivre l’abondance d’espèces ou de groupes taxonomiques à large amplitude de milieux incluant des généralistes, des spécialistes forestières et d’autres milieux, notamment terrestres. Ces données pourraient être utilisées en France, voire à l’échelle européenne ou mondiale22 afin de comparer l’évolution de la biodiversité dans différents milieux, comme le fait déjà par exemple le programme SToC. Il serait intéressant de restreindre ces analyses à celle d’espèces très spécialistes de ces différents milieux. Il existe déjà des données d’abondance de populations relatives aux suivis de certains groupes taxonomiques en forêt : au niveau français, cela concerne en particulier les oiseaux via le programme SToC coordonné par le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) - et la flore vasculaire - via les réseaux de placettes gérés par l’IGN et par le département de la santé des forêts (dSF) du ministère en charge de l’agriculture. l’utilisation des données taxonomiques existantes ne doit cependant pas se faire à n’importe quel prix et il faudra bien réfléchir à la pertinence de faire évoluer le plan d’échantillonnage et les protocoles associés (cf. Gosselin et dallari, 2007) ; (iv) compléter les suivis taxonomiques existants par le suivi national ou supra-régional (européens dans notre cas) de groupes liés à des objectifs particuliers. Gosselin et dallari (2007) et Gosselin et al. (2009) insistent sur l’intérêt de suivre l’abondance de groupes taxonomiques davantage liés aux enjeux forestiers que les groupes déjà suivis. Parmi les enjeux, la pression pesant sur certains habitats ou micro-habitats (les vieux peuplements et le bois mort) plaide selon eux pour le suivi de l’abondance ou de la répartition de groupes taxonomiques saproxyliques comme les coléoptères et les polypores sparoxyliques. Pour tester la faisabilité d’un tel suivi et identifier le type de données qu’il serait le plus pertinent de récolter, ils proposent de tester son opportunité à travers un projet pilote, en se servant par exemple du réseau de placettes du dSF. (v) Pour évaluer le critère de gestion forestière durable relatif à la biodiversité (critère 4), il est important de pouvoir relier les évolutions de la biodiversité à : • des pressions issues de la gestion forestière ainsi, éventuellement, qu’à d’autres pressions extérieures à la forêt (artificialisation, etc.) ; • des réponses ou politiques publiques visant pour partie à préserver la biodiversité, notamment forestière. Gosselin et dallari (2007) insistent dans ce cadre sur la définition des questions auxquelles aura à répondre le suivi de biodiversité : devra-t-il être représentatif de la situation française moyenne? devra-t-il évaluer des politiques générales (comme le réseau Natura 2000) ou plus particulières (comme la mise en place par l’oNF d’une politique en faveur des îlots de vieux bois et de sénescence23)? devrat-il évaluer l’impact des unités de cogénération issues de biomasse forestière sur la biodiversité saproxylique ? etc. Une fois ces questions posées et les groupes taxonomiques sélectionnés, il faut construire le plan d’échantillonnage et collecter les variables (écologiques, de gestion) qui permettront d’apporter des réponses aux questions retenues. en parallèle à ces suivis, landmann et Gosselin (2009) plaident pour Cf. Gosselin et Dallari (2007) ainsi que le site internet Birdlife International : http://www.birdlife.org/ Cf. Pereira et Cooper (2006) et Lughadha et al. (2005) 23 Cf. ONF, 2009. Instruction biodiversité « conservation de la biodiversité dans la gestion courante des forêts publiques ». 11 pages. 21 22 69 la mise en place de projets pilotes en France et/ou en europe pour (i) mieux jauger des liens qui existent réellement entre la biodiversité et les groupes écologiques/taxonomiques et (ii) identifier les facteurs de changement et les évolutions les plus probables (par exemple, l’évolution du bois mort, des vieux arbres, de la non exploitation, du climat ou de la fragmentation). Certains de ces projets pourraient impliquer une approche expérimentale ou de gestion adaptative (Cordonnier et Gosselin, 2009 ; Cordonnier et al., 2009). Conclusion Il reste beaucoup à faire pour améliorer les systèmes de suivis actuels de la biodiversité forestière. Cet article plaide pour l’intégration de nouveaux suivis d’état de la biodiversité dans un système d’analyse équilibré (système Pression - état - réponse, cf. Nivet et al., page 41), construit en lien avec des objectifs clairement définis. aux côtés des indicateurs structurels existants, ces indicateurs taxonomiques limiteraient vraisemblablement les controverses et amélioreraient les débats sur la biodiversité, sa gestion et son évaluation aux différentes échelles. la concrétisation des pistes évoquées ci-dessus dépendra pour partie des crédits publics disponibles. on peut néanmoins déjà supposer que la reconnaissance récente de ces problématiques au sein de la Convention sur la diversité biologique et de l’agence européenne pour l’environnement jouera probablement en faveur de l’intégration d’indicateurs supplémentaires aux côtés des indicateurs de gestion forestière durable actuels. n Cette synthèse se base essentiellement sur les références suivantes Gosselin M. et Paillet Y., 2011. Suivis opérationnels de biodiversité forestière : quelles expériences à l’étranger ? Paris : Cemagref, 50 p. Gosselin, 2011. Suivis d’état de la biodiversité interspécifique en forêt Pourquoi ? Quoi ? Comment ? Colloque « les indicateurs forestiers sur la voie d’une gestion durable ? Communication orale, Montargis, 6 et 7 décembre. Gosselin F. et dallari r., 2007. Des suivis « taxonomiques » de biodiversité en forêt. Pourquoi ? Quoi ? Comment ?, Nogent-sur-vernisson : Gip ecoforCemagref, 119 p. levrel H., loïs G. et Couvet d., 2007. Indicateurs de biodiversité pour les forêts françaises. état des lieux et perspectives, Revue forestière française, vol. 59 (1), p.45-56. autres références bibliographiques Balmford a., Bennun l., ten Brink B., Cooper d., Cote I.M., Crane P., dobson a., dudley N., dutton I., Green r.e., Gregory r.d., Harrison J., Kennedy e.T., Kremen C., leader-Williams N., lovejoy T.e., Mace G., May r. and Mayaux P., 2005. The convention on biological diversity’s 2010 target, Science, vol. 307 (5707), p.212-213. Bastien Y. et Gauberville C., coordinateurs, 2011. Vocabulaire forestier : Écologie, gestion et conservation des espaces boisés. Paris : Institut pour le développement Forestier (IdF), 608p. Bawa K.S. and Menon S., 1997. Biodiversity monitoring: the missing ingredients, Trends in Ecology & Evolution, 12 (1), p.42-42. Bergès l., Gosselin M., Gosselin F., dumas Y. et laroussinie o., 2002. Prise en compte de la biodiversité dans la gestion forestière : éléments de méthode, Ingénieries - EAT, n° spécial, p.45-55. Chevassus-au-louis B., Salles J.M., et Pujol J.l., 2009. Rapport du Centre d’analyse stratégique : approche 70 économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes. la documentation française, 376p. Cordonnier T. et Gosselin F., 2009. la gestion forestière adaptative: intégrer l’acquisition de connaissances parmi les objectifs de gestion, Revue forestière française, vol.61, p.131-144. Cordonnier T., Gosselin F., Bouget C., Brézard J.-M. et allain r., 2009. Gestion adaptative ou gestion expérimentale du bois mort, des vieux arbres et des arbres à cavités: exercice de prospective, Rendezvous techniques, vol. 25-26, p. 34-37. dallari r., 2007. Synthèse bibliographique sur les indicateurs directs de biodiversité et leur application dans un suivi forestier. Rapport de Master 2. Nogent-sur-vernisson : Cemagref, 66p. dudley N., Baldock d., Nasi r. and Stolton S, 2005. Measuring biodiversity and sustainable management in forests and agricultural landscapes, Philosophical Transactions of the Royal Society B., vol. 360, p.457-70. eea, 2009. Progress towards the European 2010 biodiversity target - indicator fact sheets. Technical report n°4. Copenhagen: european environment agency. Forest europe, UNeCe and Fao, 2011. State of Europe’s Forests 2011: Status and Trends in Sustainable Forest Management in Europe. Ministerial Conference on the Protection of Forest in europe. oslo : Forest europe, 337p. Geburek T., Milasowszky N., Frank G., Konrad H. and Schadauer K., 2010. The austrian Forest Biodiversity Index: all in one, Ecological indicators, vol. 10 (3), p.753-761. Gosselin F., Bouget C., Gosselin M., Chauvin C. et landmann G., 2009. L’état et les enjeux de biodiversité forestière en France, p.63-69 dans landmann G. et al., 2009. Biomasse et Biodiversité Forestière - Augmentation de l’utilisation de la biomasse forestière : implications pour la biodiversité et les ressources naturelles (BIO2). Paris : MeddTl - Gip ecofor, 211p. Gosselin F. et Gosselin M., 2008. Pour une amélioration des indicateurs et suivis de biodiversité forestière. Ingénieries-EAT, vol. 55-56, p.113-120. Gosselin F., archaux F. et Gosselin M., 2005. Suivre la biodiversité en forêt : pourquoi ? Quoi ? Comment ? Symposcience, 7p. Gosselin F., 2004. Imiter la nature, hâter son œuvre ? Quelques réflexions sur les éléments et stades tronqués par la sylviculture dans : Gosselin M., laroussinie o., coordonnateurs, 2004. Gestion Forestière et Biodiversité : connaître pour préserver - synthèse bibliographique. antony : co-édition Gip ecofor Cemagref, p.217-256. Gosselin M. et laroussinie o., coordonnateurs, 2004. Biodiversité et gestion forestière : connaître pour préserver. Synthèse bibliographique. antony : co-édition Gip ecofor - Cemagref, 320p. + Cd rom. Hagan J.M. and Whitman a., 2006. Biodiversity indicators for sustainable forestry: simplifying complexity, Journal of Forestry, vol. 104, p.203-210. Hamza N., Boureau J.G., Cluzeau C., dupouey J.l., Gosselin F., Gosselin M. Julliard r. et vallauri d., 2007. Evaluation des indicateurs nationaux de biodiversité forestière. Nogent-sur-vernisson : Gip ecofor-IFN, 108p. Jiguet F., 2010. Les résultats nationaux du programme STOC de 1989 à 2009. disponible sur : www2. mnhn.fr/vigie-nature. landmann G. et Gosselin F., 2009. Utilisation de la biomasse forestière, biodiversité et ressources naturelles: synthèse et pistes d’approfondissement, p.177-191 dans : landmann G. et al., coordonnateurs, 2009. Bio2 - Biomasse et Biodiversité Forestière - Augmentation de l’utilisation de la biomasse forestière: implications pour la biodiversité et les ressources naturelles. Paris : MeddTl - Gip ecofor, 211p. lindenmayer d.B., 1999. Future directions for biodiversity conservation in managed forests: indicator species, impact studies and monitoring programs, 71 Forest Ecology and Management, vol. 115 (2-3), p.277-278. lughadha e.N., Baillie J., Barthlott W., Brummitt N.a., Cheek M.r., Farjon a., Govaerts r., Hardwick K.a., Hilton-Taylor C., Meagher T.r., Moat J., Mutke J., Paton a.J., Pleasants l.J., Savolainen v., Schatz G.e., Smith P., Turner I., Wyse-Jackson P. and Crane P.r., 2005. Measuring the fate of plant diversity: towards a foundation for future monitoring and opportunities for urgent action, Philosophical Transactions of the Royal Society B-biological Sciences, n° 360 (1454), p.359-372. Ministère de l’agriculture, de l’alimentation, de la Pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire (MaaPraT), 2011. Les Indicateurs de gestion durable des forêts françaises métropolitaines. Paris : MaaPraT-IFN, 200p. Paillet Y., Berges l., Hjalten J., odor P., avon C., Bernhardt-romermann M., Bijlsma r. J., de Bruyn l., Fuhr M., Grandin U., Kanka r., lundin l., luque S., Magura T., Matesanz S., Meszaros I., Sebastia M. T., Schmidt W. and Standovar T., 2010. Biodiversity differences between Managed and Unmanaged Forests: Meta-analysis of Species richness in europe, Conservation Biology, vol. 24, p.101-112. Pereira H. M and Cooper H. d., 2006. Towards the global monitoring of biodiversity change, Trends in Ecology & Evolution, vol. 21, p.123-129. Pimm S.l., 2002. The dodo went extinct (and other ecological myths), Annals of the Missouri Botanical Garden, vol. 89 (2), p.190-198. redford K.H., 1992. The empty forest, BioScience, vol. 42, p.1-12. Thompson I.d., 2006. Monitoring of biodiversity indicators in boreal forests: a need for improved focus, Environmental Monitoring And Assessment, vol.121, p.263-273. Tomppo e., Gschwantner T., lawrence M. and Mcroberts r. (eds.), 2010. National Forest Inventories : pathways for common reporting. Springer, 612p. 72 Underwood a.J., 1995. ecological research and (and research into) environmental management. Ecological Applications, vol. 5 (1), p.232-247. vos P., Meelis e. and Ter Keurs W.J., 2000. a framework for the design of ecological monitoring programs as a tool for environmental and nature management, Environmental Monitoring and Assessment, vol. 61 (3), p.317-344. l’Indice de biodiversité potentielle (IBP) : un indicateur composite pour intégrer la diversité taxonomique ordinaire dans la gestion forestière Laurent Larrieu* et Pierre Gonin** *Institut national de la recherche agronomique (INRA) **Centre national de la propriété forestière (CNPF) - Institut pour le développement forestier (IDF) n a l’origine de l’IBP : le besoin d’un outil opérationnel en forêt, la diversité des espèces est très forte (plusieurs milliers d’espèces, même sur des faibles surfaces, rameau et al., 2000) et il est illusoire d’espérer la recenser de manière exhaustive. l’approche qui consiste à miser sur des taxons intégrateurs de la diversité taxonomique globale1 est prometteuse, mais à l’heure actuelle, les relations entre ces taxons indicateurs et la biodiversité taxonomique générale ne sont pas encore bien établies (lindenmayer et al., 2000 ; Mcelhinny et al., 2005). de plus, l’utilisation de ce type d’outil (les bio-indicateurs) présente un coût élevé car elle exige de longues périodes d’observation (souvent plusieurs années) et le concours de spécialistes taxonomistes (Puumalainen et al., 2003). des efforts sont actuellement entrepris pour simplifier leur utilisation, mais aucun outil n’est encore utilisable par les gestionnaires eux-mêmes. Une approche alternative, plus « indirecte » consiste à centrer le diagnostic sur des attributs « clés » des écosystèmes forestiers. lindenmayer et al. (2000) ont ainsi suggéré d’utiliser des variables de structure des peuplements forestiers. depuis, les indicateurs basés sur des facteurs structuraux clés ont montré leur caractère pratique et leur efficacité pour la prise en compte la biodiversité dans la gestion courante (larsson, 2001). Tews et al. (2004) ont ainsi proposé d’utiliser le bois mort pour la gestion de la biodiversité taxonomique. Pour guider la conservation de la biodiversité en forêt, lindenmayer et al. (2006) ont publié une liste de stratégies comprenant le maintien d’éléments clés de la complexité structurale des peuplements. n l’Indice de biodiversité potentielle l’Indice de biodiversité potentielle (IBP) s’appuie sur cette démarche. Il se présente comme un indicateur indirect composite qui agrège dix facteurs clés (tableau 1) pour lesquels des relations avec des taxons forestiers sont documentées (larrieu et Gonin, 2009). l’objectif de l’IBP est de mettre à la disposition des gestionnaires forestiers un outil pertinent et pratique qui leur permette d’intégrer la biodiversité taxonomique ordinaire dans la gestion courante. Chacun des dix facteurs reçoit le même poids dans le diagnostic car l’IBP s’intéresse à l’ensemble des espèces et nous ne disposons pas d’éléments scientifiques suffisants pour attribuer plus de poids à tel facteur plutôt qu’à tel autre. Néanmoins, quatre facteurs concernent plus particulièrement les cortèges d’espèces saproxyliques2 pour tenir compte du fait que ces cortèges constituent au moins le quart des espèces forestières dans les forêts boréales ou tempérées (Stockland et al., 2004 ; Bobiec et al., 2005), qu’ils jouent un rôle fonctionnel très important et que les substrats saproxyliques présentent une grande diversité (Speight, 1989). les taxons sont choisis pour leur capacité à fournir des informations sur l’état du milieu et sur d’autres espèces (espèces indicatrices). 2 Il s’agit d’espèces liées, pendant au moins une partie de leur cycle de vie, au bois mort ou mourant, ou aux microhabitats des arbres, ou encore à d’autres organismes saproxyliques (Speight, 1989). 1 73 Sept facteurs liés au peuplement et à la gestion forestière végétation Bois mort et microhabitats liés aux arbres (quelle que soit l’essence autochtone ou non) Habitats associés essences forestières autochtones Structure verticale de la végétation Bois mort sur pied de grosse circonférence Bois mort au sol de grosse circonférence Très gros bois vivants arbres vivants porteurs de microhabitats Milieux ouverts Trois facteurs liés plutôt au contexte, résultant de l’histoire ou des conditions stationnelles, mais pouvant être modifiés par l’activité forestière Continuité temporelle de l’état boisé Continuité temporelle de l’état boisé (forêt ancienne) Habitats associés Habitats aquatiques Milieux rocheux Tableau 1 : les dix facteurs à décrire de l’IBP n les utilisateurs de l’IBP sont variés depuis sa création, l’IBP a suscité de l’intérêt car il rejoint la démarche habituelle du gestionnaire, qui analyse son peuplement sous différents angles (économique, technique, environnemental, etc.) pour prendre ensuite des mesures de gestion compatibles avec des objectifs de gestion forestière durable. Il s’agit d’un outil simple, bien défini, dont les liens avec la diversité taxonomique sont aisés à identifier et qui met en évidence les facteurs actuellement favorables ou, au contraire, améliorables par la gestion. l’IBP répond ainsi à une demande d’évaluation de la biodiversité qui était jusqu’à présent trop complexe pour être intégrée dans le cadre de la gestion courante : le diagnostic est simplifié par réduction du niveau de précision, mais sans trop altérer la pertinence de l’analyse. Créé en 2009 au sein du Centre national de la propriété forestière (CNPF) après plusieurs années de réflexion, l’IBP constitue un outil dont le développement est actuellement soutenu par la forêt privée. Il s’agit d’un outil potentiellement accessible à une grande diversité d’acteurs (propriétaires, gestionnaires, conseillers forestiers, entreprises, etc.) 74 confrontés à la nécessité de prendre en compte la biodiversité dans des contextes très variés. outre les gestionnaires forestiers, l’IBP a recueilli un accueil favorable auprès des gestionnaires d’espaces protégés (Parcs nationaux, Parcs naturels régionaux, réserves, etc.) qui souhaitaient tenir compte de la biodiversité ordinaire et plus seulement la biodiversité remarquable ou à statut de protection. n le domaine d’utilisation et les limites de l’IBP sont bien identifiés l’IBP concerne seulement la diversité des espèces. Il ne tient pas compte de la diversité génétique dans la mesure où un tel diagnostic nécessiterait des manipulations et des techniques très spécifiques, accessibles uniquement à un public très spécialisé (Collin et al., page 79). de même, la prise en compte de la biodiversité à l’échelle du paysage (biodiversité des écosystèmes) requiert des compétences (reconnaissance des habitats naturels, etc.) et des outils de cartographie encore difficiles à mobiliser lors des actes courants de gestion. le diagnostic IBP se fait donc à l’échelle locale, celle du peuplement homogène (quelques dizaines d’hec- tares au maximum). Cet outil a été conçu volontairement à une échelle opérationnelle pour la gestion courante, à savoir celle de la parcelle ou de la sousparcelle (unité de gestion forestière). Cette échelle permet également de s’affranchir partiellement des aspects liés à la complexité d’un paysage, niveau d’organisation pour lequel la complémentarité des différents éléments (présence d’habitats différents, connectivité, etc.) est encore insuffisamment documentée. C’est aussi l’échelle qui demande le moins de compétences naturalistes (reconnaissance des habitats naturels pour juger de leur complémentarité par exemple). Néanmoins, des synthèses graphiques et cartographiques permettent d’agréger des diagnostics IBP contigus pour en tirer des enseignements, en les utilisant par exemple pour la mise en place d’un réseau de conservation (arbres à intérêt biologique, etc.) dans le cadre de la rédaction d’un document de gestion. le cahier des charges très contraignant fixé pour l’élaboration de l’IBP restreint de fait son champ d’application. voici résumées ci-dessous les principales contraintes : • faire reposer le diagnostic sur la seule observation des arbres, du peuplement et du milieu, de façon à pouvoir se dispenser d’autres compétences taxonomiques que celles demandées a minima par la sylviculture ; • pouvoir réaliser le diagnostic rapidement (quinze à vingt min/ha, moins si le relevé est couplé avec d’autres observations), directement sur le terrain, sans mesures complexes, pour minimiser le coût du diagnostic et les difficultés pour les gestionnaires à intégrer un outil qu’ils jugeraient trop complexe ; • pouvoir conclure le diagnostic sur le terrain, afin d’intégrer immédiatement les résultats dans l’itinéraire sylvicole. le respect de ces exigences a des conséquences sur les limites d’utilisation de l’outil. 1- une perte de finesse pour une meilleure ergonomie l’IBP n’est pas un modèle prédictif de la biodiversité : le diagnostic permet de se faire une idée de la capacité d’accueil, mais le « taux de remplissage » n’est pas connu. la seule approche indirecte ne pourra bien entendu jamais se substituer totalement à l’approche directe de la biodiversité réelle. Une étude menée à l’Inra Toulouse (UMr dynafor) sur les relations entre l’IBP et les principaux indicateurs directs utilisés en France (coléoptères saproxyliques, carabes, champignons saproxyliques, plantes, etc.) vise d’ici à 2013 à préciser les corrélations entre ces taxons et les différentes composantes de l’IBP (score global, score partiel, facteurs pris individuellement, etc.). l’IBP est un outil de routine « ergonomique » et « générique » qui complète les méthodes d’investigation plus précises. 2- L’IBP n’est pas un indicateur du bon fonctionnement de l’écosystème forestier Un diagnostic complet de l’état de fonctionnement de l’écosystème forestier nécessiterait au moins la vérification de (i) l’intégrité de l’ensemble des groupes fonctionnels (saproxyliques, pollinisateurs, parasitoïdes, mycorhiziques, saprotrophes des litières, etc.), (ii) l’absence d’un déséquilibre persistant (par exemple, la pullulation permanente d’un pathogène ou d’un parasite), (iii) le maintien des dynamiques naturelles qui régissent cet écosystème et (iv) l’absence d’altération forte des sols. Même si l’IBP permet de diagnostiquer la capacité d’accueil de la parcelle pour les espèces saproxyliques (avec les quatre facteurs concernant le bois mort et les microhabitats des arbres vivants) et les pollinisateurs (avec le facteur « milieu ouvert ») et que l’on sait qu’une forte diversité en espèces contribue au bon fonctionnement de l’écosystème, ce diagnostic reste partiel. en d’autres termes, les écosystèmes qui fonctionnent de façon optimale obtiennent un score IBP élevé, mais un score maximum ne suffit pas pour affirmer que l’écosystème fonctionne de façon optimale. 3- L’IBP n’est pas un indicateur de naturalité Si l’IBP permet le diagnostic partiel de la continuité de l’état boisé, de la diversité biologique et de la maturité du peuplement, il n’intègre pas toutes les dimensions relatives au concept de naturalité. Précisément, la vérification du maintien d’un régime naturel des perturbations (par exemple, inondations régulières pour une forêt riveraine), la prise en compte du degré d’anthropisation ou encore de la présence de groupes fonctionnels clés requiert beaucoup de finesse au niveau de la phase d’observation ainsi que des recherches historiques qui dépassent largement le cadre d’un outil de terrain. 75 Par contre, l’analyse du gradient de naturalité peut intégrer l’ensemble des facteurs de l’IBP : il est ainsi possible, à partir des mêmes données, d’obtenir simultanément l’indicateur de naturalité et le score IBP (voir la méthode développée actuellement par le World Wildlife Fund (WWF) pour les forêts anciennes de Méditerranée). constituer un ensemble cohérent pour évaluer la biodiversité ordinaire, qui devrait être complété par l’analyse des atteintes évidentes à la biocénose. 4- L’IBP n’est pas une norme de gestion Un peuplement forestier qui obtient un score IBP maximum possède une capacité d’accueil pour la biodiversité taxonomique supérieure à un peuplement qui obtient un score faible. Il est donc préférable que les peuplements obtiennent des scores élevés. Néanmoins, les seuils fixés par l’IBP ne doivent pas être considérés comme des normes à atteindre mais plutôt comme des tendances favorables à la biodiversité, celles-ci ne se réduisant pas aux dix facteurs de l’IBP, même si ceux-ci ont un poids scientifiquement reconnu. Par ailleurs, l’IBP peut varier au cours d’un cycle sylvicole (interventions sur le peuplement). Une baisse importante et rapide du score traduit cependant une instabilité qui peut nuire fortement à un grand nombre d’espèces. dans le cas de certaines sylvicultures qualifiées d’intensives (peupleraies de culture, taillis à courte rotation, etc.), les itinéraires envisagés ne pourront jamais permettre de maximiser l’IBP. Par contre, le gestionnaire pourra limiter la fragilité de ce type de peuplement en favorisant le développement de la biodiversité dans les compartiments les plus facilement améliorables. n l’IBP contribue à faire évoluer le diagnostic et les pratiques sylvicoles 5- L’IBP n’est pas un outil de mesure de l’état de conservation des habitats naturels forestiers la mesure de l’état de conservation d’un habitat naturel nécessite un diagnostic plus global comprenant au moins l’observation : • des facteurs de pérennité de l’habitat : présence des éléments stationnels déterminants pour l’habitat, persistance de la dynamique naturelle, absence de perturbations anthropiques modifiant les éléments précédents ; • du groupement végétal : typicité du cortège dendrologique, présence de la végétation caractéristique de l’habitat, absence d’espèces invasives concurrentielles ; • de la complexité de la biocénose et de la continuité temporelle de l’état boisé : l’IBP peut ici 76 l’IBP peut ainsi enrichir un autre outil plus global, mais ne peut pas le remplacer ou se substituer complètement à des approches plus directes. Par sa définition, l’IBP attire l’attention des gestionnaires sur les facteurs importants pour la diversité ordinaire, parfois méconnus ou sous-estimés. C’est le cas du facteur « continuité de l’état boisé » qui joue un rôle important sur les assemblages d’espèces (dupouey et al., 2002 ; diedhiou et al., 2009) et qui est encore peu connu des gestionnaires forestiers. l’IBP contribue ainsi à l’intégration du concept de forêts anciennes dans le raisonnement sylvicole et met en évidence l’intérêt de conserver ces forêts. C’est également le cas des facteurs associés à la diversité saproxylique, qui sont centrés sur l’intérêt de conserver du bois mort. Cet intérêt a jusqu’ici été mis en avant surtout pour les stations très acides et très pauvres sur un plan nutritionnel, où le maintien d’un volume important de bois mort est indispensable pour permettre l’exploitation raisonnée du bois d’œuvre. Cette recommandation est bien comprise par les gestionnaires car la menace sur la station peut être quantifiée (cf. larrieu et al., 2007) et peut se traduire par une baisse de productivité. en complément de cette approche centrée sur les cycles biogéochimiques, l’IBP permet d’élargir le cadre d’application de cette recommandation en introduisant la notion de diversité des substrats saproxyliques, une notion qui concerne alors tous les types de station. n l’IBP n’est pas un outil figé Bien que la structure de l’IBP n’ait pas changée depuis 2009 (elle est toujours basée sur les dix mêmes facteurs), les définitions ont évolué sur des points de détail afin d’améliorer la qualité du diagnostic et de réduire l’ « effet observateur ». la version la plus récente de cet outil est disponible en ligne sur le site de la Forêt Privée Française3. des recherches sur le bois mort et les microhabitats se poursuivent en parallèle, notamment au sein du laboratoire Inra dynafor, sur : • la distribution du bois mort et des microhabitats dans les forêts subnaturelles ; • l’impact de la gestion forestière sur l’abondance et la diversité du bois mort et des microhabitats ; • les effets de la densité et de la diversité des microhabitats sur les assemblages de coléoptères saproxyliques. liers (par exemple le volume et la diversité du bois mort) est enfin également intéressante. l’IBP est inscrit depuis peu dans la Stratégie nationale pour la biodiversité («engagements de l’etat » 2011-2013) afin d’élargir son utilisation. Pour atteindre cet objectif, le CNPF, avec l’aide financière du ministère en charge du développement durable, conduit actuellement un programme national de formation à l’IBP à l’attention des gestionnaires, des conseillers et partenaires de la Forêt privée. Ce programme comporte également un volet communication. n Il est prévu d’intégrer les résultats de ces études dans la définition de l’IBP en 2013. elles permettront d’affiner les définitions et les seuils des facteurs qui sont actuellement insuffisamment documentés. Parallèlement, le CNPF pilote un programme pour améliorer les méthodes d’évaluation de l’IBP, en particulier sur de grandes surfaces, et étendre son domaine d’utilisation à la région méditerranéenne, actuellement non couverte bien qu’il existe une version de pré-développement. n Quelles sont les perspectives d’utilisation de l’IBP ? l’IBP est actuellement utilisé pour évaluer la biodiversité ordinaire dans le cadre de la gestion, mais ne constitue pas une norme. Il peut être utilisé lors d’un diagnostic avant toute intervention sylvicole, en particulier avant l’exploitation de bois ou lors de l’élaboration des documents de gestion. l’IBP est aussi un outil pédagogique car il constitue une grille d’analyse de la biodiversité taxonomique facile à appréhender et à utiliser pour tout gestionnaire forestier. on peut aussi l’envisager comme un module intégré à un diagnostic plus global de la biodiversité (par exemple dans le cas de l’analyse du gradient de naturalité d’un peuplement). l’IBP peut aussi s’avérer utile comme un complément à large échelle d’approches plus directes menées sur des surfaces restreintes en raison de la lourdeur de leur mise en œuvre (en contrepartie, l’analyse est plus fine). Son utilisation en complément d’autres indicateurs indirects centrés sur des taxons particu3 http://www.foretpriveefrancaise.com 77 références bibliographiques Bobiec a. (ed.), Gutowski J.M., Zub K., Pawlaczyk P.and laudenlayer W.F., 2005, The afterlife of a tree. Warszawa-Hajnowka : WWF Poland. dajoz r., 2007. les insectes des forêts : Rôle et diversité des insectes dans le milieu forestier. 2ème édition. Paris : Tec et doc lavoisier. diedhiou a. G., dupouey J.l., Buée M., dambrine e., laüt l. and Garbaye J., 2009. response of ectomycorrhizal communities to past roman occupation in an oak forest, Soil Biology & Biochemistry, vol. 41 (10), p.2206-2213. dupouey J.-l., Sciama d., Koerner W., dambrine e. et rameau J.-C., 2002. la végétation des forêts anciennes, Revue forestière française, vol. 54 (6), p.521-532. Gosselin M. et laroussinie o., coordonnateurs, 2004. Biodiversité et Gestion forestière: connaître pour préserver. Synthèse bibliographique. Nogentsur-vernisson : co-édition Gip ecofor - Cemagref, 320 p. larrieu l. et Gonin P., 2009. l’indice de Biodiversité Potentielle (IBP) : une méthode simple et rapide pour évaluer la biodiversité potentielle des peuplements forestiers. Revue forestière française, vol. 06, p.727-748. larrieu l., Nys C. et Jabiol B., 2007. Prise en compte de la fragilité chimique des sols forestiers dans les conseils de gestion. Illustration pour une sapinièrehêtraie montagnarde sur roche acide (vallée d’aure, Hautes-Pyrénées). Revue forestière française, vol. 59, p.531-548. larsson T.B., 2001. Biodiversity evaluation tools for european forests, Ecol. Bull, vol. 50, p.75-81. lindenmayer d.B., Franklin J.F. and Fischer J., 2006. General management principles and a checklist of strategies to guide forest biodiversity conservation, Biological Conservation, vol. 131 (3), p.433-445. lindenmayer d.B., Margules C.r. and Botkin d.B., 78 2000. Indicators of biodiversity for ecologically sustainable forest management, Conservation Biology, vol.14 (4), p.941-950. Mcelhinny C., Gibbons P., Brack C. and Bauhus J., 2005. Forest and woodland stand structural complexity: Its definition and measurement, Forest Ecology and Management, vol. 218 (1-3), p.1-24. Puumalainen J., Kennedy P. and Folving S., 2003. Monitoring forest biodiversity: a european perspective with reference to temperate and boreal forest zone, Journal of Environment Management, vol. 67 (1), p.5-14. rameau J.C., Gauberville C. et drapier N., 2000. Gestion forestière et diversité biologique : identification et gestion intégrée des habitats et espèces d’intérêt communautaire. Paris : IdF. Speight M.C.d., 1989. Saproxylic invertrebrates and their conservation. Council of Europe Nature & Environment, vol. 42, p.1-79. Stokland J.N., Tomter S.M. and Söderberg U., 2004. development of dead wood indicators for biodiversity monitoring: experiences from Scandinavia. In: Marchetti M. (eds.), Monitoring and indicators of forest biodiversity in Europe-from ideas to operationality. Florence, p.207-226. Tews J., Brose U., Grimm v., Tielborger K., Wichmann M.C., Schwager M. and Jeltsch F., 2004. animal species diversity driven by habitat heterogeneity/diversity: the importance of keystone structures. Journal of Biogeography, vol. 31 (1), p.79-92. Indicateurs de la diversité intra-spécifique chez les arbres forestiers Éric Collin*, François Lefèvre et Sylvie Oddou-Muratorio**, *Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement (IRSTEA) **Institut national de la recherche agronomique (INRA) Les trois auteurs sont membres de la Commission des ressources génétiques forestières (CRGF) la diversité intra-spécifique des arbres tient une place majeure dans l’éventail des processus qui déterminent le potentiel adaptatif des espèces et des écosystèmes forestiers. en effet, la diversité biologique repose notamment sur les mécanismes de l’hérédité (reproduction sexuée), qui confèrent aux populations leur capacité à évoluer au fil des générations, à s’adapter localement, à répondre aux changements environnementaux. Une population qui ne présente aucune diversité génétique au niveau d’un caractère morpho-physiologique donné (exemple : l’efficience d’utilisation de l’eau) ne présentera en effet aucune dynamique évolutive pour ce caractère (dans le sens, par exemple, d’une meilleure résistance à la sècheresse). l’arbre auquel on s’intéresse ici constitue une espèce clef de voûte pour l’écosystème forestier. Il offre un support au développement de nombreux autres organismes et la gestion forestière est généralement définie et orientée à son profit. Ces éléments plaident en faveur de la mise à disposition, auprès des gestionnaires des espaces forestiers et des décideurs, d’indicateurs permettant de suivre l’impact des pratiques sylvicoles et des changements globaux sur la diversité adaptative des arbres forestiers. l’évaluation et le suivi de la diversité intra-spécifique d’une population d’arbres forestiers - et a fortiori de forêts ou d’espèces entières - ne peut pas se limiter au recensement et à la conservation de formes de gènes particulières (on parle de formes alléliques des gènes ou allèles). en effet, l’essentiel de la di- 1 versité génétique des caractères morphologiques ou physiologiques des individus résulte en premier lieu de la diversité des combinaisons d’allèles d’un grand nombre de gènes à faible effet plutôt que de l’existence d’allèles ayant un effet individuel majeur sur la diversité des caractères. en d’autres termes, la « valeur » d’un allèle (son effet sur un caractère donné) dépend du fonds génétique dans lequel il se trouve, c’est-à-dire des formes alléliques des autres gènes de l’individu. enfin, la diversité génétique d’une population évolue sous l’effet de différents processus qui modifient les fréquences alléliques1 des gènes et l’assemblage des gènes au sein des individus au fil des générations. Parmi ces processus, la sélection naturelle qui s’exerce tout au long de la vie du peuplement conserve certains allèles, certains assemblages, parce qu’ils confèrent une meilleure valeur adaptative aux individus qui les portent. d’autres processus aléatoires lors de la reproduction ainsi que les flux de gènes par pollen et graines issus d’autres populations contribuent également à l’évolution des fréquences alléliques. au-delà de la conservation d’allèles particuliers, il importe surtout de conserver la diversité génétique globale et de ne pas bloquer les processus qui permettent l’adaptation des populations. n évaluer la diversité intra-spécifique à l’aide des marqueurs moléculaires : intérêts et limites le marquage moléculaire consiste à dénombrer les différentes formes (ou «allèles») de petites portions Fréquence à laquelle se trouve l’allèle d’un gène dans une population. 79 d’adN (gènes exprimés ou non2) par des technologies issues de la biologie moléculaire. Cette technique est de plus en plus largement utilisée à mesure que son potentiel d’analyse (nombre d’individus et de marqueurs) augmente et que son coût décroît. Cette approche ne constitue généralement pas une mesure directe de la variabilité génétique réelle des caractères adaptatifs (vigueur, date de débourrement, résistance à une maladie, etc.) présents dans la population étudiée. en revanche, cette approche est très utile pour évaluer la diversité génétique de façon globale sur l’ensemble du génome et donner des informations indirectes sur les processus qui ont façonné cette diversité dans un passé plus ou moins récent, ainsi que sur les forces évolutives en cours. on peut notamment détecter les risques de changement de fonctionnement (dérive génétique, consanguinité) qui peuvent affecter des populations dont la taille a brusquement diminué (fragmentation, etc.). n Combinaisons d’indicateurs de suivi de la diversité intra-spécifique à l’échelle locale les différentes combinaisons d’indicateurs génétiques proposées à ce jour pour la gestion durable des forêts (exemple : Namkoong et al., 1996 ; Brown et al., 1997 ; Koski et al., 1997 ; Palmberg-lerche, 1998 ; lefèvre et Kajba, 2001 ; aravanopoulos, 2011) visent à caractériser certains mécanismes contribuant à l’adaptation (par exemple proportion d’autofécondation, distance de dispersion des gènes par pollen ou par graine, niveau de dérive). Ces indicateurs portent sur (i) des informations générales acquises à l’échelle de l’écosystème (régime des perturbations, fragmentation, etc.), (ii) des informations démographiques sur la population ciblée (nombre d’arbres adultes, classes de diamètre, faculté germinative des graines, abondance de la régénération, etc.) et, lorsque l’utilisation de marqueurs moléculaires est possible, (iii) des para- mètres génétiques qui résument la diversité et sa trajectoire (taille efficace de la population, richesse allélique, taux d’allo/autofécondation, etc.). n les indicateurs nationaux de gestion durable des ressources génétiques forestières la première tentative d’intégration de la diversité intra-spécifique parmi les indicateurs de gestion durable des forêts date de la quatrième Conférence ministérielle pour la protection des forêts en europe (vienne, 2003). l’indicateur 4.6 de gestion forestière durable (Nivet et al., page 41) est centré sur la conservation des ressources génétiques. Il ne reflète pas l’état réel de ces ressources mais seulement l’effort et les progrès consentis au niveau national en termes de surfaces dédiées à la conservation de ressources génétiques (in situ et ex situ) ainsi qu’à la production de semences et de plants forestiers. a un tel niveau d’agrégation, les chiffres ne rendent que très imparfaitement compte des différences entre deux pays ou entre deux périodes d’inventaire. Pour remédier à ce défaut, les données relatives à la France assemblées par Irstea sont assorties de commentaires et de tableaux plus détaillés. récemment, le programme EUFORGEN (European Forest Genetic Resources Programme)3 a mis en place un système d’information sur le réseau pan-européen de conservation dynamique des ressources génétiques forestières (accessible sur le portail EUFGIS4, plus de trente pays et quatre-vingts espèces concernés). de nouveaux indicateurs globaux basés sur des critères et définitions standards clairs combinant informations écologiques, démographiques et génétiques sont en cours de développement. n Quelles perspectives ? Il n’existe actuellement pas d’indicateur opérationnel et communément admis de l’état de la diversité intra-spécifique de populations d’arbres forestiers. Un gène est constitué d’une alternance de séquences exprimées (ou codantes) qui contiennent l’information nécessaire à la synthèse des protéines et de séquences non exprimées (non codantes). 3 eUForGeN, établi en 1994, constitue le mécanisme de mise en œuvre de la Résolution S2 (Conservation des ressources générales) de la première Conférence ministérielle sur la protection des forêts en Europe (Strasbourg, 1990). Ce programme collaboratif vise la promotion de la conservation et l’utilisation durable des ressources génétiques forestières : http://www. euforgen.org/abouteuforgen.html 4 Portail european Information System on Forest Genetic resources (eUFGIS) : http://portal.eufgis.org/ 2 80 Plusieurs facteurs fournissent cenpendant des informations susceptibles d’en faire émerger : (i) les progrès de la recherche en termes de connaissance et de modélisation des processus écologiques et génétiques au sein des populations d’arbres forestiers ; (ii) le développement de techniques de caractérisation moléculaire de l’adN extrêmement puissantes et à faible coût ; (iii) la volonté de développer à l’échelle pan-européenne (programme EUFORGEN et réseau conservatoire EUFGIS) un suivi de l’évolution des ressources génétiques conservées de manière coordonnée par plus de trente pays d’europe. en plus d’indicateurs nécessitant l’acquisition de telles données génétiques et démographiques complexes, il serait utile de mettre à disposition des gestionnaires des indicateurs simplifiés fondés sur l’évaluation des impacts de la diversité de pratiques en matière de régénération naturelle (nombre de semenciers, durée de la régénération, densité de semis, etc.) ou artificielle (utilisation de lots de plants répondant à une charte de diversité génétique, densité de plantation, etc.). le développement de tels indicateurs devra s’appuyer sur la connaissance importante des mécanismes évolutifs chez les arbres forestiers (valadon, 2009). enfin, pour les espèces soumises à la réglementation des graines et plants forestiers, on utilise actuellement des statistiques sur les volumes commercialisés pour chaque variété, ce qui constitue une approche très indirecte de la diversité génétique plantée. Il serait en effet utile de combiner les informations sur la diversité des matériels forestiers de reproduction avec celles sur leurs aires effectives d’utilisation. n références bibliographiques aravanopoulos F.a., 2011. Genetic monitoring in natural perennial plant populations, Botany, vol. 89, p.75–81. Brown a., Young a., Burdon J., Christidis l., Clarke G., Coates d. and W. Sherwin, 1997. Genetic indicators for state of the environment reporting, Australia: State of the Environment Technical Paper Series (Environmental indicators). Canberra: department of the environment, Sport and Territories. Koski v., Skrøppa T., Paule l., Wolf H. and Turok J., 1997. Technical guidelines for genetic conservation of Norway spruce (Picea abies (L.) Karst.). rome : International Plant Genetic resources Institute. lefèvre F. and Kajba. d., 2001. Indicators for monitoring genetic diversity. In: lefèvre F., Barsoum N., Heinze B., Kajba d., rotach P., de vries S. and Turok J. (eds) In situ conservation of Populus nigra. rome : International Plant Genetic resources Institute, p.36-46. Namkoong G., Boyle T., Gregorius H.-r., Joly H., Savolainen o., ratnam W. and Young a., 1996. Testing criteria and indicators for assessing the sustainability of forest management: genetic criteria and indicators. CIFor Working Paper n°10. Palmberg-lerche C., 1998. Management of forest genetic resources: some thoughts on options and opportunities. Fao Forest Genetic resources, vol. 26, p.43-44. valadon a., 2009. effets des interventions sylvicoles sur la diversité génétique des arbres forestiers : analyse bibliographique, Les Dossiers Forestiers de l’ONF, vol. 21. 81 82 PArtIe II Les indicateurs socio-économiques de biodiversité forestière 83 84 Quelle contribution socio-économique à la production d’indicateurs de biodiversité ? Jean-Luc Peyron* *Gip Ecofor n la biodiversité : de l’objet au sujet la biodiversité s’est d’abord présentée aux naturalistes sous un jour écologique : elle était un objet d’étude qu’il fallait s’attacher à décrire de manière ordonnée et systématique. Son examen a progressivement révélé son ampleur, sa complexité, les subtilités de son fonctionnement. on a pris conscience à la fois de son importance pour les sociétés humaines et de sa fragilité face aux perturbations, notamment anthropiques, qu’elle subissait. elle a ainsi acquis une valeur, non seulement écologique, mais encore éthique et morale, d’une part, utilitariste, économique et sociale, d’autre part. de fait, la biodiversité se trouve en étroite relation avec les activités humaines qu’elle alimente ou favorise et qui, parallèlement, l’affectent ou contribuent à sa sauvegarde, voire à son développement. en outre, l’état actuel des connaissances n’explique qu’une fraction du fonctionnement des écosystèmes si bien que les arbitrages concernant la biodiversité ou certaines de ses composantes re- Composition posent au moins en partie sur une longue histoire culturelle, des appréciations subjectives individuelles ou collectives, et une application du principe de précaution. on voit ainsi se dessiner deux mondes interdépendants (figure 1). Pour l’un, la biodiversité est un objet dont il faut mieux décrire la composition et la structure, mieux comprendre le fonctionnement. Pour l’autre, elle est un sujet d’intérêt, de désir, de préoccupation. entre les deux, entre l’objectif et le subjectif, apparaissent un ensemble de relations qui peuvent être classées en deux types : • des services que la biodiversité rend à la société et qui ont bien été décrits par l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Millenium Ecosystem Assessment, 2005) ; • des impacts, en théorie favorables ou néfastes, plus souvent considérés en pratique comme des perturbations, que la société occasionne à la biodiversité en recueillant les services que celle-ci lui BIODIVERSITÉ Structure ImPACTS Autres intervenants Fonctionnement SERVICES SOCIÉTÉ Usagers Figure 1 : interactions entre biodiversité et société. 85 rend ou en intervenant par ailleurs dans le cadre de ses autres activités. ainsi, le besoin d’indicateurs se fait sentir non seulement du point de vue de la biodiversité, pour décrire sa composition, sa structure, son fonctionnement et ses évolutions sous l’effet de perturbations naturelles et anthropiques, mais encore du point de vue de la société, des bénéfices qu’elle en retire et des conséquences que ses activités produisent. Il s’agit là de deux visions qui peuvent regarder le même objet, par exemple un processus écologique, mais sous deux angles différents. dans un cas, on cherche à étudier ce processus en détail pour en comprendre le mieux possible les mécanismes et interactions. dans l’autre cas, on appréhende le processus essentiellement à travers les services qui en découlent ou les perturbations qui l’affectent ; l’objectif est alors d’en tirer les plus grands bénéfices en évitant ou limitant les impacts correspondants. Cependant, la vision de la société est plus large que celle du naturaliste et englobe aussi bien les ressources en général que l’ensemble des services rendus par celles-ci. elle n’est donc pas loin de considérer la gestion durable des forêts dans son ensemble. Si l’on se réfère aux critères de gestion durable issus du processus d’Helsinki et des conférences ministérielles pour la protection des forêts en europe, elle ne porte pas seulement sur le quatrième critère relatif à la conservation de la biodiversité mais tend à concerner l’ensemble des six critères dont les deux premiers caractérisent effectivement les ressources, en quantité et en qualité, tandis que les quatre suivants s’adressent aux services rendus en matière de production de produits forestiers, de conservation de la diversité biologique, de protection des sols et des eaux, enfin de développement socioculturel. d’ailleurs, la Convention sur la diversité biologique envisage très explicitement aussi bien l’utilisation durable de la biodiversité que sa conservation. Pour mieux appréhender cette vision socio-économique de la biodiversité forestière, une série d’articles courts a été rédigée par quelques auteurs. elle porte sur les services produits par la biodiversité, sur les représentations sociales, sur les impacts des activités humaines sur la biodiversité, enfin sur les mesures susceptibles de réduire ces impacts. Sols Climat Maladies Eau (qualité) Eau (quantité) Services de régulation Services de base Production primaire Formation des sols Évaporation Transpiration Nutrition Eau Bois Énergie Alimentation Médicaments Services d’approvisionnement Emploi Paysage Éducation Récréation Spiritualité Services socioculturels Figure 2 : principaux services écologiques (d’après Millenium Ecosystem Assessment, 2005). 86 n Services produits par la biodiversité forestière Par sa composition et sa structure, mais surtout sous l’action de son fonctionnement, la biodiversité engendre des services de base (on les qualifie aussi de services de support, de soutien ou encore d’autoentretien) qui déterminent les autres services classés en trois catégories : services d’approvisionnement, de régulation et socioculturels (figure 2). Cette classification est essentielle pour la production d’indicateurs, comme le note levrel (page 91). Cette structure permet en particulier d’analyser les interdépendances entre services, à un niveau agrégé ou plus fin, qui peuvent se traduire par des tensions mais se trouvent aussi à la base des compromis à trouver. la production d’indicateurs pour représenter ces services est alors fondamentale pour régler les tensions et ajuster des compromis. Ces services sont placés sous la dépendance de fonctions écologiques dont une description quantitative, sous forme d’indicateurs, peut permettre d’analyser la relation entre fonctions et services. C’est cet objectif ambitieux qui est décrit par Bouvron (page 97). n représentations sociales de la biodiversité la biodiversité a pour le grand public une définition moins précise et plus floue que pour les scientifiques. dans la mesure où le public est amené à juger les actions entreprises en faveur de la biodiversité, il est important d’avoir conscience de la signification de ce concept pour les acteurs sociaux et donc de l’étudier, ce qui a été fait par raymond (page 103), d’une part, Terrasson et le Floch (page 109), d’autre part. le grand public est caractérisé par trois types de comportements vis-à-vis de la biodiversité : ou bien il en parle sans savoir de quoi il s’agit mais pour donner l’impression qu’il le sait, soit il se réfère à un expert reconnu à qui il fait confiance, soit il accepte effectivement de se prononcer lui-même. dans ce dernier cas, il va accorder de l’importance à quelques aspects particuliers de la biodiversité plutôt qu’à d’autres : diversité très visible du paysage, espèces emblématiques ou plus simplement remarquables parce qu’elles sont susceptibles d’être reconnues, notamment lorsqu’il s’agit de les cueillir ou au contraire de les éviter. dans ces conditions, la production d’indicateurs doit esquiver un certain nombre de pièges que soulignent Terrasson et le Floch (page 109). n Impacts des activités humaines sur la biodiversité les activités humaines bénéficient des services rendus par la biodiversité et, en retour, viennent souvent perturber les écosystèmes. Il est ainsi utile de se demander comment analyser les conséquences pour la forêt des diverses interventions qui s’y déroulent, parmi lesquelles les activités d’exploitation des bois et de gestion sylvicole. dans leur article, Houdet et al. (page 115) proposent d’analyser l’activité de chaque entreprise sous l’angle des liens que celle-ci entretient avec le monde vivant, des marchés qu’elle alimente, des impacts qu’elle induit sur la biodiversité, de la façon dont ces impacts sont compensés, des stratégies selon lesquelles elle s’organise. Chacun de ces critères fait l’objet d’indicateurs qui permettent de juger ensuite de l’intensité de la pression exercée sur les forêts. Qu’en est-il de la pression exercée sur les forêts par les industries du bois notamment ? Beaudesson fait remarquer (page 123) que la forêt privée française ne cesse de s’accroître, qu’elle fait l’objet de gestions très différenciées du fait même de son morcellement entre de nombreux petits propriétaires, qu’elle est en grande majorité feuillue, en phase de forte capitalisation, qu’elle comprend des réserves intégrales de fait en raison de l’absence de gestion par certains propriétaires : ces caractéristiques font que, globalement, les forêts privées contribuent largement au maintien d’une certaine biodiversité. l’empreinte écologique est un indicateur qui a été développé pour quantifier le prélèvement sur la nature effectué par l’homme. Il montre que la société française consomme chaque année trois fois ce qu’elle devrait consommer. Selon vallauri (page 127), cet indicateur tient compte de la forêt et du 87 bois et permet d’indiquer que, en France, les prélèvements sont inférieurs aux possibilités. n Mesures de réduction des impacts des activités humaines sur la biodiversité Face aux impacts des activités humaines (et parfois de phénomènes naturels), il s’agit d’abord bien sûr d’essayer d’éviter, de juguler, de réduire les conséquences néfastes attendues ou subies jusqu’à un niveau qui les rende supportables. Cet objectif peut être atteint à travers une gestion durable de la forêt, un développement durable des sociétés (cf. par exemple l’article de Beaudesson). dans certains cas, il apparaît opportun de créer des aires protégées. À partir de l’exemple de l’afrique centrale, Guillaume lescuyer (page 133) interroge le lien entre conservation et développement productif dans le cadre d’un suivi environnemental fondé sur des critères Composition et indicateurs. l’exemple est issu des régions tropicales auxquelles ses enseignements ne se limitent cependant pas. Si l’impact des activités humaines sur la biodiversité ne peut être totalement évité, alors des actions de restauration méritent d’être envisagées, ou encore la mise en place d’une compensation dont le développement donne lieu aujourd’hui à l’émergence de nouveaux métiers, comme le mentionnent Quenouille et Thiévent (page 139). la mise en œuvre d’une telle compensation n’est pas chose facile et requiert des indicateurs de manière à comparer la contrepartie demandée ou promise avec la perte subie à partir d’un état initial. les propositions de quantification des fonctions écologiques, présentées par Bouvron (page 97), trouvent une utilité non seulement pour passer des fonctions écologiques aux services qu’elles engendrent mais aussi pour préparer l’instauration de mesures de compensation. BIODIVERSITÉ Structure Fonctionnement Compensation, restauration ImPACTS SERVICES Évitement, réduction Activités diverses Gestion forestière Autres intervenants Conservation SOCIÉTÉ Figure 3 : schéma détaillé des relations entre biodiversité et société. 88 Usagers Conclusion référence bibliographique des indicateurs sont utiles aux multiples étapes des relations entre biodiversité et société (figure 3). Ils ne s’intéressent pas seulement aux impacts qui ont suggéré les approches de type « pressions-état-réponses » ou encore « déterminants-pressions-étatimpacts-réponses » et prennent aussi en compte les services fournis à la société par les écosystèmes, en particulier forestiers. de manière globale, ils visent à : Millenium ecosystem assessment, 2005. Ecosystem and Human Well-Being: synthesis, Island Press, Millenium ecosystem assessment, 137 p. • traduire les relations entre fonctions écologiques et services rendus par les écosystèmes ; • représenter les divers services écosystémiques ainsi que leurs interdépendances dont l’analyse permet de réduire les tensions ou d’imaginer des compromis ; • appréhender les conséquences sur la biodiversité des activités humaines sylvicoles ou industrielles, du secteur forestier ou d’autres secteurs ; • prévenir les conséquences néfastes (évitement), voire renforcer les bénéfices s’il y en a ; • pallier les conséquences néfastes, notamment par la mise en œuvre de mesures compensatoires en rapport avec les atteintes à l’environnement. les textes présentés dans cette partie socioéconomique lancent des pistes dans cette direction. Ils donnent la conscience de l’ensemble du domaine à décrire. Ils mettent en garde aussi contre certains écueils à éviter. Ils ne constituent pas un recueil d’indicateurs que chacun pourrait mobiliser pour ses besoins. Mais ils sont utiles pour organiser le travail futur et progresser dans la description de la biodiversité et l’élaboration de stratégies d’utilisation durable et de préservation. n 89 90 les services écosystémiques offerts par la biodiversité forestière Harold Levrel* *Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER, GIP ECOFOR à l’époque où l’article a été rédigé) Introduction la question de la conservation des forêts suscite un fort intérêt dans l’opinion publique. Ceci est dû au fait que des pans entiers de la biodiversité semblent pouvoir disparaître lorsqu’une forêt est détruite, notamment dans les zones tropicales. Pour faire face aux menaces que les forêts subissent, une stratégie récemment adoptée consiste à mettre en avant les nombreux « services écosystémiques » que les forêts fournissent. depuis la fin des années quatre-vingt-dix, le concept de « biodiversité » est en effet de plus en plus articulé avec celui de « service écosystémique » (daily, 1997). Une liste relativement standardisée de ces services a été produite par le programme sur l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Millenium Ecosystem Assessment, 2005a). l’approche par les services écosystémiques a pour origine une volonté de porter les débats autour de la conservation de la biodiversité au même niveau que la question du changement climatique. ainsi, en soulignant le lien entre conservation de la biodiversité et maintien des services écosystémiques pour l’homme, cette approche permet de mettre l’accent sur les interdépendances qui existent entre les questions de conservation et de bien-être humain (figure 1). Ces services commencent par le fonctionnement lui-même des écosystèmes forestiers (auto-entre- tien), pour aller vers la fourniture de produits de première consommation (services de prélèvement), l’assurance des grands équilibres environnementaux (services de régulation) et le support d’activités de loisir (services culturels). adopter cette approche a pour avantage de pouvoir porter un discours moins manichéen sur la question de la conservation de la biodiversité. en effet, il est plus constructif de souligner les efforts qui ont été accomplis sur le long terme par les gestionnaires forestiers dans le domaine des services de prélèvement et d’insister sur les besoins d’un rééquilibrage des modes de gestion en faveur des services culturels que de simplement évoquer l’effet négatif de la gestion forestière sur la biodiversité au cours des cinquante dernières années1. I. Les services écosystémiques offerts par la forêt robert Costanza (1997) a proposé une évaluation de l’ensemble des services écosystémiques offerts par la biosphère. Son calcul conduit à attribuer une valeur à chacun des grands types d’écosystèmes. Même si les montants évoqués n’ont pas trop de sens, ils ont pour intérêt de pouvoir offrir une évaluation de l’importance relative de ces différents types d’écosystèmes dans la production de services écosystémiques. les milieux forestiers seraient ainsi à l’origine de 15 % des services écosystémiques produits par la planète. Même si ce pourcentage peut paraître faible, la forêt constitue l’habitat qui offre Il ne s’agit pas ici de défendre telle ou telle position sur les effets de la gestion des forêts sur la biodiversité à partir de cet exemple mais simplement de souligner l’intérêt de pouvoir mobiliser un nouveau champ argumentaire pour travailler sur la conservation de la biodiversité. 1 91 Service des écosystèmes vie sur terre et biodiversité Autoentretien • Cycle nutritionnel • Constitution des sols • Production primaire... Prélèvement • Nourriture • Eau douce • Bois et fibres • Combustibles... régulation • Régulation du climat • Régulation de l’eau • Régulation des maladies • épuration des eaux... Culturel • Esthétique • Spirituel • éducatif • Agrément... Sécurité éléments d’une vie agréable Santé • Personnelle • D’accès aux ressources • Vis-à-vis des catastrophes • Moyens d’existence adéquats • Alimentation suffisante • Logement • accès aux biens • Vigueur • Bien être • accès à l’eau et l’air pur Bonnes relations sociales • Cohésion sociale • Respect mutuel • Capacité à aider les autres Libertés et possibilité de choisir Capacité pour les individus de se réaliser avec des valeurs dans le faire et l’être éléments du bien-être Couleur des flèches : potentiel d’influence sur les facteurs sociéconomiques. Faible Moyen Haut Largeur des flèches : intensité du lien entre les services écologiques et le bien être. Faible Moyen Haut Figure1 : liens entre les services écosystémiques et les éléments du bien-être, d’après Millenium ecosystem assessment (2005a) la plus grande diversité de services écosystémiques (Millenium Ecosystem Assessment, 2005). des services qui sont eux-mêmes à l’origine d’une grande diversité d’opportunités pour l’homme (tableau 1). l’évolution de la production de ces services est pour une part importante liée aux usages que les sociétés en font. ainsi, dans les pays du Nord, après que les services de prélèvement eurent longtemps dominé les stratégies d’aménagement du territoire 92 et orienté les modes de gestion des forêts, ils sont aujourd’hui devenus moins prépondérants par rapport aux services culturels (activités récréatives) et aux services de régulation (séquestration de carbone notamment). Il existe ainsi des tensions entre les partisans des différentes catégories de services, liées en grande partie à la diversité des objectifs fixés dans le cadre de l’aménagement forestier. Ces différends ap- Services de support Services de régulation Services de prélèvement Services culturels Production de biomasse Photosynthèse Production de sols régulation du climat global atténuation des effets du réchauffement climatique à des échelles locales régulation de l’érosion des sols Filtration de l’eau Purification de l’air Bois de feu Bois d’industrie (dont de trituration) Bois d’œuvre Produits non ligneux Captation d’eau douce Gibier Chasse loisirs et détente (observation des oiseaux, ballades…) ecotourisme dimension spirituelle (forêts sacrées) Tableau 1 : exemples de services écosystémiques fournis par les forêts paraissent de façon assez évidente entre certaines catégories de services, comme entre les services de prélèvement et les services culturels. les premiers impliquent des choix guidés par des critères de productivité tandis que les seconds conduisent plutôt à des choix basés sur des critères esthétiques. on retrouve également des oppositions au sein d’une même catégorie de services écosystémiques. ainsi, pour ce qui concerne les services culturels, un accroissement de la population de cervidés peut être perçu comme une évolution positive pour la chasse mais comme négatif pour les promeneurs car ces populations peuvent avoir de forts impacts sur la flore si leur densité est trop importante. Un autre exemple est celui des puits de carbone ; les forêts offriraient en effet le meilleur moyen de lutter contre le réchauffement climatique en stockant le Co2 émis par les activités humaines. au-delà des controverses sur l’importance réelle des forêts dans le cycle du carbone à l’échelle de la biosphère, il est important de souligner qu’il existe aussi des phénomènes non désirés (Körner, 2004). ainsi, avec l’augmentation de Co2 dans l’atmosphère, les rythmes écologiques devraient s’accélérer et les cycles sylvicoles se raccourcir, pénalisant ainsi probablement la biodiversité. C’est pourquoi il est difficile d’envisager une gestion des forêts basée uniquement sur la production de l’un ou l’autre service écosystémique. II. Indicateurs de l’évolution de la production des services écosystémiques Comme le montre un certain nombre d’indicateurs, les services écosystémiques rendus par les forêts subissent actuellement une phase importante d’érosion (Millenium Ecosystem Assessment, 2005b). Un premier indicateur bien connu est celui de la surface forestière. de nombreux articles sont régulièrement publiés sur les surfaces de forêts qui disparaissent chaque jour, chaque heure, chaque minute, en équivalent de terrain de football ou autre unité d’équivalence « parlante ». en effet, si les forêts (formations naturelles et plantations) gagnent du terrain dans les pays occidentaux, ce n’est pas le cas dans les pays tropicaux (tableau 2). au-delà de l’évolution des surfaces forestières qui traduisent une évolution quantitative des services 93 Domaine Forêts naturelles Pertes Gains Tropical déforestation Conversion en forêt de plantation Perte totale expansion naturelle Variation nette Non tropical Global -14,2 -0,4 -14,6 -1,0 -15,2 +1 -14,2 -0,5 -0,9 +2,6 +1,7 -1,5 -16,1 +3,6 -12,5 +1 +0,9 +1,9 +0,5 +0,7 +1,2 +1,5 +1,6 +3,1 -12,3 +2,9 -9,4 Forêts de plantations Gains reboisement Boisement Variation nette Variation nette totale Tableau 2 : évolution des surfaces forestières sur la période 1990–2000 pour les zones tropicales et non tropicales (en millions d’hectares par an), d’après Millenium Ecosystem Assessment (2005b). écosystémiques associés à ces milieux, d’autres indicateurs permettent de porter un regard plus précis sur la dimension qualitative de l’évolution des services écosystémiques forestiers. Prenons l’exemple de la France. Plusieurs catégories d’indicateurs peuvent être utilisées pour décrire plus précisément l’évolution des quatre catégories de services écosystémiques forestiers. Pour ce qui concerne les services de support ou auto-entretien, on peut penser à des indicateurs fondés sur des relevés satellitaires, comme les indicateurs de concentration de chlorophylle qui permettent d’avoir une approximation des niveaux de production de biomasse. Pour ce qui concerne les services de régulation, il est nécessaire d’avoir recours à des indicateurs écologiques qui permettent de bien qualifier les processus qui régulent les écosystèmes et leur offrent une bonne résilience. Il est possible d’utiliser l’indicateur des oiseaux spécialistes des milieux forestiers. Cet indicateur, qui décroît fortement depuis une quinzaine d’années, permet de souligner que l’accroissement de la taille des forêts ne se traduit pas nécessairement par une augmentation des ser94 vices de régulation au sein de ces milieux (levrel et al., 2007). Pour ce qui concerne les services de prélèvement, il est possible d’utiliser des indicateurs qui renvoient à l’exploitation des forêts mais aussi à la cueillette ou à la chasse, c’est-à-dire à un usage direct : bois sur pied décrit par essences, abondance de champignons décrite par espèces, fruits sauvages consommables, abondance de gibier, etc. Pour les services culturels, nous pouvons réutiliser les indicateurs de cueillette et de chasse qui représentent tout autant, voire plus, des activités de loisir. Cependant les activités culturelles en forêt ne se limitent pas à cela. l’observation des oiseaux, les promenades, le lieu de détente que peut représenter un bois. sont autant d’éléments qu’il serait nécessaire de prendre en compte. Il n’existe cependant pas encore vraiment d’information sur la manière dont il est possible de comptabiliser ces services écosystémiques. ainsi, si les enquêtes réalisées auprès des usagers permettent de souligner l’existence d’une forte demande pour des services écosystémiques culturels (office National des Forêts, 2004), il est délicat de proposer des indicateurs des services à proprement parler. Il est en revanche possible d’utiliser des indicateurs indirects tels que la surface de forêt « accessible » aux usagers, les linéaires de chemins ou de berges au sein des forêts, etc. Il est aussi possible d’évoquer des indicateurs qui renvoient à l’abondance d’espèces animales forestières non chassées telles que les oiseaux forestiers, les insectes communs, les petits mammifères (notamment les chauves souris), etc. Une autre piste est d’identifier des indicateurs traduisant l’existence d’habitats pour des espèces menacées comme l’abondance d’arbres morts qui forment un habitat favorable à beaucoup d’insectes et d’oiseaux. d’autres indicateurs permettent de souligner une diversité paysagère qui sera appréciée des promeneurs : diversité des essences, pourcentage d’espèces autochtones / espèces allochtones, pourcentage de plantation / forêts non exploitées, etc. Une piste envisagée pour lutter contre l’érosion des services écosystémiques associés aux milieux forestiers est d’attribuer une valeur monétaire à l’ensemble des services dont la valeur n’est pas renseignée par les prix de marché, comme c’est le cas notamment pour les services de régulation et les services culturels. dans le cadre d’un rapport du Centre d’analyse stratégique (Chevassus-au-louis et al., 2009), la valeur moyenne à accorder aux écosystèmes forestiers métropolitains est estimée à 970 euros par hectare et par an (bénéfices annuels) et la valeur totale actualisée à 35 000 euros par hectare2. evidemment, cela offre une valeur beaucoup plus importante à l’hectare que la simple valeur foncière et, de ce point de vue, c’est une bonne chose. Pourtant, on peut penser que les projets d’aménagement qui induisent les impacts les plus importants sur les écosystèmes naturels – la fragmentation et l’artificialisation (devictor et al., 2007) – sont des projets qui vont générer des bénéfices actualisés bien plus élevés à l’échelle d’un hectare, comme par exemple un programme immobilier ou le développement d’un réseau routier. effectivement la biodiversité ne vaudra plus zéro euro dans les calculs de rentabilité des projets. Mais le fait de pouvoir avancer l’argument selon lequel la valeur monétaire de la biodiversité aura été prise en compte dans le calcul de l’évaluation de projet a plus de chance d’être utilisé 2 en défaveur de la biodiversité qu’en faveur de cette dernière, en particulier lorsque cet argument pourra être avancé pour contrer les modes de justification « conventionnels » (fondés sur des indicateurs « écologiques ») des associations environnementales et de couper ainsi cours aux négociations qui s’instaurent généralement à l’échelle locale. Par ailleurs, les arbitrages réalisés à partir de ces considérations monétaires contribueront à mieux protéger la biodiversité uniquement là où la valeur des projets est faible et pas du tout là où les pressions s’exercent de manière importante (qui sont situées dans des zones où la valeur ajoutée des projets est justement élevée). les projets seront certes gérés de manière plus « optimale » du point de vue de la rationalité économique mais si cela se fait systématiquement en défaveur de la biodiversité et aux dépens d’une certaine démocratie locale, la portée opérationnelle de cet outil d’aide à la décision risque pour le moins de perdre de sa pertinence. Conclusion la notion de service écosystémique nous offre une nouvelle unité de référence à partir de laquelle il est possible de repenser la question de la production de richesse ou de la conservation de la biodiversité. C’est particulièrement le cas pour les forêts dont la fonction première est actuellement fortement débattue : simple puits de carbone, espace de loisir pour une population de plus en plus urbaine ou lieu d’exploitation avant tout ? Il est probable que la réponse se trouve justement dans une meilleure prise en compte des interdépendances qui existent entre les quatre catégories de services qui sont associées à ces fonctions socio-économiques. adopter un tel point de vue implique de repenser les unités spatiales, les unités de temps mais aussi les unités organisationnelles à partir desquelles la gestion des interactions Société-Nature en milieu forestier a jusqu’à présent été envisagée. en revanche, il peut sembler risqué de vouloir envisager ces services écosystémiques à partir d’une seule unité d’évaluation que pourrait être la valeur monétaire de ces derniers, du fait de l’uniformisation des systèmes de valeur et de l’instrumentalisation que cela pourrait engendrer. n Selon un taux d’actualisation compris entre 2 et 4 %, conformément aux recommandations officielles françaises. 95 références bibliographiques Chevassus-au-louis B., Salles J.-M. et Pujol J.-l. (Coord.), 2009. Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes. Paris : la documentation française et le Centre d’analyse Stratégique, 400 p. Costanza r., d’arge r., de Groot r., Farber S., Grasso M., Hannon B., limburg K., Naeem S., o’Neill r. v., Paruelo J., raskin r. G., Sutton P.et van den Belt M., 1997. The value of the world’s ecosystem services and natural capital, Nature, n°387, p.253-260. daily G.C., (ed.), 1997. Nature’s Services. Societal Dependence on Natural Ecosystems. Washington d.C., Island Press, 392 p. Inventaire Forestier National, 2005. Les indicateurs de gestion durable des forêts françaises 2005. IFN, 202 p. Körner Ch., 2004. Through enhanced tree dynamics carbon dioxide enrichment may cause tropical forests to lose carbon. Phil Trans R Soc Lond, n°359, p.493-498. levrel H., Couvet d. et loïs G., 2007. Indicateurs de biodiversité pour les forêts françaises. etat des lieux et perspectives. Revue Forestière Française, tome 59, p.45-56. Millenium ecosystem assessment, 2005a. Ecosystem and Human Well-Being: synthesis. Island Press, 137 p. Millenium ecosystem assessment, 2005b. Global and Multiscale assessment reports, vol. 1(current state and trends), chapter 21 (Forest and Woodland Systems), p.585-621. office National des Forêts, 2004. Forêt et société : une union durable, 1960 – 2003 : évolution de la demande sociale face à la forêt. RDV techniques n° 5, 5 p. 96 les fonctions écologiques offertes par la biodiversité Mathilde Bouvron* *Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) n de la considération des espèces rares à celle des fonctions écologiques afin d’intégrer l’aménagement du territoire à une stratégie de développement durable, le ministère en charge du développement durable a souhaité développer une politique de mesures compensatoires et la création d’une banque d’actifs écologiques. la mise en œuvre des mesures compensatoires, en prévision des dommages causés à la biodiversité, nécessite des méthodes de quantification de ces dommages d’une part, mais aussi des bénéfices attendus de la compensation d’autre part. Ces méthodes de quantification font appel à des indicateurs de biodiversité, ou plus généralement à des indicateurs de qualité des milieux. Ces indicateurs sont aujourd’hui basés uniquement sur les espèces d’intérêt patrimonial, espèces rares, menacées ou protégées. Mais peut-on considérer que la conservation de la biodiversité est assurée uniquement par la conservation des espèces rares ? le projet d’évaluation des fonctions écologiques développé par le ministère en charge du développement durable et le Muséum national d’Histoire naturelle, propose une approche complémentaire de conservation de la biodiversité par l’évaluation de la qualité des milieux, au-delà de la présence d’espèces rares ou patrimoniales. en effet, comme le montrent Montoya et ses collaborateurs (2003), la richesse spécifique à elle seule ne contribue que partiellement aux services écologiques rendus. les modifications de la complexité du réseau trophique doivent également être prises en compte lors de prédictions de perturbation des communautés naturelles engendrées par l’Homme. Cette proposition s’inscrit dans un contexte actuel d’intérêt grandissant pour les services écologiques que la nature fournit aux sociétés humaines. l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Millenium Ecosystem Assessment, 2005), projet de référence sur le thème des services écologiques, soulève notamment l’importance des services rendus aux sociétés humaines par les écosystèmes et entre autres leur biodiversité. l’enjeu n’est alors plus uniquement de conserver la diversité biologique des écosystèmes mais de savoir comment les gérer de façon durable pour maintenir les services écologiques qu’ils fournissent. dans ce contexte, une compensation basée sur la présence d’espèces rares reste importante mais non suffisante. l’enjeu est donc de pouvoir développer de nouvelles méthodes d’évaluation du fonctionnement des écosystèmes. Celles-ci seront complémentaires des approches centrées sur la biodiversité, car bien que la relation entre biodiversité et fonctions écologiques d’un écosystème ne soit pas toujours clairement établie (Schwartz et al., 2000 ; Srivastava et vellend, 2005), la biodiversité est nécessairement étroitement associée aux fonctions écologiques. Par exemple, plusieurs études montrent le rôle de la biodiversité dans le fonctionnement des écosystèmes, par la modification de certaines fonctions clefs telles que la productivité (Tilman et al., 1997a ; Tilman et al., 1997b), le recyclage des nutriments ou la biomasse totale (Hooper et vitousek, 1997 ; loreau, 2000 ; Coleman et Whitman, 2005 ; Hooper et al., 2005 ; danovaro et Pusceddu, 2007), en lien avec la modification de la diversité biologique. ainsi, la biodiversité reste une notion clef pour le fonctionnement des écosystèmes dont elle augmente la capacité à assurer différentes fonctions écologiques ; lorsqu’elle est élevée, une compensation entre espèces ayant les mêmes fonctions est possible. les fonctions écologiques méritent particulièrement d’être étudiées car elles sont au cœur de la relation entre la diversité biologique des écosystèmes et la 97 production de services pour les sociétés humaines. les services écologiques sont définis comme « les bénéfices que les humains peuvent tirer des écosystèmes » (Millenium Ecosystem assessment, 2005) ou encore les « composants de la nature, directement appréciés, consommés ou utilisés pour assurer le bien être humain » (Boyd et Banzhaf, 2007) ainsi que les « conditions et les processus selon lesquels les écosystèmes et les espèces qui les composent maintiennent et assurent la vie humaine » (Tallis et Kareiva, 2005). les fonctions écologiques sont les mécanismes qui permettent la production de ces services. elles font donc plutôt référence aux processus de maintien et de fonctionnement de l’écosystème, alors que les services écologiques sont directement liés à l’homme et aux bénéfices dont il peut tirer profit, assurant ainsi le maintien des activités humaines (figure 1). n Quelles fonctions écologiques évaluer et où ? Un intérêt majeur est donc d’intégrer l’évaluation des fonctions écologiques dans les programmes de conservation et d’aménagement. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de développer un système de quantification des fonctions écologiques, à partir d’indicateurs pertinents d’un point de vue des processus biologiques liés à ces fonctions, mais aussi relativement simple à mettre en œuvre (protocoles, faisabilité des mesures, disponibilité des données, etc.). Il s’agit d’identifier un ou plusieurs indicateurs pertinents qui reflètent la capacité d’un écosystème à réaliser une ou plusieurs fonction(s) écologique(s). Ces indicateurs se différencient ainsi des indicateurs de biodiversité déjà développés, qui ne tiennent pas compte de cette dimension fonctionnelle. la liste des fonctions écologiques à retenir pour une évaluation a ainsi été réalisée par la détermination de l’ensemble des fonctions écologiques nécessaires pour assurer les services écologiques pour l’homme Écosystème Fonctions écologiques (services écologiques de régulation et de support recensés dans Millenium Ecosystem Assessment, 2005). Chaque fonction a été définie précisément pour l’identification d’indicateurs pertinents. Suite à des réunions de concertations entre experts, une quinzaine de fonctions « clefs » ont été identifiées (tableau 1). la mise en place de mesures compensatoires nécessite de quantifier ces fonctions par rapport à un état de référence optimal. Cependant, il est important de tenir compte de l’hétérogénéité des habitats naturels français pour intégrer l’ensemble des fonctions écologiques identifiées. en effet, chaque habitat n’est le lieu de réalisation que de certaines fonctions et inversement. Une typologie en neuf types principaux d’habitats et en une trentaine de sous-types a été dégagée par comparaison entre les bases Corine land Cover, eUNIS (European nature information system) et Corine Biotope (tableau 2). n vers des indicateurs du fonctionnement écologique en s’appuyant sur cette typologie ainsi que sur la liste des fonctions écologiques citée précédemment, il faut désormais élaborer des indicateurs pour quantifier les différentes fonctions. Ces indicateurs doivent permettre une évaluation synthétique et quantifiée des fonctions recensées pour un habitat. Cette quantification doit également être évaluée dans des milieux dits « de référence » pour permettre de comparer la valeur des indicateurs obtenus sur les zones susceptibles de mettre en place des mesures compensatoires à ces valeurs de référence. ainsi, un écart important à la valeur de référence traduira un état dégradé de la fonction, alors qu’une valeur proche de celle de référence traduira une très bonne réalisation de cette fonction dans l’habitat concerné. Par ailleurs, il est important de prendre en compte les divergences pouvant exister Services écologiques Bénéfices Figure 1 : liens et distinctions entre écosystèmes, fonctions écologiques, services écologiques et bénéfices 98 echanges gazeux végétation - atmosphère autoépuration de l’eau Piégeage des particules Transports des solides résistance de la végétation aux perturbations (feux, tempêtes) rétention de l’eau dans les sols et les sédiments ecoulements d’eau (des cours d’eau, de surface et de sub-surface, de profondeur) effet albédo (réflexion) approvisionnement des sols et des sédiments en matière organique décomposition de la matière organique dans les sols recyclage des éléments nutritifs dans les sols Formation de la structure des sols (sédimentation) Transferts de pollen Interactions biotiques (prédation, parasitisme, compétition) existence d’un habitat/biotope particulier Tableau 1 : liste des fonctions écologiques clefs retenues. entre certaines fonctions : un même habitat pourra être à la fois le lieu de fonctions très dégradées et de fonctions proches de la valeur de référence. Grâce à ce système d’évaluation, il serait ainsi possible de disposer d’un bilan de l’état des fonctions écologiques d’un milieu donné et d’observer l’évolution ainsi que les modifications des capacités de ce milieu à assurer les fonctions écologiques lors de la construction d’infrastructures. Cette évaluation serait alors un outil dans la mise en place de mécanismes de compensation, qui tiennent compte de la fonctionnalité des écosystèmes. Cependant, la réflexion doit être renforcée et développée, pour aboutir à un ensemble d’indicateurs pertinents et fonctionnels pour la quantification des fonctions écologiques et pour définir les modalités de leur utilisation. Il convient, dès lors, d’adapter les indicateurs existants et de développer des indicateurs pour évaluer les fonctions non prises en compte dans ces derniers. Ces indicateurs devront intégrer le lien entre la complexité des écosystèmes et leur stabilité écologique, comme le soulignent Montoya et ses collaborateurs (2006). les indicateurs existants ont différents cadres théoriques : certains indicateurs se fondent sur le réseau trophique de l’écosystème considéré, la complexité de ce réseau, la diversité des espèces à chaque niveau trophique (cf. par exemple le Marine Trophic Index, Pauly et al., 1998), etc. d’autres indicateurs se fondent sur la spécialisation des communautés pour un écosystème ou une région comme l’indicateur de spécialisation des communautés d’oiseaux (Julliard et al., 2006). Ces indicateurs de spécialisation des communautés peuvent également être calculés pour d’autres groupes taxonomiques tels que les papillons, les chauves-souris, les odonates, etc. Certaines fonctions écologiques, comme la pollinisation, peuvent être abordées plus directement par l’étude des communautés qui assurent cette fonction : les pollinisateurs. en effet, la pollinisation de très nombreuses plantes dépend des insectes et, réciproquement, des dizaines de milliers d’espèces d’insectes dépendent des plantes à fleurs pour leur survie. les pollinisateurs sont donc la source d’un véritable service écologique. des études récentes ont montré que ce service est d’autant mieux rendu que la diversité des pollinisateurs est importante – la diversité engendre une meilleure fructification et garantit le maintien d’une activité pollinisatrice en cas d’épidémie ou de présence de parasites sur une espèce particulière. Pourtant, ce service est aujourd’hui menacé. Si le symbole de cette menace est le déclin de l’abeille domestique, des dizaines d’espèces rares et localisées ont déjà disparu. Qu’en est-il des espèces sauvages les plus communes ? Quelles sont celles qui assurent l’essentiel du service ? Un suivi de la diversité des pollinisateurs à 99 l’échelle de la France est d’ores et déjà en train de se mettre en place au Muséum national d’Histoire naturelle. les pollinisateurs comptent plusieurs milliers d’espèces appartenant à des ordres très variés, en particulier : - les lépidoptères (papillons), - les hyménoptères (bourdons, abeilles), - les coléoptères (longicornes, cétoines), - les diptères (syrphes et autres mouches). Ces indicateurs biotiques doivent également être associés à des indicateurs plus physiques ou biophysiques pour l’évaluation de fonctions telles que l’écoulement des eaux, le transport de solides, la Habitats marins 1.1. Zones intertidales, roches sédiments, sable vase, généralement sans végétation 1.2. Mers et océans, zones au-delà de la limite des plus basses marées, fonds marins Habitats côtiers, surfaces en eaux maritimes, zones soumises aux marées, dunes continentales 2.1. Plages de sable et de galets, dunes littorales et continentales 2.2. lagunes littorales 2.3. estuaires 2.4. Marais maritimes Surfaces en eau douce continentales 3.1. Surfaces d’eau stagnante 3.2. Surfaces en eau courante, rivières, fleuves sources, canaux Zones humides 4.1. Marais intérieurs, tourbières de transition 4.2. Tourbières Prairies et milieux à végétation arbustive ou herbacée 5.1. Prairies, surfaces enherbées denses 5.2. Pelouses et pâturages naturels, prairies humides, pelouses alpines et subalpines 5.3. Forêt et milieux à végétation arbustive en mutation 5.4. landes et broussailles tempérées, broussailles alpines et subalpines 5.5. Maquis, garrigue, landes épineuses méditerranéennes, milieux à végétation sclérophylle. Bois et forêts 6.1. Forêt de feuillues caduques et à feuilles persistantes 6.2. Forêt de conifères 6.3. Forêt mixtes espaces ouverts sans végétation ou avec peu de végétation 7.1. eboulis, rochers, falaises, affleurements, grottes 7.2. Glaciers et neiges éternelles 7.3. Milieux à végétation clairsemée Territoires agricoles cultivés 8.1. Terres arables irriguées et hors périmètre d’irrigation 8.2. rizières 8.3. Cultures permanentes : vignes, vergers et petits fruits, oliveraies, plantations 8.4. Zones agricoles hétérogènes Habitats artificialisés 9.1. espaces verts, parcs, jardins 9.2. equipements sportifs et de loisirs 9.3. Sites d’extraction industrielle, mines, décharges, chantiers 9.4. Marais salants exploités Tableau 2 : typologie des habitats naturels français en neuf types et vingt-neuf sous-types. 100 sédimentation, etc. Certains indicateurs biophysiques sont déjà utilisés dans certaines études comme des indicateurs de qualité des sols (Braunisch et Suchant, 2008). leur utilisation doit cependant être simplifiée et redéfinie en fonction du milieu naturel considéré. références bibliographiques n Intérêts et limites des indicateurs de fonctionnement écologique Braunisch v. and Suchant r., 2008. Using ecological forest site mapping for long-term habitat suitability assessments in wildlife conservation - demonstrated for capercaillie (Tetrao urogallus). Forest Ecology and Management, vol. 256, p.1209-1221. le système de quantification ne constitue cependant qu’un point de départ. en effet, les indicateurs mesurés sur les zones où peuvent s’appliquer les mesures de compensation doivent non seulement être comparés à une valeur de référence de « bon fonctionnement » mais également à une valeur seuil de résilience de cette fonction. en effet, la résilience des écosystèmes est le reflet de la capacité d’un écosystème à conserver un fonctionnement producteur de services pendant et/ou après des perturbations. evaluer la résilience des écosystèmes nécessite donc de déterminer des seuils en-deçà desquels les fonctions ne sont pas maintenues et ne peuvent être acquises de nouveau au sein de l’écosystème considéré. enfin, la quantification des fonctions écologiques ne semble pas suffisante car il est également indispensable de tenir compte du contexte socio-économique dont dépendent les services écologiques. en effet, pour un milieu donné dans un contexte qui lui est propre, une fonction écologique peut avoir une valeur forte, mais en termes de service pour l’homme, avoir une importance mineure (par exemple, un milieu riche en pollinisateurs, mais sans parcelles agricoles). Pour finir, cette approche par indicateurs du fonctionnement des écosystèmes permet une préservation des milieux et donc des habitats des espèces patrimoniales ou menacées, ainsi que des espèces communes, souvent négligées dans les stratégies de conservation. n Boyd J. and Banzhaf S., 2007. What are ecosystem services? The need for standardized environmental accounting units. Ecological Economics, vol.63, p.616-626. Coleman d.C. and Whitman W.B., 2005. linking specoes richness, biodiversity and ecosystem function in soil systems. Pedobiologia, vol. 49, p.479-497. danovaro r. and Pusceddu a., 2007. Biodiversity and ecosystem functioning in coastal lagoons: does microbial diversity play any role? Estuarine Coastal and Shelf Science, vol. 75, p.4-12. Hooper d.U., Chapin F.S.I., ewel J.J., Hector a., Inchausti P., lavorel S., lawton J.H., lodge d.M., loreau M., Naeem S., Schmid B., Setala H., Symstad a.J., vandermeer J. and Wardle d.a., 2005. effects of biodiversity on ecosystem functioning: a consensus of current knowledge. Ecological monographs, vol. 75, p.3-35. Hooper d.U. and vitousek P.M., 1997. The effects of plant composition and diversity on ecosystem processes. Science, vol. 277, p.1302-1305. Julliard r., Clavel J., devictor v., Jiguet F. and Couvet d., 2006. Spatial segregation of specialists and generalists in bird communities. Ecology letters, vol. 9, p.1237-1244. loreau M., 2000. Biodiversity and ecosystem functioning : recent theoretical advances. oikos, vol. 91, p.3-17. Millenium ecosystem assessment, 2005a. Ecosystem and Human Well-Being: synthesis. Island Press, 137 p. Montoya J.M., Pimm S.l. and Solé r.v., 2006. ecological networks and their fragility. Nature, vol. 442, 101 p.259-264. Montoya J.M., rodriguez M.a. and Hawkins B.a., 2003. Food wed complexity and higher-level ecosystem services. Ecology letters, vol. 6, p.587-593. Pauly d., Christensen v., dalsgaard J., Froese, r. and Torres F.J., 1998. Fishing down marine fodd webs. Science, vol. 279, p.860-863. Schwartz M.W., Brigham C.a., Hoeksema J.d., lyons K.G., Mills M.H. and van Mantgem P.J., 2000. linking biodiversity to ecosystem function: implications for conservation ecology. Oecologia, vol. 122, p.297-305. Srivastava d.S. and vellend M., 2005. Biodiversity-ecosystem Funcrion research: Is it relevant to Conservation? Annual Review of Ecology, Evolution, and Systematics, vol. 36, p.267-294. Tallis H.M. and Kareiva P., 2005. ecosystem services. Current Biology, vol. 15, r746-r748. Tilman d., Knops J.M.H., Wedin d., reich P.B., ritchie M. and Siemann e., 1997a. The influence of functional diversity and composition on ecosystem processes. Science, vol. 277. Tilman d., lehman C.l., Thomson K.T., 1997b. Plant diversity and ecosystem productivity: Theorerical considerations. PNAS, vol. 94, p.1857-1861. 102 l’identification ordinaire de la biodiversité. en dehors du Codex1, des indicateurs ordinaires de biodiversité Richard Raymond* *Centre national de la recherche scientifique (CNRS) n la biodiversité, un mot du vocabulaire ordinaire Ce texte a pour origine une série de constats simples. (1) les acteurs sociaux agissent en fonction de ce qu’ils savent ou croient savoir. C’est donc en fonction de ces savoirs2 que les acteurs sociaux évaluent les conséquences de leurs pratiques sur la biodiversité. C’est aussi en fonction de ces savoirs que les acteurs sociaux évaluent les pratiques des autres (les gestionnaires des forêts, par exemple) ; ces savoirs constituent le fondement de leurs revendications concernant d’éventuels changements de ces pratiques. (2) le mot « biodiversité » appartient au vocabulaire scientifique. Il a, dans ce domaine, une signification stabilisée. Il désigne la diversité de toutes les formes du vivant. Cette signification, aussi générique soit-elle, semble peu appropriée par le grand public. Cependant, (3) les discours sur la biodiversité sont légion et sortent fréquemment du domaine scientifique pour aborder celui de l’action, de l’engagement, de la politique ou de l’opinion. ainsi, le terme « biodiversité » n’est plus l’apanage de spécialistes, il appartient au vocabulaire ordinaire. Une étude récente réalisée pour le compte de la Commission européenne révèle que 65 % des européens et 75 % des français ont déjà entendu ce terme (European Commission, 2007)3. enfin, (4) la protection de la biodiversité apparaît comme un impératif social, c’est-à-dire une injonction qui ne peut pas être écartée ou ignorée. Selon cette même étude, 94 % des européens reconnaissent que l’érosion de la biodiversité globale est un problème et 97 % des français considèrent que c’est un problème à l’échelle nationale. Pourtant, dans le registre ordinaire, la signification du mot « biodiversité » est incertaine. Plusieurs études rapportent que de nombreuses personnes sont réticentes à le définir. Seulement 35 % des personnes interrogées affirment savoir ce que ce terme signifie (34 % des français) sans qu’il leur ait été demandé de le définir effectivement. la conclusion selon laquelle ces difficultés seraient l’expression d’une méconnaissance ou d’une incompréhension de ce que ce vocable désigne semble fragile. en effet, il existe de nombreux mots que nous ne savons pas définir précisément, mais dont nous connaissons le sens ou dont nous savons reconnaître ce qu’il désigne, au moins de manière approximative. C’est le cas de termes tels que « liberté », « amour », « justice » ou « bonheur ». ainsi, à défaut de pouvoir être défini avec précision, le mot « biodiversité » est utilisé et vraisemblablement compris. Plus en- Un Codex est un manuscrit écrit sur un assemblage de feuilles de parchemin, de forme semblable à nos livres actuels, par opposition au rouleau de papyrus. Le Codex désigne le recueil officiel de formules de drogues et médicaments autorisés en France. Par extension, ce mot désigne les listes officielles. Il désigne ici l’ensemble des indicateurs de biodiversité construits par des spécialistes ou des agents administratifs et officiellement reconnus. 2 Dans ce texte, « savoir » et « croyance » seront considérés comme équivalents. Cette position est motivée par le fait que la proposition « je crois qu’il y a un génie dans cette forêt » est équivalente à « je sais qu’il y a un génie dans cette forêt » pour la personne qui croit qu’il y a un génie dans cette forêt, et c’est bien cette personne-là qui nous intéresse ici, lorsqu’elle agit ou revendique différentes modalités de gestion des forêts. 3 25 080 personnes ont été interrogées dont 1 000 français. 1 103 core, ce mot, mal défini, flou, incertain, fait l’objet d’échanges collectifs, d’intercompréhensions, de consensus et d’actions. ainsi, selon l’étude précédemment citée, 88 % des européens se disent prêts à faire des efforts pour préserver la biodiversité et 67 % d’entre eux affirment en faire effectivement (79 % des français). les acteurs sociaux suivent ce que donald davidson a nommé le principe de charité (davidson, 1984)4. n Identification et pratiques ordinaires Il est fort probable que la signification ordinaire du mot « biodiversité » et ce qu’il désigne diffèrent de sa portée conceptuelle. Si cette hypothèse est vraie, alors l’identification ordinaire de la biodiversité ne recouvre pas nécessairement ce que désignent les naturalistes. Cette identification est néanmoins possible, voire courante. Constater que les acteurs sociaux ne reconnaissent que très rarement les indicateurs de biodiversité définis par les spécialistes ne saurait conduire à conclure que ces acteurs ne croient pas savoir ce qu’est la biodiversité ou qu’ils ne s’intéressent pas à la biodiversité. par la biodiversité dépend avant tout de ce que ces acteurs sociaux identifient comme étant de la biodiversité. Cette évaluation par soi-même est importante pour la simple raison qu’il n’y a pas de spécialiste derrière chaque acteur et que l’évaluation par soi-même est souvent la seule possible. Saisir ce que les acteurs sociaux identifient comme de la biodiversité permet aux gestionnaires des forêts ou de la biodiversité de comprendre le langage du « grand public ». Cela aiderait à lever les incompréhensions qui émaillent parfois les tentatives d’explications ou de justifications de pratiques sylvicoles au « grand public ». l’idée est alors de rechercher les indicateurs reconnus et utilisés par les acteurs sociaux ordinaires5 pour identifier ce que désigne, pour eux, le mot « biodiversité ». Cela permettrait de se référer à ces indicateurs pour construire un discours qui fasse sens pour eux. n des indicateurs ordinaires de biodiversité, cinq cas de figure les acteurs sociaux ne sont pas tous des spécialistes de la biodiversité. Soit. Ils ne reconnaissent donc que rarement un habitat, une espèce indicatrice d’une structure fonctionnelle ou l’importance des arbres morts dans une forêt. Mais qui, outre quelques spécialistes, sait reconnaître les populations d’oiseaux nicheurs ou les différentes espèces de carabes ? Si ces acteurs ne disposent pas d’un savoir de spécialistes, ils disposent d’un autre savoir. Celui-ci guide leurs pratiques et les relations qu’ils entretiennent avec ce qu’ils identifient, eux, comme de la biodiversité. Ce savoir ordinaire structure les intentions vers la biodiversité et, par conséquent, les attentions à la biodiversité. Un travail sur l’évaluation de la biodiversité en Seine et Marne fut l’occasion de réfléchir à ce que pourraient être les formes d’identification ordinaire de la biodiversité et les indicateurs qui pourraient y être associés. Ces indicateurs ont pour fonction de permettre de cerner ce qui est identifié comme des signes de biodiversité importante par des acteurs sociaux non-spécialistes. Ils permettent de suivre des indices qui sont identifiés, à tort ou à raison, par le grand public comme des signes de biodiversité. les cinq cas de figure présentés ici (tableau 1) ne prétendent nullement à l’exhaustivité. Néanmoins, ils témoignent de la diversité des modes d’identification de la biodiversité. les deux premiers cas témoignent d’une grande méconnaissance de ce qu’est la biodiversité. Ils se réfèrent, pour l’un, au discours courant, pour l’autre, au discours du spécialiste : ainsi, l’évaluation par les acteurs sociaux eux-mêmes de l’impact de pratiques ou des services offerts 1- L’évocation rhétorique. le locuteur ne reconnaît aucune extension6 au mot « biodiversité ». Il ne sait Une traduction française de ce texte est disponible (Davidson, 1993). Donald Davidson donne de ce principe le sens suivant : « quand nous abordons une conversation, nous attribuons à notre interlocuteur les mêmes croyances, le même monde que nous-mêmes ». 5 Les non-spécialistes, c’est-à-dire la part la plus importante des acteurs sociaux. 6 L’extension d’un mot est ce que ce mot désigne ou permet de désigner. 4 104 pas désigner ce qu’est de la biodiversité et par voie de conséquence, ne sait pas reconnaître un espace riche en biodiversité ou une atteinte à la biodiversité. en évoquant la biodiversité, le locuteur ne fait que répéter un discours convenu qu’il espère crédible, séduisant ou impressionnant. C’est le récepteur de ce discours qui l’interprète et lui donne sens. Il suit en cela ce qu’Hillary Putnam (1981) appelle la théorie magique de la référence. dans ce cas, l’utilisation de ce mot est réelle mais elle n’est que rhétorique. les discours médiatiques, empreints de sensationnel. Ce peut être le tigre du Bengale, l’éléphant d’afrique, le pingouin, la baleine bleue mais aussi le loup ou l’ours. autant d’espèces peu présentes dans la majeure partie des forêts françaises (bien que l’on puisse y observer quelques ours ou quelques loups). la biodiversité ainsi identifiée est alors, le plus souvent, lointaine, hors du territoire du locuteur. Sa prise en compte pour évaluer les services ou les impacts environnementaux est difficile. 2- La délégation à un expert. l’identification de l’extension du mot « biodiversité » peut être indirecte. elle est alors déléguée à un expert dont la compétence est reconnue par le locuteur. la biodiversité ou les espaces riches en biodiversité sont alors ceux qui sont désignés par cette autorité. les indicateurs de biodiversité sont alors de deux ordres : 4- L’identification remarquable. Ces espèces sont moins exceptionnelles que précédemment. elles sont, ou peuvent être, présentes dans le territoire du locuteur et sont, ou peuvent être, reconnues par lui. la présence constatée ou regrettée d’Orchidacées, de cervidés, de loutres, de castors, etc., sont autant d’indicateurs utilisés par l’homme ordinaire pour reconnaître de la biodiversité et se situer par rapport à elle. • ceux qui sont utilisés par l’expert lui-même (identification directe) pour reconnaître de la biodiversité : habitat, espèces, variétés, structure paysagères, etc. Ces indicateurs sont généralement ceux qui sont reconnus comme pertinents par les sciences de la nature ou les acteurs administratifs en charge de la gestion de la biodiversité. • ceux qui sont reconnus par le locuteur et qui témoignent qu’un expert a identifié de la biodiversité (identification indirecte). Ces indicateurs reposent sur des conventions : espaces délimités réputés riches en biodiversité (exemples : ZNIeFF, eNS, rN7, etc.), taxons réputés rares ou menacés (listes rouges, espèces emblématiques, etc.), etc. Ce qui caractérise ces indicateurs, c’est qu’ils procèdent par métonymie : ils désignent le contenu par le contenant, la biodiversité par les labels attribués aux espaces qui la contiennent. Mais l’identification de l’extension du mot « biodiversité » peut aussi être faite directement par un homme ordinaire. elle peut alors se faire de trois manières différentes : 3- L’identification sensationnelle. les espèces emblématiques sont celles qui sont présentées dans 5- L’identification d’une diversité perçue. le locuteur peut identifier l’extension du mot « biodiversité » à partir d’un ensemble d’éléments différents et présents simultanément en un lieu délimité. Ces éléments peuvent être des espèces ou des motifs paysagers (habitats). les espaces de biodiversité sont alors les endroits riches en espèces ou en motifs paysagers dont il sait reconnaître la diversité. dans ce cas de figure, pour être un indicateur de biodiversité, il n’est alors pas nécessaire que ces espèces ou ces motifs paysagers soient rares ou menacés. Il n’est pas non plus nécessaire que ces espèces ou ces motifs paysagers soient identifiés par les naturalistes comme des indicateurs fiables de biodiversité. Ces espèces ou motifs paysagers peuvent être parfaitement ordinaires et banals. Ce peut même être des marques d’atteintes à la biodiversité comme le sont les plantes envahissantes. Ce qui est important, c’est leur juxtaposition révélant ainsi une diversité valorisée en tant que telle. C’est ainsi que les futaies irrégulières sont identifiées comme des espaces de biodiversité non pas parce qu’elles offrent une diversité d’habitats mais parce qu’elles offrent une diversité d’apparences. les Zones naturelles d’intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF), les Espaces naturels sensibles (ENS) et les Réserves naturelles (RN). 7 105 Formes d’identification de la biodiversité Identification scientifique (1) évocation rhétorique (2) délégation à un expert (3) Identification sensationnelle (4) Identification remarquable (5) Perception d’une diversité Types d’indicateurs mobilisés pour désigner Espèces (Community Specialisation Index, etc.), habitats, organisations spatiales d’habitats, populations ou variétés témoignant de formes de vie originales ou variées. aucun indicateur. la biodiversité ne peut être reconnue par le locuteur. labels et marques interprétés comme des témoins de la présence de biodiversité reconnue par une autorité (rN, ZNIeFF, etc.). les marques de biodiversité sont des espèces ou des paysages sensationnels présentés dans les médias (forêts tropicales humides, baleines bleues, tigre du Bengale, etc.). les marques de biodiversité sont des espèces ou des espaces remarquables présents dans le territoire de référence. la biodiversité est reconnue à partir de la présence simultanée d’espèces ou de motifs paysagers variés dans un même lieu. Tableau 1 : les formes d’identification de la biodiversité et les types d’indicateurs associés. les indicateurs associés à ces différentes formes d’identifications varient. Ce sont ces indicateurs qui fondent l’appréciation par les acteurs sociaux eux-mêmes des conséquences de leurs pratiques sur la biodiversité qu’ils pensent reconnaître. Ce sont aussi ces indicateurs qui fondent l’évaluation, par ces acteurs, des services que leur offre cette biodiversité. C’est donc à partir de ces indicateurs que les acteurs sociaux se situent par rapport à ce qu’ils pensent être de la biodiversité. C’est enfin ces indicateurs qui guident leurs pratiques. n Un nécessaire retour aux savoirs naturalistes Mais ne nous leurrons pas. Si ces différentes formes d’identification de la biodiversité et les indicateurs associés font sens pour les acteurs sociaux nonspécialistes, elles ne désignent pas ce qu’est la biodiversité dans le cadre des sciences de la nature. les formes d’identification ordinaire de la biodiversité s’apparentent à des savoirs profanes au regard de savoirs experts ou de savoirs scientifiques. Cependant, la prise en compte de ces formes d’identification de la biodiversité n’est pas sans intérêt. elle éclaire trois aspects importants de la connaissance de la gestion de la biodiversité : • ces identifications ordinaires de la biodiversité 106 sont des sources d’information sur le monde (et la biodiversité qu’il contient) pour les naturalistes. Il revient à ces derniers de vérifier ces informations et d’en déterminer le domaine de fiabilité (Carol Brewer, 2006) ; • ce sont des informations qui permettent de comprendre les attitudes des acteurs sociaux face au monde qui les entoure ; • connaître ces formes ordinaires d’identification de la biodiversité permet aux naturalistes engagés dans l’action de concevoir des indicateurs de biodiversité qui soient conformes aux préconceptions du public auquel ils s’adressent. Ces indicateurs feraient alors sens pour les personnes qui agissent (dunn et al., 2006 ; Schwartz, 2006). Ils répondent en cela à une des difficultés importantes des raisonnements ordinaires qui suivent un schéma inductif : le biais de confirmation d’hypothèse mis en évidence par les sciences cognitives (Wason, 1960). Cet aspect prend tout son intérêt dans les processus de construction de stratégie de communication et d’apprentissage. enfin, il importe de noter que ces trois aspects intéressent à la fois la connaissance et l’action. les explorer nécessite une collaboration entre les sciences humaines et les sciences de la nature qui dépasse la simple juxtaposition de recherches mais demande une réelle mise en perspective de regards différents. n références bibliographiques Brewer C., 2006. Translating data into meaning education in conservation biology, Conservation Biology, vol. 20 (3), p. 689-691. davidson d., 1984. Inquiries into Truth and Interpretation. oxford : Clarendon Press, 292 p. Une traduction française de ce texte est disponible : davidson d., 1993. Enquêtes sur la vérité et l’interprétation. Nîmes : éd. Jacqueline Chambon, traduit en français par Pascal engel, 420 p. dunn r.r., Gavin M. C., Sanchez M.C. et Solomon J.N., 2006. The Pigeon Paradox : dependence of Global Conservation on Urban Nature, Conservation Biology, vol. 20(6), p.1814-1816 european Commission, 2007. Attitudes of Europeans towards the issue of biodiversity. Analytical Report. Flash eurobarometer 219, 71 p. Hillary Putnam,1981. Reason, Truth and History, New York : Cambridge University Press. Une traduction française de ce texte est disponible : Putnam H., 1984. Raison, vérité et histoire. Paris : les editions de Minuit, traduit en français par abel Gerschenfeld, 242 p. Schwartz M.W., 2006. How conservation scientists can help develop social capital for biodiversity, Conservation Biology, vol. 20(5), p.1150-1552. Wason, 1960. on the failure to eliminate hypotheses in a conceptual task. Quarterly Journal of Experimental Psychology, vol. 12, p.129-140. 107 108 Indicateurs de perception sociale de la biodiversité en milieu forestier Daniel Terrasson et Sophie Le Floch* *Institut de recherche pour l’ingénierie de l’agriculture et de l’environnement (IRSTEA) Introduction les tentatives pour élaborer des indicateurs sur les rapports entre la société et la forêt sont nombreuses. Il faut par exemple citer les critères et indicateurs d’une « fonction sociale » mis au point dans le cadre du processus intergouvernemental sur la gestion durable des forêts ou du bilan patrimonial de l’office national des forêts (oNF). Plus récemment, le World Wildlife Fund (WWF) a publié une brochure (vallauri, 2007) qui consacre un chapitre aux « critères et indicateurs du sentiment de Nature dans les forêts ». Mais, si la biodiversité intervient souvent à un titre ou à un autre dans ces démarches1, aucune ne traite de la perception de la seule biodiversité en milieu forestier. Tout au plus permettent-elles de tirer quelques enseignements sur les difficultés à surmonter pour traiter de la dimension sociale. la première d’entre elles est le risque d’englobement, qui peut se traduire par un certain nombre de confusions, par exemple entre (i) la gestion de la biodiversité et la gestion de la forêt, (ii) la gestion de la biodiversité et la mise en œuvre du développement durable, (iii) la biodiversité et les autres ressources naturelles, etc. Par ailleurs, il faut remarquer que si nous cherchons à élaborer cet indicateur de perception, ce n’est pas pour suivre l’évolution de la perception de la société sur un phénomène doté de sa propre dynamique, c’est avant tout parce que cette dynamique est conditionnée par une politique et des pratiques concrètes de gestion. dans ce contexte, nous nous proposons donc de croiser deux réflexions : la première concerne la conception d’indicateurs adaptés au suivi de politiques publiques, la seconde l’état des connaissances sur la perception de la biodiversité et ceci quel que soit le milieu considéré. Nous verrons alors que la conception des indicateurs n’est pas indépendante de l’objectif politique implicitement visé à travers le souci de disposer d’un indicateur de perception sociale de la biodiversité en milieu forestier. après avoir proposé un objectif possible, nous déduirons de l’état précédent des connaissances une suggestion pour un jeu d’indicateurs adapté au cas théorique de la forêt de plaine. en ce qui concerne la conception d’indicateurs de biodiversité pour les politiques forestières, Failing et Gregory (2003) ont identifié dix pièges à éviter. Si nous suivons leurs conclusions, parler d’indicateur de perception sociale de la biodiversité suppose au moins : • d’avoir une connaissance fine des perceptions de la biodiversité et des objectifs que l’on va viser à travers sa gestion (erreur 1 : échouer à définir des points à atteindre) ; • d’être en mesure de mettre en relation des pratiques de gestion avec les évolutions de cette perception (erreur 3 : ignorer le contexte de gestion ; erreur 7 : échouer à relier les indicateurs aux décisions) ; • de trouver des indicateurs de ces relations répondant aux critères habituels (pertinence, sensibilité, stabilité, etc.), sans tomber dans « le syndrome du Soit, indirectement, comme support/décor à certaines pratiques récréatives (qui peuvent d’ailleurs avoir un impact en retour sur cette même biodiversité) ; soit, plus directement, comme source d’inspiration à un « sentiment de nature » par exemple. 1 109 lampadaire »2 (erreur 9 : substituer la collecte de données à l’analyse critique). voyons maintenant comment nous pouvons répondre à la première de ces conditions et quel est l’état actuel des connaissances sur la perception de la biodiversité. n Quelle perception de la biodiversité ? Il est possible de mettre en évidence des représentations sociales de la nature (larrère et larrère, 1997) ou de la forêt, mais que veut-dire une perception sociale de la biodiversité en forêt ? Hormis quelques études ponctuelles (cf. par exemple Héritier, 1996 et Petit, 1999), il n’existe pratiquement pas de références bibliographiques abordant ce sujet de façon centrale. Si, pour Nicole eizner (1995), la forêt est « l’archétype de la nature », il est frappant de constater que dans l’ensemble de textes rassemblés dans l’ouvrage La forêt, les savoirs et les citoyens (eizner, 1995 ; Harrison, 1992 ; larrère et larrère, 1997) et traitant des représentations sociales, du statut philosophique, de l’imaginaire, on ne trouve pratiquement aucune réflexion renvoyant à un compartiment quelconque de la biodiversité (le vert, la promenade facile, l’anti-ville, la pérennité, le silence, le « sauvage balisé », la peur et l’enfermement, l’espace du retranchement, etc.) sinon quelques références à l’arbre (objet mais être vivant) et aux animaux de préférence gros et dotés de plumes ou de dents. dans une enquête consacrée à la façon dont les propriétaires forestiers abordent la biodiversité, Bailly et Brédif (2009) soulignent que l’utilisation de ce terme pouvait dans un premier temps être source de blocage lors des entretiens (ce qui avait déjà été mentionné par Mauz et rémy, 2004, pour les agriculteurs des alpes du Nord), puisque la biodiversité était principalement vue comme un problème planétaire (la forêt tropicale, les zones polaires, etc.) mais trouvant peu d’échos localement. en fait, on ne sait pas ce que recouvre la notion de biodiversité pour ceux qui, dans le « public », s’en feraient effectivement l’écho. on ne sait pas non plus si ce que le mot recouvre pour ceux qui s’en font les porteurs privilégiés (scientifiques, politiques, etc.) est aussi présent au niveau du « public » : quels objets sont désignés ? avec quelles significations ? dans quels contextes géographiques ? Faute de cette connaissance, nous avons balayé un ensemble de travaux abordant, d’une part, les représentations de la biodiversité dans différents contextes (Micoud, 1997, 2005 ; Mauz et rémy, 2004), d’autre part, les pratiques et représentations associées à la forêt (Petit, 1999 ; le Floch, 2002 ; dobré, 2005). Cette méthode permet de repérer, de façon éparse, des informations sur quelques compartiments de la biodiversité qui participent plus particulièrement à la construction des représentations sociales. Cela ne veut pas dire que ces éléments sont forcément perçus comme contribuant à quelque chose de plus vaste qui ressemblerait à une idée de la « biodiversité », mais donne simplement une idée des prises possibles. Nous avons identifié : • quelques espèces emblématiques qui ont trois caractéristiques principales : ce sont des espèces animales (charismatic megafauna selon Failing et Gregory, 2003) ; elles sont rares et en effectif très faible ; la connaissance de leur existence est plus importante que la manifestation visible de leur présence. le grand tétras ou l’ours en constituent de bons exemples. Ces espèces sont naturellement très peu nombreuses, surtout lorsque le champ est limité au domaine forestier ; elles sont cantonnées dans des milieux très spécifiques et ne se confondent pas avec la multitude d’espèces recensées dans les divers inventaires (liste rouge, etc.) ; • des animaux ordinaires que l’on peut identifier au moins par leurs traces (Petit, 1999) et, pour le domaine forestier, ce sont plus particulièrement les grands ongulés (chevreuils, cerfs) mais aussi les lapins, dans certaines conditions les sangliers, etc. les oiseaux et les papillons ont une importance sociale particulière, mais en dehors de quelques espèces (dont le coucou), ils sont plutôt associés au domaine champêtre et, pour certains, aux trouées dans les peuplements ; le syndrome du lampadaire désigne la propension à ne regarder que « là où c’est éclairé ». Dit autrement, cela revient à formuler les problèmes non pas pour ce qu’ils sont mais en fonction des solutions dont on dispose. Cela revient à investir dans des solutions connues même si elles ne sont pas forcément adaptées. 2 110 • des espèces mobilisées pour des usages de cueillette : muguet, jonquille, champignons (moins d’une dizaine d’espèces pour la quasi totalité des cueilleurs), baies et fleurs, même si ces dernières sont plus associées aux champs et aux alpages qu’aux forêts ; • « tout ce qui fait peur » ou plus simplement génère des répulsions : ce n’est pas tellement le loup (au moins dans les forêts ordinaires) mais la « vermine », les « épines », les araignées, serpents et autres « petites bêtes », inféodées à la « broussaille et au fouillis » (le Floch, 2002). Notons au passage que cette catégorie n’est pas associée à une perception positive de la biodiversité et que l’existence d’oppositions dans les représentations peut probablement être généralisée. Mauz et rémy (2004) soulignent à ce titre que pour les agriculteurs « tout ne leur paraît pas bon à prendre », qu’il n’y a pas UNe mais deS biodiversités, que ces oppositions ne recouvrent pas les catégories « d’utile » et de « nuisible » et que les animaux diffèrent fortement de certains végétaux ; • de façon moins prégnante, des éléments de diversité à l’échelle des paysages : clairières, mares, plans d’eau, etc. la question que l’on peut se poser est alors de savoir en quoi ces différents milieux sont perçus comme des écosystèmes ou génèrent seulement une appréciation sur le plan de l’esthétique (Mauz et rémy, 2004 ; Petit, 1999). Cette tentative de catégorisation a probablement un sens pour ce qu’on peut désigner sous le terme de « grand public » alors qu’il existe une diversité et une ambivalence des représentations. Cette diversité s’applique notamment aux « espèces emblématiques » et l’ours des Pyrénées en est certainement un bon exemple. Par ailleurs, il faudrait ajouter des composantes de la biodiversité influant sur les perceptions, attitudes, usages de groupes sociaux particuliers : les chasseurs, les chasseurs photographes, les naturalistes, les professionnels (sylviculteurs, bucherons, techniciens), etc. Ces groupes ont chacun leurs centres propres d’intérêt, avec, de façon générale, une perception plus fine qui s’étend à une variété plus large d’espèces et couvre au moins deux niveaux d’organisation : niveau spécifique et écosystémique. Mais nous connaissons aussi tou- tes les limites de ces catégorisations sociales trop schématiques dont la pertinence dépend largement du contexte local (Ginelli et le Floch, 2006). Trois remarques peuvent être faites, à ce stade : • il y a un risque à vouloir évaluer la relation de la société à la biodiversité de façon générale. Ces représentations sont toujours celles de groupes sociaux donnés en relation avec des espaces géographiques déterminés. valeurs et pratiques sont indissociables et ne peuvent être décontextualisées, ni dans l’espace, ni dans le temps ; • les éléments qui jouent un rôle significatif sont en nombre très limités, rattachés à un niveau préférentiel, la diversité spécifique, et, sauf exception, plus corrélés à l’abondance d’un tout petit nombre d’espèces très communes, qu’à des critères comme la richesse spécifique, la rareté, la vulnérabilité, etc. la figure de la biodiversité fonctionne d’abord comme une « appréhension holistique propice aux mobilisations affectives » (Micoud, 2005), comme une tautologie du type « la vie, c’est la diversité de la vie » (Micoud, 1997) et la vie c’est la présence d’êtres animés, d’où l’importance des animaux ; • nous ne faisons ici qu’ébaucher des pistes de réflexion sur la façon dont il est possible d’aborder la perception sociale de la biodiversité. Mais le sujet est complexe et il est clair qu’une réflexion plus approfondie ne peut se soustraire à la question de l’esthétique. en matière d’appréciation esthétique de la nature, le modèle de pensée dominant a longtemps reposé (repose toujours ?) sur une conception de l’esthétique comme catégorie autonome du jugement : le paysage, qui relèverait exclusivement de l’esthétique, ne pourrait être confondu avec l’environnement, qui relèverait exclusivement de la connaissance scientifique (roger, 1995). or, ce modèle est de plus en plus remis en cause aujourd’hui. le cognitivisme esthétique d’allen Carlson (dumas, 2001), par exemple, souligne la nécessité d’adjoindre aux qualités formelles des objets, des connaissances sur ce qu’ils sont et sur la façon dont ils ont été produits. Pour le sujet qui nous intéresse ici, la question de l’esthétique doit être posée, dans ses liens avec la connaissance scientifique : quelle est la part des dimensions esthétique et savante dans 111 les représentations sociales d’une espèce (Javelle et al., 2006) ou d’un paysage, que celles-ci émanent de personnes « ordinaires » ou de scientifiques ? en compte mais il semble assez facile d’imaginer un indicateur spatial de la forme : nombre de trouées de dimensions à définir par surface de cent hectares. Passer de cet état des connaissances à l’élaboration d’une batterie d’indicateurs suppose alors que soient précisés les objectifs de la politique (endpoints) et leurs bénéficiaires (pour qui ?). de nombreuses options sont possibles. a titre d’exemple, nous tenterons de faire l’exercice sur un cas théorique et pour un objectif formulé comme suit : générer une représentation positive de la richesse de la biodiversité auprès d’un « public non averti ». Nous pouvons maintenant tenter de répondre aux deux dernières conditions citées en introduction. Intervenir sur le troisième paramètre est plus complexe, notamment pour les champignons. Si nous suivons Failing et Gregory (2003), nous n’avons pas à le prendre en considération tant que nous ne sommes pas en mesure de mettre en relation des pratiques de gestion avec un effet. de plus, il fait appel à des phénomènes difficiles à cerner, sur lesquels il y a peu de données et, en tout cas, pas de données renseignées en routine pour toutes les forêts. enfin, construire un indicateur pertinent demanderait un peu d’imagination pour s’abstraire des variations multiples qui affectent ce paramètre dans le temps (variations interannuelles et saisonnières, diversité des publics). n Quels indicateurs des perceptions de la biodiversité ? Pour atteindre l’objectif que nous avons proposé dans une forêt de plaine ordinaire à fréquentation majoritairement urbaine, les moyens qui semblent les plus pertinents consisteraient alors à intervenir sur trois paramètres prioritaires : l’occurrence d’animaux visibles (le chevreuil ayant une place prépondérante), la fréquence des clairières (non embroussaillées), la richesse en produits de collecte (champignons, baies et fleurs). Se pose alors la question de l’existence de pratiques de gestion ayant un effet sur ces paramètres (erreur 7 de Failing et Gregory, 2003). Il existe un arsenal de pratiques, dont l’effet est connu, pour intervenir sur le premier critère. elles font appel à des méthodes de gestion de la population animale mais aussi d’aménagement forestier (répartition des aires de gagnage, de repos, etc.). elles doivent être complétées de mesures d’aménagement et d’entretien permettant la visibilité des animaux (sous-bois clairs, layons, etc.). de plus, il existe un indicateur bien maîtrisé, l’Indice kilométrique d’abondance (Cemagref, 1984) dont il suffirait d’adapter le protocole d’estimation à ce nouvel objectif. la fréquence des clairières relève, quant à elle, du simple aménagement de la forêt. elle est corrélée avec la présence de certaines baies et fleurs. la dimension, le niveau de fermeture devraient être pris 112 Pour atteindre l’objectif choisi, nous avons recherché les mesures techniques adaptées à ce que nous supposons des représentations du public mais il est également possible de jouer directement sur les valeurs associées à ces représentations. C’est d’ailleurs la solution privilégiée par les institutions chargées de la gestion de biens publics, en général convaincues de la justesse de leur propre conception de l’intérêt général : sont alors mises en avant la nécessaire « éducation du public », son « information ». les pratiques de gestion à considérer ne se limitent donc pas au seul registre des techniques mais cela pose des vrais problèmes politiques et éthiques : quelles représentations sont légitimes ? Qui est détenteur de l’intérêt général ? en particulier, les objectifs de préservation de la biodiversité ont souvent été définis en excluant la « société » : réserves intégrales interdites au public, accès règlementé, etc. l’objectif, qui viserait à générer une représentation positive de la biodiversité, ne passe probablement pas seulement par une éducation du public par des gens « avertis » mais sans doute aussi par une révolution culturelle de ceux qui sont en charge de cette protection. C’est imaginer que la construction de l’image de la biodiversité peut être une co-construction ; qu’il faut d’abord comprendre ce qui, dans les pratiques et représentations de tel groupe social, renvoie à une certaine idée de la biodiversité, dans le but de construire une image et un objectif d’action communs. Conclusion la biodiversité des uns n’est pas la biodiversité des autres et les « naturalistes » seront vraisemblablement heurtés par de telles propositions qui n’intègrent aucun des aspects qui représentent à leurs yeux la richesse de la biodiversité : espèces rares, mélange des essences, présence de bois morts, etc. Il y a deux réponses à cela. d’une part, les « naturalistes » ne constituent qu’une fraction très minime de la population : dans une enquête de Peyron et al. (2002), il apparaît que moins de 2,5 % des visites sont consacrées aux activités dites « faune-flore ». d’autre part, les représentations de ces groupes sont très liées à l’état réel de la biodiversité et celui-ci est déjà renseigné par des indicateurs appropriés. équipements) ou les moyens réglementaires (inventaires et dispositions administratives décidées pour l’essentiel hors de la sphère forestière) que sur la nature même des relations des groupes sociaux à l’environnement (erreur 9 de Failing et Gregory, 2003). or, il faudra bien considérer, un jour, que chaque dimension a également besoin d’un suivi approprié, que les aspects sociaux, comme les aspects écologiques, ne peuvent pas être isolés de leur contexte local et qu’il est urgent de commencer à recueillir les données correspondantes en faisant appel aux méthodes et aux compétences qui sont celles des sciences sociales. n les propositions contenues dans ce texte ont pour seul mérite de suggérer une manière d’aborder ce type de questions. les moyens proposés seraient à adapter au contexte géographique et social de chaque forêt. le public de la Chartreuse n’est pas celui de la forêt de Sénart, etc. Par ailleurs, le « public » n’est pas homogène et l’objectif n’est pas correctement défini si la tranche de public visé n’est pas précisée (erreur 1 de Failing et Gregory, 2003), ce qui est généralement le cas. enfin, l’expérience des débats antérieurs sur l’élaboration d’indicateurs relatifs à la « fonction sociale » de la forêt montre que, dès qu’il s’agit d’objets sociaux, le constat d’une absence de données est toujours mis en avant pour brider l’imagination. Si la légitimité de la collecte de données écologiques ou économiques est rarement mise en cause, il n’en est pas de même pour cette troisième dimension. À titre d’exemple, dans les Indicateurs de gestion durable des forêts françaises (MaP-IFN, 2006), seulement deux indicateurs sur un total de cinquante-six ne relèvent pas du couple économie-écologie : l’indicateur 6.10 « surface de forêts et autres terres boisées accessibles au public à des fins de récréation et indication du degré d’utilisation » et l’indicateur 6.11 « nombre de sites en forêts et dans les autres terres boisées désignés comme ayant une valeur culturelle ou spirituelle ». et encore faut-il observer que, dans la majorité des dispositifs existants, ces indicateurs portent plus sur le contexte (la densité de population et sa répartition spatiale), l’offre (les 113 références bibliographiques Bailly a. et Brédif H. 2009. les propriétaires et gestionnaires forestiers face aux enjeux de la biodiversité. Forêt Wallonne, n°102, p.45-54. Cemagref, 1984. Forêt et gibier : méthodes de recensement des populations de chevreuil - Note technique. Nogent-sur-vernisson : Cemagref, n°51, 64 p. dobré M., 2005. Les Français et la forêt en 2004 Enquête ONF. Paris : oNF. dumas d., 2001. l’esthétique environnementale d’allen Carlson. Cognitivisme et appréciation esthétique de la nature. Revue canadienne d’esthétique, vol. 6. eizner N., 1995. la forêt, archétype de la nature, dans La forêt, les savoirs et le citoyen. Chalon-surSaône : éditions aNCr, p.17-19. Failing l. and Gregory r., 2003. Ten common mistakes in designing biodiversity indicators for forest policy. Journal of environmental management, vol. 68, p.121-132. Ginelli l. et le Floch S., 2006. Chassés-croisés dans l’espace montagnard. Chasse et renouvellement des liens à l’environnement dans les Hautes-Pyrénées. Terrain, n°47, p.123-140. Harrison robert, 1992. Forêts : essai sur l’imaginaire occidental. Paris : Flammarion, 398 p. Héritier K., 1996. Approche écologique et perceptive de la biodiversité dans un paysage de montagne en mutation, l’exemple de la commune d’Aussois. Mémoire de DEA IGA. Grenoble : université de Grenoble. Javelle a., Kalaora B. et decocq G., 2006. les aspects sociaux d’une invasion biologique en forêt domaniale. Natures, Sciences, Sociétés, vol. 14(3), p.278-286. 114 larrère C. et larrère r., 1997. Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l’environnement. aubier éditions, 355 p. le Floch S., 2002. les « ramiers » : un espace riverain inaccessible de la Garonne. Ethnologie Française, vol. 32(4), p.719-726. MaP-IFN, 2006. Les indicateurs de gestion durable de forêts françaises, édition 2005. Paris : Ministère de l’agriculture et de la Pêche-Inventaire forestier national, 148 p. Mauz I. et rémy J., 2004. Biodiversité et agriculteurs des alpes du Nord. Fourrages, n°179, p.295-306. Meiller d et vannier P, 1992. La forêt, les savoirs et le citoyen. aNCr éditions, 280 p. Micoud a., 1997. en somme, cultiver le vivant : ou comment la protection de la biodiversité peut-elle aussi être un moyen pour reconnaître la diversité des cultures humaines ? dans Parizeau M.H., 1997. La biodiversité : tout conserver ou tout exploiter ? de Boeck Université édition, 214 p. Micoud a., 2005. la biodiversité est-elle encore naturelle ? Ecologie et politique, n° 30, p.17-25. Petit J., 1999. représentations sociales de la biodiversité. Les clairières de Saint Pierre de Chartreuse. Mémoire de DEA. Grenoble : Institut de Géographie alpine, université de Grenoble. Peyron J.l., Harou P., Niedzwiedz a. et Stenger a., 2002. National survey on demand for recreation in French Forests. laboratoire d’économie forestièreengref, Institut national de la recherché agronomique : eurostat, 85 p. roger a., 1995 - La théorie du paysage en France (1974-1994). Seyssel : éditions Champ vallon, 463 p. vallauri d., 2007. Biodiversité, Naturalité, Humanité : application à l’évaluation des forêts et la qualité de la gestion. WWF, 84 p. la biodiversité comme enjeu stratégique pour l’entreprise l’indicateur d’interdépendance de l’entreprise à la biodiversité Joël Houdet*, Béatrice Bellini**, Marc Barra*** *Orée/Synergiz **Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines ***Natureparif (Université d’Orsay à l’époque où l’article a été rédigé) Introduction l’évolution actuelle de la planète est en grande partie la conséquence des activités humaines, dans lesquelles les entreprises tiennent une place majeure. or, comme la durabilité de ces activités repose essentiellement sur le maintien de la biosphère, ces entreprises souhaitent comprendre leur place au sein de celle-ci, afin de pouvoir l’assumer. dans ce contexte, le groupe de travail1 orée - Institut français de la biodiversité (IFB)2 et le Master « Sciences et Génie de l’environnement » de l’université de Paris diderot3 ont développé l’Indicateur d’Interdépendance de l’Entreprise à la Biodiversité (IIeB). outil d’auto-évaluation, l’IIeB invite les entreprises à mettre en exergue les interactions directes et indirectes qu’elles entretiennent avec le monde vivant. Cette démarche avait pour objectif de permettre aux entreprises (i) de s’approprier le concept de biodiversité, (ii) de se situer par rapport à certains critères choisis comme les plus révélateurs et (iii) de poser les premières bases pour la mise en place d’actions stratégiques. le présent article vise à présenter l’IIeB, ses composantes et perspectives. I. L’IIEB, un outil de formalisation des perceptions Selon levrel (2006), les indicateurs offrent un moyen détourné pour « approximer » un phénomène qu’il est trop coûteux de mesurer directement : leur propriété essentielle par rapport aux autres instruments de mesure est « de disjoindre le signifiant (la mesure) et le signifié (l’objet à mesurer), en les reliant par des termes de correspondance variés » (desrosières, 2003). Un indicateur peut être à paramètre unique ou regrouper plusieurs critères. Si l’IIeB appartient à la seconde catégorie, il ne permet néanmoins pas d’appréhender la diversité du monde vivant dans toute sa complexité. le champ d’application de l’indicateur peut concerner le produit semi-fini ou fini, le service, l’activité ou l’ensemble des activités de l’entreprise. Suivant les situations, des adaptations aux spécificités de l’objet d’étude peuvent s’avérer nécessaires. Suite à une revue bibliographique (alloin et al., 2006), des entretiens avec des experts et des entreprises, vingt-trois critères ont été retenus dans le cadre de l’élaboration d’une grille d’évaluation (tableau 1). Groupe de travail initié fin 2005 sur la thématique « comment intégrer la biodiversité dans les stratégies des entreprises ». L’IFB a fusionné, en 2008, avec le Bureau des ressources génétiques (BRG), pour donner naissance à la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) : www.fondationbiodiversite.fr 3 Dans le cadre d’un projet pédagogique de l’option MECE (Management de l’Environnement dans les Collectivités et les Entreprises), encadré par Béatrice Bellini. 1 2 115 l’IIeB vise à être simple et facile à appréhender par l’entreprise. durant l’entretien, l’interlocuteur fixe lui-même une note pour chaque critère, celle-ci pouvant varier de 1 (critère ne concernant pas l’entreprise) à 4 (critère très important pour l’organisation). Ses choix sont conditionnés par son poste4 au sein de la firme, ses valeurs ou encore les conventions intra-organisationnelles auxquelles il adhère. en conséquence, l’objectif n’est pas d’obtenir une représentation exacte de la réalité mais bien l’image que l’interlocuteur s’en fait. en justifiant par écrit ses choix, il formalise sa réflexion sur les liens directs et indirects que son entreprise noue avec la diversité du vivant. II. Représentation graphique des auto-évaluations Une trentaine d’entretiens auprès d’entreprises ont été réalisés depuis 2007. Pour chaque entretien, un pentagramme des résultats est élaboré. Il représente l’image que l’interlocuteur se fait de l’interdépendance de son entreprise à la biodiversité (figure 1). Certaines entreprises ont accepté de publier la synthèse de leur entretien comme « retours d’expériences » (Houdet, 2008) : l’IIeB devient alors un indicateur pour communiquer avec les parties prenantes. l’analyse a porté essentiellement sur l’activité globale, en fonction des connaissances de l’interlocu- Secteur du bois extraction de minerais Critères liés aux stratégies de l’organisation Critères liés à la compensation des impacts Critères en lien direct avec le monde vivant 4 3,5 3 2,5 2 1,5 1 0,5 0 Critères liés aux marchés actuels Critères liés aux impacts sur la biodiversité Figure 1 : pentagrammes d’auto-évaluation à partir de l’IIEB pour deux entreprises hypothétiques appartenant à différents secteurs d’activité, l’industrie du bois et celle de l’extraction de minerais. La note sur chaque axe représente la moyenne des critères pour le groupe de critères correspondant. Plus celle-ci est élevée, plus le groupe de critère est important pour l’entreprise. Le discours d’un comptable ou d’un contrôleur de gestion diffère de celui d’un ingénieur ou d’une personne chargée de la communication au sein d’une même organisation. 4 116 teur en termes de dépendances et impacts : • directs, associés à l’activité quotidienne de l’entreprise (contrôle direct) ; • indirects, ce qui englobe la relation avec les fournisseurs ainsi que les interactions entre biodiversité et produit en fin de vie (analyse de cycle de vie). III. Présentation des critères de l’IIEB Catégories Vise l’évaluation … Critères C1.1.a Pourcentage de matières premières issues du monde vivant … de la dépendance C1.1 C1.1.b Pourcentage de matières premières aux matières premières issues du monde vivant du passé Critères en lien Utilisation de services écologiques … de la dépendance C1.2 (dont biotechnologies) direct avec le aux services et technomonde vivant logies du monde vivant C1.3 Biomimétisme … de la dépendance à C1.4 variabilité des écosystèmes la variabilité, santé et C1.5 Santé des écosystèmes complexité des écosysC1.6 Complexité des écosystèmes tèmes Coût des matières premières issues de la C2.1 biodiversité par rapport au coût total de fabrication Critères liés … de la dépendance C2.2 Positionnement marketing (niveau de gamme) aux marchés du chiffre d’affaires volume commercial des produits et services issus actuels à la biodiversité C2.3 de la biodiversité par rapport au total des produits et services vendus C3.1 réversibilité des impacts Critères liés aux … des impacts C3.2 Modification des paysages impacts sur la de l’activité sur C3.3 Génération de pollutions, déchets, émissions biodiversité le monde vivant C3.4 Pressions sélectives et disparitions d’espèces C3.5 Fragmentation des milieux Compensation liée aux impacts de l’activité dans C4.1 le cadre de la réglementation Critères liés à … de la restitution à Compensation liée aux impacts de l’activité hors la compensaC4.2 la biodiversité réglementation tion des impacts Compensation monétaire non liée directement C4.3 aux impacts de l’activité Importance de la biodiversité pour C5.1 la pérennisation des activités Critères liés C5.2 Pression sociale … du positionnement aux stratégies de stratégique de C5.3 Gain en termes de compétitivité l’organisation l’entreprise C5.4 effets de communication externe C5.5 Génération de nouveaux marchés C5.6 Impacts sur la culture de l’entreprise Tableau 1 : critères retenus pour la grille d’auto-évaluation de l’IIEB. Une note de 1 à 4 est attribuée à chaque critère (ordre croissant d’importance du critère pour l’entreprise). 117 n Critères en lien direct avec le monde vivant La dépendance aux matières premières issues du monde vivant le premier critère concerne la part de matières premières issue de la biodiversité « actuelle » (critère 1.1.a) pour le produit fini ou l’activité, c’est-à-dire l’ensemble des organismes vivants, leurs composantes, produits et modélisations utiles aux entreprises. dans l’industrie du bois, les matières premières issues du vivant sont au cœur du processus de production. Pour d’autres, elles peuvent concerner les services de support de l’activité, comme l’achat de mobiliers ou la restauration des salariés. la dépendance aux matières premières issues de la biodiversité s’inscrit également dans le passé (critère 1.1.b), à l’image des ressources fossiles (pétrole, gypse) ou toute matière résultant de la décomposition ou de l’activité d’organismes vivants sur des échelles de temps d’ordre géologique. Cette dépendance peut concerner le cœur du processus de production, au niveau des composants des produits ou de leur conditionnement, à l’image des colles et de la consommation d’énergie (gaz, pétrole, etc.) pour l’industrie du bois. les activités de support peuvent elles aussi être concernées, via notamment le carburant nécessaire au transport des marchandises et du personnel. le vivant comme matière première est au cœur de l’activité de nombreuses entreprises. renseigner ces deux critères invite l’interlocuteur à la réflexion sur la politique d’approvisionnement de son entreprise (linton et al., 2007), vers une prise en compte des interactions entre biodiversité et autres enjeux socio-écologiques (changement climatique, eau, déchets, santé). Cela pourrait conduire l’entreprise à se questionner sur les analyses de cycle de vie ayant pour principal indicateur d’arbitrage la tonne équivalent Co2 (controverse sur les « biocarburants » ; SCNaT, 2008). Il s’agit de s’intéresser aux activités des fournisseurs et à la gestion des espaces dont sont tirées ces matières premières, vers la mise en exergue des tensions sous-jacentes aux choix et modèles de développement. 118 La dépendance aux services et technologies du monde vivant les services écologiques (critère 1.2) sont les bénéfices que les populations humaines tirent gratuitement du fonctionnement des écosystèmes. les transactions économiques ne concernent, en effet, que les frais de transport, la main d’œuvre, les investissements (machines), les droits d’accès et d’usage mais non la ressource en elle-même ni les processus écosystémiques qui la génèrent. l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Millennium Ecosystem Assessment, 2005) regroupe ces services en quatre catégories : services de prélèvement, services de régulation, services de support et services culturels. les services de prélèvement sont aisément identifiables par les entreprises interrogées : ils renvoient aux matières premières issues du monde vivant (critères 1.1.a et b) et sont donc facilement assimilables à l’activité. en revanche, les liens de dépendance aux services de support (recyclage des nutriments, production primaire, cycle de l’eau, production d’o2) et de régulation (protection contre l’érosion, régulation du climat, épuration de l’eau) devraient être moins évidents, car ils sont soit méconnus, soit relèvent de la responsabilité des fournisseurs (lien indirect). Cela peut poser des difficultés pour les interlocuteurs. en sylviculture, les services culturels, de soutien et de régulation pourraient s’avérer particulièrement importants pour l’innovation technologique, organisationnelle et institutionnelle associée aux espaces forestiers. Ils conditionnent leur évolution et les activités qui en bénéficient directement (tourisme, exploitation du bois, chasse) et indirectement (vente de meubles, construction). Ce critère soulève nombre de questions, parmi lesquelles celle des modes de coordination des agents économiques à mettre en place pour que l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement les prenne en compte. enfin, imiter ou s’inspirer de la nature, de ses modèles et du fonctionnement des écosystèmes pour résoudre des problèmes humains renvoie au concept de biomimétisme (critère 1.3). Cela concerne directement les propriétaires et gestionnaires forestiers, notamment au niveau des plans de gestion des fo- rêts et de la sylviculture. Il s’agit en outre de comprendre la perception de l’interlocuteur vis-à-vis de l’origine conceptuelle des activités quotidiennes de l’entreprise, notamment en termes de recherche et développement (produits cosmétiques et pharmaceutiques) et de conception des outils de production (agencement de la chaîne de production, architecture). La dépendance à la variabilité, santé et complexité des écosystèmes la variabilité des écosystèmes (critère 1.4), en particulier les aléas climatiques non maîtrisables et la complexité des écosystèmes (critère 1.6) sont souvent perçues comme des contraintes dans les processus de production. en sylviculture, on peut citer la pluviométrie, les dégâts des tempêtes et les changements globaux qui conditionnent l’évolution des couverts forestiers et celle de leurs composantes biologiques. Chercher à les comprendre est capital pour l’entreprise : elle pourra avoir une influence sur ces critères en fonction des avancées scientifiques. l’approche industrielle orthodoxe vise à s’affranchir de la variabilité et de la complexité des écosystèmes. en agriculture en particulier, on a décomposé des processus de production complexes en séquences simples dont on a cherché à optimiser le rendement via des facteurs de production fournis par l’industrie (larrère, 2006). Minimiser la complexité du fonctionnement réel est possible mais cela peut générer des externalités négatives (cultures horssol en andalousie) ; parfois aux conséquences écologiques irréversibles. or, favoriser la complexité et la variabilité des écosystèmes peut s’avérer avantageux pour l’entreprise. on commence à les prendre en compte au cœur des règles sylvicoles : mélange des essences, équilibre des classes d’âge, arbres sénescents. Les futaies irrégulières permettraient de faire face aux risques climatiques (exemple : la tempête de 1999) et aux invasions biologiques auxquels les futaies régulières monospécifiques sont particulièrement vulnérables. 5 Quant à la santé des écosystèmes (critère 1.5), il s’agit de formaliser la perception de l’importance d’un « bon état » écologique des milieux pour la pérennité des activités de l’entreprise. Celles avec de fortes emprises foncières ou avec des implantations au cœur de milieux naturels remarquables, comme nombre d’exploitations minières, devraient se sentir particulièrement concernées par ce critère. Il s’agit de minimiser les surcoûts (dépollution, restauration des milieux) pouvant se répercuter sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. n la dépendance des marchés actuels au monde vivant Ce groupe de critères vise à permettre aux entreprises de faire le lien entre biodiversité et comptabilité financière. C’est une manière complémentaire, c’est-à-dire monétaire, de représenter la dépendance de l’entreprise à la biodiversité, sans pour autant lui attribuer un prix via des méthodes contestables, comme l’évaluation contingente pour laquelle il est impossible de répliquer les protocoles ou de comparer les résultats, ni dans le temps, ni dans l’espace (Bonnieux, 1998 ; Weber, 2002). deux des trois critères permettent l’évaluation des éléments de biodiversité achetés et vendus par l’entreprise. Il s’agit de comparer le coût des matières premières issues de la biodiversité par rapport au coût total de fabrication (critère 2.1), c’est-à-dire par rapports aux autres charges de l’entreprise (salaires, électricité, taxes), et le volume commercial des produits et services associés à la biodiversité par rapport au total des produits et services vendus (critère 2.3). en outre, on s’intéresse au positionnement marketing (niveau de gamme) (critère 2.2) des produits et services. Celui-ci peut être associé à des éléments de biodiversité rares, nobles ou exotiques, ou encore à une gestion « éco-responsable » des milieux, à l’image de concessions forestières certifiées PeFC ou FSC. Cela justifie un niveau « haut de gamme », donc une marge5 plus importante. Différence entre le prix de vente et le coût de revient d’un produit ou service. 119 n les impacts de l’activité sur le monde vivant Poser la question des impacts sur la biodiversité ne relève pas uniquement de la responsabilité de l’entreprise interrogée. Celle-ci s’intéresse-t-elle aux activités de ses fournisseurs, filiales et clients ? les implications réglementaires et financières associées à ce critère doivent être soulignées, comme l’illustre la transposition en droit français de la directive européenne sur la responsabilité environnementale (Huglo, 2007). la responsabilité environnementale des maisons mères par rapport aux impacts de leurs filiales soulève également de nombreuses questions pour les grands groupes, tous secteurs confondus. les critères suivants visent à mettre en exergue le périmètre d’action et de responsabilité que l’entreprise accepte d’assumer d’un point de vue conceptuel. Cinq critères ont ainsi été retenus : • le critère de la modification des paysages (critère 3.2) est-il important pour l’interviewé ? Il s’agit de considérer la valeur psychologique positive ou péjorative d’atteinte aux milieux : si la vigne est considérée comme « naturelle », les carrières ne le sont pas, alors que dans les deux cas, il y a modifications de paysage ; • qu’en est-il de la réversibilité des impacts (critère 3.1), qui peut notamment se mesurer par le temps nécessaire à un site dégradé pour retourner à son état écologique initial sans intervention humaine ? Cela pourrait inciter l’entreprise à se questionner sur ses choix de développement à long terme, en particulier au sein d’écosystèmes fortement modifiés par les humains depuis des centaines d’années (forêts et campagnes européennes) ; • de même, quelle importance est attachée à la maîtrise des effluents, émissions et déchets (critère 3.3) ? Comment l’entreprise formalise-t-elle leurs liens avec les enjeux de biodiversité ? • certaines activités exercent des pressions sélectives (critère 3.4) sur les milieux et les espèces, qu’elles soient « positives » (par exemple les coupes 6 120 une filiale de la Caisse des Dépôts lancée en février 2008 d’éclaircie) ou négatives (surexploitation des ressources, introduction d’espèces envahissantes). Ce quatrième critère a pour principal intérêt de renvoyer à la nature du processus de production en lien direct avec le vivant : comment l’entreprise perçoitelle la nature de son activité ? Y a-t-il uniformisation ou enrichissement de la biodiversité ? l’activité conduit-elle ou non à l’exclusion compétitive des organismes « inutiles » ou « nuisibles » sur les espaces exploités ? • enfin, avec le critère de fragmentation des milieux (critère 3.5), on s’intéresse à la création de discontinuités écologiques, pouvant être soit négatives (défrichements, voiries, monocultures), soit positives pour la biodiversité (polyculture, agroforesterie). n la restitution à la biodiversité l’objectif est d’évaluer le niveau de restitution à la biodiversité réalisé par l’entreprise par rapport à ses impacts directs et indirects sur le monde vivant. Cela peut se matérialiser par la restauration ou l’enrichissement des milieux dans lesquels la firme opère, dont elle dépend ou dont elle tire des services écologiques. l’importance de la compensation réglementaire (critère 4.1) est conditionnée par plusieurs variables, dont la nature des dommages causés par l’activité, le cadre législatif en vigueur (et son application) selon le pays dans lequel l’entreprise opère ou encore l’existence de mécanismes de coordination entre agents pour encadrer les mesures compensatoires. C’est pourquoi la distinction entre compensation réglementaire et compensation volontaire (critère 4.2) peut s’avérer difficile. Pour certaines entreprises, la seconde fait partie intégrante de sa stratégie, illustrant une nouvelle façon d’opérer ; en complément de compensations monétaires non liées directement aux impacts de l’activité (mécénat ; critère 4.3). en France, CdC biodiversité6 travaille à la mise en place d’un mécanisme de compensation cohérent à l’échelle nationale (cf. Quenouille et al., page 141). on peut noter en outre l’expertise en ingénierie écologique développée par certaines entreprises depuis plusieurs années (Houdet, 2008). n le positionnement stratégique de l’organisation pement à l’approvisionnement ou encore de la communication externe à la formation du personnel. d’un point de vue stratégique, la biodiversité estelle un facteur clé pour la pérennisation des activités (critère 5.1) ? elle peut être critique pour le droit d’opérer, particulièrement pour les organisations avec de fortes emprises foncières ou situées à proximité de zones d’intérêt écologique, comme dans le cas de la sylviculture. Il s’agit alors de formaliser le positionnement stratégique de l’organisation et d’identifier les leviers d’action, en termes de gestion des pressions sociales (critère 5.2), de gains de compétitivité (critère 5.3), d’effets de la communication externe (critère 5.4), de création de nouveaux marchés (critère 5.5) et de communication interne pour enrichir la culture d’entreprise (critère 5.6). Cette analyse permet de juger des opportunités commerciales à faire de la biodiversité en standard de gestion et production de biens et de services (Houdet, 2008) tout en identifiant les leviers d’une rentabilité à court, moyen et long terme ? le besoin d’un référentiel reconnu permettant la réalisation d’un état initial par rapport à la biodiversité est très largement exprimé par le secteur privé. en ce sens, l’IIeB répond à une réelle attente de l’entreprise au regard de son positionnement, en complément des éco-certifications pouvant présenter d’importantes limites en matière de biodiversité, à l’image du label « agriculture biologique » (le roux et al., 2008). Il propose une approche originale pour éclairer les enjeux de biodiversité, en incitant l’interlocuteur à formaliser ses perceptions. la nature stratégique de certains critères dans les débats actuels illustre le fait que nous sommes encore dans une phase de problématisation (levrel, 2007). la branche d’activité, comme vecteur d’analyse, permettrait de comparer la diversité des représentations entre organisations. Cela renvoie à l’étude des interactions interentreprises par rapport à la biodiversité : filières agro-alimentaires, filières cosmétiques-parfums, industrie financière et l’ensemble des acteurs économiques. Comment faire converger la diversité des positionnements, dont celles des parties prenantes, afin de favoriser la cogestion adaptative de la biodiversité ? dans une perspective de coévolution entre entreprises et écosystèmes (Porter, 2006), il s’agirait alors de s’intéresser aux outils à mobiliser et à construire afin d’intégrer la biodiversité au cœur des stratégies des réseaux de firmes (Houdet, 2008). IV. La biodiversité comme enjeu stratégique pour l’entreprise : perspectives pour l’IIEB au-delà d’une auto-analyse multicritère, l’IIeB offre l’opportunité de créer des passerelles entre le monde scientifique et celui de l’entreprise, en facilitant l’émergence d’un langage commun à propos de la biodiversité. l’indicateur offre la possibilité aux interviewés de s’apercevoir que les interactions entreprises – biodiversité : • se font explicitement ou implicitement à de multiples échelles, du site industriel aux territoires adjacents, du local à l’international, des unités de production au siège ou encore des fournisseurs et filiales à la maison mère ; dans l’immédiat, l’usage de l’IIeB pourrait devenir un exercice fédérateur annuel au sein de l’entreprise : l’évolution de son renseignement par le personnel pourrait contribuer activement à l’apprentissage collectif. de manière concomitante, il permettrait aux entreprises (i) de se positionner par rapport à un état initial, (ii) d’identifier les axes prioritaires pour l’action et (iii) de développer des indicateurs de performance adaptés à leurs spécificités pour l’intégration de la biodiversité au cœur de leurs systèmes de management. n • concernent de nombreuses fonctions et compétences au sein de l’organisation, de l’innovation à la maîtrise des coûts de production, de la comptabilité à la fiscalité, de la gestion des parties prenantes aux stratégies commerciales, de la recherche et dévelop121 références bibliographiques alloin J.P., Biasini B., lecomte a. et Pilon M., 2006. Rapport bibliographique sur l’intégration de la biodiversité dans la stratégie des entreprises. desrosières a., 2003. les qualités des quantités. Courrier des statistiques, p.105-106 et 51-63. Houdet J., 2008. Intégrer la Biodiversité dans les stratégies des entreprises. Le Bilan Biodiversité des organisations. Paris : FrB – orée, 393 p. Huglo C., 2007. la réparation des dommages écologiques. entre discussions de principe, transposition incomplète du droit communautaire et apport constant de la jurisprudence. Gazette du Palais, vol. 127(355 et 356), p.5-14. larrère r., 2006. l’écologie industrielle : nouveau paradigme ou slogan à la mode ? Les ateliers de l’éthique, vol.1(2), p.104-112. le roux a., Barbault r., Baudry J., Burel F., doussan I., Garnier e., Herzog F., lavorel S., lifran r., rogerestrade J., Sarthou J.-P. et Trommetter M., 2008. Agriculture et biodiversité. Valoriser les synergies. Expertise collective scientifique, synthèse du rapport, INRA (France), http://www.inra.fr/l_institut/ expertise/agriculture_et_biodiversite__1, 10 août 2008. levrel H., 2007. Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ? Paris : les cahiers de l’IFB, 96 p. levrel H., 2006. Biodiversité et développement durable : quels indicateurs ? Thèse pour l’obtention de titre de docteur de l’eHeSS, Paris. linton J.d., Klassen r. and Jayaraman v., 2007. Sustainable supply chains: an introduction. Journal of Operations Management, vol. 25, p.1075-1082. Millennium ecosystem assessment, 2005. Ecosystems and Human Well-being: Opportunities and Challenges for Business and Industry. Washington dC: World resources Institute, 36 p. Porter T.B., 2006. Coevolution as a research fra122 mework for organizations and the natural environment. Organization & Environment, vol. 19, p.479504. Quenouille B., rondet M. et Thiévent P., 2007. Quand mutualiser les moyens financiers rime avec synergie d’actions de terrain. Business 2010, vol. 2(2), p.12-13. SCNaT, 2008. Biodiversité et climat : conflits et synergies au niveau des mesures. Prise de position de l’académie suisse des sciences naturelles, http:// www.scnat.ch/f/aktuell/News/index.php?id=1263, 10 mai 2008. Weber J., 2002. L’évaluation contingente : les valeurs ont-elle un prix ? Communication à l’académie d’agriculture, décembre 2002. Quelques caractéristiques de la forêt privée sous l’angle de la biodiversité1 Pierre Beaudesson* *Centre national de la propriété forestière (CNPF) Introduction Si les données sur la biodiversité des forêts françaises sont déjà peu explicites (Gosselin et laroussinie, 2004 ; MaaPraT-IFN, 2005 et 2011), celles spécifiques à la forêt privée sont encore plus mal connues du fait de leur difficulté d’accès. Pourtant, ces forêts représentent les trois quarts de la surface forestière française (11,1 millions d’hectares). outre leur importance dans les espaces bénéficiant d’un statut de protection ou d’un label (la moitié des forêts incluses dans un site Natura 2000 sont privées), montrant par là leur intérêt biologique au niveau national, l’analyse succincte de quelques caractéristiques propres à ce statut foncier permet de souligner la place importante des forêts privées dans le paysage national en termes de biodiversité. Six critères, pouvant être considérés comme des indicateurs de biodiversité, sont ici mis en exergue. n Critère 1 : extension des forêts françaises en terrain privé par colonisation de milieux ouverts Si l’extension des forêts en France est connue de tous, au détriment des paysages ouverts ou des espèces inféodées aux pelouses, landes ou friches, on mentionne moins souvent les terrains sur lesquels elle a lieu. 1 2 les résultats de l’Inventaire forestier national (IFN) montrent une progression importante des forêts depuis de nombreuses années, bien que moins forte actuellement. la surface forestière s’est accrue de 1,7 million d’hectares au cours des vingt-sept dernières années, dont 1,4 million d’hectares en forêt privée (ce qui représente plus de 170 terrains de football par jour). Cet accroissement se fait sur tous les types de propriétés, mais davantage sur des terrains privés. les nouvelles forêts sont peu issues de plantations : celles-ci ne représentent en effet que 13 % de l’extension des forêts (période 1992-2002) feuillues et résineuses confondues (source : IFN). la majorité des extensions se fait par la colonisation spontanée de milieux ouverts (landes, maquis, garrigues, terres agricoles, etc.). Ces nouvelles forêts sont d’une diversité étonnante car elles juxtaposent en grande partie la richesse des milieux ouverts et fermés. elles font par ailleurs l’objet de peu d’intrants chimiques, contrairement aux surfaces agricoles auxquelles elles ont la plupart du temps succédés, soit directement, soit après enfrichement2. Situées essentiellement sur des terrains privés, ces nouvelles forêts apportent ainsi une diversité importante aux forêts plus âgées. n Critère 2 : une forêt privée morcelée induisant une diversité de sylviculteurs Bien que la surface moyenne des propriétés de plus d’un hectare soit en augmentation (elle est passée Cet article se fonde en grande partie sur les chiffres clé de la forêt privée, éditions 2008-2009 (cf. références bibliographiques). Colonisation naturelle de sols nus ou enherbés par la végétation ligneuse. 123 de 6,8 à 8,8 hectares en vingt ans), la forêt privée française reste encore très morcelée : en effet, la surface moyenne des propriétés privées est de trois hectares, souvent en plusieurs tènements, multipliant ainsi les unités de gestion. Ce morcellement ne facilite ni la gestion sylvicole, ni la mobilisation des bois à exploiter. Cependant, grâce à la multitude de propriétaires (3,5 millions dont 2,4 millions possédant moins de un hectare), nous pouvons presqu’affirmer qu’il y a autant de pratiques différentes. de fait, les objectifs des propriétaires sont variés, allant d’une production intensive de bois à l’absence de toute intervention. les pratiques diffèrent énormément selon le lien qu’entretient le propriétaire à la nature, selon qu’il fait appel ou non à un homme de l’art, selon sa culture technique, etc. Même lorsqu’elles sont précises et appliquées dans des conditions similaires (climat, milieu, matériel génétique), comme par exemple en populiculture, on observe des différences, au moins visuelles, entre propriétés. les dates d’intervention, les machines utilisées, les cultures pratiquées sont autant de critères induisant une diversité. la diversité des sylviculteurs est un gage de diversité biologique déjà à l’échelle du paysage. Malheureusement, le morcellement n’apporte pas que des bienfaits pour la biodiversité. Par exemple, les modes d’exploitation et de transport induisent une sylviculture adaptée aux machines et au volume des grumiers. Un propriétaire qui veut vendre son bois à un prix compétitif doit au moins réunir un volume assez conséquent. Ceci peut être préjudiciable et visible sur des petites propriétés (coupe rase ou décapitalisation massive en cas de vente de bois, etc.). de même, des interventions trop irrégulières ou trop éloignées dans le temps ne permettent pas aux propriétaires d’exiger de leurs prestataires (exploitants, débardeurs, etc.) des cahiers des charges complexes avec des clauses relatives à la biodiversité. enfin, la faible taille de la propriété ne pousse pas le propriétaire à se former sur des thèmes liés à l’environnement. leur méconnaissance pourrait provoquer des impacts négatifs sur l’environnement. 124 n Critère 3 : une forêt privée plus feuillue que la moyenne nationale la surface de feuillus est plus importante en France que celle des résineux (69 % environ). Cette proportion est encore plus forte en forêt privée (71 %), même en comptant le massif landais essentiellement privé et résineux. Sans chercher à opposer les feuillus aux résineux en matière de biodiversité, la proportion importante de feuillus en majorité autochtones et bien adaptés aux stations forestières françaises est un gage de biodiversité entomologique, ornithologique, etc. Bien évidemment, les résineux qui se rencontrent naturellement en France (piémont, zone de montagne, région méditerranéenne, etc.) sont le support d’une biodiversité spécifique. d’ailleurs, en plaine, leur présence, souvent sur des sols ingrats ou sur d’anciennes terres agricoles, apporte de la diversité paysagère aux massifs forestiers. n Critère 4 : une forêt privée sousexploitée en phase de capitalisation loin d’être surexploitée, la forêt française souffre de sous-exploitation. le taux de récolte en forêt, bois de feu compris, par rapport à ce qui pousse chaque année, n’atteint pas 60 %, il y a donc une capitalisation. les forêts privées comme publiques connaissent une progression importante de leur volume de bois sur pied (+ 560 millions de m3 entre 1985 et 200506 au niveau national). Cette capitalisation se fait principalement en forêt privée (seulement 60 % du volume des récoltes se font en forêt privée, alors qu’elles représentent 75 % de la surface forestière totale). l’augmentation du volume sur pied y est de 39 % contre 13 % en forêt publique (source : IFN). on observe cependant de grandes disparités suivant les propriétés. Cette capitalisation peut également être corrélée à l’extension de la surface des forêts qui se fait essentiellement en terrain privé ou à la classe d’âge des peuplements. Peu à peu, les gros et très gros bois sont de plus en plus nombreux et ceci malgré les tempêtes successives. le retard des forêts privées, en volume de bois sur pied, par rapport aux forêts publiques s’estompe. Cette présence de gros bois âgés entraîne potentiellement plus d’arbres sénescents et morts, supports d’une grande diversité. n Critère 5 : des parcelles en forêt privée inexploitées ou inexploitables, réserves intégrales de fait Situées dans des zones à relief très prononcé, inaccessibles, enclavées, terrains impraticables ou impropres à la production, une multitude de parcelles forestières en forêt privée sont laissées à leur libre évolution. elles peuvent être aussi le résultat d’une déshérence ou d’une volonté de ne pas exploiter. Il peut s’agir aussi de parcelles dont les rôles protecteur, esthétique, récréatif ou culturel, interdisent que des coupes à objectif de production soient réalisées. Ces surfaces, sans avoir la garantie de non gestion, tendent vers une grande naturalité. elles peuvent être considérées comme des « réserves intégrales potentielles ». Près de 600 000 hectares de forêts privées ont leur fonction de production nulle ou très accessoire (source : IFN). la proportion de ce type de forêt est légèrement plus élevée en terrains privés qu’en terrains publics. Une initiative se développe actuellement en région rhône-alpes pour obtenir l’engagement des propriétaires à ne pas exploiter leurs espaces forestiers de plus d’un hectare durant au moins dix ans. elle permet de garantir une non gestion sur des espaces déjà peu accessibles mais trouve cependant peu de volontaires en l’absence d’une contrepartie attractive et suffisante. français (48 % contre 36 %). Ce sont les premiers résultats que révèle une enquête menée fin 2009 par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), à la demande de la Fédération Forestiers privés de France (FPF) et du CNPF. après l’autoconsommation, ce sont les dimensions immatérielles de la propriété forestière qui représentent les principaux bénéfices mis en avant par les propriétaires privés, bien avant l’intérêt financier : le bois pour l’usage personnel (35 %), l’espace de promenade et de loisir (17 %), le patrimoine à transmettre (17 %), le cadre paysager (12 %), l’espace de nature (10 %), les champignons (8 %), la chasse (7 %), la vente de bois (5 %), le produit financier (4 %). au delà de la valorisation des produits bois, l’intérêt des propriétaires forestiers pour la valorisation des services écologiques et sociaux rendus par la forêt est donc bien marqué. d’ailleurs le nombre de propriétaires s’inscrivant à des réunions de vulgarisation ayant l’environnement comme thème principal augmente. en 2011, plus de deux mille personnes ont participé à des réunions de ce type, organisées par les Centres régionaux de la propriété forestière (CrPF). Conclusion bles aux questions environnementales l’analyse rapide de quelques critères définissant la forêt privée fait ressortir un impact positif sur la biodiversité. Même s’il ne s’agit pas toujours d’une volonté du propriétaire de prendre en compte tous les aspects de la biodiversité, le résultat est là. d’ailleurs, leur sensibilité à la biodiversité est réelle et ancienne. Si la biodiversité des forêts françaises est encore si riche, c’est qu’elle est issue d’une gestion durable et multifonctionnelle pratiquée depuis de longues générations de propriétaires forestiers respectueux de ce patrimoine naturel. des efforts sont cependant possibles et des réflexions nécessaires pour maintenir cette forêt dans un bon état écologique, voire l’améliorer tout en l’exploitant plus. les propriétaires forestiers sont très attachés à leurs bois en tant qu’élément constitutif de leur patrimoine, plutôt qu’un moyen de production et de revenus. les propriétaires sont surtout plus sensibles aux questions environnementales que la moyenne des Face aux exigences de la société en faveur des espaces et paysages, nécessitant plus de recommandations et de réglementations pour préserver ce patrimoine naturel considéré comme collectif et face aux contraintes économiques et techniques évoluant n Critère 6 : des propriétaires sensi- 125 très rapidement, les propriétaires se trouvent acculés à des choix de gestion difficiles. Sans rétribution des services environnementaux, pourtant demandée par la société, ce constat global positif de la diversité des forêts privées tiendra-t-il longtemps ? n références bibliographiques Colin a., 2006. Suivi de la ressource en gros bois et très gros bois au fil du temps. Paris : IFN, 110 p. Crédoc, 2010. Les propriétaires forestiers sont attachés à leur patrimoine mais peu motivés par son exploitation commerciale. Crédoc - Consommation et Modes de vie, n° 228, 4 p. Forêt privée française, 2008. Les chiffres clés de la forêt privée - édition 2008-2009. Forêt privée française, 24 p. Gosselin M. et laroussinie o. (coord.), 2004. Biodiversité et Gestion Forestières. Connaître pour préserver. Synthèse bibliographique. anthony : co-édition Gip ecofor-Cemagref, 320 p. MaaPraT-IFN, 2011. Les indicateurs de gestion durable de forêts françaises métropolitaines, édition 2010. Paris : MaaPraT-IFN., 200 p. MaP-IFN, 2006. Les indicateurs de gestion durable de forêts françaises, édition 2005. Paris : MaP-IFN, 148 p. 126 évaluer l’empreinte écologique des sociétés humaines sur les forêts Daniel Vallauri* *World Wildlife Fund (WWF) Introduction n Bienvenue dans l’anthropocène l’empreinte écologique des cultures humaines – générales ou techniques – est l’un des quatre gradients à évaluer pour mieux comprendre et répondre aux questionnements actuels en matière environnementale. les trois autres gradients à évaluer conjointement sont la biodiversité, la naturalité et le sentiment de nature (vallauri, 2007). les deux derniers gradients sont émergents et il reste beaucoup à faire pour bâtir des évaluations multicritères fiables et surtout partagées. les deux premiers (empreinte ou impact sur les forêts et la biodiversité) sont des préoccupations déjà plus anciennes, mais leur évaluation fait encore débat. Cet article traite essentiellement de l’empreinte écologique des sociétés humaines sur les forêts. en europe, en moins de 2 000 générations, Homo sapiens a eu une empreinte telle sur la Nature que certains auteurs n’hésitent pas à rebaptiser la période géologique actuelle du nom d’anthropocène (Crutzen, 2002). Si l’homme n’a pas créé d’espèces, il a fortement contribué à réorganiser la biodiversité, notamment en forêt, la réduisant le plus souvent par rapport à ce qu’elle était avant l’expansion humaine. les exemples sont nombreux dans l’histoire (y compris en europe) où Homo sapiens a provoqué l’épuisement local des ressources forestières, parfois même jusqu’à conduire à l’effondrement de sa propre société (diamond, 2006). Photo 1 : travail du sol entre deux rotations dans une plantation industrielle d’Eucalyptus au Portugal. Les chênes liège, protégés par la loi, sont conservés d’une rotation à l’autre. (© Daniel Vallauri) 127 aujourd’hui, en europe, une majorité des forêts sont secondaires ou semi-naturelles. Certaines régions sont constituées prioritairement de plantations industrielles artificielles (landes ou Portugal par exemple, photo 1). Près de 90 % des forêts alluviales et 80 % des forêts euro-méditerranéennes ont été déboisées. Sont ici succinctement présentés trois outils d’évaluation fondés sur la construction d’indices synthétiques. Toutefois, près de neuf millions d’hectares de forêts sont encore considérés comme « non modifiés par l’homme » en europe, pour la plupart dans la Fédération de russie et les pays scandinaves. en Suède, 16 % des forêts sont qualifiées de naturelles contre 5 % en Finlande et moins de 1 % en europe de l’ouest (dudley, 2003). en France, on recense 30 000 hectares de forêts subnaturelles, soit 0,2 % de la surface forestière nationale (derF, 1995). aujourd’hui, l’expression « empreinte écologique » fait souvent référence à un indice développé dans les années 1990 et qui se focalise sur l’une des causes d’impact, la consommation des ressources naturelles (avec un poids important donné aux questions énergétiques). Il s’agit, à l’aide de cet indice, d’essayer de quantifier au mieux et pour une entité politique donnée, la surface de terre et d’eau nécessaire pour satisfaire les besoins de sa population. l’une des conséquences de ces transformations est une perte de biodiversité. en France, sept espèces de mammifères forestiers (soit 9 % de ceux-ci) ont disparu et plus de deux cents espèces forestières (faune et flore confondues) sont aujourd’hui menacées d’extinction ou nécessitent pour leur survie une vigilance renforcée (vallauri et Poncet, 2003). Il ne porte donc pas principalement sur les forêts, mais la forêt intervient dans le calcul à la fois comme source de matière première pour évaluer la biocapacité et comme produit de consommation (grume, bois énergie, équivalent des émissions de Co2). n Mieux évaluer l’empreinte écologique des sociétés Toutes les cultures n’ont pas un impact équivalent sur la Nature. la culture occidentale, dominante dans le monde depuis le XvIIIème siècle, présente aujourd’hui une empreinte significative et globale. Comme le rappelle Blondel (2006), quand l’Inde prit son indépendance en 1947, Gandhi faisait remarquer que les anglais avaient mobilisé la moitié des richesses de la planète pour construire leur prospérité et s’interrogeait : « combien de planètes faudrait-il pour qu’un pays comme l’Inde arrive au même résultat ? ». Nous savons maintenant répondre à cette question. divers chercheurs, écologues ou géographes, ont mis au point des méthodes pour évaluer l’influence ou l’impact des cultures humaines sur la nature. Cela a conduit à définir des concepts nouveaux comme l’hémérobie (Steinhardt et al. 1999, Hill et al. 2002) – l’antonyme de la naturalité – mais également plus récemment l’empreinte écologique. 128 1- L’empreinte écologique humaine (Wackernagel et rees, 1996 ; Wackernagel et al., 1999, 2002, 2005) Par les évaluations de cet indice, nous savons que pour satisfaire une population mondiale qui consommerait comme un français, il serait nécessaire d’exploiter entièrement les ressources naturelles de l’équivalent de trois planètes comme la Terre. la France présente une empreinte écologique presque deux fois supérieure à sa biocapacité. Pour ce qui concerne les forêts françaises, la biocapacité reste supérieure à la consommation (WWF, 2006). 2- Les indices de perturbation ou d’influences humaines (Sanderson et al., 2002) Ces indices se focalisent sur certaines conséquences ou marques de présence humaine, comme la présence d’infrastructures ou la modification drastique des paysages. Ils s’attachent à quantifier et spatialiser l’influence humaine à partir de données macro-écologiques ou macro-économiques. Sanderson et al. (2002) identifient par cette méthode les dernières régions du monde sous faible influence d’une culture contemporaine (cf. figure 2 centrée sur l’europe). Ils cartographient les grands massifs forestiers continus, sans préjuger de leur naturalité Figure 2 : l’empreinte humaine sur le territoire européen d’après l’indice d’influence humaine de Sanderson et al. (2002). L’indice est fondé sur la densité de population résidente, la densité des infrastructures et l’accessibilité des territoires ainsi que des indicateurs de développement (exemple, l’empreinte lumineuse). L’analyse mondiale et les cartes des derniers espaces sous faible influence humaine sont accessibles sur le site www.wcs.org/humanfootprint/. L’empreinte humaine en Europe Valeur de l’empreinte Faible humaine Gradient d’influence humaine Élevé réelle à une échelle fine, ni de l’empreinte humaine des cultures indigènes plus sobres et discrètes. n vers des indicateurs adaptés à l’évaluation des forêts 3- un indice de naturalité mixte et territorialisé (Machado, 2004) Parmi les indicateurs de biodiversité (levrel et al., 2007) et de développement durable, les indicateurs relatifs à l’empreinte écologique sont pour l’instant sous-utilisés car ils sont conceptuellement peu organisés. de nombreux indicateurs de pressions et d’impacts humains sur les forêts ont été évalués individuellement. Parmi d’autres exemples, il y a ceux relatifs à : Construit pour les îles Canaries pour traduire la réalité d’un territoire en un gradient discret en dix niveaux, l’indice de Machado est fondé sur la description des milieux (composants biologiques, fragmentation, dynamique) et sur des données relatives aux actions humaines (pollution, extraction de matière, etc.). l’indice est cartographié au 1/25000e. le profil de « naturalité » des différents territoires (îles) est une riche source de discussions et d’applications pour l’aménagement et la gestion de ces milieux (figure 3). Bien sûr, ces indices complexes (il en existe d’autres) ne sont en aucun cas universels et ne répondent pas à toutes les questions que l’on se pose. de même que le Produit intérieur brut (PIB), l’indice des prix, le quotient intellectuel, etc., ils présentent chacun des limites d’interprétation et de domaine d’application que discutent les auteurs eux-mêmes. • la sylviculture (Du bus de Warnaffe et Lebrun, 2004 ; Gosselin et laroussinie (coord), 2004) ; • l’exploitation forestière et les routes (Crist et al., 2000 ; de Paul et Bailly, 2005 ; lamandé et al., 2005) ; • les choix de filières de production et le cycle de vie d’un produit forestier (Kissinger et al., 2006 ; Nunery et al. 2010) ; • les usages récréatifs (Leung et Marion, 2000) ; • le bruit et le dérangement de la faune (Fidell et al., 1996 ; Krause, 2002 ; rachwald et al., 2004 ; radle, sans date) ; 129 Figure 3 : exemple de profils de naturalité de trois territoires insulaires des Canaries (Machado, 2004). Le gradient de « naturalité » sensu lato inclut des indicateurs de composition et structure du paysage et des impacts relatifs aux activités humaines. Il est discrétisé en dix niveaux dont la part est proportionnelle à la surface correspondante, des espaces les plus transformés (en rouge et à droite) aux espaces vierges d’impacts humains négatifs (en vert et à gauche). • la mise en œuvre de recherches scientifiques (landres, 2000 ; Parsons, 2000). Peu de recherches synthétiques ont été effectuées en France pour décrire et évaluer globalement l’empreinte écologique générale de l’homme (et/ou de la gestion) sur les forêts. Toutefois, les sources de données disponibles sont nombreuses, même si elles sont souvent dispersées, qu’elles portent sur la population, l’urbanisme, les transports, la pollution, les ressources forestières ou la biodiversité. dans les critères et les indicateurs de gestion durable (MaP, 1995, 2000 ; MaP-IFN, 2006 ; MaaPraT-IFN, 2011), cette problématique reste mal analysée en tant que telle, même si de nombreuses informations existent et des recoupements sont possibles. Certains indicateurs de pression relatifs à l’impact de la gestion ont même été supprimés (derF, 2000). des croisements thématiques population-forêts comme ceux entrepris par derrière et lucas (2006) et concernant les forêts sous influence urbaine sont par exemple instructifs à de multiples titres. du point de vue strictement sylvicole, l’IFN (pour la dGFar, 2006), distingue bien un gradient d’empreinte globale de la gestion forestière (appelé d’ailleurs improprement « degré de naturalité »). Mais ce gradient est trop peu détaillé (trois degrés : plantations, forêts semi-naturelles, forêts non perturbées), imprécis ou pas toujours pertinent dans la définition des degrés pour discriminer la réalité. l’analyse est souvent limitée à des observations bien connues (quasi-inexistence des forêts naturelles en France métropolitaine) ou par des difficultés d’évaluation (sous-estimation probable à 13 % de la pro- 1 130 Cf. Nivet et al., page 41. portion de plantations)1. dès lors, comment évaluer les différences d’empreintes écologiques pourtant plus qu’évidentes dans la majorité des forêts correspondant au degré intermédiaire « forêts semi-naturelles » ? Cette catégorie – Ô combien hétérogène, est-elle réellement pertinente ? elle regroupe pêlemêle les pessières non-indigènes du Massif central, les suberaies des Maures, les taillis sous futaie et les chênaies cathédrales de Tronçais ou les futaies du Jura jardinées depuis des temps immémoriaux ? Toute analyse de l’empreinte écologique d’une Culture demande une approche raisonnée, multiculturelle (culture générale, culture des forestiers, des autres usagers, etc.), multithématique (démographie, toxicologie, foresterie, urbanisme, aménagement) et multiscalaire (vallauri, 2007 ; tableau 2). elle repose sur la recherche d’un ensemble cohérent de critères et indicateurs permettant : • de décrire les facteurs de dégradation passés, les pressions actives et d’anticiper les menaces potentielles ; • de comprendre les impacts, positifs ou négatifs, directs ou indirects et toujours entremêlés mais aussi les effets de seuils (notamment les seuils d’irréversibilité) ; • de qualifier ou quantifier l’impact des activités humaines à des échelles de temps et d’espaces variés. n références bibliographiques Blondel J., 2006. Préserver la biodiversité n’est pas un luxe. Les génies de la science, n°26, p. 7. Crist M.r., Wilmer B.o., aplet G.H., 2005. assessing the value of roadless areas in a conservation reserve strategy : biodiversity and landscape connectivity in the northern rockies. Journal of applied ecology, vol. 42(1), p.181-191. meroby, urbanity and ruderality: Bioindicators of disturbance and human impact. Journal of applied ecology, vol. 39, p.708-720. Kissinger M., Fix J., rees W.e., 2006. Wood and non-wood pulp production: Comparative ecological footprinting on the Canadian prairies. Ecological economics, vol.62, p.552–558 Crutzen P.J., 2002. Geology of Mankind. Nature, vol. 415, p.23. Krause B., 2002. Wild soundscapes in the National parks. An Educational Program Guide to Listening and Recording. A guidebook of Education Programs. California: National Parks Service, 71 p. de Paul M.-a. et Bailly M., 2005. effet de la compaction des sols forestiers. Forêt Wallonne, n°76, p.48-57. lamandé M., ranger J. et lefèvre Y., 2005. Effets de l’exploitation forestière sur la qualité des sols. Les dossiers forestiers, n° 15, 131 p. derrière N. et lucas S., 2006. les forêts sous influence urbaine en zone méditerranéenne. Forêt méditerranéenne, vol. 27(4), p.323-329. landres P.B., 2000. a framework for evaluating proposals for scientific activities in wilderness. USDA Forest Service Proceedings RMRS-P-15, vol. 3, p.239-245. diamond J., 2006. Effondrement : comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie. Gallimard, 648 p. du Bus de Warnaffe G. et lebrun P., 2004. effects of forest management on carabid beetles in Belgium : implications for biodiversity conservation. Biological Conservation, vol.118, p.219-234. dudley N., 2003. l’importance de la naturalité dans les paysages forestiers, dans : vallauri d. (coord.), 2003. Livre blanc sur la protection des forêts naturelles en France. Forêts métropolitaines. Paris : Tec & doc, p.77-86. Fidell S., Silvati l., Howe r., Pearsons K.S., Tabachnick B.C., Gramann J., Buchanan T., 1996. effect of aircraft overflights on wilderness recreationists. The journal of acoustical society of America, vol.100(5), p.2909-2918. Gosselin M. et laroussinie o. (coord.), 2004. Biodiversité et gestion forestière. Synthèse bibliographique. anthony : co-édition Gip ecofor-Cemagref, 320 p. Hill M.o., roy d.B. and Thompson K., 2002. He- leung Y.F. and Marion J.l., 2000. recreation impacts and management in wilderness: a state-ofknowledge review. USDA Forest Service Proceedings RMRS-P-15, vol. 5, p.23-48. levrel H., loïs G. et Couvet d., 2007. Indicateurs de biodiversité pour les forêts françaises. etat des lieux et perspectives. Revue forestière française, n°1, p.45-56. Machado a., 2004. an index of naturalness. Journal for Nature Conservation, vol. 12, p.95-110. MaaPraT-IFN, 2011. Indicateurs de gestion forestière durable pour les forêts françaises métropolitaines – Édition 2010. Paris : Ministère de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire-Inventaire forestier national, 200 p. MaP-IFN, 2006. Les indicateurs de gestion durable des forêts françaises. Paris : dGFar, 148 p. Ministère de l’agriculture et de la pêche (MaP), 2000. les indicateurs de gestion durable des forêts françaises. Paris : derF, 129 p. 131 Ministère de l’agriculture et de la pêche (MaP), 1995. Les indicateurs de gestion durable des forêts françaises. Paris : derF, 49 p. écologique et de la biocapacité : méthodologie de calcul (traduit par aurélien Boutaud et Natacha Gondran), 33 p. Nunery J.S., Keeton W.S. 2010. Forest carbon storage in the northeastern United States: Net effects of harvesting frequency, post-harvest retention, and wood products. Forest Ecology and Management, vol. 259(8), p.1363-1375. Wackernagel M., Schulz B., deumling d., Callejas linares a., Jenkins M., Kapos v., Monfreda C., loh J., Myers N., Norgaard r., randers J., 2002. Tracking the ecological overshoot of the human economy. PNAS USA, vol. 99(14), p.9266-9271. Parsons d.J., 2000. The challenge of scientific activities in wilderness. USDA Forest Service Proceedings RMRS-P-15, vol. 3, p.252-257. WWF, 2006. Rapport Planète vivante 2006. Suisse : Gland, 44 p. rachwald a., Wodecka K., Malzahn e., Kluzinski l., 2004. Bat activity in coniferous forest areas and the impact of air pollution. Mammalia, vol.64(4), p.445-453. radle a.l., no date. The effect of noise on wildlife: a literature review. World forum for acoustic ecology website, 15 p. Sanderson e.W., Jaiteh M., levy M.a., redford K.H., Wannebo a.v., Woolmer G., 2002. The human footprint and the last of the wild. Bioscience, vol.52(10), p.891-904. Steinhardt U., Herzog F., lausch a., Müller e., lehmann S., 1999. Hemeroby index for landscape monitoring and evaluation, dans : Encyclopaedia of Life Support Systems. environmental indices - system analysis approach. oxford, p.237–245. vallauri d., 2007. Biodiversité, Naturalité, Humanité. Application à l’évaluation des forêts et de la qualité de la gestion. Marseille : WWF, 85 p. vallauri d. et Poncet l., 2002. La protection des forêts en France. Indicateurs 2002. Paris : WWF France, 100 p. (+ annexes). Wackernagel M., lewan l., Hansson C.B., 1999. evaluating the use of natural capital with the ecological footprint. Ambio, vol. 28, p.604–612. Wackernagel M., Monfreda C., Moran d., Wermer P., Goldfinger S., deumling d. et Murray M., 2005. Système national de comptabilité de l’empreinte 132 Suivi des aires protégées en afrique centrale : vers une analyse objective des liens entre biodiversité et développement Guillaume Lescuyer* *Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) Introduction Si les ressources naturelles ont depuis toujours été l’objet de l’attention humaine, c’est seulement depuis quelques années que le suivi ou monitoring constitue un volet à part entière de leur gestion. l’objectif de cet instrument est de pouvoir confronter le mode de gestion d’une ressource à sa performance réelle selon un certain nombre de Critères et Indicateurs (CetI) préalablement définis. Cette démarche s’applique à un nombre croissant de modes d’utilisation des ressources naturelles et même, depuis une dizaine d’années, à l’établissement et au fonctionnement des aires protégées, dont l’objectif est pourtant la conservation de la nature. S’inspirant des travaux pour évaluer a posteriori la gestion durable des forêts (lammerts van Bueren et Blom, 1997) et fondant leur légitimité sur un certain nombre de conventions internationales, des approches d’évaluation de l’efficacité des aires protégées ont été élaborées à partir du début des années 2000 principalement par des organisations non gouvernementales (oNG) conservationnistes anglo-saxonnes (Hockings et al., 2000). elles se sont rapidement étendues aux aires protégées des pays du Sud où les enjeux de biodiversité sont majeurs. I. Suivi de la biodiversité en Afrique centrale : une tentative de mise en ordre la première initiative d’ampleur visant à élaborer un système de suivi de la conservation de la biodiversité dans les pays du Bassin du Congo remonte à 2002 : elle a été conduite par le programme eCoFaC (eCosystèmes Forestiers d’afrique Centrale) financé par l’Union européenne, qui désirait mettre en place un système de suivi environnemental pour huit aires protégées réparties dans la sous-région. Pour différentes raisons, cet outil a longtemps été ignoré par les gestionnaires. Toutefois, surtout à la demande des bailleurs, la démarche de monitoring est devenue quasi-obligatoire et il existe aujourd’hui très peu d’aires protégées en afrique centrale qui ne soient pas dotées d’un ensemble de CetI devant révéler la performance de leur gestion. leur application effective et leur intégration dans la prise de décision restent une autre affaire… le mode dominant – en tout cas le plus visible – de conservation de la biodiversité est l’aire protégée, quelle que soit sa catégorie. dans le Bassin du Congo, de nombreux acteurs interviennent pour la promotion de cette forme de protection des ressources (devers et vande weghe, 2006). la conférence de durban en 2002 puis celle de Nagoya en 2010 n’ont fait qu’accélérer ce processus, tous les pays de la sous-région s’efforçant depuis d’atteindre le seuil des 17 % de la superficie nationale placée en aires protégées. des financements internationaux substantiels facilitent cette évolution, même s’ils s’avèrent souvent insuffisants pour compenser réellement les coûts d’opportunité liés à la création de ces parcs (lescuyer et al., 2009). Une vision globale du fonctionnement des dispositifs de conservation de la biodiversité manque aujourd’hui dans les pays du Bassin du Congo. C’est l’objectif de l’observatoire des forêts d’afri133 que centrale (oFaC), qui appuie la Commission des forêts d’afrique centrale (CoMIFaC), d’harmoniser, de synthétiser puis de diffuser par le biais d’un site internet l’information disponible sur la diversité biologique de la sous-région (http://www.observatoire-comifac.net). Grâce à la collaboration avec les administrations nationales et aux opérateurs de la conservation, l’oFaC fait le bilan des mesures prises pour le maintien de la biodiversité en afrique centrale aux niveaux local, national et sous-régional. Partant de la collecte des données à l’échelle de chaque site de conservation, le niveau national compile ces informations partielles et inclut également des informations spécifiquement nationales quant à la politique menée. Il en est de même pour l’échelle internationale qui combine données nationales agrégées et informations sur des mesures spécifiquement sousrégionales (parcs transfrontaliers, fleuves partagés par plusieurs pays, traités, etc.). l’essentiel du travail est de collecter de manière homogène les informations pertinentes sur la gestion de la biodiversité dans les différents sites de conservation, c’est-à-dire pour les différentes aires protégées de la sous-région. la question préalable est celle de l’établissement d’un ensemble de CetI qui puisse être renseigné par les acteurs de la conservation et fournir des informations fiables sur l’état de la biodiversité. II. Contenu et hypothèses sousjacentes du système de suivi Il existe plusieurs approches pour construire un système de suivi environnemental, mais la structuration du type Pression-état-réponse élaborée dans les années 1990 par l’organisation de coopération et de développement économiques (oCde) constitue actuellement le modèle dominant (levrel et Bouamrane, 2008). Ce système vise à apprécier les pressions qui s’exercent sur l’environnement et à identifier les réponses sociales qui permettent d’atténuer, voire d’éliminer les effets négatifs de ces pressions. Cette structuration du système de suivi est presque toujours celle retenue par les gestionnaires d’aire protégée en afrique centrale et c’est donc elle qui a été utilisée pour élaborer la grille d’organisation des informations sur la biodiversité par l’oFaC. la version finale des critères retenus est présentée dans le tableau 11. l’information y est organisée de manière classique, avec un premier niveau qui synthétise les connaissances sur l’état de la biodiversité. Cet état se décline sous trois formes : étendue du couvert forestier, présence et qualité d’espèces emblématiques, présence et qualité d’espèces clefs. Hormis quelques discussions techniques sur la façon de traduire ces critères sous forme d’indicateurs, les participants ont été rapidement d’accord sur cette grille de collecte de l’information. Un tel compromis n’a pu être trouvé quant à l’influence des dynamiques socio-économiques sur la conservation de la biodiversité. Initialement vus sous l’angle unique d’une menace, le maintien et le développement des activités anthropiques locales sont également apparus pour plusieurs participants comme un élément essentiel à la réussite des aires protégées. Ce débat n’a pu être tranché mais il a permis deux avancées importantes. Il a tout d’abord conduit à reformuler le critère C3 : les « menaces par les activités humaines » se sont transformées en « dynamiques socio-économiques » et le bienêtre des populations a été pris en compte (C3.4). au niveau du critère C4, ensuite, l’implication des acteurs a été considérée comme l’un des éléments nécessaires à la « stratégie de gestion », qui se focalisait initialement sur les procédures formelles de gestion (budget, personnel, document de gestion), censées être seules garantes, avec l’éco-tourisme, de la protection de la biodiversité. Sur le terrain, la mise en œuvre de ce système de suivi, notamment pour les critères venant des scien- Nous nous contentons ici de reproduire la liste des critères de suivi de la biodiversité à l’échelle des sites de protection bien que de nombreux autres éléments d’information aient été identifiés : liste des indicateurs, sources d’information, fréquence des collectes, degré de priorité, etc. 1 134 ces sociales, ne se fera sans doute pas sans rencontrer quelques résistances. la première difficulté tient à la formation académique ou professionnelle des gestionnaires d’aire protégée, qui sont généralement peu convaincus de l’intérêt de telles données pour améliorer le fonctionnement et la durabilité des aires protégées. le coût de collecte de ces informations peut constituer un deuxième obstacle : si l’analyse régulière d’images satellite peut donner une idée rapide de l’évolution de la pression agricole ou des feux de brousse, la plupart des données sur le bien-être local doit être collectée à l’échelle des villages, ce qui requiert temps, compétences et moyens. l’enjeu n’est pas tant de dresser un tableau rapide des infrastructures et des cadres formels de concertation entre acteurs que d’analyser comment leur fonctionnement est effectif sur le terrain. outre le diagnostic quantitatif, il faut donc recourir à des C1 - État des ressources: superficies et végétation C.1.1. Superficie administrative C.1.2. Superficie réelle C.1.3. Superficies des types de végétation naturelle C2 - État des ressources : espèces C.2.1. espèces emblématiques C.2.2. espèces clés C.2.3. distribution des espèces emblématiques et clés C.2.4. abondances relatives des espèces emblématiques et clés C.2.5. densité des espèces emblématiques et clés C.2.6. Présence et superficie des espèces envahissantes C3 - Dynamiques socio-économiques C.3.1. densité des populations humaines C.3.2. Pression des activités agricoles C.3.3. Pression de chasse C.3.4. Bien-être des populations locales (infrastructures et revenus) C.3.5. Nombre de feux incontrôlés C4 - Stratégie de gestion C.4.1. Personnel affecté à la conservation C.4.2. Budget de l’aire protégée C.4.3. équipements logistiques de gestion/km² C.4.4. retombées touristiques C.4.5. existence des documents de gestion C.4.6. Zonage de l’aire protégée C.4.7. Implication des autres acteurs Tableau 1 : liste des critères de suivi de la biodiversité à l’échelle des sites de protection 135 méthodes d’analyse qualitative, telles que celles développées dans le cadre de la Méthode accélérée de recherche participative (MarP), aujourd’hui bien connues en afrique centrale. III. Le suivi des aires protégées pour réinterroger le lien conservation-développement l’établissement de CetI de suivi environnemental n’est pas un exercice nouveau et l’une de ses vertus est bien de révéler, clarifier, confronter les préférences et les stratégies des acteurs engagés (Garcia et lescuyer, 2008). les CetI établis dans le cadre de l’oFaC pour la conservation de la biodiversité n’échappent pas à la règle. Ils dévoilent les caractéristiques du modèle dominant de la conservation en afrique centrale, celui d’une gestion technique de l’aire protégée où les usages humains sont vus comme des menaces : on suit bien davantage les populations animales que le bien-être des populations humaines, ce qui pose problème dans un contexte d’extrême pauvreté (Balint, 2006). Par son ampleur – toutes les aires protégées du Bassin du Congo – et la volonté d’en faire un mécanisme pérenne, le système de suivi mis en place par l’oFaC devrait permettre d’alimenter le débat sur les liens entre conservation et activités humaines, qu’elles soient à proximité ou plus éloignées des aires protégées. Il est certain que, dans un grand nombre de cas, les populations humaines exercent une pression excessive sur les espèces et les espaces protégés. Il n’en demeure pas moins probable que considérer les activités anthropiques sous l’angle unique de la menace réduit fortement les chances de réussite de la conservation. le système de suivi de l’oFaC présente donc un double intérêt. d’une part, en s’appliquant à l’ensemble des aires protégées d’afrique centrale, il devrait permettre de faire un bilan objectif des corrélations entre état de biodiversité et niveau de bien-être humain. d’autre part, et à la suite de l’analyse précédente, il est probable qu’un certain nombre de critères propres aux activités humaines devraient être considérés non plus comme des 136 « pressions » mais bien comme des « réponses » à la dégradation de la biodiversité (adams et al., 2004), notamment dans les zones périphériques des aires protégées. de tels indicateurs synthétiques des activités humaines seront sans aucun doute insuffisants pour comprendre le succès ou l’échec des modes de gestion de la biodiversité. Un approfondissement de la réflexion devrait mettre à jour les arrangements institutionnels propices à la fois au développement et à la conservation. de telles recherches, si elles paraissent encore peu prioritaires dans le monde des experts de la conservation, sont néanmoins nécessaires pour envisager des modes novateurs de gestion durable de la biodiversité en afrique centrale, par exemple, pour l’élaboration et la mise en œuvre des paiements pour services environnementaux. n références bibliographiques adams W., aveling r., Brockington d., dickson B., elliot J., Hutton J., roe d., vira B. and Wolmer B. 2004. Biodiversity conservation and the eradication of poverty. Science, vol. 306, p.1146-1149. Balint P.J., 2006. Improving Community-Based Conservation Near Protected areas: The Importance of development variables. Environmental Management, vol. 38(1), p.137-148. devers d. et vande weghe J.P. (coord.), 2006. Etat des forêts du Bassin du Congo. Partenariat pour les Forêts du Bassin du Congo, CoMIFaC, Yaoundé. Garcia C. and lescuyer G., 2008. Monitoring, Indicators and Community Based Forest Management in the Tropics: pretexts or red herrings? Biodiversity and Conservation, vol. 17(6), p.1303-1317. Hockings M., Solton S. and dudley N., 2000. Evaluating Effectiveness. A Framework for Assessing the Management of Protected Areas. Best Practice Protected areas Guidelines Series n°6, World Commission on protected areas, Cardiff Univ et IUCN. lammerts van Bueren e.M. and Blom e.M., 1997. Hierarchical Framework for the Formulation of Sustainable Forest Management Standards. Wageningen : Tropenbos Foundation. lescuyer G., 2008. Conserver la biodiversité en afrique Centrale: agenda international et incitations locales. article présenté à l’atelier du raPaC « Concilier les priorités de conservation des aires protégées et de développement local : expériences, leçons apprises et perspectives en Afrique centrale », Saõ Tomé, 29 septembre – 2 octobre 2008, 21 p. levrel H. and Bouamrane M., 2008. Instrumental learning and Sustainability Indicators : outputs from Co-Construction experiments in West african Biosphere reserves. Ecology and Society, vol.13(1). 137 138 développer des outils opérationnels pour atteindre nos objectifs écologiques Brice Quenouille et Philippe Thiévent* *CDC Biodiversité le constat d’érosion de la biodiversité et des services rendus par les écosystèmes1 a contribué à extraire le débat relatif à la protection des espèces et leurs habitats hors du traditionnel triptyque associations/scientifiques/pouvoirs publics. Tous les acteurs économiques s’interrogent désormais sur leur relation à la biodiversité et sont, à ce titre, demandeurs d’outils pour poursuivre leur développement. Parmi ces outils, les indicateurs écologiques se trouvent aujourd’hui dans la position d’un acteur vedette, à qui il serait demandé de jouer plusieurs rôles : • un rôle d’éclaireur ex-ante : évaluer les conséquences d’un projet ou d’un métier sur la biodiversité, aider à choisir le scénario « gagnant-gagnant », etc. ; • un rôle d’auditeur concourant : suivre et contrôler les interactions d’un projet ou d’un métier avec la biodiversité et, le cas échéant, aider à adapter ses modalités de mise en œuvre, etc. ; • enfin, un rôle d’analyste ex-post : aider à dresser le « bilan biodiversité » d’un projet, d’un métier ou d’une entreprise, contribuer à l’apprentissage d’une culture écologique, etc. Si les attentes sont clairement identifiées, notre difficulté à modéliser, donc à restituer des dynamiques écologiques par nature complexes reste une barrière au développement d’indicateurs spécifiques, fiables dans le temps et peu coûteux. 1 2 le recours à des indicateurs n’a d’intérêt que si les objectifs qu’ils nous aident à définir peuvent ensuite être atteints. Pour une entreprise qui souhaite s’engager dans des actions concrètes en faveur de la biodiversité, il s’agit de disposer des moyens nécessaires à leur mise en œuvre. aussi évidente soit-elle, cette allégation n’est pas toujours confirmée dans la pratique, empêchant des engagements, pris parfois au titre d’une contrainte réglementaire, d’être réalisés. Nous prendrons ici l’exemple de l’aménagement du territoire, qui illustre bien cette problématique sur laquelle la Caisse des dépôts et consignations (CdC) s’implique aujourd’hui via sa filiale CdC Biodiversité. Considéré comme une des causes principales d’érosion de la biodiversité, l’aménagement du territoire a pour corollaire la destruction et la fragmentation d’habitats. le vote en 1976 de la loi relative à la protection de la nature2 a introduit dans le droit français une procédure obligeant les maîtres d’ouvrage à évaluer ce type de dommages et à prendre des mesures pour les réparer. l’article l122-3 du Code de l’environnement stipule que les maîtres d’ouvrage de projets d’aménagement doivent, dans un ordre hiérarchique : 1- éviter les impacts négatifs sur l’environnement, 2- réduire les impacts non évités, 3- compenser les impacts résiduels. les mesures dites d’évitement et de réduction font partie intégrante de l’ingénierie de conception du projet et permettent d’en réduire l’empreinte écologique (optimisation du tracé, construction de passa- Cf. http://www.millenniumassessment.org/ Loi n° 76-629 du 10/07/76 139 ges pour la faune, etc.). Néanmoins, des impacts résiduels persistent généralement qui, s’ils ne sont pas pris en compte, entraîneraient une perte de biodiversité. les mesures compensatoires ont pour objet de contrebalancer ces impacts résiduels. elles consistent en des actions positives pour la biodiversité, généralement réalisées à distance du site d’impact, devant générer une valeur additionnelle au moins égale à la perte qui n’a pu être évitée ou réduite. Malgré un objectif clair et plus de trente années d’application, la compensation reste en France insuffisamment mise en œuvre ; constat largement partagé par les acteurs de la biodiversité. les raisons sont diverses, mais tiennent principalement aux difficultés que rencontrent les maîtres d’ouvrage dans la mise en oeuvre de leurs mesures compensatoires. Ces actions ne s’inscrivent pas dans leur cœur de métier et ne coïncident généralement pas avec le périmètre et le contexte opérationnel de leurs projets - notamment lorsqu’il s’agit de développer puis soutenir un programme d’actions en faveur de la biodiversité sur des périodes de trente ou cinquante ans, voire plus. début 2008, la Caisse des dépôts annonce le lancement de sa filiale CdC Biodiversité. dotée au départ d’un capital de quinze millions d’euros, elle est dédiée entièrement aux enjeux de la biodiversité. Son lancement conduit à développer de nouveaux métiers à la croisée de l’intérêt général et de l’économie3. Il s’agit d’accompagner l’état, les entreprises, les maîtres d’ouvrage, les associations et les collectivités dans leurs actions en faveur de la nature, en mobilisant de l’ingénierie financière, en pilotant des projets (en tant que « tiers de confiance ») et en inscrivant ces actions dans le long terme. la compensation en constitue le premier levier d’intervention. • CDC Biodiversité se porte garant pour celui-ci (qui garde sa responsabilité) auprès des autorités (qui continuent à contrôler) et joue un rôle d’ensemblier et de pilote en s’occupant de la sécurisation foncière, en mettant en œuvre et en suivant l’action de compensation, en rendant compte au maître d’ouvrage et aux autorités. Mais il est aussi possible de s’engager dans une approche innovante, dite « par l’offre ». elle repose sur la réalisation concrète, sur fonds propres, d’actions positives et additionnelles en faveur de la biodiversité, représentant des enjeux écologiques majeurs et visant à répondre aux besoins de compensation actuels et futurs des maîtres d’ouvrage. elle permet de mutualiser les financements de compensation de plusieurs maîtres d’ouvrage sur des actions d’envergure, spatialement et écologiquement plus cohérentes. À l’échelle d’un territoire, cette offre de mutualisation est particulièrement intéressante pour optimiser la contribution aux stratégies régionales de biodiversité (schéma directeur, trame verte et bleue, etc.) de mesures compensatoires qui, prises séparément, concerneraient de petites surfaces déconnectées. la compensation répond manifestement à un besoin appelé à croître pour lequel de bons indicateurs de biodiversité sont indispensables. n À la demande d’un maître d’ouvrage, CdC Biodiversité peut intervenir selon le processus suivant : • les autorités administratives et scientifiques définissent les obligations de compensation d’un maître d’ouvrage ; 3 140 En cohérence avec l’article L518-1 du Code monétaire et financier Conclusion les indicateurs de biodiversité forestière : témoins d’un processus d’amélioration continue C et ouvrage sur les indicateurs de biodiversité forestière montre d’abord l’intérêt de raisonner en la matière avec un certain recul. Il rend ensuite compte du besoin fort d’indicateurs de biodiversité à différents niveaux et dans plusieurs domaines. Il met enfin en évidence les progrès accomplis et, en même temps, la nécessité de continuer à progresser dans ce domaine complexe et à fort enjeu. n Prendre du recul par rapport au champ de la biodiversité le traitement d’un sujet tel que les indicateurs de biodiversité en milieu forestier constitue une invitation à embrasser un champ très large. Celui-ci est en effet susceptible d’englober des considérations socio-économiques aussi bien qu’écologiques, de replacer la forêt dans le cadre général de la biodiversité, de considérer cette dernière à la fois du point de vue des perturbations qu’elle subit et des bénéfices qu’elle offre à la société. l’identification, l’élaboration et le suivi d’indicateurs de biodiversité permettent de poursuivre divers types d’objectifs. leur but peut être d’abord scientifique et servir à faciliter des expérimentations, à s’engager sur la voie de la modélisation, à approfondir les interdépendances entre composantes écologiques. Mais les indicateurs sont aussi essentiels pour piloter et évaluer les politiques, voire pour les mettre en œuvre comme c’est le cas avec le suivi du bon état de conservation des milieux et habitats dans le cadre européen. au gestionnaire, ils procurent des moyens de raisonner une gestion intégrée, de faire la preuve, par la certification, du caractère durable de cette gestion, d’apporter les garanties que des mesures compensatoires représentent effectivement une juste contrepartie à un impact qui n’a pu être évité. Ils s’avèrent enfin particulièrement utiles au plan de la communication, en direction du grand public, certes, mais aussi au sein même du monde professionnel, par exemple pour favoriser les échanges entre chercheurs et praticiens. À la faveur de cette énumération, qui n’est pas forcément exhaustive, on voit bien que 141 si les problématiques traitées s’appuient forcément sur les sciences de la nature, elles font aussi amplement appel aux sciences économiques, humaines et sociales. la biodiversité est considérée de manière large par la convention internationale qui la soutient, tandis que le monde forestier voit sa conservation comme une composante parmi les autres services écosystémiques, que ceux-ci soient relatifs à l’offre de produits forestiers, à la séquestration de carbone, à la protection des eaux et des sols ou aux attentes socioculturelles. Cette différence de points de vue rend ambigu le champ de la biodiversité et est même source de quiproquos. dans cet ouvrage, la partie écologique a plutôt adopté la vision stricte des forestiers tandis que la partie socio-économique s’est rapprochée d’une vision plus globale. les relations entre la société et son environnement sont étudiées à l’aide de divers modèles socioéconomiques qui mettent l’accent sur les pressions exercées par les activités humaines sur la biodiversité. Mais à côté de l’analyse de tels impacts et des moyens permettant de les réduire, celle des services rendus à la société par son environnement est tout autant digne d’intérêt. dans cet ouvrage, lorsque cela s’est avéré opportun, les deux visions complémentaires ont été développées pour rendre l’approche plus équilibrée et l’interface entre écologie et socio-économie plus cohérente. du point de vue écologique, les activités humaines sont essentiellement perçues comme des perturbations du milieu naturel : la logique des impacts domine et les modèles « Pressions-état-réponses » ou « déterminants-Pressions-état-Impact-réponses » sont utilisés. du point de vue socio-économique, la reconnaissance de l’existence des services écosystémiques est tout aussi fondamentale que celle des conséquences des interventions anthropiques sur la biodiversité. n Un besoin patent d’indicateurs dans ce champ large et complexe de la biodiversité, de nombreuses grandeurs essentielles ne sont pas forcément mesurables. Il n’existe pas non plus de manière évidente un dénominateur commun 142 aux différents aspects à prendre en compte comme c’est le cas dans le domaine économique avec l’unité monétaire ou dans celui de la lutte contre l’effet de serre avec la tonne de dioxyde de carbone. Pourtant, il faut pouvoir analyser la situation avant toute décision, en débattre le cas échéant, évaluer les résultats obtenus une fois la décision prise et appliquée. Tout au long de ce processus, les indicateurs constituent un appui indispensable. le besoin d’indicateurs est ainsi patent pour représenter chaque composante de la biodiversité, pour gérer l’ensemble de manière cohérente, pour le combiner à d’autres considérations. Pour autant, plusieurs écueils doivent être évités : • tout d’abord, un indicateur constitue une aide mais ne remplace pas complètement la mesure de la grandeur qu’il est censé représenter ; il doit donc toujours être considéré avec un regard critique ; • ensuite, l’état des connaissances, encore fragmentaire, ne permet pas de prendre en compte tous les éléments qui devraient intervenir : l’appréciation d’une partie de la réalité ne doit pas faire oublier qu’elle n’en est pas la totalité ; • enfin, les indicateurs ne sont qu’un moyen, de surcroît imparfait, au service d’un objectif qui ne doit jamais être perdu de vue. Nombreuses sont les raisons pour lesquelles doivent être développés des indicateurs de biodiversité. le suivi d’indicateurs de gestion forestière durable constitue tout d’abord un axe fort d’une stratégie internationale en faveur des forêts et les indicateurs de biodiversité participent largement de cette approche. l’évaluation du bon état de conservation des habitats et espèces d’intérêt communautaire est imposé par la directive européenne « HabitatsFaune-Flore » et passe aussi par l’expression d’indicateurs de biodiversité. la Convention internationale sur la diversité biologique est à la base de la stratégie nationale correspondante dont la mise en œuvre nécessite, encore une fois, des indicateurs de biodiversité, etc. Même si l’approche en termes d’indicateurs est assez peu promue par les politiques scientifiques, ces outils présentent de nombreuses utilités pour la science. Ils permettent par exemple d’illustrer le niveau de la description de la biodiversité, d’analyser les relations entre structure, composition et fonctionnement, d’organiser la compréhension des mécanismes écologiques à l’œuvre, de faire progresser également l’aide à la décision en s’intégrant à des modèles de gestion. enfin, des indicateurs de biodiversité sont utiles aussi pour la gestion, dans le cadre de la planification des interventions (démarche d’aménagement), de la certification et des garanties de gestion durable, le cas échéant de la compensation des impacts occasionnés. n des progrès accomplis aux progrès nécessaires en faisant le point sur l’état des réflexions dans le domaine des indicateurs de biodiversité en forêt, cet ouvrage prépare les réflexions actuelles ou futures relatives à la biodiversité ou, de manière plus large, à la gestion durable des forêts. Il recense et commente un grand nombre d’indicateurs allant de la génétique à l’utilisation du bois en passant par les espèces et les paysages. Il discute des questions d’objectif, d’échelle, de données, de moyens. Il donne des pistes d’amélioration pour les indicateurs existant dans le cadre du processus des Conférences ministérielles pour la protection des forêts en europe (Forest Europe). Il rend compte des tentatives de mise en relation entre indicateurs taxonomiques de composition et indicateurs structurels des peuplements ou paysages forestiers. Il permet en outre de reconnaître que des progrès complémentaires sont encore nécessaires. dans quels domaines ? Un premier axe de progrès concerne les données à tous les niveaux, à commencer par les taxons. en effet, les analyses portent encore le plus fréquemment sur quelques taxons seulement. en dehors de la flore et de la fonge, les oiseaux communs sont emblématiques de ce point de vue même si d’autres groupes du règne animal sont couramment étudiés (chiroptères, coléoptères, lépidoptères, etc.). le suivi d’espèces ou de taxons occupe une place majeure dans l’analyse de la biodiversité. Il est suggéré de s’intéresser en priorité à des indicateurs taxonomiques à grande échelle, c’est-à-dire à des espèces à large amplitude, pour mettre en évidence des tendances ou approfondir des mécanismes de fonctionnement sur de vastes espaces à un coût acceptable. Même si la richesse taxonomique est fondamentale, elle est loin de traduire l’ensemble de la biodiversité. la diversité génétique intraspécifique est elle aussi cruciale mais plus difficile à analyser. Son étude bénéficie de développements technologiques importants mais ne porte guère encore en forêt que sur les espèces d’arbres. les aspects structurels dépassent largement la seule composition des écosystèmes et englobent toute leur organisation qui influence le fonctionnement écologique. les aspects fonctionnels sont eux mêmes complexes et tout aussi dignes d’attention. Il faut donc à la fois étendre la gamme des taxons suivis, s’intéresser aux autres aspects de la biodiversité (génétique, structure, fonctionnement) et établir des relations éventuelles entre ces éléments. l’expérience montre que les relations attendues ne sont pas forcément évidentes : ainsi, la richesse en coléoptères et mycètes saproxyliques n’apparaît pas toujours directement proportionnelle au volume de bois mort en forêt1. la construction d’indicateurs fondés sur les données recueillies pour répondre aux objectifs poursuivis constitue une seconde préoccupation. les analyses réalisées dans le cadre du travail ayant abouti à cet ouvrage ont montré que les indicateurs existants méritaient d’être consolidés : des données complémentaires s’avèrent nécessaires dans certains cas ; des améliorations sont en outre souhaitables au niveau des protocoles de recueil d’information dont il est attendu qu’ils soient plus fiables et stabilisés dans le temps. la constitution progressive de jeux d’indicateurs est par ailleurs source de débats : d’une part, il apparaît opportun d’ajouter de nouveaux indica- Bouget, 2011. Le bois mort, indicateur indirect de biodiversité. Colloque « les indicateurs forestiers sur la voie d’une gestion durable ? » Communication orale, Montargis, 6 et 7 décembre. 1 143 teurs, par exemple lorsqu’il s’agit d’étendre la palette des taxons suivis ou de mieux représenter la structure et le fonctionnement des écosystèmes ; d’autre part des approches plus synthétiques sont souhaitées par les décideurs qui peuvent s’accommoder, pour des objectifs généraux, de quelques indicateurs mais tout de même en nombre limité. Il faut donc réfléchir aux possibilités de se référer, pour les besoins des politiques publiques, de la gestion voire des recherches, à quelques indicateurs représentant bien les grandes composantes de la biodiversité. Quoi qu’il en soit, il semble important d’assurer dans tous les cas une bonne correspondance entre les objectifs poursuivis et l’indicateur ou le jeu d’indicateurs censé en rendre compte. Il est également fondamental de maîtriser et mentionner les précautions d’usage propres à chaque indicateur, en particulier son domaine d’utilisation et les bases de son interprétation. les échelles spatiales et temporelles pour lesquelles sont établis les indicateurs sont fondamentales à cet égard. Un indicateur relatif à un peuplement à un moment donné n’est représentatif ni de l’ensemble d’une forêt, ni d’un cycle de vie complet. la richesse spécifique en espèces d’oiseaux nicheurs dans les forêts de plaine en Bourgogne est éloquen- te à cet égard : elle est plus élevée dans un peuplement comportant des arbres de tous âges que dans un peuplement homogène comportant un seul stade de développement, quel que soit celui-ci ; en revanche, elle y est nettement plus faible que dans un ensemble gradué de peuplements homogènes2. on note donc la nécessité de mieux articuler différentes échelles entre elles et de mieux prendre en considération le cycle de vie des arbres. enfin, comme l’ont bien montré les articles de cet ouvrage, les indicateurs de biodiversité fournissent la possibilité d’approfondir de nombreuses questions relatives aux liens entre structure paysagère et diversité taxonomique, entre fonctionnement des écosystèmes et services rendus ou encore entre politiques publiques et état de la biodiversité. Cet ouvrage rassemble des considérations variées, tantôt analytiques, tantôt synthétiques, sur les indicateurs de biodiversité des forêts et, au-delà, sur la biodiversité elle-même. Il constitue, certes, un aboutissement d’une période riche en réflexions collectives, mais surtout un point de départ pour de futures investigations et mises en pratique. n Jean-Luc Peyron, Cécile Nivet et Ingrid Bonhême Gip Ecofor Frochot, 2011. Biodiversité et gestion forestière. Colloque « Gestion forestière et préservation de l’avifaune ». Communication orale, Velaine-en-Haye, 4 et 5 novembre 2011. 2 144 Impression : Promoprint - Paris