> Biodiversité 26/ Agroécosystèmes, biodiversité et grandes cultures économes La biodiversité du sol est de plus en plus considérée depuis que sa réduction, suite aux activités anthropiques notamment agricoles, est une réelle menace pour l’équilibre de l’écosystème. Université de Poitiers) étudie la macrofaune du sol, élément essentiel des agroécosystèmes du fait de leur contribution aux fonctions du sol et aux processus qui s’y déroulent. Observer leur diversité permet de déterminer comment divers facteurs environnementaux et anthropiques (occupation du sol et pratiques agricoles) peuvent influer sur leur habitat et leur abondance. Les études du LEES visent à appliquer les connaissances acquises de manière fondamentale à des probléEspèces bioindicatrices, restauration de matiques concrètes, aussi bien dans le la biodiversité utile et agriculture durable domaine de la restauration de la diverPaysage et mosaïque de cultures : Plaine Mothaise, Le Laboratoire Écologie Évolution sité des espèces que dans celui d’une Deux sèvres Symbiose (LEES, UMR 6556, CNRS / agriculture respectueuse de l’environLes sols sont le support de la biosphère continentale, les plantes représentant la production primaire à la base des réseaux trophiques terrestres. La faune du sol interagit en modifiant la structure et la composition du sol. Elle intervient également dans la richesse et l’activité des microorganismes qui y vivent. Chaque espèce occupe une niche écologique qui lui est propre et joue un rôle particulier dans les échanges globaux d’énergie et de matières dans le sol. © G. Freyssinel, LEES Hors-série > Microscoop / Numéro 19 – octobre 2010 nement. Le but est d’apporter une aide à la conduite d’une activité agricole de façon à limiter les impacts sur la biodiversité avec une prise de conscience des services écosystémiques rendus. Les études sur la biodiversité ne se limitent pas à une description de la diversité du vivant mais il s’agit bien d’en connaître sa composition, sa structure et sa fonction. L’agrobiodiversité correspond donc à une biodiversité fonctionnelle. Dans ce cadre, les organismes bio-indicateurs sont incontournables pour évaluer la qualité de l’environnement car leur présence (ou état) renseigne sur les caractéristiques écologiques (physico-chimiques, microclimatique, biologiques et fonctionnelles) de l’environnement, ou sur l’incidence de certaines pratiques. Macroinvertébrés ingénieurs et auxiliaires Depuis 2005 le LEES détermine les associations et les abondances relatives d’espèces clés de la macrofaune du sol sur des sites naturels et dans différents milieux cultivés - contrastés du point de vue de leur histoire agronomique ou gérés avec des contraintes environnementales : les Isopodes terrestres, témoins de la qualité des milieux, et les Coléoptères Carabidae, indicateurs de biodiversité et auxiliaires de culture. Les crustacés isopodes terrestres sont des composants majeurs de la communauté des décomposeurs dont le régime alimentaire réside principalement dans la décomposition de litières de feuilles, de bois pourri, de champignons et de >> Pour en savoir plus : Programme CRAYNET de préservation des écrevisses à pattes blanches http://eucrayfish2010.conference.univ-poitiers.fr Formation à l’écologie : http://sfa.univ-poitiers.fr/bop/ /27 Grandes Cultures Economes : piégeages en présence d’un des agriculteurs investis dans le projet à Thuré dans la Vienne Rôle des isopodes terrestres en tant que détritivores : 1) Philoscia muscorum, 2) A. vulgare et litière, 3) Feuille consommée par les isopodes. 1) © LEES microfilms bactériens. Outre leur influence sur la structure physique du sol (aération du sol), ils sont détritivores et augmentent jusqu’à 4 fois la surface attaquable par les microorganismes. Leur tube digestif renferme une flore bactérienne riche permettant la décomposition de la cellulose et de la lignine des végétaux absorbés. Ils interviennent de façon conséquente dans la régulation du cycle du carbone aussi bien sur sa qualité que sur sa mobilité. De plus, ils interviennent dans le cycle d’éléments traces parfois considérés comme polluants. Les isopodes sont très présents dans les prairies calcaires et dans les jachères. Ils améliorent le cycle des nutriments, en décomposant les débris organiques et en les transportant vers des microsites plus humides. Ils transportent également des propagules de bactéries, de champignons et des mycorhizes à travers le sol. Ils sont connus pour être sensibles aux pratiques culturales : des études montrent des différences en termes de biomasse et de richesse spécifique indiquant l’ampleur de l’impact anthropique en zone rurale. Les labours conventionnels ont des effets directs sur la mortalité des isopodes à cause de la simplification de la structure de l’habitat et d’une disponibilité réduite en sites refuges. Les labours influencent aussi indirectement © G. Freyssinel, LEES la croissance et la fécondité des espè- 2) ces en enterrant les résidus de végétaux. En comparaison avec le labour traditionnel, les techniques culturales simplifiées, qui limitent l’impact sur la structure du sol et laissent les résidus des plantes à la surface du sol, permettent l’accroissement de leur biomasse. Les isopodes sont donc particulièrement sensibles à la qualité du milieu (habitats, ressources alimentaires), ce qui leur vaut le statut de bio indicateurs. Ainsi, leur abondance est 200 fois plus © C. Souty-Grosset, LEES affectée par les usages et les pratiques 3) que d’autres groupes d’arthropodes comme les insectes, entraînant des conséquences notables sur le régime alimentaire de leurs prédateurs (oiseaux en particulier). Les associations d’espèces et leurs préférences écologiques permettent donc de déterminer la qualité du milieu. Les carabes vivent à la surface du sol et ont de multiples besoins écologiques durant leur cycle de vie. La plupart des espèces se nourrissant dans les terres © G. Freyssinel, LEES Le journal du CNRS en délégation Centre Poitou-Charentes > Biodiversité 28/ arables ont besoin de sites de reproduction et d’hibernation avec différentes occupations du sol aux alentours. La diversité des Carabes permet aujourd’hui d’aborder des sujets tels que l’influence des facteurs du milieu, abiotiques et biotiques, l’étude des populations, la biologie de la reproduction, la morphologie en rapport avec les modes de vie, les régimes alimentaires, ainsi que leur rôle dans le contrôle des insectes nuisibles aux cultures. Les Carabes constituent donc un groupe-clé parmi les arthropodes du sol en raison de leur abondance et de leur régime le plus souvent prédateur. La plupart ont un régime alimentaire à dominante carnivore, ce qui les rend très intéressants en tant qu’auxiliaires de cultures. Ils ont un choix d’habitat spécifique et sont sensibles au type d’occupation du sol et à la qualité de l’habitat. Leur pertinence en tant qu’indicateur de l’état écologique des terres arables est largement acceptée. La prise en compte des caractéristiques du paysage améliore la stratégie de restauration de la biodiversité à condition que l’échelle soit correctement définie en accord avec l’espèce étudiée. En effet, l’échelle du paysage ne peut pas être ignorée puisqu’elle explique en partie les variations locales des richesses d’espèces pour tous les taxons étudiés. La gestion agricole influence plusieurs processus de l’échelle, de la parcelle à celle du paysage. Ainsi, elle induit des réponses différentes des communautés d’espèces suivant leurs caractéristiques écologiques. Ceci peut être étendu à la macrofaune du sol: pour la plupart des taxons une large majorité de la variation des espèces locales dépend de l’utilisation du sol et des caractéristiques d’habitats, mais également du paysage environnant. Retour d’Armadilidium vulgare dans une parcelle de blé avec pratique respectueuse de l’environnement : Carabes et cultures : retour d’espèces sensibles comme Carabus sp. et Anchonemus dorsalis © LEES ces présentes, leurs abondances relatives, et l’influence des éléments de connexion du paysage. La répartition saisonnière des populations d’isopodes, l’impact des pratiques agricoles ainsi que le lien entre les caractéristiques physico-chimiques des sols et la diversité spécifique ont été décrites. Les études apportent des outils de diagnostic de l’état des écosystèmes terrestres. Ces premières analyses de faisabilité et d’utilisation de la diversité des isopodes terrestres sur les prairies et les cultures ont été effectuées sur différents agrosystèmes du Poitou-Charentes (Vienne et Deux sèvres). La distribution et la dynamique des peuplements de carabes sont modifiées par les perturbations dues à la mise en culture des sols, leur abondance est ainsi liée au mode de gestion et à la nature de la culture. Des analyses statistiques multivariées établissent ainsi des corrélations entre isopodes terrestres et carabes, qualité du sol et diversité floristique. Les isopodes (indicateurs de la qualité du sol) et les carabes (indicateurs de diversité et auxiliaires de culture) sont donc complémentaires pour élaborer un outil diagnostique de la biodiversité. Actuellement, des travaux de thèse, cofinancés par le CNRS et la Région Outils de diagnostic de l’état des Poitou-Charentes, s’intéressent à l’effet écosystèmes terrestres En Poitou-Charentes, les études du de la structure spatiale des zones humiLEES ont permis de déterminer les espè- des cultivées sur la richesse spécifique Hors-série > Microscoop / Numéro 19 – octobre 2010 et la composition des communautés d’arthropodes bio-indicateurs de la plaine Mothaise (Deux Sèvres). Une deuxième étude porte sur la biodiversité dans les parcelles agricoles de 15 exploitations agricoles du Poitou-Charentes qui ont adhéré au programme Grandes Cultures Économes du CIVAM (Fédération Régionale des Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu Rural) et comprenant plusieurs objectifs annoncés dans un cahier des charges. La biodiversité peut être restaurée par une mise en place de rotations longues (minimum de 4 cultures différentes) et d’une alternance de cultures, une limitation des apports en azote, phosphore et potassium, une utilisation réduite des pesticides avec un respect de la Mesure Agri-Environnementale phytosanitaire, une limitation de la consommation d’eau, une couverture du sol maximale et un travail du sol le plus superficiel possible. La biodiversité est également favorisée par maintien ou restauration des « zones Écologiques Réservoirs » (haies, bandes enherbées, fossés, bosquets, prairies naturelles) ou « zones de régulation écologique ». Le maillage (ou mosaïque) créé par ces dispositifs pérennes a pour but d’assurer la diversité des habitats et la connectivité spatiale au sein du paysage (corridors écologiques) et de lutter contre la banalisation des paysages et « l’artifi- /29 cialisation » des milieux. La biodiversité et le paysage sont également des patrimoines culturels, historiques, écologiques, dont le rôle est difficile à évaluer mais dont l’importance est réelle (études menées grâce aux projets CNRS-élèves ingénieurs ESA Angers). Le LEES établit un diagnostic de la biodiversité par l’étude des bio indicateurs (isopodes terrestres, carabes) lors de suivis annuels de leur évolution en fonction du type de rotation de cultures de 2010 à 2012. Ces données associées à celles d’exploitation, de système de culture, du type de pratiques culturales, de stratégies et règles de décisions adoptées pour les systèmes de cultures permettront de définir des espèces repères. Le projet permettra d’une part, sur le plan méthodologique, d’explorer les indicateurs de durabilité pertinents et d’autre part, sur le plan finalisé, de construire un outil d’aide à la décision pour les gestionnaires agricoles et environnementaux désireux de favoriser les services écologiques rendus par la biodiversité. Cette dernière devient alors un facteur de production à part entière. © G. Freyssinel, LEES © G. Freyssinel, LEES Agro-écosystème et écosystème aquatique En tête de bassin hydrographique, une agriculture respectueuse de l’environnement ne peut être que bénéfique pour l’écrevisse autochtone à pattes blanches, sentinelle des eaux pures et actuellement © D. Deschamps, LEES Peupleraie, maïs et prairies dans la Plaine Mothaise, Carabus sp., Anchonemus dorsalis. en danger. Dans le cadre de sa conservation, le LEES a montré que les activités agricoles conventionnelles ont un effet direct sur son absence alors que son habitat physique est préservé. Contact: Catherine SOUTY-GROSSET [email protected] RECHERCHE ET FORMATION Les activités de recherche du laboratoire “Écologie, Évolution, Symbiose”, s’inscrivent dans le cadre général de l’analyse des associations hôtes-parasites. Les chercheurs étudient aux niveaux fonctionnel, populationnel et évolutif les interactions entre les isopodes terrestres et des bactéries du genre Wolbachia capables de transformer des individus mâles en femelles et le rôle des symbioses microbiennes dans la qualité des écosystèmes continentaux. Le laboratoire coordonne des formations dont l’objectif est de former des professionnels de l’écologie Deux niveaux sont proposés : Licence « Écologie et Biologie des Organismes », Master « Écologie et Biologie des Populations », option « Génie écologique » ou option « Biologie, Écologie, Évolution ». Un Master international EMAE « European Master in Applied Ecology » regroupant des étudiants originaires de 25 pays du continent américain, asiatique et européen, est associé à ces formations. Les champs de compétence abordés comprennent la recherche en écologie, la gestion des espaces naturels, les politiques publiques, l’écologie comme outil d’aide au développement des Pays du Sud, l’expertise en écologie, l’éducation à l’environnement et au développement durable et le conseil en environnement. Le journal du CNRS en délégation Centre Poitou-Charentes