miscroscoop 19, oct. 2010 - EBI

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> Biodiversité
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Agroécosystèmes,
biodiversité et grandes cultures économes
La biodiversité du sol est de plus en plus considérée depuis que sa réduction, suite aux activités anthropiques
notamment agricoles, est une réelle menace pour l’équilibre de l’écosystème.
Université de Poitiers) étudie la macrofaune du sol, élément essentiel des
agroécosystèmes du fait de leur contribution aux fonctions du sol et aux
processus qui s’y déroulent. Observer
leur diversité permet de déterminer
comment divers facteurs environnementaux et anthropiques (occupation
du sol et pratiques agricoles) peuvent
influer sur leur habitat et leur abondance. Les études du LEES visent à
appliquer les connaissances acquises
de manière fondamentale à des probléEspèces bioindicatrices, restauration de matiques concrètes, aussi bien dans le
la biodiversité utile et agriculture durable domaine de la restauration de la diverPaysage et mosaïque de
cultures : Plaine Mothaise, Le Laboratoire Écologie Évolution sité des espèces que dans celui d’une
Deux sèvres Symbiose (LEES, UMR 6556, CNRS / agriculture respectueuse de l’environLes sols sont le support de la biosphère
continentale, les plantes représentant
la production primaire à la base des
réseaux trophiques terrestres. La faune
du sol interagit en modifiant la structure et la composition du sol. Elle intervient également dans la richesse et l’activité des microorganismes qui y vivent.
Chaque espèce occupe une niche écologique qui lui est propre et joue un rôle
particulier dans les échanges globaux
d’énergie et de matières dans le sol.
© G. Freyssinel, LEES
Hors-série > Microscoop / Numéro 19 – octobre 2010
nement. Le but est d’apporter une aide
à la conduite d’une activité agricole de
façon à limiter les impacts sur la biodiversité avec une prise de conscience des
services écosystémiques rendus. Les
études sur la biodiversité ne se limitent pas à une description de la diversité du vivant mais il s’agit bien d’en
connaître sa composition, sa structure
et sa fonction. L’agrobiodiversité
correspond donc à une biodiversité fonctionnelle. Dans ce cadre, les organismes
bio-indicateurs sont incontournables
pour évaluer la qualité de l’environnement car leur présence (ou état) renseigne sur les caractéristiques écologiques
(physico-chimiques, microclimatique,
biologiques et fonctionnelles) de l’environnement, ou sur l’incidence de
certaines pratiques.
Macroinvertébrés ingénieurs
et auxiliaires
Depuis 2005 le LEES détermine les
associations et les abondances relatives
d’espèces clés de la macrofaune du sol
sur des sites naturels et dans différents
milieux cultivés - contrastés du point de
vue de leur histoire agronomique ou
gérés avec des contraintes environnementales : les Isopodes terrestres,
témoins de la qualité des milieux, et
les Coléoptères Carabidae, indicateurs
de biodiversité et auxiliaires de culture.
Les crustacés isopodes terrestres sont
des composants majeurs de la communauté des décomposeurs dont le régime
alimentaire réside principalement dans
la décomposition de litières de feuilles,
de bois pourri, de champignons et de
>> Pour en savoir plus :
Programme CRAYNET de préservation des écrevisses à pattes blanches
http://eucrayfish2010.conference.univ-poitiers.fr
Formation à l’écologie : http://sfa.univ-poitiers.fr/bop/
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Grandes Cultures Economes :
piégeages en présence d’un
des agriculteurs investis dans
le projet à Thuré dans la
Vienne
Rôle des isopodes terrestres
en tant que détritivores :
1) Philoscia muscorum,
2) A. vulgare et litière,
3) Feuille consommée par les isopodes.
1)
© LEES
microfilms bactériens. Outre leur
influence sur la structure physique du
sol (aération du sol), ils sont détritivores
et augmentent jusqu’à 4 fois la surface
attaquable par les microorganismes.
Leur tube digestif renferme une flore
bactérienne riche permettant la décomposition de la cellulose et de la lignine
des végétaux absorbés. Ils interviennent
de façon conséquente dans la régulation du cycle du carbone aussi bien sur
sa qualité que sur sa mobilité. De plus,
ils interviennent dans le cycle d’éléments traces parfois considérés comme
polluants. Les isopodes sont très
présents dans les prairies calcaires et
dans les jachères. Ils améliorent le cycle
des nutriments, en décomposant les
débris organiques et en les transportant
vers des microsites plus humides. Ils
transportent également des propagules
de bactéries, de champignons et des
mycorhizes à travers le sol. Ils sont
connus pour être sensibles aux pratiques
culturales : des études montrent des
différences en termes de biomasse et
de richesse spécifique indiquant l’ampleur de l’impact anthropique en zone
rurale. Les labours conventionnels ont
des effets directs sur la mortalité des
isopodes à cause de la simplification de
la structure de l’habitat et d’une disponibilité réduite en sites refuges. Les
labours influencent aussi indirectement © G. Freyssinel, LEES
la croissance et la fécondité des espè- 2)
ces en enterrant les résidus de végétaux.
En comparaison avec le labour traditionnel, les techniques culturales simplifiées, qui limitent l’impact sur la structure du sol et laissent les résidus des
plantes à la surface du sol, permettent
l’accroissement de leur biomasse. Les
isopodes sont donc particulièrement
sensibles à la qualité du milieu (habitats, ressources alimentaires), ce qui
leur vaut le statut de bio indicateurs.
Ainsi, leur abondance est 200 fois plus © C. Souty-Grosset, LEES
affectée par les usages et les pratiques 3)
que d’autres groupes d’arthropodes
comme les insectes, entraînant des
conséquences notables sur le régime
alimentaire de leurs prédateurs (oiseaux
en particulier). Les associations d’espèces et leurs préférences écologiques
permettent donc de déterminer la
qualité du milieu.
Les carabes vivent à la surface du sol
et ont de multiples besoins écologiques
durant leur cycle de vie. La plupart des
espèces se nourrissant dans les terres © G. Freyssinel, LEES
Le journal du CNRS en délégation Centre Poitou-Charentes
> Biodiversité
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arables ont besoin de sites de reproduction et d’hibernation avec différentes
occupations du sol aux alentours. La
diversité des Carabes permet aujourd’hui d’aborder des sujets tels que l’influence des facteurs du milieu, abiotiques et biotiques, l’étude des
populations, la biologie de la reproduction, la morphologie en rapport avec
les modes de vie, les régimes alimentaires, ainsi que leur rôle dans le
contrôle des insectes nuisibles aux
cultures. Les Carabes constituent donc
un groupe-clé parmi les arthropodes du
sol en raison de leur abondance et de
leur régime le plus souvent prédateur.
La plupart ont un régime alimentaire à
dominante carnivore, ce qui les rend très
intéressants en tant qu’auxiliaires de
cultures. Ils ont un choix d’habitat spécifique et sont sensibles au type d’occupation du sol et à la qualité de l’habitat. Leur pertinence en tant
qu’indicateur de l’état écologique des
terres arables est largement acceptée.
La prise en compte des caractéristiques
du paysage améliore la stratégie de
restauration de la biodiversité à condition que l’échelle soit correctement définie en accord avec l’espèce étudiée.
En effet, l’échelle du paysage ne peut
pas être ignorée puisqu’elle explique en
partie les variations locales des richesses d’espèces pour tous les taxons
étudiés. La gestion agricole influence
plusieurs processus de l’échelle, de la
parcelle à celle du paysage. Ainsi, elle
induit des réponses différentes des
communautés d’espèces suivant leurs
caractéristiques écologiques. Ceci peut
être étendu à la macrofaune du sol: pour
la plupart des taxons une large majorité de la variation des espèces locales
dépend de l’utilisation du sol et des
caractéristiques d’habitats, mais également du paysage environnant.
Retour d’Armadilidium
vulgare dans une parcelle de
blé avec pratique
respectueuse de
l’environnement : Carabes et
cultures : retour d’espèces
sensibles comme Carabus
sp. et Anchonemus dorsalis
© LEES
ces présentes, leurs abondances relatives, et l’influence des éléments de
connexion du paysage. La répartition
saisonnière des populations d’isopodes,
l’impact des pratiques agricoles ainsi
que le lien entre les caractéristiques
physico-chimiques des sols et la diversité spécifique ont été décrites. Les
études apportent des outils de diagnostic de l’état des écosystèmes terrestres. Ces premières analyses de faisabilité et d’utilisation de la diversité des
isopodes terrestres sur les prairies et les
cultures ont été effectuées sur différents
agrosystèmes du Poitou-Charentes
(Vienne et Deux sèvres). La distribution et la dynamique des peuplements
de carabes sont modifiées par les perturbations dues à la mise en culture des
sols, leur abondance est ainsi liée au
mode de gestion et à la nature de la
culture. Des analyses statistiques multivariées établissent ainsi des corrélations
entre isopodes terrestres et carabes,
qualité du sol et diversité floristique. Les
isopodes (indicateurs de la qualité du
sol) et les carabes (indicateurs de diversité et auxiliaires de culture) sont donc
complémentaires pour élaborer un outil
diagnostique de la biodiversité.
Actuellement, des travaux de thèse, cofinancés par le CNRS et la Région
Outils de diagnostic de l’état des
Poitou-Charentes, s’intéressent à l’effet
écosystèmes terrestres
En Poitou-Charentes, les études du de la structure spatiale des zones humiLEES ont permis de déterminer les espè- des cultivées sur la richesse spécifique
Hors-série > Microscoop / Numéro 19 – octobre 2010
et la composition des communautés
d’arthropodes bio-indicateurs de la
plaine Mothaise (Deux Sèvres). Une
deuxième étude porte sur la biodiversité
dans les parcelles agricoles de 15 exploitations agricoles du Poitou-Charentes
qui ont adhéré au programme Grandes
Cultures Économes du CIVAM (Fédération Régionale des Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le
Milieu Rural) et comprenant plusieurs
objectifs annoncés dans un cahier des
charges. La biodiversité peut être restaurée par une mise en place de rotations
longues (minimum de 4 cultures différentes) et d’une alternance de cultures, une limitation des apports en azote,
phosphore et potassium, une utilisation
réduite des pesticides avec un respect
de la Mesure Agri-Environnementale
phytosanitaire, une limitation de la
consommation d’eau, une couverture du
sol maximale et un travail du sol le plus
superficiel possible. La biodiversité est
également favorisée par maintien ou
restauration des « zones Écologiques
Réservoirs » (haies, bandes enherbées,
fossés, bosquets, prairies naturelles) ou
« zones de régulation écologique ». Le
maillage (ou mosaïque) créé par ces
dispositifs pérennes a pour but d’assurer la diversité des habitats et la connectivité spatiale au sein du paysage (corridors écologiques) et de lutter contre la
banalisation des paysages et « l’artifi-
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cialisation » des milieux. La biodiversité
et le paysage sont également des patrimoines culturels, historiques, écologiques, dont le rôle est difficile à évaluer
mais dont l’importance est réelle (études
menées grâce aux projets CNRS-élèves
ingénieurs ESA Angers). Le LEES établit
un diagnostic de la biodiversité par
l’étude des bio indicateurs (isopodes
terrestres, carabes) lors de suivis annuels
de leur évolution en fonction du type
de rotation de cultures de 2010 à 2012.
Ces données associées à celles d’exploitation, de système de culture, du
type de pratiques culturales, de stratégies et règles de décisions adoptées pour
les systèmes de cultures permettront de
définir des espèces repères. Le projet
permettra d’une part, sur le plan méthodologique, d’explorer les indicateurs de
durabilité pertinents et d’autre part, sur
le plan finalisé, de construire un outil
d’aide à la décision pour les gestionnaires agricoles et environnementaux
désireux de favoriser les services écologiques rendus par la biodiversité. Cette
dernière devient alors un facteur de
production à part entière.
© G. Freyssinel, LEES
© G. Freyssinel, LEES
Agro-écosystème et écosystème
aquatique
En tête de bassin hydrographique, une
agriculture respectueuse de l’environnement ne peut être que bénéfique pour
l’écrevisse autochtone à pattes blanches,
sentinelle des eaux pures et actuellement
© D. Deschamps, LEES
Peupleraie, maïs et prairies dans la Plaine Mothaise, Carabus sp., Anchonemus dorsalis.
en danger. Dans le cadre de sa conservation, le LEES a montré que les activités agricoles conventionnelles ont un
effet direct sur son absence alors que
son habitat physique est préservé.
Contact:
Catherine SOUTY-GROSSET
[email protected]
RECHERCHE ET FORMATION
Les activités de recherche du laboratoire “Écologie, Évolution, Symbiose”,
s’inscrivent dans le cadre général de
l’analyse des associations hôtes-parasites. Les chercheurs étudient aux
niveaux fonctionnel, populationnel et
évolutif les interactions entre les
isopodes terrestres et des bactéries
du genre Wolbachia capables de transformer des individus mâles en femelles et le rôle des symbioses microbiennes dans la qualité des écosystèmes
continentaux.
Le laboratoire coordonne des formations dont l’objectif est de former des
professionnels de l’écologie Deux
niveaux sont proposés : Licence
« Écologie et Biologie des Organismes », Master « Écologie et Biologie
des Populations », option « Génie
écologique » ou option « Biologie,
Écologie, Évolution ». Un Master international EMAE « European Master in
Applied Ecology » regroupant des
étudiants originaires de 25 pays du
continent américain, asiatique et européen, est associé à ces formations.
Les champs de compétence abordés
comprennent la recherche en écologie, la gestion des espaces naturels,
les politiques publiques, l’écologie
comme outil d’aide au développement
des Pays du Sud, l’expertise en écologie, l’éducation à l’environnement et
au développement durable et le
conseil en environnement.
Le journal du CNRS en délégation Centre Poitou-Charentes
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