LE PARADIGME DE LA COMPREHENSION DANS LES JEUX DE LANGAGE

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Annales FLSH N° 17 Spécial JUOR (2013)
LE PARADIGME DE LA COMPREHENSION DANS
LES JEUX DE LANGAGE
CHEZ L. WITTGENSTEIN
Par UKUMU ULAR Dieudonné1
ABSTRACT
Language is the key of human existence. In interpersonal
reports, articulated language particularly plays the role of first plan by
communication, which always suppose two subjects in interaction: a
sender and addressee or better a transmitter or a receiver and is, the
language under its aspect of communication, does reach its objective
that when the addressee or receiver confirms in a “feedback” that he
understood the message addressed to him by the sender or transmitter.
But the quasi totality of our experience poses a problem of
comprehension of speech and then, the incomprehension. When can
we accept that there is comprehension in an act of speech? This
article answers these two questions in order to identify the
comprehension environment. This analysis provides to linguistics and
grammar all their importance. WITTGESTEIN develops the paradigm
of the communicability by introducing a new conception of meaning
and reason.
To answering this preoccupation, he precedes by the analysis of
speech game theory, of the notion of the use and meaning of words,
the grammar of words and at least the notion of pragmatics.
Indeed, the speech must be understood as a game, because in a
game, people must respect the rules which are used: the words and
their uses are linked by the language. The persons who play a speech
game, in the communication and who play different rules can have the
difficulties to understand each other. Other people can have different
interpretations of the rules or simply use them in the opposite
meanings. Those are some of factors that make incomprehension of
language.
0. INTRODUCTION
Il existe de nos jours un engouement universel de la pensée
autour du langage comme le témoigne la multiplication des sciences
du langage.
1
Professeur Associé à l’Université de Kisangani
1
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Quoiqu'il en soit, le langage verbal occupe une place privilégiée
dans la vie humaine parce que, dans ses rapports avec le cosmos, c'est
le langage parlé qui différencie l'homme de tous les autres vivants. Le
langage fait l'homme et l'homme est essentiellement un être de
langage. Le langage est la clé de l'existence humaine. Comprendre le
langage, c'est sans doute comprendre l'être de l'homme et ses multiples
relations.
C'est grâce au langage qu'on peut parler de l'homme pensant.
Dans les rapports intersubjectifs, le langage articulé joue un rôle de
premier plan dans l'expression et la communication. Il s'agit du rôle
ontologique du langage.
Les anciens, comme Platon, s'interrogent sur la nature du
langage et s'intéressent au rapport entre langage et nature. Pour Platon,
le langage est une création qui découle de l'essence des choses. Mieux
que Platon, les stoïciens notamment, Sextus Empiricus et Diogène
Laërce, ont porté leur attention sur le langage en marquant l'opposition
entre signification (Semainon) et signifié (Semainomenon). Les
stoïciens préfigurent la linguistique et ouvrent une longue tradition
grammaticale.
Cependant, dans cette situation de langage, mieux dans la
totalité de notre expérience, se pose un problème de "la
compréhension" du langage: tel est le problème philosophique qui
attire notre attention dans cet article. Qu'est ce qui peut faire obstacle à
la compréhension dans un acte de langage et entraîner des
malentendus? En outre, quand pouvons nous affirmer qu'il ya
compréhension dans un acte de langage? C'est à ces deux
interrogations que Wittgenstein tente de répondre à travers son
ouvrage " les investigations philosophiques" (L. WITTGENSTEIN,
1961), afin d'identifier l'environnement de la compréhension et de
chercher à s’échapper à ce que nous disons lors que surgit une
contradiction (je ne l'ai pas entendu ainsi).
De ce qui précède, notre investigation suivra une progression
analytique qui nous conduira vers la conception wittgensteinienne du
langage contenu dans ses deux moments de pensée. En effet, plusieurs
philosophes, de Francis Bacon à Carnap, en passant par Locke,
Leibniz, dénoncent l'inadéquation du langage quotidien et l'abus des
mots. Plusieurs autres, prenant le contre-pied, reposent leur espoir sur
une analyse minutieuse du langage ordinaire pour accéder à des
connaissances incluses dans son usage. C’est justement ce qu'on
appelle la philosophie du langage ordinaire, née de la seconde
philosophie de Wittgenstein et de la critique de Russel par Strawson.
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1. LA CONCEPTION WITTGENSTEINIENNE DU LANGAGE
Wittgenstein est certainement l’un des philosophes les plus
importants et les plus discutés du XXème siècle, mais aussi les plus
difficiles. Notre tâche, ici, vise d'abord à faciliter l'accès à cette pensée
et à faire apparaître non seulement les problématiques centrales, mais
aussi l'unité profonde de la pensée de cet auteur. Pour ce faire, la
seule solution consiste à varier les points de vue, afin de jeter la clarté
sur certains aspects de la conception wittgensteinienne du langage.
En effet, notre analyse considérera les deux moments de la
pensée de notre auteur pour saisir sa conception du langage. Le
premier moment s'inscrit dans le mouvement de l'analyse logique
inaugurée par Frege et Bertrand Russel; le second fonde une analyse
informelle centrée sur les différents types d'usage du langage naturel.
Cette analyse pragmatique du langage, qui opère une rupture radicale
d'avec la conception traditionnelle encore admise par l'approche
logiciste du langage et du monde, sera poursuivie par les "Philosophes
du langage ordinaire" à l'instar de J. L. Austin et J. Searle.
La première philosophie de Wittgenstein est entièrement
contenue dans le "Tractatus logico-philosophicus" qui est le seul
ouvrage publié de son vivant. Dans la préface, Wittgenstein indique
que son propos est de montrer que "La formulation (des problèmes
philosophiques) repose sur une mauvaise compréhension de la logique
de notre langage", et il considère avoir "Résolu définitivement ces
problèmes". (L. WITTGENSTEIN, 1961, p.26).
L'ouvrage se compose de sept aphorismes, rigoureusement
ordonnés en une structure hiérarchique qui se déploie à sept niveaux.
Cependant, c'est dans son quatrième aphorismes ou thèse, que nous
pouvons commencer à ressortir sa conception du langage. A travers
cet aphorisme, Wittgenstein souligne à la fois l'inadéquation d'une
explication psychologique du phénomène, et son lien avec quelques
unes de ses préoccupations. Il développe le rôle crucial joué par le
langage comme mode privilégié de représentation. Le langage, selon
lui, est l'ensemble des propositions qui articulent des signes
élémentaires selon les règles de la syntaxe logique. Les signes
élémentaires nomment les objets, et leur combinaison décrit leur
articulation dans l'état des choses. Aussi la proposition peut-elle
constituer l'image du fait.
A titre illustratif, il considère la proposition aRb. Elle est l'image
du fait a-dans-la relation-R-à-b. Le sens de la proposition souligne
Wittgenstein, est ce qu'elle représente: "un nom est mis pour une
chose, un autre pour une autre, et ils sont reliés entre eux, de telle
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sorte que le tout, comme un tableau vivant, figure un état des choses".
Ainsi, "aRb" montre la relation entre a et b. En tenant à dire cette
relation, l'analyse "tue": si nous disons que cette proposition est
composée de deux objets, a et b, et d'une relation R telle que a en est
le premier élément et b le second; on annule le caractère relationnel de
la relation. De ce constat, déjà fait par Frege et Russel, Wittgenstein
conclut à l'opposition radicale entre dire et montrer: "ce qui peut être
montré ne peut être dit" (L. WITTGENSTEIN, 1961, p.26).
Ainsi, le sens, la pensée vivante, la fonction représentative de la
proposition se montrent par ce qui est dit, mais qui ne saurait se dire.
La philosophie a alors pour fonction d'indiquer la frontière entre le
dicible et l'indicible. Son but est la clarification logique des pensées.
Elle n'est pas théorie mais activité thérapeutique.
L'auteur du Tractatus développe cette fonction de la logique,
laquelle fournit à priori toutes les possibilités de combinaisons des
propositions élémentaires en propositions complexes. Si l'on se donne
deux propositions élémentaires, il y aura plusieurs possibilités de
vérité, les différents opérateurs logiques retenant sélectivement
certaines possibilités.
Les propositions complexes sont ainsi fonctions de vérité des
propositions élémentaires. Il est toutefois un cas remarquable où la
structure logique de la proposition complexe est telle qu'elle est vraie
quelle que soit la valeur de vérité des propositions élémentaires: tel est
le principe du tiers exclu. On a alors une tautologie, qui n'est pas
image d'un fait particulier mais, il vaut pour tout fait. En ce sens, cette
proposition valide ne dit proprement rien. Elle n’est pas dénuée de
sens mais simplement de contenu. Les observations ainsi établies nous
permettent de comprendre la théorie du langage de Wittgenstein.
1.1. Le langage: le miroir, le tableau du monde
L'auteur du Tractatus utilise la métaphore du miroir et du
tableau pour désigner le langage. En effet, les mots y remplacent les
choses, mais les deux structures restent les mêmes.
La théorie du langage présentée dans le Tractatus, dont le noyau
se trouve dans la théorie du tableau affirme qu'il y a une
correspondance structurelle entre le monde et le langage.
De même que le monde est l'ensemble des faits, les états des
choses sont des entités complexes, ainsi les propositions sont des
unités complexes. En effet, nous pouvons dire que, dans la structure
du Tractatus, nous trouvons d'abord une ontologie. Ensuite, vient une
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théorie du tableau, enfin une analyse détaillée de la structure générale
du langage.
Le langage est le miroir, le tableau du monde. (L.
WITTGENSTEIN, 1961, p.29). Cependant, l’ontologie s'exprime dans
la première thèse qui stipule que "le monde est tout ce qui arrive" (L.
WITTGENSTEIN, 1961, p.29). Cette thèse est explicitée dans les
propositions suivantes:
a) Le monde est l'ensemble des faits et non des choses;
b) Le monde se dissout en faits. La notion elle même des "faits" est
explicitée dans la deuxième thèse qui stipule: "ce qui arrive, les
faits, est l’existence d'états des choses" (L. WITTGENSTEIN,
1961, p.31).
L'auteur note, encore ici, que le monde n'est pas fait d'individus,
de substances, mais bien "d'états des choses". Cela signifie, selon lui,
que le monde n'est pas ce que nous voyons, c'est-à-dire l'ensemble
d'objets matériels, par exemple poissons, bêtes, etc. Cependant, un état
des choses est une entité complexe, il est fait d'objets. Pour rendre
compte des états de choses, on doit postuler des éléments ultimes,
irréductibles appelés des objets. Toutefois, les objets n'ont pas
d'existence par eux mêmes; ils n'existent que dans le contexte des états
de choses auxquels ils appartiennent. Un état de choses est une
combinaison d'objets.
1.1.1. Le tableau
Le tableau est, pour Wittgenstein, une transposition de la
réalité (L. WITTGENSTEIN, 1961, p. 10). Le tableau réside dans le
fait que ses éléments ont des rapports déterminés. Ces rapports
tiennent à ce que les choses se comportent de la même manière les
unes envers les autres. Cette connexion d'éléments du tableau, nous
pouvons la nommer sa structure. Tandis que la forme de la
représentation ou la possibilité de sa structure est la possibilité que les
choses se comportent les unes vis-à-vis des autres comme les éléments
du tableau. Le tableau est ainsi lié à la réalité. Il est comme un étalon
de mesure qui "colle" avec la réalité. (L. WITTGENSTEIN, 1961,
p.31).
Le fait d'être tableau implique qu'il y ait quelque chose de
commun entre le tableau et ce qu'il représente. Il faut, dans le tableau
et dans ce qui est représenté, qu'il y ait quelque chose d'identique,
pour que l'un puisse être un tableau de l'autre au sens précis du terme.
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1.1.2. La théorie du monde
Dans le premier moment de sa recherche scientifique,
Wittgenstein expose la clef d'une bonne interprétation de la pensée.
Elle consiste dans la saisie correcte de la conception du monde qui est
le fondement de sa première pensée philosophique.
En effet, le monde est, pour lui, tout ce qui arrive, l'ensemble
des faits positifs et négatifs. Ce monde est circonscrit, réel, ayant des
propriétés matérielles et descriptibles. Cela nous laisse entendre que
dans la connaissance de ce monde, l'abstraction fait place aux données
matérielles et expérimentales. Pour Wittgenstein, le monde a une
substance telle que nous pouvons y projeter une image vraie ou fausse.
Le premier aphorisme de Wittgenstein, qualifié d'ontologique,
nous présente cette conception du monde, thèse qui lui permet
également de souligner que le monde est l'ensemble de faits, non pas
de choses: le monde est dissout en faits. (L. WITTGENSTEIN, 1961,
p.29).
Le monde wittgensteinien n'est donc pas l'ensemble des choses
(pierres, voitures, l'eau, ordinateurs...) mais, il est composé des faits,
entendus comme ce qui a lieu, ce qui arrive. Ainsi, pour Wittgenstein
I, le monde est la totalité des faits inscrits dans l'espace logique. (L.
WITTGENSTEIN, 1961, p.29).
Quelles sont donc les conséquences de la vision du monde ainsi
délimitée et quels en sont les enjeux?
Il sied de noter, au préalable, que la rigoureuse restriction du
monde élaborée par notre auteur vise à réaliser de manière concrète
une séparation entre la métaphysique et la science. Alors que la voix
de cette dernière est entendue, la métaphasique, elle, est vouée à la
disparition. En cette première moitié du 21ème siècle, où elle devrait
s'affirmer davantage, Wittgenstein propose un moyen pour éviter les
erreurs et les non-sens, déterminant le cadre dans lequel se donne la
signification. Il y parviendra à travers le principe de vérifiabilité et par
le biais de la correspondance qui s'établit entre le langage et le monde.
C'est ce qui nous permet d'échapper à l'emprise de la métaphasique
erronée. Ainsi, l'auteur nous conduit, grâce à sa vision du monde, à
nous limiter à ce qui est sensé, vérifiable, en abandonnant ce qui nous
échappe, ce qui est hors de notre portée.
Il ressort de cette analyse de Wittgenstein que le monde n'est pas
l'ensemble des arbres, mers et rivières (...). Par contre, son monde est
l'ensemble des faits positifs et négatifs relatifs au langage.
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1.2. LA PENSEE ET LE LANGAGE
Quel rapport Wittgenstein établit-il entre pensée et langage?
Pour lui, le tableau logique des faits constitue la pensée (P.
KAMPITS, 1995, p.12). La pensée contient la possibilité de l'état des
choses qu'elle pense. Ce qui est pensable est également possible. Tout
ce que nous pensons est logique. Dans la proposition, la pensée
s'exprime d'une manière perceptible aux sens. Le signe propositionnel
réside dans le fait que les éléments de la proposition, les mots, se
rapportent en elle, les uns aux autres d'une manière déterminée. La
proposition est une image de la réalité, car nous connaissons l’état des
choses qu’elle représente si nous connaissons la proposition.
De ce qui précède, nous pouvons affirmer le rapport entre la
pensée et le langage: ils sont et restent inséparables. Il n'ya pas, d'une
part, la pensée et d'autre part, le langage. En tant que forme humaine
d'orientation dans le monde, la pensée est l'unité même du langage.
12
(W. BADIKA, 1981, p.116).
Le Tractatus tire avec éclat les conséquences philosophiques de
la révolution introduite par Frege et Russel. Aucune entreprise critique
ne peut désormais se déployer dans le champ de la pensée pure. La
pensée se constitue dans et par un langage soumis aux règles de la
logique. Comme tel, le Tractatus aura une influence décisive sur les
positivistes logiques du cercle de vienne (qui, toutefois ne retiendront
pas son "mysticisme").
Cependant, le "premier Wittgenstein" demeurait tributaire des
présupposés classiques. Même si elle devient structurale et projective,
la relation entre le langage et le monde relève encore de la
représentation, et la vérité se définit toujours en termes de
correspondance. De plus, même si le sujet, comme point aveugle, n'est
plus fondement de la représentation, la logique, qui assume la position
transcendantale en fournissant les conditions d'intelligibilité du réel
comme du langage, joue le rôle de fondement. Ces derniers
présupposés, qui attribuent à la logique un rôle de représentation et de
fondation, seront récusés par le "second Wittgenstein".
Ce passage de la première à la seconde philosophie de
Wittgenstein n'est pas un changement de méthode, mais une extension
de la méthode du Tractatus au langage ordinaire 13 (L. SANDRA,
2001, p.11).
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2. LE PARADIGME DE LA COMPREHENSION CHEZ
WITTGENSTEIN
Nous allons suivre ici Wittgenstein dans les "Investigations
philosophiques" (L. WITTGENSTEIN, 1961) pour découvrir
l'environnement de la compréhension dans les jeux du langage. En
effet, Kant a réfléchi sur les conditions de la connaissance dans
l'affirmation de l'être par l'ontologie, mais il a passé sous silence la
dimension du langage, dans son entreprise.
De ce fait, il faudra attendre Frege, Russel, Moore et le
mouvement analytique, avec un apport décisif de Wittgenstein, pour
que le langage ait droit de cité dans la réflexion critique. C'est ainsi
qu'avec l'affirmation de la simultanéité de la genèse des jeux du
langage, Wittgenstein remet en valeur le paradigme de la
communicabilité en introduisant une nouvelle conception du sens et
de la raison. La question qui se pose est celle de localiser
l'environnement de la signification dans l'exercice de la
communication ou dans un dialogue.
Pour répondre à cette préoccupation, nous analyserons d'abord la
théorie du jeu de langage, ensuite la notion de l'usage et de la
signification d'un mot, la grammaire d'un mot, enfin la notion de
pragmatique.
2.1. LES "JEUX DE LANGAGE" CHEZ WITTGENSTEIN
Désormais, l'unité de signification ne réside plus dans la forme
logique d'une proposition atomique qui n'aurait qu'une fonction
descriptive, mais dans les règles d'usage comportant non seulement
l'emploi linguistique, mais surtout l'utilisation pratique des signes à
l'intérieur d'un jeu de langage comme donner l'ordre et exécuter,
montrer une histoire et la lire, interpréter une langue dans une autre,
etc.
A l'approche atomiste d'inspiration logique succède une
conception plus globale, fondée sur l'usage coutumier du langage
naturel. Les "jeux du langage", loin de se révéler de purs exercices
verbaux, constituent des activités qui gouvernent tant les relations des
hommes entre eux que leurs rapports respectifs au monde. Ainsi, sontils dépendants d'une forme de vie, d'une pratique sociale,
historiquement et culturellement déterminée, le langage ne se
composant plus de la totalité des propositions, mais d'une multiplicité
ouverte de jeux de langage qui s'organisent en un réseau complexe.
L'objet de la grammaire est alors de discerner des "aires de famille"
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entre certains jeux et, plus largement, de saisir en une "figuration
synoptique" leurs relations de ressemblance et de différence. La
logique, jeu parmi d'autres, perd désormais toute prétention fondatrice.
Cette transformation manifeste de la conception du langage
laisse toutefois subsister dans les deux philosophies de Wittgenstein
une communauté de préoccupations. Ainsi, la pensée demeure
tributaire du langage. Quant à la philosophie, qui dès le Tractatus se
définissait comme "activité", elle demeure une pratique d'élucidation
des pièges du langage nés des confusions entre jeux de langage. Les
investigations philosophiques proposent une autre théorie plus flexible
qui se résume comme suit: la signification d'un mot ne réside pas dans
sa référence concrète, mais dans son emploi dans le langage. De ce
fait, le langage doit être conçu comme un jeu, car dans un jeu, les gens
doivent respecter les règles qui leur sont attribuées: les mots sont
réglés par le langage : description d'un objet d'après son apparence, ou
d'après ses mesures; construction d'un objet d'après un dessin ou une
description; compte- rendu d'un processus, traduction d'une langue
dans une autre, demande, remerciements, salutations, prière, serment...
voilà autant de jeux de langage. Il est impossible qu'une règle ne soit
suivie qu'une seule fois. La signification est réglée par l'usage
commun.
2.2. USAGE ET COMPREHENSION D'UN MOT DANS LE
LANGAGE
Pour Wittgenstein, les mots sont comme des outils dans une boite
à outils. En effet, les mots sont des instruments de la langue qui
peuvent avoir différentes utilisations, selon les fins pour lesquelles la
langue est utilisée. Aussi, ya t-il différentes manières dont les mots
sont utilisés pour nous aider à structurer nos concepts de la réalité.
Le sens d'un mot peut être défini par la façon dont il est utilisé
comme un élément du langage. Un mot peut requérir des
significations différentes selon qu'il est utilisé dans tel ou tel autre jeu
de langage. Et, il est sans conteste que l'environnement exact dans
lequel l'auditeur peut bien saisir le message de son orateur est le
contexte dans lequel le mot est utilisé par son orateur, à travers son
discours. Il y a lieu d'ajouter, à la suite de Wittgenstein, que la
signification d'un mot trouve également sa spécification dans la
différence avec les autres mots utilisés dans la même proposition. (R.
QUILLIOT-BOUVERESSE, 1969, p.145).
Toutefois, les règles d'un jeu de langage peuvent changer, et des
règles différentes peuvent être appliquées à de différents jeux. Pour
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Wittgenstein, il n'y a pas de règles uniques qui seraient communes à
tous les jeux.
Dans la mesure où les jeux de langage n'ont pas les mêmes
règles, les mots qui sont utilisés dans un jeu peuvent ne pas avoir le
même sens lors qu'ils sont utilisés dans un autre jeu.
Wittgenstein décrit l'activité de l'utilisation de la langue comme
étant pareil à un jeu de chèque. Les mots sont comme les pièces sur un
chéquier. Chaque mot a une utilisation différente ou une fonction dans
le jeu de langage. L'auteur ne définit pas le « jeu » en soit, mais il
donne des exemples de divers jeux, comme les chèques, tennis,
cricket, etc. Chaque jeu a son propre ensemble des règles et se joue
différemment.
Les personnes qui jouent un jeu de langage, et qui jouent par des
règles différentes, peuvent avoir des difficultés à se comprendre les
uns les autres. Les gens peuvent avoir des interprétations différentes
des règles ou peuvent appliquer des règles différentes. Ils peuvent,
dans certains cas, décider des règles d'un jeu pendant qu'ils jouent le
jeu.
Wittgenstein affirme que l'incapacité à comprendre les mots, ou
l'échec d'utiliser des mots clairement, peuvent souvent être causés par
l'incompréhension de la façon dont les mots sont utilisés dans un jeu
de langage. Le défaut de communiquer clairement peut être causé par
l'utilisation des mots qui ont une signification peu claire et
indéterminée, ou par manque de compréhension de la relation entre les
sens d'un mot et la façon dont il est utilisé. L'auteur soutient également
que l'utilisation ou la signification d'un mot peut changer en fonction
de changements dans les circonstances et la scène d'un jeu de langage.
Pour utiliser les mots de façon significative, les gens doivent décider
de la langue du jeu qu’ils veulent jouer et de la manière dont ils
veulent jouer.
Wittgenstein explique que lorsque les gens communiquent entre
eux ils peuvent avoir à choisir entre un langage privé et un langage
commun. Les règles d'un langage privé peuvent ne pas être les mêmes
que celles d'un langage commun. Le sens d'un mot dans une langue
privée ne peut pas être le même que celui d'un mot dans une langue
commune. Les gens peuvent avoir besoin d'un langage commun afin
de partager une compréhension de la signification d'un mot.
Le lien entre un mot et sa signification peut être arbitraire. Par
exemple l'utilisation du mot "Léopard" ou "Lion" peut être
significative si elle est compatible avec les règles d'un jeu de langage:
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l'auditeur est appelé à chercher la signification de ces deux mots
(Léopard ou Lion) dans le contexte où l'environnement de leur usage.
Un Congolais peut choisir d'utiliser le mot léopard pour décrire
l'équipe nationale de la République Démocratique du Congo, ou
utiliser le mot "Léopard" pour designer l'animal sauvage; un
camerounais peut aussi utiliser le mot "Lion" pour décrire un animal
sauvage ou pour désigner l'équipe nationale du Cameroun.
Dans certains cas, l'utilisation des mots peut ne pas être régie par
des règles, ou se produire au-delà des limites d'un jeu de langage. En
pareils cas, des combinaisons sans but ou de sens d'un mot peuvent ne
pas être régies par les règles de tout jeu de langage.
Wittgenstein recommande, dans ce cas, à tout orateur désirant
être compris dans son discours ou dialogue, d'utiliser un langage de
tout le monde, et donc de renoncer à ce qui, en lui, le fait différent de
tout le monde. Car, la compréhension de ce qui est désigné par un mot
particulier peut parfois dépendre d'une expérience de tout ce qui est
désigné par ce mot. (L. WITTGENSTEIN, 1961, p. 225).
2.3. DE LA GRAMMAIRE DANS LE SECOND DE WITTGENSTEIN
Dans sa vision de la philosophie comme remède, Wittgenstein
note qu'un problème philosophique est mal posé quand nous nous
référons, en jouant un jeu de langage fixé, à un autre jeu de langage.
Avant d'aborder la grammaire selon Wittgenstein, il sied de clarifier
cette notion.
De manière générale, la grammaire est la science des règles du
langage parlé ou écrit; c'est l'ensemble de règles qui régissent la place
des mots pour construire correctement une phase. Il s'agit surtout de la
position des mots dans la proposition, de l'aspect purement formel du
langage que les règles permettent d'étudier sans référence à sa
signification ou à l'usage qu'on en fait (...). La grammaire, au sens
classique, c'est le système de classification des parties du discours.
(G. NDUMBA, 1981, p.32).
Par ailleurs, on peut définir la grammaire comme l'ensemble des
règles à suivre pour bien parler et écrire correctement une langue
déterminée, par exemple la grammaire française, la grammaire
anglaise (...). Par contre, ce mot requiert un tout autre sens chez
Wittgenstein. Pour lui, la grammaire d'un mot est l'ensemble des
règles de son usage effectif dans un jeu de langage particulier. Elle
n'est pas un système de réglementation formelle de la parole et de
l'écriture tel que contenu dans un dictionnaire ou dans un traité de la
grammaire; elle emprunte à des domaines très divers et dirige la
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totalité d'aspects interdépendants de la vie impliquée dans un jeu de
langage. (G. NDUMBA, 1981, p.9).
Dans les investigations philosophiques, Wittgenstein distingue
deux catégories de grammaire: une "Grammaire de surface" et une
"Grammaire de profondeur". En effet, la grammaire de surface est
celle qui traite du mode d'utilisation des mots dans la structure d'une
expression particulière, de la partie de son usage qui intervient dans la
construction d'une proposition. C'est une grammaire qui s'occupe des
formes du langage, de ses structures acoustiques. Cette grammaire est
insuffisante pour exprimer à elle seule le sens d'un mot ou d'une
proposition.
La grammaire de profondeur est celle qui s'intéresse au sens que
sous-tend un jeu de langage au sein duquel un mot est appelé à remplir
son rôle. Celle ci ne peut se découvrir que dans et par l'usage d'un
mot. Elle s'occupe aussi bien des règles syntaxiques que du contenu
sémantique d'un mot et des propositions. Elle est une grammaire
pragmatique.
CONCLUSION
La réflexion qui s’achève
a porté sur la question de
l'environnement de la compréhension dans les jeux du langage chez
Wittgenstein. Le problème fondamental qui a retenu notre attention à
travers sa vision du langage est l'analogie par laquelle Wittgenstein
conçoit le langage comme le miroir du monde. Le langage ne doit pas
être inventé. Au contraire, le langage, pour être un bon miroir, doit
aller à la réalité, il doit avoir des rapports avec le contenu de la réalité,
c'est-à-dire il doit donner sens. Et en donnant ce sens, il dévoile non
seulement l'homme, mais traduit aussi les préoccupations d'un lieu et
d'une époque. C’est pour cette raison que le langage est perçu comme
un instrument à travers lequel la réalité devient visible. En effet,
l'homme est un être de communication. Cependant, une
communication dénouée de compréhension n'est pas une
communication.
Très souvent, l’incapacité de comprendre les mots ou l'échec
d'utiliser clairement les mots est causé par l'incompréhension de la
façon dont les mots sont utilisés dans un jeu de langage. Le défaut de
communiquer peut aussi être causé par l'utilisation des mots ayant une
signification peu claire ou indéterminée, par manque de
compréhension de la relation entre les sens d'un mot et la façon dont il
est utilisé. Pour utiliser les mots de manière significative, les
locuteurs doivent décider de la langue du jeu qu'ils veulent jouer et de
la manière dont ils veulent jouer.
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BIBLIOGRAPHIE
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Trad.de
P.
CLOSSWKI, Introd. de B. RUSSEL, Paris,
Gallimard, 1961.
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