! L’autonomie écossaise: approche socio- économique à l’aube du référendum sur l’indépendance

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Université de Lyon
Université Lumière Lyon 2
Institut d’Etudes Politiques de Lyon
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L’autonomie écossaise: approche socioéconomique à l’aube du référendum sur
l’indépendance
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Présenté par Benoît Reboux
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Mémoire de recherche de Quatrième Année
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Séminaire « La construction européenne et l’euro à la croisée des chemins: évaporation,
dislocation, approfondissement »
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Année 2013/2014
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Sous la direction de
Mr Laurent Guihéry
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Membres du jury:
Mr Laurent Guihéry
Mr Frédéric Herrmann
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Soutenu le 4 septembre 2014
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REMERCIEMENTS
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Je tiens à remercier tous mes proches pour leur soutien moral, et plus particulièrement
Elise, sans qui ce mémoire n’aurait probablement pas vu le jour.
Merci également à mon directeur de mémoire, Mr Laurent Guihéry.
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SOMMAIRE
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Partie 1: Un modèle écossais ? Analyse socio-économique de l’Ecosse actuelle
p.10
Chapitre 1: L’économie écossaise: histoire, structure ! !
et conjoncture au début du XXième siècle
p.10
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Chapitre 2: Une social-démocratie britannique ? !
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Partie 2: Quelles trajectoires pour l’autonomie écossaise ?
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Chapitre 1: Du Scotland Act 2012 à la Devo-Max, la place de l’Ecosse dans un Royaume-uni unitaire
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Chapitre 2: L’Ecosse indépendante: possibilités et enjeux
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p.35
p.54
p.55
p.75
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INTRODUCTION
« Should Scotland become an independent country ? », telle est la question1 sur
laquelle les cinq millions d’écossais devront se prononcer le 18 septembre 2014. Sept ans
après son arrivée au pouvoir en Ecosse, et trois après avoir gagné la majorité absolue des
sièges2 au Parlement d’Holyrood3, le Scottish National Party (SNP, ou Parti National
Ecossais) est tout proche d’atteindre son but historique: l’Ecosse est aux portes de
l’indépendance, plus de trois cent ans après son entrée dans l’Union avec l’Angleterre.
Alex Salmond, le talentueux4 First Minister de l’Ecosse, s’est appuyé sur les réussites de
la dévolution que son parti n’avait pourtant soutenue que du bout des lèvres, pour
construire la légitimité de son gouvernement à négocier l’indépendance de la nation
écossaise. Quatre-vingt ans après la création du SNP, celui-ci a su opérer sa mue pour se
porter jusqu’au pouvoir et de ce fait entrer à la table des négociations5.
Ce succès électoral et politique d’un parti indépendantiste est significatif à plus d’un
titre. Premièrement, il s’inscrit dans un mouvement plus large au niveau européen de
reconstruction de l’identité politique dans les démocraties occidentales. Catalans,
basques, flamands, et dans une moindre mesure, bretons, corses ou bavarois, affichent
leurs différences par rapport aux pouvoirs centraux et réclament la reconnaissance de
1
Le référendum a été négocié entre les gouvernements écossais et britannique, représentés respectivement
par Alex Salmond, le First Minister écossais, et David Cameron, le Premier Ministre britannique, lors d’un
accord connu sous le nom d’Edinburgh Agreement (accord d’Edimbourg). Signé le 18 Septembre 2012,
celui-ci encadre, outre la question posée, la tenue du référendum, dont les modalités et l’organisation ont été
confiées à la commission électorale du Parlement écossais. Celle-ci a déterminé la formulation exacte de la
question. Si le gouvernement écossais a réussi à étendre la franchise électorale aux jeunes de 16 ans,
réputés plus enclins à soutenir l’indépendance, le gouvernement britannique a imposé que le référendum ne
contienne qu’une seule question sur l’indépendance, et non une deuxième portant sur l’approfondissement
de la dévolution, ce qui aurait donné un mandat aux indépendantistes en cas de réponse positive à cette
deuxième question pour négocier plus de pouvoirs.
2
En 2007, pour la première fois depuis 1999 et la réouverture du Parlement Ecossais, le SNP remporte les
élections pour un siège (47 sur 129) devant le Labour (46) et forme un gouvernement minoritaire. Alex
Salmond devient le quatrième First Minister. En 2011, le SNP remporte cette fois la majorité absolue des
sièges (65), loin devant le Labour (38).
3
Le Parlement écossais est également appelé Holyrood Parliament, ou Parlement d’Holyrood, du nom du
quartier qui abrite son siège, en bas de l’artère principale d’Edimbourg, le Royal Mile, et juste en face d’un
autre symbole de pouvoir, le Holyrood Palace, résidence officielle de la couronne britannique en Ecosse.
4
Salmond est considéré par la presse britannique comme l’un des meilleurs hommes politiques de GrandeBretagne. Voir notamment, « L’homme qui veut libérer l’Ecosse », Le Monde.fr, 07.04.2012, disponible ici:
http://abonnes.lemonde.fr/archives/article/2012/04/07/l-homme-qui-veut-liberer-lecosse_4325335_1819218.html
5
Pour une histoire du SNP, voir Mitchell et al. (2011) The Scottish National Party : Transition to Power.
Oxford University Press, Oxford
5 sur 107
leurs spécificités, notamment politiques. Au-delà des mouvements nationalistes, on
semble assister aujourd’hui à un développement de plus en plus marqué de l’échelon subétatique, des régions ou provinces, qui prennent une place grandissante dans le
processus politique. Que l’on parle de glocalisation6 si l’on veut se placer dans un contexte
mondialisé, ou bien de gouvernance multi-niveaux, on retrouve un phénomène de
relocalisation du pouvoir, de transferts de compétences vers des échelons jugés plus à
même de comprendre un territoire spécifique, et donc de mettre en place des politiques
plus efficaces.
Deuxièmement, le nationalisme écossais moderne se réclame non pas d’une nation
ethnique, comme dans la conception allemande, mais d’une nation civique, davantage
dans la tradition française héritée d’Ernest Renan: pour les nationalistes, est écossaise
toute personne qui est née en Ecosse, mais également tous ceux qui y vivent et
travaillent, ou bien y ont gardé une attache forte. La nation écossaise défendue par les
nationalistes du SNP comporte donc aussi bien des écossais de souche que des
immigrés, et notamment une large proportion d’anglais. Si la construction de l’identité
écossaise s’est largement basée sur l’opposition avec l’Angleterre, notamment jusqu’à
l’Union de 1707, les liens économiques, familiaux et politiques sont aujourd’hui
extrêmement forts d’un côté et de l’autre de la Tweed, le fleuve qui marque historiquement
la frontière entre les deux pays.
Enfin, le nationalisme écossais se veut fondamentalement positif. Certes, une large
partie de son argumentation est constituée par la dénonciation de ce qui se fait en
Angleterre, et ce notamment depuis l’arrivée au pouvoir des conservateurs en 2009.
Cependant, le projet nationaliste tel qu’il est porté par le SNP constitue davantage une
mise en valeur des atouts économiques et sociaux de l’Ecosse aujourd’hui, et prône la
mise en place de nouvelles politiques pour mettre en valeur le potentiel de la nation. Dans
la même veine, le nationalisme écossais ne semble pas être qu’un simple égoïsme
économique d’un territoire plus prospère cherchant à s’émanciper d’autres territoires plus
à la traine, comme pourrait l’être le mouvement pour la Padanie en Italie. Même si
l’Ecosse est une nation riche avec des ressources naturelles très importantes, elle ne
subventionne pas le reste du Royaume-Uni et n’affiche pas une prospérité éclatante par
rapport aux autres nations britanniques (nous reviendrons sur ces éléments dans notre
développement). A bien des égards, le nationalisme écossais est donc unique en Europe.
6
Selon le néologisme, contraction de « globalisation » et « localisation », dont la paternité est accordée au
sociologue américain Roland Robertson.
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Par ailleurs, comme tous les nationalismes, il s’appuie dans une large partie sur
l’histoire du pays pour justifier son projet politique. On ne peut en effet douter que l’Ecosse
soit historiquement une nation distincte de l’Angleterre. Sans remonter au Moyen-Age ou
même à l’époque romaine (même si cela serait possible), affirmons déjà que jusqu’en
1603, l’Ecosse et l’Angleterre formaient deux nations formellement distinctes, avec deux
monarques et deux systèmes politiques différents. Le hasard dynastique de l’époque fit
qu’en 1603, le roi d’Ecosse se trouva être le descendant légitime du trône d’Angleterre.
Les deux nations entrèrent alors dans une Union dynastique, qui déboucha en 1707 sur
une Union politique complète. Ce Traité d’Union fut signé entre les deux nations, qui en
créèrent une nouvelle, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne, plus tard rejoint par l’Irlande.
Il faut cependant insister sur le fait que l’Ecosse, à la différence de la situation du Pays de
Galles ou en Irlande, ne fut pas colonisée par l’Angleterre. L’Union se fit entre deux Etats
égaux, même si la taille et l’importance politique et économique de l’Angleterre ont
toujours créé une asymétrie.
Ainsi, le traité d’Union posa le respect de l’autonomie écossaise comme une
condition non négociable. L’Ecosse maintint le contrôle sur trois institutions civiles, qui
participèrent au développement d’un gouvernement écossais largement autonome: les
trois institutions sont l’Eglise presbytérienne, le système juridique et l’éducation7. Si
l’Ecosse a choisi de renoncer à sa souveraineté parlementaire en 1707, c’était avant toute
chose pour profiter de la prospérité de l’Empire anglais en formation, l’adage populaire à
l’époque allait ainsi « Bought and sold for English gold ». Si cette formule dénonçait plutôt
la corruption des parlementaires écossais lors du vote, l’Ecosse a au final largement
profité de l’Union sur le plan économique, faisant d’elle une des nations les plus riches des
XVIIIème et XIXème siècles. Les velléités d’indépendance n’ont certes jamais
complètement disparu, mais un mouvement puissant, porté par les élites écossaises
s’enrichissant à Londres et dans les colonies, s’est développé: le nationalisme-unionisme.
Cette doctrine soutenait que le meilleur moyen de défendre les intérêts de l’Ecosse était
l’Union avec l’Angleterre. D’une certaine façon, ce mouvement se retrouve aujourd’hui
dans la campagne Better Together.
La fin de l’Empire et les difficultés économiques de la période post-Seconde Guerre
Mondiale mirent à mal le nationalisme-unionisme, et l’identification des écossais avec le
reste du Royaume-Uni. La montée du nationalisme politique débuta dans les années
1930, avec la création du SNP en 1934. Les revendications autonomistes et
7
Pour une analyse détaillée des institutions historiques de l’Ecosse, voir Leruez, 2000, p.49-66
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indépendantistes ne cessèrent de se développer tout au long du XXème siècle, et
notamment après la découverte d’importantes ressources pétrolières au large des côtes
écossaises dans les années 1970, tandis que l’identification des écossais à leur nation
devint de plus en plus marquée8. Elles aboutirent en 1999 à un processus connu sous le
nom de « dévolution ».
Celle-ci désigne en fait la création d’une large autonomie politique aux nations
périphériques britanniques. Si le Royaume-Uni reste unitaire, avec pour seul parlement
souverain le Parlement de Westminster à Londres, l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Irlande
du Nord ont une assemblée locale9 élue démocratiquement par les citoyens écossais,
gallois et nord-irlandais. Ces assemblées se sont vues accorder de larges domaines de
compétence, notamment pour la gestion des affaires internes, en accord avec leurs
spécificités. En Ecosse, la dévolution était vue comme un moyen de faire taire les
revendications indépendantistes. Force est de constater que cet objectif n’a pas été
atteint. L’Ecosse n’a jamais été aussi proche de devenir indépendante, seulement quinze
ans après l’ouverture du Parlement d’Holyrood.
Qu’est-ce qui pousse le SNP à vouloir sortir du Royaume-Uni ? Pourquoi la
dévolution n’a-t-elle pas permis de donner à l’Ecosse les moyens de se gouverner sans en
vouloir davantage ? Pourquoi les nationalistes pensent-ils qu’être indépendante lui
permettrait de mieux s’en sortir ? C’est à ces questions que nous essaierons de répondre
dans ce mémoire. En effet, nous tenterons de donner un aperçu de la position de l’Ecosse
dans l’Union; notre objectif sera d’étudier les divergences et les convergences du
« modèle écossais » avec le reste du Royaume-Uni, et ce afin de comprendre pourquoi et
comment l’Ecosse pourrait voir son autonomie s’accroitre, peut être jusqu’à devenir
indépendante.
Nous articulerons notre étude en deux grandes parties. Dans une première partie
intitulée « Un modèle écossais ? Analyse socio-économique de l’Ecosse actuelle » nous
essaierons de rendre de compte de ce qu’est l’Ecosse actuellement, en considérant son
économie ainsi que ses valeurs sociales et politiques, et l’intégration de ce modèle dans le
Royaume-Uni. Notre seconde partie « Quelles trajectoires pour l’autonomie écossaise ? »
envisagera les possibilités pour la poursuite de l’autonomisation de l’Ecosse, et
notamment les questions liées à l’indépendance.
8
Aujourd’hui, grâce à l’utilisation de la question Moreno, on note que plus des deux tiers des écossais se
déclarent d’abord écossais avant d’être britannique.
9
Le Holyrood Parliament en Ecosse, l’Assemblée galloise pour le Pays de Galles, et le Stormont Parliament
en Irlande du Nord
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Première Partie: Un modèle écossais ? Analyse
socio-économique de l’Ecosse actuelle!
Chapitre 1 : L’économie écossaise: histoire, structure et conjoncture
au début du XXIème siècle!
!
L’économie est-elle le nerf de la guerre ? Depuis le début de la campagne, les
débats sont en effet largement dominés par les questions économiques, et notamment la
viabilité et la sincérité du projet indépendantiste du SNP. Les deux camps s’affrontent à
grands coups de chiffres et de projections, « Yes Scotland » ayant pour objectif de
rassurer la population sur les conséquences d’une sortie de l’Union, « Better Together »
cherchant au contraire à mettre en avant les failles dans le programme économique que le
SNP a détaillé dans son livre blanc « Scotland’s Future. Your Guide to Independence »10.
Alex Salmond l’a lui-même reconnu lors d’un congrès du SNP en octobre 2013 : « For
many people, of all the arguments, it is the economic issues - bread and butter issues that matter the most » (cité dans Duclos, 2014, p. 168). Le pragmatisme du First Minister
est semble-t-il corroboré par les sondages, puisque 52% des écossais se déclarent prêt à
voter pour l’indépendance si cela pouvait de façon sûre se répercuter d’une augmentation
annuelle de £500 dans leur niveau de vie11. Or, selon les mêmes chiffres, seulement 34%
supportent l’indépendance si celle-ci ne débouche ni sur une augmentation ni sur une
baisse du niveau de vie, ce qui correspond globalement aux résultats attendus pour le
« Oui » lors du référendum. Selon Duclos, cela constitue une approche « utilitariste » du
nationalisme, qui s’opposerait à un nationalisme dit « pur » (idem, p.167), dans lequel la
réalisation de l’indépendance de la nation est un but en soi, et non un moyen pour obtenir
une autre fin, en l’occurrence économique. Ainsi, la perspective de l’indépendance est
étroitement liée aux performances économiques prévues,
C’est pourquoi nous aborderons dans ce chapitre l’économie écossaise dans sa
globalité, afin d’analyser comment se situe l’Ecosse par rapport au reste du Royaume-Uni,
mais également par rapport aux standards européens. Il s’agira de comprendre où se
situent les intérêts écossais, et s’ils divergent, ou au contraire convergent vers ceux du
10
Les perspectives économiques induites par l’indépendance seront étudiées dans la Deuxième Partie,
Chapitre 2: L’Ecosse indépendante: possibilités et enjeux
11
A l'inverse, seulement 15% se déclarent en faveur l’indépendance si cela se traduit par une baisse de
£500 de leur niveau de vie. Source: « The score at half-time », ScotCen, Scottish Social Attitudes 2013
Survey.
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Royaume-Uni. Notre approche s’articulera en deux parties. Nous reviendrons dans un
premier temps (I), sur l’histoire économique de l’Ecosse depuis l’Union de 1707, ce qui
nous permettra de mettre en perspective la situation économique actuelle du pays, que
nous développerons dans un second temps (II), pour voir où en est l’Ecosse aujourd’hui.
Notre objectif est d’essayer de dresser un portrait économique afin de mieux appréhender
la spécificité de l’Ecosse dans ce domaine.
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I/ De l’Union à la dévolution: trois siècles d’économie écossaise
(1707-1997)
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L’histoire économique de l’Ecosse est d’une grande richesse. Le pays est passé en
l’espace de trois siècles d’un état de sous-développement, de grande précarité et de
domination anglaise au début du XVIIIème siècle, au statut de plaque tournante du
commerce international, faisant jeu égal avec l’Angleterre et dominant avec elle
l’économie industrielle et mondialisée lors du XIXème et du début du XXème siècle, avant
de connaître de graves difficultés durant le reste du XXème siècle, dans un Etat que l’on
appelait alors « l’homme malade de l’Europe ». Par l’ampleur, la rapidité des évolutions et
la profondeur des changements qu’elle a observés durant ces trois siècles, l’histoire
économique écossaise est incomparable avec d’autres nations de taille identique, et
permet de comprendre, en partie, comment et pourquoi le nationalisme écossais, qui a
émergé dans les années 1930, s’est nourri de ce passé pour construire son projet
d’indépendance.
!
A) De l’Union à la Première Révolution Industrielle: les fondations du succès
(1707-1830)12
!
A la veille du traité d’Union avec l’Angleterre, l’Ecosse présentait une économie
relativement faible comparée à son voisin. Alors que l’Angleterre débutait sa révolution
agraire, l’agriculture de subsistance représentait en Ecosse la très grande majorité de
l’activité, marquée qui plus est par de mauvaises récoltes. Si certaines élites des
12
Le découpage chronologique suit en partie celui proposé par Tom Devine dans The Scottish Nation
(2012).
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Lowlands13 commençaient à se convertir aux notions de rendement et de profits, en
transformant leurs terres en exploitations, le système social clanique dans les Highlands
maintenait les habitants dans une logique communautaire, les paysans travaillant pour un
chef qui leur fournissant la protection. Une industrie textile voyait cependant le jour autour
de la laine et du drap dans les grandes villes, notamment Glasgow et Dundee, et dans la
région des Borders. Le commerce était relativement développé vers le Sud et l’Angleterre,
ainsi que vers l’Est et avec les pays de la mer Baltique. Cependant, l’Ecosse ne parvenait
pas à s’établir dans les colonies, notamment à cause de la rivalité avec l’Angleterre qui
cherchait à protéger son avantage économique en excluant les navires écossais de sa
zone d’influence par les Navigations Acts de la fin du XVIIème siècle, empêchant ainsi tout
développement commercial14.
L’impact majeur de l’Union de 1707 fut d’ouvrir entièrement les colonies anglaises
aux marchands écossais, leur assurant par la même occasion la protection de la Royal
Navy. Le commerce colonial, notamment autour du tabac15, permit à l’Ecosse de se
développer considérablement. Glasgow devint très vite la plaque tournante européenne
pour le commerce du tabac, achetant dans les colonies pour revendre par la suite en
Europe. D’autres commerces se développèrent sur la façade atlantique, comme le coton
ou le sucre, et permirent aux élites écossaises de largement s’enrichir. Or, selon Devine,
c’est la volonté de ces élites de contribuer au développement du pays qui allait entrainer le
succès économique des décennies suivantes, et contribuer également à ce que l’Ecosse
ne se transforme pas en satellite de l’Angleterre (Devine, 2012, p. 49-63). Pour l’auteur,
« Union in 1707 could neither cause or prevent Scottish development: it simply offered an
economic context with risks and opportunities » (2012, p.61). L’auteur insiste en effet sur
la capacité des marchands écossais à exploiter à leur avantage ce contexte favorable
pour impacter de manière durable sur le développement économique du pays, et ce de
deux façons: en se montrant plus compétitif que leurs homologues anglais grâce,
notamment, au recours massif à la contrebande, et en réinvestissant une large partie de
13
L’Ecosse est traditionnellement divisée en deux parties, le long de la rivière Ness: les Highlands et les
Lowlands. Les Highlands (Hautes-Terres), au nord, sont une région montagneuse et sauvage, marquée par
la culture gaélique, tournée vers l’Irlande et organisée jusqu’au XIXème siècle par le système clanique. Au
sud, les Lowlands sont recouverts de plaines et de vallées basses, et regroupent les principaux centres
urbains. Ils sont historiquement de culture scot, plus proche de l’Angleterre dans la langue comme dans les
moeurs. Pour toutes les autres indications géographiques, (régions, villes) se rapporter à la carte, Annexe 1,
p.104.
14
L’exemple le plus marquant est le « désastre de Darien », en 1698, qui vit une tentative de la part des
élites écossaises de s’implanter en Amérique centrale se solder en catastrophe humaine et matérielle, et
dont la responsabilité est en partie à imputer aux retraits des capitaux anglais à la dernière minute.
15
Qui représentait 50% du commerce écossais en 1750 (Devine, 2012, p. 122)
12 sur 107
leurs profits dans le développement industriel de l’Ecosse. Plusieurs banques furent
fondées par des marchands coloniaux, comme la Royal Bank of Scotland (RBS) en 1727
ou la British Linen Company en 1746. Jusqu’à 1760, cette combinaison de profits
coloniaux et d’investissement locaux permirent de préparer le terrain pour la première
révolution industrielle.
A partir de 1760, l’Ecosse connut une industrialisation massive et un
développement économique inégalé.16 Grâce à l’explosion des bénéfices du commerce
colonial17, l’économie écossaise passa dans l’âge moderne en l’espace d’une génération.
La révolution dans les techniques de tissage permit aux industries textiles18, dans
lesquelles l’Ecosse s’était déjà engagée, d’exploser autour de trois produits: le coton, la
laine et le drap. La mécanisation augmenta les rendements et donc la production de
manière vertigineuse (la production de coton fut multipliée par 10 entre 1730 et 1820),
tandis que les progrès techniques dans le transport naval permettaient au commerce
colonial de rapporter toujours plus. Ce développement économique fut largement supporté
par le secteur bancaire d’Edimbourg, soutenu par les grandes familles nobles et les
marchands ayant fait fortune, et assura aux Ecossais de prendre une place de plus en
plus importante dans l’Union, en faisant preuve d’une capacité d’entrepreneuriat et
d’inventivité significative, qui permirent de rapidement s’émanciper de la tutelle anglaise
en matière d’innovation.
Cette Première Révolution Industrielle s’accompagna d’une régionalisation de
l’activité économique: tandis que Glasgow et les Lowlands de l’Ouest (notamment
l’Ayrshire) se spécialisaient dans l’industrie du coton venu des colonies, la région de
Dundee, de l’Angus et du Royaume de Fife se tournaient vers le drap et les Borders vers
la laine. Cette répartition géographique traduit d’une économie intégrée et performante,
répartie autour de pôles urbains complémentaires. C’est en effet une caractéristique de
l’Ecosse dès la Première Révolution Industrielle que de posséder une répartition spatioéconomique importante, qui perdure jusqu’à aujourd’hui, avec quatre grandes cités
spécialisées dans un secteur d’activité différent (Edimbourg dans la finance, Glasgow
dans le coton, Dundee dans le drap et Aberdeen dans le commerce avec la Baltique et la
16
« That decade (the 1760s) seems to have been a defining watershed because from then on Scotland
began to experience a social and economic transformation unparalleled among European societies of the
time in tis speed, scale and intensity » (Devine, 2012, p.107)
17
Les importations en Ecosse passèrent de 10% du total des importations britanniques en 1738 à 40% en
1765, alors même que l’Angleterre connaissait également une explosion de ses revenus coloniaux (Devine,
2012, p.105)
18
Notamment grâce à la machine à vapeur, qui révolutionna les techniques en introduisant mécanisation
des métiers à tisser. Or, le père de la machine à vapeur moderne, James Watt, est écossais.
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pêche) et qui peuvent s’appuyer sur un réseau de villes plus petites qui servent à drainer
l’activité et le commerce local, telles Perth, Stirling, Ayr, Inverness ou Dumfries.
Ce développement urbain précoce et massif19 fut rendu possible dès le milieu du
XVIIIème siècle par une réforme agraire d’envergure, qui bouleversa totalement les
Highlands. Comme le dit Devine:
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« The buoyant markets for kelp, fish, whisky, cattle and sheep commercialized Highland
society, disolved the traditional communal townships, encouraged the division of land into
individual crofts and subordinated ancient landownership responsibilities to the new
imperatives of profit. {..} In less than two generations Scottish Gaeldom was transformed
from tribalism to capitalism » (Devine, 2012, p. 100)
!
La conversion des chefs de clan aux principes du capitalisme déboucha sur un
phénomène connu sous le nom de Highlands Clearances, et qui dura d’environ 1750 à
1850. Afin de maximiser les rendements sur leurs propriétés, ceux-ci forcèrent les
habitants à quitter les terres, parfois par la force, afin de faire place aux moutons, dont la
laine alimentait les industries des Lowlands. La plupart des Highlanders s’installèrent sur
les côtes pour travailler dans l’industrie du varech (kelp), tandis que le reste émigra dans
les villes du sud ou quitta l’Ecosse pour rejoindre le Canada, les Etats-Unis ou l’Australie.
!
Aussi le XVIIIème siècle fut une période de large expansion économique
caractérisée par une révolution dans les modes de production, un ancrage toujours plus
marqué dans le commerce international et un poids toujours plus important dans l’Union
en termes d’attractivité.
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19
17% des écossais vivaient dans une ville de plus de 10 000 habitants en 1800, ce qui fait de l’Ecosse
quatrième pays le plus urbanisé de l’époque. En 1850, cette proportion atteint les 32%, plaçant ainsi
l’Ecosse en deuxième position, derrière l’Angleterre et le Pays de Galles (Source: J. De Vries, European
Urbanisation, 1500-1850, cité dans Devine, 2012, p. 152)
14 sur 107
B) De la Seconde Révolution Industrielle à la Deuxième Guerre Mondiale: l’âge
d’or écossais et ses limites (1830-1939)
!
Le XIXème siècle, quant à lui, fut l’âge d’or de l’économie écossaise. Les
fondations posées lors de la Première Révolution Industrielle (ancrage international,
industrie textile performante, importance du progrès technique, répartition et spécialisation
géographiques, alliance du capital et du développement industriel à travers la finance)
permirent à l’Ecosse d’être un acteur majeur de la Seconde Révolution Industrielle, et de
façon presque disproportionnée par rapport à sa taille (à peine 5 million d’habitants au
début du XXème siècle).
Car en effet, l’Ecosse fut au coeur du boom économique et de l’économie
mondialisée du XIXème siècle jusqu’au début du XXème. Si l’industrie textile était le
moteur auparavant, c’est l’industrie lourde qui prit le dessus dès les années 1850.
Glasgow et sa proche région opérèrent avec succès une transformation dans les secteurs
cruciaux de l’époque: la construction navale20, le chemin de fer et les locomotives21, la
sidérurgie (notamment autour de la ville d’Ayr) et l’exploitation du charbon, ce dernier se
trouvant en quantité importante dans les plaines des Lowlands. Surtout, les industries de
la vallée de la Clyde22 profitèrent de leurs liens historiques avec les marchés
internationaux et les pays en développement (Etats-Unis, Australie, Afrique du Sud, Inde),
colonies ou ex-colonies britanniques, pour produire des quantités importantes sans
surchauffe. Comme le dit Devine: « As far as Scotland was concerned, the international
market was the king » (Devine, 2012, p.254). Le développement économique s’appuya
largement sur le commerce international, et non sur le marché domestique, trop étroit, ce
qui explique que l’économe écossaise durant ces décennies était bien supérieure en
capacité par rapport la population écossaise. Entre un tiers et la moitié des quantités
produites dans l’ensemble des industries lourdes de l’époque était destiné aux marchés
internationaux, le reste étant réparti entre les besoins du marché écossais et, surtout, du
20
Les chantiers navals de Glasgow et de ses alentours allèrent jusqu’à produire un cinquième de la
production mondiale de navires à la fin de la période concernée.
21
La ville devient le plus grand centre de construction de locomotives en Europe, avec notamment la
constitution d’un trust, la North British Locomotive Works, entre les trois plus grands constructeurs autour de
1900.
22
La Clyde est un fleuve qui se jette dans l’Océan Atlantique sur la côté ouest de l’Ecosse, en passant
notamment par Glasgow. Le long de son estuaire s’est développé l’essentiel de l’activité industrielle
écossaise, et notamment les chantiers navals.
15 sur 107
marché britannique, alors l’économie la plus développée du monde. Bruce Lenman
résume bien la position écossaise dans l’économie-monde de l’époque:
!
« The wheat of the Canadian or American prairies, for example had to be taken by
rail to eastern ports, and in Canada the locomotive could well be made in Glasgow while
both in Canada and in America the sacks holding the grain were quite likely to have been
manufactured in Dundee. The ships which crossed the North Atlantic with the grain were
often enough built and engineered on the Clyde » (cité dans Devine, 2012, p.255).
!
Glasgow représente le symbole de cet âge d’or de l’économie écossaise. La ville,
importante depuis longtemps, devint le centre économique du pays, et même au-delà.
Auto-proclamée « deuxième cité de l’Empire », après Londres, elle incarnait la réussite de
l’Ecosse toute entière dans la période victorienne et edwardienne23, et également le
succès de l’Union. Pittock parle de cette situation selon les termes suivant: « Nowhere in
the developed world was a country and economy so dominated by a single metropolis, and
Glasgow began to conceive itself as a kind of city-state, transcending the country in which
it was situating » (Pittock, 2008, p. 67). L’auteur parle également de Glasgow à l’époque
comme de « la plus Britannique des villes écossaises »24, de part sa position dominante
dans l’économie britannique globale. La cité devint un centre urbain de premier ordre au
niveau mondial, en dépassant le million d’habitants en 1914, soit une multiplication par
quatre en quatre-vingt ans. Cependant, Glasgow ne fut pas la seule à profiter de
l’expansion économique. Dundee, par exemple, utilisa sa connaissance de l’industrie
textile pour se spécialiser dans le jute, un matériau importé d’Inde et crucial à l’époque
pour le transport et le stockage des marchandises, ainsi que lors des conflits pour les
barricades. La ville devint la capitale mondiale du jute, au point qu’elle fut surnommée
Juteopolis.
Ce développement industriel massif fut rendu possible par la poursuite des
réformes agraires dans les Highlands et les Lowlands, qui permirent d’augmenter les
rendements, et donc d’alimenter les centres urbains en croissance exponentielle, ainsi que
de fournir de la main d’oeuvre pour les usines en poussant les populations rurales à
l’émigration. De plus, l’arrivée de travailleurs irlandais, attirés par les perspectives
23
La période 1830-1914 est connue en Grande-Bretagne comme l’ère victorienne et edwardienne, du nom
de la reine Victoria, qui régna de 1832 à 1901, et du roi Edward VII, de 1901 à 1910.
24
La ville organisa notamment la dernière grande exposition impériale de 1938, qui accueillit plus de 12
millions de visiteurs.
16 sur 107
d’emploi, lors des nombreuses famines du XIXème siècle permirent aux industries
écossaises de compter sur une main d’oeuvre abondante, peu chère et docile, le
syndicalisme n’étant que très peu développé à l’époque (Devine, 2012, p. 259-61).
Il faut néanmoins nuancer ce tableau idyllique. Ce qui fit la force de l'économie
écossaise fit aussi sa faiblesse. La structure même du développement écossais portait en
elle les raisons de son effondrement après le boom de la Première Guerre Mondiale: trop
dépendante des marchés internationaux, par nature volatiles, trop peu diversifiée pour
encaisser des contractions dans la demande, et trop peu évolutive pour s’adapter aux
nouveaux modes de consommation dans les années 1920. Ces faiblesses se
matérialisèrent dès le début des années 1930, lors de la Grande Dépression, et furent à la
source des difficultés économiques de l’Ecosse après la Deuxième Guerre Mondiale.
C) De la Deuxième Guerre Mondiale à la Dévolution: entre déclin et renouveau,
les bases de l’Ecosse actuelle (1939-1999)
La fin des années 1930 fut marquée par un retour de l’activité économique due au
réarmement en prévision de la guerre qui s’annonçait. Les industriels y virent le signe d’un
nouveau cycle de croissance, ce qui ne les encouragea pas à mettre en place les
réformes nécessaires, et notamment à engager la diversification des activités dans des
biens de consommation pour suivre les évolutions de la demande, la faiblesse du marché
interne représentant un frein supplémentaire. Ainsi, les industries lourdes de la Clyde et
autour de Dundee participèrent largement à l’effort de guerre. Les usines furent utilisées
comme lieux de production d’armes et de munitions, tandis que les chantiers navals se
transformèrent en arsenaux pour alimenter la flotte britannique en navires lors de la
bataille de l’Atlantique. Les besoins de guerre furent tels que la production à la fin du
conflit retrouva des niveaux comparables à ceux des meilleures années. Le chômage, qui
avait explosé dans les années 1930 comme dans beaucoup d’autres pays, atteignit en
moyenne 1,6%, tandis que la sidérurgie et l’ingénierie marine employaient à elles seules
25% de la population active (Devine, 2012, p. 548). La demande de sac de sable et de
transport relança l’activité du jute de Dundee, et les besoins de capitaux furent soutenus
par les banques d’Edimbourg.
17 sur 107
La période favorable de la guerre dura jusque dans les années 1950, alors que la
reconstruction était à l’œuvre. Si les toutes premières années (1946-1947) furent difficiles,
la mise en place du Plan Marshall permit à l’ensemble de l’économie britannique de
retrouver de la croissance grâce à l’apport des capitaux américains25 et l’ouverture du
marché transatlantique (Devine, 2012, p.556). La planification et la centralisation menée
par le gouvernement britannique, à travers la mise en place du Board of Trade, contribua à
attirer de nouveaux investissements et encourager à l’export, notamment dans les
industries lourdes traditionnelles, pour la plupart nationalisées à la fin des années 1940.
Ainsi, les chantiers navals de la Clyde, toujours privés, demeuraient la première industrie
du pays, représentant 15% de la production mondiale entre 1948 et 1951 (idem). Dans les
zones rurales, la planification agricole menée par le gouvernement central encouragea
une réforme des modes de production qui aboutirent à une véritable révolution,
notamment avec l’arrivée de la mécanisation. Une autre décision importante fut la création
dès 1943 de la North of Scotland Hydro Electric Board par le secrétaire d’Etat à l’Ecosse
Johnston, qui initia la construction de nombreux barrages dans les Highlands dans les
années 1940-1950, ce qui permit à la zone de tirer profit de sa géographie et d’améliorer
considérablement la qualité de vie, ainsi que de poser les bases du développement
économique futur. Les années 1960 furent marquées par une centralisation toujours plus
poussée de l’économie, ainsi que l’intervention de l’Etat à tous les niveaux, sans que cela
ne se traduise toujours par une grande réussite (Pittock, 2008, p.14-16). Cependant, le
Scottish Office26 commanda un rapport sur l’économie écossaise, qui sorti en 1961 sous le
nom de Toothill Report. Celui-ci établit des « points de croissance » possibles, et amena
notamment à la création d’une industrie automobile à Linwood (Pittock, 2008, p.15), dont
la production fut continue jusqu’en 1981. De plus, la mise en place de la Highlands and
Islands Development Board en 1965, transformée en Scottish Development Agency en
25
Plusieurs entreprises américaines s’implantèrent en Ecosse, comme Goodyear, Caterpillar ou IBM. Cellesci importèrent des technologies nouvelles, comme l’électronique, qui sont encore importantes aujourd’hui
(Devine, 2012, p.557).
26
Le Scottish Office était depuis 1885 et jusqu’à la dévolution le ministère en charge des affaires écossaises
au sein du gouvernement britannique. Son directeur, le secrétaire d’Etat à l’Ecosse ou Secretary of State for
Scotland, était en charge de l’adaptation des politiques centrales à l’Ecosse. L’essentiel des pouvoirs du
Scottish Office fut transféré au Scottish Executive par le Scotland Act de 1998.
18 sur 107
1975, fut une tentative relativement fructueuse d’établir une stratégie régionale pour
l’Ecosse27, notamment à travers une politique fiscale très avantageuse afin d’attirer les
investisseurs.
Les vraies difficultés commencèrent au début des années 1970, comme pour
l’ensemble de Royaume-Uni. La fin de l’Empire marqua l’arrêt de la position centrale que
la Grande-Bretagne occupait dans le commerce international. Bien que des liens encore
forts subsistaient entre la métropole et les anciennes colonies, les marchés internationaux
devinrent moins facilement accessibles, ce qui eut un impact particulièrement fort pour
l’Ecosse dont l’économie était principalement tournée vers l’export. De plus, la trop forte
dépendance dans les industries lourdes, tendance qui n’avait eu de cesse de se renforcer
depuis le début du XXème siècle, se révéla largement handicapante. Si les chantiers
navals, à leur tour nationalisés, furent soutenus grâce à la demande étatique, l’ensemble
des autres industries s’écroula, car les biens qu’elles proposaient n’étaient plus adaptés à
un marché mondial en cours de modernisation. Or, le marché interne ne pouvait prendre le
relais, tandis que les industries de biens de consommation (notamment automobile,
malgré l’usine de Linwood, ou l’agro-alimentaire, avec l’usine Monsanto dans l’Ayrshire)
ne parvinrent pas à s’implanter durablement. De plus, alors que le succès économique
écossais du XIXème siècle s’était largement basé sur des capitaux écossais, l’Ecosse
devint de plus en plus dépendante des investissements étrangers, notamment américains
et asiatiques, et également des subventions et allocations du pouvoir de Westminster.
Certes, la découverte de larges réserves de pétrole dans la mer du Nord fut perçue
comme une aubaine, et déclencha en effet le développement économique de la façade
nord-est autour d’Aberdeen, jusque-là dépendante de la pêche. Mais si cette manne
pétrolière et gazière permit au Royaume-Uni de devenir un exportateur net
27
« The modeling of the SDA on the Irish Industrial Authority, combined with its role as a consciously
national agency, served to make it arguably more effective than previous governmental development
initiatives which were more centrally driven and attempted, even via regional policy, to homogenize one
economic model throughout the UK » Pittock, 2008, p.14
19 sur 107
d’hydrocarbures, elle augmenta fortement le taux de change de la livre, ce qui handicapa
le reste de l’économie écossaise28.
Si les difficultés s’accumulèrent au début des années 1980, les années Thatcher
furent autant d’années de crise pour l’économie écossaise. L’ensemble des indicateurs
économiques furent en déclin sur la majeure partie de la période de pouvoir conservateur
(Leydier, 1994, p.1036). En 1986, au cœur du deuxième mandat de Margaret Thatcher, le
taux de chômage était de 14% (McCrone, 2013, p.7). Les coupes budgétaires, ainsi que
l’économie post-industrielle voulue par le gouvernement conservateur, furent perçues
comme particulièrement « anti-écossaises » (Leydier, 1994, 1937), en raison de la
dépendance forte en Ecosse à la fois à l’emploi public29 et au secteur industriel. De plus,
ce furent les anciens bassins économiques traditionnels (sidérurgie, chantiers navals,
charbon et textile), qui avaient fait autrefois la fierté de l’Ecosse, qui souffrirent le plus des
décisions prises par le gouvernement conservateur30: Devine nous dit que la capacité
manufacturière connut un déclin de 31% entre 1967 et 1987, et 64% pour la seule
industrie textile des Borders, tandis que seules deux mines de charbon restaient ouvertes
à la fin de la période (Devine, 2012, p.592). A la décrépitude des anciennes industries
s’ajoutèrent les fermetures d’usines étrangères qui s’étaient implantées en Ecosse après
1945 et grâce aux politiques régionales développées dans les années 196031. De plus, de
nombreuses entreprises furent rachetées par des firmes anglaises, ce que Leydier décrit
comme une « succursalisation de l’économie écossaise », alors même que l’Ecosse avait
réussi jusque-ici à ne pas se transformer en satellite de l’économie anglaise. Cette
« succursalisation » fut si importante que seules cinq des cinquante plus grandes
28
Comme le dit McCrone: « The decline of existing industry appeared to outweigh the very welcome benefits
to companies that took advantage of the opportunities available from oil-related activity » McCrone, 2013, p.
20
29
Nous reviendrons sur cette caractéristique lors de la deuxième partie de ce chapitre « Structure de
l’économie écossaise depuis la dévolution »
30
Bien que, comme nous l’avons montré ci-dessus, le déclin de ces industries était bien entamé depuis
plusieurs décennies.
31
Au rang desquelles Singer à Clydebank, Goodyear à Glasgow, Monsanto dans l’Ayrshire ou bien Talbot à
Linwood.
20 sur 107
entreprises écossaises étaient contrôlées depuis l’Ecosse en 1990 (Leydier, 1994, pp
1037-8).
Une citation de Pittock résume bien la situation écossaise à la fin des années 1980:
!
« Downgraded, albeit ambivalently, to the status of region; no longer a partner in
Empire or dominant in international trade and mercantilism, provincialized by centralist
policy, commercial globalisation and loss of competitiveness in key industries, Scotland’s
status was in decline on almost every front » (Pittock, 2008, p.56)
!
Plus encore que la crise économique, c’est la responsabilité du gouvernement
britannique qui fut mise en cause, un gouvernement pour lequel les écossais n’avaient de
surcroit pas voté32. Comme le dit McCrone:
!
« Scotland was of course, not the only part of the UK suffering these problems. But
they gave rise to a feeling in Scotland that the country’s economy was somehow not doing
as well as it should and that the UK government in London was not doing
enough » (McCrone, 2013, p.4)
!
Ainsi, les années de gouvernement conservateur mirent à mal l’Union en
exacerbant les différences entre la réalité écossaise et le pouvoir à Londres, accusé de ne
pas prendre en compte l’Ecosse, voire de cibler particulièrement celle-ci33. Cette rupture
est essentielle pour comprendre l’aboutissement du processus de dévolution en 1997.
D’un point de vue purement économique, la révolution monétariste des années
Thatcher, si elle eut des conséquences économiques et sociales terribles, permit à
l’Ecosse de se réformer considérablement, et d’entrer dans l’ère post-industrielle. La
structure économique écossaise actuelle, que nous développerons dans la deuxième
32
Durant toutes les années de gouvernement conservateur, le parti travailliste arriva largement en tête, avec
par exemple 50 des 72 sièges de députés pour l’Ecosse en 1987.
33
L’exemple de la fameuse poll tax est à ce titre révélateur: pour remplacer certaines taxes sur la propriété
servant à financer le gouvernement local, le gouvernement Thatcher décida de la création d’un impôt nonprogressif par tête, officiellement appelé Community Charge, et officieusement poll tax. Considéré comme
très inégalitaire, et donc extrêmement impopulaire dans l’ensemble du Royaume-Uni, cet impôt fut instauré
en 1989 en Ecosse, soit un an plus tôt qu’en Angleterre et au Pays de Galles.
21 sur 107
partie de ce chapitre, est directement liée à la crise des années 1980. Comme dans
beaucoup d’autres pays occidentaux, l’effondrement industriel engagea la transition vers
une économie basée sur les services, qui s’accompagna en Ecosse d’une place
importante prise par le secteur de l’énergie.
!
Son histoire économique permet de comprendre où en est l’Ecosse aujourd’hui,
mais explique surtout le fait que l’économie soit à ce point cœur du débat sur
l’indépendance, et ceci sur pour deux raisons.
Premièrement, les avantages et inconvénients économiques liés à l’Union ont
toujours été un enjeu important dans la relation que l’Ecosse entretient avec le reste du
Royaume-Uni. Il est incontestable que l’Ecosse en tira d’énormes bénéfices, notamment
durant toute l’ère impériale. Or, jamais l’Union ne fut contestée de façon significative
durant le XIXème siècle, et particulièrement en comparaison avec la situation en Irlande,
où le mouvement pour le Home Rule34 se développa à partir de 1870 et aboutit à la guerre
d’indépendance dans les années 1910. La dégradation progressive de la situation
économique depuis le début du XXème siècle et notamment dans les années 1930,
coïncide étroitement avec l’émergence du nationalisme écossais (le SNP fut en effet fondé
en 1934, dans la période la plus difficile en Ecosse de l’entre-deux-guerres). Les difficultés
des années 1970 furent suivies d’un premier référendum sur la dévolution en 1979, tandis
que la crise économique des années 1980-90 aboutit à un second référendum sur la
dévolution en 1997, et à la réouverture du Parlement écossais en 1999. Aussi, il est
possible de considérer que le nationalisme écossais et les velléités d’indépendance sont
largement corrélés aux performances économiques de l’Union et aux responsabilités du
gouvernement central dans celles-ci.
Deuxièmement, l’identité écossaise s’est dans une large mesure construite en
fonction de sa structure économique. Les usines de Glasgow et Dundee et les chantiers
de la Clyde contribuèrent à la construction d’une image particulière pour les classes
populaires, qui se caractérisait par «la masculinité, la compétence, la solidité, l’endurance,
34
Il existe néanmoins un mouvement pour le Home Rule en Ecosse, à travers la Scottish Home Rule
Association (SHRA), moins influent que son homologue irlandais, mais qui obtint cependant une forme de
décentralisation administrative avec la création du Scottish Office en 1885.
22 sur 107
la décence, la solidarité et l’égalitarisme »35, tandis que le succès des banques
d’Edimbourg définissait également l’élite écossaise comme prospère, entreprenante et
dévouée au développement du pays. La disparition de la population gaélique des
Highlands durant le XVIIIème siècle permit par ailleurs aux auteurs et artistes de
réinventer la culture écossaise, désormais centrée autour d’une version romantique des
paysages des Highlands et de la culture gaélique, qui attirèrent à l’époque, et encore
aujourd’hui, de nombreux touristes36. Plus encore, l’âge d’or du XIXème siècle donna la
preuve que l’Ecosse pouvait être une nation riche et importante, et non une simple région
de Grande-Bretagne gouvernée à distance par Londres.
Ces deux aspects sont importants pour comprendre la divergence grandissante
entre l’Ecosse et le reste du Royaume-Uni.
II/ Situation de l’économie écossaise depuis la dévolution
!
Qu’en est-il de l’Ecosse aujourd’hui ? L’ensemble des auteurs s’accorde à dire que
l’Ecosse est aujourd’hui une nation relativement riche et développée. Les années 1990 ont
vu l’économie écossaise se reconstruire progressivement autour d’un petit nombre de
secteurs dans lesquels l’Ecosse profite d’un avantage comparatif certain (énergie, finance,
tourisme), ainsi que sur des nouvelles industries à fort potentiel (bio-technologies), qui ont
permis à l’économie de se relever afin d’atteindre dans l’ensemble des indicateurs la
moyenne britannique. Nous nous intéresserons dans un premier temps à la structure de
l’économie écossaise afin d’identifier les secteurs clés, avant de considérer la
performance globale de l’Ecosse vis-à-vis du reste du Royaume-Uni.
!
!
!
35
« The masculinity, skill, hardness, endurance, decency, solidarity and egalitarianism of the Scot » (Pittock,
2008, p.45)
36
Pour plus d’informations sur la révolution culturelle romantique et la réinvention de la culture écossaise,
voir C.W.J Withers, ‘The Historical creation of Scottish Highlands’ in I.L. Donnachie and C.A. Whatler (eds),
The Manufacture of Scottish History (Edimbourg, 1992) ou bien ‘Highlandism and Scottish Identity’ in
Devine, 2012, p.170-195.
23 sur 107
A) Structure de l’économie écossaise
!
1. Structure générale !
Si le développement de l’économie écossaise s’est d’abord fondé sur les industries
lourdes et les produits manufacturés, il est à noter qu’aujourd’hui les industries de
production représentent moins de 20% du PIB écossais en 2012, comme le montre le
Tableau 1:
!
TABLEAU 1: PART DANS LE PIB DES SECTEURS DE PRODUCTION, DE CONSTRUCTION ET DES
SERVICES EN ECOSSE ET AU ROYAUME-UNI EN 2012. !
Part dans le PIB de l’Ecosse (%)
Part dans le PIB du Royaume-Uni
(%)
Production
19,1
15,6
Construction
7,8
6,8
Services
72,3
77,0
Source: Fiscal Economic Working Group - First Report - 2013, p 6237
!
Ainsi, plus des deux tiers des richesses (72,3%) créées en Ecosse en 2012 viennent du
secteur des services, pour 81% des emplois (Fiscal Commission, 2013, p.60) Comme
dans de nombreux autres pays, l’économie s’est largement tertiarisée. Il faut cependant
noter une première différence avec le reste Royaume-Uni, où le secteur des services
produit plus des trois quarts (77%) des richesses.
!
De façon générale, la structure de l’économie écossaise a considérablement évolué
depuis plusieurs décennies. Comme le dit Devine:
!
« Quite simply, Scotland, over that period {1980-2000}, had been transformed to an extent
unknown since the epoch of the Industrial Revolution of the later eighteenth and early
37
Le Fiscal Commission Working Group est un groupe d’experts mis en place par le gouvernement écossais
et charger de le conseiller sur son projet économique post-indépendance. Les membres du Working Group
sont des universitaires reconnus, et comptent parmi eux deux prix Nobel d’économie, Sir James Mirrless de
l’université de Cambridge et Jospeh Stiglitz de l’université de Columbia. Le Working Group a publié plusieurs
rapports durant l’année 2013, disponibles en version électronique ici: http://www.scotland.gov.uk/Topics/
Economy/Council-Economic-Advisers/FCWG
24 sur 107
nineteenth centuries. The Scotland of the 1950s was closer in overall economic and social
structure to the Victorian Age than, to the country of 2007 » (Devine, 2012, p. 644).
Le graphique 1 nous donne un aperçu des modifications en termes de structure
économique:
!
GRAPHIQUE 1: STRUCTURE DE L’ÉCONOMIE ÉCOSSAISE EN 1973 ET 2009!
25 sur 107
Source: Fiscal Commission Working Group - First Report - 2013, p.61 38
!
Plusieurs informations sont à retenir de ce graphique. Tout d’abord, comme nous l’avons
dit auparavant, les secteurs productifs (Other production et Manufacturing) ont vu leur
importance grandement diminuée, d’environ 37% à 19%. Ensuite, il semble que ce soit le
secteur financier qui se soit le plus développé durant les trois dernières décennies, avec
une augmentation de 10 points de pourcentage entre 1973 et 2009. Il représente le
deuxième secteur d’activité en Ecosse après le secteur public. C’est là en effet, une
caractéristique de l’économie que de posséder un secteur public très important, qui
compte pour 26% de sa production nationale. De nouveau, il existe une différence avec le
reste du Royaume-Uni, puisque c’est le secteur financier qui est plus important (29%) que
le secteur public (23%) (Fiscal Commission, 2013, p.60). Cependant, comme le fait
remarquer le Working Group, « la structure de l’économie écossaise est globalement
similaire à celle du Royaume-Uni »39 (ibid).
!
L’autre caractéristique de la structure globale de l’économie écossaise concerne le rôle
important joué par l’industrie offshore, comme le montre le graphique 2.
!
GRAPHIQUE 2: PART DE L’ÉCONOMIE CONTINENTALE ET OFFSHORE DANS LE PIB BRUT EN
ECOSSE EN 2012!
38
Ces données exclut volontairement le secteur énergétique, et donc l’importance du pétrole et du gaz de la
mer du Nord sur laquelle nous reviendrons ultérieurement.
39
« The structure of the Scottish economy is broadly similar to the UK « Fiscal Commission
26 sur 107
Source: Scotland’s Future, Your Guide to Independence, Scottish Government, 2013
!
L’économie offshore est composée majoritairement de l’exploitation pétrolière et gazière
de la mer du Nord, mais également l’éolien au large des côtes écossaises ainsi que
l’énergie marine.
Intéressons nous maintenant aux secteurs porteurs de l’économie écossaise. Si
deux ressortent de prime abord (énergie et finances), l’Ecosse peut également s’appuyer
une économie relativement diverse: l’agro-alimentaire et les boissons (notamment avec le
whisky, mais également la pêche40), les sciences du vivant, l’électronique et le tourisme.
Nous développerons cependant que les deux secteurs principaux qui sont aujourd’hui au
centre de l’économique écossaise. Nous reviendrons également sur la nature des
exportations écossaises, qui sont historiquement importantes pour l’économie du pays.
!
!
2. Le secteur énergétique!
!
L’énergie représente l’un des secteurs porteurs de l’économie écossaise. Outre les
larges réserves de pétrole et de gaz, sur lesquelles nous reviendrons, l’Ecosse possède
un fort potentiel en termes d’énergies renouvelables, notamment dans l’hydroélectrique et
l’éolien. Elle représentait 36% de la production britannique d’énergies renouvelables en
2012. Les estimations lui accordent par exemple 25% des ressources européennes
d’éolien offshore, qui comptent pour 40% de la production britannique41, tandis que de
nombreux champs d’éoliens sont implantés sur le territoire écossais. L’Ecosse aurait
également 10% du potentiel énergétique marin européen (énergie marémotrice et
houlomotrice). Par ailleurs, le développement de la North of Scotland Hydro Electric Board
dans les années 1940 a encouragé la construction de nombreux barrages, et lui a permis
de profiter de ses lacs afin de fournir de l’électricité jusque dans les zones les plus
reculées de son territoire, et donc de rendre ces territoires autonomes. Ainsi, l’Ecosse est
40
60% des ressources halieutiques britanniques (Scottish Government, 2012)
41
Données citées par Jamie Carstairs dans « Energy and Constitutional Change » in Goudie, 2013, p 223
27 sur 107
un net exportateur d’électricité (26% de sa production en 201242), notamment pour le reste
du Royaume-Uni, et possède un fort potentiel de production comme d’expertise (Goudie,
2013, p.223).
L’industrie pétrolière et gazière représente cependant le cœur du secteur
énergétique, en termes de revenus comme d’emplois. Le sort des ressources de la mer du
Nord est depuis longtemps au cœur du débat sur l’indépendance, car la présence de
larges ressources naturelles a donné de la crédibilité aux arguments nationalistes des
années 1970 concernant la viabilité économique de l’indépendance (Duclos, 2014, pp.
194-200)43. Depuis les années 2000, le SNP dénonce la mauvaise gestion de ces
ressources par le gouvernement britannique.44
Quelles sont-elles ? On estime que 42 millions de barils de pétrole ont été produits
depuis 1967, avec un pic de production en 1999. Depuis, cette production n’a fait que
décliner, même s’il reste possiblement encore 15 à 24 millions de barils à exploiter (CampPietrain, 2014). Les nationalistes estiment que les ressources pétrolières seront épuisées
d’ici 50 ans. Ces larges ressources ont permis un développement considérable de toute la
façade nord-est de l’Ecosse, autour de la ville d’Aberdeen, qui est devenu la capitale
pétrolière de l’Europe. De plus, outre le forage et l’extraction, les entreprises exploitant les
ressources écossaises ont acquis un savoir-faire important, ce qui leur permet de se
positionner relativement bien dans la compétition internationale (Goudie, 2014). Elles
génèrent des revenus fiscaux considérables pour le Royaume-Uni. Les entreprises sont
taxées à 60% sur leurs bénéfices, ce qui a permis de collecter en quarante pour plus de
300 milliards de livres dans les caisses britanniques (Camp-Pietrain, 2014). Cependant,
les revenus annuels sont très variables, du fait de la forte volatilité des cours mondiaux du
pétrole, comme nous le montre le tableau 2
!
42
Source: Scottish Government
43
Au-delà, le SNP a dénoncé l’exploitation des ressources écossaises au profit de l’ensemble du RoyaumeUni, notamment à travers la campagne It’s Scotland’s Oil de 1974.
44
Nous reviendrons plus en détails sur cet aspect, et notamment la possibilité de création d’un fonds
souverain alimenté par les revenus du pétrole, dans le deuxième chapitre de notre deuxième partie.
28 sur 107
TABLEAU 2: REVENUS ANNUELS LIÉS À L’EXPLOITATION DU PÉTROLE AU ROYAUME-UNI DEPUIS
1980!
Source: Government Expenditure and Revenue Scotland, 2014, Scottish Government
!
Les ressources pétrolières représentent donc une manne financière importante, et
contribuent au développement économique écossais plus que n’importe quelle autre
activité économique.
!
!
3. Le secteur financier!
Les services financiers (banques et assurances) forment le deuxième pilier de
l’économie. Depuis le XVIIIème siècle, ils jouent un rôle central dans le développement
économique de l’Ecosse (voir supra). Leur poids n’a cessé de s’accroitre, à tel point qu’ils
représentent aujourd’hui 13% de l’activité économique, pour 7% des emplois (CampPietrain, 2014). Treize établissements financiers sont officiellement enregistrés en Ecosse,
mais six se partagent 73% du marché. Les deux principales banques sont The Royal Bank
of Scotland (RBS) et Halifax-Bank of Scotland (HBOS). Elles représentent bien
l’interpénétration des secteurs financiers anglais et écossais, une caractéristique qui
remonte au début des années 1950 pendant laquelle de nombreuses banques écossaises
en anglaises fusionnèrent (Moss, 2007). Surtout, elles ont subi avec la crise de 2008 une
nationalisation qui a mis en avant la fragilité du secteur bancaire écossais.
HBOS a été créée en 1695, et est actuellement la deuxième plus vieille banque du
Royaume-Uni, après la Banque d’Angleterre. Contrairement à son homologue anglaise,
HBOS n’est pas une banque centrale mais une banque commerciale. McCrone nous dit
que « the Bank could claim to have had the most successful record of all British banks,
29 sur 107
both in terms of growth and returns on shares » (McCrone, 2013, p. 75). En effet, la Bank
of Scotland (BoS), a entrepris une large politique de diversification dans les années 1990,
qui aboutit à la fusion avec la société d’investissement anglaise Halifax en 2001 pour
devenir HBOS. Elle garda son siège historique à Edimbourg, même si l’essentiel de ses
activités se déplacèrent en Angleterre et à l’étranger. Cependant, la crise financière de
2008 fit apparaître les faiblesses de cette union, qui se trouva en position d’insolvabilité à
cause la contraction de très nombreux emprunts toxiques dans les années 2000. HBOS
fut proche de la faillite en 2008.
RBS est également l’une des plus vieilles banques du Royaume-Uni. Elle fut fondée
en 1727, et en est aujourd’hui la deuxième plus grande banque, après HSBC. En 2000,
RBS racheta la banque anglaise NatWest (National Westminer), et entreprit une vaste
politique d’investissements à l’étranger qui fut couronnée de succès. Cependant, les
dirigeants de RBS furent pris de « mégalomanie » (McCrone, 2013, p.86), et voulurent que
la banque s’agrandisse toujours plus. RBS fut partie du plus grand rachat bancaire de
l’histoire, lorsqu’elle acquit en 2007, avec Fortis et Santander, la banque néerlandaise
ABN AMRO. RBS devint alors brièvement la plus grande banque du monde45. Cependant,
la crise financière 2008 révéla que ABN ARMO avait de nombreux actifs toxiques, ce qui
amena RBS à la faillite.
Les deux principales banques écossaises furent alors sauvées par le
gouvernement britannique: 40 milliards de livres furent investis pour nationaliser RBS
(l’Etat britannique détient aujourd’hui plus de 80% des actions de la banque), tandis que
HBOS fut contrainte à être rachetée en 2009 par le groupe Llyods Banking, dans lequel
l’Etat britannique possède près de 60% des parts. Les deux banques sont donc
aujourd’hui sous le contrôle du gouvernement britannique et placées sous la juridiction de
la Banque d’Angleterre, qui est leur prêteur en dernier ressort. Si leurs sièges sociaux sont
tous les deux à Edimbourg, ces deux institutions bancaires sont donc loin d’être
réellement écossaises.
De plus, un aspect d’importance est la taille du secteur bancaire écossais par
rapport au PIB écossais: il représenterait 1254% du PIB de l’Ecosse, et 492% du PIB
45
Ces actifs avant la crise était supérieur de 40% au PIB britannique (McCrone 2013)
30 sur 107
britannique. Le secteur est donc largement disproportionné par rapport à la taille de
l’économie écossaise (Camp-Pietrain, 2014), ce qui soulève deux points: d’un côté, le
secteur bancaire écossais semble bénéficier de son union avec le reste du Royaume-Uni,
qui représente son principal marché et lui assure un soutien que l’économie écossaise
seule ne pourrait assumer; de l’autre, les observateurs s’interrogent sur la possibilité pour
une Ecosse indépendante de soutenir un secteur financier aussi gigantesque avec des
ressources largement moins importantes.
!
4. Les exportations écossaises !
L’Ecosse est une économie largement ouverte: les exportations à l’international
atteignent 20% de son PIB, pour un total estimé en 2012 à 26 milliards de livres, sans
inclure le pétrole (Scottish Government, 2014)46. Les firmes exportent également pour
environ 48 milliards de livres vers le reste du Royaume-Uni, soit 38% de son PIB.
L’économie écossaise dépend donc largement des marchés internationaux et britannique:
les exportations représentent 58% du PIB, pour un total de 74 milliards de livres. Celles-ci
sont en augmentation de 20% depuis 2008, ce qui prouve la bonne santé de l’économie
dans son ensemble.
Les exportations écossaises sont cependant très concentrées sur un petit groupe
de pays. Les cinq principaux partenaires commerciaux de l’Ecosse sont dans l’ordre les
Etats-Unis (14% du total des exports), les Pays-Bas (10%), la France (8%), l’Allemagne
(6%) et la Norvège (3,5%). 52% des exportations sont faites vers 10 pays. L’Europe
représente le premier marché pour l’Ecosse, puisque les échanges avec les 27
représentent 45% exportations écossaises. Si l’on ajoute la part de l’Amérique du Nord
(15%), ce ne sont pas moins de 60% des exportations écossaises qui sont dirigées vers
deux grandes régions.
46
L’ensemble des données utilisées dans cette partie sont tirées du Statistical Bulletin du 29 janvier 2014
publié par le gouvernement écossais sur les exportations écossaises.
31 sur 107
La structure de ces exports est également révélatrice du manque de diversification
des exports. Le graphique 3 nous indique les principaux secteurs qui soutiennent l’activité
économique à l’international.
!
!
GRAPHIQUE 3: STRUCTURE DES EXPORTS ÉCOSSAIS EN 2012!
Source: Fiscal Commission Working Group, 2013
!
Ainsi, deux industries représentent un tiers des exports: l’industrie agro-alimentaire
(notamment la pêche, mais surtout le whisky, qui vaut à lui seul presque 4 milliards de
livre, soit environ 4% des exportations écossaises), ainsi que l’industrie pétrolière et
chimique. De façon générale, les industries manufacturières comptent pour 59% des
exports, et les services 34%. Cette répartition s’inverse quand on considère les débouchés
écossais dans le reste du Royaume-Uni: 53% pour les services et 27% pour les produits
manufacturiers.
L’analyse des exportations écossaises permet de comprendre où se trouvent les
intérêts économiques internationaux. L’Ecosse a ainsi une économie fortement ouverte
vers l’extérieure, mais de façon faiblement diversifiée. La défense de sa position
économique se fait ainsi en ciblant les secteurs-clés, et justifie que l’Ecosse veuille par
32 sur 107
exemple rester dans l’Union Européenne. On notera également que le marché britannique
est le premier marché pour les firmes écossaises.
!
Nous avons ainsi essayé de montrer dans cette partie où se trouvent les intérêts en
Ecosse. En analysant la structure de son économie et de ses exports, nous avons voulu
montrer que l’Ecosse est une petite économie qui s’appuie considérablement sur un
certain nombre de secteurs-clés (pétrole et énergies renouvelables, finances) pour
soutenir la croissance. Ceux-ci ont largement contribué au redressement de l’économie
écossaise et de ses performances.
B) Les performances de l’économie écossaise
!
En effet, la caractéristique principale de la situation économique en Ecosse depuis
une vingtaine d’années est le rattrapage de son retard par rapport au reste du RoyaumeUni. Les principaux indicateurs de performance économique en Ecosse ont aujourd’hui
atteint des niveaux proches de la moyenne britannique, alors qu’ils étaient historiquement
plus faibles.
Il est donc possible d’avancer que l’Ecosse est une nation riche47. Le PIB actuel de
est estimé à 145 milliards de livres si on inclut les ressources du pétrole48. L’activité
économique écossaise représente ainsi 9,5% du total britannique, pour une population de
8,4%. Plus important, le PIB/habitant, qui mesure la richesse d’une nation, s’est
considérablement amélioré depuis les années 70. Il est actuellement d’environ 21 000
livres par habitants, soit 99% de la moyenne britannique. L’Ecosse est actuellement la
troisième région britannique, derrière Londres et le Sud-est de l’Angleterre. Si l’on ajoutait
les revenus du pétrole, le PIB/habitant serait supérieur de 15% à la moyenne britannique,
faisant ainsi de l’Ecosse le huitième pays le plus riche de l’OCDE (Fiscal Commission
Working Group, 2013)
Ces chiffres sont à comparer avec la situation dans les autres
régions dévolues, comme le montre le graphique 4:
47
« By international standards, Scotland is a wealthy nation » Fiscal Commission Working Group, 2013, p.37
48
Source: Government Expenditure and Revenue Scotland 2014, Scottish Government.
33 sur 107
!
GRAPHIQUE 4: INDICES (ROYAUME-UNI = 100) DU PIB/HABITANT DANS LES DIFFÉRENTES
NATIONS BRITANNIQUES DE 1999 À 2011 (REVENUS DU PÉTROLE EXCLUS)!
Source: Scottish Government, 2013
!
On voit ainsi que l’Ecosse, à l’inverse des autres nations britanniques, a réussi à améliorer
sa situation, et n’a notamment pas trop souffert de la crise de 2008 par rapport au Pays de
Galles ou à l’Irlande du Nord.
Nous pouvons également affirmer qu’elle a connu une croissance relativement
inférieure au reste du Royaume-Uni et à d’autres pays comparables depuis quelques
décennies, comme le montre le tableau 3
!
!
!
!
!
!
34 sur 107
TABLEAU 3: TAUX DE CROISSANCE ANNUEL MOYEN DE L’ECOSSE, DU ROYAUME-UNI ET DE PAYS
COMPARABLES À L’ECOSSE49 ENTRE 1970 ET 2007!
!
!
Taux de croissance annuel moyen
Ecosse
Royaume-Uni
Pays européens
comparables
1970-1980
1,6 %
2,0 %
3,5 %
1980-1990
2,3 %
3,1 %
2,7 %
1990-1999
2,9 %
3,0 %
2,9 %
1999-2007
2,9 %
3,1 %
3,2 %
1977-2007
2,4 %
2,9 %
3,0 %
!
Source: Scottish Government, 2013
!
L’économie écossaise s’est ainsi moins rapidement développée que les économies
de pays européens similaires depuis les années 1970. Or, comme le rappelle Working
Group, « there is no obvious characteristic of the Scottish economy that explains this
underperfomance » (Fiscal Commission Working Group, 2013, p.37). Le gouvernement
nationaliste affirme pour sa part que si l’Ecosse avait connu des taux de croissance
semblables, le PIB serait aujourd’hui supérieur de plus de 40% de ce qu’il est actuellement
(Scottish Government 2013). On peut dès lors légitimement se demander pourquoi
l’économie écossaise a-t-elle été sous performante.
Deux autres indicateurs importants de l’activité économique sont les taux d’emploi
et de chômage ainsi que la productivité horaire, qui donnent une idée des performances
du marché du travail. Or, dans ces domaines, l’Ecosse est relativement similaire au
Royaume-Uni dans son ensemble, comme nous l’indique le graphique 5.
!
49
Autriche, Danemark, Finlande, Islande, Irlande, Luxembourg, Norvège, Portugal et Suède
35 sur 107
GRAPHIQUE 5: TAUX D’EMPLOI ET DE CHÔMAGE AU ROYAUME-UNI DEPUIS 2007!
Source: Gillespie, 2014
Les variations des deux taux ont ainsi suivi globalement les mêmes tendances.
L’Ecosse semble même s’en sortir légèrement mieux: le taux d’emploi est ainsi de 73,3%
en Ecosse et de 72,6% au Royaume-Uni, tandis que le taux de chômage est de 6,5% en
Ecosse et de 6,8% dans le reste du Royaume-Uni. On remarquera ici la bonne santé
globale de l’économie britannique par rapport aux autres pays européens.
Concernant la productivité, elle est là encore largement alignée sur la moyenne
britannique (99%), mais reste en dessous des pays européens comparables comme la
Norvège, l’Irlande ou le Luxembourg (Fiscal Commission Working Group, 2013).
Ainsi, l’Ecosse a vu de façon générale ses performances macroéconomiques
progressivement se rapprocher de la moyenne du Royaume-Uni, la plaçant dans le
podium des régions britanniques. Il nous semble important d’insister sur le fait qu’il
n’existe pas de différence notable entre les deux économies, si ce n’est que l’Ecosse
semble avoir légèrement moins accru sa production depuis quelques décennies. Ceci
laisse envisager que son économie aurait pu mieux faire si le gouvernement avait été
différent, plus centré sur les secteurs-clés écossais. C’est en effet l’argument du
gouvernement nationaliste qui soutient que l’indépendance permettrait de booster
36 sur 107
l’économie écossaise, en ciblant les domaines d’intervention à privilégier (soutien au
tourisme, à la pêche), voire en menant une politique macro-économique différente, plus
adaptée à sa taille comme nous le dit Goudie: «
!
« Certainly, from a theoretical point of view, optimal economic policy at the UK level
might not be optimal at the Scottish level if the collective benefit at the UK level is at the
expense of a negative impact on Scotland {…} In other words, it can be argued that UK
economic policy could be suboptimal for Scotland, not because it is flawed, but because
one size doesn’t fit all » (in Goudie, 2013, p.24).
37 sur 107
!
Chapitre 2 : Une social-démocratie britannique ?!
!
Il existe un mythe en Ecosse qui propose de considérer la société écossaise
comme étant de façon générale plus tolérante, plus à gauche politiquement, et davantage
marquée par des valeurs de partage et d’égalité. Leydier, comme d’autres auteurs, parle
d’un véritable « mythe égalitaire » en Ecosse, qui serait basé sur:
!
« des valeurs partagées, qui apparaissent globalement plus grégaires, solidaires,
méritocratiques, environnementalistes et pacifistes que dans le sud de l’Angleterre. Les
deux décennies d’administration conservatrice (1979-1997) ont eu comme conséquence
majeure de faire prendre conscience aux Écossais de leur scotticité : en associant
thatchérisme à nationalisme anglais et Angleterre à inégalités, elles ont ainsi contribué à
redonner vie au mythe égalitaire » (Leydier, 2006, p.3)
!
Ce mythe serait même au fondement de l’identité écossaise50, qui s’inscrirait ainsi
en faux par rapport aux valeurs véhiculées en Angleterre, et particulièrement dans le SudEst de l’Angleterre, perçues comme inégalitaires et incompatibles avec le psyché
écossais. Il est à noter que pour Leydier, ce sont les années Thatcher qui constituent le
point de départ de la rupture entre l’Ecosse et l’Angleterre.51 Globalement, l’Ecosse se
considère comme social-démocrate, alors que son voisin du sud serait davantage néolibéral. Comme le notent Keating et McCrone, « devolution may have been conceived in
the 1990s as a means of stopping neo-liberalism at the border and defending social
democratic gains » (Keating et al, 2007, p. 36). Ainsi, la dévolution aurait été pensée pour
défendre la spécificité social-démocrate de l’Ecosse. Il s’agira dans ce chapitre de voir si
la société écossaise peut être considérée comme social-démocrate, ou plus social-
« On sait que les fondements de l’identité écossaise ne sont ni linguistiques, ethniques ou religieux mais
sociétaux », (Leydier, 2006, p.3)
50
51
L’auteur a notamment réalisé sa thèse de doctorat sur les années Thatcher en Ecosse et les implications
de celles-ci sur le « renouveau identitaire ». Voir par exemple sur ce thème Leydier, « Les années Thatcher
en Ecosse: l’Union remise en question ? » in Revue française de science politique, 44e année, n°6, 1994.
pp. 1034-1053
38 sur 107
démocrate que le reste du Royaume-Uni, ce qui créerait alors une divergence de point de
vue au sein de l’Union.
!
Qu’est-ce que la social-démocratie ? Keating et McCrone, dans leur ouvrage sur la
social-démocratie écossaise, en proposent une définition relativement large, basée sur
trois principes: « we seem nearer the mark if we define social democratic policies by three
interconnected figures: a commitment to social equality, a desire to humanise capitalism,
and the pursuit of social liberalism » (Keating et al, 2007, p. 18). Ainsi, la socialdémocratie, en tout cas dans sa mise en oeuvre, serait une sorte de mélange entre la
poursuite de l’égalité et du libéralisme social tout en défendant une version « humaine »
du capitalisme.
Cette idée d’ «humaniser le capitalisme » fait écho aux commentaires
d’observateurs sur le programme économique du SNP qualifié de « néo-libéralisme avec
un coeur »52. Par ailleurs, le SNP se définit lui-même comme un parti social-démocrate. A
cela ces trois critères, on peut ajouter une intervention forte de l’Etat dans l’économie, ce
que l’Ecosse possède, comme nous en avons discuté dans le chapitre précédent. Nous
reviendrons dans une première partie (I) sur ce qui permettrait de considérer la société
écossaise comme social-démocrate, notamment en considérant son attachement aux
valeurs rattachées à la social-démocratie, et l’attitude du pouvoir vis-à-vis des services
publics.
De plus, il nous semble également que le régime politique joue un rôle important
dans la définition de ce qu’est une social-démocratie. Le fonctionnement des institutions
politiques peut être considéré comme le reflet de valeurs sociétales importantes; en tout
cas, il indique une certaine vision de ce que doivent être les relations entre les membres
de la société, de même qu’il permet de faire émerger des politiques d’inspiration socialdémocrate. A ce titre, nous étudierons dans une deuxième partie (II) le Parlement écossais
d’Holyrood, mis en place en 1999, et qui s’est établi dès le départ comme un contremodèle au Parlement de Westminster, et se voulant plus représentatif de la société
écossaise.
52
cité dans Dixon, 2013, p.59
39 sur 107
I/ Un attachement relatif aux valeurs de la social-démocratie
!
A) Une société plus social-démocrate ?
Le « mythe égalitaire » est encore bien présent en Ecosse. Cependant, les
écossais sont-ils réellement plus attachés aux valeurs d’égalité, de tolérance, plus libéraux
dans les moeurs et enclins à la solidarité que leurs voisins anglais ? De nombreuses
études se sont penchées sur cette soi-disante propension des écossais à être sociauxdémocrates. Rosie et Bond, dans l’ouvrage collectif dirigé par Keating (Keating et al, 2007,
pp.39-57), font un état des lieux de ces différentes études, et mettent en avant des
similarités entre celles-ci. Plusieurs questions sont posées, portant sur le rôle de l’Etat,
son poids dans la société, la structure de ses dépenses mais également de questions de
société qui sont révélatrices d’une pensée social-démocrate. Notre analyse s’appuiera en
partie sur les travaux de Rosie et Bond, qui viennent eux-mêmes d’une étude approfondie
des travaux entrepris depuis plusieurs décennies. Dans l’ensemble, les données issues de
sondages menés par un organisme public en Ecosse et dans le reste du Royaume-Uni53
montrent une différence entre l’Ecosse et le reste du Royaume-Uni qui, si elle existe, reste
relativement faible.
Si l’on considère l’attitude concernant la redistribution des revenus, les écossais se
montrent depuis 10 ans plus favorable à celle-ci (43% pour 34% en 2010), comme le
montre le graphique 3:
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!
53
Les Scottish et British Social Attitudes Surveys sont des sondages d’opinion annuels menés par NatCen,
un organisme largement financé par les autorités publiques.
40 sur 107
GRAPHIQUE 3: POURCENTAGE DES PERSONNES SE DÉCLARANT FAVORABLE À LA
REDISTRIBUTION DES REVENUS ENTRE LES PLUS RICHES ET LES PLUS PAUVRES EN ECOSSE
ET EN ANGLETERRE ENTRE 2000 ET 2010. !
!
!!
!
!
Source: Scottish Social Attitudes Survey (SSAS) 2011; British Social Attitudes Survey (BSAS) 2011
Il faut cependant noter que la proportion des écossais se déclarant favorable à la
redistribution a décliné depuis la dévolution, et que la majorité y est hostile. Si l’on
s’intéresse maintenant au pourcentage de britanniques se déclarant favorables à une
augmentation des impôts et des dépenses, là encore la différence avec l’Angleterre existe.
Le graphique 4 montre l’évolution des mentalités depuis la dévolution:
!
!
41 sur 107
GRAPHIQUE 4: POURCENTAGE DES PERSONNES SE DÉCLARANT FAVORABLES À UNE
AUGMENTATION DES IMPÔTS ET DES DÉPENSES EN ECOSSE ET EN ANGLETERRE ENTRE 1999
ET 2010 !
!
!
Source: SSAS 2011; BSAS 2011
Encore une fois, il est important de noter que si les écossais (40%) sont
globalement plus favorables à l’augmentation des impôts et des dépenses que les Anglais
(30%), cela n’a pas toujours été le cas, et qu’en 2010, la majorité de la population dans les
deux nations n’y était pas favorable, alors que c’était le cas en 1999. Considérons
maintenant un nouvel indice de la sensibilité social-démocrate d’une société: comment les
personnes perçoivent les allocations chômages. Ici, la différence est plus marquée,
puisque la majorité des anglais (55%) considère les allocations comme trop hautes et peu
incitatrices à l’emploi contre 43% (soit 10 points de plus qu’en 1999) des écossais54.
Cependant, on remarque encore une fois que les écossais sont devenus moins nombreux
à trouver que les allocations sont trop basses (36% en 1999 contre 30% en 2010). Les
données nous montrent donc que l’Ecosse, depuis la dévolution, n’est pas devenue plus
social-démocrate, au contraire, si l’on considère la redistribution des richesses,
l’intervention étatique ou bien les allocations chômages, même si elle reste relativement
au-dessus de l’Angleterre.
Comparons maintenant le mythe égalitaire écossais avec l’accès à la santé et à
l’éducation. Le tableau 2 nous indique si les écossais et les anglais trouvent ça bien
54
Pour voir l’ensemble des données depuis 1999, voir Annexe 2, p. 105
42 sur 107
(right), mal (wrong) ou ni bien ni mal (neither) que les plus aisés aient un meilleur accès à
la santé et à l’éducation:
!
TABLEAU 2: ATTITUDE CONCERNANT UN ACCÈS MEILLEUR À LA SANTÉ ET À L’ÉDUCATION POUR
LES PLUS AISÉS EN ECOSSE EN 1999 ET 2010!
Source: Curtice & Ormston ‘The road to divergence?’ in Park et al (eds) British Social Attitudes: the 28th
report, Sage (2011), p.26
!
Ici, la différence est de 17 points de pourcentage entre l’Ecosse et l’Angleterre concernant
l’accès à la santé et de 13 points concernant l’accès à l’éducation pour ceux qui
considèrent que cela est mal (wrong). Cela montre que les écossais semblent être plus
sensibles à l’égalité d’accès aux services publics, ce qui semble aller dans le sens du
mythe égalitaire écossais. Cependant, les données du tableau 2 montrent que celui-ci a
tendance à s’effriter depuis la dévolution.
Si l’on s’est principalement intéressé aux critères économiques, un autre aspect de
la social-démocratie mis en avant par Keating et McCrone concerne le libéralisme que l’on
pourrait qualifier de « sociétal ». Les écossais seraient-ils plus tolérants, moins
conservateurs que le reste du Royaume-Uni, et plus particulièrement les anglais ? En
s’arrêtant sur le tableau 3, il semble que les écossais soient en effet très légèrement
moins conservateurs que les anglais.
!
!
43 sur 107
TABLEAU 3: POINT DE VUE POSITIF DES ÉCOSSAIS ET DES ANGLAIS SUR UN ENSEMBLE
D’AFFIRMATIONS CONSIDÉRÉE COMME CONSERVATIVES (2003) !
Ecosse (%)
Angleterre (%)
Les jeunes ne respectent pas
les traditions
59
70
Les criminels doivent être plus
sévèrement punis
79
80
Pour certains crimes, la peine
de mort est justifiée
51
60
Il faut apprendre l’autorité aux
enfants
77
85
La loi doit toujours être suivie
46
41
La censure est nécessaire pour
garder la morale
66
66
Source: Rosie and Bond, « Social Democratic Scotland ? » in Keating et al, 2007, p.5355
!
Les principales différences portent sur la peine de mort, qui est vue moins favorablement
par les écossais, et sur le respect des jeunes vis-à-vis des traditions56. Difficile donc
d’affirmer que les écossais sont nettement moins conservateurs que leurs voisins anglais.
Cette similitude entre les attitudes des écossais et des anglais se confirment quand on
considère les points de vue sur l’homosexualité, comme le montre le tableau 4, même si
les écossais sont relativement plus ouverts sur cette question que les anglais: 50% des
écossais considèrent l’homosexualité comme une pratique normale, contre 44% des
anglais.
!
!
!
TABLEAU 4: ATTITUDE DES ÉCOSSAIS ET DES ANGLAIS SUR L’HOMOSEXUALITÉ EN 2000 ET 2010!
Ecosse
L’homosexualité
est une pratique
déviante (%)
55
Angleterre
2000
2010
2000
2010
48
27
46
29
La traduction des questions a été faite par l’auteur
56
La question précise, en anglais, est « Young people today don’t have enough respect for traditional British
values », ce qui peut expliquer la proportion moindre des écossais à répondre favorablement à cette
affirmation.
44 sur 107
Ecosse
L'homosexualité
n’est pas du tout
déviante (%)
29
Angleterre
50
34
44
Source: SSAS 2011; BSAS 2011
!
Ainsi, l’ensemble des données ne permet pas de décrire l’Ecosse comme
fondamentalement plus social-démocrate que le reste du Royaume-Uni. Rosie et Bond
montrent que la rupture se ferait davantage selon une ligne Nord/Sud au sein de la
Grande-Bretagne. Les deux auteurs ont construit une échelle allant de 1 à 5 permettant
d’appréhender la sensibilité social-démocratique des différentes régions anglaises et de
l’Ecosse (1 représentant un positionnement complètement à gauche, 5 complètement à
droite, la valeur 3 le positionnement neutre selon les auteurs)57. Le tableau 5 reprend leurs
résultats.
!
!
TABLEAU 5: ECHELLE DES VALEURS ENTRE LES RÉGIONS ANGLAISES ET L’ÉCOSSE EN 2003!
Positionnement de 1 à 5
Angleterre du Nord-Est
2,34
Midlands de l’Ouest
2,49
Midlands de l'Est
2,49
Yorkshire et Humberside
2,50
Ecosse
2,52
Angleterre du Sud-Ouest
2,52
Londres
2,56
Angleterre du Nord-Ouest
2,57
Angleterre de l’Est
2,57
Angleterre du Sud-Est
2,60
Source: Rosie et Bond, ‘Social Democratic Scotland?’ in Keating et al, 2007, p.57
!
Ce tableau confirme que l’Ecosse se situe dans la moyenne des régions anglaises, qui
sont dans l’ensemble plus à gauche qu’à droite. L’Ecosse est ainsi très proche de la région
de Londres. De plus, la division Nord/Sud semble à relativiser: si la région la plus à droite
se trouve bien au sud (Angleterre du Sud-Est) et que les régions du Nord (Angleterre du
57
Les deux auteurs ont agrégé les réponses à 5 questions portant sur différents thèmes, notamment rôle de
l’Etat, la justice sociale, la redistribution des richesses, ou bien les relations employeurs-travailleurs. Pour
plus de détails sur la méthodologie de construction de cette échelle, voir Keating et al, 2007, p.46
45 sur 107
Nord-Est, Yorkshire et Humberside, Ecosse ou même les Midlands) sont relativement plus
à gauche, les écarts sont très faibles, et on trouve une région septentrionale dans les trois
régions les moins à gauche (Angleterre du Nord-Ouest)58.
La question se pose alors de savoir pourquoi l’Ecosse se considère comme une
social-démocratie, alors que les différents sondages ne montrent qu’une différence
marginale entre les valeurs des écossais et du reste des habitants du Royaume-Uni.
Hearn, dans les années 1990, soutenait que cette différence s’expliquait par le fait que les
valeurs de la social-démocratie en Ecosse était associée à des partis soutenant le projet
autonomiste59, et donc associée à la spécificité écossaises. Rosie et Bond, reprenant leur
échelle précédemment décrite, notent par exemple que les personnes se déclarant avant
tout écossaise faisaient preuves de valeurs plus à gauche que celle se déclarant plus
britanniques qu’écossaises (voir annexe 3, p.106).
De plus, ce mythe d’une Ecosse social-démocrate est entretenu par une
configuration politique particulière. La faiblesse continuelle du parti conservateur au
dessus de la frontière a fait émerger un « consensus social-démocrate »60 (Leydier, 2006,
p.4): les deux plus grandes forces au parlement écossais depuis la dévolution sont le
Labour et le SNP, deux partis qui se réclament ouvertement de la social-démocratie. Ceci
permet d’expliquer en partie le fait que la société écossaise se perçoive dans l’ensemble
comme social-démocrate, ou en tout cas plus social-démocrate. Cet attachement, relatif et
en déclin depuis la dévolution, à des valeurs traditionnellement considérées comme plus à
gauche (intervention étatique, égalité et justice sociale) a cependant incité le
gouvernement écossais, depuis la dévolution, à mener une politique assez prononcée de
soutien au caractère public des services publics, au premier rang desquels figurent les
politiques de santé et d’éducation.
58
Notre analyse s’est limitée à une comparaison entre l’Ecosse et l’Angleterre, faute de données
comparatives suffisantes entre les autres nations britanniques. Rosie et Bond nous disent cependant,
notamment dans leur tableau 10 (in Keating et al, 2007, p.48) que l’Ecosse est également similaire en
termes de valeurs à l’Irlande du Nord et au Pays de Galles.
59
« The differences here are not proofing, and when compared more specifically with Wales and Northern
England, often minimal. What is distinctive is that these values in Scotland have become closely associated
with national identity and support fo constitutional change, and thus with the parties that have supported
such change » cite dans Keating et al, 2007, p.51
60
« L’attachement des Écossais à des valeurs que l’on peut qualifier de social-démocrates se traduit par la
présence plus visible qu’en Angleterre des Verts et de l’extrême gauche, et par la convergence des
principaux partis (Travaillistes, Scottish National Party, Libéraux-démocrates) autour d’un consensus
progressiste de centre-gauche, marqué par un attachement à la universal public provision of social welfare permettant d’inclure tout les individus sans distinction dans une citoyenneté commune - et à la public
responsability for economic and social development, soulignant le rôle de la puissance publique en matière
de croissance économique comme de justice sociale » Leydier, 2006, p.4
46 sur 107
!
B) La défense des services publics: l’exemple de la santé et de l’éducation
!
Si les années Thatcher ont constitué un tel traumatisme en Ecosse, c’est
notamment parce que l’hostilité affichée du gouvernement conservateur pour la gestion
des services publics, et le programme de privatisations qui s’est en suivi, ont été perçu
comme contraire à la tradition écossaise (Leydier, 1994). L’arrivée au pouvoir des
travaillistes à Westminster n’ayant pas marqué la rupture souhaitée dans l’affaiblissement
de la gestion des services publics, le gouvernement écossais (pourtant lui-même
travailliste) nouvellement dévolu a pris un ensemble de décisions, et ce dès les premiers
instants de son existence, pour garantir le caractère public des services publics. Ces
décisions se sont notamment concentrées sur deux secteurs: l'éducation et la santé.
L’éducation est historiquement différente en Ecosse par rapport au reste du
Royaume-Uni (Paterson, 2001; Leruez, 2000). La réforme presbytérienne menée par John
Knox au XVIème siècle s’est accompagnée d’une vaste politique d’éducation devant
permettre aux fidèles, au sein des paroisses, de pouvoir lire la Bible et assister le pasteur.
Knox voulait ainsi « une école dans chaque paroisse, un lycée dans chaque bourg et une
université dans chaque ville » (Paterson, 2001, p. 95). Ainsi, le taux d’alphabétisation en
Ecosse était un des plus hauts (autour de 70%) d’Europe au XIXème siècle, tandis que les
universités écossaises bénéficiaient d’une grande renommée tout en accueillant un
nombre important d’étudiants.61 La gestion des politiques d’éducation n’a pas été
transférée au pouvoir de Londres en 1707, et l’Ecosse a gardé un système éducatif
sensiblement différent, marqué par la volonté d’accueillir des élèves d’horizons religieux et
sociaux différents et de leur donner une culture générale vaste (Paterson, 2001). Là
encore, une sorte de tradition éducative écossaise s’est développée: « Cette tradition, ou
ce « mythe », souvent qualifiée « d’intellectualité démocratique » était fondée sur la
conviction que le système est spécialement ouvert au plus grand nombre, qu’il est
considéré comme bien public, qu’il offre un programme scolaire plus diversifié et qu’enfin,
il est marqué par la rigueur intellectuelle ». (Paterson, 2001, p.95). Plus encore, c’est le
développement au XXème siècle d’un service d’éducation public performant et de qualité
qui fait la fierté des écossais (Leruez, 2000). En effet, 95% des élèves écossais étudiaient
dans une école du service public, et ce malgré le fait que la population s’est enrichie
61
La proportion d’étudiants était de 1 pour 1000 en 1860, contre 1 pour 2600 en Prusse et 1 pour 5800 en
Angleterre (Paterson, 2001, p. 95)
47 sur 107
depuis une vingtaine d’années. Cet attachement des écossais au service public s’est vu
confirmer dans les premières années de la dévolution. En effet, les politiques éducatives
font partie des pouvoirs dévolus aux institutions écossaises, en conformité avec
l’autonomie historique de l’Ecosse sur cette question que nous venons de rappeler. Le
gouvernement d’Edimbourg a à plusieurs reprises marqué sa différence avec celui de
Londres. Par exemple, la compétition entre les écoles établie en Angleterre et au Pays de
Galles à travers les school league tables a été interdite en 2003, tandis que la tutelle des
collectivités locales sur les écoles publiques et privées a été réaffirmée par une loi de
2000 (Camp-Pietrain, 2010).
Cependant, c’est dans sa politique universitaire que le gouvernement écossais a le
plus marqué sa divergence avec le reste du Royaume-Uni. Ainsi, si les budgets des
universités sont ouverts aux capitaux privés comme en Angleterre, les pouvoirs des
investisseurs dans les conseils de direction des universités sont très limités par rapport
aux universités anglaises et galloises (Haydecker, 2010). De façon générale, Haydecker,
s’appuyant sur une citation de Keating, nous dit que la gestion des universités en
Angleterre et en Ecosse relève de deux approches différentes: « Keating states that the
English approach to higher education emphases ‘management, regulation, differentiation
and competition’, in comparison to the Scottish approach, which stresses ‘professional
autonomy, consensus, egalitarianism and policy learning’ ». (Haydecker, 2010, p.19) Cette
approche écossaise se traduit par exemple par un recours plus marqué à la concertation
avec les professionnels lors de la mise en place des objectifs (Keating et al., 2007). La
réforme la plus révélatrice de cette divergence concerne les droits de scolarité. Alors qu’ils
ont explosé depuis une vingtaine d’années pour les étudiants anglais, l’une des premières
réformes du gouvernement écossais de coalition62 fut d’abolir en 2001 les droits de
scolarité pour les étudiants écossais et issus de l’Union Européenne dans les universités
écossaises, contre le paiement d’une somme forfaitaire à l’entrée dans la vie active, d’une
valeur variant entre £2000 et £3075, afin de financer les bourses. Cette somme forfaitaire,
appelée Graduate Endowment Fee, fut abolie en 2008 par le gouvernement SNP
nouvellement élu, si bien que les études supérieures sont aujourd’hui gratuites pour tous
62
L’abolition des droits universitaires fut même l’une des conditions de création de la première coalition
Labour/Lib-Dem en 1999. Les Libéraux Démocrates, qui ont toujours soutenu un accès universel aux études
supérieures, en Ecosse comme ailleurs au Royaume-Uni, refusaient de participer au gouvernement
travailliste de Donald Dewar si celui-ci ne s’engageait pas à abolir les droits d’inscription. Dewar, et
l’ensemble du parti travailliste, y était opposé alors qu’il existait un consensus entre les autres des partis
représentés au Parlement (SNP, Verts et Socialistes) en faveur de la réforme. Les travaillistes qui ne
souhaitaient pas former un gouvernement minoritaire, acceptèrent finalement de soutenir la réforme et ainsi
la première coalition put prendre effet.
48 sur 107
les étudiants écossais et européens dans les universités écossaises. Afin d’éviter l’afflux
d’étudiants anglais dans celles-ci, ces derniers doivent toujours s’acquitter de droits
d’inscription, qui restent cependant largement inférieurs à ceux des universités
écossaises. Ainsi, le gouvernement écossais a su, grâce à la dévolution, réaffirmer le
caractère public de l’éducation en Ecosse, en conformité avec la tradition égalitaire et
universaliste héritée du passé.
Le second secteur dans lequel le gouvernement écossais a affiché sa différence
par rapport au gouvernement de Whitehall est celui de la santé63. La gestion du NHS a été
confiée aux institutions écossaises, ce qui a mené à la création du NHS Scotland en 2003.
Alors que la NHS britannique effectuait sa mue dans les années 1990/2000 vers la
privatisation, la concurrence et la logique d’efficacité des services publics, le service public
de la santé écossais commençait déjà à marquer sa divergence avant même la mise en
place de la dévolution, comme le rappelle Freeman (in Keating et al, 2007). Mais la
dévolution a bel et bien permis à l’Ecosse de prendre des décisions allant à l’encontre des
réformes menées au sud de la frontière. Le marché interne au NHS fut aboli en Ecosse en
2004, ainsi que le classement des hôpitaux64. Un hôpital ne peut accéder au statut de
NHS foundation trust65 en Ecosse. Les partenariats avec le privé sont, comme dans
l’éducation, autorisés, notamment pour la construction66 des infrastructures, mais la
gestion du système est assurée, non pas par des trusts, mais par des organismes publics,
les health boards (conseils de santé locaux), composés de professionnels et de
représentants des collectivités locales. Là encore, c’est la concertation qui prime dans la
détermination des objectifs, le consensus. Le système écossais se base également
beaucoup plus sur la prévention des risques (Camp-Pietrain, 2010), comme le montre par
63
Les politiques de santé sont d’importance en Ecosse, qui affiche depuis de nombreuses années une
espérance de vie plus basse que la moyenne britannique, notamment dans les quartiers populaires de
Glasgow. L’Ecosse, encore aujourd’hui, est souvent appelée the sickman of Britain à cause d’un taux élevé
de maladies cardiovasculaires, de diabétiques et de cas d’obésité.
64
Les hôpitaux sont classés en Angleterre et au Pays de Galles par un système d’étoiles en fonction de leur
performance.
65
Les NHS Foundation Trust sont des hôpitaux particulièrement performant. Le statut leur permet d’avoir
une très grande marge de manoeuvre financière et dans le management, et d’échapper ainsi en grande
partie à la tutelle publique. Les Foundations possèdent par exemple le pouvoir d’emprunter.
66
Plusieurs hôpitaux furent ainsi construits grâce à des Partenariats Public-Privé.
49 sur 107
exemple la politique d’encadrement des troubles mentaux67 (Keating et al, 2007;
Haydecker, 2010). L’exécutif écossais n’a par ailleurs pas hésité à racheter en 2002 une
clinique privée en difficulté près de Glasgow afin de garantir à accès aux soins pour tous
et de réduire les listes d’attente68. Freeman considère ainsi que les réformes menées par
le pouvoir écossais permettent au système de santé en Ecosse d’être plus proche des
principes69 du NHS à sa fondation que ne l’est le système anglais et gallois.
La spécificité écossais dans la gestion des politiques de santé c’est également
appuyée sur une réforme-phare, la gratuité des soins pour toutes les personnes âgées
sans distinction de revenus ou de domiciliation (Keating et al, 2007; Camp-Pietrain, 2010;
Haydecker, 2010). Greer, en 2003, décrit cette réforme comme « the most important
divergence in policy in the UK in four years of devolution » (cité dans Haydecker, 2010, p.
13). De plus, Freeman considère que « health and health care in Scotland since 1997 bear
all the hallmarks of social democratic policy marking. {…} Scotland can again lay claim to a
health policy driven by social democracy’s twins concern for universalism and equality ».
(in Keating et al., 2007, p.92).
La gestion des services publics en Ecosse semble donc aller dans le sens d’une
société écossaise plus social-démocrate. La dévolution a permis au gouvernement de
marquer sa différence quant au maintien du caractère public des services publics en
Ecosse, et ce à travers deux secteurs d’importance pour les écossais: l’éducation et la
santé. Il faut cependant nuancer ce constat sur trois points. Premièrement, la privatisation
des services publics n’est pas plus populaire dans le reste qu’au Royaume-Uni. Comme le
rappelle Heins « il semble que le Parlement écossais a simplement mis en place des
mesures approuvées dans l’ensemble du Royaume-Uni » (Heins, 2010, p.41).
!
67
Les personnes atteintes de troubles mentaux font preuve d’un encadrement différent en Angleterre et en
Ecosse. En Angleterre, et au Pays de Galles, l’internement préventif est possible sans l’accord du patient ou
de son tuteur afin de protéger la société. En Ecosse, l’encadrement des troubles mentaux est plus
respectueux des patients et de leurs proches, l’accent davantage mis sur l’accompagnement et la prévention
(Keating et al., 2007; Haydecker, 2010). Par ailleurs, la mise en place de ces politiques qualifiées de
« progressives » par Freeman sont dues à un travail de concertation avec tous les acteurs du secteur au
sein de la commission Millan en 2001. Cette commission est pour Freeman, et pour d’autres auteurs,
l’exemplification de la propension écossaise à créer du consensus en mobilisant des acteurs vers un but
commun.
68
La clinique Health Care International, destinée à une clientèle étrangère et fortunée, se transforma en
Golden Jubilee National Hospital, un centre de traitement de conférences, propriété du NHS Scotland.
69
« that health service should be universal, comprehensive and free at the point of use. They have
translated into a preference for tax funding, salaried professions and at least until recently, delivery in
facilities that are publicly owned » in Keating et al., 2007, p. 87
50 sur 107
Deuxièmement, Keating nous dit que que le gouvernement écossais, plutôt que de
chercher à créer sa différence, n’a au final agit qu’en réaction à des décisions prises à
Whitehall70. L’objectif semble être davantage d’ajuster à la marge les réformes
britanniques aux spécificités écossais plutôt que d’inventer un modèle social-démocrate
autonome.
Enfin, cet ensemble de réformes a été rendu possible par un système de
financement très avantageux pour le gouvernement écossais. L’allocation aux institutions
écossais selon la formule Barnett71 a donné les moyens au Scottish Government de
mener une politique très dépensière sans se soucier de responsabilité et de soutenabilité
financières. Haydecker nous rappelle que « the first two devolved Scottish administrations
could also afford to fund policies such as free personal care for the elderly and the
abolition of tuition fees because the Labour Government‟s spending priorities during this
time corresponded with the Scottish Executive‟s priorities: health and
education » (Haydecker, 2010, p.37). Autrement dit, sans une attention particulière portée
au secteur de l’éducation et la santé à Westminster, l’Ecosse n’aurait pu se permettre de
développer une politique divergente dans ces deux secteurs. Le gouvernement
d’Edimbourg reste donc dépendant des priorités politiques définies à Londres, même
lorsqu’il veut s’en affranchir. !
!
!
!
!
!
!
70
« Scotland {…} has shown a worrying inability to engage in policy innovation, to take a lead in reshaping
and re-invigorating social democratic ideas. So policy change has too often been a matter of resisting
pressures from the south for a while, then coming into line. It is en enclave of social democracy, with its own
reserved domains, rather than a fount of policy ideas to be exported across the UK, to Europe and
elsewhere » in Keating et al, 2007, p.282
71
Nous reviendrons en détails sur le financement des institutions écossais et l’utilisation de la formel Barnett
dans notre deuxième partie, au chapitre 1. Nous pouvons simplement dire d’ores et déjà que les services
publics écossais sont financés grâce à une allocation versée par le gouvernement britannique dont le
montant est indexé sur le montant des dépenses en Angleterre. Ainsi, une hausse des dépenses sociales en
Angleterre et au Pays de Galles correspond à une hausse proportionnelle à la part de la population
écossaise (environ 9% du total britannique) dans le budget social en Ecosse.
51 sur 107
!
II/ Une culture parlementaire se voulant un contre-modèle
!
Le système politique nous semble être un facteur intéressant pour comprendre
comment une société est régie, quels sont les rapports en son sein. L’analyse du
Parlement écossais est d’autant plus intéressante que celui-ci a été créé de toutes pièces
au terme d’un long processus de reflexion mené par des politiques, des universitaires et
des acteurs de la société civile. Il a été pensé pour correspondre au mieux aux aspirations
de la société écossaise et à ses spécificités. Nous reviendrons dans un premier temps (A)
sur la genèse du Parlement écossais afin de comprendre quels ont été les principes
directeurs ayant abouti à sa création. Dans un deuxième temps (B), nous étudierons la
structure et le fonctionnement du Parlement pour savoir si son existence a été une
réussite et a contribué à mieux représenter la société écossaise.
!
A) La genèse du Parlement d’Holyrood
Le référendum de 1997 portant sur la création d’institutions dévolues à l’Ecosse ne
fut pas le premier de la sorte. En 1979, les écossais se prononcèrent une première fois sur
la question72. Si le oui remporta la majorité des votes (51,6%), une condition pour que le
projet soit adopté était que le oui dépasse les 40% des inscrits, votants ou non. Or,
seulement 32,9% de l’électorat se déclara pour la dévolution en 1979, ce qui enterra le
projet. Cependant, l’échec du référendum ne signifia pas la fin de la réflexion sur
l’autonomie écossaise et son développement politique. Les années de gouvernement
Thatcher furent l’occasion pour les écossais de faire ressurgir leurs velléités d’autonomie,
d’autant que la question de la légitimité des conservateurs à gouverner l’Ecosse se posait,
ceux-ci ne remportant par exemple que 10 sièges pour l’Ecosse à Westminster en 1987
(Leruez, 2000)73. Le parti travailliste fut le grand gagnant des années de gouvernement
conservateur, et « il commença à voir une assemblée écossaise comme une potentielle
72
Le projet de dévolution était beaucoup plus limité que que celui de 1997, donnant des pouvoirs à un
nouveau parlement écossais pour régir les questions internes, mais avec sous la tutelle administrative du
Secretary of State of Scotland qui possédait un droit de veto (Duclos, 2014). Ce projet ne rencontra que peu
d’adhésion en Ecosse pendant la campagne référendaire; le SNP se positionna notamment contre. Pour un
compte-rendu plus détaillé de projet de dévolution de 1978 et l’échec du référendum de 1979, voir
notamment Leruez, 2000, pp. 189-239.
73
Les élections de 1987 sont connus en Ecosse sous le nom de Doomsday scenario, littéralement le
« scénario de la fin du monde ».
52 sur 107
place-forte travailliste au sein du Royaume-Uni » (Duclos, 2014, p.42), ce qui l’encouragea
à soutenir la dévolution. Les années 1980 et 1990 virent aussi l’émergence d’un soutien
fort de la société civile pour la dévolution des pouvoirs, avec notamment l’association
Campaign for a Scottish Assembly (CSA) qui initia le mouvement (Duclos, 2014). Ces
mouvements autonomistes aboutirent à la création en 1989 d’un Convention
constitutionnelle écossaise, ou Scottish Constitutional Convention (SCC), qui fut le lieu de
conception du Scotland Act 1998, et donc du parlement écossais. Auparavant, un Claim of
Right for Scotland fut publié par des intellectuels, des politiques, des représentants du
monde syndical et des principales églises. Ce premier Claim of Right for Scotland fit une
critique très sévère des institutions de l’Union (Duclos, 2008), et notamment de la
centralisation du pouvoir à Londres. Leydier le décrit ainsi:
!
« De tonalité très nationaliste et souvent anti-anglaise, le rapport proclamait le droit
pour l’Ecosse à l’autodétermination. Il condamnait les gouvernements britanniques
successifs pour n’avoir pas réellement respecté le traité d’Union de 1707 et avoir abouti à
une pratique antidémocratique consistant à centraliser toute l’autorité dans la seule
personne du Premier minister, sans limitations constitutionnelles ou contre-pouvoirs
effectifs » (Leydier, 2006, p.60).
!
Ce Claim of Right for Scotland74 fur repris lors des premiers travaux de la SCC et une
déclaration, connue également sous le nom de Claim of Right, fut signée75 par les
représentants présents à la SCC, parmi lesquels figurent l’ancien Premier Minister
travailliste Gordon Brown et l’ancien Chancelier de l’Echiquier, travailliste également, et
actuel leader de la campagne Better Together, Alistair Darling76. Cette déclaration rappelle
74
Les déclarations de droits sont une pratique historiquement importante en Ecosse pour marquer son
autonomie et affirmer sa spécificité en termes constitutionnels. En 1689 et en 1842, les écossais publièrent
deux déclarations des droits dans des périodes de troubles (la Glorious Revolution en 1688 et la scission de
l’Eglise écossaise en 1842).
75
Le Claim of Right de la SCC est retranscrit ici: « We, gathered as the Scottish Constitutional Convention,
do hereby acknowledge the sovereign right of the Scottish people to determine the form of Government best
suited to their needs, and do hereby declare and pledge that in all our actions and deliberations their
interests shall be paramount. We further declare and pledge that our actions and deliberations shall be
directed to the following ends: To agree a scheme for an Assembly or Parliament for Scotland; To mobilise
Scottish opinion and ensure the approval of the Scottish people for that scheme; and To assert the right of
the Scottish people to secure implementation of that scheme ». (Leydier, 2006, p.61)
76
La SCC fut composée en grande partie d’élus travaillistes et libéraux-démocrates, qui furent les grands
artisans de la dévolution en 1997. (Duclos, 2014). Les nationalistes et les conservateurs refusèrent de
participer à la SCC.
53 sur 107
notamment que la souveraineté en Ecosse est de type populaire77, ce qui va à l’encontre
de la tradition anglaise dite de Crown-in-Parliament ou Couronne-en-son-Parlement, qui
pose la souveraineté parlementaire au coeur de la démocratie britannique (Duclos, 2008).
Les travaux de la SCC aboutirent à un premier rapport en 1990 qui s’avéra être une
critique généralisée du système de Westminster. D’emblée, il s’agit d’inscrire le futur
Parlement écossais en tant que contre-modèle à celui de Londres, considéré comme
passéiste et inefficace. A la page 12 de son premier rapport, la SCC dit: « The Scottish
Parliament will not be a pale imitation of Westminster. There will be no archaic practices
justified in terms of custom and long usage in another place. Procedure developed over
the years at Westminster can be defended only in terms of respect for tradition. That is not
good enough. » (cité dans Duclos, 2008, p. 5). Les grands principes qui devaient guider la
création d’un parlement écossais furent également évoqués: l’ouverture, l’accessibilité, la
responsabilité politique et la participation (Duclos, 2008). Une critique fut notamment faite
sur le caractère très conflictuel des débats à Westminster (deux universitaires parlèrent
même de « combats de chiens »78) , qui ne convenait pas au « caractère essentiellement
consensuel de la politique écossaise, dont témoignaient le multipartisme écossais ainsi
que l’approche prônée au sein de la SCC » (Duclos, 2008, p.6).
Le deuxième rapport de la SCC parut en 1995 et dessina l’architecture du nouveau
parlement écossais: plus ouvert, plus moderne, il devait être monocaméral et comporter
un système de commissions fortes pour pallier l’absence d’une deuxième chambre de
lectures. Le mode de scrutin prôné fut un système binaire, l’Additional Member System
(AMS)79 et non la traditionnel scrutin majoritaire ou first-past-the-post en vigueur pour
l’élection des députés britanniques. Par ailleurs, le Parlement seul devrait avoir le droit de
se dissoudre.
Les travaux de la SCC furent dans une large mesure repris par le livre blanc de
1997 qui détailla le projet de dévolution. Les élections générales de 1997 donnèrent en
77
La revendication de la souveraineté populaire en Ecosse remonte au XIVème siècle et à la déclaration
d’Arbroath signé en 1320 (Leruez, 2000, p.257) par des barons écossais pour réaffirmer l’indépendance et la
souveraineté écossaise face aux attaques anglaises.
78
Crick et Millar parlent décrivent les débats parlementaires à Londres comme « the automated dog-fights of
Westminster » (cité dans Duclos, 2008, p.6). Les deux auteurs ont publié un document devant la SCC en
1991, To Make the Parliament of Scotland a Model for Democracy, sur lequel les travaux du deuxième
rapport de la SCC se basèrent largement (Duclos, 2008).
79
Nous reviendrons sur le fonctionnement de ce mode de scrutin dans la deuxième sous-partie sur le
fonctionnement du Parlement d’Holyrood.
54 sur 107
effet plus de 90% des sièges en Ecosse aux partis dévolutionnistes80 (Labour et Lib-Dem)
(Leruez, 2000, p.266), ce qui exprima un mandat clair pour mettre en place l’autonomie
écossaise et constitua l’aboutissement de quasiment deux décennies de réflexion sur ce
que pourrait être un parlement écossais. Le projet de dévolution fut proposé par
référendum aux écossais le 11 septembre 1997. Deux questions furent posés: est-ce qu’il
devait y avoir un parlement écossais, et est-ce que celui-ci devait avoir des pouvoirs de
variation de l’impôt81. Les deux réponses furent positives (respectivement 74,3% et 63,5%
pour le oui). Le gouvernement put donc présenter au Parlement britannique le projet de loi
sur la dévolution, le Scotland Bill 1998, qui fut adopté en novembre 1998. Les premières
élections au Parlement écossais eurent lieu en mai 1999, et donnèrent une majorité au
parti travailliste, avec 56 sièges. Le SNP arriva deuxième, avec 35 sièges. Donald Dewar,
partisan de la dévolution depuis le début, devint le premier First Minister écossais et forma
le premier gouvernement écossais dévolu. L’Ecosse avait de nouveau un parlement. Or,
celui-ci, nous l’avons montré, a été conçu dès le départ comme un contre-modèle au
parlement de Westminster82, qui est considéré comme peu représentatif de la scène
politique et la société écossaise. Intéressons-nous à présent à la structure et au
fonctionnement du parlement d’Holyrood.
!
B) Structure et fonctionnement du Parlement écossais: un contre-modèle en
réussite
!
Le parlement écossais (re)ouvert en 1999 est composé d’une seule chambre de
129 membres élus tous les quatre ans. La différence est ici déjà présente avec le
Parlement britannique, puisqu’il y a deux chambres à Westminster, et qu’il n’existe pas de
durée précise du mandat des députés. Le choix d’un parlement monocaméral s’inscrit
80
Les élections de 1997 marquent par ailleurs l’écroulement total du parti conservateur en Ecosse, puisqu’il
ne remporta aucun siège. Son attitude ouvertement anti-dévolutionniste fut sans doute la raison principale
de cet échec retentissant (Leruez, 2000)
81
Ces pouvoirs, appelés communément tartan tax, sont en fait la possibilité pour le gouvernement écossais
de varier de plus ou moins 3% le taux d’imposition sur le revenu.
82
Citons par exemple un extrait du rapport de 1995 de la SCC: ! « [W]e have emerged with the powerful
hope that the coming of a Scottish parliament will usher in a way of politics that is radically different from the
rituals of Westminster. [...]
[T]he working arrangements for Scotland’s Parliament set out here describe a legislature that is very different
from the Westminster model. One obvious difference is that it will consist of a single chamber, but the
Convention expects that the Parliament will also differ from Westminster in a less procedural, and more
radical sense » (cité dans Duclos, 2008, p.10)!
55 sur 107
dans la dénonciation du modèle britannique, la Chambre des Lords étant considérée
comme anachronique et ne répondant plus aux réalités du XXIème siècle. L’existence
d’une chambre unique est compensée par un pouvoir fort donné aux commissions
parlementaires. Celles-ci ont une importance considérable par rapport à leurs homologues
britanniques, et permettent à l’ensemble des MSP d’être impliqué dans les débats
parlementaires (Leruez, 2000), et évite ainsi le phénomène des backbenchers83 de
Westminster. La Commission Calman84 sur la réforme de la dévolution dit également que
« the Scottish Parliament’s committees generally work well and, in particular, that they are
more open and accessible than their UK Parliament counterparts » (Serving Scotland
Better, 2009, p.220). Les commissions parlementaires ont pour rôle d’étudier les projets de
loi et d’apporter des amendements. Elles effectuent un rôle important de contrôle des lois,
et agissent en véritable contre-pouvoir.85 Elles permettent également de prendre en
compte les intérêts de la société en menant des enquêtes, travail qu’elles ont mené « de
façon extrêmement sérieuse » (Leydier, 2007, p.6).
Une commission importante dans le système est la commission en charge de pétitions.
Celles-ci peuvent être adressées par toute personne physique ou morale, sur des
questions relevant des compétences du Parlement écossais. Si la pétition est recevable,
la Commission l’examine et décide ou non de la transférer à l’exécutif, qui doit en prendre
compte (Camp-Pietrain, 2008). A noter qu’il n’y a pas de limite minimum de signatures:
toute personne peut déposer une signature. Ce système est un succès, puisqu’il a permis
à des questions soulevées par des citoyens d’être débattues en séance plénière (Leydier,
2007), ainsi que de faire entendre le point de vue des Écossais et d’attirer l’attention sur
des problèmes spécifiques lors de certaines grandes réformes (comme l'interdiction de la
chasse à courre, la création des parcs nationaux ou bien l’abolition du droit de propriété)
(Camp-Pietrain, 2008). Le fonctionnement de la commission des pétitions est « l’un des
rares éléments des institutions qui, loin d’être contestés, étaient même enviés » (CampPietrain, 2008, p.9), tandis que Leydier dit que l’ « on peut donc considérer que le nouveau
83
L’expression backbenchers désigne le fait que certains MPs sont assis au fond de l’assemblée de
Wesminster
84
La Commission on Scottish Devolution, dite Commission Calman du nom de son président, fut chargée
par le Parlement écossais de mener une étude approfondie de la dévolution en Ecosse dix ans après sa
mise en oeuvre. Voulue par le parti travailliste, et soutenue par les libéraux-démocrates et les conservateurs,
la Commission présenta un rapport en jun 2009. Les conclusions de ce rapport, qui ne considère pas
l’indépendance, ont largement été reprises dans le Scotland Act 2012, l’acte 2 de la dévolution que nous
détaillerons dans notre deuxième partie
85
« Ainsi, en l’absence d’une seconde chambre législative, et grâce à l’accent mis sur le principe de partage
du pouvoir, les commissions parlementaires jouent un rôle beaucoup plus important en Écosse qu’au
Parlement britannique, et servent de contre-pouvoir à l’Exécutif » Duclos, 2008, p.11
56 sur 107
parlement de Holyrood a joué à plein son rôle de forum démocratique, où peuvent être
débattues les questions intéressant les Écossais » (2007, p.6)86, alors que le Parlement de
Westminster est décrié pour son opacité et sa faible accessibilité pour les citoyens
britanniques en général, écossais en particulier87.
De façon générale, le Parlement d’Holyrood est beaucoup moins rigide dans son
fonctionnement que son homologue britannique (Leruez, 2000). L’une des caractéristiques
principales dans le déroulement des séances parlementaires concerne les horaires de
session, qui se veulent family-friendly, selon l’expression utilisée par les auteurs
précédemment cités: les débats ont lieu pendant les horaires de bureau, ce qui encourage
de nombreux députés à avoir une vie de famille, et favorise ainsi la participation des
femmes. Ainsi, on dénombre au Parlement écossais 35 % de femmes en 2010 (38% en
1999) pour 22% aux Communes (Craknell et Keen, 2014). « Holyrood est sur ce plan
beaucoup plus proche des pays scandinaves que de Westminster »88 (Leydier, 2006, p.
65). On peut par ailleurs relevé que les débats sont en général moins conflictuels qu’à
Westminster, du fait notamment de la disposition de l’assemblée en quasi-hémicycle et
non en opposition comme au Parlement de Londres.
De plus, le mode de scrutin pour l’élection des MSPs est relativement différent de
celui utilisé pour l’élection des MPs. L’Additional Member System est un mélange entre un
scrutin majoritaire et proportionnel, un système comparable à celui en vigueur en
Allemagne pour l’élection du Bundestag. 73 sièges sont attribués selon le système du firstpast-the-post, scrutin majoritaire à un tour dans chaque circonscription. Pour corriger les
distorsions créées par ce système, les 56 sièges restants sont attribués à la
proportionnelle par un scrutin de liste par régions. Ainsi, l’AMS apporte « a high degree of
proportionality in the overall distribution of the seats in parliament » (Commission on
Scottish Devolution, 2009, p.42), ce qui conviendrait mieux à la nature consensuelle déjà
évoquée de la politique écossaise. Ce système avait pour objectif de rendre impossible la
domination d’un seul parti au parlement et donc de forcer les partis à négocier pour former
86
Il s’agit cependant de nuancer ce constat: Camp-Pietrain rappelle que, si « 90% des pétitionnaires
estiment que leur préoccupation a été entendue et que leur requête a été traitée équitablement, mais seuls
54% pensent qu’elle a entraîné des changements » (2008, p.5), et que les pétitionnaires restent des
personnes relativement aisées et déjà politisées, ce qui ne permet de considérer que l’ensemble de la
population écossaise tire profit de ce système.
87
Des données du SSAS 2013 montrent qu’en 2011, 56% des écossais considéraient que le gouvernement
écossais était plutôt à l’écoute des citoyens avant de prendre des décisions, contre seulement 19% d’avis
similaires pour le gouvernement britannique. (Reid et al, 2013)
88
L’écart reste cependant fort, avec un pourcentage de femmes à l’assemblée suédoise de 48% en 2010
(Cracknell et Keen, 2014).
57 sur 107
des coalitions (Duclos, 2014). Jusqu’aux élections 2011, le système fonctionna, les deux
premières coalitions Labour/Lib-Dem cédant la place en 2007 à un gouvernement
nationaliste minoritaire.
!
Ainsi, le Parlement d’Holyrood, de sa conception à aujourd’hui, a voulu se
démarquer de son homologue britannique, afin de créer un contre-modèle qui serait plus à
même de représenter la société écossaise et ses caractéristiques spécifiques. Plus
moderne, moins rigide dans ses procédures et plus accessible et transparent pour les
citoyens, le parlement d’Holyrood semble être une réussite89, même s’il a pu créer des
désillusions, à la hauteur des des attentes placées en lui lors de la genèse du projet de
dévolution90 (Duclos, 2008).
!
La société écossaise présente ainsi certains aspects d’une social-démocratie: un
attachement à l’égalité, aux services publics et à l’intervention étatique, des valeurs plus
progressistes, et une culture parlementaire plus consensuelle et populaire. Grâce à la
dévolution, l’Ecosse a pu marquer sa différence avec le reste du Royaume-Uni, même si
celle-ci reste au final relativement faible, surtout avec le Nord de l’Angleterre. Elle a surtout
pris en main sa gestion et a adapté son fonctionnement politique à ses spécificités.
!
!
!
!
!
89
65% des écossais considèrent que le parlement écossais est un succès (Commission on Scottish
Devolution, 2009).
90
Duclos insiste sur le fait que le projet de dévolution pensé par les autonomistes de la CSA et de la SSC ne
pouvait être qu’une « utopie chimérique », car il ne s’agissait pas de la création d’un nouvel Etat, mais d’un
processus de transferts de pouvoir au sein d’un Etat resté unitaire. Le nouveau parlement écossais ne
pouvait dès lors que décevoir : « Sa mise en œuvre s’est révélée décevante à deux égards. D’une part, le
modèle écossais est moins radical et plus proche du modèle britannique que la tonalité des textes
autonomistes ne l’avait suggéré. D’autre part, la radicalité du discours autonomiste a brouillé les frontières
qui séparaient ce dernier du discours indépendantiste. Les attentes soulevées par le discours autonomiste
étaient donc condamnées à être en décalage avec la réalité d’un Parlement autonome au sein d’un système
gouvernemental toujours centré sur le Parlement britannique » (2008, p.11) « En conséquence, même
lorsqu’ils l’ont ouvertement condamné, les autonomistes écossais se sont autant inspirés du modèle de
Westminster qu’ils l’ont rejeté. Surtout, même si le projet autonomiste prit la forme d’une utopie politique, la
caractéristique principale des utopies lui fit défaut : le lieu où le modèle autonomiste devait être mis en
application n’était pas un pays nouveau, éloigné du pays dont on dénonçait le système politique, mais un
pays au sein de ce dernier. C’est pourquoi au milieu des années 2000, l’« utopie calédonienne » n’était plus
l’utopie autonomiste de la fin des années 1980 et des années 1990, mais l’utopie d’une Écosse
indépendante, d’une République indépendante d’Écosse, voire d’une République socialiste écossaise ». p.
14 58 sur 107
Deuxième Partie: Quelles trajectoires pour
l’autonomie écossaise ?!
!
Où en est l’Ecosse, et où va-t-elle ? Surtout, où peut-elle aller ? Quelles sont ses
possibilités pour continuer à exprimer sa divergence ? Si notre première partie avait pour
objectif de rendre compte de la spécificité écossaise, de comprendre d’où celle-ci vient et
comment elle s’exprime, de tester ses mythes, ainsi que de donner une image de sa
position économique au sein du Royaume-Uni, il s’agira dans cette deuxième partie de
rechercher les trajectoires futures pour l’Ecosse. Si l’arrivée au pouvoir des nationalistes
en 2007 est historique sur bien des points, elle aura surtout marqué le début d’une prise
de conscience nationale sur l’état de la dévolution dix ans après le référendum. Ainsi, on
assiste depuis 2007 a une effervescence quant à la situation constitutionnelle en Ecosse
et aux possibles modifications de celle-ci. Le débat s’est aujourd’hui cristallisé autour de la
question de l’indépendance, projet historique des nationalistes, qui ont interprété leur
victoire retentissante de 2011 comme un mandat donné par la population pour négocier
l’indépendance avec le gouvernement britannique. Et en effet, le référendum aura lieu le
18 septembre 2014, avec une Ecosse indépendante en mars 2016 en cas de victoire du
oui. Cependant, il existe une large palette de possibilités entre le statu-quo du Scotland
Act 1998 et l’indépendance. Il s’agira dans cette partie de détailler les différents aspects
de cette palette, qui se partage cependant entre deux grandes options: rester dans le
Royaume-Uni et sortir de l’Union. Nous étudierons respectivement ces deux options en
détails.
!
Chapitre 1 : Du Scotland Act 2012 à la Devo-max: quelle place pour
l’Ecosse dans un Royaume-Uni unitaire ?!
!
Quand on considère la position de l’Ecosse au sein du Royaume-Uni, deux
constats s’imposent. Premièrement, la dévolution est un succès. Si les débuts des
institutions dévolues furent timides (Leruez, 2000; Leydier, 2006), force est de reconnaître
que celles-ci sont aujourd’hui vues d’un oeil très positif par les écossais: les sondages
menés par la Commission Calman en 2008 montrent que pour 77% des écossais, le
gouvernement écossais fonctionne et est une réussite, tandis que 74% considéraient que
la dévolution avait produit des meilleurs résultats pour l’Ecosse (Commission on Scottish
Devolution, 2009, pp.58-59). Deuxièmement, si la dévolution est un succès, les citoyens et les politiques
59 sur 107
écossais sont très largement en faveur d’une nouvelle étape dans la dévolution. Le
tableau 6 montre l’évolution du soutien aux différentes possibilités constitutionnelles
depuis le début de la dévolution.
!
!
TABLEAU 6: PRÉFÉRENCES CONSTITUTIONNELLES EN ECOSSE EN 2009!
Quelle proposition est la plus proche de votre opinion sur le futur de l’Ecosse ?
%
L’Ecosse doit être indépendante
21
Le Parlement écossais doit avoir plus de
pouvoir qu’à l’heure actuelle, comme une quasiindépendance
41
Le Parlement écossais a les bons pouvoirs et
doit les garder
26
Le Parlement écossais devrait avoir moins de
pouvoir qu’à l’heure actuelle
8
Ne sais pas / Aucune des propositions
précédentes
5
Source: Commission on Scottish Devolution, 2009
!
Ainsi, 62% des écossais se déclaraient en faveur d’un changement constitutionnel
qui donnerait plus de pouvoirs au Parlement écossais, que ce soit l’indépendance
complète ou une forme plus poussée de dévolution. Si l’on considère des données plus
récentes du SSAS 2013, on constate qu’en 2013, 63% des écossais étaient d’avis que le
Parlement écossais devait avoir le plus d’importance dans la façon dont l’Ecosse était
gouvernée quant seulement 30% pensaient que c’était effectivement le cas (Reid et al.
2013). Les grands partis unionistes écossais l’ont bien compris: ils ont commandé la
Commission Calman dès 2008, dont les recommandations du rapport final ont été
largement reprises dans l’élaboration du Scotland Act 2012, sur lequel nous reviendrons
en détails dans notre première sous-partie (I/). Puis, pour contrer le projet d’indépendance
du SNP, chacun a publié un projet pour davantage de dévolution pour l’Ecosse91,
empruntant des chemins très différents.
La situation constitutionnelle actuelle de l’Ecosse n’est donc pas appelée à durer, et
les propositions pour changer le statu-quo, tout en maintenant l’Ecosse dans l’Union, sont
91
Pour les libéraux-démocrates: Home Rule and Community Home Rule Commission of the Scottish Liberal
Democrats, Federalism, The Best Future for Scotland, Edinburgh, Scottish Liberal Democrats, 2012!
Pour les travaillistes: Scottish Labour Devolution Commission, Powers for a Purpose: Strengthening
Accountability and Empowering People, Glasgow, Scottish Labour Party, 2014!
Pour les conservateurs: Commission on the Future Governance of Scotland, Final Report, Edinburgh,
Scottish Conservative and Unionist Party, 2014
60 sur 107
nombreuses. Nous nous intéresserons aux principales dans notre deuxième souspartie(//).
I/ Etat de la dévolution après le Scotland Act 2012
!
Les Scotland et Government of Wales Acts de 1998 ont considérablement modifié
la constitution administrative et politique du Royaume-Uni. En instaurant un processus de
décentralisation, appelé dévolution, ils ont créé une situation inédite sur le plan
constitutionnel, qui ne peut être décrite comme du fédéralisme (A). La dévolution a opéré
une redistribution des pouvoirs entre le gouvernement britanniques et les nouvelles
institutions écossais, qui disposent de larges pouvoirs pour gérer les affaires internes (B).
Cependant, le volet financier, et notamment fiscal, de cet arrangement constitutionnel est
grandement décrié en ce qu’il ne confère que peu de responsabilités au Parlement
écossais dans la levée de ses ressources financières (C). Nous nous efforcerons donc
dans cette partie de dresser un état des lieux de la dévolution en prenant en compte les
réformes induites par le Scotland Act 2012, qui amende celui de 1998, et devrait entrer en
vigueur en 2015 ou 2016, si bien sur l’Ecosse est encore membre du Royaume-Uni à cette
date.
!
A) Pourquoi le Royaume-Uni n’est pas un Etat fédéral
!
Comme le rappelle la Commission Calman, « Scotland’s union with England is
unique within the United Kingdom, and internationally. {…} The UK is, as has been said,
not just a Union State, but a State of different unions: different unions which have formed
between England and each of its three neighbours. Each of those unions has its own
history, dynamic and likely path of further development. » (Commission on Scottish
Devolution, 2009, p. 60). Depuis la dévolution, cette union est d’autant plus complexe
qu’elle a encore plus brouillé les cartes entre les différents niveaux de gouvernement.
Cependant, en termes purement constitutionnel, le Royaume-Uni n’est pas un Etat fédéral
comme le Canada, les Etats-Unis ou l’Allemagne. Il n’existe ainsi qu’un seul parlement
souverain pour tout le Royaume-Uni, celui de Westminster. Les assemblées galloises et
écossais ne sont que des assemblées « subalternes » (Duclos, 2014, p.47), dont
l’existence dépend d’une décision prise par le Parlement de Westminster. C’est là une
61 sur 107
première différence avec un système fédéral, dans lequel l’ensemble la souveraineté est
partagée par l’ensemble des entités politiques qui le constituent.
Deuxièmement, les assemblées dévolues n’ont aucune compétence exclusive.
Techniquement parlant, le Parlement britannique a gardé le droit de légiférer dans tous les
domaines, même dévolus. Il est le seul à disposer de compétences réservés, que nous
détaillerons plus loin. Il existe cependant un accord entre les parlements écossais et
britannique, appelés convention Sewel92, qui stipule que les députés de Westminster ne
peuvent légiférer sur des domaines dévolus qu’après avoir obtenu l’accord de leurs
homologues écossais.
Troisièmement, toutes les composantes du Royaume-Uni ne dispose pas d’une
assemblée qui leur est propre. Ainsi, la principale composante de l’Union, l’Angleterre, n’a
pas de parlement spécifiquement dédié à la gestion des affaires anglaises: les décisions
pour l’Angleterre sont prises à Westminster, avec les voix des députés écossais, gallois et
nord-irlandais. Cette configuration peut résulter en une situation où les députés écossais à
Westminster ne peuvent pas se prononcer sur des questions dévolues à l’Ecosse, mais
peuvent décider de questions intéressants l’Angleterre uniquement. Cette anomalie est
connue sous le nom de West Lothian question93 et pose la questions de la représentativité
du Parlement de Westminster en tant que représentation politique de l’ensemble des
citoyens britanniques. Cependant, Duclos rappelle que cette asymétrie représente le
coeur même de la dévolution:
!
« La principale raison d’être de la dévolution est bien d’être asymétrique, et de
tenter de compenser le déséquilibre politique entre l’Angleterre et les petites nations
britanniques, né du poids démographique disproportionné de l’Angleterre (sans parler de
son poids historique ou économique), par la création de forums politiques spécifiques à
ces petites nations » (Duclos, 2014, p.47)
!
Enfin, la dévolution est doublement asymétrique, puisque les assemblées
régionales non pas toutes les mêmes attributions et compétences: chaque parlement a été
créé par un acte distinct qui contient des dispositions spécifiques. Ainsi, l’assemblée
galloise a longtemps eu des pouvoirs bien moindre que son homologue écossaise
92
Du nom de Lord Sewel, alors sous-secrétaire d’Etat à l’Ecosse, qui précisa les termes de l’accord lors du
passage du Scotland Bill en 1997 à la Chambre des Lords.
93
Nommé ainsi car soulevée par Tam Dalyell MP, alors député pour la circonscription de West Lothian, à
l’ouest d’Edimbourg
62 sur 107
(Leydier, 2006). Le Royaume-Uni est donc a bien des égards unique son genre, un
système resté unitaire mais qui emprunte beaucoup aux principes du fédéralisme dans le
partage de compétences entre les différents niveaux de pouvoirs. !
B) Le partage des compétences entre Edimbourg et Londres
La dévolution a opéré un vaste transfert des pouvoirs de l’échelon britannique aux
institutions écossaises. Dans les textes, toutes les compétences qui ne sont pas
explicitement réservées au Parlement britannique sont de la responsabilité d’Holyrood.
L’annexe 5 du Scotland Act 1998 liste les domaines réservés, au rang desquels on compte
notamment les affaires étrangères, la défense, la monnaie et le gouvernement macroéconomique, la sécurité sociale ou encore la monarchie. Le tableau 7 détaille ce partage
des compétences:
!
TABLEAU 7: PARTAGE DES RESPONSABILITÉS ENTRE LONDRES ET EDIMBOURG APRÈS LE
SCOTLAND ACT 1998!
!!
Compétences dévolues au Parlement écossais
Compétences réservées au Parlement
britannique
Santé (dont le NHS en Ecosse)
Monarchie et Affaires Constitutionnelles (dont la loi
électorale et la fonction publique)
Education (de la maternelle à l’Université)!
Formation professionnelle et rechercher scientifique
Politique étrangère (dont traités et accords
internationaux et relations avec l’UE
Supervision des collectivités locales (notamment
attributions, finances locales, découpage territorial
et loi électorale)
Défense et sécurité nationale (dont protection aux
frontières et lutte anti-terroriste, délimitation des
eaux territoriales, politiques d’immigration et de
nationalité, sécurité nucléaire, législation sur les
drogues et les armes à feu
Travail social et secteur associatif
Politique macroéconomique, fiscale et monétaire
Logement et politique urbaine (dont désignation des
zones d’entreprises)
Marché commun britannique (dont droit de la
concurrence, droit de l’entreprise et protection des
consommateurs)
Développement économique (dont aide à
l’investissement, promotion du commerce,
administration des fonds structurels européens,
tourisme, secteur énergétique, attributions des
agences Scottish Entreprise et Highland & Islands
Entreprise)
Droit du travail et relations industrielles
Droit civil et pénal (dont prisons)
Gestion de la sécurité social
Secteur énergétique: électricité, charbon, gaz et
nucléaire
63 sur 107
Compétences dévolues au Parlement écossais
Compétences réservées au Parlement
britannique
Police, pompiers, défense civile, prévention des
risques naturels
Médecine et santé: gestion de certains secteurs
(législations sur l’avortement, l’embryologie et la
génétique) et régulation de certaines professions
(dont médecins, dentistes et infirmiers)
Transports locaux (routier, maritime et aérien, et en
partie ferroviaire)
Sécurité et régulation globale des transports, et
chemin de fer
Sports, culture et arts (dont musées nationaux)
Audiovisuel et télécommuniations
Agriculture et pêche (dont administration des fonds
européens) et forêts
Loterie nationale, paris et jeux de hasard
Gestion du patrimoine naturel et immobilier et
protection de l’environnement
Etat civil, archives et statistiques liés aux domaines
de compétences
Source: Leydier, 2006, pp.74-75
!
Les institutions écossais disposent donc d’un très large éventail de compétences
pour gérer les affaires internes. Elles peuvent notamment influencer sur le développement
économique directement, ou indirectement par le biais de l’éducation et de la formation
professionnelle. Elles ont en charge les grands secteurs de l’économie écossaise, comme
la pêche et l’agriculture ou le secteur énergétique. Certaines compétences dévolues sont
directement en lien avec l’histoire de l’Ecosse et le maintien d’un société civile différente
depuis l’Union: le système juridique et la politique carcérale ainsi que la gestion des
universités font partie des domaines historiquement spécifiques en Ecosse94. Le
Parlement écossais est également en charge d’une pan important du welfare state, à
savoir le système de santé. Cependant, la sécurité sociale reste une compétence réservée
du Parlement britannique. La Commission Calman a notamment estimé que ce domaine
devait continuer à être géré au niveau britannique, car cela était le seul moyen de
maintenir ce que la Commission appelle « l’union sociale » (Commission on Scottish
Devolution, 2009, p.6). En effet, si les politiques de sécurité sociale divergeaient entre les
composantes du Royaume-Uni, cela créerait des distorsions importantes entre les droits
sociaux des citoyens britanniques en fonction de leur lieu de résidence, ce qui serait
contraire aux principes du welfare state.
Au final, il ne reste que très peu de compétences internes qui n’ont pas été
dévolues. La Commission Calman considère meme que l’essentiel de ce qui peut être
transféré sans remettre en cause l’Union économique et sociale l’a été lors du premier
94
Voir sur ce point Leruez, 2000, pp 49-66
64 sur 107
acte de la dévolution: « In summary it is the view of the Commission that the powers
conferred on the Scottish Parliament and Scottish Ministers through the Scotland Act and
subsequent legislation encompass most of the key policy levers that directly affect the
lives of the people of Scotland » (2008, p.56). Cette tendance est confirmée par l’analyse
de la structure des dépenses publiques en Ecosse.
Les dépenses effectuées par les
institutions écossaises représentent 60% du total des dépenses identifiables95 en Ecosse,
les 40% restants représentant les dépenses de sécurité sociale. La gestion du welfare
state est d’ailleurs la seule compétence d’importance qui n’ait pas été dévolue. Il est ainsi
compréhensible que les recommandations de la Commission concernant la répartition des
compétences soit limitées, et que leur traduction dans le Scotland Act 2012 ait été
relativement consensuelle (Commission on Scottish Devolution, 2009; Camp-Pietrain,
2012)96. Par ailleurs, les différents projets d’extension de la dévolution ne s’interroge que
sur le transfert de la sécurité sociale dans son ensemble, ce qui prouve que peu
!
C) Les dispositions financières telles réformées par le Scotland Act 2012
Le volet financier et fiscal de la dévolution est le plus critiqué au Royaume-Uni. Les
dispositions issues du Scotland Act 1998 ne donnent que très peu de pouvoirs fiscaux au
Parlement écossais. En effet, il est estimé que celui-ci n’est responsable que de la levée
de 15% de ses ressources, alors qu’il est compétent pour 60% des dépenses engagées
en Ecosse. Ce fossé entre ressources et dépenses, appelé en théorie fiscale déséquilibre
fiscal vertical, interroge de nombreux observateurs, au rang desquels la Commission
Calman, qui y voit un déficit démocratique ne donnant pas une vraie responsabilité
(accountability) au Parlement écossais quant aux dépenses engagées. C’est pourquoi le
coeur des réformes mises en place avec le Scotland Act 2012 porte sur la réforme du
financement des institutions écossaises. Celles-ci sont maintenues par un double apport
de ressources: les impôts gérés par le Parlement écossais et une dotation versée par le
gouvernement britannique selon la formule Barnett.
95
On distingue deux types de dépenses au Royaume-Uni: les dépenses identifiables, c’est à dire celles que
l’on peut attribuer spécifiquement à une nation (sécurité sociale, éducation ou transports) et les dépenses
non-identifiables, qui sont pour l’ensemble du Royaume-Uni et qui ne peuvent être attribuées à une nation
en particulier (monarchie, affaires étrangères, défense).
96
Les nouvelles compétences du Parlement écossais à la suite de l’acte 2 de la dévolution sont très
mineures: elles comportent notamment la régulation des armes à air comprimé, la législation en termes de
sécurité routière ou bien l’encadrement des médecins pouvant prescrire des substituts thérapeutiques aux
drogues. L’exécutif écossais aura également un droit du regard sur certaines nominations, comme le
commissaire écossais en charge des biens de la couronne et le membre écossais du conseil de surveillance
de la BBC. (Camp-Pietrain, 2012).
65 sur 107
Le Parlement écossais a le pouvoir de lever certains impôts, et notamment les
impôts locaux sur les entreprises (business rates) et les personnes (council tax), qui sont
en réalité prélevés par les collectivités locales. Avec le Scotland Act 2012, certains impôts
mineurs seront également transférés à l’Ecosse: la taxe sur les transactions immobilières
(Stamp Duty Land Tax) et sur les déchets (Landfill Tax) qui ont rapporté environ 572
millions d’euros en 2012, soit environ 1,2% du budget écossais (McLean et al., 2014, p.
93). En revanche des impôts plus importants, comme l’impôt sur les sociétés (corporation
tax) ou bien la TVA restent perçus par le gouvernement britannique97.
Les institutions écossaises peuvent également faire varier le taux de base de
l’impôt sur le revenu. Avant le Scotland Bill 2012, l’ampleur de la variation était de plus ou
moins trois pence pour une livre, soit un pourcentage de taxation de plus ou moins 3%. Ce
mécanisme est appelé le Scottish Variable Rate (SVR). Il n’a cependant jamais été utilisé,
et les sommes prélevés auraient représentées une part « infime au regard du budget total
alloué par Londres » (Duclos, 2014, pp.263-264). Le Scotland Act 2012 change les règles
concernant l’impôt sur le revenu. Désormais, les taux de base fixés par le gouvernement
britannique seront automatiquement inférieurs de 10 points de pourcentage en Ecosse.
Cet abattement sera compenser par des taux écossais décidés par le Parlement d’
Holyrodd qui viendront s’ajouter aux taux britanniques. McLean, Gallagher et Lodge
donnent un exemple du mécanisme:
!
« If UK rates of income tax were 20, 40 and 45 pence in the pound, these would be
reduced in Scotland to 10, 30 and 35 pence. If the Scottish rate were then set at 11 pence,
then the total rates applying to Scottish taxpayers would be 21, 41 and 46 pence; if the
Scottish rate were set at 9 pence, the totals would be 19, 39 and 44 pence » (McLean et
al., 2014, p.71).
!
L’argent récolté par les taux écossais sera alloué immédiatement au budget des
institutions écossaises. Holyrood ne pourra cependant décider ni de l’assiette, ni des
tranches d’imposition. Les taux seront également fixes entre les différentes tranches
d’imposition. Ces restrictions limitent de fait la possibilité de moduler les modalités
d’imposition sur le revenu, qui représente pourtant un outil de politique économique et
social important. (McLean et al., 2014). Cette part de l’impôt sur le revenu représente
97
Les règles européennes interdisent que des taux de TVA soient différents au sein d’un même Etat. Il existe
cependant des possibilités pour que les ressources issues de la TVA puissent être prélevées directement par
l’Ecosse. Nous reviendrons sur ces possibilités dans notre partie intitulée « Plus de Dévolution ? ».
66 sur 107
entre 12% et 15% du budget écossais total (Camp-Pietrain, 2012), soit environ 4,5
milliards de livres (McCrone, 2013). C’est l’une des avancées majeures du Scotland Act
2012. Une autre est la possibilité pour le Parlement écossais de créer toute nouvelle taxe
qu’il juge nécessaire, avec l’aval du Parlement britannique. Enfin, le Scotland Act 2012
donne de nouveaux pouvoirs d’emprunt aux institutions écossaises98: aux 500 millions de
livres déjà autorisés par an pour financer des trous de trésorerie s’ajoute la possibilité
d’emprunter pour des dépenses d’investissement, à hauteur de 10% du projet et pour un
montant maximum de 2,2 milliards de livres (McCrone, 2013; Camp-Pietrain 2012).
D’après les estimations de la Commission Calman, ce serait près de 35% du
budget qui seront gérés par le Parlement écossais, contre environ 15% auparavant99. Le
Scotland Act 2012 a donc largement augmenté l’autonomie financière des institutions
dévolues, même si la plus grande partie du budget écossais reste financée par la dotation
du pouvoir britannique.
Celle-ci représente 85% des recettes écossaises actuellement, et environ 65% à
partir de l’entrée en vigueur du Scotland Act 2012 (l’allocation sera en effet revue à la
baisse pour compenser les nouvelles rentrées fiscales liées à l’impôt sur le revenu grâce
au SVR). Cette dotation est calculée grâce à la formule Barnett100. Celle-ci est utilisée
pour financer les dépenses publiques en Ecosse, au Pays de Galles et en Irlande du Nord
depuis 1978, soit deux décennies avant la dévolution, et a été pensée au départ comme
une solution temporaire. Elle est aujourd’hui largement décriée car elle n’est pas
représentative des besoins réels en termes de dépenses publiques des différentes nations
britanniques. De plus, elle lie les variations des dépenses dans les nations périphériques
aux décisions prises pour l’Angleterre. En effet, l’allocation issue de la formule Barnett est
composée d’une dotation fixe (baseline) qui correspond au montant versé l’année
précédente. A cette baseline s’ajoute un montant déterminé par la variation dans les
dépenses en Angleterre, ou en Angleterre et au Pays de Galles, dans les domaines
dévolus. Ce montant est calculé en multipliant la variation des dépenses par le
pourcentage de la population écossaise par rapport à la population britannique.
Prenons un exemple, issu d’un rapport de 2008 la Chambre des Lords sur la
formule Barnett (House of Lords, 2008): la population écossaise représente environ
98
Avant le Scotland Act 2012, le Parlement écossais était la seule institution politique en Ecosse à ne
pouvoir emprunter pour financer ses dépenses, puisque les collectivités locales ainsi que le Parlement
britannique disposent de ce pouvoir.
99
Duclos dit ainsi que « l’Ecosse n’est quasiment pas autonome sur le plan financier » avant l’entrée en
vigueur de l’acte 2 de la dévolution (Duclos, 2014, p. 263)
100
Du nom de son concepteur, Lord Barnett.
67 sur 107
10%101 de la population anglaise. Si les dépenses anglaises dans le secteur des
transports augmentent de 2 milliards livres en Angleterre, alors l’Ecosse aura une
augmentation de 10% de cette somme, soit 200 millions de livres. Il faut ensuite multiplier
cette somme par un pourcentage de dévolution. En effet, à chaque compétence dévolue
est affectée un pourcentage en fonction du niveau effectif de dévolution (par exemple,
l’éducation bénéficie en Ecoose d’un pourcentage de 100%, la santé de 99,1%, les
transports de 98%, mais les politiques énergétiques et de lutte contre le climat de
seulement 20,6%)102. Ainsi, si l’on reprend l’exemple précédent, il faut multiplier les 200
millions de livres par 0,98 pour obtenir le nouveau montant alloué au budget écossais des
transports. Pour notre exemple, cela donne donc 2 milliards x 0,10 (part démographique) x
0,98 (pourcentage de dévolution) = 196 millions. Ce calcul est effectué pour chaque
domaine de compétences dévolus, et le montant total des variations est ajouté à la
baseline de l’année précédente. Le tout constitue l’allocation du gouvernement britannique
aux institutions écossaises, qui servira de baseline pour l’allocation de l’année suivante.
Ainsi, les changements sont peu à peu intégrés dans le budget écossais, si bien que,
selon les estimations du comité de la Chambre des Lords, l’allocation de départ (en 1979)
ne représente aujourd’hui plus que 10% du total (House of Lords, 2008).
L’allocation calculée par la formule Barnett est en réalité un mécanisme de
péréquation financière entre les différentes nations britanniques (McLean et al. 2014) . Or,
la formule Barnett est vivement critiquée dans le Royaume-Uni, et ce pour plusieurs
raisons. Premièrement, il n’y a aucune prise en compte des besoins réels en matière de
dépenses publiques. Deuxièmement, le calcul ne prend pas en compte les évolutions
récentes des populations entre elles (House of Lords, 2008). Enfin, l’utilisation de la
formule Barnett donne une place privilégiée à l’Angleterre dans la détermination des
dépenses au Royaume-Uni, comme nous le dit le comité de la Chambre des Lords: « the
overall structure of public spending continues to reflect decisions about priorities in
England » (2008, p.18). Si le gouvernement écossais peut répartir les dépenses comme il
l’entend, ses recettes restent affectées par la situation en Angleterre. Ainsi, son autonomie
est limitée par l’utilisation de la formule Barnett.
101
En réalité, 8,4%, mais pour des besoins de simplification, le comité de la Chambre des Lords a préféré
utiliser un chiffre rond, soit 10%.
102
Les pourcentages sont détaillés dans l’annexe B du Statement of Funding Policy de 2010 (HM Treasury,
2010)
68 sur 107
Cependant, l’Ecosse est globalement bénéficiaire dans ce système. Sa population
représente environ 8,4% du total britannique, ce qui est également sa part (8,2%)103 dans
les impôts prélevés dans l’ensemble du Royaume-Uni.104 Or, les dépenses faites en
Ecosse sont supérieures aux revenues prélevés: selon les chiffres du Scottish
Government, elles comptent pour 9,3% du total britannique. Ceci a permis aux écossais
de bénéficier d’un taux de dépenses par personne plus élevé que la moyenne britannique,
comme le montre le tableau 8:
!
TABLEAU 8: DÉPENSES PUBLIQUES PAR PERSONNE EN ECOSSE ET AU ROYAUME-UNI DEPUIS
2007!
!
2007-2008
2008-2009
2009-2010
2010-2011
2011-2012
Ecosse
£10 786
£11 302
£11 829
£12 133
£12 134
Royaume-Uni
£9 497
£10 184
£10 764
£11 008
£ 10 937
Différence
£ 1 289
£1 118
£ 1 065
£ 1 125
£ 1 197
Indice
(RU=100)
113,6
110
109,9
110,2
110,9
Source: McCrone, 2013
!
Les dépenses publiques par personne (qui sont réalisées à la fois par le gouvernement
écossais et par le gouvernement britannique) sont ainsi en moyenne 10% plus élevées en
Ecosse qu’au Royaume-Uni. Or, cela ne correspond pas aux besoins réels de l’Ecosse,
notamment par rapport aux autres nations britanniques, comme le montre le tableau 9:
!
!
!
!
!
!
!
!
103
Source: Government Expenditure and Revenues Scotland 2014, Scottish Government.
104
Les données sur les recettes et les dépenses publiques au Royaume-Uni et en Ecosse prennent toujours
en compte la présence du pétrole dans la mer du Nord, et effectue une distinction entre une répartition par
tête des revenues du pétrole et une répartition géographique. Si l’on prend une répartition géographique,
l’Ecosse contribue pour 9,1% des impôts prélevés dans l’ensemble du Royaume-Uni.
69 sur 107
TABLEAU 9: INDICES DES DÉPENSES PUBLIQUES IDENTIFIABLES PAR TÊTE, DU PNB PAR
HABITANT ET DES REVENUS PAR MÉNAGE DANS LES QUATRE NATIONS BRITANNIQUES EN
2010-2011 (ROYAUME-UNI = 100)!
!
Dépenses publiques
par tête
PNB par tête
Revenus par ménage
Angleterre
97
102
101
Ecosse
114
99
96
Pays de Galle
113
74
88
Irlande du Nord
120
76
86
Source: McLean et al. 2014, p.151
!
Les dépenses publiques en Ecosse sont donc supérieures par rapport aux besoins réels:
l’Ecosse est relativement riche par rapport au reste du Royaume-Uni, mais possède un
taux de dépenses publiques important. Par exemple, son indice est au dessus de celui du
Pays de Galles, alors que les indicateurs de richesse (PNB par tête et revenus par
ménage) sont largement au dessus. La péréquation est donc relativement mauvaise, et
bénéficie à l’Ecosse, notamment à travers la formule Barnett, qui est basée sur la
population et non sur les besoins (McLean, 2014). C’est en ce sens que McCrone pense
qu’une réforme de la formule Barnett amènerait l’Ecosse à devoir baisser ses dépenses
publiques (McCrone, 2013).
Au final, si l’Ecosse jouit d’une autonomie presque totale dans la nature de ses
dépenses, ses revenus sont étroitement liés à la situation en Angleterre, ce qui a
l’inconvénient de limiter sa liberté de modulation mais lui permet d’être relativement
favorisée dans la distribution des ressources. Les réformes du Scotland Act 2012 visent à
lier davantage dépenses et recettes, et ainsi à apporter plus de responsabilité aux
Parlement et gouvernement écossais dans leurs décisions. Cependant, les possibilités
pour davantage de dévolution existent et sont même soutenues à la fois par la population
et par la classe politique écossaise dans son ensemble, surtout depuis que
l’indépendance est devenue une possibilité sérieuse.
!
!
!
!
70 sur 107
II/ Plus de dévolution ? Devo-Plus, Devo-More et Devo-Max en
question
!
« There is widespread support for the introduction of further devolution within the
framework of the Union. Nearly three-quarters say that it is either their first or their second
choice for how Scotland should be governed » (Curtice, 2013, p.10). C’est ainsi que John
Curtice analyse les résultats du SSAS 2013 concernant les pouvoirs des institutions
écossaises. Plusieurs questions se posent cependant: à quoi ressemblerait un nouvel acte
de la dévolution ? Qu’est-ce qui pourrait être dévolu, comment et pourquoi ? Avec quels
effets ? Nous allons tenter de répondre à ces questions, avant d’analyser trois projets
d’extension de la dévolution: Devo-Plus, Devo-More et Devo-Max. Si les deux premières
options s’interrogent sur la possibilité de transférer davantage de pouvoirs fiscaux à
l’Ecosse, le projet Devo-Max, qui reste le plus populaire (Curtice, 2013), propose une
quasi-indépendance, statut dont jouit le pays basque espagnol et il s’inspire.
!
A) Les possibilités pour réduire le déséquilibre fiscal et « renforcer la
dévolution »
!
Le principal point d’intérêt d’une nouvelle réforme de la dévolution concerne le volet
fiscal précédemment évoqué. Il s’agirait en effet de remédier au déséquilibre fiscal vertical,
particulièrement élevé au Royaume-Uni105, et ainsi rendre le Parlement écossais plus
responsable financièrement de ses décisions. C’était l’un des objectifs de la Commission
Calman, et donc du Scotland Act 2012, même si l’on a montré que cela n’était pas
suffisant. Pour y remédier, les différents projets qui ont été publiés préconisent la
dévolution de différentes taxes aux institutions écossaises, et ce afin de garantir que les
dépenses effectuées en Ecosse seront, dans la mesure du possible, financée par les
impôts directement prélevés en Ecosse. Il existe trois grandes taxes qui pourraient être
dévolues aux institutions écossaises: l’impôt sur le revenu dans sa totalité (income tax),
l’impôt sur les sociétés (corporation tax) et les cotisations sociales (National Insurance).
Celles-ci sont aujourd’hui gérées par le gouvernement britannique pour l’ensemble du
Royaume-Uni, sauf pour l’impôt sur le revenu, qui bénéficie d’un abattement en Ecosse
(voir supra). Leur dévolution signifierait que les institutions écossaises seraient en mesure
105
« The UK has one of the higher scores for VFI {Vertical Fiscal Imbalance ou déséquilibre fiscal vertical en
français} among OECD member states » McLean et al., 2014, p. 144.
71 sur 107
de fixer des taux différents de ceux du Royaume-Uni, ainsi que de déterminer les
contribuables imposables et ainsi favoriser telle ou telle partie de la population, et ce en
fonction du projet politique.
L’impôt sur le revenu est celui qui semble le plus enclin à être dévolu. Son assiette
est clairement identifiable, ce qui assure que ce sont bien les contribuables écossais qui
participent au financement de leurs institutions. Il représente 10 865 millions de livres, soit
23%106 des impôts prélevés en Ecosse hors ressources issues du pétrole de la mer du
Nord107 (GERS 2014). La dévolution totale permettrait au Parlement écossais de décider
de l’assiette, des tranches et des taux, et donc de faire varier les revenus issus de cet
impôt de façon substantielle tout en poursuivant des buts politiques et sociaux, et
notamment une redistribution des richesses. McLean, Gallagher et Lodge notent
cependant trois obstacles à une dévolution de l’impôt sur le revenu (McLean et al., 2014):
le coût administratif lié à la perception de deux impôts différents par l’office britannique de
collecte des impôts (Her Majesty Revenue and Customs, HMRC), la rupture de l’égalité
devant l’impôt dans l’ensemble du Royaume-Uni pour les citoyens britanniques, et la
possibilité d’une course vers la bas (race to the bottom, p.95) entre les gouvernements
écossais et britannique pour attirer les plus hauts revenus. McCrone ajoute également que
la soustraction au Trésor britannique de la somme de l’impôt sur le revenu écossais
représentait une perte considérable qui serait difficile à combler, d’autant plus en temps de
crise des finances publiques (McCrone, 2013).
L’impôt sur les sociétés est également considéré par beaucoup comme un candidat
sérieux à la dévolution (Commission on Scottish Devolution, 2009; McCrone 2013;
McLean 2014). Il représente 2 872 millions de livres, soit 6% des taxes prélevées en
Ecosse, sans l’inclusion des revenus de la mer du Nord, qui sont une manne fiscale
importante en ce qui concerne la taxation sur les sociétés (voir supra). Le soutien pour le
transfert de l’impôt sur les sociétés aux institutions écossaises s’appuie dans une large
mesure sur le succès de la République d’Irlande voisine, dont le taux relativement bas
106
Voir annexe 4, p. 106 pour le détail des taxes prélevées en Ecosse.
107
L’inclusion des revenus du pétrole dans la base fiscale de l’Ecosse est toujours difficile, c’est pourquoi la
plupart des statistiques sont données à la fois en prenant en compte les revenus du pétrole et en les
excluant. La raison principale de cette difficulté il n’existe pas de délimitation officielle des eaux territoriales
écossaises. La coutume est d’utiliser deux moyens de calcul: soit on considère que le pétrole qui se trouve
dans la mer du Nord appartient à l’ensemble du Royaume-Uni, dans ce cas l’Ecosse ne reçoit qu’une partie
des revenus issus de son exploitation proportionnelle à sa population dans le Royaume-Uni (population
share); les revenus ainsi prélevés pour l’Ecosse sont estimés à 552 millions. Soit on considère que le pétrole
revient de droit à l’Ecosse (geographical share), en utilisant la répartition faite par Alex Kemp qui donne 98%
des ressources à l’Ecosse (voir supra). Dans ce cas, l’impact des revenus issus de l’exploitation pétrolière
est bien plus important, puisqu’il représentait en 2013 5 581 millions de livres (GERS 2014).
72 sur 107
(12,5%) de taxation des entreprises a permis d’attirer de grands groupes, notamment dans
l’informatique (les sièges européens de Google ou Microsoft sont par exemple installés en
Irlande). Ainsi, la détermination d’un taux d’impôt sur les sociétés plus bas en Ecosse est
vu comme un moyen de créer de l’activité économique, et donc de la croissance
(McCrone 2013, McLean 2014). La Commission Calman avait cependant rejeté cette idée
en défendant que la mise en place de différents taux de taxation des sociétés au sein d’un
Royaume-Uni serait néfaste pour l’économie britannique: là encore, une « course vers le
bas » pourrait avoir lieu entre les différentes nations, avec pour conséquence une hausse
de rentrées fiscales dans la nation « vainqueur », mais une baisse dans toutes les autres
(Commission on Scottish Devolution, 2009). La Commission Calman rappelle également
que les possibilités de réduction des taux sont en réalité minces, étant donné l’état des
finances publiques. De plus, McCrone insiste sur le fait que cela créerait des disparités
dans le Royaume-Uni, et rappelle qu’un taux plus bas signifie une baisse de rentrées
fiscales108 qui ne sera pas forcément comblée par l’arrivée de nouvelles entreprises
(McCrone, 2013), Enfin, McLean, Gallagher et Lodge soulignent que la baisse du taux de
taxation sur les entreprises ne s’accompagnent pas forcément d’un retour de l’activité
économique (McLean, 2014).109
Enfin, les cotisations sociales représentent une autre source importante de revenus
fiscaux en Ecosse. Connues au Royaume-Uni sous le nom de National Insurance, elles
s’élèvent en Ecosse à 8 521 millions de livres, soit environ 18% du total des impôts.
Comme dans tous les Etats-providence, ces cotisations servent à financer les dépenses
sociales, et notamment les aides (allocations chômage et pensions de retraite). Or, ces
compétences sont réservées au Parlement de Westminster, qui est charge du welfare
state pour tout le Royaume-Uni et donc responsable de l’équité dans les dépenses
sociales pour tous les citoyens britanniques. La dévolution des cotisations sociales semble
ainsi difficilement envisageable tant que la gestion du welfare state reste un domaine
réservé du Parlement britannique110.
108
Une baisse du taux actuel de 23% à 12,5%, soit celui de l’Irlande, serait synonyme d’une perte de 1 724
millions de livres par an, soit environ 3,6 des ressources fiscales de l’Ecosse hors pétrole (IPPR, 2013).
109
Les auteurs notent que ce sont essentiellement les profits imposables qui sont transférés dans un pays à
faible taxation des entreprises, et non des emplois. Ils proposent d’étudier la recommandation faite par une
commission sur la dévolution au Pays de Galles d’appliquer un taux réduit pour les entreprises qui emploient
effectivement de la main d’oeuvre dans le pays.
110
Comme nous l’avons souligné plus haut, le Royaume-Uni est une Union sociale, qui garantit à tous ses
citoyens le même accès à la sécurité sociale (voir par exemple McLean et al., 2014, p.118-142.). Une
dévolution de la sécurité sociale est aujourd’hui très peu probable, même si le projet Devo-Max le
recommande (voir infra).
73 sur 107
Enfin, certaines taxes mineures et indirectes sont également candidates à la
dévolution, comme celles sur des produits de consommation (alcool, tabac, voitures). Plus
que les rentrées fiscales, ce sont les potentiels en termes de politiques publiques qui sont
mis en avant dans leur dévolution (McLean, 2014). Au final, si l’on considère toutes les
possibilités de dévolution, l’Ecosse pourrait bénéficier d’une autonomie fiscale beaucoup
plus étendue.
Cependant, il existe un autre moyen de donner plus de ressources au Parlement
écossais sans pour autant transférer l’administration des taxes au gouvernement:
l’assignation. Il s’agit en fait d’affecter les recettes d’une taxe spécifique à une institution
sans pour autant lui en confier la responsabilité. Dans le cas de l’Ecosse, cela consisterait
à accorder les recettes fiscales de certaines taxes et impôts prélevés en Ecosse
directement au budget écossais, sans passer par l’échelon central. Cependant, la
détermination des modalités de taxation serait toujours du ressort du Parlement
britannique. L’exemple le plus courant est celui de la TVA. Comme le rappelle la
Commission Calman, la dévolution de la TVA n’est pas envisageable, car les règles
européennes interdisent que des taux différents de TVA soient appliqués au sein d’un
même Etat111. Or, la TVA est la deuxième rentrée fiscale en Ecosse, avec un total de 9 347
millions de livres, soit 19,7% du total des impôts. Il pourrait donc être intéressant
d’assigner les ressources issues de la TVA aux institutions écossaises. Les autres impôts
d’importance potentiellement assignables sont ceux provenant de l’exploitation pétrolière.
McCrone nous rappelle que si l’assignation de taxes a l’avantage de lier revenus et
dépenses en Ecosse et encourage le gouvernement à soutenir l’activité économique pour
augmenter ses revenus112, elle présente également l’inconvénient d’être une source
volatile de revenus, surtout concernant les revenus du pétrole (McLean et al., 2014), par
rapport à une allocation du gouvernement central.
Ainsi, les possibilités pour accorder plus d’autonomie fiscale aux institutions
écossaises existent et pourraient être viables. C’est dans ce sens qu’elles sont défendues,
111
« The European Commission clearly see regional variations as disruptive to the objectives of a single
market, whilst also rejecting the application for a number of regional derogations on the basis they would
constitute State Aid » Commission on Scottish Devolution, 2009, p.75
112
« Some people regard tax assignment as pointless if tax rates cannot be altered. But it would tie Scottish
public expenditure more closely to the revenue actually generated in Scotland, enable the block grant
{allocation du gouvernement central} to be much smaller and perhaps give less scope to taxpayers
elsewhere in the UK to complain about unfair funding of Scotland. And, if Scottish government was able to
encourage the growth of economy, some of the benefit from that would accrue to it through higher tax
revenue » McCrone, 2013, p. 53-54.
74 sur 107
avec des modalités différentes, par différents projets qui ont émergés à la suite de la
Commission Calman.
!
B) Les différents projets: Devo-Plus, Devo-More et Devo-Max
Si les partis unionistes ont tous publié leurs points de vue sur une nouvelle vague
de dévolution, les projets les plus concrets viennent de deux think tanks. Le premier,
unioniste et de centre-droit, est Reform Scotland. Il a publié un rapport, « Devolution
Plus », en 2011, présenté au Parlement écossais et qui a entraîné une campagne de
revendication en 2012 pour l’adoption de ces propositions (Duclos, 2014). Le projet est
aujourd’hui connu sous le nom de Devo-Plus. Le second est également unioniste mais de
centre-gauche: c’est l’Institute for Public Policy Research (IPPR). Il a également publié
une suite de rapports113 pour détailler son projet intitulé Devo-More. Ces deux options, que
nous détaillerons plus bas, sont les plus discutées aujourd’hui en attente d’une position
commune des grands partis unionistes (McCrone 2013, Duclos 2014, McLean 2014).
Enfin, le gouvernement écossais a proposé en 2010 un projet de dévolution très poussé,
appelé communément Devo-Max, qui serait une sorte «d’indépendance dans le RoyaumeUni »114.
!
!
!
1) Devo-More: le prochain acte de la dévolution ?!!
Le projet Devo-More ne concerne pas seulement l’Ecosse. Il propose de « raffermir
l’union britannique et d’améliorer le régime de dévolution » (Duclos, 2014, p.267). Il a donc
l’avantage de considérer toutes les nations britanniques, et veut remédier à l’asymétrie de
la dévolution (voir supra). Ainsi, les propositions du projet Devo-More sont celles qui ont le
plus de chance d’être adoptées d’ici quelques années (McCrone, 2013).
Que serait l’Ecosse sous un régime Devo-More ? L’objectif affiché, à terme, est de
rendre responsable le Parlement écossais de 55% à 60% de ses dépenses, bien au-delà
donc des 30% prévus par le Scotland Act 2012. Cet objectif serait atteint par un transfert
d’impôts relativement conséquent. Premièrement, il s’agirait de confier la totalité de l’impôt
113
Voir notamment Funding Devo-More: Fiscal Options for Strengthening the Union, Institute for Public
Policy Research, Londres, janvier 2013
114
Pour reprendre une expression de Donald Dewar premier First Minister travailliste de l’Ecosse dévolue et
grand artisan de la dévolution (Pittock, 2008)
75 sur 107
sur le revenu aux gouvernements dévolus, ainsi que certains impôts indirects (tabac et
alcool) et les impôts fonciers (déjà dévolus par le Scotland Act 2012). Deuxièmement, le
projet se prononce pour l’assignation partielle des revenus de la TVA (10 points sur l’actuel
taux de 20%), ce qui aurait l’avantage de minimiser l’influence des politiques anglaises
dans le financement des institutions dévolues et pourrait soutenir l’activité économique
dans les nations britanniques115. L’IPPR considère également que la dévolution d’une part
démographique des revenus sur le pétrole ainsi que de la taxe sur les sociétés peut être
envisagée dans le futur. L’ensemble donnerait au Parlement écossais la responsabilité de
lever 60,6% de ses ressources. Les 40% restants continueraient d’être à la charge du
Parlement britannique à travers une allocation qui serait revue à la baisse. Le taux de
couverture des dépenses serait similaire pour le Pays de Galles et l’Irlande du Nord, ce
qui permet de considérer le projet comme possiblement acceptable par l’ensemble des
gouvernements dévolus. C’est en sens que le projet Devo-More pourrait largement
influencer le prochain acte de la dévolution.
!
!
2) Devo-Plus: vers la fin du déséquilibre vertical!
!
Le projet Devo-Plus se propose de « combler le fossé fiscal»116. Concrètement, il
s’agirait de mettre un terme au déséquilibre fiscal vertical en permettant que toutes les
dépenses entreprises par les institutions écossaises soient financées par des taxes
prélevées en Ecosse par ces institutions117. Le projet se développe en trois phases: à
chacune d’elle de nouveaux pouvoirs fiscaux seraient transférés à Holyrood pour atteindre
un taux de couverture des dépenses proche de 100% (Devo-Plus Group, 2012). La
première étape verrait la dévolution totale de l’impôt sur le revenu, dans le but d’atteindre
un taux de couverture de 51%. Elle pourrait être mise en place dès le prochain mandat
parlementaire au Royaume-Uni et en Ecosse, soit d’ici 2015. La deuxième étape
consisterait en la dévolution de l’impôt sur les sociétés, d’ici 2020. Enfin, la dernière étape
viserait à réduire presque complètement le fossé fiscal, en transférant l’ensemble des
115
« However, assigning 10 VAT points (of the present 20) would produce a substantial block of income for
devolved governments, not subject to the constraints and problems of the block grant, and one which is both
likely to grow over time and which gives them a direct incentive in securing further economic growth » IPPR,
2013, p.29). 116
« Closing the fiscal gap », McLean, 2014, p.103
117
« Both Holyrood and Westminster accountable, as far as possible, for raising what they spend in
Scotland », Devo-Plus Group, 2012, p.6
76 sur 107
taxes au Parlement écossais, dont les revenus liés à l’exploitation pétrolière suivant un
partage géographique. Seules les cotisations sociales et de la TVA resteraient gérées par
le gouvernement britannique. Selon les prévisions du Devo-Plus Group, le Parlement
d’Holyrood serait responsable financièrement de 96,24% des dépenses qu’il engage. Il
serait alors dans une position forte pour soutenir la croissance et gérer au mieux l’Ecosse
avec les ressources écossaises. L’allocation du gouvernement britannique serait donc
purement et simplement supprimée.
Si ce projet semble intéressant, McLean et al. pensent qu’il est
« irréaliste » (McLean et al., 2014, p.105). Pour eux, l’Ecosse devrait toujours être
soutenue par une allocation du gouvernement central, qui serait certes réduite, mais
resterait d’importance. En effet, il semble difficile d’arriver à une autonomie fiscale
quasiment totale, ou du moins à une réduction drastique du déséquilibre fiscal vertical.
D’abord parce que le pari serait risqué. Les institutions écossaises seraient alors très
dépendantes d’un petit nombre de taxes et d’impôts: la moitié des recettes viendrait de
deux impôts (l’impôt sur le revenu, qui rapporterait 30% des ressources; et les taxes sur
l’exploitation du pétrole, estimé à 22%), dont l’un est extrêmement volatile118. Ensuite
parce qu’une telle dévolution n’aurait que très peu de chance d’être acceptée par les
institutions britanniques. En effet, si l’Ecosse se retrouvait avec une quasi-autonomie
fiscale, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord seraient en mesure de demander un
transfert de pouvoirs similaire, sans quoi l’asymétrie entre les différentes nations
britanniques serait encore plus marquée (McCrone, 2013). McLean et al. nous expliquent
pourquoi un tel projet ne serait pas possible:
!
« while Scotland tax base is relatively strong, especially if oil is taken into account,
tax revenues un Wales and Northern Ireland are estimated much lower. If such a system
applied there, very large reductions in public expenditure would follow. Within the Uk, the
principle of distributing according to need, rather than where tax revenues arise, has
always been a strong one, though never successfully put into operation » (2014, p.104).
!
Ainsi, le projet Devo-Plus, bien qu’il présente de nombreux attraits, ne semble pas pour
l’instant être à l’ordre du jour. Il en va de même pour la Devo-Max.
!
!
118
Voir tableau 2, p.27
77 sur 107
!
!
3) Devo-Max: une quasi-indépendance !
Le projet de dévolution maximum, ou Devo-Max, est défini ainsi par le
gouvernement écossais:
« Devolution max would give the Scottish Parliament and Government responsibility
for almost all domestic matters and most revenues and public spending in Scotland. The
Uk Parliament and Government would continue to have responsibility for defense, foreign
affairs, financial regulation, monetary policy and the currency » (cité dans Duclos, 2014, p.
266).
L’Ecosse serait donc entièrement autonome dans la gestion de ses affaires internes
(le welfare state devenant ainsi écossais et non plus britannique). L’ensemble des
dépenses publiques seraient financées par les taxes prélevées en Ecosse par le
Parlement écossais: les domaines régaliens (défense, affaires étrangères, monnaie) ainsi
que la régulation du système financier feraient l’objet d’une allocation de l’Ecosse vers le
reste du Royaume-Uni. Le point de comparaison principal d’un tel système est le Pays
Basque espagnol qui bénéficie d’une très grande liberté dans la gestion de sa fiscalité.
Cependant, Colino nous rappelle que le statut du Pays Basque est très critiquable, et qu’il
s’accompagne par ailleurs d’aspects négatifs considérables pour les autres régions
espagnoles (Colino, 2012). En outre, la sécurité sociale est toujours gérée par le
gouvernement central. La question qui se pose est donc de savoir à quel point cette
situation de divergence fiscale serait tenable au sein d’un Etat unitaire, pour les raisons
précédemment évoquées: équité et solidarité entre les différentes composantes de l’Etat,
soutenabilité financière.
Le projet Devo-Max est radical, et s’approche de l’indépendance. Le gouvernement
nationaliste en a longtemps fait son objectif secondaire, après l’indépendance. Cependant,
et malgré le soutien de la population écossaise pour une option proche de la Devo-Max, il
est difficilement envisageable que celle-ci aboutisse. Elle affaiblirait en effet grandement le
Royaume-Uni dans ses principes sociaux et économiques.
!
!
!
!
!
!
78 sur 107
Chapitre 2 : L’Ecosse indépendante: possibilités et enjeux!
!
Le choix qui est donné aux Ecossais le 18 septembre ne porte cependant pas sur la
continuation du processus de dévolution, mais bien sur l’indépendance vis-a-vis du
Royaume-Uni. C’est donc un choix radical, qui aboutira soit à la création d’un nouvel Etat
en mars 2016119; soit à la continuation de l’Union, dans des modalités qui restent à
déterminer (voir supra). Comme les unionistes aiment à le rappeler, si les Ecossais se
prononcent pour l’indépendance, il n’y aura pas de retour en arrière possible. Le traité
d’Union de 1707 prendra fin, créant d’un côté un nouvel Etat écossais, et de l’autre un
Royaume-Uni amputé d’un tiers de son territoire et d’environ 9% de sa population. Les
conséquences du référendum du 18 septembre sont donc loin d’être négligeables, et c’est
en ce sens que ce vote est historique: il a la potentialité de bouleverser considérablement
le paysage politique, économique et social d’une grande démocratie européenne.
Notre étude se basera largement sur les propositions faites par le gouvernement
nationaliste au pouvoir, car il est le seul à avoir publier, dans son livre blanc intitulé
Scotland’s Future, Your Guide to Independence (2013), une vision détailler et complète de
ce à quoi une Ecosse indépendante pourrait ressembler. Précisons cependant que la
campagne référendaire pour le Oui n’est pas organisée par le seul SNP, mais par une
coalition de partis et d’intérêts, dans laquelle on retrouve notamment le Scottish Socialist
Party ou bien les Verts.
I/ Les enjeux économiques
!
Comme nous l’avons vu précédemment, les questions économiques sont au coeur
du débat. Le principal argument des nationalistes est que l’Ecosse a été économiquement
mal gouvernée depuis une quarantaine d’années par les gouvernements britanniques
successifs, qu’elle a été longtemps « sous-performante » (Leydier, 2006) par rapport à
d’autres petits pays comparables. Nous avons montré que si l’Ecosse est juste sous la
moyenne britannique en termes de performance économique, elle a cependant largement
rattrapé son retard lors des vingt dernières années, et est aujourd’hui une nation riche
avec une économie forte. C’est pourquoi l’ensemble de la classe politique écossaise et
119
Le gouvernement écossais a en effet affirmé qu’en cas de vote positif, l’indépendance serait effective dix
huit mois après, soit environ en mars 2016. Le laps de temps serait utilisé pour négocier toutes les
dispositions avec le Royaume-Uni, l’UE et les organisations internationales.
79 sur 107
britannique s’accorde à dire que l’Ecosse pourrait être « a successful independent
country »
120.
Il existe cependant trois questions majeures concernant le futur économique
d’une Ecosse indépendante: l’importance du pétrole, la question de la monnaie, et enfin la
potentialité pour l’Ecosse de s’en sortir mieux sans le reste du Royaume-Uni.
!
!
A) La question du pétrole
Les ressources pétrolières constituent sans aucun doute le fil rouge de
l’indépendance écossaise. Leur découverte dans les années 1970 a déclenché une vague
de soutien aux nationalistes. La possibilité de compter sur les larges revenus issus de la
mer du Nord a donné une consistance au projet économique du SNP, et a permis
d’entrevoir la prospérité dans une période de crise. La stratégie des nationalistes est
aujourd’hui de se démarquer de la dépendance au pétrole, de montrer que l’Ecosse
pourrait s’en sortir seule même sans les revenus issus de son exploitation. C’est pourquoi
les revenus du pétrole sont souvent exclus des estimations avancées par le gouvernement
nationaliste dans son livre blanc Scotland’s Future (Scottish Government, 2013).
Cependant, La volatilité de ceux-ci, ainsi que le déclin annoncé de la production, posent le
question de la durabilité et la viabilité d’un projet économique, qui reste, quoiqu’en disent
les nationalistes, basé dans une large mesure sur les ressources naturelles.
Les possibilités d’exploitation des ressources naturelles offshore dans une Ecosse
indépendante se heurtent à un certain nombre d’interrogations. La première, et peut être
la plus importante, concerne la répartition desdites ressources entre l’Ecosse et le reste du
Royaume-Uni. En effet, il n’existe actuellement aucun accord officiel sur le découpage des
eaux territoriales qui serait mis en place après l’indépendance. Les négociations
s’annoncent difficiles et d’importance, car il est difficile de croire que le Royaume-Uni
laissera facilement s’échapper un atout économique aussi important. Il n’empêche que
certaines estimations font aujourd’hui l’objet d’un consensus officieux: ce sont celles
proposées par Alex Kemp, professeur à l’Université d’Aberdeen, historien et spécialiste
reconnu du pétrole de la mer du Nord. Kemp considère que la théorie de la ligne médiane
est celle qui a le plus de chances d’être retenue (in Goudie, 2013): le tracé des frontières
se ferait suivant une ligne virtuelle dont les points seraient tous à une même distance des
côtes écossaises et britanniques. Cette ligne est déjà utilisée dans le cadre de la pêche
120
Les leaders de l’opposition unioniste l’ont tous reconnu publiquement. Voir: http://www.snp.org/mediacentre/news/2014/aug/scotland-can-be-successful-independent-country
80 sur 107
(qui est un domaine dévolu) pour séparer les eaux territoriales écossaises et britanniques,
et est représentée dans l’illustration 1:
!
ILLUSTRATION 1: DÉMARCATION DE LA PLAQUE CONTINENTALE BRITANNIQUE SUIVANT LA
THÉORIE DE LA LIGNE MÉDIANE!
Source: Alex Kemp, ‘North Sea oil and Gas’ in Goudie, 2013
!
Or, toujours selon Kemp, ce procédé garantirait à l’Ecosse 98,8% de la production
pétrolière et gazière britannique des 30 prochaines années, et 90% des revenus fiscaux
liés. Elle serait alors le premier pays pétrolier d’Europe, avec 60% du pétrole européen sur
son territoire, et le deuxième pays gazier derrière les Pays-Bas (Scottish Government,
2013). On comprend alors que les ressources pétrolières aient une telle place dans les
81 sur 107
discussions: elles pourraient largement contribuer à la richesse d’une Ecosse
indépendante.
La deuxième interrogation porte sur l’utilisation des revenus ainsi collectés. Le SNP,
aujourd’hui au pouvoir, s’est prononcé de longue date pour la création d’un fonds
souverain alimenté par les impôts sur le pétrole et le gaz. La mise en place d’un tel fonds
montre la prise en compte du caractère épuisable des ressources pétrolières et gazières;
son objectif est de capitaliser sur les larges excédants fiscaux actuels afin de créer un
stock de devises permettant d’investir pour le futur, quand ces ressources auront disparu.
Un fonds de cette nature peut également être utilisé pour soutenir certaines dépenses,
comme les allocations retraite, ou bien des investissements durables, comme dans les
énergies renouvelables. Le pays pris en exemple par les nationalistes est la Norvège, qui
a constitué un fonds de plus de 500 milliards de livres en 2012 qu’elle utilise pour accroître
son importance dans l’économie mondiale121 et soutenir l’économie nationale en temps de
crise (Camp-Pietrain, 2014). La création d’un fonds souverain en Ecosse a été refusée
dans les années 70 par le gouvernement britannique122. Les nationalistes déplorent ainsi
le gaspillage des ressources pétrolières et gazières, et accusent le gouvernement
britannique d’avoir mal géré l’un des principaux atouts de l’Ecosse (Duclos, 2014). Le SNP
avance que si un fonds souverain avait été créé dans les années 1990, il serait aujourd'hui
d’une valeur d’environ 120 milliards de livres (Camp-Pietrain, 2014, p.125). Dans une
Ecosse indépendante, le gouvernement écossais se propose de créer un fonds souverain,
baptisé Energy Fund, qui serait alimenté dès que la conjoncture économique serait
favorable, et au plus tard d’ici 2016 (Scottish Government, 2013). Si un milliard est déposé
chaque année, le fonds pourrait valoir 30 milliards de livres d’ici 20 ans (McCrone, 2013).
Il serait alors utilisé à court terme pour soutenir les finances publiques en cas d’année
difficile et pour compenser la volatilité des prix des ressources naturelles, et à long terme
pour assurer la crédibilité de l’Ecosse sur les marchés financiers et investir pour les
générations futures (Scottish Government, 2013; Duclos, 2014). Cependant, la création
d’un fonds souverain suppose qu’un gouvernement écossais indépendant devra se passer
d’une partie non négligeable de revenus fiscaux, ce qui peut de mettre en danger la
situation budgétaire du pays (McLean et al., 2014).
121
Camp-Pietrain avance que Norvège posséderait ainsi 2,5% des parts de chaque société européenne
côtés en bourse (2014, p.125).
122
Les institutions locales des îles Shetlands, au large desquelles une partie importante des ressources
pétrolières est située (la capitale, Lerwick, est le deuxième terminal britannique après Aberdeen) ont créé un
fonds local grâce aux revenus du pétrole. Il est estimé aujourd’hui à 200 milliards de livres, et a permis de
soutenir les dépenses sociales dans les îles, ainsi que des investissements dans des infrastructures pour la
population.
82 sur 107
Au-delà de ces deux interrogations principales, Kemp relève également d’autres
points d’ombre sur le futur de l’industrie pétrolière dans une Ecosse indépendante, et
notamment la question des licenses d’exploitation ou des futurs taux de taxation sur les
exploitants (in Goudie, 2013). Ces deux derniers aspects sont en effet gérés par le
Royaume-Uni, qui a acquis en la matière une solide expérience et a construit une large
administration, ce qui lui permet de limiter les coûts et donc de maximiser les revenus tirés
de l’exploitation. Si le gouvernement écossais a assuré vouloir s’inscrire dans la continuité
de l’administration britannique, Kemp s’interroge sur la capacité réelle d’un gouvernement
indépendant à gérer de telles ressources, du moins dans les premières années, et
également sur le climat d’incertitude qui risquerait de se créer entre les entreprises, en
grande majorité britanniques ou étrangères, et le gouvernement écossais.
!!
B) La question de la monnaie
!
L’avenir monétaire d’une Ecosse indépendante est certainement le sujet qui a le
plus fait couler d’encre depuis le début de la campagne référendaire. Il faut dire que les
positions des deux administrations sont fortement contradictoires, et entretiennent la
confusion., si bien qu’à l’approche du vote, aucun consens ne semble se dessiner. Les
unionistes utilisent largement l’incertitude liée à la question monétaire pour mettre en
avant les risques liés à l’indépendance. Concrètement, quatre options s’offrent à une
Ecosse indépendante: l’utilisation de la livre, soit dans une union monétaire avec le reste
du Royaume-Uni, soit de façon sauvage, l’adoption de l’euro, ou bien la création d’une
nouvelle monnaie.
Après avoir soutenu dans un premier temps l’adoption de l’euro, le gouvernement
nationaliste a revu sa position dans son livre blanc pour l’indépendance. Faisant suite au
rapport de sa commission d’experts sur l’économie123, il a dorénavant pour plan A de
garder la livre dans une union monétaire avec le reste du Royaume-Uni. Sa position
s’appuie sur deux arguments. Le premier est historique: pour les nationalistes, la livre
n’est ni anglaise, ni écossaise, mais bien britannique. Il reviendrait alors de droit à
l’Ecosse de continuer à utiliser une monnaie qu’elle a constituée à créer. Le second est
économique. Le Fiscal Commission Working Group souligne qu’il serait dans l’intérêt des
deux parties que l’Ecosse et le Royaume-Uni continuent leur union monétaire. Nous avons
montré que l’Ecosse est étroitement liée économique au reste du Royaume-Uni (voir
123
Le Fiscal Commission Working Group , voir supra.
83 sur 107
supra): deux tiers de ses exports sont en effet réalisés vers le marché britannique, tandis
qu’elle est le premier partenaire commercial du reste du Royaume-Uni (Fiscal Commission
Working Group, 2013). Les deux forment un marché commun pour les biens comme pour
les personnes, qui continuerait très probablement a existé, même en cas d’indépendance
écossaise. Or, le maintien d’une union monétaire serait le meilleur moyen pour que les
échanges au sein de ce marché commun se fassent à moindre coût, et ainsi assurer aux
agents économiques des profits similaires. Le secteur de la finance est celui qui aurait par
exemple le plus à perdre d’une rupture. Cependant, une union monétaire entre l’Ecosse et
le reste du Royaume-Uni est loin d’être garantie: si Alex Salmond affiche sa confiance124,
les dirigeants économiques britanniques, et notamment le Chancelier de l’Echiquier
George Osborne, ont affirmé leur totale opposition à cette option125. Or, aucun Etat
souverain ne peut forcer un autre à conclure une union. Enfin, de nombreux observateurs
ont soulevé le fait qu’une union monétaire suppose un certain degré de convergence
économique et fiscale, ainsi qu’un transfert de souveraineté, de la part des deux parties.
Les possibilités de mener des politiques macro-économiques complètement différentes
seraient dès lors limitées par la monnaie commune, comme le montre l’exemple de la
zone euro. Se pose alors l’opportunité et la réalité de l’indépendance, dont l’objectif clair et
revendiqué est de marquer la divergence de l’Ecosse par rapport au reste du RoyaumeUni, si la gouvernance économique de l’Ecosse reste coordonnée par la Banque
d’Angleterre, qui ferait office de banque centrale pour les deux Etats. Qui plus est, comme
le rappelle John Kay126 (in Goudie (ed), 2013), l’importance de l’Ecosse dans cette union
serait très faible,. Kay nous dit même que
!
« the degree of autonomy Scotland would enjoy in fiscal policy might differ vey little
from the modest amount Scotland currently enjoys under the allocation of a block grant
within the UK. {…} Monetary policy for Scotland would therefore be determined by a
mechanism over which Scots and Scottish interests would have at best marginal influence
and, by design, no political influence » (in Goudie (ed), 2013, p. 111-112).
!
124
Lors d’un débat télévisé en août 2014 entre Salmond et Darling, le premier a refusé de répondre à une
question du second concernant le « plan B » du gouvernement écossais quant au choix de la monnaie
écossaise, assurant que l’Ecosse continuerait d’utiliser la livre dans une union monétaire.
125
Les nationalistes affirment cependant que cette opposition est uniquement une posture politique pendant
la campagne, dont le but est d’effrayer les électeurs indécis.
126
L’auteur rappelle que l’Ecosse ne représente que 8,5% de la population totale du Royaume-Uni, et que
sa représentation dans les structures de gouvernance de la Banque d’Angleterre, serait très faible.
84 sur 107
En l’absence d’union formelle, l’Ecosse pourrait également unilatéralement d’utiliser
la livre. Ce scénario, souvent référé par le terme « dollarisation », adapté en GrandeBretagne en « sterlingisation » n’est pas considéré comme souhaitable. Il s’agit en effet
d’une situation qui est pratiquée par de petits pays (comme l’Equateur ou Monaco) qui se
trouvent écraser par le poids économique d’un proche voisin (les Etats-Unis ou la France),
dont ils sont largement dépendants économiquement. Le pays n’a en fait aucun pouvoir
sur sa politique monétaire et seulement très peu sur sa politique fiscale (Goudie, 2013,
McLean et al. 2013): il est obligé de gérer son économie en s’adaptant aux décisions
monétaires prises par un pays étranger. Certains parlent même d’une situation de
« colonialisme auto-infligé » (la formule est de Gordon Brown et citée dans Duclos, 2014,
p214). Nous voyons donc difficilement comment cette position pourrait convenir à une
Ecosse indépendante, et personne n’envisage aujourd’hui sérieusement cette option.
En revanche, la création d’une nouvelle monnaie écossaise est considérée comme
une alternative crédible. Elle est même souhaitée par toute une partie des
indépendantistes127, et représente l’option à long terme mis en avant par le Working
Group. Il s’agirait probablement d’une livre écossaise128, qui remplacerait le livre
britannique. Une banque centrale écossaise serait ainsi créée, et le gouvernement
écossais émettrait des bons du Trésor en livre écossaise. McLean et al. considèrent que la
nouvelle monnaie écossaise pourrait être soutenue sur les marchés financiers par les
revenus du pétrole; elle risquerait cependant d’être aussi volatile qu’eux, si la monnaie a
un taux de change flottant (McLean et al., 2013). Une option envisageable pour apporter
de la stabilité serait d’indexer la livre écossaise sur une autre monnaie, par exemple la
livre britannique ou l’euro. L’indexation permettrait de apporter une crédibilité, et faciliterait
les échanges avec le pays référence. Si la livre britannique servait d’index, cela pourrait
permettre de limiter les pertes commerciales dues à l’instauration d’un taux de change
dans le marché commun britannique. Kay nous rappelle également que deux pays
scandinaves relativement prospères (la Suède et le Danemark) utilisent l’indexation de
leur monnaie sur une autre (en l’occurrence l’euro), mais que l’indexation a pour
conséquence une perte relative d’indépendance financière: la politique monétaire de
l’Ecosse serait largement influencée par celle de la monnaie-référence, sur laquelle les
127
Les Verts et le Scottish Socialist Party se sont en effet prononcés pour l’adoption d’une nouvelle monnaie
écossaise (Duclos, 2014).
128
Les banques commerciales écossaises ont déjà la possibilité de créer de la monnaie, et les billets en
circulation sont différents des billets utilisés dans le reste du Royaume-Uni.
85 sur 107
institutions écossaises ne pourrait avoir de poids (in Goudie, 2013). L’auteur résume ainsi
la situation :
« The Scandinavian examples illustrate that the option of a distinct Scottish currency,
either formally or loosely pegged to a major currency, is an option which can work well,
allowing a degree, albeit limited, of economic independence without unacceptable cost
and instability for individuals and business » (p. 117)
!
Il n’existe pas donc pas d’options garantissant une indépendance monétaire totale
de l’Ecosse. Un compromis devra être trouvé entre intérêts commerciaux, politiques
macro-économiques divergentes et autonomie financière. Le choix est donc éminemment
politique, et explique que la question de la devise ait contribué à envenimer les débats
dans une campagne référendaire initialement relativement apaisée129.
!
C) L’Ecosse s’en sortirait-elle mieux si elle était indépendante ?
!
Nous avons montré précédemment que l’Ecosse est une nation riche, et a
notamment rattrapé son retard sur le reste du Royaume-Uni. Elle est aujourd’hui la
troisième région britannique, derrière Londres et le Sud-Est de l’Angleterre, et
potentiellement le 8ème pays le plus riche de l’OECD (voir supra). Elle possède une
économie relativement solide, avec certains secteurs clés. L’argumentation nationaliste
vise cependant à promouvoir l’idée que l’Ecosse pourrait être encore plus riche si elle
devenait indépendante. Le SNP considère en effet que l’économie écossaise reste en
dessous de pays de taille similaire, et veut inscrire l’Ecosse dans « l’arc de prospérité »
formé par l’Islande et l’Irlande (avant la crise), ainsi que les pays scandinaves130.
L’indépendance permettrait de « libérer les énergies » (Camp-Pietrain, 2014, p.133), et
d’adapter les politiques économiques aux intérêts écossais pour soutenir la croissance. En
effet, McGregor et Swales nous disent que
!
« the argument in principle is that the Scottish government has better information about
the Scottish economy and is more responsive to local demands expressed through the
ballot box and local media than is the UK Government. In this sense, the government of an
129
Voir sur ce sujet Duclos, 2014, p.201-218).
130
Voir notamment Scottish Government, Nordic Baltic Policy Statement, Edinburgh, 2014
86 sur 107
independent nation that had full fiscal control could more accurately target its tax policies
to stimulate growth » (in Goudie, 2013, p. 166)
!
Le gouvernement écossais serait donc le mieux placé pour prendre les bonnes décisions
pour l’Ecosse. Les pouvoirs fiscaux conférés par l’indépendance lui permettraient ainsi de
soutenir certains secteurs-clés de son économie qui ne représentent que peu d’intérêt
pour le reste du Royaume-Uni (on pense ici particulièrement à la pêche et à l’agroalimentaire). Par exemple, le gouvernement nationaliste défend depuis longtemps
l’abolition de la taxe sur les passagers aériens, ce qui favoriserait le trafic aérien en
Ecosse en donc le tourisme. De même, le SNP affirme que l’indépendance permettrait de
négocier de façon plus avantageuse les aides européennes pour les agriculteurs, en
faisant passer l’ensemble des terres écossaises en zone défavorisée (Camp-Pietrain,
2014). Dans une Ecosse indépendante, le gouvernement écossais pourrait donc prendre
les décisions les plus à même de soutenir l’activité économique. Le SNP s’est notamment
engagé à mettre en place une politique de l’offre, en accordant des réductions d’impôts
pour les PME et en abaissant le niveau de l’impôt sur les sociétés (idem). Cependant, en
ce qui concerne les déterminants structurels de la croissance (comme la productivité, le
taux d’emploi, la qualification de la main d’oeuvre) McGregor et Swales nous rappelle que
le gouvernement écossais possède déjà les principaux leviers d’action (éducation, santé,
transport, formation professionnelle) dans le cadre de la dévolution (Goudie, 2013). Le
seul levier sur lequel il n’a pas du moyen d’agir est la politique migratoire131, que seule
l’indépendance serait en mesure de lui délivrer.
En ce qui concerne les dépenses publiques, les observateurs s’accordent à dire
que celles-ci resteraient globalement identiques à ce qu’elles sont aujourd’hui132.
Cependant, l’Ecosse serait dans une position globalement plus instable qu’actuellement:
!
« The greater uncertainty generated by a smaller and more specialised tax base, and the
lack of automatic stabilisation, provided by HM Treasury-funded welfare payments under
the present arrangements, are likely to make an independent Scotland economically more
131
Le gouvernement SNP, dans son livre blanc, se prononce en faveur d’une politique migratoire
accommodante, afin d’attirer une main d’oeuvre qualifiée, notamment grâce à ses universités (Scottish
Government, 2013)
132
« An independent Scotland would initially, relying on oil revenues, be in broadly the same of somewhat
healthier position as the rest of the UK, but in the longer run as oil revenues decreased it would face tougher
budgetary choices than the UK as a whole » McLean et al., 2014, p.55
87 sur 107
cyclically unstable and subject to greater external macroeconomic shocks »(McGregor et
Swales in Goudie, 2013, p.166)
!
Ainsi, la dépendance des ressources publiques sur un petit nombre de taxes, et
notamment sur des revenus pétroliers en déclin sur le long terme, fragiliserait la position
des finances écossaises, qui ne seraient plus de surcroit insérées dans le filet de sécurité
britannique. De façon générale, c’est toute l’économie écossaise qui serait davantage
soumise aux cycles économiques et à la situation sur les marchés internationaux. Il existe
qui plus est le risque qu’un « effet de frontière »133 se crée à la suite de l’indépendance,
qui modifierait la circulation des biens, des capitaux et de la main d’oeuvre dans les îles
britanniques. Si l’impact de cette modification est difficile à estimer (McLean et al., 2013;
Camp-Pietrain, 2014), celle-ci fait planer un doute sur l’avenir d’un certain nombre de
domaines économiques d’importance en Ecosse. Le principal est le secteur financier, qui
est le plus intégré au niveau britannique. Edimbourg est la deuxième place financière du
Royaume-Uni après Londres. De plus, 90% des clients des banques écossaises se
trouvent dans le reste du Royaume-Uni, tandis que 70% des retraites privées écossaises
sont domiciliées ailleurs en Grande-Bretagne. Certaines banques ont déjà menacé de
quitter l’Ecosse en cas d’indépendance, pour s’installer en Angleterre (Camp-Pietrain,
2014). Ceci place l'avenir de certains secteurs-clés en suspens si jamais l’Ecosse devait
devenir indépendante.
!
Il est ainsi très difficile de savoir si l’Ecosse s’en sortirait mieux sans le RoyaumeUni. En effet, l’indépendance est faite d’opportunités et de risques, et il appartient aux
électeurs écossais de décider si les aspects positifs l’emportent sur les aspects négatifs.
!
II/ Les aspects politiques, sociaux et internationaux
!
Un gouvernement écossais n’entend pas marquer sa différence que sur l’économie.
Il a d’ores et déjà indiqué sa volonté de suivre une politique divergente dans un certain
nombre de domaines si la séparation avec le reste de Royaume-Uni devait avoir lieu.
Cependant, comme pour l’économie, l’indépendance s’accompagnerait d’une certaine
dose d’incertitude, dont l’importance pour les Ecossais sera très certainement
133
« border effect », McLean et al, 2014, p. 56
88 sur 107
déterminante dans le résultat du référendum. L’objet de ce mémoire n’étant pas de réaliser
une étude exhaustive des questions soulevées par l’indépendance, nous avons choisi
d’étudier brièvement trois domaines qui nous semblent les plus significatifs: la défense et
les relations internationales, le régime politique et social et la question européenne.
!
A) La défense et les relations internationales
La politique de défense d’une Ecosse indépendante est dominée par deux
questions centrales: le refus des armes nucléaires, et l’adhésion ou non à l’OTAN, les
deux étant en fait étroitement liées.
Le SNP est historiquement opposé à l’utilisation de toute forme d’énergie nucléaire,
civile ou militaire. Cette position a été affirmée dès les années 1950 (Duclos, 2014), et n’a
jamais fait l’objet d’une véritable remise en cause. Il faut dire que la question de l’utilisation
des armes nucléaires se pose en Ecosse de façon concrète: l’ensemble de l’arsenal
britannique est stationné dans l’estuaire de la Clyde, à la base navale de Falsane pour les
sous-marins lanceurs de missile et dans le centre de stockage de Coulport pour les têtes
nucléaires. Le SNP dénonce ainsi l’imposition par Londres de risques technologiques et
terroristes importants alors même que la société civile écossais s’est souvent prononcée
contre l’utilisation des armes nucléaires134, et a fortiori leur stockage dans des bases en
Ecosse (Camp-Pietrain, 2014). Ainsi, Duclos nous dit que le refus du nucléaire est inscrit
dans « l’ADN du SNP » (2014, p.243), et c’est donc naturellement qu’une Ecosse
indépendante exigerait le départ des armes nucléaires de son territoire. Le gouvernement
écossais s’est engager à écrire dans la nouvelle Constitution la non-possession de telles
armes par un gouvernement écossais. Par ailleurs, l=es nationalistes mettent en avant
que la réduction des dépenses liées à l’entretien de cet arsenal permettrait d’économiser
qui plus est 500 millions de livres, qu’il serait possible de réinjecter dans les services
publics. Il faut cependant rappeler que les modalités d’un potentiel rapatriement vont
probablement être un enjeu de négociations important, notamment sur le plan financier. Il
s’agira également pour le gouvernement britannique de trouver un nouvel endroit adéquat
pour stocker l’arsenal, ce qui s’annonce compliquer.
Ce rejet catégorique de l’armement nucléaire par le SNP a eu longtemps pour
conséquence que le parti se prononce contre l’adhésion à l’OTAN. En effet, l’alliance nordatlantique est basée en grande partie sur la dissuasion nucléaire, notamment en plaçant
134
Un sondage réalisé en 2013 a révélé que 75% des écossais étaient pour l’abolition des armes nucléaires
(Camp-Pietrain, 2014).
89 sur 107
les Etats-membres sous la protection du parapluie américain. C’est pourquoi les
indépendantistes refusaient d’entrer dans ce qu’ils appelaient une alliance nucléaire. De
plus, ils ont longtemps condamné les interventions de l’OTAN non encadrées par l’ONU,
comme au Kosovo (Duclos, 2014). Depuis le début de la campagne référendaire, le
gouvernement écossais a néanmoins revu cette opposition historique du SNP. La position
officielle est désormais que l’Ecosse indépendante demandera à adhérer à l’OTAN sous
deux conditions: premièrement, elle n’acceptera pas d’accueillir des armes nucléaires sur
son territoire; deuxièmement, elle ne prendra part qu’à des opérations mandatées par les
Nations-Unies. Des critiques s’élèvent cependant sur l’intérêt pour l’OTAN d’une position
ainsi conditionnée, et qui ne serait au final pas vraiment dans les termes de l’alliance. Les
Etats-membres devraient également tous se prononcer pour l’adhésion de l’Ecosse sous
ces conditions, ce qui est loin d’être garanti (le Royaume-Uni étant un d’entre eux).
D’autres interrogations sont soulevées en ce qui concerne la politique de défense
écossaise après l’indépendance. Camp-Pietrain note par exemple que le secteur de la
défense contribue de façon non négligeable à l’économie écossaise. En effet, les
chantiers de la Clyde tournent encore aujourd’hui largement grâce aux commandes du
gouvernement britannique, tandis que les différentes bases militaires disséminées sur le
territoire écossaise sont un soutien important à l’économie locale des collectivités où elles
sont implantées. Or, la domaine de la défense écossais serait très probablement d’une
importance bien moindre par rapport à son homologue britannique. Son carnet de
commandes serait dès lors beaucoup moins large, et son impact général sur l’économie
du pays bien moindre.
B) Le régime politique et social
Le régime politique de l’Ecosse après l’indépendance a également fait l’objet d’un
certain nombre de débats, qui sont aujourd’hui dans une large mesure clos. Le SNP a
longtemps été un parti républicain, critiquant le coût de la monarchie et l’archaïsme d’un
tel régime. Il a sur ce point opéré un retour en arrière: la Reine d’Angleterre, qui est
également descendante de la lignée des monarques d’Ecosse (les deux branches s’étant
rejointes en 1603 avec Jacques I d’Angleterre et VII d’Ecosse), resterait le souverain et
chef d’Etat. Le statut de l’Ecosse serait alors assez proche de celui d’anciennes colonies
britanniques comme le Canada ou l’Australie. L’Ecosse serait une monarchie
parlementaire, comme l’est déjà le Royaume-Uni. Les deux principales innovations
seraient cependant d’avoir une constitution écrite, ce qui constituerait une première en
90 sur 107
Grande-Bretagne (la constitution britannique est dite coutumière et reposent sur un corpus
de textes - comme le Bill of Rights ou les différents Scotland Act, ainsi qu’un ensemble de
pratiques devenues des traditions); et d’avoir comme base de souveraineté le peuple,
comme l’a rappelé le gouvernement écossais dans son livre blanc: « A written constitution
should be designed by the people of Scotland, for the people of Scotland » (Scottish
Government, 2013, p. 351). La tradition britannique de souveraineté parlementaire
précédemment évoquée serait donc bel et bien abandonnée. Le SNP se propose de
continuer avec les institutions héritées de la dévolution, qui représentent pour lui un
« contexte solide » (p.354) sur lequel créé un nouvel Etat. La constitution serait élaborée
par une convention constitutionnelle écossaise, avec un certain nombre de principes à
respecter; parmi eux, Camp-Pietrain cite l’interdiction des discriminations, la méritocratie,
la garantie de l’existence des collectivités territoriales, la promotion des droits de l’enfant,
le droit à la dignité et à un niveau de vie minimal, le droit à l’accès aux services publics, la
nécessité de préserver les ressources naturelles, la lutte contre le changement climatique
ou bien l’interdiction de la dissuasion nucléaire (2014, p.110-111). Ces principes ont pour
objectif d’inscrire certaines des spécificités de l’Ecosse dans le droit; surtout, une
constitution écrite permettrait, pour les nationalistes, d’apporter la stabilité et la lisibilité qui
manquent à un système politique britannique aujourd’hui remis en cause.
De plus, la question de la continuation du welfare state se pose avec acuité dans
une Ecosse indépendante. Le gouvernement écossais a promis de maintenir tous les
acquis sociaux. Nous avons montré précédemment que les institutions écossaises
dévolues avaient au à coeur de défendre, dans la mesure de leurs moyens et de leur
possibilités, « le caractère public des missions de service public » (Camp-Pietrain, 2014,
p.146). Deux services sont aujourd’hui entièrement gratuit: l’éducation et la prise en
charges des soins pour les personnes âgées. Le gouvernement nationaliste a également
promis de prendre en charge les frais de garde des enfants à partir de trois ans pour
toutes les familles. Il s’est de plus engagé à renationaliser certains secteurs, et notamment
la poste et peut être les chemins de fer. Par ailleurs, la question de la transition de la
gestion de la sécurité sociale du Royaume-Uni à l’Ecosse pose le souci de la continuité
entre les deux régimes, tous les citoyens écossais cotisant aujourd’hui à des caisses
britanniques. Le gouvernement écossais a indiqué qu’il maintiendrait toutes les
allocations, voire qu’il en relèverait certaine. Mais là encore, les négociations seront
longues et complexes si jamais l’Ecosse devient indépendante.
Les principales critiques concernant le maintien d’un régime social avantageux
relèvent le problème du financement, et donc de la soutenabilité. En effet, la position
91 sur 107
fiscale et économique d’une Ecosse indépendante serait probablement moins stable que
celle du Royaume-Uni (voir supra). Surtout, elle ne pourrait compter sur le filet de sécurité
britannique et son allocation, qui, si elle est critiquable et critiquée, permet néanmoins
d’assurer à l’Ecosse un niveau important de dépenses publiques, et ce malgré les
performances de l’économie écossaise. !
C) La question européenne
!
L’avenir européen de l’Ecosse est source de nombreux débats. Notons tout d’abord
que les écossais sont, de façon générale, largement plus europhile que les compatriotes
anglais. En effet, l’ensemble des partis écossais considère que l’appartenance à l’Union
européenne est une bonne chose, et seulement un tiers des écossais se disent en faveur
d’une sortie de l’UE (Duclos, 2014). Les interrogations se situent davantage sur la
possibilité ou non pour l’Ecosse d’entrer dans l’UE, et sous quelles modalités. Il n’existe en
effet aucun précédent d’un Etat nouvellement créé qui est cependant membre de l’UE
depuis 40 ans. L’adhésion sera-t-elle automatique ? Se fera-t-elle suite à un processus de
négociations allégé, ou bien l’Ecosse devra-t-elle utiliser la procédure normale ? Toutes
ces questions restent sans réponse officielle et consensuelle. Les acteurs politiques,
technocratiques et universitaires prennent tour à tour des positions contradictoires, si bien
qu’il est difficile de savoir ce qu’il en retourne réellement. Le gouvernement nationaliste a
d’abord mis en avant que ce sont deux Etats qui seront créés: l’Ecosse et le reste du
Royaume-Uni. Les deux Etats hériteraient des arrangements actuels de l’adhésion
britannique (notamment concernant les positions d’opting-out du Royaume-Uni sur
l’espace Schengen ou bien la zone euro). A aucun moment l’Ecosse ne sortirait de l’UE.
De plus, cela voudrait dire que les écossais perdraient leur citoyenneté européenne, ce
qui est contraire aux règles européennes en termes de citoyenneté. Par ailleurs, le
territoire écossais est largement couvert par la politique de développement régional, à
travers les fonds régionaux (FEDER, FSE). Priver l’Ecosse de ces fonds ainsi que ceux de
la PAC, aurait de lourdes conséquences pour l’économie écossaise, et signifierait
l’abandon d’une partie de sa population par l’Union.
Cependant, le gouvernement britannique, ainsi que la Commission européenne par
la voix de ses présidents (Barroso puis Juncker) ont indiqué que l’adhésion de l’Ecosse ne
serait pas automatique: le Royaume-Uni garderait ses arrangements avec l’UE, l’Ecosse
faisant secession du reste du Royaume-Uni. Elle devrait alors utiliser la procédure
92 sur 107
d’adhésion normale. Or, celle-ci impose que les 28 Etats-membres de l’UE donnent leur
accord sur l’entrée de l’Ecosse. S’il ne fait aucun doute que l’Ecosse réunirait tous les
critères de convergence nécessaires à une entrée dans l’UE (elle en fait partie intégrante
depuis 40 ans), les observateurs mettent en avant que certains pays pourraient refuser à
l’Ecosse l’adhésion sous prétexte que cela encouragerait les velléités d’indépendance de
certaines de leurs régions (le cas de l’Espagne avec la Catalogne est le plus fréquemment
cité, même si la situation notamment constitutionnelle est sensiblement différente en
Espagne).
Enfin, le sort de l’Ecosse, et les débats sur l’indépendance, nous semble
étroitement lié à l’Union Européenne. Parce que celle-ci conduit une politique régionale
forte, elle permet aux territoires sub-étatiques d’envisager leur avenir économique en se
passant, dans des degré plus ou moins fort, des institutions centrales. L’Ecosse est pour
nous l’incarnation de ce phénomène: si elle peut se permettre d’envisager aujourd’hui son
indépendance après 300 ans d’union avec l’Angleterre, c’est peut être justement parce
qu’elle est dans une autre Union, de nature largement économique comme le fut la
britannique pendant longtemps: l’Union Européenne, qui lui garantit un marché et un
mécanisme de redistributions des richesses avantageux. Sans l’Union Européenne,
l’Ecosse pourrait être seulement envisager sérieusement d’être indépendante ? Cette
question n’a pas de réponse, mais il nous semble intéressant de la poser.
!
Au final, beaucoup reste encore à déterminer sur le sort de l’Ecosse si les écossais
choisissent de voter oui à l’indépendance. S’il ne fait plus aucun doute que celle-ci pourrait
être possible, tant sur le plan économique que politique, de nombreuses incertitudes
subsistent. C’est sont ces dernières qui ont occupé la campagne référendaire. Le SNP a
voulu adopter une position positive, confiante, afin de minimiser l’importance des points
d’ombre de son projet, critiquant par ailleurs la campagne menée par les unionistes sur le
fait qu’elle ne cherchait qu’à faire peur aux citoyens écossais135. Il nous est aujourd’hui
impossible de dire si les incertitudes feront suffisamment pencher la balance pour que
l’Ecosse reste dans l’Union de 1707. 135
La campagne « Better Together » est ainsi appelée « Project Fear » par les indépendantistes.
93 sur 107
CONCLUSION
!
L’Ecosse est a un carrefour majeur de son histoire. La consultation du 18
septembre représente sans aucun doute l’une des plus importantes pour le Royaume-Uni
depuis plusieurs siècles.
Nous avons cherché dans ce mémoire à mettre à l’épreuve les représentations
classiquement associées a l’Ecosse, et qui pourraient expliquer, si ce n’est
l’indépendance, du moins l’autonomie écossaise. En nous interrogeant sur l’économie,
nous avons vu qu’elle est marquée en Ecosse par une histoire avec de nombreux
rebondissements, une histoire riche pour un pays de 5 millions d’habitants excentré dans
le Nord de l’Europe. Ce passé joue encore aujourd’hui un rôle central dans la situation
économique de l’Ecosse. Il lui donne le souvenir de jours prospères, de puissance
économique et politique, et de développement social, qui contraste avec les difficultés du
XXème siècle. Il contribue également à la construction d’une identité écossaise qui s’est
grandement appuyée sur les différents épisodes de son aventure économique pour se
forger ses images collectives. L’une d’elles dans la deuxième moitié du XXème siècle est
que l’Ecosse a été mal administrée par le gouvernement britannique, et que l’économie
écossaise est sous performante. Pourtant, nous avons montré que depuis une dizaine
d’années, les résultats macroéconomiques montrent largement une convergence vers la
moyenne britannique, et que s’il est vrai qu’un certain degré d’autonomie politique aurait
peut être permis aux politiques économiques d’être plus adaptées aux spécificités
économiques, le gouvernement écossais né de la dévolution possède l’essentiel des
pouvoirs pour soutenir la croissance de façon structurelle. De plus, l’économie écossaise
n’est pas fondamentalement différente de celle du reste du Royaume-Uni, même si un
petit nombre de secteurs-clés prend une place prépondérante et guide les intérêts
économiques du pays, notamment à l’international. Ceux-ci restent cependant dans une
large mesure similaire à ceux du Royaume-Uni.
Nous avons également voulu mettre l’épreuve le caractère soit disant plus socialdémocrate de l’Ecosse. Nous avons vu que celle-ci présente en effet certaines
caractéristiques d’une social-démocratie, notamment dans son attachement à
l’intervention publique, à la redistribution des revenus ou encore au maintien de
prestations sociales significatives. La défense de l’accessibilité et de la publicité de grands
services, tels l’éducation et la santé, ainsi que la création d’institutions politiques
modernes, accessibles et efficaces, abondent également dans ce sens. On notera
94 sur 107
cependant qu’une fois encore, la divergence avec le reste du Royaume-Uni est limitée, et
est davantage marquée entre le Sud-Est de l’Angleterre et le reste du Royaume-Uni,
Ecosse comprise.
Au final, nous pouvons donc affirmer que l’Ecosse présente un modèle économique
et social légèrement divergeant du reste du Royaume-Uni, dans lequel il continue
cependant de bien s’intégrer. Ces différences seront-elles suffisantes pour justifier la fin de
l’Union ? Seuls les écossais peuvent décider de la réponse à cette question.
Nous avons également cherché à comprendre où pouvait aller l’Ecosse, en
essayant d’être complet quant aux différents modèles envisageables. Notre constat de
départ était que la dévolution, s’elle a été un succès jusqu’ici, n’est pas exempte de
défauts et ne permet pas réellement de créer un régime politique favorable à une gestion
complètement autonome de leurs affaires internes par les écossais. La réforme entamée
par le Scotland Act 2012 vise à remédier à un certain nombre de ces faiblesses,
notamment en ce qui concerne les dispositions fiscales. Celles-ci devraient connaître une
nouvelle réforme si l’Ecosse ne devient pas indépendante. Ce qui sera réformé, et
pourquoi, n’est aujourd’hui pas encore déterminé. Des projets existent, notamment trois
principaux, chacun présentant des forces et des faiblesses. Devo-Plus nous semble être
celui qui pourrait être le plus intéressant pour l’Ecosse restée britannique, même si DevoMore est le candidat le plus probable. Là encore, seuls les écossais pourront se
prononcer.
Nous souhaitions terminer ce mémoire par une analyse du choix qui est présenté
aux électeurs le 18 septembre prochain: l’indépendance. Projet historique du SNP, celle-ci
est aujourd’hui plus que jamais envisagée de façon concrète et argumentée. Le
gouvernement nationaliste a publié un programme ambitieux, relativement complet, qui,
s’il ne manque pas de zones d’ombre, permet de dessiner les grandes lignes de ce que
l’Ecosse pourrait devenir si elle était indépendante. Nous avons voulu axé notre réflexion
sur une étude des enjeux économiques de l’indépendance, puisque ceux-ci occupent une
large place dans le débat politique. Ainsi, ce qu’il adviendra des ressources du pétrole et
de la monnaie constituent les deux interrogations principales, tandis qu’il reste difficile
d’évaluer si l’indépendance permettrait effectivement à l’Ecosse de décoller
économiquement. Comme toute décision politique, celle-ci est un mélange entre risques et
opportunités. L’objectif de la campagne référendaire est de faire apparaître les positions
des différentes parties sur ces risques et opportunités. Force est de constater que celle-ci
fut prolifique.
95 sur 107
Car en effet, rarement l’avenir de l’Ecosse n’aura été aussi discuté dans l’ère
moderne que pendant la période 2012-2014. C’est l’une des grandes réussites du
gouvernement nationaliste que d’avoir réussi à imposer la perspective de l’indépendance
dans le débat, d’avoir inscrit sur l’agenda politique la nation écossaise et l’expression des
ses spécificités. Plus largement, il a contribué à faire s’interroger tous les écossais sur ce
qu’ils veulent pour l’avenir de leur pays, en leur permettant de comprendre les tenants et
aboutissants. Le référendum voulu par les nationalistes va donner aux citoyens la capacité
de choisir. A n’en pas douter, le résultat du référendum représentera l’expression
démocratique de la volonté du peuple écossais. Les conséquences iront bien au-delà de
la simple Ecosse, peu importe le résultat. C’est l'avenir du Royaume-Uni qui est engagé.
Ce mémoire sera présenté et soutenu avant le vote du 18 septembre. Ainsi, à
l’instant où nous écrivons ces lignes, l’avenir constitutionnel de l’Ecosse reste incertain.
Nous pouvons cependant affirmer qu’en l’état actuel de la campagne, il semble peu
probable que l’indépendance soit choisie par les électeurs écossais. Toutes les
estimations que nous avons consultées donnent une victoire du Non au référendum, dans
des proportions allant de 55% à 60%. Cependant, le Oui gagne du terrain petit à petit, et
devient une possibilité réelle.
Personne ne sait donc à quoi ressemblera l’Ecosse en 2015. Sauf peut-être Saint
André136.
136
Saint André le saint patron de l’Ecosse. Sa croix est présente sur le drapeau écossais.
96 sur 107
BIBLIOGRAPHIE
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Ouvrages
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Presse de l’Université Paris-Sorbonne, 2014
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Articles universitaires
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britannique [En ligne], 9 | 2010, mis en ligne le 01 novembre 2011, consulté le 17 juin
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!
!
100 sur 107
TABLE DES MATIÈRES
!
Première Partie: Un modèle écossais ? Analyse socio-économique de
l’Ecosse actuelle!
10!
Chapitre 1 : L’économie écossaise: histoire, structure et
conjoncture au début du XXIème siècle!
10!
I/ De l’Union à la dévolution: trois siècles d’économie écossaise
(1707-1997)!
11!
A) De l’Union à la Première Révolution Industrielle: les fondations du succès (1707-1830)!11!
B) De la Seconde Révolution Industrielle à la Deuxième Guerre Mondiale: l’âge d’or écossais et
ses limites (1830-1939)!
15!
C) De la Deuxième Guerre Mondiale à la Dévolution: entre déclin et renouveau, les bases de
l’Ecosse actuelle (1939-1999)!
17!
II/ Situation de l’économie écossaise depuis la dévolution!
23!
A) Structure de l’économie écossaise!
24!
1. Structure générale !
24!
2. Le secteur énergétique!
27!
3. Le secteur financier!
29!
4. Les exportations écossaises !
31!
B) Les performances de l’économie écossaise!
33!
I/ Un attachement relatif aux valeurs de la social-démocratie!
40!
A) Une société plus social-démocrate ?!
40!
B) La défense des services publics: l’exemple de la santé et de l’éducation!
47!
II/ Une culture parlementaire se voulant un contre-modèle!
52!
A) La genèse du Parlement d’Holyrood!
52!
B) Structure et fonctionnement du Parlement écossais: un contre-modèle en réussite!
55!
Deuxième Partie: Quelles trajectoires pour l’autonomie écossaise ?! 59!
Chapitre 1 : Du Scotland Act 2012 à la Devo-max: quelle
place pour l’Ecosse dans un Royaume-Uni unitaire ?! 59!
I/ Etat de la dévolution après le Scotland Act 2012!
61!
A) Pourquoi le Royaume-Uni n’est pas un Etat fédéral!
61!
B) Le partage des compétences entre Edimbourg et Londres!
63!
C) Les dispositions financières telles réformées par le Scotland Act 2012!
65!
II/ Plus de dévolution ? Devo-Plus, Devo-More et Devo-Max en question !
71!
A) Les possibilités pour réduire le déséquilibre fiscal et « renforcer la dévolution »!
71!
B) Les différents projets: Devo-Plus, Devo-More et Devo-Max !
75!
1) Devo-More: le prochain acte de la dévolution ?!
75!
101 sur 107
2) Devo-Plus: vers la fin du déséquilibre vertical!
76!
3) Devo-Max: une quasi-indépendance !
78!
Chapitre 2 : L’Ecosse indépendante: possibilités et enjeux!
79!
I/ Les enjeux économiques!
79!
A) La question du pétrole!
80!
B) La question de la monnaie!
83!
C) L’Ecosse s’en sortirait-elle mieux si elle était indépendante ?!
86!
II/ Les aspects politiques, sociaux et internationaux!
88!
A) La défense et les relations internationales!
89!
B) Le régime politique et social!
90!
C) La question européenne!
92
102 sur 107
!
!
TABLE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS
AMS: Additional Member System
BSAS: British Social Attitudes Survey
CSA: Campaign for a Scottish Assembly
GERS: Government Expenditure and Revenue Scotland
MP: Member of Parliament
MSP: Member of Scottish Parliament
NHS: National Health Service
SCC: Scottish Constitutional Convention
SNP: Scottish National Party
SSAS: Scottish Social Attitudes Survey
103 sur 107
ANNEXES
ANNEXE 1: CARTE DE L’ECOSSE!
104 sur 107
!
ANNEXE 2: PERCEPTION DES ALLOCATIONS CHÔMAGES EN ECOSSE ET EN ANGLETERRE ENTRE
1999 ET 2010!
Ecosse
Allocations sont trop basses et causent
des difficultés (%)
Allocations sont trop hautes et n’encouragent
pas à l’emploi (%)
1999
36
33
2000
43
28
2001
45
26
2002
41
31
2003
41
32
2006
33
39
2009
31
42
2010
30
43
!
Angleterre
Allocations sont trop basses et
causent des difficultés (%)
Allocations sont trop hautes et
n’encouragent pas à l’emploi (%)
1999
32
44
2000
40
37
2001
36
38
2002
28
48
2003
34
41
2006
22
55
2009
29
51
2010
23
55
Source: SSAS 2011; BSAS 2011
!
!
!
!
!
!
!
105 sur 107
ANNEXE 3: IDENTITÉ NATIONALE ET VALEURS POLITIQUES EN ECOSSE EN 2003!
!
Echelle (1= très à gauches / 5 = très à droites)
Ecossais et non britannique
2,45
Plus écossais que britannique
2,54
Également écossais et britannique
2,68
Plus britanniques qu’écossais
2,90
Britannique et non écossais
2,69
Source: Rosie and Bond, in Keating et al, 2007, p. 51
!
!
ANNEXE 4: REVENUS ESTIMÉS DES PRINCIPALES TAXES PRÉLEVÉES EN ECOSSE EN 2013!
Millions de livres
% du total des taxes hors
revenus de la mer du Nord
Impôt sur le revenu
10 865
22,8
Impôt sur les sociétés (sauf
mer du Nord)
2 862
6,0
Cotisations sociales
8 521
17,9
TVA
9 347
19,7
Taxe sur les produits pétroliers
2 258
4,7
472
1,0
Impôts sur le tabac et l’alcool
1 600
3,4
Impôts locaux sur les
entreprises
1 981
4,2
Impôts locaux sur les
personnes
2 006
4,2
Total des taxes prélevées en
Ecosse
47 566
100
Taxe sur les transactions
immobilières
Source: Government Expenditure and Revenue Scotland 2014, Scottish Government
!
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RÉSUMÉ ET MOTS-CLÉS
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L’Ecosse est une nation britannique qui va voter pour son indépendance le 18
septembre 2014. Les nationalistes revendiquent une spécificité économique écossaise qui
ne pourrait se développer convenablement dans le cadre du Royaume-Uni, ainsi qu’un
modèle plus social-démocrate. Ce mémoire se propose d’évaluer l’autonomie écossaise,
de comparer l’Ecosse en termes économiques et sociaux pour voir s’il existe une
divergence notable avec le reste du Royaume-Uni. Il est également question de l’étude
des possibilités constitutionnelles qui s’offre à l’Ecosse pour continuer son processus
d’autonomisation.
Mots-clés: Ecosse, Royaume-Uni, Nationalisme, Indépendance, Dévolution, Economie,
Social-Démocratie.
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