! ! Université de Lyon Université Lumière Lyon 2 Institut d’Etudes Politiques de Lyon ! ! ! ! L’autonomie écossaise: approche socioéconomique à l’aube du référendum sur l’indépendance ! ! ! Présenté par Benoît Reboux ! Mémoire de recherche de Quatrième Année ! Séminaire « La construction européenne et l’euro à la croisée des chemins: évaporation, dislocation, approfondissement » ! ! Année 2013/2014 ! ! Sous la direction de Mr Laurent Guihéry ! Membres du jury: Mr Laurent Guihéry Mr Frédéric Herrmann ! Soutenu le 4 septembre 2014 ! 2 sur 107 ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! REMERCIEMENTS ! Je tiens à remercier tous mes proches pour leur soutien moral, et plus particulièrement Elise, sans qui ce mémoire n’aurait probablement pas vu le jour. Merci également à mon directeur de mémoire, Mr Laurent Guihéry. 3 sur 107 SOMMAIRE ! ! ! Partie 1: Un modèle écossais ? Analyse socio-économique de l’Ecosse actuelle p.10 Chapitre 1: L’économie écossaise: histoire, structure ! ! et conjoncture au début du XXième siècle p.10 ! ! ! ! ! Chapitre 2: Une social-démocratie britannique ? ! ! ! ! ! Partie 2: Quelles trajectoires pour l’autonomie écossaise ? ! ! Chapitre 1: Du Scotland Act 2012 à la Devo-Max, la place de l’Ecosse dans un Royaume-uni unitaire ! ! ! ! Chapitre 2: L’Ecosse indépendante: possibilités et enjeux 4 sur 107 p.35 p.54 p.55 p.75 ! INTRODUCTION « Should Scotland become an independent country ? », telle est la question1 sur laquelle les cinq millions d’écossais devront se prononcer le 18 septembre 2014. Sept ans après son arrivée au pouvoir en Ecosse, et trois après avoir gagné la majorité absolue des sièges2 au Parlement d’Holyrood3, le Scottish National Party (SNP, ou Parti National Ecossais) est tout proche d’atteindre son but historique: l’Ecosse est aux portes de l’indépendance, plus de trois cent ans après son entrée dans l’Union avec l’Angleterre. Alex Salmond, le talentueux4 First Minister de l’Ecosse, s’est appuyé sur les réussites de la dévolution que son parti n’avait pourtant soutenue que du bout des lèvres, pour construire la légitimité de son gouvernement à négocier l’indépendance de la nation écossaise. Quatre-vingt ans après la création du SNP, celui-ci a su opérer sa mue pour se porter jusqu’au pouvoir et de ce fait entrer à la table des négociations5. Ce succès électoral et politique d’un parti indépendantiste est significatif à plus d’un titre. Premièrement, il s’inscrit dans un mouvement plus large au niveau européen de reconstruction de l’identité politique dans les démocraties occidentales. Catalans, basques, flamands, et dans une moindre mesure, bretons, corses ou bavarois, affichent leurs différences par rapport aux pouvoirs centraux et réclament la reconnaissance de 1 Le référendum a été négocié entre les gouvernements écossais et britannique, représentés respectivement par Alex Salmond, le First Minister écossais, et David Cameron, le Premier Ministre britannique, lors d’un accord connu sous le nom d’Edinburgh Agreement (accord d’Edimbourg). Signé le 18 Septembre 2012, celui-ci encadre, outre la question posée, la tenue du référendum, dont les modalités et l’organisation ont été confiées à la commission électorale du Parlement écossais. Celle-ci a déterminé la formulation exacte de la question. Si le gouvernement écossais a réussi à étendre la franchise électorale aux jeunes de 16 ans, réputés plus enclins à soutenir l’indépendance, le gouvernement britannique a imposé que le référendum ne contienne qu’une seule question sur l’indépendance, et non une deuxième portant sur l’approfondissement de la dévolution, ce qui aurait donné un mandat aux indépendantistes en cas de réponse positive à cette deuxième question pour négocier plus de pouvoirs. 2 En 2007, pour la première fois depuis 1999 et la réouverture du Parlement Ecossais, le SNP remporte les élections pour un siège (47 sur 129) devant le Labour (46) et forme un gouvernement minoritaire. Alex Salmond devient le quatrième First Minister. En 2011, le SNP remporte cette fois la majorité absolue des sièges (65), loin devant le Labour (38). 3 Le Parlement écossais est également appelé Holyrood Parliament, ou Parlement d’Holyrood, du nom du quartier qui abrite son siège, en bas de l’artère principale d’Edimbourg, le Royal Mile, et juste en face d’un autre symbole de pouvoir, le Holyrood Palace, résidence officielle de la couronne britannique en Ecosse. 4 Salmond est considéré par la presse britannique comme l’un des meilleurs hommes politiques de GrandeBretagne. Voir notamment, « L’homme qui veut libérer l’Ecosse », Le Monde.fr, 07.04.2012, disponible ici: http://abonnes.lemonde.fr/archives/article/2012/04/07/l-homme-qui-veut-liberer-lecosse_4325335_1819218.html 5 Pour une histoire du SNP, voir Mitchell et al. (2011) The Scottish National Party : Transition to Power. Oxford University Press, Oxford 5 sur 107 leurs spécificités, notamment politiques. Au-delà des mouvements nationalistes, on semble assister aujourd’hui à un développement de plus en plus marqué de l’échelon subétatique, des régions ou provinces, qui prennent une place grandissante dans le processus politique. Que l’on parle de glocalisation6 si l’on veut se placer dans un contexte mondialisé, ou bien de gouvernance multi-niveaux, on retrouve un phénomène de relocalisation du pouvoir, de transferts de compétences vers des échelons jugés plus à même de comprendre un territoire spécifique, et donc de mettre en place des politiques plus efficaces. Deuxièmement, le nationalisme écossais moderne se réclame non pas d’une nation ethnique, comme dans la conception allemande, mais d’une nation civique, davantage dans la tradition française héritée d’Ernest Renan: pour les nationalistes, est écossaise toute personne qui est née en Ecosse, mais également tous ceux qui y vivent et travaillent, ou bien y ont gardé une attache forte. La nation écossaise défendue par les nationalistes du SNP comporte donc aussi bien des écossais de souche que des immigrés, et notamment une large proportion d’anglais. Si la construction de l’identité écossaise s’est largement basée sur l’opposition avec l’Angleterre, notamment jusqu’à l’Union de 1707, les liens économiques, familiaux et politiques sont aujourd’hui extrêmement forts d’un côté et de l’autre de la Tweed, le fleuve qui marque historiquement la frontière entre les deux pays. Enfin, le nationalisme écossais se veut fondamentalement positif. Certes, une large partie de son argumentation est constituée par la dénonciation de ce qui se fait en Angleterre, et ce notamment depuis l’arrivée au pouvoir des conservateurs en 2009. Cependant, le projet nationaliste tel qu’il est porté par le SNP constitue davantage une mise en valeur des atouts économiques et sociaux de l’Ecosse aujourd’hui, et prône la mise en place de nouvelles politiques pour mettre en valeur le potentiel de la nation. Dans la même veine, le nationalisme écossais ne semble pas être qu’un simple égoïsme économique d’un territoire plus prospère cherchant à s’émanciper d’autres territoires plus à la traine, comme pourrait l’être le mouvement pour la Padanie en Italie. Même si l’Ecosse est une nation riche avec des ressources naturelles très importantes, elle ne subventionne pas le reste du Royaume-Uni et n’affiche pas une prospérité éclatante par rapport aux autres nations britanniques (nous reviendrons sur ces éléments dans notre développement). A bien des égards, le nationalisme écossais est donc unique en Europe. 6 Selon le néologisme, contraction de « globalisation » et « localisation », dont la paternité est accordée au sociologue américain Roland Robertson. 6 sur 107 Par ailleurs, comme tous les nationalismes, il s’appuie dans une large partie sur l’histoire du pays pour justifier son projet politique. On ne peut en effet douter que l’Ecosse soit historiquement une nation distincte de l’Angleterre. Sans remonter au Moyen-Age ou même à l’époque romaine (même si cela serait possible), affirmons déjà que jusqu’en 1603, l’Ecosse et l’Angleterre formaient deux nations formellement distinctes, avec deux monarques et deux systèmes politiques différents. Le hasard dynastique de l’époque fit qu’en 1603, le roi d’Ecosse se trouva être le descendant légitime du trône d’Angleterre. Les deux nations entrèrent alors dans une Union dynastique, qui déboucha en 1707 sur une Union politique complète. Ce Traité d’Union fut signé entre les deux nations, qui en créèrent une nouvelle, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne, plus tard rejoint par l’Irlande. Il faut cependant insister sur le fait que l’Ecosse, à la différence de la situation du Pays de Galles ou en Irlande, ne fut pas colonisée par l’Angleterre. L’Union se fit entre deux Etats égaux, même si la taille et l’importance politique et économique de l’Angleterre ont toujours créé une asymétrie. Ainsi, le traité d’Union posa le respect de l’autonomie écossaise comme une condition non négociable. L’Ecosse maintint le contrôle sur trois institutions civiles, qui participèrent au développement d’un gouvernement écossais largement autonome: les trois institutions sont l’Eglise presbytérienne, le système juridique et l’éducation7. Si l’Ecosse a choisi de renoncer à sa souveraineté parlementaire en 1707, c’était avant toute chose pour profiter de la prospérité de l’Empire anglais en formation, l’adage populaire à l’époque allait ainsi « Bought and sold for English gold ». Si cette formule dénonçait plutôt la corruption des parlementaires écossais lors du vote, l’Ecosse a au final largement profité de l’Union sur le plan économique, faisant d’elle une des nations les plus riches des XVIIIème et XIXème siècles. Les velléités d’indépendance n’ont certes jamais complètement disparu, mais un mouvement puissant, porté par les élites écossaises s’enrichissant à Londres et dans les colonies, s’est développé: le nationalisme-unionisme. Cette doctrine soutenait que le meilleur moyen de défendre les intérêts de l’Ecosse était l’Union avec l’Angleterre. D’une certaine façon, ce mouvement se retrouve aujourd’hui dans la campagne Better Together. La fin de l’Empire et les difficultés économiques de la période post-Seconde Guerre Mondiale mirent à mal le nationalisme-unionisme, et l’identification des écossais avec le reste du Royaume-Uni. La montée du nationalisme politique débuta dans les années 1930, avec la création du SNP en 1934. Les revendications autonomistes et 7 Pour une analyse détaillée des institutions historiques de l’Ecosse, voir Leruez, 2000, p.49-66 7 sur 107 indépendantistes ne cessèrent de se développer tout au long du XXème siècle, et notamment après la découverte d’importantes ressources pétrolières au large des côtes écossaises dans les années 1970, tandis que l’identification des écossais à leur nation devint de plus en plus marquée8. Elles aboutirent en 1999 à un processus connu sous le nom de « dévolution ». Celle-ci désigne en fait la création d’une large autonomie politique aux nations périphériques britanniques. Si le Royaume-Uni reste unitaire, avec pour seul parlement souverain le Parlement de Westminster à Londres, l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord ont une assemblée locale9 élue démocratiquement par les citoyens écossais, gallois et nord-irlandais. Ces assemblées se sont vues accorder de larges domaines de compétence, notamment pour la gestion des affaires internes, en accord avec leurs spécificités. En Ecosse, la dévolution était vue comme un moyen de faire taire les revendications indépendantistes. Force est de constater que cet objectif n’a pas été atteint. L’Ecosse n’a jamais été aussi proche de devenir indépendante, seulement quinze ans après l’ouverture du Parlement d’Holyrood. Qu’est-ce qui pousse le SNP à vouloir sortir du Royaume-Uni ? Pourquoi la dévolution n’a-t-elle pas permis de donner à l’Ecosse les moyens de se gouverner sans en vouloir davantage ? Pourquoi les nationalistes pensent-ils qu’être indépendante lui permettrait de mieux s’en sortir ? C’est à ces questions que nous essaierons de répondre dans ce mémoire. En effet, nous tenterons de donner un aperçu de la position de l’Ecosse dans l’Union; notre objectif sera d’étudier les divergences et les convergences du « modèle écossais » avec le reste du Royaume-Uni, et ce afin de comprendre pourquoi et comment l’Ecosse pourrait voir son autonomie s’accroitre, peut être jusqu’à devenir indépendante. Nous articulerons notre étude en deux grandes parties. Dans une première partie intitulée « Un modèle écossais ? Analyse socio-économique de l’Ecosse actuelle » nous essaierons de rendre de compte de ce qu’est l’Ecosse actuellement, en considérant son économie ainsi que ses valeurs sociales et politiques, et l’intégration de ce modèle dans le Royaume-Uni. Notre seconde partie « Quelles trajectoires pour l’autonomie écossaise ? » envisagera les possibilités pour la poursuite de l’autonomisation de l’Ecosse, et notamment les questions liées à l’indépendance. 8 Aujourd’hui, grâce à l’utilisation de la question Moreno, on note que plus des deux tiers des écossais se déclarent d’abord écossais avant d’être britannique. 9 Le Holyrood Parliament en Ecosse, l’Assemblée galloise pour le Pays de Galles, et le Stormont Parliament en Irlande du Nord 8 sur 107 ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! 9 sur 107 ! ! Première Partie: Un modèle écossais ? Analyse socio-économique de l’Ecosse actuelle! Chapitre 1 : L’économie écossaise: histoire, structure et conjoncture au début du XXIème siècle! ! L’économie est-elle le nerf de la guerre ? Depuis le début de la campagne, les débats sont en effet largement dominés par les questions économiques, et notamment la viabilité et la sincérité du projet indépendantiste du SNP. Les deux camps s’affrontent à grands coups de chiffres et de projections, « Yes Scotland » ayant pour objectif de rassurer la population sur les conséquences d’une sortie de l’Union, « Better Together » cherchant au contraire à mettre en avant les failles dans le programme économique que le SNP a détaillé dans son livre blanc « Scotland’s Future. Your Guide to Independence »10. Alex Salmond l’a lui-même reconnu lors d’un congrès du SNP en octobre 2013 : « For many people, of all the arguments, it is the economic issues - bread and butter issues that matter the most » (cité dans Duclos, 2014, p. 168). Le pragmatisme du First Minister est semble-t-il corroboré par les sondages, puisque 52% des écossais se déclarent prêt à voter pour l’indépendance si cela pouvait de façon sûre se répercuter d’une augmentation annuelle de £500 dans leur niveau de vie11. Or, selon les mêmes chiffres, seulement 34% supportent l’indépendance si celle-ci ne débouche ni sur une augmentation ni sur une baisse du niveau de vie, ce qui correspond globalement aux résultats attendus pour le « Oui » lors du référendum. Selon Duclos, cela constitue une approche « utilitariste » du nationalisme, qui s’opposerait à un nationalisme dit « pur » (idem, p.167), dans lequel la réalisation de l’indépendance de la nation est un but en soi, et non un moyen pour obtenir une autre fin, en l’occurrence économique. Ainsi, la perspective de l’indépendance est étroitement liée aux performances économiques prévues, C’est pourquoi nous aborderons dans ce chapitre l’économie écossaise dans sa globalité, afin d’analyser comment se situe l’Ecosse par rapport au reste du Royaume-Uni, mais également par rapport aux standards européens. Il s’agira de comprendre où se situent les intérêts écossais, et s’ils divergent, ou au contraire convergent vers ceux du 10 Les perspectives économiques induites par l’indépendance seront étudiées dans la Deuxième Partie, Chapitre 2: L’Ecosse indépendante: possibilités et enjeux 11 A l'inverse, seulement 15% se déclarent en faveur l’indépendance si cela se traduit par une baisse de £500 de leur niveau de vie. Source: « The score at half-time », ScotCen, Scottish Social Attitudes 2013 Survey. 10 sur 107 Royaume-Uni. Notre approche s’articulera en deux parties. Nous reviendrons dans un premier temps (I), sur l’histoire économique de l’Ecosse depuis l’Union de 1707, ce qui nous permettra de mettre en perspective la situation économique actuelle du pays, que nous développerons dans un second temps (II), pour voir où en est l’Ecosse aujourd’hui. Notre objectif est d’essayer de dresser un portrait économique afin de mieux appréhender la spécificité de l’Ecosse dans ce domaine. ! I/ De l’Union à la dévolution: trois siècles d’économie écossaise (1707-1997) ! L’histoire économique de l’Ecosse est d’une grande richesse. Le pays est passé en l’espace de trois siècles d’un état de sous-développement, de grande précarité et de domination anglaise au début du XVIIIème siècle, au statut de plaque tournante du commerce international, faisant jeu égal avec l’Angleterre et dominant avec elle l’économie industrielle et mondialisée lors du XIXème et du début du XXème siècle, avant de connaître de graves difficultés durant le reste du XXème siècle, dans un Etat que l’on appelait alors « l’homme malade de l’Europe ». Par l’ampleur, la rapidité des évolutions et la profondeur des changements qu’elle a observés durant ces trois siècles, l’histoire économique écossaise est incomparable avec d’autres nations de taille identique, et permet de comprendre, en partie, comment et pourquoi le nationalisme écossais, qui a émergé dans les années 1930, s’est nourri de ce passé pour construire son projet d’indépendance. ! A) De l’Union à la Première Révolution Industrielle: les fondations du succès (1707-1830)12 ! A la veille du traité d’Union avec l’Angleterre, l’Ecosse présentait une économie relativement faible comparée à son voisin. Alors que l’Angleterre débutait sa révolution agraire, l’agriculture de subsistance représentait en Ecosse la très grande majorité de l’activité, marquée qui plus est par de mauvaises récoltes. Si certaines élites des 12 Le découpage chronologique suit en partie celui proposé par Tom Devine dans The Scottish Nation (2012). 11 sur 107 Lowlands13 commençaient à se convertir aux notions de rendement et de profits, en transformant leurs terres en exploitations, le système social clanique dans les Highlands maintenait les habitants dans une logique communautaire, les paysans travaillant pour un chef qui leur fournissant la protection. Une industrie textile voyait cependant le jour autour de la laine et du drap dans les grandes villes, notamment Glasgow et Dundee, et dans la région des Borders. Le commerce était relativement développé vers le Sud et l’Angleterre, ainsi que vers l’Est et avec les pays de la mer Baltique. Cependant, l’Ecosse ne parvenait pas à s’établir dans les colonies, notamment à cause de la rivalité avec l’Angleterre qui cherchait à protéger son avantage économique en excluant les navires écossais de sa zone d’influence par les Navigations Acts de la fin du XVIIème siècle, empêchant ainsi tout développement commercial14. L’impact majeur de l’Union de 1707 fut d’ouvrir entièrement les colonies anglaises aux marchands écossais, leur assurant par la même occasion la protection de la Royal Navy. Le commerce colonial, notamment autour du tabac15, permit à l’Ecosse de se développer considérablement. Glasgow devint très vite la plaque tournante européenne pour le commerce du tabac, achetant dans les colonies pour revendre par la suite en Europe. D’autres commerces se développèrent sur la façade atlantique, comme le coton ou le sucre, et permirent aux élites écossaises de largement s’enrichir. Or, selon Devine, c’est la volonté de ces élites de contribuer au développement du pays qui allait entrainer le succès économique des décennies suivantes, et contribuer également à ce que l’Ecosse ne se transforme pas en satellite de l’Angleterre (Devine, 2012, p. 49-63). Pour l’auteur, « Union in 1707 could neither cause or prevent Scottish development: it simply offered an economic context with risks and opportunities » (2012, p.61). L’auteur insiste en effet sur la capacité des marchands écossais à exploiter à leur avantage ce contexte favorable pour impacter de manière durable sur le développement économique du pays, et ce de deux façons: en se montrant plus compétitif que leurs homologues anglais grâce, notamment, au recours massif à la contrebande, et en réinvestissant une large partie de 13 L’Ecosse est traditionnellement divisée en deux parties, le long de la rivière Ness: les Highlands et les Lowlands. Les Highlands (Hautes-Terres), au nord, sont une région montagneuse et sauvage, marquée par la culture gaélique, tournée vers l’Irlande et organisée jusqu’au XIXème siècle par le système clanique. Au sud, les Lowlands sont recouverts de plaines et de vallées basses, et regroupent les principaux centres urbains. Ils sont historiquement de culture scot, plus proche de l’Angleterre dans la langue comme dans les moeurs. Pour toutes les autres indications géographiques, (régions, villes) se rapporter à la carte, Annexe 1, p.104. 14 L’exemple le plus marquant est le « désastre de Darien », en 1698, qui vit une tentative de la part des élites écossaises de s’implanter en Amérique centrale se solder en catastrophe humaine et matérielle, et dont la responsabilité est en partie à imputer aux retraits des capitaux anglais à la dernière minute. 15 Qui représentait 50% du commerce écossais en 1750 (Devine, 2012, p. 122) 12 sur 107 leurs profits dans le développement industriel de l’Ecosse. Plusieurs banques furent fondées par des marchands coloniaux, comme la Royal Bank of Scotland (RBS) en 1727 ou la British Linen Company en 1746. Jusqu’à 1760, cette combinaison de profits coloniaux et d’investissement locaux permirent de préparer le terrain pour la première révolution industrielle. A partir de 1760, l’Ecosse connut une industrialisation massive et un développement économique inégalé.16 Grâce à l’explosion des bénéfices du commerce colonial17, l’économie écossaise passa dans l’âge moderne en l’espace d’une génération. La révolution dans les techniques de tissage permit aux industries textiles18, dans lesquelles l’Ecosse s’était déjà engagée, d’exploser autour de trois produits: le coton, la laine et le drap. La mécanisation augmenta les rendements et donc la production de manière vertigineuse (la production de coton fut multipliée par 10 entre 1730 et 1820), tandis que les progrès techniques dans le transport naval permettaient au commerce colonial de rapporter toujours plus. Ce développement économique fut largement supporté par le secteur bancaire d’Edimbourg, soutenu par les grandes familles nobles et les marchands ayant fait fortune, et assura aux Ecossais de prendre une place de plus en plus importante dans l’Union, en faisant preuve d’une capacité d’entrepreneuriat et d’inventivité significative, qui permirent de rapidement s’émanciper de la tutelle anglaise en matière d’innovation. Cette Première Révolution Industrielle s’accompagna d’une régionalisation de l’activité économique: tandis que Glasgow et les Lowlands de l’Ouest (notamment l’Ayrshire) se spécialisaient dans l’industrie du coton venu des colonies, la région de Dundee, de l’Angus et du Royaume de Fife se tournaient vers le drap et les Borders vers la laine. Cette répartition géographique traduit d’une économie intégrée et performante, répartie autour de pôles urbains complémentaires. C’est en effet une caractéristique de l’Ecosse dès la Première Révolution Industrielle que de posséder une répartition spatioéconomique importante, qui perdure jusqu’à aujourd’hui, avec quatre grandes cités spécialisées dans un secteur d’activité différent (Edimbourg dans la finance, Glasgow dans le coton, Dundee dans le drap et Aberdeen dans le commerce avec la Baltique et la 16 « That decade (the 1760s) seems to have been a defining watershed because from then on Scotland began to experience a social and economic transformation unparalleled among European societies of the time in tis speed, scale and intensity » (Devine, 2012, p.107) 17 Les importations en Ecosse passèrent de 10% du total des importations britanniques en 1738 à 40% en 1765, alors même que l’Angleterre connaissait également une explosion de ses revenus coloniaux (Devine, 2012, p.105) 18 Notamment grâce à la machine à vapeur, qui révolutionna les techniques en introduisant mécanisation des métiers à tisser. Or, le père de la machine à vapeur moderne, James Watt, est écossais. 13 sur 107 pêche) et qui peuvent s’appuyer sur un réseau de villes plus petites qui servent à drainer l’activité et le commerce local, telles Perth, Stirling, Ayr, Inverness ou Dumfries. Ce développement urbain précoce et massif19 fut rendu possible dès le milieu du XVIIIème siècle par une réforme agraire d’envergure, qui bouleversa totalement les Highlands. Comme le dit Devine: ! « The buoyant markets for kelp, fish, whisky, cattle and sheep commercialized Highland society, disolved the traditional communal townships, encouraged the division of land into individual crofts and subordinated ancient landownership responsibilities to the new imperatives of profit. {..} In less than two generations Scottish Gaeldom was transformed from tribalism to capitalism » (Devine, 2012, p. 100) ! La conversion des chefs de clan aux principes du capitalisme déboucha sur un phénomène connu sous le nom de Highlands Clearances, et qui dura d’environ 1750 à 1850. Afin de maximiser les rendements sur leurs propriétés, ceux-ci forcèrent les habitants à quitter les terres, parfois par la force, afin de faire place aux moutons, dont la laine alimentait les industries des Lowlands. La plupart des Highlanders s’installèrent sur les côtes pour travailler dans l’industrie du varech (kelp), tandis que le reste émigra dans les villes du sud ou quitta l’Ecosse pour rejoindre le Canada, les Etats-Unis ou l’Australie. ! Aussi le XVIIIème siècle fut une période de large expansion économique caractérisée par une révolution dans les modes de production, un ancrage toujours plus marqué dans le commerce international et un poids toujours plus important dans l’Union en termes d’attractivité. ! ! ! ! ! ! 19 17% des écossais vivaient dans une ville de plus de 10 000 habitants en 1800, ce qui fait de l’Ecosse quatrième pays le plus urbanisé de l’époque. En 1850, cette proportion atteint les 32%, plaçant ainsi l’Ecosse en deuxième position, derrière l’Angleterre et le Pays de Galles (Source: J. De Vries, European Urbanisation, 1500-1850, cité dans Devine, 2012, p. 152) 14 sur 107 B) De la Seconde Révolution Industrielle à la Deuxième Guerre Mondiale: l’âge d’or écossais et ses limites (1830-1939) ! Le XIXème siècle, quant à lui, fut l’âge d’or de l’économie écossaise. Les fondations posées lors de la Première Révolution Industrielle (ancrage international, industrie textile performante, importance du progrès technique, répartition et spécialisation géographiques, alliance du capital et du développement industriel à travers la finance) permirent à l’Ecosse d’être un acteur majeur de la Seconde Révolution Industrielle, et de façon presque disproportionnée par rapport à sa taille (à peine 5 million d’habitants au début du XXème siècle). Car en effet, l’Ecosse fut au coeur du boom économique et de l’économie mondialisée du XIXème siècle jusqu’au début du XXème. Si l’industrie textile était le moteur auparavant, c’est l’industrie lourde qui prit le dessus dès les années 1850. Glasgow et sa proche région opérèrent avec succès une transformation dans les secteurs cruciaux de l’époque: la construction navale20, le chemin de fer et les locomotives21, la sidérurgie (notamment autour de la ville d’Ayr) et l’exploitation du charbon, ce dernier se trouvant en quantité importante dans les plaines des Lowlands. Surtout, les industries de la vallée de la Clyde22 profitèrent de leurs liens historiques avec les marchés internationaux et les pays en développement (Etats-Unis, Australie, Afrique du Sud, Inde), colonies ou ex-colonies britanniques, pour produire des quantités importantes sans surchauffe. Comme le dit Devine: « As far as Scotland was concerned, the international market was the king » (Devine, 2012, p.254). Le développement économique s’appuya largement sur le commerce international, et non sur le marché domestique, trop étroit, ce qui explique que l’économe écossaise durant ces décennies était bien supérieure en capacité par rapport la population écossaise. Entre un tiers et la moitié des quantités produites dans l’ensemble des industries lourdes de l’époque était destiné aux marchés internationaux, le reste étant réparti entre les besoins du marché écossais et, surtout, du 20 Les chantiers navals de Glasgow et de ses alentours allèrent jusqu’à produire un cinquième de la production mondiale de navires à la fin de la période concernée. 21 La ville devient le plus grand centre de construction de locomotives en Europe, avec notamment la constitution d’un trust, la North British Locomotive Works, entre les trois plus grands constructeurs autour de 1900. 22 La Clyde est un fleuve qui se jette dans l’Océan Atlantique sur la côté ouest de l’Ecosse, en passant notamment par Glasgow. Le long de son estuaire s’est développé l’essentiel de l’activité industrielle écossaise, et notamment les chantiers navals. 15 sur 107 marché britannique, alors l’économie la plus développée du monde. Bruce Lenman résume bien la position écossaise dans l’économie-monde de l’époque: ! « The wheat of the Canadian or American prairies, for example had to be taken by rail to eastern ports, and in Canada the locomotive could well be made in Glasgow while both in Canada and in America the sacks holding the grain were quite likely to have been manufactured in Dundee. The ships which crossed the North Atlantic with the grain were often enough built and engineered on the Clyde » (cité dans Devine, 2012, p.255). ! Glasgow représente le symbole de cet âge d’or de l’économie écossaise. La ville, importante depuis longtemps, devint le centre économique du pays, et même au-delà. Auto-proclamée « deuxième cité de l’Empire », après Londres, elle incarnait la réussite de l’Ecosse toute entière dans la période victorienne et edwardienne23, et également le succès de l’Union. Pittock parle de cette situation selon les termes suivant: « Nowhere in the developed world was a country and economy so dominated by a single metropolis, and Glasgow began to conceive itself as a kind of city-state, transcending the country in which it was situating » (Pittock, 2008, p. 67). L’auteur parle également de Glasgow à l’époque comme de « la plus Britannique des villes écossaises »24, de part sa position dominante dans l’économie britannique globale. La cité devint un centre urbain de premier ordre au niveau mondial, en dépassant le million d’habitants en 1914, soit une multiplication par quatre en quatre-vingt ans. Cependant, Glasgow ne fut pas la seule à profiter de l’expansion économique. Dundee, par exemple, utilisa sa connaissance de l’industrie textile pour se spécialiser dans le jute, un matériau importé d’Inde et crucial à l’époque pour le transport et le stockage des marchandises, ainsi que lors des conflits pour les barricades. La ville devint la capitale mondiale du jute, au point qu’elle fut surnommée Juteopolis. Ce développement industriel massif fut rendu possible par la poursuite des réformes agraires dans les Highlands et les Lowlands, qui permirent d’augmenter les rendements, et donc d’alimenter les centres urbains en croissance exponentielle, ainsi que de fournir de la main d’oeuvre pour les usines en poussant les populations rurales à l’émigration. De plus, l’arrivée de travailleurs irlandais, attirés par les perspectives 23 La période 1830-1914 est connue en Grande-Bretagne comme l’ère victorienne et edwardienne, du nom de la reine Victoria, qui régna de 1832 à 1901, et du roi Edward VII, de 1901 à 1910. 24 La ville organisa notamment la dernière grande exposition impériale de 1938, qui accueillit plus de 12 millions de visiteurs. 16 sur 107 d’emploi, lors des nombreuses famines du XIXème siècle permirent aux industries écossaises de compter sur une main d’oeuvre abondante, peu chère et docile, le syndicalisme n’étant que très peu développé à l’époque (Devine, 2012, p. 259-61). Il faut néanmoins nuancer ce tableau idyllique. Ce qui fit la force de l'économie écossaise fit aussi sa faiblesse. La structure même du développement écossais portait en elle les raisons de son effondrement après le boom de la Première Guerre Mondiale: trop dépendante des marchés internationaux, par nature volatiles, trop peu diversifiée pour encaisser des contractions dans la demande, et trop peu évolutive pour s’adapter aux nouveaux modes de consommation dans les années 1920. Ces faiblesses se matérialisèrent dès le début des années 1930, lors de la Grande Dépression, et furent à la source des difficultés économiques de l’Ecosse après la Deuxième Guerre Mondiale. C) De la Deuxième Guerre Mondiale à la Dévolution: entre déclin et renouveau, les bases de l’Ecosse actuelle (1939-1999) La fin des années 1930 fut marquée par un retour de l’activité économique due au réarmement en prévision de la guerre qui s’annonçait. Les industriels y virent le signe d’un nouveau cycle de croissance, ce qui ne les encouragea pas à mettre en place les réformes nécessaires, et notamment à engager la diversification des activités dans des biens de consommation pour suivre les évolutions de la demande, la faiblesse du marché interne représentant un frein supplémentaire. Ainsi, les industries lourdes de la Clyde et autour de Dundee participèrent largement à l’effort de guerre. Les usines furent utilisées comme lieux de production d’armes et de munitions, tandis que les chantiers navals se transformèrent en arsenaux pour alimenter la flotte britannique en navires lors de la bataille de l’Atlantique. Les besoins de guerre furent tels que la production à la fin du conflit retrouva des niveaux comparables à ceux des meilleures années. Le chômage, qui avait explosé dans les années 1930 comme dans beaucoup d’autres pays, atteignit en moyenne 1,6%, tandis que la sidérurgie et l’ingénierie marine employaient à elles seules 25% de la population active (Devine, 2012, p. 548). La demande de sac de sable et de transport relança l’activité du jute de Dundee, et les besoins de capitaux furent soutenus par les banques d’Edimbourg. 17 sur 107 La période favorable de la guerre dura jusque dans les années 1950, alors que la reconstruction était à l’œuvre. Si les toutes premières années (1946-1947) furent difficiles, la mise en place du Plan Marshall permit à l’ensemble de l’économie britannique de retrouver de la croissance grâce à l’apport des capitaux américains25 et l’ouverture du marché transatlantique (Devine, 2012, p.556). La planification et la centralisation menée par le gouvernement britannique, à travers la mise en place du Board of Trade, contribua à attirer de nouveaux investissements et encourager à l’export, notamment dans les industries lourdes traditionnelles, pour la plupart nationalisées à la fin des années 1940. Ainsi, les chantiers navals de la Clyde, toujours privés, demeuraient la première industrie du pays, représentant 15% de la production mondiale entre 1948 et 1951 (idem). Dans les zones rurales, la planification agricole menée par le gouvernement central encouragea une réforme des modes de production qui aboutirent à une véritable révolution, notamment avec l’arrivée de la mécanisation. Une autre décision importante fut la création dès 1943 de la North of Scotland Hydro Electric Board par le secrétaire d’Etat à l’Ecosse Johnston, qui initia la construction de nombreux barrages dans les Highlands dans les années 1940-1950, ce qui permit à la zone de tirer profit de sa géographie et d’améliorer considérablement la qualité de vie, ainsi que de poser les bases du développement économique futur. Les années 1960 furent marquées par une centralisation toujours plus poussée de l’économie, ainsi que l’intervention de l’Etat à tous les niveaux, sans que cela ne se traduise toujours par une grande réussite (Pittock, 2008, p.14-16). Cependant, le Scottish Office26 commanda un rapport sur l’économie écossaise, qui sorti en 1961 sous le nom de Toothill Report. Celui-ci établit des « points de croissance » possibles, et amena notamment à la création d’une industrie automobile à Linwood (Pittock, 2008, p.15), dont la production fut continue jusqu’en 1981. De plus, la mise en place de la Highlands and Islands Development Board en 1965, transformée en Scottish Development Agency en 25 Plusieurs entreprises américaines s’implantèrent en Ecosse, comme Goodyear, Caterpillar ou IBM. Cellesci importèrent des technologies nouvelles, comme l’électronique, qui sont encore importantes aujourd’hui (Devine, 2012, p.557). 26 Le Scottish Office était depuis 1885 et jusqu’à la dévolution le ministère en charge des affaires écossaises au sein du gouvernement britannique. Son directeur, le secrétaire d’Etat à l’Ecosse ou Secretary of State for Scotland, était en charge de l’adaptation des politiques centrales à l’Ecosse. L’essentiel des pouvoirs du Scottish Office fut transféré au Scottish Executive par le Scotland Act de 1998. 18 sur 107 1975, fut une tentative relativement fructueuse d’établir une stratégie régionale pour l’Ecosse27, notamment à travers une politique fiscale très avantageuse afin d’attirer les investisseurs. Les vraies difficultés commencèrent au début des années 1970, comme pour l’ensemble de Royaume-Uni. La fin de l’Empire marqua l’arrêt de la position centrale que la Grande-Bretagne occupait dans le commerce international. Bien que des liens encore forts subsistaient entre la métropole et les anciennes colonies, les marchés internationaux devinrent moins facilement accessibles, ce qui eut un impact particulièrement fort pour l’Ecosse dont l’économie était principalement tournée vers l’export. De plus, la trop forte dépendance dans les industries lourdes, tendance qui n’avait eu de cesse de se renforcer depuis le début du XXème siècle, se révéla largement handicapante. Si les chantiers navals, à leur tour nationalisés, furent soutenus grâce à la demande étatique, l’ensemble des autres industries s’écroula, car les biens qu’elles proposaient n’étaient plus adaptés à un marché mondial en cours de modernisation. Or, le marché interne ne pouvait prendre le relais, tandis que les industries de biens de consommation (notamment automobile, malgré l’usine de Linwood, ou l’agro-alimentaire, avec l’usine Monsanto dans l’Ayrshire) ne parvinrent pas à s’implanter durablement. De plus, alors que le succès économique écossais du XIXème siècle s’était largement basé sur des capitaux écossais, l’Ecosse devint de plus en plus dépendante des investissements étrangers, notamment américains et asiatiques, et également des subventions et allocations du pouvoir de Westminster. Certes, la découverte de larges réserves de pétrole dans la mer du Nord fut perçue comme une aubaine, et déclencha en effet le développement économique de la façade nord-est autour d’Aberdeen, jusque-là dépendante de la pêche. Mais si cette manne pétrolière et gazière permit au Royaume-Uni de devenir un exportateur net 27 « The modeling of the SDA on the Irish Industrial Authority, combined with its role as a consciously national agency, served to make it arguably more effective than previous governmental development initiatives which were more centrally driven and attempted, even via regional policy, to homogenize one economic model throughout the UK » Pittock, 2008, p.14 19 sur 107 d’hydrocarbures, elle augmenta fortement le taux de change de la livre, ce qui handicapa le reste de l’économie écossaise28. Si les difficultés s’accumulèrent au début des années 1980, les années Thatcher furent autant d’années de crise pour l’économie écossaise. L’ensemble des indicateurs économiques furent en déclin sur la majeure partie de la période de pouvoir conservateur (Leydier, 1994, p.1036). En 1986, au cœur du deuxième mandat de Margaret Thatcher, le taux de chômage était de 14% (McCrone, 2013, p.7). Les coupes budgétaires, ainsi que l’économie post-industrielle voulue par le gouvernement conservateur, furent perçues comme particulièrement « anti-écossaises » (Leydier, 1994, 1937), en raison de la dépendance forte en Ecosse à la fois à l’emploi public29 et au secteur industriel. De plus, ce furent les anciens bassins économiques traditionnels (sidérurgie, chantiers navals, charbon et textile), qui avaient fait autrefois la fierté de l’Ecosse, qui souffrirent le plus des décisions prises par le gouvernement conservateur30: Devine nous dit que la capacité manufacturière connut un déclin de 31% entre 1967 et 1987, et 64% pour la seule industrie textile des Borders, tandis que seules deux mines de charbon restaient ouvertes à la fin de la période (Devine, 2012, p.592). A la décrépitude des anciennes industries s’ajoutèrent les fermetures d’usines étrangères qui s’étaient implantées en Ecosse après 1945 et grâce aux politiques régionales développées dans les années 196031. De plus, de nombreuses entreprises furent rachetées par des firmes anglaises, ce que Leydier décrit comme une « succursalisation de l’économie écossaise », alors même que l’Ecosse avait réussi jusque-ici à ne pas se transformer en satellite de l’économie anglaise. Cette « succursalisation » fut si importante que seules cinq des cinquante plus grandes 28 Comme le dit McCrone: « The decline of existing industry appeared to outweigh the very welcome benefits to companies that took advantage of the opportunities available from oil-related activity » McCrone, 2013, p. 20 29 Nous reviendrons sur cette caractéristique lors de la deuxième partie de ce chapitre « Structure de l’économie écossaise depuis la dévolution » 30 Bien que, comme nous l’avons montré ci-dessus, le déclin de ces industries était bien entamé depuis plusieurs décennies. 31 Au rang desquelles Singer à Clydebank, Goodyear à Glasgow, Monsanto dans l’Ayrshire ou bien Talbot à Linwood. 20 sur 107 entreprises écossaises étaient contrôlées depuis l’Ecosse en 1990 (Leydier, 1994, pp 1037-8). Une citation de Pittock résume bien la situation écossaise à la fin des années 1980: ! « Downgraded, albeit ambivalently, to the status of region; no longer a partner in Empire or dominant in international trade and mercantilism, provincialized by centralist policy, commercial globalisation and loss of competitiveness in key industries, Scotland’s status was in decline on almost every front » (Pittock, 2008, p.56) ! Plus encore que la crise économique, c’est la responsabilité du gouvernement britannique qui fut mise en cause, un gouvernement pour lequel les écossais n’avaient de surcroit pas voté32. Comme le dit McCrone: ! « Scotland was of course, not the only part of the UK suffering these problems. But they gave rise to a feeling in Scotland that the country’s economy was somehow not doing as well as it should and that the UK government in London was not doing enough » (McCrone, 2013, p.4) ! Ainsi, les années de gouvernement conservateur mirent à mal l’Union en exacerbant les différences entre la réalité écossaise et le pouvoir à Londres, accusé de ne pas prendre en compte l’Ecosse, voire de cibler particulièrement celle-ci33. Cette rupture est essentielle pour comprendre l’aboutissement du processus de dévolution en 1997. D’un point de vue purement économique, la révolution monétariste des années Thatcher, si elle eut des conséquences économiques et sociales terribles, permit à l’Ecosse de se réformer considérablement, et d’entrer dans l’ère post-industrielle. La structure économique écossaise actuelle, que nous développerons dans la deuxième 32 Durant toutes les années de gouvernement conservateur, le parti travailliste arriva largement en tête, avec par exemple 50 des 72 sièges de députés pour l’Ecosse en 1987. 33 L’exemple de la fameuse poll tax est à ce titre révélateur: pour remplacer certaines taxes sur la propriété servant à financer le gouvernement local, le gouvernement Thatcher décida de la création d’un impôt nonprogressif par tête, officiellement appelé Community Charge, et officieusement poll tax. Considéré comme très inégalitaire, et donc extrêmement impopulaire dans l’ensemble du Royaume-Uni, cet impôt fut instauré en 1989 en Ecosse, soit un an plus tôt qu’en Angleterre et au Pays de Galles. 21 sur 107 partie de ce chapitre, est directement liée à la crise des années 1980. Comme dans beaucoup d’autres pays occidentaux, l’effondrement industriel engagea la transition vers une économie basée sur les services, qui s’accompagna en Ecosse d’une place importante prise par le secteur de l’énergie. ! Son histoire économique permet de comprendre où en est l’Ecosse aujourd’hui, mais explique surtout le fait que l’économie soit à ce point cœur du débat sur l’indépendance, et ceci sur pour deux raisons. Premièrement, les avantages et inconvénients économiques liés à l’Union ont toujours été un enjeu important dans la relation que l’Ecosse entretient avec le reste du Royaume-Uni. Il est incontestable que l’Ecosse en tira d’énormes bénéfices, notamment durant toute l’ère impériale. Or, jamais l’Union ne fut contestée de façon significative durant le XIXème siècle, et particulièrement en comparaison avec la situation en Irlande, où le mouvement pour le Home Rule34 se développa à partir de 1870 et aboutit à la guerre d’indépendance dans les années 1910. La dégradation progressive de la situation économique depuis le début du XXème siècle et notamment dans les années 1930, coïncide étroitement avec l’émergence du nationalisme écossais (le SNP fut en effet fondé en 1934, dans la période la plus difficile en Ecosse de l’entre-deux-guerres). Les difficultés des années 1970 furent suivies d’un premier référendum sur la dévolution en 1979, tandis que la crise économique des années 1980-90 aboutit à un second référendum sur la dévolution en 1997, et à la réouverture du Parlement écossais en 1999. Aussi, il est possible de considérer que le nationalisme écossais et les velléités d’indépendance sont largement corrélés aux performances économiques de l’Union et aux responsabilités du gouvernement central dans celles-ci. Deuxièmement, l’identité écossaise s’est dans une large mesure construite en fonction de sa structure économique. Les usines de Glasgow et Dundee et les chantiers de la Clyde contribuèrent à la construction d’une image particulière pour les classes populaires, qui se caractérisait par «la masculinité, la compétence, la solidité, l’endurance, 34 Il existe néanmoins un mouvement pour le Home Rule en Ecosse, à travers la Scottish Home Rule Association (SHRA), moins influent que son homologue irlandais, mais qui obtint cependant une forme de décentralisation administrative avec la création du Scottish Office en 1885. 22 sur 107 la décence, la solidarité et l’égalitarisme »35, tandis que le succès des banques d’Edimbourg définissait également l’élite écossaise comme prospère, entreprenante et dévouée au développement du pays. La disparition de la population gaélique des Highlands durant le XVIIIème siècle permit par ailleurs aux auteurs et artistes de réinventer la culture écossaise, désormais centrée autour d’une version romantique des paysages des Highlands et de la culture gaélique, qui attirèrent à l’époque, et encore aujourd’hui, de nombreux touristes36. Plus encore, l’âge d’or du XIXème siècle donna la preuve que l’Ecosse pouvait être une nation riche et importante, et non une simple région de Grande-Bretagne gouvernée à distance par Londres. Ces deux aspects sont importants pour comprendre la divergence grandissante entre l’Ecosse et le reste du Royaume-Uni. II/ Situation de l’économie écossaise depuis la dévolution ! Qu’en est-il de l’Ecosse aujourd’hui ? L’ensemble des auteurs s’accorde à dire que l’Ecosse est aujourd’hui une nation relativement riche et développée. Les années 1990 ont vu l’économie écossaise se reconstruire progressivement autour d’un petit nombre de secteurs dans lesquels l’Ecosse profite d’un avantage comparatif certain (énergie, finance, tourisme), ainsi que sur des nouvelles industries à fort potentiel (bio-technologies), qui ont permis à l’économie de se relever afin d’atteindre dans l’ensemble des indicateurs la moyenne britannique. Nous nous intéresserons dans un premier temps à la structure de l’économie écossaise afin d’identifier les secteurs clés, avant de considérer la performance globale de l’Ecosse vis-à-vis du reste du Royaume-Uni. ! ! ! 35 « The masculinity, skill, hardness, endurance, decency, solidarity and egalitarianism of the Scot » (Pittock, 2008, p.45) 36 Pour plus d’informations sur la révolution culturelle romantique et la réinvention de la culture écossaise, voir C.W.J Withers, ‘The Historical creation of Scottish Highlands’ in I.L. Donnachie and C.A. Whatler (eds), The Manufacture of Scottish History (Edimbourg, 1992) ou bien ‘Highlandism and Scottish Identity’ in Devine, 2012, p.170-195. 23 sur 107 A) Structure de l’économie écossaise ! 1. Structure générale ! Si le développement de l’économie écossaise s’est d’abord fondé sur les industries lourdes et les produits manufacturés, il est à noter qu’aujourd’hui les industries de production représentent moins de 20% du PIB écossais en 2012, comme le montre le Tableau 1: ! TABLEAU 1: PART DANS LE PIB DES SECTEURS DE PRODUCTION, DE CONSTRUCTION ET DES SERVICES EN ECOSSE ET AU ROYAUME-UNI EN 2012. ! Part dans le PIB de l’Ecosse (%) Part dans le PIB du Royaume-Uni (%) Production 19,1 15,6 Construction 7,8 6,8 Services 72,3 77,0 Source: Fiscal Economic Working Group - First Report - 2013, p 6237 ! Ainsi, plus des deux tiers des richesses (72,3%) créées en Ecosse en 2012 viennent du secteur des services, pour 81% des emplois (Fiscal Commission, 2013, p.60) Comme dans de nombreux autres pays, l’économie s’est largement tertiarisée. Il faut cependant noter une première différence avec le reste Royaume-Uni, où le secteur des services produit plus des trois quarts (77%) des richesses. ! De façon générale, la structure de l’économie écossaise a considérablement évolué depuis plusieurs décennies. Comme le dit Devine: ! « Quite simply, Scotland, over that period {1980-2000}, had been transformed to an extent unknown since the epoch of the Industrial Revolution of the later eighteenth and early 37 Le Fiscal Commission Working Group est un groupe d’experts mis en place par le gouvernement écossais et charger de le conseiller sur son projet économique post-indépendance. Les membres du Working Group sont des universitaires reconnus, et comptent parmi eux deux prix Nobel d’économie, Sir James Mirrless de l’université de Cambridge et Jospeh Stiglitz de l’université de Columbia. Le Working Group a publié plusieurs rapports durant l’année 2013, disponibles en version électronique ici: http://www.scotland.gov.uk/Topics/ Economy/Council-Economic-Advisers/FCWG 24 sur 107 nineteenth centuries. The Scotland of the 1950s was closer in overall economic and social structure to the Victorian Age than, to the country of 2007 » (Devine, 2012, p. 644). Le graphique 1 nous donne un aperçu des modifications en termes de structure économique: ! GRAPHIQUE 1: STRUCTURE DE L’ÉCONOMIE ÉCOSSAISE EN 1973 ET 2009! 25 sur 107 Source: Fiscal Commission Working Group - First Report - 2013, p.61 38 ! Plusieurs informations sont à retenir de ce graphique. Tout d’abord, comme nous l’avons dit auparavant, les secteurs productifs (Other production et Manufacturing) ont vu leur importance grandement diminuée, d’environ 37% à 19%. Ensuite, il semble que ce soit le secteur financier qui se soit le plus développé durant les trois dernières décennies, avec une augmentation de 10 points de pourcentage entre 1973 et 2009. Il représente le deuxième secteur d’activité en Ecosse après le secteur public. C’est là en effet, une caractéristique de l’économie que de posséder un secteur public très important, qui compte pour 26% de sa production nationale. De nouveau, il existe une différence avec le reste du Royaume-Uni, puisque c’est le secteur financier qui est plus important (29%) que le secteur public (23%) (Fiscal Commission, 2013, p.60). Cependant, comme le fait remarquer le Working Group, « la structure de l’économie écossaise est globalement similaire à celle du Royaume-Uni »39 (ibid). ! L’autre caractéristique de la structure globale de l’économie écossaise concerne le rôle important joué par l’industrie offshore, comme le montre le graphique 2. ! GRAPHIQUE 2: PART DE L’ÉCONOMIE CONTINENTALE ET OFFSHORE DANS LE PIB BRUT EN ECOSSE EN 2012! 38 Ces données exclut volontairement le secteur énergétique, et donc l’importance du pétrole et du gaz de la mer du Nord sur laquelle nous reviendrons ultérieurement. 39 « The structure of the Scottish economy is broadly similar to the UK « Fiscal Commission 26 sur 107 Source: Scotland’s Future, Your Guide to Independence, Scottish Government, 2013 ! L’économie offshore est composée majoritairement de l’exploitation pétrolière et gazière de la mer du Nord, mais également l’éolien au large des côtes écossaises ainsi que l’énergie marine. Intéressons nous maintenant aux secteurs porteurs de l’économie écossaise. Si deux ressortent de prime abord (énergie et finances), l’Ecosse peut également s’appuyer une économie relativement diverse: l’agro-alimentaire et les boissons (notamment avec le whisky, mais également la pêche40), les sciences du vivant, l’électronique et le tourisme. Nous développerons cependant que les deux secteurs principaux qui sont aujourd’hui au centre de l’économique écossaise. Nous reviendrons également sur la nature des exportations écossaises, qui sont historiquement importantes pour l’économie du pays. ! ! 2. Le secteur énergétique! ! L’énergie représente l’un des secteurs porteurs de l’économie écossaise. Outre les larges réserves de pétrole et de gaz, sur lesquelles nous reviendrons, l’Ecosse possède un fort potentiel en termes d’énergies renouvelables, notamment dans l’hydroélectrique et l’éolien. Elle représentait 36% de la production britannique d’énergies renouvelables en 2012. Les estimations lui accordent par exemple 25% des ressources européennes d’éolien offshore, qui comptent pour 40% de la production britannique41, tandis que de nombreux champs d’éoliens sont implantés sur le territoire écossais. L’Ecosse aurait également 10% du potentiel énergétique marin européen (énergie marémotrice et houlomotrice). Par ailleurs, le développement de la North of Scotland Hydro Electric Board dans les années 1940 a encouragé la construction de nombreux barrages, et lui a permis de profiter de ses lacs afin de fournir de l’électricité jusque dans les zones les plus reculées de son territoire, et donc de rendre ces territoires autonomes. Ainsi, l’Ecosse est 40 60% des ressources halieutiques britanniques (Scottish Government, 2012) 41 Données citées par Jamie Carstairs dans « Energy and Constitutional Change » in Goudie, 2013, p 223 27 sur 107 un net exportateur d’électricité (26% de sa production en 201242), notamment pour le reste du Royaume-Uni, et possède un fort potentiel de production comme d’expertise (Goudie, 2013, p.223). L’industrie pétrolière et gazière représente cependant le cœur du secteur énergétique, en termes de revenus comme d’emplois. Le sort des ressources de la mer du Nord est depuis longtemps au cœur du débat sur l’indépendance, car la présence de larges ressources naturelles a donné de la crédibilité aux arguments nationalistes des années 1970 concernant la viabilité économique de l’indépendance (Duclos, 2014, pp. 194-200)43. Depuis les années 2000, le SNP dénonce la mauvaise gestion de ces ressources par le gouvernement britannique.44 Quelles sont-elles ? On estime que 42 millions de barils de pétrole ont été produits depuis 1967, avec un pic de production en 1999. Depuis, cette production n’a fait que décliner, même s’il reste possiblement encore 15 à 24 millions de barils à exploiter (CampPietrain, 2014). Les nationalistes estiment que les ressources pétrolières seront épuisées d’ici 50 ans. Ces larges ressources ont permis un développement considérable de toute la façade nord-est de l’Ecosse, autour de la ville d’Aberdeen, qui est devenu la capitale pétrolière de l’Europe. De plus, outre le forage et l’extraction, les entreprises exploitant les ressources écossaises ont acquis un savoir-faire important, ce qui leur permet de se positionner relativement bien dans la compétition internationale (Goudie, 2014). Elles génèrent des revenus fiscaux considérables pour le Royaume-Uni. Les entreprises sont taxées à 60% sur leurs bénéfices, ce qui a permis de collecter en quarante pour plus de 300 milliards de livres dans les caisses britanniques (Camp-Pietrain, 2014). Cependant, les revenus annuels sont très variables, du fait de la forte volatilité des cours mondiaux du pétrole, comme nous le montre le tableau 2 ! 42 Source: Scottish Government 43 Au-delà, le SNP a dénoncé l’exploitation des ressources écossaises au profit de l’ensemble du RoyaumeUni, notamment à travers la campagne It’s Scotland’s Oil de 1974. 44 Nous reviendrons plus en détails sur cet aspect, et notamment la possibilité de création d’un fonds souverain alimenté par les revenus du pétrole, dans le deuxième chapitre de notre deuxième partie. 28 sur 107 TABLEAU 2: REVENUS ANNUELS LIÉS À L’EXPLOITATION DU PÉTROLE AU ROYAUME-UNI DEPUIS 1980! Source: Government Expenditure and Revenue Scotland, 2014, Scottish Government ! Les ressources pétrolières représentent donc une manne financière importante, et contribuent au développement économique écossais plus que n’importe quelle autre activité économique. ! ! 3. Le secteur financier! Les services financiers (banques et assurances) forment le deuxième pilier de l’économie. Depuis le XVIIIème siècle, ils jouent un rôle central dans le développement économique de l’Ecosse (voir supra). Leur poids n’a cessé de s’accroitre, à tel point qu’ils représentent aujourd’hui 13% de l’activité économique, pour 7% des emplois (CampPietrain, 2014). Treize établissements financiers sont officiellement enregistrés en Ecosse, mais six se partagent 73% du marché. Les deux principales banques sont The Royal Bank of Scotland (RBS) et Halifax-Bank of Scotland (HBOS). Elles représentent bien l’interpénétration des secteurs financiers anglais et écossais, une caractéristique qui remonte au début des années 1950 pendant laquelle de nombreuses banques écossaises en anglaises fusionnèrent (Moss, 2007). Surtout, elles ont subi avec la crise de 2008 une nationalisation qui a mis en avant la fragilité du secteur bancaire écossais. HBOS a été créée en 1695, et est actuellement la deuxième plus vieille banque du Royaume-Uni, après la Banque d’Angleterre. Contrairement à son homologue anglaise, HBOS n’est pas une banque centrale mais une banque commerciale. McCrone nous dit que « the Bank could claim to have had the most successful record of all British banks, 29 sur 107 both in terms of growth and returns on shares » (McCrone, 2013, p. 75). En effet, la Bank of Scotland (BoS), a entrepris une large politique de diversification dans les années 1990, qui aboutit à la fusion avec la société d’investissement anglaise Halifax en 2001 pour devenir HBOS. Elle garda son siège historique à Edimbourg, même si l’essentiel de ses activités se déplacèrent en Angleterre et à l’étranger. Cependant, la crise financière de 2008 fit apparaître les faiblesses de cette union, qui se trouva en position d’insolvabilité à cause la contraction de très nombreux emprunts toxiques dans les années 2000. HBOS fut proche de la faillite en 2008. RBS est également l’une des plus vieilles banques du Royaume-Uni. Elle fut fondée en 1727, et en est aujourd’hui la deuxième plus grande banque, après HSBC. En 2000, RBS racheta la banque anglaise NatWest (National Westminer), et entreprit une vaste politique d’investissements à l’étranger qui fut couronnée de succès. Cependant, les dirigeants de RBS furent pris de « mégalomanie » (McCrone, 2013, p.86), et voulurent que la banque s’agrandisse toujours plus. RBS fut partie du plus grand rachat bancaire de l’histoire, lorsqu’elle acquit en 2007, avec Fortis et Santander, la banque néerlandaise ABN AMRO. RBS devint alors brièvement la plus grande banque du monde45. Cependant, la crise financière 2008 révéla que ABN ARMO avait de nombreux actifs toxiques, ce qui amena RBS à la faillite. Les deux principales banques écossaises furent alors sauvées par le gouvernement britannique: 40 milliards de livres furent investis pour nationaliser RBS (l’Etat britannique détient aujourd’hui plus de 80% des actions de la banque), tandis que HBOS fut contrainte à être rachetée en 2009 par le groupe Llyods Banking, dans lequel l’Etat britannique possède près de 60% des parts. Les deux banques sont donc aujourd’hui sous le contrôle du gouvernement britannique et placées sous la juridiction de la Banque d’Angleterre, qui est leur prêteur en dernier ressort. Si leurs sièges sociaux sont tous les deux à Edimbourg, ces deux institutions bancaires sont donc loin d’être réellement écossaises. De plus, un aspect d’importance est la taille du secteur bancaire écossais par rapport au PIB écossais: il représenterait 1254% du PIB de l’Ecosse, et 492% du PIB 45 Ces actifs avant la crise était supérieur de 40% au PIB britannique (McCrone 2013) 30 sur 107 britannique. Le secteur est donc largement disproportionné par rapport à la taille de l’économie écossaise (Camp-Pietrain, 2014), ce qui soulève deux points: d’un côté, le secteur bancaire écossais semble bénéficier de son union avec le reste du Royaume-Uni, qui représente son principal marché et lui assure un soutien que l’économie écossaise seule ne pourrait assumer; de l’autre, les observateurs s’interrogent sur la possibilité pour une Ecosse indépendante de soutenir un secteur financier aussi gigantesque avec des ressources largement moins importantes. ! 4. Les exportations écossaises ! L’Ecosse est une économie largement ouverte: les exportations à l’international atteignent 20% de son PIB, pour un total estimé en 2012 à 26 milliards de livres, sans inclure le pétrole (Scottish Government, 2014)46. Les firmes exportent également pour environ 48 milliards de livres vers le reste du Royaume-Uni, soit 38% de son PIB. L’économie écossaise dépend donc largement des marchés internationaux et britannique: les exportations représentent 58% du PIB, pour un total de 74 milliards de livres. Celles-ci sont en augmentation de 20% depuis 2008, ce qui prouve la bonne santé de l’économie dans son ensemble. Les exportations écossaises sont cependant très concentrées sur un petit groupe de pays. Les cinq principaux partenaires commerciaux de l’Ecosse sont dans l’ordre les Etats-Unis (14% du total des exports), les Pays-Bas (10%), la France (8%), l’Allemagne (6%) et la Norvège (3,5%). 52% des exportations sont faites vers 10 pays. L’Europe représente le premier marché pour l’Ecosse, puisque les échanges avec les 27 représentent 45% exportations écossaises. Si l’on ajoute la part de l’Amérique du Nord (15%), ce ne sont pas moins de 60% des exportations écossaises qui sont dirigées vers deux grandes régions. 46 L’ensemble des données utilisées dans cette partie sont tirées du Statistical Bulletin du 29 janvier 2014 publié par le gouvernement écossais sur les exportations écossaises. 31 sur 107 La structure de ces exports est également révélatrice du manque de diversification des exports. Le graphique 3 nous indique les principaux secteurs qui soutiennent l’activité économique à l’international. ! ! GRAPHIQUE 3: STRUCTURE DES EXPORTS ÉCOSSAIS EN 2012! Source: Fiscal Commission Working Group, 2013 ! Ainsi, deux industries représentent un tiers des exports: l’industrie agro-alimentaire (notamment la pêche, mais surtout le whisky, qui vaut à lui seul presque 4 milliards de livre, soit environ 4% des exportations écossaises), ainsi que l’industrie pétrolière et chimique. De façon générale, les industries manufacturières comptent pour 59% des exports, et les services 34%. Cette répartition s’inverse quand on considère les débouchés écossais dans le reste du Royaume-Uni: 53% pour les services et 27% pour les produits manufacturiers. L’analyse des exportations écossaises permet de comprendre où se trouvent les intérêts économiques internationaux. L’Ecosse a ainsi une économie fortement ouverte vers l’extérieure, mais de façon faiblement diversifiée. La défense de sa position économique se fait ainsi en ciblant les secteurs-clés, et justifie que l’Ecosse veuille par 32 sur 107 exemple rester dans l’Union Européenne. On notera également que le marché britannique est le premier marché pour les firmes écossaises. ! Nous avons ainsi essayé de montrer dans cette partie où se trouvent les intérêts en Ecosse. En analysant la structure de son économie et de ses exports, nous avons voulu montrer que l’Ecosse est une petite économie qui s’appuie considérablement sur un certain nombre de secteurs-clés (pétrole et énergies renouvelables, finances) pour soutenir la croissance. Ceux-ci ont largement contribué au redressement de l’économie écossaise et de ses performances. B) Les performances de l’économie écossaise ! En effet, la caractéristique principale de la situation économique en Ecosse depuis une vingtaine d’années est le rattrapage de son retard par rapport au reste du RoyaumeUni. Les principaux indicateurs de performance économique en Ecosse ont aujourd’hui atteint des niveaux proches de la moyenne britannique, alors qu’ils étaient historiquement plus faibles. Il est donc possible d’avancer que l’Ecosse est une nation riche47. Le PIB actuel de est estimé à 145 milliards de livres si on inclut les ressources du pétrole48. L’activité économique écossaise représente ainsi 9,5% du total britannique, pour une population de 8,4%. Plus important, le PIB/habitant, qui mesure la richesse d’une nation, s’est considérablement amélioré depuis les années 70. Il est actuellement d’environ 21 000 livres par habitants, soit 99% de la moyenne britannique. L’Ecosse est actuellement la troisième région britannique, derrière Londres et le Sud-est de l’Angleterre. Si l’on ajoutait les revenus du pétrole, le PIB/habitant serait supérieur de 15% à la moyenne britannique, faisant ainsi de l’Ecosse le huitième pays le plus riche de l’OCDE (Fiscal Commission Working Group, 2013) Ces chiffres sont à comparer avec la situation dans les autres régions dévolues, comme le montre le graphique 4: 47 « By international standards, Scotland is a wealthy nation » Fiscal Commission Working Group, 2013, p.37 48 Source: Government Expenditure and Revenue Scotland 2014, Scottish Government. 33 sur 107 ! GRAPHIQUE 4: INDICES (ROYAUME-UNI = 100) DU PIB/HABITANT DANS LES DIFFÉRENTES NATIONS BRITANNIQUES DE 1999 À 2011 (REVENUS DU PÉTROLE EXCLUS)! Source: Scottish Government, 2013 ! On voit ainsi que l’Ecosse, à l’inverse des autres nations britanniques, a réussi à améliorer sa situation, et n’a notamment pas trop souffert de la crise de 2008 par rapport au Pays de Galles ou à l’Irlande du Nord. Nous pouvons également affirmer qu’elle a connu une croissance relativement inférieure au reste du Royaume-Uni et à d’autres pays comparables depuis quelques décennies, comme le montre le tableau 3 ! ! ! ! ! ! 34 sur 107 TABLEAU 3: TAUX DE CROISSANCE ANNUEL MOYEN DE L’ECOSSE, DU ROYAUME-UNI ET DE PAYS COMPARABLES À L’ECOSSE49 ENTRE 1970 ET 2007! ! ! Taux de croissance annuel moyen Ecosse Royaume-Uni Pays européens comparables 1970-1980 1,6 % 2,0 % 3,5 % 1980-1990 2,3 % 3,1 % 2,7 % 1990-1999 2,9 % 3,0 % 2,9 % 1999-2007 2,9 % 3,1 % 3,2 % 1977-2007 2,4 % 2,9 % 3,0 % ! Source: Scottish Government, 2013 ! L’économie écossaise s’est ainsi moins rapidement développée que les économies de pays européens similaires depuis les années 1970. Or, comme le rappelle Working Group, « there is no obvious characteristic of the Scottish economy that explains this underperfomance » (Fiscal Commission Working Group, 2013, p.37). Le gouvernement nationaliste affirme pour sa part que si l’Ecosse avait connu des taux de croissance semblables, le PIB serait aujourd’hui supérieur de plus de 40% de ce qu’il est actuellement (Scottish Government 2013). On peut dès lors légitimement se demander pourquoi l’économie écossaise a-t-elle été sous performante. Deux autres indicateurs importants de l’activité économique sont les taux d’emploi et de chômage ainsi que la productivité horaire, qui donnent une idée des performances du marché du travail. Or, dans ces domaines, l’Ecosse est relativement similaire au Royaume-Uni dans son ensemble, comme nous l’indique le graphique 5. ! 49 Autriche, Danemark, Finlande, Islande, Irlande, Luxembourg, Norvège, Portugal et Suède 35 sur 107 GRAPHIQUE 5: TAUX D’EMPLOI ET DE CHÔMAGE AU ROYAUME-UNI DEPUIS 2007! Source: Gillespie, 2014 Les variations des deux taux ont ainsi suivi globalement les mêmes tendances. L’Ecosse semble même s’en sortir légèrement mieux: le taux d’emploi est ainsi de 73,3% en Ecosse et de 72,6% au Royaume-Uni, tandis que le taux de chômage est de 6,5% en Ecosse et de 6,8% dans le reste du Royaume-Uni. On remarquera ici la bonne santé globale de l’économie britannique par rapport aux autres pays européens. Concernant la productivité, elle est là encore largement alignée sur la moyenne britannique (99%), mais reste en dessous des pays européens comparables comme la Norvège, l’Irlande ou le Luxembourg (Fiscal Commission Working Group, 2013). Ainsi, l’Ecosse a vu de façon générale ses performances macroéconomiques progressivement se rapprocher de la moyenne du Royaume-Uni, la plaçant dans le podium des régions britanniques. Il nous semble important d’insister sur le fait qu’il n’existe pas de différence notable entre les deux économies, si ce n’est que l’Ecosse semble avoir légèrement moins accru sa production depuis quelques décennies. Ceci laisse envisager que son économie aurait pu mieux faire si le gouvernement avait été différent, plus centré sur les secteurs-clés écossais. C’est en effet l’argument du gouvernement nationaliste qui soutient que l’indépendance permettrait de booster 36 sur 107 l’économie écossaise, en ciblant les domaines d’intervention à privilégier (soutien au tourisme, à la pêche), voire en menant une politique macro-économique différente, plus adaptée à sa taille comme nous le dit Goudie: « ! « Certainly, from a theoretical point of view, optimal economic policy at the UK level might not be optimal at the Scottish level if the collective benefit at the UK level is at the expense of a negative impact on Scotland {…} In other words, it can be argued that UK economic policy could be suboptimal for Scotland, not because it is flawed, but because one size doesn’t fit all » (in Goudie, 2013, p.24). 37 sur 107 ! Chapitre 2 : Une social-démocratie britannique ?! ! Il existe un mythe en Ecosse qui propose de considérer la société écossaise comme étant de façon générale plus tolérante, plus à gauche politiquement, et davantage marquée par des valeurs de partage et d’égalité. Leydier, comme d’autres auteurs, parle d’un véritable « mythe égalitaire » en Ecosse, qui serait basé sur: ! « des valeurs partagées, qui apparaissent globalement plus grégaires, solidaires, méritocratiques, environnementalistes et pacifistes que dans le sud de l’Angleterre. Les deux décennies d’administration conservatrice (1979-1997) ont eu comme conséquence majeure de faire prendre conscience aux Écossais de leur scotticité : en associant thatchérisme à nationalisme anglais et Angleterre à inégalités, elles ont ainsi contribué à redonner vie au mythe égalitaire » (Leydier, 2006, p.3) ! Ce mythe serait même au fondement de l’identité écossaise50, qui s’inscrirait ainsi en faux par rapport aux valeurs véhiculées en Angleterre, et particulièrement dans le SudEst de l’Angleterre, perçues comme inégalitaires et incompatibles avec le psyché écossais. Il est à noter que pour Leydier, ce sont les années Thatcher qui constituent le point de départ de la rupture entre l’Ecosse et l’Angleterre.51 Globalement, l’Ecosse se considère comme social-démocrate, alors que son voisin du sud serait davantage néolibéral. Comme le notent Keating et McCrone, « devolution may have been conceived in the 1990s as a means of stopping neo-liberalism at the border and defending social democratic gains » (Keating et al, 2007, p. 36). Ainsi, la dévolution aurait été pensée pour défendre la spécificité social-démocrate de l’Ecosse. Il s’agira dans ce chapitre de voir si la société écossaise peut être considérée comme social-démocrate, ou plus social- « On sait que les fondements de l’identité écossaise ne sont ni linguistiques, ethniques ou religieux mais sociétaux », (Leydier, 2006, p.3) 50 51 L’auteur a notamment réalisé sa thèse de doctorat sur les années Thatcher en Ecosse et les implications de celles-ci sur le « renouveau identitaire ». Voir par exemple sur ce thème Leydier, « Les années Thatcher en Ecosse: l’Union remise en question ? » in Revue française de science politique, 44e année, n°6, 1994. pp. 1034-1053 38 sur 107 démocrate que le reste du Royaume-Uni, ce qui créerait alors une divergence de point de vue au sein de l’Union. ! Qu’est-ce que la social-démocratie ? Keating et McCrone, dans leur ouvrage sur la social-démocratie écossaise, en proposent une définition relativement large, basée sur trois principes: « we seem nearer the mark if we define social democratic policies by three interconnected figures: a commitment to social equality, a desire to humanise capitalism, and the pursuit of social liberalism » (Keating et al, 2007, p. 18). Ainsi, la socialdémocratie, en tout cas dans sa mise en oeuvre, serait une sorte de mélange entre la poursuite de l’égalité et du libéralisme social tout en défendant une version « humaine » du capitalisme. Cette idée d’ «humaniser le capitalisme » fait écho aux commentaires d’observateurs sur le programme économique du SNP qualifié de « néo-libéralisme avec un coeur »52. Par ailleurs, le SNP se définit lui-même comme un parti social-démocrate. A cela ces trois critères, on peut ajouter une intervention forte de l’Etat dans l’économie, ce que l’Ecosse possède, comme nous en avons discuté dans le chapitre précédent. Nous reviendrons dans une première partie (I) sur ce qui permettrait de considérer la société écossaise comme social-démocrate, notamment en considérant son attachement aux valeurs rattachées à la social-démocratie, et l’attitude du pouvoir vis-à-vis des services publics. De plus, il nous semble également que le régime politique joue un rôle important dans la définition de ce qu’est une social-démocratie. Le fonctionnement des institutions politiques peut être considéré comme le reflet de valeurs sociétales importantes; en tout cas, il indique une certaine vision de ce que doivent être les relations entre les membres de la société, de même qu’il permet de faire émerger des politiques d’inspiration socialdémocrate. A ce titre, nous étudierons dans une deuxième partie (II) le Parlement écossais d’Holyrood, mis en place en 1999, et qui s’est établi dès le départ comme un contremodèle au Parlement de Westminster, et se voulant plus représentatif de la société écossaise. 52 cité dans Dixon, 2013, p.59 39 sur 107 I/ Un attachement relatif aux valeurs de la social-démocratie ! A) Une société plus social-démocrate ? Le « mythe égalitaire » est encore bien présent en Ecosse. Cependant, les écossais sont-ils réellement plus attachés aux valeurs d’égalité, de tolérance, plus libéraux dans les moeurs et enclins à la solidarité que leurs voisins anglais ? De nombreuses études se sont penchées sur cette soi-disante propension des écossais à être sociauxdémocrates. Rosie et Bond, dans l’ouvrage collectif dirigé par Keating (Keating et al, 2007, pp.39-57), font un état des lieux de ces différentes études, et mettent en avant des similarités entre celles-ci. Plusieurs questions sont posées, portant sur le rôle de l’Etat, son poids dans la société, la structure de ses dépenses mais également de questions de société qui sont révélatrices d’une pensée social-démocrate. Notre analyse s’appuiera en partie sur les travaux de Rosie et Bond, qui viennent eux-mêmes d’une étude approfondie des travaux entrepris depuis plusieurs décennies. Dans l’ensemble, les données issues de sondages menés par un organisme public en Ecosse et dans le reste du Royaume-Uni53 montrent une différence entre l’Ecosse et le reste du Royaume-Uni qui, si elle existe, reste relativement faible. Si l’on considère l’attitude concernant la redistribution des revenus, les écossais se montrent depuis 10 ans plus favorable à celle-ci (43% pour 34% en 2010), comme le montre le graphique 3: ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! 53 Les Scottish et British Social Attitudes Surveys sont des sondages d’opinion annuels menés par NatCen, un organisme largement financé par les autorités publiques. 40 sur 107 GRAPHIQUE 3: POURCENTAGE DES PERSONNES SE DÉCLARANT FAVORABLE À LA REDISTRIBUTION DES REVENUS ENTRE LES PLUS RICHES ET LES PLUS PAUVRES EN ECOSSE ET EN ANGLETERRE ENTRE 2000 ET 2010. ! ! !! ! ! Source: Scottish Social Attitudes Survey (SSAS) 2011; British Social Attitudes Survey (BSAS) 2011 Il faut cependant noter que la proportion des écossais se déclarant favorable à la redistribution a décliné depuis la dévolution, et que la majorité y est hostile. Si l’on s’intéresse maintenant au pourcentage de britanniques se déclarant favorables à une augmentation des impôts et des dépenses, là encore la différence avec l’Angleterre existe. Le graphique 4 montre l’évolution des mentalités depuis la dévolution: ! ! 41 sur 107 GRAPHIQUE 4: POURCENTAGE DES PERSONNES SE DÉCLARANT FAVORABLES À UNE AUGMENTATION DES IMPÔTS ET DES DÉPENSES EN ECOSSE ET EN ANGLETERRE ENTRE 1999 ET 2010 ! ! ! Source: SSAS 2011; BSAS 2011 Encore une fois, il est important de noter que si les écossais (40%) sont globalement plus favorables à l’augmentation des impôts et des dépenses que les Anglais (30%), cela n’a pas toujours été le cas, et qu’en 2010, la majorité de la population dans les deux nations n’y était pas favorable, alors que c’était le cas en 1999. Considérons maintenant un nouvel indice de la sensibilité social-démocrate d’une société: comment les personnes perçoivent les allocations chômages. Ici, la différence est plus marquée, puisque la majorité des anglais (55%) considère les allocations comme trop hautes et peu incitatrices à l’emploi contre 43% (soit 10 points de plus qu’en 1999) des écossais54. Cependant, on remarque encore une fois que les écossais sont devenus moins nombreux à trouver que les allocations sont trop basses (36% en 1999 contre 30% en 2010). Les données nous montrent donc que l’Ecosse, depuis la dévolution, n’est pas devenue plus social-démocrate, au contraire, si l’on considère la redistribution des richesses, l’intervention étatique ou bien les allocations chômages, même si elle reste relativement au-dessus de l’Angleterre. Comparons maintenant le mythe égalitaire écossais avec l’accès à la santé et à l’éducation. Le tableau 2 nous indique si les écossais et les anglais trouvent ça bien 54 Pour voir l’ensemble des données depuis 1999, voir Annexe 2, p. 105 42 sur 107 (right), mal (wrong) ou ni bien ni mal (neither) que les plus aisés aient un meilleur accès à la santé et à l’éducation: ! TABLEAU 2: ATTITUDE CONCERNANT UN ACCÈS MEILLEUR À LA SANTÉ ET À L’ÉDUCATION POUR LES PLUS AISÉS EN ECOSSE EN 1999 ET 2010! Source: Curtice & Ormston ‘The road to divergence?’ in Park et al (eds) British Social Attitudes: the 28th report, Sage (2011), p.26 ! Ici, la différence est de 17 points de pourcentage entre l’Ecosse et l’Angleterre concernant l’accès à la santé et de 13 points concernant l’accès à l’éducation pour ceux qui considèrent que cela est mal (wrong). Cela montre que les écossais semblent être plus sensibles à l’égalité d’accès aux services publics, ce qui semble aller dans le sens du mythe égalitaire écossais. Cependant, les données du tableau 2 montrent que celui-ci a tendance à s’effriter depuis la dévolution. Si l’on s’est principalement intéressé aux critères économiques, un autre aspect de la social-démocratie mis en avant par Keating et McCrone concerne le libéralisme que l’on pourrait qualifier de « sociétal ». Les écossais seraient-ils plus tolérants, moins conservateurs que le reste du Royaume-Uni, et plus particulièrement les anglais ? En s’arrêtant sur le tableau 3, il semble que les écossais soient en effet très légèrement moins conservateurs que les anglais. ! ! 43 sur 107 TABLEAU 3: POINT DE VUE POSITIF DES ÉCOSSAIS ET DES ANGLAIS SUR UN ENSEMBLE D’AFFIRMATIONS CONSIDÉRÉE COMME CONSERVATIVES (2003) ! Ecosse (%) Angleterre (%) Les jeunes ne respectent pas les traditions 59 70 Les criminels doivent être plus sévèrement punis 79 80 Pour certains crimes, la peine de mort est justifiée 51 60 Il faut apprendre l’autorité aux enfants 77 85 La loi doit toujours être suivie 46 41 La censure est nécessaire pour garder la morale 66 66 Source: Rosie and Bond, « Social Democratic Scotland ? » in Keating et al, 2007, p.5355 ! Les principales différences portent sur la peine de mort, qui est vue moins favorablement par les écossais, et sur le respect des jeunes vis-à-vis des traditions56. Difficile donc d’affirmer que les écossais sont nettement moins conservateurs que leurs voisins anglais. Cette similitude entre les attitudes des écossais et des anglais se confirment quand on considère les points de vue sur l’homosexualité, comme le montre le tableau 4, même si les écossais sont relativement plus ouverts sur cette question que les anglais: 50% des écossais considèrent l’homosexualité comme une pratique normale, contre 44% des anglais. ! ! ! TABLEAU 4: ATTITUDE DES ÉCOSSAIS ET DES ANGLAIS SUR L’HOMOSEXUALITÉ EN 2000 ET 2010! Ecosse L’homosexualité est une pratique déviante (%) 55 Angleterre 2000 2010 2000 2010 48 27 46 29 La traduction des questions a été faite par l’auteur 56 La question précise, en anglais, est « Young people today don’t have enough respect for traditional British values », ce qui peut expliquer la proportion moindre des écossais à répondre favorablement à cette affirmation. 44 sur 107 Ecosse L'homosexualité n’est pas du tout déviante (%) 29 Angleterre 50 34 44 Source: SSAS 2011; BSAS 2011 ! Ainsi, l’ensemble des données ne permet pas de décrire l’Ecosse comme fondamentalement plus social-démocrate que le reste du Royaume-Uni. Rosie et Bond montrent que la rupture se ferait davantage selon une ligne Nord/Sud au sein de la Grande-Bretagne. Les deux auteurs ont construit une échelle allant de 1 à 5 permettant d’appréhender la sensibilité social-démocratique des différentes régions anglaises et de l’Ecosse (1 représentant un positionnement complètement à gauche, 5 complètement à droite, la valeur 3 le positionnement neutre selon les auteurs)57. Le tableau 5 reprend leurs résultats. ! ! TABLEAU 5: ECHELLE DES VALEURS ENTRE LES RÉGIONS ANGLAISES ET L’ÉCOSSE EN 2003! Positionnement de 1 à 5 Angleterre du Nord-Est 2,34 Midlands de l’Ouest 2,49 Midlands de l'Est 2,49 Yorkshire et Humberside 2,50 Ecosse 2,52 Angleterre du Sud-Ouest 2,52 Londres 2,56 Angleterre du Nord-Ouest 2,57 Angleterre de l’Est 2,57 Angleterre du Sud-Est 2,60 Source: Rosie et Bond, ‘Social Democratic Scotland?’ in Keating et al, 2007, p.57 ! Ce tableau confirme que l’Ecosse se situe dans la moyenne des régions anglaises, qui sont dans l’ensemble plus à gauche qu’à droite. L’Ecosse est ainsi très proche de la région de Londres. De plus, la division Nord/Sud semble à relativiser: si la région la plus à droite se trouve bien au sud (Angleterre du Sud-Est) et que les régions du Nord (Angleterre du 57 Les deux auteurs ont agrégé les réponses à 5 questions portant sur différents thèmes, notamment rôle de l’Etat, la justice sociale, la redistribution des richesses, ou bien les relations employeurs-travailleurs. Pour plus de détails sur la méthodologie de construction de cette échelle, voir Keating et al, 2007, p.46 45 sur 107 Nord-Est, Yorkshire et Humberside, Ecosse ou même les Midlands) sont relativement plus à gauche, les écarts sont très faibles, et on trouve une région septentrionale dans les trois régions les moins à gauche (Angleterre du Nord-Ouest)58. La question se pose alors de savoir pourquoi l’Ecosse se considère comme une social-démocratie, alors que les différents sondages ne montrent qu’une différence marginale entre les valeurs des écossais et du reste des habitants du Royaume-Uni. Hearn, dans les années 1990, soutenait que cette différence s’expliquait par le fait que les valeurs de la social-démocratie en Ecosse était associée à des partis soutenant le projet autonomiste59, et donc associée à la spécificité écossaises. Rosie et Bond, reprenant leur échelle précédemment décrite, notent par exemple que les personnes se déclarant avant tout écossaise faisaient preuves de valeurs plus à gauche que celle se déclarant plus britanniques qu’écossaises (voir annexe 3, p.106). De plus, ce mythe d’une Ecosse social-démocrate est entretenu par une configuration politique particulière. La faiblesse continuelle du parti conservateur au dessus de la frontière a fait émerger un « consensus social-démocrate »60 (Leydier, 2006, p.4): les deux plus grandes forces au parlement écossais depuis la dévolution sont le Labour et le SNP, deux partis qui se réclament ouvertement de la social-démocratie. Ceci permet d’expliquer en partie le fait que la société écossaise se perçoive dans l’ensemble comme social-démocrate, ou en tout cas plus social-démocrate. Cet attachement, relatif et en déclin depuis la dévolution, à des valeurs traditionnellement considérées comme plus à gauche (intervention étatique, égalité et justice sociale) a cependant incité le gouvernement écossais, depuis la dévolution, à mener une politique assez prononcée de soutien au caractère public des services publics, au premier rang desquels figurent les politiques de santé et d’éducation. 58 Notre analyse s’est limitée à une comparaison entre l’Ecosse et l’Angleterre, faute de données comparatives suffisantes entre les autres nations britanniques. Rosie et Bond nous disent cependant, notamment dans leur tableau 10 (in Keating et al, 2007, p.48) que l’Ecosse est également similaire en termes de valeurs à l’Irlande du Nord et au Pays de Galles. 59 « The differences here are not proofing, and when compared more specifically with Wales and Northern England, often minimal. What is distinctive is that these values in Scotland have become closely associated with national identity and support fo constitutional change, and thus with the parties that have supported such change » cite dans Keating et al, 2007, p.51 60 « L’attachement des Écossais à des valeurs que l’on peut qualifier de social-démocrates se traduit par la présence plus visible qu’en Angleterre des Verts et de l’extrême gauche, et par la convergence des principaux partis (Travaillistes, Scottish National Party, Libéraux-démocrates) autour d’un consensus progressiste de centre-gauche, marqué par un attachement à la universal public provision of social welfare permettant d’inclure tout les individus sans distinction dans une citoyenneté commune - et à la public responsability for economic and social development, soulignant le rôle de la puissance publique en matière de croissance économique comme de justice sociale » Leydier, 2006, p.4 46 sur 107 ! B) La défense des services publics: l’exemple de la santé et de l’éducation ! Si les années Thatcher ont constitué un tel traumatisme en Ecosse, c’est notamment parce que l’hostilité affichée du gouvernement conservateur pour la gestion des services publics, et le programme de privatisations qui s’est en suivi, ont été perçu comme contraire à la tradition écossaise (Leydier, 1994). L’arrivée au pouvoir des travaillistes à Westminster n’ayant pas marqué la rupture souhaitée dans l’affaiblissement de la gestion des services publics, le gouvernement écossais (pourtant lui-même travailliste) nouvellement dévolu a pris un ensemble de décisions, et ce dès les premiers instants de son existence, pour garantir le caractère public des services publics. Ces décisions se sont notamment concentrées sur deux secteurs: l'éducation et la santé. L’éducation est historiquement différente en Ecosse par rapport au reste du Royaume-Uni (Paterson, 2001; Leruez, 2000). La réforme presbytérienne menée par John Knox au XVIème siècle s’est accompagnée d’une vaste politique d’éducation devant permettre aux fidèles, au sein des paroisses, de pouvoir lire la Bible et assister le pasteur. Knox voulait ainsi « une école dans chaque paroisse, un lycée dans chaque bourg et une université dans chaque ville » (Paterson, 2001, p. 95). Ainsi, le taux d’alphabétisation en Ecosse était un des plus hauts (autour de 70%) d’Europe au XIXème siècle, tandis que les universités écossaises bénéficiaient d’une grande renommée tout en accueillant un nombre important d’étudiants.61 La gestion des politiques d’éducation n’a pas été transférée au pouvoir de Londres en 1707, et l’Ecosse a gardé un système éducatif sensiblement différent, marqué par la volonté d’accueillir des élèves d’horizons religieux et sociaux différents et de leur donner une culture générale vaste (Paterson, 2001). Là encore, une sorte de tradition éducative écossaise s’est développée: « Cette tradition, ou ce « mythe », souvent qualifiée « d’intellectualité démocratique » était fondée sur la conviction que le système est spécialement ouvert au plus grand nombre, qu’il est considéré comme bien public, qu’il offre un programme scolaire plus diversifié et qu’enfin, il est marqué par la rigueur intellectuelle ». (Paterson, 2001, p.95). Plus encore, c’est le développement au XXème siècle d’un service d’éducation public performant et de qualité qui fait la fierté des écossais (Leruez, 2000). En effet, 95% des élèves écossais étudiaient dans une école du service public, et ce malgré le fait que la population s’est enrichie 61 La proportion d’étudiants était de 1 pour 1000 en 1860, contre 1 pour 2600 en Prusse et 1 pour 5800 en Angleterre (Paterson, 2001, p. 95) 47 sur 107 depuis une vingtaine d’années. Cet attachement des écossais au service public s’est vu confirmer dans les premières années de la dévolution. En effet, les politiques éducatives font partie des pouvoirs dévolus aux institutions écossaises, en conformité avec l’autonomie historique de l’Ecosse sur cette question que nous venons de rappeler. Le gouvernement d’Edimbourg a à plusieurs reprises marqué sa différence avec celui de Londres. Par exemple, la compétition entre les écoles établie en Angleterre et au Pays de Galles à travers les school league tables a été interdite en 2003, tandis que la tutelle des collectivités locales sur les écoles publiques et privées a été réaffirmée par une loi de 2000 (Camp-Pietrain, 2010). Cependant, c’est dans sa politique universitaire que le gouvernement écossais a le plus marqué sa divergence avec le reste du Royaume-Uni. Ainsi, si les budgets des universités sont ouverts aux capitaux privés comme en Angleterre, les pouvoirs des investisseurs dans les conseils de direction des universités sont très limités par rapport aux universités anglaises et galloises (Haydecker, 2010). De façon générale, Haydecker, s’appuyant sur une citation de Keating, nous dit que la gestion des universités en Angleterre et en Ecosse relève de deux approches différentes: « Keating states that the English approach to higher education emphases ‘management, regulation, differentiation and competition’, in comparison to the Scottish approach, which stresses ‘professional autonomy, consensus, egalitarianism and policy learning’ ». (Haydecker, 2010, p.19) Cette approche écossaise se traduit par exemple par un recours plus marqué à la concertation avec les professionnels lors de la mise en place des objectifs (Keating et al., 2007). La réforme la plus révélatrice de cette divergence concerne les droits de scolarité. Alors qu’ils ont explosé depuis une vingtaine d’années pour les étudiants anglais, l’une des premières réformes du gouvernement écossais de coalition62 fut d’abolir en 2001 les droits de scolarité pour les étudiants écossais et issus de l’Union Européenne dans les universités écossaises, contre le paiement d’une somme forfaitaire à l’entrée dans la vie active, d’une valeur variant entre £2000 et £3075, afin de financer les bourses. Cette somme forfaitaire, appelée Graduate Endowment Fee, fut abolie en 2008 par le gouvernement SNP nouvellement élu, si bien que les études supérieures sont aujourd’hui gratuites pour tous 62 L’abolition des droits universitaires fut même l’une des conditions de création de la première coalition Labour/Lib-Dem en 1999. Les Libéraux Démocrates, qui ont toujours soutenu un accès universel aux études supérieures, en Ecosse comme ailleurs au Royaume-Uni, refusaient de participer au gouvernement travailliste de Donald Dewar si celui-ci ne s’engageait pas à abolir les droits d’inscription. Dewar, et l’ensemble du parti travailliste, y était opposé alors qu’il existait un consensus entre les autres des partis représentés au Parlement (SNP, Verts et Socialistes) en faveur de la réforme. Les travaillistes qui ne souhaitaient pas former un gouvernement minoritaire, acceptèrent finalement de soutenir la réforme et ainsi la première coalition put prendre effet. 48 sur 107 les étudiants écossais et européens dans les universités écossaises. Afin d’éviter l’afflux d’étudiants anglais dans celles-ci, ces derniers doivent toujours s’acquitter de droits d’inscription, qui restent cependant largement inférieurs à ceux des universités écossaises. Ainsi, le gouvernement écossais a su, grâce à la dévolution, réaffirmer le caractère public de l’éducation en Ecosse, en conformité avec la tradition égalitaire et universaliste héritée du passé. Le second secteur dans lequel le gouvernement écossais a affiché sa différence par rapport au gouvernement de Whitehall est celui de la santé63. La gestion du NHS a été confiée aux institutions écossaises, ce qui a mené à la création du NHS Scotland en 2003. Alors que la NHS britannique effectuait sa mue dans les années 1990/2000 vers la privatisation, la concurrence et la logique d’efficacité des services publics, le service public de la santé écossais commençait déjà à marquer sa divergence avant même la mise en place de la dévolution, comme le rappelle Freeman (in Keating et al, 2007). Mais la dévolution a bel et bien permis à l’Ecosse de prendre des décisions allant à l’encontre des réformes menées au sud de la frontière. Le marché interne au NHS fut aboli en Ecosse en 2004, ainsi que le classement des hôpitaux64. Un hôpital ne peut accéder au statut de NHS foundation trust65 en Ecosse. Les partenariats avec le privé sont, comme dans l’éducation, autorisés, notamment pour la construction66 des infrastructures, mais la gestion du système est assurée, non pas par des trusts, mais par des organismes publics, les health boards (conseils de santé locaux), composés de professionnels et de représentants des collectivités locales. Là encore, c’est la concertation qui prime dans la détermination des objectifs, le consensus. Le système écossais se base également beaucoup plus sur la prévention des risques (Camp-Pietrain, 2010), comme le montre par 63 Les politiques de santé sont d’importance en Ecosse, qui affiche depuis de nombreuses années une espérance de vie plus basse que la moyenne britannique, notamment dans les quartiers populaires de Glasgow. L’Ecosse, encore aujourd’hui, est souvent appelée the sickman of Britain à cause d’un taux élevé de maladies cardiovasculaires, de diabétiques et de cas d’obésité. 64 Les hôpitaux sont classés en Angleterre et au Pays de Galles par un système d’étoiles en fonction de leur performance. 65 Les NHS Foundation Trust sont des hôpitaux particulièrement performant. Le statut leur permet d’avoir une très grande marge de manoeuvre financière et dans le management, et d’échapper ainsi en grande partie à la tutelle publique. Les Foundations possèdent par exemple le pouvoir d’emprunter. 66 Plusieurs hôpitaux furent ainsi construits grâce à des Partenariats Public-Privé. 49 sur 107 exemple la politique d’encadrement des troubles mentaux67 (Keating et al, 2007; Haydecker, 2010). L’exécutif écossais n’a par ailleurs pas hésité à racheter en 2002 une clinique privée en difficulté près de Glasgow afin de garantir à accès aux soins pour tous et de réduire les listes d’attente68. Freeman considère ainsi que les réformes menées par le pouvoir écossais permettent au système de santé en Ecosse d’être plus proche des principes69 du NHS à sa fondation que ne l’est le système anglais et gallois. La spécificité écossais dans la gestion des politiques de santé c’est également appuyée sur une réforme-phare, la gratuité des soins pour toutes les personnes âgées sans distinction de revenus ou de domiciliation (Keating et al, 2007; Camp-Pietrain, 2010; Haydecker, 2010). Greer, en 2003, décrit cette réforme comme « the most important divergence in policy in the UK in four years of devolution » (cité dans Haydecker, 2010, p. 13). De plus, Freeman considère que « health and health care in Scotland since 1997 bear all the hallmarks of social democratic policy marking. {…} Scotland can again lay claim to a health policy driven by social democracy’s twins concern for universalism and equality ». (in Keating et al., 2007, p.92). La gestion des services publics en Ecosse semble donc aller dans le sens d’une société écossaise plus social-démocrate. La dévolution a permis au gouvernement de marquer sa différence quant au maintien du caractère public des services publics en Ecosse, et ce à travers deux secteurs d’importance pour les écossais: l’éducation et la santé. Il faut cependant nuancer ce constat sur trois points. Premièrement, la privatisation des services publics n’est pas plus populaire dans le reste qu’au Royaume-Uni. Comme le rappelle Heins « il semble que le Parlement écossais a simplement mis en place des mesures approuvées dans l’ensemble du Royaume-Uni » (Heins, 2010, p.41). ! 67 Les personnes atteintes de troubles mentaux font preuve d’un encadrement différent en Angleterre et en Ecosse. En Angleterre, et au Pays de Galles, l’internement préventif est possible sans l’accord du patient ou de son tuteur afin de protéger la société. En Ecosse, l’encadrement des troubles mentaux est plus respectueux des patients et de leurs proches, l’accent davantage mis sur l’accompagnement et la prévention (Keating et al., 2007; Haydecker, 2010). Par ailleurs, la mise en place de ces politiques qualifiées de « progressives » par Freeman sont dues à un travail de concertation avec tous les acteurs du secteur au sein de la commission Millan en 2001. Cette commission est pour Freeman, et pour d’autres auteurs, l’exemplification de la propension écossaise à créer du consensus en mobilisant des acteurs vers un but commun. 68 La clinique Health Care International, destinée à une clientèle étrangère et fortunée, se transforma en Golden Jubilee National Hospital, un centre de traitement de conférences, propriété du NHS Scotland. 69 « that health service should be universal, comprehensive and free at the point of use. They have translated into a preference for tax funding, salaried professions and at least until recently, delivery in facilities that are publicly owned » in Keating et al., 2007, p. 87 50 sur 107 Deuxièmement, Keating nous dit que que le gouvernement écossais, plutôt que de chercher à créer sa différence, n’a au final agit qu’en réaction à des décisions prises à Whitehall70. L’objectif semble être davantage d’ajuster à la marge les réformes britanniques aux spécificités écossais plutôt que d’inventer un modèle social-démocrate autonome. Enfin, cet ensemble de réformes a été rendu possible par un système de financement très avantageux pour le gouvernement écossais. L’allocation aux institutions écossais selon la formule Barnett71 a donné les moyens au Scottish Government de mener une politique très dépensière sans se soucier de responsabilité et de soutenabilité financières. Haydecker nous rappelle que « the first two devolved Scottish administrations could also afford to fund policies such as free personal care for the elderly and the abolition of tuition fees because the Labour Government‟s spending priorities during this time corresponded with the Scottish Executive‟s priorities: health and education » (Haydecker, 2010, p.37). Autrement dit, sans une attention particulière portée au secteur de l’éducation et la santé à Westminster, l’Ecosse n’aurait pu se permettre de développer une politique divergente dans ces deux secteurs. Le gouvernement d’Edimbourg reste donc dépendant des priorités politiques définies à Londres, même lorsqu’il veut s’en affranchir. ! ! ! ! ! ! ! 70 « Scotland {…} has shown a worrying inability to engage in policy innovation, to take a lead in reshaping and re-invigorating social democratic ideas. So policy change has too often been a matter of resisting pressures from the south for a while, then coming into line. It is en enclave of social democracy, with its own reserved domains, rather than a fount of policy ideas to be exported across the UK, to Europe and elsewhere » in Keating et al, 2007, p.282 71 Nous reviendrons en détails sur le financement des institutions écossais et l’utilisation de la formel Barnett dans notre deuxième partie, au chapitre 1. Nous pouvons simplement dire d’ores et déjà que les services publics écossais sont financés grâce à une allocation versée par le gouvernement britannique dont le montant est indexé sur le montant des dépenses en Angleterre. Ainsi, une hausse des dépenses sociales en Angleterre et au Pays de Galles correspond à une hausse proportionnelle à la part de la population écossaise (environ 9% du total britannique) dans le budget social en Ecosse. 51 sur 107 ! II/ Une culture parlementaire se voulant un contre-modèle ! Le système politique nous semble être un facteur intéressant pour comprendre comment une société est régie, quels sont les rapports en son sein. L’analyse du Parlement écossais est d’autant plus intéressante que celui-ci a été créé de toutes pièces au terme d’un long processus de reflexion mené par des politiques, des universitaires et des acteurs de la société civile. Il a été pensé pour correspondre au mieux aux aspirations de la société écossaise et à ses spécificités. Nous reviendrons dans un premier temps (A) sur la genèse du Parlement écossais afin de comprendre quels ont été les principes directeurs ayant abouti à sa création. Dans un deuxième temps (B), nous étudierons la structure et le fonctionnement du Parlement pour savoir si son existence a été une réussite et a contribué à mieux représenter la société écossaise. ! A) La genèse du Parlement d’Holyrood Le référendum de 1997 portant sur la création d’institutions dévolues à l’Ecosse ne fut pas le premier de la sorte. En 1979, les écossais se prononcèrent une première fois sur la question72. Si le oui remporta la majorité des votes (51,6%), une condition pour que le projet soit adopté était que le oui dépasse les 40% des inscrits, votants ou non. Or, seulement 32,9% de l’électorat se déclara pour la dévolution en 1979, ce qui enterra le projet. Cependant, l’échec du référendum ne signifia pas la fin de la réflexion sur l’autonomie écossaise et son développement politique. Les années de gouvernement Thatcher furent l’occasion pour les écossais de faire ressurgir leurs velléités d’autonomie, d’autant que la question de la légitimité des conservateurs à gouverner l’Ecosse se posait, ceux-ci ne remportant par exemple que 10 sièges pour l’Ecosse à Westminster en 1987 (Leruez, 2000)73. Le parti travailliste fut le grand gagnant des années de gouvernement conservateur, et « il commença à voir une assemblée écossaise comme une potentielle 72 Le projet de dévolution était beaucoup plus limité que que celui de 1997, donnant des pouvoirs à un nouveau parlement écossais pour régir les questions internes, mais avec sous la tutelle administrative du Secretary of State of Scotland qui possédait un droit de veto (Duclos, 2014). Ce projet ne rencontra que peu d’adhésion en Ecosse pendant la campagne référendaire; le SNP se positionna notamment contre. Pour un compte-rendu plus détaillé de projet de dévolution de 1978 et l’échec du référendum de 1979, voir notamment Leruez, 2000, pp. 189-239. 73 Les élections de 1987 sont connus en Ecosse sous le nom de Doomsday scenario, littéralement le « scénario de la fin du monde ». 52 sur 107 place-forte travailliste au sein du Royaume-Uni » (Duclos, 2014, p.42), ce qui l’encouragea à soutenir la dévolution. Les années 1980 et 1990 virent aussi l’émergence d’un soutien fort de la société civile pour la dévolution des pouvoirs, avec notamment l’association Campaign for a Scottish Assembly (CSA) qui initia le mouvement (Duclos, 2014). Ces mouvements autonomistes aboutirent à la création en 1989 d’un Convention constitutionnelle écossaise, ou Scottish Constitutional Convention (SCC), qui fut le lieu de conception du Scotland Act 1998, et donc du parlement écossais. Auparavant, un Claim of Right for Scotland fut publié par des intellectuels, des politiques, des représentants du monde syndical et des principales églises. Ce premier Claim of Right for Scotland fit une critique très sévère des institutions de l’Union (Duclos, 2008), et notamment de la centralisation du pouvoir à Londres. Leydier le décrit ainsi: ! « De tonalité très nationaliste et souvent anti-anglaise, le rapport proclamait le droit pour l’Ecosse à l’autodétermination. Il condamnait les gouvernements britanniques successifs pour n’avoir pas réellement respecté le traité d’Union de 1707 et avoir abouti à une pratique antidémocratique consistant à centraliser toute l’autorité dans la seule personne du Premier minister, sans limitations constitutionnelles ou contre-pouvoirs effectifs » (Leydier, 2006, p.60). ! Ce Claim of Right for Scotland74 fur repris lors des premiers travaux de la SCC et une déclaration, connue également sous le nom de Claim of Right, fut signée75 par les représentants présents à la SCC, parmi lesquels figurent l’ancien Premier Minister travailliste Gordon Brown et l’ancien Chancelier de l’Echiquier, travailliste également, et actuel leader de la campagne Better Together, Alistair Darling76. Cette déclaration rappelle 74 Les déclarations de droits sont une pratique historiquement importante en Ecosse pour marquer son autonomie et affirmer sa spécificité en termes constitutionnels. En 1689 et en 1842, les écossais publièrent deux déclarations des droits dans des périodes de troubles (la Glorious Revolution en 1688 et la scission de l’Eglise écossaise en 1842). 75 Le Claim of Right de la SCC est retranscrit ici: « We, gathered as the Scottish Constitutional Convention, do hereby acknowledge the sovereign right of the Scottish people to determine the form of Government best suited to their needs, and do hereby declare and pledge that in all our actions and deliberations their interests shall be paramount. We further declare and pledge that our actions and deliberations shall be directed to the following ends: To agree a scheme for an Assembly or Parliament for Scotland; To mobilise Scottish opinion and ensure the approval of the Scottish people for that scheme; and To assert the right of the Scottish people to secure implementation of that scheme ». (Leydier, 2006, p.61) 76 La SCC fut composée en grande partie d’élus travaillistes et libéraux-démocrates, qui furent les grands artisans de la dévolution en 1997. (Duclos, 2014). Les nationalistes et les conservateurs refusèrent de participer à la SCC. 53 sur 107 notamment que la souveraineté en Ecosse est de type populaire77, ce qui va à l’encontre de la tradition anglaise dite de Crown-in-Parliament ou Couronne-en-son-Parlement, qui pose la souveraineté parlementaire au coeur de la démocratie britannique (Duclos, 2008). Les travaux de la SCC aboutirent à un premier rapport en 1990 qui s’avéra être une critique généralisée du système de Westminster. D’emblée, il s’agit d’inscrire le futur Parlement écossais en tant que contre-modèle à celui de Londres, considéré comme passéiste et inefficace. A la page 12 de son premier rapport, la SCC dit: « The Scottish Parliament will not be a pale imitation of Westminster. There will be no archaic practices justified in terms of custom and long usage in another place. Procedure developed over the years at Westminster can be defended only in terms of respect for tradition. That is not good enough. » (cité dans Duclos, 2008, p. 5). Les grands principes qui devaient guider la création d’un parlement écossais furent également évoqués: l’ouverture, l’accessibilité, la responsabilité politique et la participation (Duclos, 2008). Une critique fut notamment faite sur le caractère très conflictuel des débats à Westminster (deux universitaires parlèrent même de « combats de chiens »78) , qui ne convenait pas au « caractère essentiellement consensuel de la politique écossaise, dont témoignaient le multipartisme écossais ainsi que l’approche prônée au sein de la SCC » (Duclos, 2008, p.6). Le deuxième rapport de la SCC parut en 1995 et dessina l’architecture du nouveau parlement écossais: plus ouvert, plus moderne, il devait être monocaméral et comporter un système de commissions fortes pour pallier l’absence d’une deuxième chambre de lectures. Le mode de scrutin prôné fut un système binaire, l’Additional Member System (AMS)79 et non la traditionnel scrutin majoritaire ou first-past-the-post en vigueur pour l’élection des députés britanniques. Par ailleurs, le Parlement seul devrait avoir le droit de se dissoudre. Les travaux de la SCC furent dans une large mesure repris par le livre blanc de 1997 qui détailla le projet de dévolution. Les élections générales de 1997 donnèrent en 77 La revendication de la souveraineté populaire en Ecosse remonte au XIVème siècle et à la déclaration d’Arbroath signé en 1320 (Leruez, 2000, p.257) par des barons écossais pour réaffirmer l’indépendance et la souveraineté écossaise face aux attaques anglaises. 78 Crick et Millar parlent décrivent les débats parlementaires à Londres comme « the automated dog-fights of Westminster » (cité dans Duclos, 2008, p.6). Les deux auteurs ont publié un document devant la SCC en 1991, To Make the Parliament of Scotland a Model for Democracy, sur lequel les travaux du deuxième rapport de la SCC se basèrent largement (Duclos, 2008). 79 Nous reviendrons sur le fonctionnement de ce mode de scrutin dans la deuxième sous-partie sur le fonctionnement du Parlement d’Holyrood. 54 sur 107 effet plus de 90% des sièges en Ecosse aux partis dévolutionnistes80 (Labour et Lib-Dem) (Leruez, 2000, p.266), ce qui exprima un mandat clair pour mettre en place l’autonomie écossaise et constitua l’aboutissement de quasiment deux décennies de réflexion sur ce que pourrait être un parlement écossais. Le projet de dévolution fut proposé par référendum aux écossais le 11 septembre 1997. Deux questions furent posés: est-ce qu’il devait y avoir un parlement écossais, et est-ce que celui-ci devait avoir des pouvoirs de variation de l’impôt81. Les deux réponses furent positives (respectivement 74,3% et 63,5% pour le oui). Le gouvernement put donc présenter au Parlement britannique le projet de loi sur la dévolution, le Scotland Bill 1998, qui fut adopté en novembre 1998. Les premières élections au Parlement écossais eurent lieu en mai 1999, et donnèrent une majorité au parti travailliste, avec 56 sièges. Le SNP arriva deuxième, avec 35 sièges. Donald Dewar, partisan de la dévolution depuis le début, devint le premier First Minister écossais et forma le premier gouvernement écossais dévolu. L’Ecosse avait de nouveau un parlement. Or, celui-ci, nous l’avons montré, a été conçu dès le départ comme un contre-modèle au parlement de Westminster82, qui est considéré comme peu représentatif de la scène politique et la société écossaise. Intéressons-nous à présent à la structure et au fonctionnement du parlement d’Holyrood. ! B) Structure et fonctionnement du Parlement écossais: un contre-modèle en réussite ! Le parlement écossais (re)ouvert en 1999 est composé d’une seule chambre de 129 membres élus tous les quatre ans. La différence est ici déjà présente avec le Parlement britannique, puisqu’il y a deux chambres à Westminster, et qu’il n’existe pas de durée précise du mandat des députés. Le choix d’un parlement monocaméral s’inscrit 80 Les élections de 1997 marquent par ailleurs l’écroulement total du parti conservateur en Ecosse, puisqu’il ne remporta aucun siège. Son attitude ouvertement anti-dévolutionniste fut sans doute la raison principale de cet échec retentissant (Leruez, 2000) 81 Ces pouvoirs, appelés communément tartan tax, sont en fait la possibilité pour le gouvernement écossais de varier de plus ou moins 3% le taux d’imposition sur le revenu. 82 Citons par exemple un extrait du rapport de 1995 de la SCC: ! « [W]e have emerged with the powerful hope that the coming of a Scottish parliament will usher in a way of politics that is radically different from the rituals of Westminster. [...] [T]he working arrangements for Scotland’s Parliament set out here describe a legislature that is very different from the Westminster model. One obvious difference is that it will consist of a single chamber, but the Convention expects that the Parliament will also differ from Westminster in a less procedural, and more radical sense » (cité dans Duclos, 2008, p.10)! 55 sur 107 dans la dénonciation du modèle britannique, la Chambre des Lords étant considérée comme anachronique et ne répondant plus aux réalités du XXIème siècle. L’existence d’une chambre unique est compensée par un pouvoir fort donné aux commissions parlementaires. Celles-ci ont une importance considérable par rapport à leurs homologues britanniques, et permettent à l’ensemble des MSP d’être impliqué dans les débats parlementaires (Leruez, 2000), et évite ainsi le phénomène des backbenchers83 de Westminster. La Commission Calman84 sur la réforme de la dévolution dit également que « the Scottish Parliament’s committees generally work well and, in particular, that they are more open and accessible than their UK Parliament counterparts » (Serving Scotland Better, 2009, p.220). Les commissions parlementaires ont pour rôle d’étudier les projets de loi et d’apporter des amendements. Elles effectuent un rôle important de contrôle des lois, et agissent en véritable contre-pouvoir.85 Elles permettent également de prendre en compte les intérêts de la société en menant des enquêtes, travail qu’elles ont mené « de façon extrêmement sérieuse » (Leydier, 2007, p.6). Une commission importante dans le système est la commission en charge de pétitions. Celles-ci peuvent être adressées par toute personne physique ou morale, sur des questions relevant des compétences du Parlement écossais. Si la pétition est recevable, la Commission l’examine et décide ou non de la transférer à l’exécutif, qui doit en prendre compte (Camp-Pietrain, 2008). A noter qu’il n’y a pas de limite minimum de signatures: toute personne peut déposer une signature. Ce système est un succès, puisqu’il a permis à des questions soulevées par des citoyens d’être débattues en séance plénière (Leydier, 2007), ainsi que de faire entendre le point de vue des Écossais et d’attirer l’attention sur des problèmes spécifiques lors de certaines grandes réformes (comme l'interdiction de la chasse à courre, la création des parcs nationaux ou bien l’abolition du droit de propriété) (Camp-Pietrain, 2008). Le fonctionnement de la commission des pétitions est « l’un des rares éléments des institutions qui, loin d’être contestés, étaient même enviés » (CampPietrain, 2008, p.9), tandis que Leydier dit que l’ « on peut donc considérer que le nouveau 83 L’expression backbenchers désigne le fait que certains MPs sont assis au fond de l’assemblée de Wesminster 84 La Commission on Scottish Devolution, dite Commission Calman du nom de son président, fut chargée par le Parlement écossais de mener une étude approfondie de la dévolution en Ecosse dix ans après sa mise en oeuvre. Voulue par le parti travailliste, et soutenue par les libéraux-démocrates et les conservateurs, la Commission présenta un rapport en jun 2009. Les conclusions de ce rapport, qui ne considère pas l’indépendance, ont largement été reprises dans le Scotland Act 2012, l’acte 2 de la dévolution que nous détaillerons dans notre deuxième partie 85 « Ainsi, en l’absence d’une seconde chambre législative, et grâce à l’accent mis sur le principe de partage du pouvoir, les commissions parlementaires jouent un rôle beaucoup plus important en Écosse qu’au Parlement britannique, et servent de contre-pouvoir à l’Exécutif » Duclos, 2008, p.11 56 sur 107 parlement de Holyrood a joué à plein son rôle de forum démocratique, où peuvent être débattues les questions intéressant les Écossais » (2007, p.6)86, alors que le Parlement de Westminster est décrié pour son opacité et sa faible accessibilité pour les citoyens britanniques en général, écossais en particulier87. De façon générale, le Parlement d’Holyrood est beaucoup moins rigide dans son fonctionnement que son homologue britannique (Leruez, 2000). L’une des caractéristiques principales dans le déroulement des séances parlementaires concerne les horaires de session, qui se veulent family-friendly, selon l’expression utilisée par les auteurs précédemment cités: les débats ont lieu pendant les horaires de bureau, ce qui encourage de nombreux députés à avoir une vie de famille, et favorise ainsi la participation des femmes. Ainsi, on dénombre au Parlement écossais 35 % de femmes en 2010 (38% en 1999) pour 22% aux Communes (Craknell et Keen, 2014). « Holyrood est sur ce plan beaucoup plus proche des pays scandinaves que de Westminster »88 (Leydier, 2006, p. 65). On peut par ailleurs relevé que les débats sont en général moins conflictuels qu’à Westminster, du fait notamment de la disposition de l’assemblée en quasi-hémicycle et non en opposition comme au Parlement de Londres. De plus, le mode de scrutin pour l’élection des MSPs est relativement différent de celui utilisé pour l’élection des MPs. L’Additional Member System est un mélange entre un scrutin majoritaire et proportionnel, un système comparable à celui en vigueur en Allemagne pour l’élection du Bundestag. 73 sièges sont attribués selon le système du firstpast-the-post, scrutin majoritaire à un tour dans chaque circonscription. Pour corriger les distorsions créées par ce système, les 56 sièges restants sont attribués à la proportionnelle par un scrutin de liste par régions. Ainsi, l’AMS apporte « a high degree of proportionality in the overall distribution of the seats in parliament » (Commission on Scottish Devolution, 2009, p.42), ce qui conviendrait mieux à la nature consensuelle déjà évoquée de la politique écossaise. Ce système avait pour objectif de rendre impossible la domination d’un seul parti au parlement et donc de forcer les partis à négocier pour former 86 Il s’agit cependant de nuancer ce constat: Camp-Pietrain rappelle que, si « 90% des pétitionnaires estiment que leur préoccupation a été entendue et que leur requête a été traitée équitablement, mais seuls 54% pensent qu’elle a entraîné des changements » (2008, p.5), et que les pétitionnaires restent des personnes relativement aisées et déjà politisées, ce qui ne permet de considérer que l’ensemble de la population écossaise tire profit de ce système. 87 Des données du SSAS 2013 montrent qu’en 2011, 56% des écossais considéraient que le gouvernement écossais était plutôt à l’écoute des citoyens avant de prendre des décisions, contre seulement 19% d’avis similaires pour le gouvernement britannique. (Reid et al, 2013) 88 L’écart reste cependant fort, avec un pourcentage de femmes à l’assemblée suédoise de 48% en 2010 (Cracknell et Keen, 2014). 57 sur 107 des coalitions (Duclos, 2014). Jusqu’aux élections 2011, le système fonctionna, les deux premières coalitions Labour/Lib-Dem cédant la place en 2007 à un gouvernement nationaliste minoritaire. ! Ainsi, le Parlement d’Holyrood, de sa conception à aujourd’hui, a voulu se démarquer de son homologue britannique, afin de créer un contre-modèle qui serait plus à même de représenter la société écossaise et ses caractéristiques spécifiques. Plus moderne, moins rigide dans ses procédures et plus accessible et transparent pour les citoyens, le parlement d’Holyrood semble être une réussite89, même s’il a pu créer des désillusions, à la hauteur des des attentes placées en lui lors de la genèse du projet de dévolution90 (Duclos, 2008). ! La société écossaise présente ainsi certains aspects d’une social-démocratie: un attachement à l’égalité, aux services publics et à l’intervention étatique, des valeurs plus progressistes, et une culture parlementaire plus consensuelle et populaire. Grâce à la dévolution, l’Ecosse a pu marquer sa différence avec le reste du Royaume-Uni, même si celle-ci reste au final relativement faible, surtout avec le Nord de l’Angleterre. Elle a surtout pris en main sa gestion et a adapté son fonctionnement politique à ses spécificités. ! ! ! ! ! 89 65% des écossais considèrent que le parlement écossais est un succès (Commission on Scottish Devolution, 2009). 90 Duclos insiste sur le fait que le projet de dévolution pensé par les autonomistes de la CSA et de la SSC ne pouvait être qu’une « utopie chimérique », car il ne s’agissait pas de la création d’un nouvel Etat, mais d’un processus de transferts de pouvoir au sein d’un Etat resté unitaire. Le nouveau parlement écossais ne pouvait dès lors que décevoir : « Sa mise en œuvre s’est révélée décevante à deux égards. D’une part, le modèle écossais est moins radical et plus proche du modèle britannique que la tonalité des textes autonomistes ne l’avait suggéré. D’autre part, la radicalité du discours autonomiste a brouillé les frontières qui séparaient ce dernier du discours indépendantiste. Les attentes soulevées par le discours autonomiste étaient donc condamnées à être en décalage avec la réalité d’un Parlement autonome au sein d’un système gouvernemental toujours centré sur le Parlement britannique » (2008, p.11) « En conséquence, même lorsqu’ils l’ont ouvertement condamné, les autonomistes écossais se sont autant inspirés du modèle de Westminster qu’ils l’ont rejeté. Surtout, même si le projet autonomiste prit la forme d’une utopie politique, la caractéristique principale des utopies lui fit défaut : le lieu où le modèle autonomiste devait être mis en application n’était pas un pays nouveau, éloigné du pays dont on dénonçait le système politique, mais un pays au sein de ce dernier. C’est pourquoi au milieu des années 2000, l’« utopie calédonienne » n’était plus l’utopie autonomiste de la fin des années 1980 et des années 1990, mais l’utopie d’une Écosse indépendante, d’une République indépendante d’Écosse, voire d’une République socialiste écossaise ». p. 14 58 sur 107 Deuxième Partie: Quelles trajectoires pour l’autonomie écossaise ?! ! Où en est l’Ecosse, et où va-t-elle ? Surtout, où peut-elle aller ? Quelles sont ses possibilités pour continuer à exprimer sa divergence ? Si notre première partie avait pour objectif de rendre compte de la spécificité écossaise, de comprendre d’où celle-ci vient et comment elle s’exprime, de tester ses mythes, ainsi que de donner une image de sa position économique au sein du Royaume-Uni, il s’agira dans cette deuxième partie de rechercher les trajectoires futures pour l’Ecosse. Si l’arrivée au pouvoir des nationalistes en 2007 est historique sur bien des points, elle aura surtout marqué le début d’une prise de conscience nationale sur l’état de la dévolution dix ans après le référendum. Ainsi, on assiste depuis 2007 a une effervescence quant à la situation constitutionnelle en Ecosse et aux possibles modifications de celle-ci. Le débat s’est aujourd’hui cristallisé autour de la question de l’indépendance, projet historique des nationalistes, qui ont interprété leur victoire retentissante de 2011 comme un mandat donné par la population pour négocier l’indépendance avec le gouvernement britannique. Et en effet, le référendum aura lieu le 18 septembre 2014, avec une Ecosse indépendante en mars 2016 en cas de victoire du oui. Cependant, il existe une large palette de possibilités entre le statu-quo du Scotland Act 1998 et l’indépendance. Il s’agira dans cette partie de détailler les différents aspects de cette palette, qui se partage cependant entre deux grandes options: rester dans le Royaume-Uni et sortir de l’Union. Nous étudierons respectivement ces deux options en détails. ! Chapitre 1 : Du Scotland Act 2012 à la Devo-max: quelle place pour l’Ecosse dans un Royaume-Uni unitaire ?! ! Quand on considère la position de l’Ecosse au sein du Royaume-Uni, deux constats s’imposent. Premièrement, la dévolution est un succès. Si les débuts des institutions dévolues furent timides (Leruez, 2000; Leydier, 2006), force est de reconnaître que celles-ci sont aujourd’hui vues d’un oeil très positif par les écossais: les sondages menés par la Commission Calman en 2008 montrent que pour 77% des écossais, le gouvernement écossais fonctionne et est une réussite, tandis que 74% considéraient que la dévolution avait produit des meilleurs résultats pour l’Ecosse (Commission on Scottish Devolution, 2009, pp.58-59). Deuxièmement, si la dévolution est un succès, les citoyens et les politiques 59 sur 107 écossais sont très largement en faveur d’une nouvelle étape dans la dévolution. Le tableau 6 montre l’évolution du soutien aux différentes possibilités constitutionnelles depuis le début de la dévolution. ! ! TABLEAU 6: PRÉFÉRENCES CONSTITUTIONNELLES EN ECOSSE EN 2009! Quelle proposition est la plus proche de votre opinion sur le futur de l’Ecosse ? % L’Ecosse doit être indépendante 21 Le Parlement écossais doit avoir plus de pouvoir qu’à l’heure actuelle, comme une quasiindépendance 41 Le Parlement écossais a les bons pouvoirs et doit les garder 26 Le Parlement écossais devrait avoir moins de pouvoir qu’à l’heure actuelle 8 Ne sais pas / Aucune des propositions précédentes 5 Source: Commission on Scottish Devolution, 2009 ! Ainsi, 62% des écossais se déclaraient en faveur d’un changement constitutionnel qui donnerait plus de pouvoirs au Parlement écossais, que ce soit l’indépendance complète ou une forme plus poussée de dévolution. Si l’on considère des données plus récentes du SSAS 2013, on constate qu’en 2013, 63% des écossais étaient d’avis que le Parlement écossais devait avoir le plus d’importance dans la façon dont l’Ecosse était gouvernée quant seulement 30% pensaient que c’était effectivement le cas (Reid et al. 2013). Les grands partis unionistes écossais l’ont bien compris: ils ont commandé la Commission Calman dès 2008, dont les recommandations du rapport final ont été largement reprises dans l’élaboration du Scotland Act 2012, sur lequel nous reviendrons en détails dans notre première sous-partie (I/). Puis, pour contrer le projet d’indépendance du SNP, chacun a publié un projet pour davantage de dévolution pour l’Ecosse91, empruntant des chemins très différents. La situation constitutionnelle actuelle de l’Ecosse n’est donc pas appelée à durer, et les propositions pour changer le statu-quo, tout en maintenant l’Ecosse dans l’Union, sont 91 Pour les libéraux-démocrates: Home Rule and Community Home Rule Commission of the Scottish Liberal Democrats, Federalism, The Best Future for Scotland, Edinburgh, Scottish Liberal Democrats, 2012! Pour les travaillistes: Scottish Labour Devolution Commission, Powers for a Purpose: Strengthening Accountability and Empowering People, Glasgow, Scottish Labour Party, 2014! Pour les conservateurs: Commission on the Future Governance of Scotland, Final Report, Edinburgh, Scottish Conservative and Unionist Party, 2014 60 sur 107 nombreuses. Nous nous intéresserons aux principales dans notre deuxième souspartie(//). I/ Etat de la dévolution après le Scotland Act 2012 ! Les Scotland et Government of Wales Acts de 1998 ont considérablement modifié la constitution administrative et politique du Royaume-Uni. En instaurant un processus de décentralisation, appelé dévolution, ils ont créé une situation inédite sur le plan constitutionnel, qui ne peut être décrite comme du fédéralisme (A). La dévolution a opéré une redistribution des pouvoirs entre le gouvernement britanniques et les nouvelles institutions écossais, qui disposent de larges pouvoirs pour gérer les affaires internes (B). Cependant, le volet financier, et notamment fiscal, de cet arrangement constitutionnel est grandement décrié en ce qu’il ne confère que peu de responsabilités au Parlement écossais dans la levée de ses ressources financières (C). Nous nous efforcerons donc dans cette partie de dresser un état des lieux de la dévolution en prenant en compte les réformes induites par le Scotland Act 2012, qui amende celui de 1998, et devrait entrer en vigueur en 2015 ou 2016, si bien sur l’Ecosse est encore membre du Royaume-Uni à cette date. ! A) Pourquoi le Royaume-Uni n’est pas un Etat fédéral ! Comme le rappelle la Commission Calman, « Scotland’s union with England is unique within the United Kingdom, and internationally. {…} The UK is, as has been said, not just a Union State, but a State of different unions: different unions which have formed between England and each of its three neighbours. Each of those unions has its own history, dynamic and likely path of further development. » (Commission on Scottish Devolution, 2009, p. 60). Depuis la dévolution, cette union est d’autant plus complexe qu’elle a encore plus brouillé les cartes entre les différents niveaux de gouvernement. Cependant, en termes purement constitutionnel, le Royaume-Uni n’est pas un Etat fédéral comme le Canada, les Etats-Unis ou l’Allemagne. Il n’existe ainsi qu’un seul parlement souverain pour tout le Royaume-Uni, celui de Westminster. Les assemblées galloises et écossais ne sont que des assemblées « subalternes » (Duclos, 2014, p.47), dont l’existence dépend d’une décision prise par le Parlement de Westminster. C’est là une 61 sur 107 première différence avec un système fédéral, dans lequel l’ensemble la souveraineté est partagée par l’ensemble des entités politiques qui le constituent. Deuxièmement, les assemblées dévolues n’ont aucune compétence exclusive. Techniquement parlant, le Parlement britannique a gardé le droit de légiférer dans tous les domaines, même dévolus. Il est le seul à disposer de compétences réservés, que nous détaillerons plus loin. Il existe cependant un accord entre les parlements écossais et britannique, appelés convention Sewel92, qui stipule que les députés de Westminster ne peuvent légiférer sur des domaines dévolus qu’après avoir obtenu l’accord de leurs homologues écossais. Troisièmement, toutes les composantes du Royaume-Uni ne dispose pas d’une assemblée qui leur est propre. Ainsi, la principale composante de l’Union, l’Angleterre, n’a pas de parlement spécifiquement dédié à la gestion des affaires anglaises: les décisions pour l’Angleterre sont prises à Westminster, avec les voix des députés écossais, gallois et nord-irlandais. Cette configuration peut résulter en une situation où les députés écossais à Westminster ne peuvent pas se prononcer sur des questions dévolues à l’Ecosse, mais peuvent décider de questions intéressants l’Angleterre uniquement. Cette anomalie est connue sous le nom de West Lothian question93 et pose la questions de la représentativité du Parlement de Westminster en tant que représentation politique de l’ensemble des citoyens britanniques. Cependant, Duclos rappelle que cette asymétrie représente le coeur même de la dévolution: ! « La principale raison d’être de la dévolution est bien d’être asymétrique, et de tenter de compenser le déséquilibre politique entre l’Angleterre et les petites nations britanniques, né du poids démographique disproportionné de l’Angleterre (sans parler de son poids historique ou économique), par la création de forums politiques spécifiques à ces petites nations » (Duclos, 2014, p.47) ! Enfin, la dévolution est doublement asymétrique, puisque les assemblées régionales non pas toutes les mêmes attributions et compétences: chaque parlement a été créé par un acte distinct qui contient des dispositions spécifiques. Ainsi, l’assemblée galloise a longtemps eu des pouvoirs bien moindre que son homologue écossaise 92 Du nom de Lord Sewel, alors sous-secrétaire d’Etat à l’Ecosse, qui précisa les termes de l’accord lors du passage du Scotland Bill en 1997 à la Chambre des Lords. 93 Nommé ainsi car soulevée par Tam Dalyell MP, alors député pour la circonscription de West Lothian, à l’ouest d’Edimbourg 62 sur 107 (Leydier, 2006). Le Royaume-Uni est donc a bien des égards unique son genre, un système resté unitaire mais qui emprunte beaucoup aux principes du fédéralisme dans le partage de compétences entre les différents niveaux de pouvoirs. ! B) Le partage des compétences entre Edimbourg et Londres La dévolution a opéré un vaste transfert des pouvoirs de l’échelon britannique aux institutions écossaises. Dans les textes, toutes les compétences qui ne sont pas explicitement réservées au Parlement britannique sont de la responsabilité d’Holyrood. L’annexe 5 du Scotland Act 1998 liste les domaines réservés, au rang desquels on compte notamment les affaires étrangères, la défense, la monnaie et le gouvernement macroéconomique, la sécurité sociale ou encore la monarchie. Le tableau 7 détaille ce partage des compétences: ! TABLEAU 7: PARTAGE DES RESPONSABILITÉS ENTRE LONDRES ET EDIMBOURG APRÈS LE SCOTLAND ACT 1998! !! Compétences dévolues au Parlement écossais Compétences réservées au Parlement britannique Santé (dont le NHS en Ecosse) Monarchie et Affaires Constitutionnelles (dont la loi électorale et la fonction publique) Education (de la maternelle à l’Université)! Formation professionnelle et rechercher scientifique Politique étrangère (dont traités et accords internationaux et relations avec l’UE Supervision des collectivités locales (notamment attributions, finances locales, découpage territorial et loi électorale) Défense et sécurité nationale (dont protection aux frontières et lutte anti-terroriste, délimitation des eaux territoriales, politiques d’immigration et de nationalité, sécurité nucléaire, législation sur les drogues et les armes à feu Travail social et secteur associatif Politique macroéconomique, fiscale et monétaire Logement et politique urbaine (dont désignation des zones d’entreprises) Marché commun britannique (dont droit de la concurrence, droit de l’entreprise et protection des consommateurs) Développement économique (dont aide à l’investissement, promotion du commerce, administration des fonds structurels européens, tourisme, secteur énergétique, attributions des agences Scottish Entreprise et Highland & Islands Entreprise) Droit du travail et relations industrielles Droit civil et pénal (dont prisons) Gestion de la sécurité social Secteur énergétique: électricité, charbon, gaz et nucléaire 63 sur 107 Compétences dévolues au Parlement écossais Compétences réservées au Parlement britannique Police, pompiers, défense civile, prévention des risques naturels Médecine et santé: gestion de certains secteurs (législations sur l’avortement, l’embryologie et la génétique) et régulation de certaines professions (dont médecins, dentistes et infirmiers) Transports locaux (routier, maritime et aérien, et en partie ferroviaire) Sécurité et régulation globale des transports, et chemin de fer Sports, culture et arts (dont musées nationaux) Audiovisuel et télécommuniations Agriculture et pêche (dont administration des fonds européens) et forêts Loterie nationale, paris et jeux de hasard Gestion du patrimoine naturel et immobilier et protection de l’environnement Etat civil, archives et statistiques liés aux domaines de compétences Source: Leydier, 2006, pp.74-75 ! Les institutions écossais disposent donc d’un très large éventail de compétences pour gérer les affaires internes. Elles peuvent notamment influencer sur le développement économique directement, ou indirectement par le biais de l’éducation et de la formation professionnelle. Elles ont en charge les grands secteurs de l’économie écossaise, comme la pêche et l’agriculture ou le secteur énergétique. Certaines compétences dévolues sont directement en lien avec l’histoire de l’Ecosse et le maintien d’un société civile différente depuis l’Union: le système juridique et la politique carcérale ainsi que la gestion des universités font partie des domaines historiquement spécifiques en Ecosse94. Le Parlement écossais est également en charge d’une pan important du welfare state, à savoir le système de santé. Cependant, la sécurité sociale reste une compétence réservée du Parlement britannique. La Commission Calman a notamment estimé que ce domaine devait continuer à être géré au niveau britannique, car cela était le seul moyen de maintenir ce que la Commission appelle « l’union sociale » (Commission on Scottish Devolution, 2009, p.6). En effet, si les politiques de sécurité sociale divergeaient entre les composantes du Royaume-Uni, cela créerait des distorsions importantes entre les droits sociaux des citoyens britanniques en fonction de leur lieu de résidence, ce qui serait contraire aux principes du welfare state. Au final, il ne reste que très peu de compétences internes qui n’ont pas été dévolues. La Commission Calman considère meme que l’essentiel de ce qui peut être transféré sans remettre en cause l’Union économique et sociale l’a été lors du premier 94 Voir sur ce point Leruez, 2000, pp 49-66 64 sur 107 acte de la dévolution: « In summary it is the view of the Commission that the powers conferred on the Scottish Parliament and Scottish Ministers through the Scotland Act and subsequent legislation encompass most of the key policy levers that directly affect the lives of the people of Scotland » (2008, p.56). Cette tendance est confirmée par l’analyse de la structure des dépenses publiques en Ecosse. Les dépenses effectuées par les institutions écossaises représentent 60% du total des dépenses identifiables95 en Ecosse, les 40% restants représentant les dépenses de sécurité sociale. La gestion du welfare state est d’ailleurs la seule compétence d’importance qui n’ait pas été dévolue. Il est ainsi compréhensible que les recommandations de la Commission concernant la répartition des compétences soit limitées, et que leur traduction dans le Scotland Act 2012 ait été relativement consensuelle (Commission on Scottish Devolution, 2009; Camp-Pietrain, 2012)96. Par ailleurs, les différents projets d’extension de la dévolution ne s’interroge que sur le transfert de la sécurité sociale dans son ensemble, ce qui prouve que peu ! C) Les dispositions financières telles réformées par le Scotland Act 2012 Le volet financier et fiscal de la dévolution est le plus critiqué au Royaume-Uni. Les dispositions issues du Scotland Act 1998 ne donnent que très peu de pouvoirs fiscaux au Parlement écossais. En effet, il est estimé que celui-ci n’est responsable que de la levée de 15% de ses ressources, alors qu’il est compétent pour 60% des dépenses engagées en Ecosse. Ce fossé entre ressources et dépenses, appelé en théorie fiscale déséquilibre fiscal vertical, interroge de nombreux observateurs, au rang desquels la Commission Calman, qui y voit un déficit démocratique ne donnant pas une vraie responsabilité (accountability) au Parlement écossais quant aux dépenses engagées. C’est pourquoi le coeur des réformes mises en place avec le Scotland Act 2012 porte sur la réforme du financement des institutions écossaises. Celles-ci sont maintenues par un double apport de ressources: les impôts gérés par le Parlement écossais et une dotation versée par le gouvernement britannique selon la formule Barnett. 95 On distingue deux types de dépenses au Royaume-Uni: les dépenses identifiables, c’est à dire celles que l’on peut attribuer spécifiquement à une nation (sécurité sociale, éducation ou transports) et les dépenses non-identifiables, qui sont pour l’ensemble du Royaume-Uni et qui ne peuvent être attribuées à une nation en particulier (monarchie, affaires étrangères, défense). 96 Les nouvelles compétences du Parlement écossais à la suite de l’acte 2 de la dévolution sont très mineures: elles comportent notamment la régulation des armes à air comprimé, la législation en termes de sécurité routière ou bien l’encadrement des médecins pouvant prescrire des substituts thérapeutiques aux drogues. L’exécutif écossais aura également un droit du regard sur certaines nominations, comme le commissaire écossais en charge des biens de la couronne et le membre écossais du conseil de surveillance de la BBC. (Camp-Pietrain, 2012). 65 sur 107 Le Parlement écossais a le pouvoir de lever certains impôts, et notamment les impôts locaux sur les entreprises (business rates) et les personnes (council tax), qui sont en réalité prélevés par les collectivités locales. Avec le Scotland Act 2012, certains impôts mineurs seront également transférés à l’Ecosse: la taxe sur les transactions immobilières (Stamp Duty Land Tax) et sur les déchets (Landfill Tax) qui ont rapporté environ 572 millions d’euros en 2012, soit environ 1,2% du budget écossais (McLean et al., 2014, p. 93). En revanche des impôts plus importants, comme l’impôt sur les sociétés (corporation tax) ou bien la TVA restent perçus par le gouvernement britannique97. Les institutions écossaises peuvent également faire varier le taux de base de l’impôt sur le revenu. Avant le Scotland Bill 2012, l’ampleur de la variation était de plus ou moins trois pence pour une livre, soit un pourcentage de taxation de plus ou moins 3%. Ce mécanisme est appelé le Scottish Variable Rate (SVR). Il n’a cependant jamais été utilisé, et les sommes prélevés auraient représentées une part « infime au regard du budget total alloué par Londres » (Duclos, 2014, pp.263-264). Le Scotland Act 2012 change les règles concernant l’impôt sur le revenu. Désormais, les taux de base fixés par le gouvernement britannique seront automatiquement inférieurs de 10 points de pourcentage en Ecosse. Cet abattement sera compenser par des taux écossais décidés par le Parlement d’ Holyrodd qui viendront s’ajouter aux taux britanniques. McLean, Gallagher et Lodge donnent un exemple du mécanisme: ! « If UK rates of income tax were 20, 40 and 45 pence in the pound, these would be reduced in Scotland to 10, 30 and 35 pence. If the Scottish rate were then set at 11 pence, then the total rates applying to Scottish taxpayers would be 21, 41 and 46 pence; if the Scottish rate were set at 9 pence, the totals would be 19, 39 and 44 pence » (McLean et al., 2014, p.71). ! L’argent récolté par les taux écossais sera alloué immédiatement au budget des institutions écossaises. Holyrood ne pourra cependant décider ni de l’assiette, ni des tranches d’imposition. Les taux seront également fixes entre les différentes tranches d’imposition. Ces restrictions limitent de fait la possibilité de moduler les modalités d’imposition sur le revenu, qui représente pourtant un outil de politique économique et social important. (McLean et al., 2014). Cette part de l’impôt sur le revenu représente 97 Les règles européennes interdisent que des taux de TVA soient différents au sein d’un même Etat. Il existe cependant des possibilités pour que les ressources issues de la TVA puissent être prélevées directement par l’Ecosse. Nous reviendrons sur ces possibilités dans notre partie intitulée « Plus de Dévolution ? ». 66 sur 107 entre 12% et 15% du budget écossais total (Camp-Pietrain, 2012), soit environ 4,5 milliards de livres (McCrone, 2013). C’est l’une des avancées majeures du Scotland Act 2012. Une autre est la possibilité pour le Parlement écossais de créer toute nouvelle taxe qu’il juge nécessaire, avec l’aval du Parlement britannique. Enfin, le Scotland Act 2012 donne de nouveaux pouvoirs d’emprunt aux institutions écossaises98: aux 500 millions de livres déjà autorisés par an pour financer des trous de trésorerie s’ajoute la possibilité d’emprunter pour des dépenses d’investissement, à hauteur de 10% du projet et pour un montant maximum de 2,2 milliards de livres (McCrone, 2013; Camp-Pietrain 2012). D’après les estimations de la Commission Calman, ce serait près de 35% du budget qui seront gérés par le Parlement écossais, contre environ 15% auparavant99. Le Scotland Act 2012 a donc largement augmenté l’autonomie financière des institutions dévolues, même si la plus grande partie du budget écossais reste financée par la dotation du pouvoir britannique. Celle-ci représente 85% des recettes écossaises actuellement, et environ 65% à partir de l’entrée en vigueur du Scotland Act 2012 (l’allocation sera en effet revue à la baisse pour compenser les nouvelles rentrées fiscales liées à l’impôt sur le revenu grâce au SVR). Cette dotation est calculée grâce à la formule Barnett100. Celle-ci est utilisée pour financer les dépenses publiques en Ecosse, au Pays de Galles et en Irlande du Nord depuis 1978, soit deux décennies avant la dévolution, et a été pensée au départ comme une solution temporaire. Elle est aujourd’hui largement décriée car elle n’est pas représentative des besoins réels en termes de dépenses publiques des différentes nations britanniques. De plus, elle lie les variations des dépenses dans les nations périphériques aux décisions prises pour l’Angleterre. En effet, l’allocation issue de la formule Barnett est composée d’une dotation fixe (baseline) qui correspond au montant versé l’année précédente. A cette baseline s’ajoute un montant déterminé par la variation dans les dépenses en Angleterre, ou en Angleterre et au Pays de Galles, dans les domaines dévolus. Ce montant est calculé en multipliant la variation des dépenses par le pourcentage de la population écossaise par rapport à la population britannique. Prenons un exemple, issu d’un rapport de 2008 la Chambre des Lords sur la formule Barnett (House of Lords, 2008): la population écossaise représente environ 98 Avant le Scotland Act 2012, le Parlement écossais était la seule institution politique en Ecosse à ne pouvoir emprunter pour financer ses dépenses, puisque les collectivités locales ainsi que le Parlement britannique disposent de ce pouvoir. 99 Duclos dit ainsi que « l’Ecosse n’est quasiment pas autonome sur le plan financier » avant l’entrée en vigueur de l’acte 2 de la dévolution (Duclos, 2014, p. 263) 100 Du nom de son concepteur, Lord Barnett. 67 sur 107 10%101 de la population anglaise. Si les dépenses anglaises dans le secteur des transports augmentent de 2 milliards livres en Angleterre, alors l’Ecosse aura une augmentation de 10% de cette somme, soit 200 millions de livres. Il faut ensuite multiplier cette somme par un pourcentage de dévolution. En effet, à chaque compétence dévolue est affectée un pourcentage en fonction du niveau effectif de dévolution (par exemple, l’éducation bénéficie en Ecoose d’un pourcentage de 100%, la santé de 99,1%, les transports de 98%, mais les politiques énergétiques et de lutte contre le climat de seulement 20,6%)102. Ainsi, si l’on reprend l’exemple précédent, il faut multiplier les 200 millions de livres par 0,98 pour obtenir le nouveau montant alloué au budget écossais des transports. Pour notre exemple, cela donne donc 2 milliards x 0,10 (part démographique) x 0,98 (pourcentage de dévolution) = 196 millions. Ce calcul est effectué pour chaque domaine de compétences dévolus, et le montant total des variations est ajouté à la baseline de l’année précédente. Le tout constitue l’allocation du gouvernement britannique aux institutions écossaises, qui servira de baseline pour l’allocation de l’année suivante. Ainsi, les changements sont peu à peu intégrés dans le budget écossais, si bien que, selon les estimations du comité de la Chambre des Lords, l’allocation de départ (en 1979) ne représente aujourd’hui plus que 10% du total (House of Lords, 2008). L’allocation calculée par la formule Barnett est en réalité un mécanisme de péréquation financière entre les différentes nations britanniques (McLean et al. 2014) . Or, la formule Barnett est vivement critiquée dans le Royaume-Uni, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, il n’y a aucune prise en compte des besoins réels en matière de dépenses publiques. Deuxièmement, le calcul ne prend pas en compte les évolutions récentes des populations entre elles (House of Lords, 2008). Enfin, l’utilisation de la formule Barnett donne une place privilégiée à l’Angleterre dans la détermination des dépenses au Royaume-Uni, comme nous le dit le comité de la Chambre des Lords: « the overall structure of public spending continues to reflect decisions about priorities in England » (2008, p.18). Si le gouvernement écossais peut répartir les dépenses comme il l’entend, ses recettes restent affectées par la situation en Angleterre. Ainsi, son autonomie est limitée par l’utilisation de la formule Barnett. 101 En réalité, 8,4%, mais pour des besoins de simplification, le comité de la Chambre des Lords a préféré utiliser un chiffre rond, soit 10%. 102 Les pourcentages sont détaillés dans l’annexe B du Statement of Funding Policy de 2010 (HM Treasury, 2010) 68 sur 107 Cependant, l’Ecosse est globalement bénéficiaire dans ce système. Sa population représente environ 8,4% du total britannique, ce qui est également sa part (8,2%)103 dans les impôts prélevés dans l’ensemble du Royaume-Uni.104 Or, les dépenses faites en Ecosse sont supérieures aux revenues prélevés: selon les chiffres du Scottish Government, elles comptent pour 9,3% du total britannique. Ceci a permis aux écossais de bénéficier d’un taux de dépenses par personne plus élevé que la moyenne britannique, comme le montre le tableau 8: ! TABLEAU 8: DÉPENSES PUBLIQUES PAR PERSONNE EN ECOSSE ET AU ROYAUME-UNI DEPUIS 2007! ! 2007-2008 2008-2009 2009-2010 2010-2011 2011-2012 Ecosse £10 786 £11 302 £11 829 £12 133 £12 134 Royaume-Uni £9 497 £10 184 £10 764 £11 008 £ 10 937 Différence £ 1 289 £1 118 £ 1 065 £ 1 125 £ 1 197 Indice (RU=100) 113,6 110 109,9 110,2 110,9 Source: McCrone, 2013 ! Les dépenses publiques par personne (qui sont réalisées à la fois par le gouvernement écossais et par le gouvernement britannique) sont ainsi en moyenne 10% plus élevées en Ecosse qu’au Royaume-Uni. Or, cela ne correspond pas aux besoins réels de l’Ecosse, notamment par rapport aux autres nations britanniques, comme le montre le tableau 9: ! ! ! ! ! ! ! ! 103 Source: Government Expenditure and Revenues Scotland 2014, Scottish Government. 104 Les données sur les recettes et les dépenses publiques au Royaume-Uni et en Ecosse prennent toujours en compte la présence du pétrole dans la mer du Nord, et effectue une distinction entre une répartition par tête des revenues du pétrole et une répartition géographique. Si l’on prend une répartition géographique, l’Ecosse contribue pour 9,1% des impôts prélevés dans l’ensemble du Royaume-Uni. 69 sur 107 TABLEAU 9: INDICES DES DÉPENSES PUBLIQUES IDENTIFIABLES PAR TÊTE, DU PNB PAR HABITANT ET DES REVENUS PAR MÉNAGE DANS LES QUATRE NATIONS BRITANNIQUES EN 2010-2011 (ROYAUME-UNI = 100)! ! Dépenses publiques par tête PNB par tête Revenus par ménage Angleterre 97 102 101 Ecosse 114 99 96 Pays de Galle 113 74 88 Irlande du Nord 120 76 86 Source: McLean et al. 2014, p.151 ! Les dépenses publiques en Ecosse sont donc supérieures par rapport aux besoins réels: l’Ecosse est relativement riche par rapport au reste du Royaume-Uni, mais possède un taux de dépenses publiques important. Par exemple, son indice est au dessus de celui du Pays de Galles, alors que les indicateurs de richesse (PNB par tête et revenus par ménage) sont largement au dessus. La péréquation est donc relativement mauvaise, et bénéficie à l’Ecosse, notamment à travers la formule Barnett, qui est basée sur la population et non sur les besoins (McLean, 2014). C’est en ce sens que McCrone pense qu’une réforme de la formule Barnett amènerait l’Ecosse à devoir baisser ses dépenses publiques (McCrone, 2013). Au final, si l’Ecosse jouit d’une autonomie presque totale dans la nature de ses dépenses, ses revenus sont étroitement liés à la situation en Angleterre, ce qui a l’inconvénient de limiter sa liberté de modulation mais lui permet d’être relativement favorisée dans la distribution des ressources. Les réformes du Scotland Act 2012 visent à lier davantage dépenses et recettes, et ainsi à apporter plus de responsabilité aux Parlement et gouvernement écossais dans leurs décisions. Cependant, les possibilités pour davantage de dévolution existent et sont même soutenues à la fois par la population et par la classe politique écossaise dans son ensemble, surtout depuis que l’indépendance est devenue une possibilité sérieuse. ! ! ! ! 70 sur 107 II/ Plus de dévolution ? Devo-Plus, Devo-More et Devo-Max en question ! « There is widespread support for the introduction of further devolution within the framework of the Union. Nearly three-quarters say that it is either their first or their second choice for how Scotland should be governed » (Curtice, 2013, p.10). C’est ainsi que John Curtice analyse les résultats du SSAS 2013 concernant les pouvoirs des institutions écossaises. Plusieurs questions se posent cependant: à quoi ressemblerait un nouvel acte de la dévolution ? Qu’est-ce qui pourrait être dévolu, comment et pourquoi ? Avec quels effets ? Nous allons tenter de répondre à ces questions, avant d’analyser trois projets d’extension de la dévolution: Devo-Plus, Devo-More et Devo-Max. Si les deux premières options s’interrogent sur la possibilité de transférer davantage de pouvoirs fiscaux à l’Ecosse, le projet Devo-Max, qui reste le plus populaire (Curtice, 2013), propose une quasi-indépendance, statut dont jouit le pays basque espagnol et il s’inspire. ! A) Les possibilités pour réduire le déséquilibre fiscal et « renforcer la dévolution » ! Le principal point d’intérêt d’une nouvelle réforme de la dévolution concerne le volet fiscal précédemment évoqué. Il s’agirait en effet de remédier au déséquilibre fiscal vertical, particulièrement élevé au Royaume-Uni105, et ainsi rendre le Parlement écossais plus responsable financièrement de ses décisions. C’était l’un des objectifs de la Commission Calman, et donc du Scotland Act 2012, même si l’on a montré que cela n’était pas suffisant. Pour y remédier, les différents projets qui ont été publiés préconisent la dévolution de différentes taxes aux institutions écossaises, et ce afin de garantir que les dépenses effectuées en Ecosse seront, dans la mesure du possible, financée par les impôts directement prélevés en Ecosse. Il existe trois grandes taxes qui pourraient être dévolues aux institutions écossaises: l’impôt sur le revenu dans sa totalité (income tax), l’impôt sur les sociétés (corporation tax) et les cotisations sociales (National Insurance). Celles-ci sont aujourd’hui gérées par le gouvernement britannique pour l’ensemble du Royaume-Uni, sauf pour l’impôt sur le revenu, qui bénéficie d’un abattement en Ecosse (voir supra). Leur dévolution signifierait que les institutions écossaises seraient en mesure 105 « The UK has one of the higher scores for VFI {Vertical Fiscal Imbalance ou déséquilibre fiscal vertical en français} among OECD member states » McLean et al., 2014, p. 144. 71 sur 107 de fixer des taux différents de ceux du Royaume-Uni, ainsi que de déterminer les contribuables imposables et ainsi favoriser telle ou telle partie de la population, et ce en fonction du projet politique. L’impôt sur le revenu est celui qui semble le plus enclin à être dévolu. Son assiette est clairement identifiable, ce qui assure que ce sont bien les contribuables écossais qui participent au financement de leurs institutions. Il représente 10 865 millions de livres, soit 23%106 des impôts prélevés en Ecosse hors ressources issues du pétrole de la mer du Nord107 (GERS 2014). La dévolution totale permettrait au Parlement écossais de décider de l’assiette, des tranches et des taux, et donc de faire varier les revenus issus de cet impôt de façon substantielle tout en poursuivant des buts politiques et sociaux, et notamment une redistribution des richesses. McLean, Gallagher et Lodge notent cependant trois obstacles à une dévolution de l’impôt sur le revenu (McLean et al., 2014): le coût administratif lié à la perception de deux impôts différents par l’office britannique de collecte des impôts (Her Majesty Revenue and Customs, HMRC), la rupture de l’égalité devant l’impôt dans l’ensemble du Royaume-Uni pour les citoyens britanniques, et la possibilité d’une course vers la bas (race to the bottom, p.95) entre les gouvernements écossais et britannique pour attirer les plus hauts revenus. McCrone ajoute également que la soustraction au Trésor britannique de la somme de l’impôt sur le revenu écossais représentait une perte considérable qui serait difficile à combler, d’autant plus en temps de crise des finances publiques (McCrone, 2013). L’impôt sur les sociétés est également considéré par beaucoup comme un candidat sérieux à la dévolution (Commission on Scottish Devolution, 2009; McCrone 2013; McLean 2014). Il représente 2 872 millions de livres, soit 6% des taxes prélevées en Ecosse, sans l’inclusion des revenus de la mer du Nord, qui sont une manne fiscale importante en ce qui concerne la taxation sur les sociétés (voir supra). Le soutien pour le transfert de l’impôt sur les sociétés aux institutions écossaises s’appuie dans une large mesure sur le succès de la République d’Irlande voisine, dont le taux relativement bas 106 Voir annexe 4, p. 106 pour le détail des taxes prélevées en Ecosse. 107 L’inclusion des revenus du pétrole dans la base fiscale de l’Ecosse est toujours difficile, c’est pourquoi la plupart des statistiques sont données à la fois en prenant en compte les revenus du pétrole et en les excluant. La raison principale de cette difficulté il n’existe pas de délimitation officielle des eaux territoriales écossaises. La coutume est d’utiliser deux moyens de calcul: soit on considère que le pétrole qui se trouve dans la mer du Nord appartient à l’ensemble du Royaume-Uni, dans ce cas l’Ecosse ne reçoit qu’une partie des revenus issus de son exploitation proportionnelle à sa population dans le Royaume-Uni (population share); les revenus ainsi prélevés pour l’Ecosse sont estimés à 552 millions. Soit on considère que le pétrole revient de droit à l’Ecosse (geographical share), en utilisant la répartition faite par Alex Kemp qui donne 98% des ressources à l’Ecosse (voir supra). Dans ce cas, l’impact des revenus issus de l’exploitation pétrolière est bien plus important, puisqu’il représentait en 2013 5 581 millions de livres (GERS 2014). 72 sur 107 (12,5%) de taxation des entreprises a permis d’attirer de grands groupes, notamment dans l’informatique (les sièges européens de Google ou Microsoft sont par exemple installés en Irlande). Ainsi, la détermination d’un taux d’impôt sur les sociétés plus bas en Ecosse est vu comme un moyen de créer de l’activité économique, et donc de la croissance (McCrone 2013, McLean 2014). La Commission Calman avait cependant rejeté cette idée en défendant que la mise en place de différents taux de taxation des sociétés au sein d’un Royaume-Uni serait néfaste pour l’économie britannique: là encore, une « course vers le bas » pourrait avoir lieu entre les différentes nations, avec pour conséquence une hausse de rentrées fiscales dans la nation « vainqueur », mais une baisse dans toutes les autres (Commission on Scottish Devolution, 2009). La Commission Calman rappelle également que les possibilités de réduction des taux sont en réalité minces, étant donné l’état des finances publiques. De plus, McCrone insiste sur le fait que cela créerait des disparités dans le Royaume-Uni, et rappelle qu’un taux plus bas signifie une baisse de rentrées fiscales108 qui ne sera pas forcément comblée par l’arrivée de nouvelles entreprises (McCrone, 2013), Enfin, McLean, Gallagher et Lodge soulignent que la baisse du taux de taxation sur les entreprises ne s’accompagnent pas forcément d’un retour de l’activité économique (McLean, 2014).109 Enfin, les cotisations sociales représentent une autre source importante de revenus fiscaux en Ecosse. Connues au Royaume-Uni sous le nom de National Insurance, elles s’élèvent en Ecosse à 8 521 millions de livres, soit environ 18% du total des impôts. Comme dans tous les Etats-providence, ces cotisations servent à financer les dépenses sociales, et notamment les aides (allocations chômage et pensions de retraite). Or, ces compétences sont réservées au Parlement de Westminster, qui est charge du welfare state pour tout le Royaume-Uni et donc responsable de l’équité dans les dépenses sociales pour tous les citoyens britanniques. La dévolution des cotisations sociales semble ainsi difficilement envisageable tant que la gestion du welfare state reste un domaine réservé du Parlement britannique110. 108 Une baisse du taux actuel de 23% à 12,5%, soit celui de l’Irlande, serait synonyme d’une perte de 1 724 millions de livres par an, soit environ 3,6 des ressources fiscales de l’Ecosse hors pétrole (IPPR, 2013). 109 Les auteurs notent que ce sont essentiellement les profits imposables qui sont transférés dans un pays à faible taxation des entreprises, et non des emplois. Ils proposent d’étudier la recommandation faite par une commission sur la dévolution au Pays de Galles d’appliquer un taux réduit pour les entreprises qui emploient effectivement de la main d’oeuvre dans le pays. 110 Comme nous l’avons souligné plus haut, le Royaume-Uni est une Union sociale, qui garantit à tous ses citoyens le même accès à la sécurité sociale (voir par exemple McLean et al., 2014, p.118-142.). Une dévolution de la sécurité sociale est aujourd’hui très peu probable, même si le projet Devo-Max le recommande (voir infra). 73 sur 107 Enfin, certaines taxes mineures et indirectes sont également candidates à la dévolution, comme celles sur des produits de consommation (alcool, tabac, voitures). Plus que les rentrées fiscales, ce sont les potentiels en termes de politiques publiques qui sont mis en avant dans leur dévolution (McLean, 2014). Au final, si l’on considère toutes les possibilités de dévolution, l’Ecosse pourrait bénéficier d’une autonomie fiscale beaucoup plus étendue. Cependant, il existe un autre moyen de donner plus de ressources au Parlement écossais sans pour autant transférer l’administration des taxes au gouvernement: l’assignation. Il s’agit en fait d’affecter les recettes d’une taxe spécifique à une institution sans pour autant lui en confier la responsabilité. Dans le cas de l’Ecosse, cela consisterait à accorder les recettes fiscales de certaines taxes et impôts prélevés en Ecosse directement au budget écossais, sans passer par l’échelon central. Cependant, la détermination des modalités de taxation serait toujours du ressort du Parlement britannique. L’exemple le plus courant est celui de la TVA. Comme le rappelle la Commission Calman, la dévolution de la TVA n’est pas envisageable, car les règles européennes interdisent que des taux différents de TVA soient appliqués au sein d’un même Etat111. Or, la TVA est la deuxième rentrée fiscale en Ecosse, avec un total de 9 347 millions de livres, soit 19,7% du total des impôts. Il pourrait donc être intéressant d’assigner les ressources issues de la TVA aux institutions écossaises. Les autres impôts d’importance potentiellement assignables sont ceux provenant de l’exploitation pétrolière. McCrone nous rappelle que si l’assignation de taxes a l’avantage de lier revenus et dépenses en Ecosse et encourage le gouvernement à soutenir l’activité économique pour augmenter ses revenus112, elle présente également l’inconvénient d’être une source volatile de revenus, surtout concernant les revenus du pétrole (McLean et al., 2014), par rapport à une allocation du gouvernement central. Ainsi, les possibilités pour accorder plus d’autonomie fiscale aux institutions écossaises existent et pourraient être viables. C’est dans ce sens qu’elles sont défendues, 111 « The European Commission clearly see regional variations as disruptive to the objectives of a single market, whilst also rejecting the application for a number of regional derogations on the basis they would constitute State Aid » Commission on Scottish Devolution, 2009, p.75 112 « Some people regard tax assignment as pointless if tax rates cannot be altered. But it would tie Scottish public expenditure more closely to the revenue actually generated in Scotland, enable the block grant {allocation du gouvernement central} to be much smaller and perhaps give less scope to taxpayers elsewhere in the UK to complain about unfair funding of Scotland. And, if Scottish government was able to encourage the growth of economy, some of the benefit from that would accrue to it through higher tax revenue » McCrone, 2013, p. 53-54. 74 sur 107 avec des modalités différentes, par différents projets qui ont émergés à la suite de la Commission Calman. ! B) Les différents projets: Devo-Plus, Devo-More et Devo-Max Si les partis unionistes ont tous publié leurs points de vue sur une nouvelle vague de dévolution, les projets les plus concrets viennent de deux think tanks. Le premier, unioniste et de centre-droit, est Reform Scotland. Il a publié un rapport, « Devolution Plus », en 2011, présenté au Parlement écossais et qui a entraîné une campagne de revendication en 2012 pour l’adoption de ces propositions (Duclos, 2014). Le projet est aujourd’hui connu sous le nom de Devo-Plus. Le second est également unioniste mais de centre-gauche: c’est l’Institute for Public Policy Research (IPPR). Il a également publié une suite de rapports113 pour détailler son projet intitulé Devo-More. Ces deux options, que nous détaillerons plus bas, sont les plus discutées aujourd’hui en attente d’une position commune des grands partis unionistes (McCrone 2013, Duclos 2014, McLean 2014). Enfin, le gouvernement écossais a proposé en 2010 un projet de dévolution très poussé, appelé communément Devo-Max, qui serait une sorte «d’indépendance dans le RoyaumeUni »114. ! ! ! 1) Devo-More: le prochain acte de la dévolution ?!! Le projet Devo-More ne concerne pas seulement l’Ecosse. Il propose de « raffermir l’union britannique et d’améliorer le régime de dévolution » (Duclos, 2014, p.267). Il a donc l’avantage de considérer toutes les nations britanniques, et veut remédier à l’asymétrie de la dévolution (voir supra). Ainsi, les propositions du projet Devo-More sont celles qui ont le plus de chance d’être adoptées d’ici quelques années (McCrone, 2013). Que serait l’Ecosse sous un régime Devo-More ? L’objectif affiché, à terme, est de rendre responsable le Parlement écossais de 55% à 60% de ses dépenses, bien au-delà donc des 30% prévus par le Scotland Act 2012. Cet objectif serait atteint par un transfert d’impôts relativement conséquent. Premièrement, il s’agirait de confier la totalité de l’impôt 113 Voir notamment Funding Devo-More: Fiscal Options for Strengthening the Union, Institute for Public Policy Research, Londres, janvier 2013 114 Pour reprendre une expression de Donald Dewar premier First Minister travailliste de l’Ecosse dévolue et grand artisan de la dévolution (Pittock, 2008) 75 sur 107 sur le revenu aux gouvernements dévolus, ainsi que certains impôts indirects (tabac et alcool) et les impôts fonciers (déjà dévolus par le Scotland Act 2012). Deuxièmement, le projet se prononce pour l’assignation partielle des revenus de la TVA (10 points sur l’actuel taux de 20%), ce qui aurait l’avantage de minimiser l’influence des politiques anglaises dans le financement des institutions dévolues et pourrait soutenir l’activité économique dans les nations britanniques115. L’IPPR considère également que la dévolution d’une part démographique des revenus sur le pétrole ainsi que de la taxe sur les sociétés peut être envisagée dans le futur. L’ensemble donnerait au Parlement écossais la responsabilité de lever 60,6% de ses ressources. Les 40% restants continueraient d’être à la charge du Parlement britannique à travers une allocation qui serait revue à la baisse. Le taux de couverture des dépenses serait similaire pour le Pays de Galles et l’Irlande du Nord, ce qui permet de considérer le projet comme possiblement acceptable par l’ensemble des gouvernements dévolus. C’est en sens que le projet Devo-More pourrait largement influencer le prochain acte de la dévolution. ! ! 2) Devo-Plus: vers la fin du déséquilibre vertical! ! Le projet Devo-Plus se propose de « combler le fossé fiscal»116. Concrètement, il s’agirait de mettre un terme au déséquilibre fiscal vertical en permettant que toutes les dépenses entreprises par les institutions écossaises soient financées par des taxes prélevées en Ecosse par ces institutions117. Le projet se développe en trois phases: à chacune d’elle de nouveaux pouvoirs fiscaux seraient transférés à Holyrood pour atteindre un taux de couverture des dépenses proche de 100% (Devo-Plus Group, 2012). La première étape verrait la dévolution totale de l’impôt sur le revenu, dans le but d’atteindre un taux de couverture de 51%. Elle pourrait être mise en place dès le prochain mandat parlementaire au Royaume-Uni et en Ecosse, soit d’ici 2015. La deuxième étape consisterait en la dévolution de l’impôt sur les sociétés, d’ici 2020. Enfin, la dernière étape viserait à réduire presque complètement le fossé fiscal, en transférant l’ensemble des 115 « However, assigning 10 VAT points (of the present 20) would produce a substantial block of income for devolved governments, not subject to the constraints and problems of the block grant, and one which is both likely to grow over time and which gives them a direct incentive in securing further economic growth » IPPR, 2013, p.29). 116 « Closing the fiscal gap », McLean, 2014, p.103 117 « Both Holyrood and Westminster accountable, as far as possible, for raising what they spend in Scotland », Devo-Plus Group, 2012, p.6 76 sur 107 taxes au Parlement écossais, dont les revenus liés à l’exploitation pétrolière suivant un partage géographique. Seules les cotisations sociales et de la TVA resteraient gérées par le gouvernement britannique. Selon les prévisions du Devo-Plus Group, le Parlement d’Holyrood serait responsable financièrement de 96,24% des dépenses qu’il engage. Il serait alors dans une position forte pour soutenir la croissance et gérer au mieux l’Ecosse avec les ressources écossaises. L’allocation du gouvernement britannique serait donc purement et simplement supprimée. Si ce projet semble intéressant, McLean et al. pensent qu’il est « irréaliste » (McLean et al., 2014, p.105). Pour eux, l’Ecosse devrait toujours être soutenue par une allocation du gouvernement central, qui serait certes réduite, mais resterait d’importance. En effet, il semble difficile d’arriver à une autonomie fiscale quasiment totale, ou du moins à une réduction drastique du déséquilibre fiscal vertical. D’abord parce que le pari serait risqué. Les institutions écossaises seraient alors très dépendantes d’un petit nombre de taxes et d’impôts: la moitié des recettes viendrait de deux impôts (l’impôt sur le revenu, qui rapporterait 30% des ressources; et les taxes sur l’exploitation du pétrole, estimé à 22%), dont l’un est extrêmement volatile118. Ensuite parce qu’une telle dévolution n’aurait que très peu de chance d’être acceptée par les institutions britanniques. En effet, si l’Ecosse se retrouvait avec une quasi-autonomie fiscale, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord seraient en mesure de demander un transfert de pouvoirs similaire, sans quoi l’asymétrie entre les différentes nations britanniques serait encore plus marquée (McCrone, 2013). McLean et al. nous expliquent pourquoi un tel projet ne serait pas possible: ! « while Scotland tax base is relatively strong, especially if oil is taken into account, tax revenues un Wales and Northern Ireland are estimated much lower. If such a system applied there, very large reductions in public expenditure would follow. Within the Uk, the principle of distributing according to need, rather than where tax revenues arise, has always been a strong one, though never successfully put into operation » (2014, p.104). ! Ainsi, le projet Devo-Plus, bien qu’il présente de nombreux attraits, ne semble pas pour l’instant être à l’ordre du jour. Il en va de même pour la Devo-Max. ! ! 118 Voir tableau 2, p.27 77 sur 107 ! ! 3) Devo-Max: une quasi-indépendance ! Le projet de dévolution maximum, ou Devo-Max, est défini ainsi par le gouvernement écossais: « Devolution max would give the Scottish Parliament and Government responsibility for almost all domestic matters and most revenues and public spending in Scotland. The Uk Parliament and Government would continue to have responsibility for defense, foreign affairs, financial regulation, monetary policy and the currency » (cité dans Duclos, 2014, p. 266). L’Ecosse serait donc entièrement autonome dans la gestion de ses affaires internes (le welfare state devenant ainsi écossais et non plus britannique). L’ensemble des dépenses publiques seraient financées par les taxes prélevées en Ecosse par le Parlement écossais: les domaines régaliens (défense, affaires étrangères, monnaie) ainsi que la régulation du système financier feraient l’objet d’une allocation de l’Ecosse vers le reste du Royaume-Uni. Le point de comparaison principal d’un tel système est le Pays Basque espagnol qui bénéficie d’une très grande liberté dans la gestion de sa fiscalité. Cependant, Colino nous rappelle que le statut du Pays Basque est très critiquable, et qu’il s’accompagne par ailleurs d’aspects négatifs considérables pour les autres régions espagnoles (Colino, 2012). En outre, la sécurité sociale est toujours gérée par le gouvernement central. La question qui se pose est donc de savoir à quel point cette situation de divergence fiscale serait tenable au sein d’un Etat unitaire, pour les raisons précédemment évoquées: équité et solidarité entre les différentes composantes de l’Etat, soutenabilité financière. Le projet Devo-Max est radical, et s’approche de l’indépendance. Le gouvernement nationaliste en a longtemps fait son objectif secondaire, après l’indépendance. Cependant, et malgré le soutien de la population écossaise pour une option proche de la Devo-Max, il est difficilement envisageable que celle-ci aboutisse. Elle affaiblirait en effet grandement le Royaume-Uni dans ses principes sociaux et économiques. ! ! ! ! ! ! 78 sur 107 Chapitre 2 : L’Ecosse indépendante: possibilités et enjeux! ! Le choix qui est donné aux Ecossais le 18 septembre ne porte cependant pas sur la continuation du processus de dévolution, mais bien sur l’indépendance vis-a-vis du Royaume-Uni. C’est donc un choix radical, qui aboutira soit à la création d’un nouvel Etat en mars 2016119; soit à la continuation de l’Union, dans des modalités qui restent à déterminer (voir supra). Comme les unionistes aiment à le rappeler, si les Ecossais se prononcent pour l’indépendance, il n’y aura pas de retour en arrière possible. Le traité d’Union de 1707 prendra fin, créant d’un côté un nouvel Etat écossais, et de l’autre un Royaume-Uni amputé d’un tiers de son territoire et d’environ 9% de sa population. Les conséquences du référendum du 18 septembre sont donc loin d’être négligeables, et c’est en ce sens que ce vote est historique: il a la potentialité de bouleverser considérablement le paysage politique, économique et social d’une grande démocratie européenne. Notre étude se basera largement sur les propositions faites par le gouvernement nationaliste au pouvoir, car il est le seul à avoir publier, dans son livre blanc intitulé Scotland’s Future, Your Guide to Independence (2013), une vision détailler et complète de ce à quoi une Ecosse indépendante pourrait ressembler. Précisons cependant que la campagne référendaire pour le Oui n’est pas organisée par le seul SNP, mais par une coalition de partis et d’intérêts, dans laquelle on retrouve notamment le Scottish Socialist Party ou bien les Verts. I/ Les enjeux économiques ! Comme nous l’avons vu précédemment, les questions économiques sont au coeur du débat. Le principal argument des nationalistes est que l’Ecosse a été économiquement mal gouvernée depuis une quarantaine d’années par les gouvernements britanniques successifs, qu’elle a été longtemps « sous-performante » (Leydier, 2006) par rapport à d’autres petits pays comparables. Nous avons montré que si l’Ecosse est juste sous la moyenne britannique en termes de performance économique, elle a cependant largement rattrapé son retard lors des vingt dernières années, et est aujourd’hui une nation riche avec une économie forte. C’est pourquoi l’ensemble de la classe politique écossaise et 119 Le gouvernement écossais a en effet affirmé qu’en cas de vote positif, l’indépendance serait effective dix huit mois après, soit environ en mars 2016. Le laps de temps serait utilisé pour négocier toutes les dispositions avec le Royaume-Uni, l’UE et les organisations internationales. 79 sur 107 britannique s’accorde à dire que l’Ecosse pourrait être « a successful independent country » 120. Il existe cependant trois questions majeures concernant le futur économique d’une Ecosse indépendante: l’importance du pétrole, la question de la monnaie, et enfin la potentialité pour l’Ecosse de s’en sortir mieux sans le reste du Royaume-Uni. ! ! A) La question du pétrole Les ressources pétrolières constituent sans aucun doute le fil rouge de l’indépendance écossaise. Leur découverte dans les années 1970 a déclenché une vague de soutien aux nationalistes. La possibilité de compter sur les larges revenus issus de la mer du Nord a donné une consistance au projet économique du SNP, et a permis d’entrevoir la prospérité dans une période de crise. La stratégie des nationalistes est aujourd’hui de se démarquer de la dépendance au pétrole, de montrer que l’Ecosse pourrait s’en sortir seule même sans les revenus issus de son exploitation. C’est pourquoi les revenus du pétrole sont souvent exclus des estimations avancées par le gouvernement nationaliste dans son livre blanc Scotland’s Future (Scottish Government, 2013). Cependant, La volatilité de ceux-ci, ainsi que le déclin annoncé de la production, posent le question de la durabilité et la viabilité d’un projet économique, qui reste, quoiqu’en disent les nationalistes, basé dans une large mesure sur les ressources naturelles. Les possibilités d’exploitation des ressources naturelles offshore dans une Ecosse indépendante se heurtent à un certain nombre d’interrogations. La première, et peut être la plus importante, concerne la répartition desdites ressources entre l’Ecosse et le reste du Royaume-Uni. En effet, il n’existe actuellement aucun accord officiel sur le découpage des eaux territoriales qui serait mis en place après l’indépendance. Les négociations s’annoncent difficiles et d’importance, car il est difficile de croire que le Royaume-Uni laissera facilement s’échapper un atout économique aussi important. Il n’empêche que certaines estimations font aujourd’hui l’objet d’un consensus officieux: ce sont celles proposées par Alex Kemp, professeur à l’Université d’Aberdeen, historien et spécialiste reconnu du pétrole de la mer du Nord. Kemp considère que la théorie de la ligne médiane est celle qui a le plus de chances d’être retenue (in Goudie, 2013): le tracé des frontières se ferait suivant une ligne virtuelle dont les points seraient tous à une même distance des côtes écossaises et britanniques. Cette ligne est déjà utilisée dans le cadre de la pêche 120 Les leaders de l’opposition unioniste l’ont tous reconnu publiquement. Voir: http://www.snp.org/mediacentre/news/2014/aug/scotland-can-be-successful-independent-country 80 sur 107 (qui est un domaine dévolu) pour séparer les eaux territoriales écossaises et britanniques, et est représentée dans l’illustration 1: ! ILLUSTRATION 1: DÉMARCATION DE LA PLAQUE CONTINENTALE BRITANNIQUE SUIVANT LA THÉORIE DE LA LIGNE MÉDIANE! Source: Alex Kemp, ‘North Sea oil and Gas’ in Goudie, 2013 ! Or, toujours selon Kemp, ce procédé garantirait à l’Ecosse 98,8% de la production pétrolière et gazière britannique des 30 prochaines années, et 90% des revenus fiscaux liés. Elle serait alors le premier pays pétrolier d’Europe, avec 60% du pétrole européen sur son territoire, et le deuxième pays gazier derrière les Pays-Bas (Scottish Government, 2013). On comprend alors que les ressources pétrolières aient une telle place dans les 81 sur 107 discussions: elles pourraient largement contribuer à la richesse d’une Ecosse indépendante. La deuxième interrogation porte sur l’utilisation des revenus ainsi collectés. Le SNP, aujourd’hui au pouvoir, s’est prononcé de longue date pour la création d’un fonds souverain alimenté par les impôts sur le pétrole et le gaz. La mise en place d’un tel fonds montre la prise en compte du caractère épuisable des ressources pétrolières et gazières; son objectif est de capitaliser sur les larges excédants fiscaux actuels afin de créer un stock de devises permettant d’investir pour le futur, quand ces ressources auront disparu. Un fonds de cette nature peut également être utilisé pour soutenir certaines dépenses, comme les allocations retraite, ou bien des investissements durables, comme dans les énergies renouvelables. Le pays pris en exemple par les nationalistes est la Norvège, qui a constitué un fonds de plus de 500 milliards de livres en 2012 qu’elle utilise pour accroître son importance dans l’économie mondiale121 et soutenir l’économie nationale en temps de crise (Camp-Pietrain, 2014). La création d’un fonds souverain en Ecosse a été refusée dans les années 70 par le gouvernement britannique122. Les nationalistes déplorent ainsi le gaspillage des ressources pétrolières et gazières, et accusent le gouvernement britannique d’avoir mal géré l’un des principaux atouts de l’Ecosse (Duclos, 2014). Le SNP avance que si un fonds souverain avait été créé dans les années 1990, il serait aujourd'hui d’une valeur d’environ 120 milliards de livres (Camp-Pietrain, 2014, p.125). Dans une Ecosse indépendante, le gouvernement écossais se propose de créer un fonds souverain, baptisé Energy Fund, qui serait alimenté dès que la conjoncture économique serait favorable, et au plus tard d’ici 2016 (Scottish Government, 2013). Si un milliard est déposé chaque année, le fonds pourrait valoir 30 milliards de livres d’ici 20 ans (McCrone, 2013). Il serait alors utilisé à court terme pour soutenir les finances publiques en cas d’année difficile et pour compenser la volatilité des prix des ressources naturelles, et à long terme pour assurer la crédibilité de l’Ecosse sur les marchés financiers et investir pour les générations futures (Scottish Government, 2013; Duclos, 2014). Cependant, la création d’un fonds souverain suppose qu’un gouvernement écossais indépendant devra se passer d’une partie non négligeable de revenus fiscaux, ce qui peut de mettre en danger la situation budgétaire du pays (McLean et al., 2014). 121 Camp-Pietrain avance que Norvège posséderait ainsi 2,5% des parts de chaque société européenne côtés en bourse (2014, p.125). 122 Les institutions locales des îles Shetlands, au large desquelles une partie importante des ressources pétrolières est située (la capitale, Lerwick, est le deuxième terminal britannique après Aberdeen) ont créé un fonds local grâce aux revenus du pétrole. Il est estimé aujourd’hui à 200 milliards de livres, et a permis de soutenir les dépenses sociales dans les îles, ainsi que des investissements dans des infrastructures pour la population. 82 sur 107 Au-delà de ces deux interrogations principales, Kemp relève également d’autres points d’ombre sur le futur de l’industrie pétrolière dans une Ecosse indépendante, et notamment la question des licenses d’exploitation ou des futurs taux de taxation sur les exploitants (in Goudie, 2013). Ces deux derniers aspects sont en effet gérés par le Royaume-Uni, qui a acquis en la matière une solide expérience et a construit une large administration, ce qui lui permet de limiter les coûts et donc de maximiser les revenus tirés de l’exploitation. Si le gouvernement écossais a assuré vouloir s’inscrire dans la continuité de l’administration britannique, Kemp s’interroge sur la capacité réelle d’un gouvernement indépendant à gérer de telles ressources, du moins dans les premières années, et également sur le climat d’incertitude qui risquerait de se créer entre les entreprises, en grande majorité britanniques ou étrangères, et le gouvernement écossais. !! B) La question de la monnaie ! L’avenir monétaire d’une Ecosse indépendante est certainement le sujet qui a le plus fait couler d’encre depuis le début de la campagne référendaire. Il faut dire que les positions des deux administrations sont fortement contradictoires, et entretiennent la confusion., si bien qu’à l’approche du vote, aucun consens ne semble se dessiner. Les unionistes utilisent largement l’incertitude liée à la question monétaire pour mettre en avant les risques liés à l’indépendance. Concrètement, quatre options s’offrent à une Ecosse indépendante: l’utilisation de la livre, soit dans une union monétaire avec le reste du Royaume-Uni, soit de façon sauvage, l’adoption de l’euro, ou bien la création d’une nouvelle monnaie. Après avoir soutenu dans un premier temps l’adoption de l’euro, le gouvernement nationaliste a revu sa position dans son livre blanc pour l’indépendance. Faisant suite au rapport de sa commission d’experts sur l’économie123, il a dorénavant pour plan A de garder la livre dans une union monétaire avec le reste du Royaume-Uni. Sa position s’appuie sur deux arguments. Le premier est historique: pour les nationalistes, la livre n’est ni anglaise, ni écossaise, mais bien britannique. Il reviendrait alors de droit à l’Ecosse de continuer à utiliser une monnaie qu’elle a constituée à créer. Le second est économique. Le Fiscal Commission Working Group souligne qu’il serait dans l’intérêt des deux parties que l’Ecosse et le Royaume-Uni continuent leur union monétaire. Nous avons montré que l’Ecosse est étroitement liée économique au reste du Royaume-Uni (voir 123 Le Fiscal Commission Working Group , voir supra. 83 sur 107 supra): deux tiers de ses exports sont en effet réalisés vers le marché britannique, tandis qu’elle est le premier partenaire commercial du reste du Royaume-Uni (Fiscal Commission Working Group, 2013). Les deux forment un marché commun pour les biens comme pour les personnes, qui continuerait très probablement a existé, même en cas d’indépendance écossaise. Or, le maintien d’une union monétaire serait le meilleur moyen pour que les échanges au sein de ce marché commun se fassent à moindre coût, et ainsi assurer aux agents économiques des profits similaires. Le secteur de la finance est celui qui aurait par exemple le plus à perdre d’une rupture. Cependant, une union monétaire entre l’Ecosse et le reste du Royaume-Uni est loin d’être garantie: si Alex Salmond affiche sa confiance124, les dirigeants économiques britanniques, et notamment le Chancelier de l’Echiquier George Osborne, ont affirmé leur totale opposition à cette option125. Or, aucun Etat souverain ne peut forcer un autre à conclure une union. Enfin, de nombreux observateurs ont soulevé le fait qu’une union monétaire suppose un certain degré de convergence économique et fiscale, ainsi qu’un transfert de souveraineté, de la part des deux parties. Les possibilités de mener des politiques macro-économiques complètement différentes seraient dès lors limitées par la monnaie commune, comme le montre l’exemple de la zone euro. Se pose alors l’opportunité et la réalité de l’indépendance, dont l’objectif clair et revendiqué est de marquer la divergence de l’Ecosse par rapport au reste du RoyaumeUni, si la gouvernance économique de l’Ecosse reste coordonnée par la Banque d’Angleterre, qui ferait office de banque centrale pour les deux Etats. Qui plus est, comme le rappelle John Kay126 (in Goudie (ed), 2013), l’importance de l’Ecosse dans cette union serait très faible,. Kay nous dit même que ! « the degree of autonomy Scotland would enjoy in fiscal policy might differ vey little from the modest amount Scotland currently enjoys under the allocation of a block grant within the UK. {…} Monetary policy for Scotland would therefore be determined by a mechanism over which Scots and Scottish interests would have at best marginal influence and, by design, no political influence » (in Goudie (ed), 2013, p. 111-112). ! 124 Lors d’un débat télévisé en août 2014 entre Salmond et Darling, le premier a refusé de répondre à une question du second concernant le « plan B » du gouvernement écossais quant au choix de la monnaie écossaise, assurant que l’Ecosse continuerait d’utiliser la livre dans une union monétaire. 125 Les nationalistes affirment cependant que cette opposition est uniquement une posture politique pendant la campagne, dont le but est d’effrayer les électeurs indécis. 126 L’auteur rappelle que l’Ecosse ne représente que 8,5% de la population totale du Royaume-Uni, et que sa représentation dans les structures de gouvernance de la Banque d’Angleterre, serait très faible. 84 sur 107 En l’absence d’union formelle, l’Ecosse pourrait également unilatéralement d’utiliser la livre. Ce scénario, souvent référé par le terme « dollarisation », adapté en GrandeBretagne en « sterlingisation » n’est pas considéré comme souhaitable. Il s’agit en effet d’une situation qui est pratiquée par de petits pays (comme l’Equateur ou Monaco) qui se trouvent écraser par le poids économique d’un proche voisin (les Etats-Unis ou la France), dont ils sont largement dépendants économiquement. Le pays n’a en fait aucun pouvoir sur sa politique monétaire et seulement très peu sur sa politique fiscale (Goudie, 2013, McLean et al. 2013): il est obligé de gérer son économie en s’adaptant aux décisions monétaires prises par un pays étranger. Certains parlent même d’une situation de « colonialisme auto-infligé » (la formule est de Gordon Brown et citée dans Duclos, 2014, p214). Nous voyons donc difficilement comment cette position pourrait convenir à une Ecosse indépendante, et personne n’envisage aujourd’hui sérieusement cette option. En revanche, la création d’une nouvelle monnaie écossaise est considérée comme une alternative crédible. Elle est même souhaitée par toute une partie des indépendantistes127, et représente l’option à long terme mis en avant par le Working Group. Il s’agirait probablement d’une livre écossaise128, qui remplacerait le livre britannique. Une banque centrale écossaise serait ainsi créée, et le gouvernement écossais émettrait des bons du Trésor en livre écossaise. McLean et al. considèrent que la nouvelle monnaie écossaise pourrait être soutenue sur les marchés financiers par les revenus du pétrole; elle risquerait cependant d’être aussi volatile qu’eux, si la monnaie a un taux de change flottant (McLean et al., 2013). Une option envisageable pour apporter de la stabilité serait d’indexer la livre écossaise sur une autre monnaie, par exemple la livre britannique ou l’euro. L’indexation permettrait de apporter une crédibilité, et faciliterait les échanges avec le pays référence. Si la livre britannique servait d’index, cela pourrait permettre de limiter les pertes commerciales dues à l’instauration d’un taux de change dans le marché commun britannique. Kay nous rappelle également que deux pays scandinaves relativement prospères (la Suède et le Danemark) utilisent l’indexation de leur monnaie sur une autre (en l’occurrence l’euro), mais que l’indexation a pour conséquence une perte relative d’indépendance financière: la politique monétaire de l’Ecosse serait largement influencée par celle de la monnaie-référence, sur laquelle les 127 Les Verts et le Scottish Socialist Party se sont en effet prononcés pour l’adoption d’une nouvelle monnaie écossaise (Duclos, 2014). 128 Les banques commerciales écossaises ont déjà la possibilité de créer de la monnaie, et les billets en circulation sont différents des billets utilisés dans le reste du Royaume-Uni. 85 sur 107 institutions écossaises ne pourrait avoir de poids (in Goudie, 2013). L’auteur résume ainsi la situation : « The Scandinavian examples illustrate that the option of a distinct Scottish currency, either formally or loosely pegged to a major currency, is an option which can work well, allowing a degree, albeit limited, of economic independence without unacceptable cost and instability for individuals and business » (p. 117) ! Il n’existe pas donc pas d’options garantissant une indépendance monétaire totale de l’Ecosse. Un compromis devra être trouvé entre intérêts commerciaux, politiques macro-économiques divergentes et autonomie financière. Le choix est donc éminemment politique, et explique que la question de la devise ait contribué à envenimer les débats dans une campagne référendaire initialement relativement apaisée129. ! C) L’Ecosse s’en sortirait-elle mieux si elle était indépendante ? ! Nous avons montré précédemment que l’Ecosse est une nation riche, et a notamment rattrapé son retard sur le reste du Royaume-Uni. Elle est aujourd’hui la troisième région britannique, derrière Londres et le Sud-Est de l’Angleterre, et potentiellement le 8ème pays le plus riche de l’OECD (voir supra). Elle possède une économie relativement solide, avec certains secteurs clés. L’argumentation nationaliste vise cependant à promouvoir l’idée que l’Ecosse pourrait être encore plus riche si elle devenait indépendante. Le SNP considère en effet que l’économie écossaise reste en dessous de pays de taille similaire, et veut inscrire l’Ecosse dans « l’arc de prospérité » formé par l’Islande et l’Irlande (avant la crise), ainsi que les pays scandinaves130. L’indépendance permettrait de « libérer les énergies » (Camp-Pietrain, 2014, p.133), et d’adapter les politiques économiques aux intérêts écossais pour soutenir la croissance. En effet, McGregor et Swales nous disent que ! « the argument in principle is that the Scottish government has better information about the Scottish economy and is more responsive to local demands expressed through the ballot box and local media than is the UK Government. In this sense, the government of an 129 Voir sur ce sujet Duclos, 2014, p.201-218). 130 Voir notamment Scottish Government, Nordic Baltic Policy Statement, Edinburgh, 2014 86 sur 107 independent nation that had full fiscal control could more accurately target its tax policies to stimulate growth » (in Goudie, 2013, p. 166) ! Le gouvernement écossais serait donc le mieux placé pour prendre les bonnes décisions pour l’Ecosse. Les pouvoirs fiscaux conférés par l’indépendance lui permettraient ainsi de soutenir certains secteurs-clés de son économie qui ne représentent que peu d’intérêt pour le reste du Royaume-Uni (on pense ici particulièrement à la pêche et à l’agroalimentaire). Par exemple, le gouvernement nationaliste défend depuis longtemps l’abolition de la taxe sur les passagers aériens, ce qui favoriserait le trafic aérien en Ecosse en donc le tourisme. De même, le SNP affirme que l’indépendance permettrait de négocier de façon plus avantageuse les aides européennes pour les agriculteurs, en faisant passer l’ensemble des terres écossaises en zone défavorisée (Camp-Pietrain, 2014). Dans une Ecosse indépendante, le gouvernement écossais pourrait donc prendre les décisions les plus à même de soutenir l’activité économique. Le SNP s’est notamment engagé à mettre en place une politique de l’offre, en accordant des réductions d’impôts pour les PME et en abaissant le niveau de l’impôt sur les sociétés (idem). Cependant, en ce qui concerne les déterminants structurels de la croissance (comme la productivité, le taux d’emploi, la qualification de la main d’oeuvre) McGregor et Swales nous rappelle que le gouvernement écossais possède déjà les principaux leviers d’action (éducation, santé, transport, formation professionnelle) dans le cadre de la dévolution (Goudie, 2013). Le seul levier sur lequel il n’a pas du moyen d’agir est la politique migratoire131, que seule l’indépendance serait en mesure de lui délivrer. En ce qui concerne les dépenses publiques, les observateurs s’accordent à dire que celles-ci resteraient globalement identiques à ce qu’elles sont aujourd’hui132. Cependant, l’Ecosse serait dans une position globalement plus instable qu’actuellement: ! « The greater uncertainty generated by a smaller and more specialised tax base, and the lack of automatic stabilisation, provided by HM Treasury-funded welfare payments under the present arrangements, are likely to make an independent Scotland economically more 131 Le gouvernement SNP, dans son livre blanc, se prononce en faveur d’une politique migratoire accommodante, afin d’attirer une main d’oeuvre qualifiée, notamment grâce à ses universités (Scottish Government, 2013) 132 « An independent Scotland would initially, relying on oil revenues, be in broadly the same of somewhat healthier position as the rest of the UK, but in the longer run as oil revenues decreased it would face tougher budgetary choices than the UK as a whole » McLean et al., 2014, p.55 87 sur 107 cyclically unstable and subject to greater external macroeconomic shocks »(McGregor et Swales in Goudie, 2013, p.166) ! Ainsi, la dépendance des ressources publiques sur un petit nombre de taxes, et notamment sur des revenus pétroliers en déclin sur le long terme, fragiliserait la position des finances écossaises, qui ne seraient plus de surcroit insérées dans le filet de sécurité britannique. De façon générale, c’est toute l’économie écossaise qui serait davantage soumise aux cycles économiques et à la situation sur les marchés internationaux. Il existe qui plus est le risque qu’un « effet de frontière »133 se crée à la suite de l’indépendance, qui modifierait la circulation des biens, des capitaux et de la main d’oeuvre dans les îles britanniques. Si l’impact de cette modification est difficile à estimer (McLean et al., 2013; Camp-Pietrain, 2014), celle-ci fait planer un doute sur l’avenir d’un certain nombre de domaines économiques d’importance en Ecosse. Le principal est le secteur financier, qui est le plus intégré au niveau britannique. Edimbourg est la deuxième place financière du Royaume-Uni après Londres. De plus, 90% des clients des banques écossaises se trouvent dans le reste du Royaume-Uni, tandis que 70% des retraites privées écossaises sont domiciliées ailleurs en Grande-Bretagne. Certaines banques ont déjà menacé de quitter l’Ecosse en cas d’indépendance, pour s’installer en Angleterre (Camp-Pietrain, 2014). Ceci place l'avenir de certains secteurs-clés en suspens si jamais l’Ecosse devait devenir indépendante. ! Il est ainsi très difficile de savoir si l’Ecosse s’en sortirait mieux sans le RoyaumeUni. En effet, l’indépendance est faite d’opportunités et de risques, et il appartient aux électeurs écossais de décider si les aspects positifs l’emportent sur les aspects négatifs. ! II/ Les aspects politiques, sociaux et internationaux ! Un gouvernement écossais n’entend pas marquer sa différence que sur l’économie. Il a d’ores et déjà indiqué sa volonté de suivre une politique divergente dans un certain nombre de domaines si la séparation avec le reste de Royaume-Uni devait avoir lieu. Cependant, comme pour l’économie, l’indépendance s’accompagnerait d’une certaine dose d’incertitude, dont l’importance pour les Ecossais sera très certainement 133 « border effect », McLean et al, 2014, p. 56 88 sur 107 déterminante dans le résultat du référendum. L’objet de ce mémoire n’étant pas de réaliser une étude exhaustive des questions soulevées par l’indépendance, nous avons choisi d’étudier brièvement trois domaines qui nous semblent les plus significatifs: la défense et les relations internationales, le régime politique et social et la question européenne. ! A) La défense et les relations internationales La politique de défense d’une Ecosse indépendante est dominée par deux questions centrales: le refus des armes nucléaires, et l’adhésion ou non à l’OTAN, les deux étant en fait étroitement liées. Le SNP est historiquement opposé à l’utilisation de toute forme d’énergie nucléaire, civile ou militaire. Cette position a été affirmée dès les années 1950 (Duclos, 2014), et n’a jamais fait l’objet d’une véritable remise en cause. Il faut dire que la question de l’utilisation des armes nucléaires se pose en Ecosse de façon concrète: l’ensemble de l’arsenal britannique est stationné dans l’estuaire de la Clyde, à la base navale de Falsane pour les sous-marins lanceurs de missile et dans le centre de stockage de Coulport pour les têtes nucléaires. Le SNP dénonce ainsi l’imposition par Londres de risques technologiques et terroristes importants alors même que la société civile écossais s’est souvent prononcée contre l’utilisation des armes nucléaires134, et a fortiori leur stockage dans des bases en Ecosse (Camp-Pietrain, 2014). Ainsi, Duclos nous dit que le refus du nucléaire est inscrit dans « l’ADN du SNP » (2014, p.243), et c’est donc naturellement qu’une Ecosse indépendante exigerait le départ des armes nucléaires de son territoire. Le gouvernement écossais s’est engager à écrire dans la nouvelle Constitution la non-possession de telles armes par un gouvernement écossais. Par ailleurs, l=es nationalistes mettent en avant que la réduction des dépenses liées à l’entretien de cet arsenal permettrait d’économiser qui plus est 500 millions de livres, qu’il serait possible de réinjecter dans les services publics. Il faut cependant rappeler que les modalités d’un potentiel rapatriement vont probablement être un enjeu de négociations important, notamment sur le plan financier. Il s’agira également pour le gouvernement britannique de trouver un nouvel endroit adéquat pour stocker l’arsenal, ce qui s’annonce compliquer. Ce rejet catégorique de l’armement nucléaire par le SNP a eu longtemps pour conséquence que le parti se prononce contre l’adhésion à l’OTAN. En effet, l’alliance nordatlantique est basée en grande partie sur la dissuasion nucléaire, notamment en plaçant 134 Un sondage réalisé en 2013 a révélé que 75% des écossais étaient pour l’abolition des armes nucléaires (Camp-Pietrain, 2014). 89 sur 107 les Etats-membres sous la protection du parapluie américain. C’est pourquoi les indépendantistes refusaient d’entrer dans ce qu’ils appelaient une alliance nucléaire. De plus, ils ont longtemps condamné les interventions de l’OTAN non encadrées par l’ONU, comme au Kosovo (Duclos, 2014). Depuis le début de la campagne référendaire, le gouvernement écossais a néanmoins revu cette opposition historique du SNP. La position officielle est désormais que l’Ecosse indépendante demandera à adhérer à l’OTAN sous deux conditions: premièrement, elle n’acceptera pas d’accueillir des armes nucléaires sur son territoire; deuxièmement, elle ne prendra part qu’à des opérations mandatées par les Nations-Unies. Des critiques s’élèvent cependant sur l’intérêt pour l’OTAN d’une position ainsi conditionnée, et qui ne serait au final pas vraiment dans les termes de l’alliance. Les Etats-membres devraient également tous se prononcer pour l’adhésion de l’Ecosse sous ces conditions, ce qui est loin d’être garanti (le Royaume-Uni étant un d’entre eux). D’autres interrogations sont soulevées en ce qui concerne la politique de défense écossaise après l’indépendance. Camp-Pietrain note par exemple que le secteur de la défense contribue de façon non négligeable à l’économie écossaise. En effet, les chantiers de la Clyde tournent encore aujourd’hui largement grâce aux commandes du gouvernement britannique, tandis que les différentes bases militaires disséminées sur le territoire écossaise sont un soutien important à l’économie locale des collectivités où elles sont implantées. Or, la domaine de la défense écossais serait très probablement d’une importance bien moindre par rapport à son homologue britannique. Son carnet de commandes serait dès lors beaucoup moins large, et son impact général sur l’économie du pays bien moindre. B) Le régime politique et social Le régime politique de l’Ecosse après l’indépendance a également fait l’objet d’un certain nombre de débats, qui sont aujourd’hui dans une large mesure clos. Le SNP a longtemps été un parti républicain, critiquant le coût de la monarchie et l’archaïsme d’un tel régime. Il a sur ce point opéré un retour en arrière: la Reine d’Angleterre, qui est également descendante de la lignée des monarques d’Ecosse (les deux branches s’étant rejointes en 1603 avec Jacques I d’Angleterre et VII d’Ecosse), resterait le souverain et chef d’Etat. Le statut de l’Ecosse serait alors assez proche de celui d’anciennes colonies britanniques comme le Canada ou l’Australie. L’Ecosse serait une monarchie parlementaire, comme l’est déjà le Royaume-Uni. Les deux principales innovations seraient cependant d’avoir une constitution écrite, ce qui constituerait une première en 90 sur 107 Grande-Bretagne (la constitution britannique est dite coutumière et reposent sur un corpus de textes - comme le Bill of Rights ou les différents Scotland Act, ainsi qu’un ensemble de pratiques devenues des traditions); et d’avoir comme base de souveraineté le peuple, comme l’a rappelé le gouvernement écossais dans son livre blanc: « A written constitution should be designed by the people of Scotland, for the people of Scotland » (Scottish Government, 2013, p. 351). La tradition britannique de souveraineté parlementaire précédemment évoquée serait donc bel et bien abandonnée. Le SNP se propose de continuer avec les institutions héritées de la dévolution, qui représentent pour lui un « contexte solide » (p.354) sur lequel créé un nouvel Etat. La constitution serait élaborée par une convention constitutionnelle écossaise, avec un certain nombre de principes à respecter; parmi eux, Camp-Pietrain cite l’interdiction des discriminations, la méritocratie, la garantie de l’existence des collectivités territoriales, la promotion des droits de l’enfant, le droit à la dignité et à un niveau de vie minimal, le droit à l’accès aux services publics, la nécessité de préserver les ressources naturelles, la lutte contre le changement climatique ou bien l’interdiction de la dissuasion nucléaire (2014, p.110-111). Ces principes ont pour objectif d’inscrire certaines des spécificités de l’Ecosse dans le droit; surtout, une constitution écrite permettrait, pour les nationalistes, d’apporter la stabilité et la lisibilité qui manquent à un système politique britannique aujourd’hui remis en cause. De plus, la question de la continuation du welfare state se pose avec acuité dans une Ecosse indépendante. Le gouvernement écossais a promis de maintenir tous les acquis sociaux. Nous avons montré précédemment que les institutions écossaises dévolues avaient au à coeur de défendre, dans la mesure de leurs moyens et de leur possibilités, « le caractère public des missions de service public » (Camp-Pietrain, 2014, p.146). Deux services sont aujourd’hui entièrement gratuit: l’éducation et la prise en charges des soins pour les personnes âgées. Le gouvernement nationaliste a également promis de prendre en charge les frais de garde des enfants à partir de trois ans pour toutes les familles. Il s’est de plus engagé à renationaliser certains secteurs, et notamment la poste et peut être les chemins de fer. Par ailleurs, la question de la transition de la gestion de la sécurité sociale du Royaume-Uni à l’Ecosse pose le souci de la continuité entre les deux régimes, tous les citoyens écossais cotisant aujourd’hui à des caisses britanniques. Le gouvernement écossais a indiqué qu’il maintiendrait toutes les allocations, voire qu’il en relèverait certaine. Mais là encore, les négociations seront longues et complexes si jamais l’Ecosse devient indépendante. Les principales critiques concernant le maintien d’un régime social avantageux relèvent le problème du financement, et donc de la soutenabilité. En effet, la position 91 sur 107 fiscale et économique d’une Ecosse indépendante serait probablement moins stable que celle du Royaume-Uni (voir supra). Surtout, elle ne pourrait compter sur le filet de sécurité britannique et son allocation, qui, si elle est critiquable et critiquée, permet néanmoins d’assurer à l’Ecosse un niveau important de dépenses publiques, et ce malgré les performances de l’économie écossaise. ! C) La question européenne ! L’avenir européen de l’Ecosse est source de nombreux débats. Notons tout d’abord que les écossais sont, de façon générale, largement plus europhile que les compatriotes anglais. En effet, l’ensemble des partis écossais considère que l’appartenance à l’Union européenne est une bonne chose, et seulement un tiers des écossais se disent en faveur d’une sortie de l’UE (Duclos, 2014). Les interrogations se situent davantage sur la possibilité ou non pour l’Ecosse d’entrer dans l’UE, et sous quelles modalités. Il n’existe en effet aucun précédent d’un Etat nouvellement créé qui est cependant membre de l’UE depuis 40 ans. L’adhésion sera-t-elle automatique ? Se fera-t-elle suite à un processus de négociations allégé, ou bien l’Ecosse devra-t-elle utiliser la procédure normale ? Toutes ces questions restent sans réponse officielle et consensuelle. Les acteurs politiques, technocratiques et universitaires prennent tour à tour des positions contradictoires, si bien qu’il est difficile de savoir ce qu’il en retourne réellement. Le gouvernement nationaliste a d’abord mis en avant que ce sont deux Etats qui seront créés: l’Ecosse et le reste du Royaume-Uni. Les deux Etats hériteraient des arrangements actuels de l’adhésion britannique (notamment concernant les positions d’opting-out du Royaume-Uni sur l’espace Schengen ou bien la zone euro). A aucun moment l’Ecosse ne sortirait de l’UE. De plus, cela voudrait dire que les écossais perdraient leur citoyenneté européenne, ce qui est contraire aux règles européennes en termes de citoyenneté. Par ailleurs, le territoire écossais est largement couvert par la politique de développement régional, à travers les fonds régionaux (FEDER, FSE). Priver l’Ecosse de ces fonds ainsi que ceux de la PAC, aurait de lourdes conséquences pour l’économie écossaise, et signifierait l’abandon d’une partie de sa population par l’Union. Cependant, le gouvernement britannique, ainsi que la Commission européenne par la voix de ses présidents (Barroso puis Juncker) ont indiqué que l’adhésion de l’Ecosse ne serait pas automatique: le Royaume-Uni garderait ses arrangements avec l’UE, l’Ecosse faisant secession du reste du Royaume-Uni. Elle devrait alors utiliser la procédure 92 sur 107 d’adhésion normale. Or, celle-ci impose que les 28 Etats-membres de l’UE donnent leur accord sur l’entrée de l’Ecosse. S’il ne fait aucun doute que l’Ecosse réunirait tous les critères de convergence nécessaires à une entrée dans l’UE (elle en fait partie intégrante depuis 40 ans), les observateurs mettent en avant que certains pays pourraient refuser à l’Ecosse l’adhésion sous prétexte que cela encouragerait les velléités d’indépendance de certaines de leurs régions (le cas de l’Espagne avec la Catalogne est le plus fréquemment cité, même si la situation notamment constitutionnelle est sensiblement différente en Espagne). Enfin, le sort de l’Ecosse, et les débats sur l’indépendance, nous semble étroitement lié à l’Union Européenne. Parce que celle-ci conduit une politique régionale forte, elle permet aux territoires sub-étatiques d’envisager leur avenir économique en se passant, dans des degré plus ou moins fort, des institutions centrales. L’Ecosse est pour nous l’incarnation de ce phénomène: si elle peut se permettre d’envisager aujourd’hui son indépendance après 300 ans d’union avec l’Angleterre, c’est peut être justement parce qu’elle est dans une autre Union, de nature largement économique comme le fut la britannique pendant longtemps: l’Union Européenne, qui lui garantit un marché et un mécanisme de redistributions des richesses avantageux. Sans l’Union Européenne, l’Ecosse pourrait être seulement envisager sérieusement d’être indépendante ? Cette question n’a pas de réponse, mais il nous semble intéressant de la poser. ! Au final, beaucoup reste encore à déterminer sur le sort de l’Ecosse si les écossais choisissent de voter oui à l’indépendance. S’il ne fait plus aucun doute que celle-ci pourrait être possible, tant sur le plan économique que politique, de nombreuses incertitudes subsistent. C’est sont ces dernières qui ont occupé la campagne référendaire. Le SNP a voulu adopter une position positive, confiante, afin de minimiser l’importance des points d’ombre de son projet, critiquant par ailleurs la campagne menée par les unionistes sur le fait qu’elle ne cherchait qu’à faire peur aux citoyens écossais135. Il nous est aujourd’hui impossible de dire si les incertitudes feront suffisamment pencher la balance pour que l’Ecosse reste dans l’Union de 1707. 135 La campagne « Better Together » est ainsi appelée « Project Fear » par les indépendantistes. 93 sur 107 CONCLUSION ! L’Ecosse est a un carrefour majeur de son histoire. La consultation du 18 septembre représente sans aucun doute l’une des plus importantes pour le Royaume-Uni depuis plusieurs siècles. Nous avons cherché dans ce mémoire à mettre à l’épreuve les représentations classiquement associées a l’Ecosse, et qui pourraient expliquer, si ce n’est l’indépendance, du moins l’autonomie écossaise. En nous interrogeant sur l’économie, nous avons vu qu’elle est marquée en Ecosse par une histoire avec de nombreux rebondissements, une histoire riche pour un pays de 5 millions d’habitants excentré dans le Nord de l’Europe. Ce passé joue encore aujourd’hui un rôle central dans la situation économique de l’Ecosse. Il lui donne le souvenir de jours prospères, de puissance économique et politique, et de développement social, qui contraste avec les difficultés du XXème siècle. Il contribue également à la construction d’une identité écossaise qui s’est grandement appuyée sur les différents épisodes de son aventure économique pour se forger ses images collectives. L’une d’elles dans la deuxième moitié du XXème siècle est que l’Ecosse a été mal administrée par le gouvernement britannique, et que l’économie écossaise est sous performante. Pourtant, nous avons montré que depuis une dizaine d’années, les résultats macroéconomiques montrent largement une convergence vers la moyenne britannique, et que s’il est vrai qu’un certain degré d’autonomie politique aurait peut être permis aux politiques économiques d’être plus adaptées aux spécificités économiques, le gouvernement écossais né de la dévolution possède l’essentiel des pouvoirs pour soutenir la croissance de façon structurelle. De plus, l’économie écossaise n’est pas fondamentalement différente de celle du reste du Royaume-Uni, même si un petit nombre de secteurs-clés prend une place prépondérante et guide les intérêts économiques du pays, notamment à l’international. Ceux-ci restent cependant dans une large mesure similaire à ceux du Royaume-Uni. Nous avons également voulu mettre l’épreuve le caractère soit disant plus socialdémocrate de l’Ecosse. Nous avons vu que celle-ci présente en effet certaines caractéristiques d’une social-démocratie, notamment dans son attachement à l’intervention publique, à la redistribution des revenus ou encore au maintien de prestations sociales significatives. La défense de l’accessibilité et de la publicité de grands services, tels l’éducation et la santé, ainsi que la création d’institutions politiques modernes, accessibles et efficaces, abondent également dans ce sens. On notera 94 sur 107 cependant qu’une fois encore, la divergence avec le reste du Royaume-Uni est limitée, et est davantage marquée entre le Sud-Est de l’Angleterre et le reste du Royaume-Uni, Ecosse comprise. Au final, nous pouvons donc affirmer que l’Ecosse présente un modèle économique et social légèrement divergeant du reste du Royaume-Uni, dans lequel il continue cependant de bien s’intégrer. Ces différences seront-elles suffisantes pour justifier la fin de l’Union ? Seuls les écossais peuvent décider de la réponse à cette question. Nous avons également cherché à comprendre où pouvait aller l’Ecosse, en essayant d’être complet quant aux différents modèles envisageables. Notre constat de départ était que la dévolution, s’elle a été un succès jusqu’ici, n’est pas exempte de défauts et ne permet pas réellement de créer un régime politique favorable à une gestion complètement autonome de leurs affaires internes par les écossais. La réforme entamée par le Scotland Act 2012 vise à remédier à un certain nombre de ces faiblesses, notamment en ce qui concerne les dispositions fiscales. Celles-ci devraient connaître une nouvelle réforme si l’Ecosse ne devient pas indépendante. Ce qui sera réformé, et pourquoi, n’est aujourd’hui pas encore déterminé. Des projets existent, notamment trois principaux, chacun présentant des forces et des faiblesses. Devo-Plus nous semble être celui qui pourrait être le plus intéressant pour l’Ecosse restée britannique, même si DevoMore est le candidat le plus probable. Là encore, seuls les écossais pourront se prononcer. Nous souhaitions terminer ce mémoire par une analyse du choix qui est présenté aux électeurs le 18 septembre prochain: l’indépendance. Projet historique du SNP, celle-ci est aujourd’hui plus que jamais envisagée de façon concrète et argumentée. Le gouvernement nationaliste a publié un programme ambitieux, relativement complet, qui, s’il ne manque pas de zones d’ombre, permet de dessiner les grandes lignes de ce que l’Ecosse pourrait devenir si elle était indépendante. Nous avons voulu axé notre réflexion sur une étude des enjeux économiques de l’indépendance, puisque ceux-ci occupent une large place dans le débat politique. Ainsi, ce qu’il adviendra des ressources du pétrole et de la monnaie constituent les deux interrogations principales, tandis qu’il reste difficile d’évaluer si l’indépendance permettrait effectivement à l’Ecosse de décoller économiquement. Comme toute décision politique, celle-ci est un mélange entre risques et opportunités. L’objectif de la campagne référendaire est de faire apparaître les positions des différentes parties sur ces risques et opportunités. Force est de constater que celle-ci fut prolifique. 95 sur 107 Car en effet, rarement l’avenir de l’Ecosse n’aura été aussi discuté dans l’ère moderne que pendant la période 2012-2014. C’est l’une des grandes réussites du gouvernement nationaliste que d’avoir réussi à imposer la perspective de l’indépendance dans le débat, d’avoir inscrit sur l’agenda politique la nation écossaise et l’expression des ses spécificités. Plus largement, il a contribué à faire s’interroger tous les écossais sur ce qu’ils veulent pour l’avenir de leur pays, en leur permettant de comprendre les tenants et aboutissants. Le référendum voulu par les nationalistes va donner aux citoyens la capacité de choisir. A n’en pas douter, le résultat du référendum représentera l’expression démocratique de la volonté du peuple écossais. Les conséquences iront bien au-delà de la simple Ecosse, peu importe le résultat. C’est l'avenir du Royaume-Uni qui est engagé. Ce mémoire sera présenté et soutenu avant le vote du 18 septembre. Ainsi, à l’instant où nous écrivons ces lignes, l’avenir constitutionnel de l’Ecosse reste incertain. Nous pouvons cependant affirmer qu’en l’état actuel de la campagne, il semble peu probable que l’indépendance soit choisie par les électeurs écossais. Toutes les estimations que nous avons consultées donnent une victoire du Non au référendum, dans des proportions allant de 55% à 60%. Cependant, le Oui gagne du terrain petit à petit, et devient une possibilité réelle. Personne ne sait donc à quoi ressemblera l’Ecosse en 2015. Sauf peut-être Saint André136. 136 Saint André le saint patron de l’Ecosse. Sa croix est présente sur le drapeau écossais. 96 sur 107 BIBLIOGRAPHIE ! Ouvrages ! CAMP-PIETRAIN Edwige, L’Ecosse et la tentation de l’indépendance. Le référendum d’autodétermination de 2014, Villeneuve D’Ascq, Presses universitaire du Septentrion, 2014 DEVINE Tom, The Scottish Nation. A Modern History 1700-2012, London, Penguin, 2012 DIXON Keith (eds), L’Autonomie écossaise. Essais critiques sur une nation britannique, Grenoble, Ellug, 2001 DUCLOS Nathalie, L’Ecosse en quête d’indépendance ? Le référendum de 2014, Paris, Presse de l’Université Paris-Sorbonne, 2014 GOUDIE Andrew (ed), Scotland’s Future. The economics of constitutional change, Dundee, Dundee University Press, 2013 KEATING Micheal (ed), Scottish Social Democracy. Progressive Ideas for Public Policy, Brussels, PIE Peter Lang, 2007 LERUEZ Jacques, L’Ecosse. Vieille Nation, Jeune Etat, Crozon, Armeline, 2000 LEYDIER Gilles, JONES Moya, La dévolution des pouvoirs à l’Ecosse et au Pays de Galles, Paris, Armand Collin, 2006 MCCRONE Gavin, Scottish Independence. Weighing up the Economics, Edinburgh, Birlinn, 2013 MCLEAN Ian, GALLAGHER Jim and LODGE Guy, Scotland’s Choice, The Referendum and What Happens Afterwards (2nd Edition), Edinburgh, Edinburgh University Press, 2014 PITTOCK Murray, The Road to Independence ? Scotland since the Sixities, London, Reaktion Books, 2008 ! ! Articles universitaires CAMP-PIETRAIN Edwige, « Les pétitions au Parlement écossais : une nouvelle pratique dans les coulisses du pouvoir », Observatoire de la société britannique [En ligne], 6 | 2008, mis en ligne le 01 février 2011, consulté le 19 juin 2014. URL : http://osb.revues.org/ 464 CAMP-PIETRAIN Edwige, « Les services publics en Ecosse de 1999 à 2007 : les principes du Parlement écossais à l’épreuve du pouvoir », Observatoire de la société 97 sur 107 britannique [En ligne], 8 | 2010, mis en ligne le 01 février 2011, consulté le 15 juin 2014. 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REFORM SCOTLAND, A stronger Scotland within the UK - First report of the Devo Plus Group, 2012, http://www.devoplus.com/storage/documents/A%20Stronger%20Scotland %20within%20the%20UK.pdf REID Susan, WATERTON Jennifer, WILD Annie, Scottish Social Attitudes Survey 2013 Core Module: Attitudes to government, the economy, health and social care services, and 99 sur 107 social capital in Scotland, Scotcen Social Reserach, Edinburgh, Scottish Government, 2014 SCOTTISH GOVERNMENT, Building Security and Creating Opportunity: Economic Policy Choices in an Independent Scotland, Edinburgh, Scottish Government, 2013 SCOTTISH GOVERNMENT, Scotland’s Future. Your Guide to an Independent Scotland, Edinburgh, Scottish Government, 2013 SCOTTISH GOVERNMENT, Scotland’s Economy: the Case for Independence, Edinburgh, Scottish Government, 2013 SCOTTISH GOVERNMENT, Scotland’s Global Connections Survey - Estimating Exports from Scotland, Edinburgh, Scottish Government, 2014 SCOTTISH GOVERNMENT, Energy in Scotland. A Compendium of Scottish Energy Statistics and Information, Edinburgh, Scottish Government, 2014 ! ! ! 100 sur 107 TABLE DES MATIÈRES ! Première Partie: Un modèle écossais ? Analyse socio-économique de l’Ecosse actuelle! 10! Chapitre 1 : L’économie écossaise: histoire, structure et conjoncture au début du XXIème siècle! 10! I/ De l’Union à la dévolution: trois siècles d’économie écossaise (1707-1997)! 11! A) De l’Union à la Première Révolution Industrielle: les fondations du succès (1707-1830)!11! B) De la Seconde Révolution Industrielle à la Deuxième Guerre Mondiale: l’âge d’or écossais et ses limites (1830-1939)! 15! C) De la Deuxième Guerre Mondiale à la Dévolution: entre déclin et renouveau, les bases de l’Ecosse actuelle (1939-1999)! 17! II/ Situation de l’économie écossaise depuis la dévolution! 23! A) Structure de l’économie écossaise! 24! 1. Structure générale ! 24! 2. Le secteur énergétique! 27! 3. Le secteur financier! 29! 4. Les exportations écossaises ! 31! B) Les performances de l’économie écossaise! 33! I/ Un attachement relatif aux valeurs de la social-démocratie! 40! A) Une société plus social-démocrate ?! 40! B) La défense des services publics: l’exemple de la santé et de l’éducation! 47! II/ Une culture parlementaire se voulant un contre-modèle! 52! A) La genèse du Parlement d’Holyrood! 52! B) Structure et fonctionnement du Parlement écossais: un contre-modèle en réussite! 55! Deuxième Partie: Quelles trajectoires pour l’autonomie écossaise ?! 59! Chapitre 1 : Du Scotland Act 2012 à la Devo-max: quelle place pour l’Ecosse dans un Royaume-Uni unitaire ?! 59! I/ Etat de la dévolution après le Scotland Act 2012! 61! A) Pourquoi le Royaume-Uni n’est pas un Etat fédéral! 61! B) Le partage des compétences entre Edimbourg et Londres! 63! C) Les dispositions financières telles réformées par le Scotland Act 2012! 65! II/ Plus de dévolution ? Devo-Plus, Devo-More et Devo-Max en question ! 71! A) Les possibilités pour réduire le déséquilibre fiscal et « renforcer la dévolution »! 71! B) Les différents projets: Devo-Plus, Devo-More et Devo-Max ! 75! 1) Devo-More: le prochain acte de la dévolution ?! 75! 101 sur 107 2) Devo-Plus: vers la fin du déséquilibre vertical! 76! 3) Devo-Max: une quasi-indépendance ! 78! Chapitre 2 : L’Ecosse indépendante: possibilités et enjeux! 79! I/ Les enjeux économiques! 79! A) La question du pétrole! 80! B) La question de la monnaie! 83! C) L’Ecosse s’en sortirait-elle mieux si elle était indépendante ?! 86! II/ Les aspects politiques, sociaux et internationaux! 88! A) La défense et les relations internationales! 89! B) Le régime politique et social! 90! C) La question européenne! 92 102 sur 107 ! ! TABLE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS AMS: Additional Member System BSAS: British Social Attitudes Survey CSA: Campaign for a Scottish Assembly GERS: Government Expenditure and Revenue Scotland MP: Member of Parliament MSP: Member of Scottish Parliament NHS: National Health Service SCC: Scottish Constitutional Convention SNP: Scottish National Party SSAS: Scottish Social Attitudes Survey 103 sur 107 ANNEXES ANNEXE 1: CARTE DE L’ECOSSE! 104 sur 107 ! ANNEXE 2: PERCEPTION DES ALLOCATIONS CHÔMAGES EN ECOSSE ET EN ANGLETERRE ENTRE 1999 ET 2010! Ecosse Allocations sont trop basses et causent des difficultés (%) Allocations sont trop hautes et n’encouragent pas à l’emploi (%) 1999 36 33 2000 43 28 2001 45 26 2002 41 31 2003 41 32 2006 33 39 2009 31 42 2010 30 43 ! Angleterre Allocations sont trop basses et causent des difficultés (%) Allocations sont trop hautes et n’encouragent pas à l’emploi (%) 1999 32 44 2000 40 37 2001 36 38 2002 28 48 2003 34 41 2006 22 55 2009 29 51 2010 23 55 Source: SSAS 2011; BSAS 2011 ! ! ! ! ! ! ! 105 sur 107 ANNEXE 3: IDENTITÉ NATIONALE ET VALEURS POLITIQUES EN ECOSSE EN 2003! ! Echelle (1= très à gauches / 5 = très à droites) Ecossais et non britannique 2,45 Plus écossais que britannique 2,54 Également écossais et britannique 2,68 Plus britanniques qu’écossais 2,90 Britannique et non écossais 2,69 Source: Rosie and Bond, in Keating et al, 2007, p. 51 ! ! ANNEXE 4: REVENUS ESTIMÉS DES PRINCIPALES TAXES PRÉLEVÉES EN ECOSSE EN 2013! Millions de livres % du total des taxes hors revenus de la mer du Nord Impôt sur le revenu 10 865 22,8 Impôt sur les sociétés (sauf mer du Nord) 2 862 6,0 Cotisations sociales 8 521 17,9 TVA 9 347 19,7 Taxe sur les produits pétroliers 2 258 4,7 472 1,0 Impôts sur le tabac et l’alcool 1 600 3,4 Impôts locaux sur les entreprises 1 981 4,2 Impôts locaux sur les personnes 2 006 4,2 Total des taxes prélevées en Ecosse 47 566 100 Taxe sur les transactions immobilières Source: Government Expenditure and Revenue Scotland 2014, Scottish Government ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! 106 sur 107 RÉSUMÉ ET MOTS-CLÉS ! L’Ecosse est une nation britannique qui va voter pour son indépendance le 18 septembre 2014. Les nationalistes revendiquent une spécificité économique écossaise qui ne pourrait se développer convenablement dans le cadre du Royaume-Uni, ainsi qu’un modèle plus social-démocrate. Ce mémoire se propose d’évaluer l’autonomie écossaise, de comparer l’Ecosse en termes économiques et sociaux pour voir s’il existe une divergence notable avec le reste du Royaume-Uni. Il est également question de l’étude des possibilités constitutionnelles qui s’offre à l’Ecosse pour continuer son processus d’autonomisation. Mots-clés: Ecosse, Royaume-Uni, Nationalisme, Indépendance, Dévolution, Economie, Social-Démocratie. 107 sur 107