DOSSIER
1 ÉDITORIAL
par Markus Gabel
2 La situation économique
et sociale des Français :
les chiffres « classiques »
et au-delà
Pascale Hébel
7 Marché du travail : pourquoi
l’emploi ne décolle-t-il toujours
pas vraiment en France ?
Yannick L’Horty
15 Des nances publiques
en transition
Michel Bouvier
21 L’enjeu de la concurrence
en France, le cas des services
Vincent Aussilloux et Lionel Janin
28 Replacer les acteurs de
terrain au cœur de la formation
professionnelle initiale
René Lasserre
34 Financement de l’innovation,
où en est la France ?
Laurent Quignon
41 Vivre avec moins
de croissance : sortir de la
nostalgie des Trente Glorieuses
Michèle Debonneuil
47
Low cost
ou investissement
dans la qualité ?
Quelle stratégie économique
et sociale pour la France ?
Bruno Palier
53 Quartiers prioritaires,
ghettoïsation
et politique de la ville
Julien Damon
CAHIERS FRANÇAIS
Équipe de rédaction
Philippe Tronquoy
(rédacteur en chef)
Markus Gabel
(analyste-rédacteur)
Jean-Claude Bocquet
(secrétaire de rédaction)
Martine Paradis
(Secrétaire)
Conception graphique
Bernard Vaneville
Illustration
Manuel Gracia
Édition
Carine Sabbagh
Promotion
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que l’usage abusif et collectif de la photocopie
met en danger l’équilibre économique
des circuits du livre.
Sommaire
60 Pourquoi la France
peine-t-elle à s’inspirer
de modèles étrangers ?
Annick Steta
66 Infographie :
France, portrait économique
et social
DÉBAT
68 Faut-il rétablir un service
national obligatoire ?
68 1. Un service national
obligatoire déstabiliserait notre
appareil de défense
Sébastien Jakubowski
73 2. Pour un service national
obligatoire
Julien Damon
POLITIQUES PUBLIQUES
77 La loi biodiversité :
une vraie politique de
reconquête de la biodiversité ?
Alexandra Langlais
et Jacques Baudry
LE POINT SUR…
83 Un nombre croissant
de détenus dans les prisons
françaises
Annie Kensey
BIBLIOTHÈQUE
92 Denis Lacorne,
Les frontières de la tolérance,
Éditions Gallimard,
coll. « L’esprit de la cité », 2016
Présenté par Antoine Saint-Denis
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ÉDITORIAL
L’AVENIR EST EN JEU
ll reste moins de quatre mois avant le premier tour de la présidentielle et le débat public s’intensifie.
Comme à chaque fois, cette élection est l’occasion de revenir sur les grandes questions qui se posent à
la nation, d’identifier les enjeux essentiels et de proposer quelques options sur la base desquelles des
politiques futures pourraient être construites.
Un débat protéiforme
Après une année2016 très marquée par des thématiques liées à la sécurité intérieure et la politique
internationale, les sujets économiques et sociaux sont revenus au centre des préoccupations ces
dernières semaines. Il est vrai que la France traverse une crise sérieuse: la croissance est faible, le
chômage élevé et la situation des finances publiques très dégradée. Par ailleurs, le contexte global
risque de devenir moins favorable: l’«alignement exceptionnel des planètes» – des taux d’intérêt
quasi nuls, un pétrole peu cher et un euro faible – a soutenu une reprise timide, mais il ne durera pas
éternellement et les pressions sur l’économie française pourraient ainsi très vite se renforcer.
Dans tous ces domaines, les Français ne manquent pas d’information: les émissions de débat à la
télévision sont légion, Internet et les réseaux sociaux foisonnent, la radio et les journaux sont toujours
très consultés. Cette abondance donne-t-elle satisfaction aux citoyens? On peut en douter si on regarde
le baromètre annuel de confiance des Français dans les médias qui fait état d’une défiance croissante
envers la profession, ainsi qu’une crédibilité d’Internet en baisse.
Sortir des sentiers battus
Certains critiquent une information sans boussole, d’autres la récurrence de certains thèmes, d’autres
encore un traitement trop déconnecté du quotidien des Français. Le plus souvent, ils appellent à un
nouveau contrat de lecture se traduisant par un autre choix des sujets et des angles.
Pour ce premier numéro de l’année, les Cahiers français ont pris une voie inédite. Contrairement à notre
habitude d’approfondir une seule thématique, la revue a choisi dix thèmes pour mieux suivre le débat
d’idées de la période électorale qui s’ouvre devant nous. Parmi les thèmes abordés, on trouverades sujets
incontournables – pourquoi l’emploi ne décolle-t-il toujours pas vraiment en France? – mais également
des questions injustement négligées: les prix des services sont-ils trop élevés dans l’Hexagone?
Qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans notre système de formation professionnelle initiale? Que peut-
on attendre d’un investissement dans la qualité? Et, enfin, pourquoi est-il si difficile de s’inspirer des
expériences étrangères?…
Bonne lecture et une bonne année2017!
Markus Gabel
CAHIERS FRANÇAIS N° 396
2
LA SITUATION
ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DES
FRANÇAIS: LES CHIFFRES
CLASSIQUES ET AU-DELÀ
Pascale Hébel
Directrice du pôle Consommation et entreprise (CRÉDOC)
En France, la progression du niveau de vie moyen a nettement ralenti: une quasi-stagnation
a été enregistrée sur la dernière décennie. Cette situation, qui contraste avec le passé, est
la conséquence d’une crise économique qui dure depuis près de dix ans et qui exerce une
pression financière de plus en plus forte sur les consommateurs. Elle est renforcée par le
poids des dépenses contraintes, également en progression sur le long terme. Cet ensemble
d’évolutions conduit à un déséquilibre de répartition des revenus en faveur des plus de 50
ans, les jeunes générations gagnant moins en même âge que celles nées vingt ans plus tôt –
une inégalité qui est plus forte en France que dans d’autres pays européens. Si la cohésion
sociale commence à se fragiliser, d’autres tendances, notamment de nouvelles formes de
consommation, se développent et tendent à combler en partie le manque de lien social.
C . F.
Depuis 10 ans, le niveau de vie moyen(1) des
Français n’a pas évolué. Entre 2005 et 2015 il n’a que
progressé de 0,3 % par an, tandis que de 1995 à 2005,
la progression était de 1,3 % par an.À cette stagnation
du pouvoir d’achat s’ajoute une forte hausse du poids
des dépenses contraintes, notamment celles du loge-
ment. Ces contraintes touchent plus particulièrement
les jeunes générations qui ne voient toujours pas de
rattrapage de niveau de vie en leur faveur. Les travaux
du Centre de recherche pour l’étude et l’observation
des conditions de vie (CREDOC) révèlent que, dans
ce contexte, les jeunes générations de consommateurs
doivent faire face à un contexte fortement défavorable
(taux de chômage des plus élevés d’Europe: 24% pour
les moins de 25 ans contre 19% pour la moyenne de
l’Europe en mars 2016, poids plus élevé des dépenses
de logement). Elles sont contraintes de s’adapter (elles
vivent plus souvent en colocation ou chez leurs parents)
et adoptent de nouvelles stratégies de consommation
en utilisant le digital.
(1) Le niveau de vie est le pouvoir d’achat par unité de consom-
mation.
Une crise économique qui dure
depuis près de 10 ans
En2016, le taux de chômage culmine à son plus haut
niveau historique, au seuil de 10% de la population active:
cela représente environ 3millions de personnes, auxquelles
on pourrait rajouter 1,5million de personnes inactives qui
souhaiteraient un emploi (halo autour du chômage). Depuis
25 ans, le taux de chômage n’a jamais diminué en dessous
de 7%. Un autre phénomène est à l’œuvre, et il est sans
précédent depuis la n de la Seconde guerre mondiale:
le pouvoir d’achat des ménages n’a pas progressé depuis
une dizaine d’années (graphique 1). Même lors de la
profonde crise de1993, le pouvoir d’achat par «unité
de consommation» (UC) avait progressé (légèrement,
certes). Les consommateurs sont aujourd’hui confrontés
à de fortes pressions nancières: deux personnes sur trois
déclarent ainsi qu’elles s’imposent régulièrement des
restrictions sur plusieurs postes de leur budget(2). Cette
pression nancière est d’autant plus forte que le poids des
(2) CREDOC, enquête « Conditions de vie et aspirations des
Français »
DOSSIER - LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DES FRANÇAIS : LES CHIFFRES CLASSIQUES ET AU-DELÀ
CAHIERS FRANÇAIS N° 396 3
charges de logement n’en nit pas d’augmenter depuis
les années1960. Les ménages sont pris en tenaille entre
le coup de frein du pouvoir d’achat et la progression des
dépenses «contraintes» ou «pré-engagées», lesquelles
réduisent les dépenses «arbitrables» des consommateurs
à une peau de chagrin (graphique 2).
La hausse du poids des dépenses pré-engagées
s’explique essentiellement par une hausse du coût du
logement au cours des dernières décennies. L’insufsance
de construction de logement a conduit à un renchérissement
des loyers. Le poids des dépenses en énergie s’est stabilisé
depuis une dizaine d’années et n’explique pas la hausse du
poids du logement dans les dépenses de consommation.
Un déséquilibre de répartition des
revenus en faveur des plus de 50 ans
La hausse du poids du logement touche particuliè-
rement les classes moyennes et les jeunes générations.
Au même âge, les dépenses de logement par UC sont
plus élevées pour les plus jeunes générations que pour
les générations les plus âgées. Les classes moyennes et
les jeunes générations voient le rêve de l’ascenseur social
s’éloigner, et elles nourrissent une rancœur particulière
à l’égard d’un système social qui, à les entendre, ne les
protège plus des chocs économiques, voire les accable
d’impôts. La crainte du déclassement est grande, de même
que la peur de tomber dans la trappe de la pauvreté. De
fait, 8,6millions de personnes vivent sous le seuil de
pauvreté, avec moins de 1 000 euros par mois.
Le constat d’une inégalité de revenus entre les géné-
rations est apparu au début des années1980. Les travaux
menés au milieu des années 1990 (Chauvel, 1998),
montrent que si les générations nées jusqu’à la Seconde
guerre mondiale avaient eu à chaque âge un niveau de vie
supérieur à celui des générations précédentes, ce n’était
plus le cas à partir des générations nées après 1950. Le
phénomène s’inverse pour les jeunes générations: au
même âge, les jeunes générations gagnent relativement
moins que les générations les plus âgées. Selon la der-
nière enquête Budget des ménages de2011, le constat
reste le même: les jeunes générations gagnent moins
au même âge que celles qui sont nées vingt ans plus
tôt. En2014, les revenus disponibles bruts par ménages
restent plus élevés pour les 35-64 ans (voir graphique 4)
et en 20 ans, les revenus disponibles bruts par ménage
ont surtout augmenté pour les 65-74 ans. La «généra-
tion Hypermarchés», née entre1947 et1956 ans, qui a
entre 60 et 69 en2016, est celle qui possède le plus de
patrimoine en2015 (354100euros contre 269100euros
en moyenne). Ainsi, comme le montre Chauvel (1998),
la répartition des revenus se fait au détriment des jeunes
générations. La faiblesse des revenus des 18-29 ans, ne
s’explique pas par un écart de niveau de diplôme, puisque
les jeunes générations ont un niveau plus élevé de diplôme
Graphique 1. Évolution du pouvoir d’achat
par unité de consommation (indice 100 en 1990)
130
125
120
115
110
105
100
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
Crise des subprimes de 2008
Crise de 1993
Source : INSEE.
Graphique 2. Coefficient budtaire des penses
« pré-engagées »(1) dans les dépenses de
consommation
30
25
35
40
20
15
10
5
0
33,7 %
14,8 %
Source : INSEE.
1959
1961
1963
1965
1967
1969
1971
1973
1975
1977
1979
1981
1983
1985
1987
1989
1991
1993
1995
1997
1999
2001
2003
2005
2007
2009
2011
2013
2015
(1) Il s’agit ici des dépenses que l’INSEE qualifie de « pré-engagées », et dont les charges liées
au logement représentent la plus grande part.
18 120
31 670
40 110 41 200
39 570
35 310
28 290
36 030
Graphique 3. Revenu disponible brut par ménage
selon l’âge en 2014
45 000
40 000
35 000
30 000
25 000
20 000
15 000
10 000
5 000
0
Source : INSEE, enquêtes Revenus sociaux et fiscaux.
18 à 24 ans 25 à 34 ans 35 à 44 ans 45 à 54 ans 55 à 64 ans 65 à 74 ans 75 ans
et plus
Ensemble
des ménages
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