ODEON – Théâtre de l'Europe ODEON – Théâtre de l'EuropeSaison 14 | 15 Saison 14 | 15
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«Comment ne pas s'ennuyer
à rester assis, là? Même l'air
est figé d'ennui! Mais enfin,
dites quelque chose,
faites rire les filles, bougez!
Si vraiment il n'y a pas d'autre
sujet qu'Ivanov, riez, chantez,
dansez, bon sang...»
Ivanov, ActeII, scène3,
Arche éditeur,
traduction Vladimir Ant
L'art ni le théâtre ne se laissent programmer
et pourtant.
Je place ma confiance dans l'humeur des
artistes, qu'elle dure le temps du jeu ou
celui du rêve.
Un plateau sans préméditation, où seuls le
désir et la fantaisie inscrivent leurs traces.
Arrêter mon choix sur un texte, c'est en
délaisser un autre que je désirais tout autant,
des milliers d'autres. Seule la certitude de
savoir qu'un spectacle n'est jamais tout
à fait terminé, le suivant jamais tout à fait
commencé, m'apporte une consolation.
Choisir n'est que le résultat d'une immense
hésitation.
Je me sens pourtant tout à la fois metteur
en scène de grands textes et devant
mettre en scène une saison. J'aurais aimé
monter Dubillard et ses Naïves hirondelles;
j'aurais aimé retrouver Botho Strauss, – il
a pressenti l'ère médiatique et médiatisée
de l'Allemagne d'après-guerre ; je pense à
Timon d’Athènes, à Othello, à Kleist. Tout
viendra. Je le demanderai aussi à d'autres
artistes. J'ai choisi Ivanov.
Peut-être correspond-il à ma nervosité
chronique. J'essaierai, et de l'esquisser, et
de l'approfondir.
Le plaisir que j'ai à proposer l'emporte
toujours sur les tourments que me font
endurer mes propres spectacles.
C'est pourquoi j'ai invité Robert Wilson
à s'emparer du texte de Jean Genet
pour qu'il crée Les Nègres à l'Odéon, en
ouverture de saison.
Je suis impatient de voir et d'entendre le
texte saisissant de Peter Handke, Toujours
la tempête, que présentera Alain Françon.
Je partage l'enthousiasme de Christoph
Marthaler pour Labiche et sa gourman-
dise pour les îles flottantes. Angélica
Liddell nous trouble tous, nous attire. J'ai
souhaité inviter la passion déraisonnable
que Thomas Jolly porte à Shakespeare, lui
qui ose, privilège de la jeunesse, installer
aux Ateliers Berthier un Henry VI de
dix-huit heures.
J'accueille un nouveau venu : Julien
Gosselin, qui saura montrer que Michel
Houellebecq n'a rien d'un cynique
désabusé mais qu'il est bien plutôt le
spectateur lucide d'un monde que l'amour
déserte.
Encore un jeune, que nous avions
déjà invité l'an passé, Jean Bellorini,
aujourd'hui nommé au TGP, avec la pièce
et la célèbre fête de Ferenc Molnár, Liliom.
Joël Pommerat, notre artiste associé, et
moi-même, reprendrons La Réunification
des deux Corées et Les Fausses
Confidences de Marivaux, deux pièces
que le public demande encore.
Dans chaque interstice de calendrier, en
Grande salle comme au salon Roger Blin,
j'ai souhaité glisser la passion profonde
qui me lie à la littérature et à la philosophie.
Plus qu'un simple écho des spectacles,
les Bibliothèques de l'Odéon – près de
soixante manifestations cette année –
réaffirment la place essentielle que
doivent occuper les livres et la pensée
dans une maison dédiée aux artistes.
Ces programmes ne pourraient exister
sans l'aide précieuse des grandes radios
de service public que sont France Culture
et France Inter et les nombreux parte-
naires et maisons d'éditions qui s'asso-
cient à ces rencontres.
Théâtre National, l'Odéon-Théâtre de
l'Europe n'existerait pas sans le soutien
et la confiance que nous accorde
le Ministère de la Culture et de la
Communication. Je remercie également
les mécènes, particuliers et entreprises,
toujours plus nombreux, qui par leur
présence à nos côtés affirment haut et
fort que la créativité, donc la culture, sont
essentielles à la vitalité d'un pays et
ne valent que si elles sont largement
partagées, et dès le plus jeune âge.
Si le théâtre de l'Odéon se porte très bien,
le théâtre de l'Europe, comme l'Europe
elle-même, devraient se mieux porter.
J'aimerais que les spectacles en langue
étrangère soient plus nombreux, que nous
puissions produire davantage.
Nous y travaillons chaque jour avec des
équipes qui s'engagent à mes côtés pour
que jamais ne cesse de battre le cœur du
théâtre, pour que nous ne déméritions pas
d'un projet que Giorgio Strehler voulait
ambitieux et que nous avons l'ambition
de défendre.
Je souhaite, ami public, que vous
continuiez à nous suivre : votre
enthousiasme nous enthousiasme.
Luc Bondy