LES CANCERS DIGESTIFS AU BURUNDI Premiers résultats d’une enquête menée à Bujumbura P. KADENDE*, D. ENGELS**, J. NDORICIMPA**, E. NDABANEZE*, D. HABONIMANA*, G. MARERWA***, V. BIGIRIMANA***, L. BAZIRA****, P. AUBRY* RESUME I - INTRODUCTION Sur 395 cancers enregistrés de Janvier 88 à Décembre 1989, 145 soit 37 % ont une localisation digestive : 111 cas chez l’homme (76,5 %), 34 cas chez la femme (23,5 %). Sex ratio de 3,2/1. Les cancers digestifs occupent la première place de tous les cancers. Le problème du cancer en Afrique, a été longtemps sous estimé par manque de moyens d’investigations cliniques suffisants et surtout à cause de la pression exercée par les maladies transmissibles et carentielles sur les services de santé. Au Burundi, peu de travaux ont été consacrés aux cancers. Les plus récents (14) se sont tout d’abord intéressés au cancer primitif du foie, de diagnostic facile. Depuis 10 ans nous disposons d’un service d’endoscopie digestive, ce qui a permis la réalisation d’études ponctuelles sur les cancers de l’estomac (16-18) mais aucune étude ne situe l’importance des cancers digestifs au Burundi. Notre objectif est de tracer les grandes lignes des cancers digestifs au Burundi, de situer leur importance par rapport aux autres cancers, à partir des résultats d’un enregistrement actif de tous les cancers réalisé à Bujumbura pendant une période de deux ans. Le cancer de l’estomac représente 14 % de tous les cancers et 38,5 % de cancers digestifs. L’âge moyen des malades est de 55,1 ans, le sex ratio de 1,6/1 : 92 % des malades sont de niveau socio-économique bas. La localisation antrale est la plus fréquente (53,5 %). Les formes ulcéro-végétantes et ulcér o - i n f i l t r a n t e s représentent 83 %. L’ a d é n o c a rcinome se re t ro u v e dans 78 %. Le carcinome hépatocellulaire représente 13,9 % de tous les cancers et 38 % des cancers digestifs. L’âge moyen des malades est de 41,6 ans. Le sex ratio de 5/1. Les classes socio-économiques défavorisées sont les plus touchées. Des stigmates d’infection par le VHB sont retrouvées dans 73,8 %. La fréquence relative des cancers colorectaux est e n c o re bas, (3,54 %), 11/14 sont accessibles à la coloscopie gauche dont 8/14 à la rectosigmoïdoscopie. Les cancers digestifs au Burundi présentent deux caractéristiques : . la grande fréquence du cancer de l’estomac et du carcinome hépatocellulaire et la faible fréquence des autres localisations . leur gravité, liée essentiellement au retard de diagnostic. Mots-clés : Cancers digestifs, Burundi, cancers de l’estomac, carcinome hépato-cellulaire, cancers colorectaux. II - MATERIEL DE METHODES De Janvier 1988 au 31 Décembre 1989, nous avons enregistré tous les cas de cancers admis dans les quatre hôpitaux de Bujumbura totalisant une capacité d’accueil de 1032 lits. Les malades recrutés sont des Burundais ou des étrangers résidant au Burundi depuis au moins 5 ans. L’enregistrement a été codé selon la nomenclature de la classification internationale des maladies - oncologie (CIM - 0) édition 1980 à partir des fiches d’un “registrar”. Nous avons veillé à éliminer les enregistrements multiples. III - RESULTATS III.1 Importance des cancers digestifs au Burundi Sur 395 cancers enregistrés en deux ans, 145 soit 37 % ont une localisation digestive : 111 cas chez l’homme (76,5 %). 34 cas chez la femme (23,5 %). Le sex ratio est de 3,2/1. Les cancers digestifs occupent la première place de tous les cancers (37 %) suivis par les cancers des organes génitaux (22 %) puis par les localisations os, peau, sein (15 %) (tab 1). * Département de Médecine Interne CHU Kamenge. ** Ministère de la Santé Publique. Projet Bilharziose. *** Service d’Anatomie Pathologique CHU Kamenge. **** Département de Chirurgie CHU Kamenge. Médecine d'Afrique Noire : 1990, 37 (10) P. KADENDE, D. ENGELS, J. NDORICIMPA, E. NDABANEZE, D. HABONIMANA, G. MARERWA, V.BIGIRIMANA, L. BAZIRA, P. AUBRY 553 TABLEAU 1 - Nombre de cas de cancers par appareil et par sexe Code Appareil H F Tot. % 140-149 Cavité buccale et pharynx 33 1 34 9 150-159 Appareil digestif et péritoine 111 34 145 37 160-165 Système respiratoire et organes intra-thoraciques 21 2 23 6 169 et 196 Systèmes hématopoïetique et réticulo-histiocytaire ganglions lymphatiques 15 10 25 7 170-175 Os, peau, Sein 22 36 58 15 180-189 Organes génitaux 11 77 88 22 190 Oeil 12 2 14 3 193 Thyroïde 0 2 2 0,5 - Non spécifié 4 2 6 1,5 229 166 395 100 % Total III.2 - Répartition des cancers digestifs par segment (tab 2) Le cancer de l’estomac et le carcinome hépatocellulaire totalisent à eux-seuls 76,5 % des cancers digestifs, dans des proportions quasi égales. TABLEAU 2 - Répartition des cancers digestifs par segment et par sexe Localisation M F Total % Fréquence relative tous les cancers Oesophage 8 0 8 5,5 2,02 Estomac 35 21 56 38,5 14,17 Colon rectum 12 2 14 10 3,54 Foie primitif 46 9 55 38 13,92 Foie secondaire 4 2 6 4 1,51 Pancréas 4 0 4 3 1,01 Intestin grêle 1 0 1 0,5 0,25 Péritoine 0 1 1 0,5 0,25 111 34 145 100 % 36,67 % Total III.3 - Caractéristiques épidémiologiques et cliniques des principaux cancers digestifs au Burundi III.3.1 - Le cancer de l’estomac Le cancer de l’estomac occupe la première place des cancers digestifs. La répartition par âge et par sexe est repris dans l’histogramme 1. HISTOGRAMME 1 - Répartition des cancers de l’estomac par âge et par sexe 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 Nb cas Femmes Hommes AGES 20-29 Médecine d'Afrique Noire : 1990, 37 (10) 30-39 40-49 50-59 60-69 70-79 plus de 80 LES CANCERS DIGESTIFS AU BURUNDI 554 a - L’âge Le cancer de l’estomac touche les personnes relativement âgées : age moyen : 55,1 ans avec des extrêmes allant de 24 à 84 ans. Tous sexes confondus, le pic maximal de fréquence s’observe entre 40 et 59 ans : 53,3 % des malades. La morbidité par cancer de l’estomac semble s’accroître à partir de 40 ans. Le pic maximal de fréquence est situé entre 40-49 ans pour la femme. Chez l’homme, près de la moitié des malades ont entre 40 et 59 ans. la maladie a été précisée, 23 (54,7 %) ont des métastases : 12 atteintes ganglionnaires loco-régionales, 8 métastases hépatiques, 1 avec des métastases péritonéales, 2 avec des métastases multiples. f - Localisation du cancer de l’estomac Elle est donnée dans le tableau n°4. La localisation antrale est prédominante (65,2 %). On notera également une localisation cardiale et/ou sous cardiale assez importante : 19,5 %. b - Le sexe Le tableau 2 montre 35 cancers de l’estomac chez l’homme et 21 chez la femme, soit un sex ratio de 1,6/1. c - Niveau socio-économique et mode de vie La quasi totalité des malades (92 %) sont de bas niveau socio-économique. Le rôle du tabac et de l’alcool n’a pas pu être déterminé car il n’est pas aisé de quantifier la consommation journalière de chaque malade. Toutefois, 64 % des malades étaient des fumeurs et 55 % avaient des antécédents éthylo-tabagiques avérés. d - Motif principal de consultation Les douleurs épigastriques pseudo-ulcéreuses se révèlent être le maître symptôme du cancer gastrique. Elles sont retrouvées chez 77,5 % des malades. Les autres symptômes sont repris dans le tableau 3. TABLEAU 3 - Fréquence des manifestations cliniques du cancer de l’estomac Douleurs épigastriques 77,5 % Vomissements post-prandiaux 42,5 % Amaigrissement important 42,5 % Voussure épigastrique 22,5 % Troubles du transit 22,5 % Hématémèse 15 % Ballonnement abdominal 7% e - Délai de consultation L’intervalle de temps entre le début des premiers symptômes et le diagnostic varie entre 3 mois et 10 ans avec délai moyen de 34,6 mois. Chez 67,6 % des malades, le diagnostic a été posé plus de 2 ans après le début des symptômes dont 32,3 % après plus de 4 ans. Ce retard de diagnostic nous fait découvrir le cancer de l’estomac au stade évolué. En effet, chez 42 malades dont l’extension de TABLEAU 4 Localisation du cancer de l’estomac Localisation Nombre de cas % Antre 30 53,50 Sous-cardiale 6 10,71 Cardiale 3 5,35 Fundus 5 8,92 Tout l’estomac 2 3,57 Non précisée 10 17,85 g - Aspects anatomopathologiques Les données de l’endoscopie digestive haute ont pu être obtenues chez 28 malades. Au diagnostic macroscopique établi selon la classification de Borrmann, on ne retrouve que des stades évolués : 12 malades au stade II, 11 au stade III et 5 malades au stade IV. Le diagnostic histologique a été porté chez 82 % des malades, soit sur les biopsies endoscopiques, soit sur la pièce opératoire. Les adénocarcinomes sont les plus fréquents (78 % des cas). Les autres formes retrouvées sont des épithéliomas tubulaires (8,6 %), des lymphomes malins non Hodgkiniens (6 %), des carcinomes sans autre indication (4,3 %) et un carcinome indifférencié. III.3.2 - Le carcinome hépato cellulaire (CHC) a - Fréquence relative Le CHC occupe le deuxième rang de tous les cancers avec une fréquence relative de 13,9 % et le premier rang chez l’homme avec une fréquence relative de 20 %. Il représente 37,9 % des cancers digestifs. b - L’âge L’âge moyen est de 41,6 ans avec des extrêmes allant de 12 à 70 ans. Le risque de développer un CHC semble s’accroître avec l’âge à partir de 20 ans. Le pic maximal de fré- Médecine d'Afrique Noire : 1990, 37 (10) P. KADENDE, D. ENGELS, J. NDORICIMPA, E. NDABANEZE, D. HABONIMANA, G. MARERWA, V.BIGIRIMANA, L. BAZIRA, P. AUBRY 555 quence se situe entre 30 et 39 ans (25,9 %) des malades. 20,3 % des malades ont moins de 30 ans, 68,5 % ont entre 30 et 60 ans. femme : 46 cas contre 9, soit un sex ratio de 5/1. La répartition du CHC par âge et par sexe est reprise à l’histogramme 2. c - Le sexe La morbidité dûe au CHC est plus importante chez la Histogramme 2 - Répartition du CHC par âge et par sexe 14 Nb cas 13 12 10 10 10 8 Femmes 6 5 4 3 5 3 2 2 Hommes 2 1 0 0 1 0 0 Ages 10-19 20-29 30-39 40-49 50-59 60-69 70-79 d - Niveau socio-économique et mode de vie L’analyse du statut socio-économique faite chez 46 patients révèle que 30 (65,2 %) sont de bas niveau ; 13 de moyen niveau, 2 de haut niveau socio-économique. Il n’a pas été possible d’établir de corrélation entre le niveau socioéconomique, les injections parentérales, les scarifications et la consommation d’alcool. f - Le diagnostic Il est le plus souvent clinique, aidé dans 48 % des cas les analyses biochimiques (alpha foeto-protéine) et l’échographie. 24 malades ont pu bénéficier d’un dosage d’alpha foeto protéine : 17 d’entre eux sont positifs en contre immunoélectrophorèse. La confirmation histologique n’a été obtenue que dans 27 % des cas. e - Motif principal de consultation et antécédents médicaux Par ordre décroissant, les plaintes principales sont les suivantes : douleurs de l’hypocondre droit, amaigrissement important, masse de l’hypocondre droit et/ou de l’épigastre à croissance rapide, une ascite. L’ictère et la fièvre sont peu fréquents. Dans une observation, le diagnostic a été posé dans un contexte d’abdomen aigu : Hémopéritoine inaugural sur CHC chez une femme de 28 ans. Dans un autre cas, le diagnostic a été fortuit : Découverte d’un CHC en péropératoire chez un homme de 36 ans présentant une hémorragie digestive haute sur ulcère bulbaire. Les formes angiocholitiques sont rares. Nous n’en avons observé que 1 cas. A la recherche des antécédents médicaux, très peu de malades se souviennent avoir eu une affection hépatique. Chez 23 malades ayant un CHC pour qui la recherche de l’Ag HBS a été réalisée, 17 soit 73,8 % sont positifs au seul marqueur Ag HBS, le seul marqueur dont nous disposons. III.3.3 - Les cancers colo-rectaux 14 cas ont été enregistrés soit 3,7 % de tous les cancers et 10 % des cancers digestifs. Le petit échantillon ne permet pas de faire une analyse épidémiologique et anatomique des cancers colo-rectaux ; toutefois, l’atteinte masculine est prédominante : 12 cas contre 2, soit un sex ratio de 6/1. Quant à la localisation, il est intéressant de noter que 8 cancers sont localisés au niveau du rectosigmoïde, 3 au niveau du colon G. et un seul au niveau de l’angle hépatique. 2 localisations ne sont pas précisées. Médecine d'Afrique Noire : 1990, 37 (10) 11 cas/14 des cancers colorectaux sont donc accessibles à la coloscopie courte dont 8/14 à la rectosigmoïdoscopie. Malgré cette accessibilité, le retard diagnostique est considérable, pouvant aller jusqu’à 4 ans après l’installation des premiers symptômes. Les accidents occlusifs sont observés dans deux cas. LES CANCERS DIGESTIFS AU BURUNDI 558 III.3.4 - Le cancer de l’oesophage 8 cas de cancers de l’oesophage ont été enregistrés, tous de sexe masculin. Ce petit échantillon ne permet pas une analyse épidémiologique. des malades atteints de cancers digestifs est de 60 à 70 ans (2). IV.2 - Analyse partielle IV.2.1 Le cancer de l’estomac IV - DISCUSSIONS IV.1 - Analyse globale Les cancers digestifs présentent un grand intérêt au BURUNDI, pour deux raisons : . Leur grande fréquence, plus particulièrement en ce qui concerne le cancer de l’estomac et le CHC. . Leur gravité, lié au retard de diagnostic. Les cancers digestifs occupent la première place de tous les cancers (37 %). Nous n’avons pas de recul suffisant pour en déterminer la prévalence. La classique prédominance masculine est retrouvée avec 111 cas chez l’homme. Le sex ratio est de 3,2/1 supérieur à celui que CORNET trouve en Côte d’Ivoire (2). L’âge moyen de nos patients est de 52,8 ans légèrement supérieur aux observations de CORNET en Côte d’Ivoire mais inférieur à celles des pays développés où l’âge moyen Fréquence relative Le cancer de l’estomac représente dans notre série 14 % de tous les cancers et occupe la première place des cancers digestifs dont il représente 38,5 % (tab 2). Alors que le cancer de l’estomac est rare en Afrique Occidentale francophone (2, 4, 19), il paraît fréquent en Afrique Centrale bien que KLOTZ (13) et TUYNS (23) affirment que le cancer de l’estomac est rare au Gabon et au Congo. Dans ses travaux réalisés à Katana-Kivu (Zaïre) de 1959 à 1960, à KAMPALA chez des sujets originaires du RWANDA et du BURUNDI, de 1964 à 1968 et au RWANDA de 1968 à 1969, GIGASE (10) rapporte une fréquence relative du cancer de l’estomac de 8,1 à 29,9 %. La fréquence relative de 14 % relevée au BURUNDI occupe une place intermédiaire à celles de GIGASE, elle est de 3 à 5 fois supérieure aux fréquences relatives retrouvées en Afrique Occidentale francophone (tab 5). TABLEAU 5 - Fréquence relative des cancers de l’estomac en Afrique Occidentale francophone et en Algérie. Comparaison avec le BURUNDI Pays Auteurs Années H F Cameroun Jensen et coll (11) 1969-73 2,7 % 2,4 % Sénégal (Cap vert) Tuyns et coll (24) 1969-74 4,3 % 2,4 % Sénégal (Dakar) Quenum et coll (21) 1967-69 3,9 % 1,6 % Algérie Yaker (25) 1966-75 4,4 % 1,8 % Côte d’Ivoire Diomande et coll (6) 1974-83 4,8 % 2% Burundi Notre série 1988-89 15,2 % 12,6 % Age et sexe Le cancer de l’estomac touche des sujets relativement âgés compte tenu de l’espérance de vie en Afrique et du caractère jeune de la population. L’âge moyen est en effet de 55,1 ans, plus jeune que dans les pays développés où l’âge moyen se situe entre 60 et 70 ans. L’atteinte masculine prédomine (sex ratio 1,6/1) mais elle est moins marquée qu’en Côte d’Ivoire, au Sénégal et à Madagascar où le sex ratio est respectivement de 2,25/1 ; 2,5/1 et 4/1 (2, 10, 3). Dans notre étude, la femme est touchée dans une proportion importante : le cancer de l’esto- mac représente 12,6 % de tous les cancers chez la femme et 61,7 % des cancers digestifs. Niveau socio-économique et mode de vie 92 % des malades sont de bas niveau socio-économique, 64 % des fumeurs, 55 % ont des antécédents éthylo-tabagiques. Ces faits montrent que les classes les plus démunies sont la cible préférentielle du cancer de l’estomac. En effet, les différentes hypothèses en faveur du rôle de l’alimentation comme facteur de risque dans le développement du cancer de l’estomac sont réunies dans cette population : Médecine d'Afrique Noire : 1990, 37 (10) P. KADENDE, D. ENGELS, J. NDORICIMPA, E. NDABANEZE, D. HABONIMANA, G. MARERWA, V.BIGIRIMANA, L. BAZIRA, P. AUBRY 559 régime hyperglucidique, hypoprotidique, pauvre en fruits ; consommation des grillades ; conservation défectueuse des aliments ; irrégularité des repas. Sur le plan clinique Les formes vues tardivement sont les plus fréquentes. Tous les cas sont aux stades II - III - IV selon la classification de Bormann. Le délai de diagnostic supérieur à deux ans concerne 67,6 % des malades. Le délai moyen est de 34,6 mois. Ce retard de diagnostic déploré par beaucoup d’auteurs africains (2, 4, 15, 17, 19, 22) incombe à la fois au malade et au personnel soignant qui néglige la symptomatologie douloureuse épigastrique attribuée le plus souvent à une parasitose digestive. Le retard de diagnostic s’explique également par l’inaccessibilité de la population cible du cancer de l’estomac à l’endoscopie digestive. Sur le plan anatomique La localisation antrale est la plus fréquente (53,5 %) ce qui rejoint l’observation des auteurs africains (2, 4, 22), mais notre série comporte également une localisation cardiale et sous-cardiale importante (19,5 %). Les formes ulcéro-végétantes et ulcéro-infiltrantes représentent 83 % des cas. L’adénocarcinome se retrouve dans 78 % des cas. IV.2.2 - Le CHC représente 13,9 % de tous les cancers, suivant de très près le cancer de l’estomac et 38 % des cancers digestifs. Il est le premier cancer chez l’homme dont il totalise 20 % de tous les cancers. La fréquence relative observée au BURUNDI est intermédiaire à celle des autres pays africains (tab 6). TABLEAU 6 - Fréquence relative du CHC en Afrique - Comparaison avec le BURUNDI Pays Auteurs Année M F Algérie Yaker (25) 1966-75 < 2,4 % 1,8 % Côte d’Ivoire Diomande et coll. (6) 1974-83 9,44 % 1,46 % Cameroun Jensen et coll (11) 1969-73 9,6 % 2,9 % Sénégal (Dakar) Quenem et coll (21) 1967-69 24,6 % 5,9 % Sénégal (Cap vert) Tuyns et coll (24) 1969-74 36,8 % 13,4 % 13,4 % Congo Tuyns et coll (23) 1956-60 40,7 % Rwanda Gigase (10) 1968-69 9,4 % - Burundi Notre série 1988-89 20 % 5,4 % Age et sexe Alors que dans les pays développés le CHC s’observe surtout à partir de la 6è décade (1, 5), en Afrique le CHC touche des sujets jeunes. L’âge moyen de nos malades est de 41,6 ans, le pic maximal de fréquence se situe entre 30 et 39 ans, 20,3 % des malades ont moins de 30 ans. Ces constatations rejoignent celles faites à Dakar (8), en Côte d’Ivoire (6) et au Mozambique. Au Congo par contre, l’âge moyen paraît un peu plus élevé : 47,4 ans (23). L’atteinte masculine prédominante est classique selon DARNIS et BALLET (5), le sex ratio est de 3 à 20/1. En Afrique, TUYNS (23) trouve un sex ratio de 2,6 à 5,2/1. Dans notre étude, le sex ratio est de 5/1. Ce rapport semble plus élevé que celui du Congo, du Nigéria, du Mozambique et du Sénégal tel que rapporté par TUYNS (23) où il varie entre 2,3 à 4,3/1 mais inférieur à celui de Madagascar où il est de 7/1. Au RWANDA, le CHC toucherait de manière égale l’homme et la femme selon GATERA (9). Médecine d'Afrique Noire : 1990, 37 (10) Niveau socio-économique, mode de vie et antécédents médicaux. Dans notre série, le CHC touche les classes socioéconomiques les moins favorisées. La classe socioéconomique de haut niveau n’est atteinte que dans 4,3 %. D’après DIOP au Sénégal (8), le “CHC est retrouvé dans toutes les couches sociales avec peut-être une plus grande fréquence chez les indigents”. En effet la mauvaise conservation des céréales et des grains, source de mycotoxines les touche plus particulièrement. Le rôle des mycotoxines en s y n e rgie avec le virus de l’Hépatite B a été vérifié au BURUNDI, par KOCHELEFF et coll (14). Ces auteurs trouvent une corrélation entre une grande consommation d’aflatoxine, la prévalence élevée d’Ag HBs et la distribution du CHC. 73,8 % des 23 malades ayant pu bénéficier de la recherche de l’Ag Hbs sont positifs à ce marqueur. Ces constatations rejoignent celles de KLOTZ et coll. au Gabon (13) et de BEASLEY (20). KLOTZ retrouve des LES CANCERS DIGESTIFS AU BURUNDI 560 stigmates d’infection par le VHB chez 96 % des CHC avec 45 % d’Ag HBs positifs. BEASLEY note que 75 à 90 % des CHC surviennent chez des sujets porteurs chroniques de l’Ag HBS. Plus récemment, le rôle du virus de l’hépatite C, seul ou en association avec le VHB a été démontré par M.C. KEW et coll (12) : sur une série de 380 malades atteints du CHC, 110 avaient des anticorps anti HVC. Sur le plan clinique Les douleurs de l’hypocondre droit dans un contexte d’amaigrissement important contrastant avec l’augmentation de l’abdomen constituent le principal motif de consultation. Ce tableau clinique est retrouvé par GATERA au RWANDA (9) et par DIOP et coll (7) au Sénégal. IV.2.3 - Les cancers colorectaux Si l’on compare la fréquence relative des cancers colorectaux au BURUNDI à celle des pays développés, elle est très faible dans notre série et dans les autres pays au Sud du SAHARA car, en Afrique, le régimes alimentaire est moins riche en graisses animales et plus riche en fibres végétales. Nos observations concordent avec celles de CORNET en Côte d’Ivoire (2). Toutefois, l’adoption d’un mode de vie occidental favorisera probablement la progression des cancers colo-rectaux. Il est également important de souligner que dans notre série, 11 cas/14 des cancers colo-rectaux sont accessibles à la coloscopie courte, dont 8/14 à la rectosigmoïdoscopie. La prédominance des localisations droites observées par CORNET en Côte d’Ivoire, par CHABAL au Sénégal et ESSOMBA au Cameroun selon CORNET (2) n’est pas retrouvée dans notre étude. V - CONCLUSIONS Les cancers digestifs présentent deux caractéristiques particulières au BURUNDI . La grande fréquence de certains d’entre eux : le cancer de l’estomac et le CHC, et la faible fréquence des autres localisations : oesophage, rectum, colon, pancréas, intestin grêle. Le manque de moyens d’exploration suffisants peut expliquer la fréquence relative basse pour les deux dernières localisations. Alors que dans les pays développés, le cancer de l’estomac est en régression et que le CHC a une incidence faible, nos observations montrent une fréquence élevée de ces deux cancers et justifient la nécessité d’une surveillance vigilante quant à leurs tendances d’évolution. L’adoption d’un mode de vie occidental sera probablement responsable d’un accroissement des cancers colo-rectaux. . Leur gravité est dûe essentiellement au retard de diagnostic. Il importe donc d’assurer la surveillance et la détection précoce des cancers digestifs, d’améliorer les conditions de conservation des aliments, l’hygiène alimentaire et renforcer la vaccination contre le virus de l’hépatite B dans les groupes à risque. BIBLIOGRAPHIE 1 - ANON Hepatocellular : Differencies between high and low incident regions. Lancet, November 1987, 21 : 1183-1184. 2 - CORNET L., ANGATE A.Y. et coll. Les cancers du tube digestif en Côte d’Ivoire. 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L'ANESTHESIE SOUS-ARACHNOIDIENNE La sédation intraveineuse Dans la série des péridurales par voie transsacrée, tous les enfants sauf un (imperforation anale par voie basse chez un nouveau-né de 3 jours) ont reçu une sédation complémentaire ; pour 20 d'entre eux (83 %) elle fut assurée par le même protocole que pour les rachianésthésies (doses moyennes diazépam 8,7 ± 2,9 mg, kétamine 50,6 ± 18,2 mg), pour les 4 autres par une association diazépam-thiopental. La sédation intraveineuse fut requise 171 fois (31 % des péridurales) chez l'adulte, dans 86 % des cas par l'emploi d'une benzodiazépine et/ou de kétamine (doses moyennes diazépam 11,8 ± 5,4 mg, midazolam 6,8 ± 3,2 mg, kétamine 78,7 ± 50,5 mg), le reste par associations diazépam-thiopental ou diazépam-péthidine. Médecine d'Afrique Noire : 1990, 37 (10)