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vient souvent indétectable. Pourquoi ?
Parce que le système immunitaire dé-
clenche une réaction humorale et cel-
lulaire qui contrôle à elle seule l’infec-
tion, sans toutefois éradiquer le virus
qui reste décelable si on le cherche
b i e n .
Ensuite s’installe un statu quo trom-
peur de plusieurs années avant que le
virus ne prenne progressivement le
dessus. Pourtant, il arrive que le
contrôle immunitaire reste efficace à
travers les ans : CD4 à peine abaissés
ou normaux et charge virale indétec-
table ou stabilisée, en général à moins
de 10 000 copies. Les personnes qui ont
la chance d’être dans cette situation
se portent bien. Ces non progresseurs
sont appelés des asymptomatiques à
long terme ou ALT.La description de
la réaction immunitaire dans le cha-
pitre précédent, caricaturale pour un
spécialiste, nous sera tout de même
utile pour comprendre un peu ce qui se
passe chez les ALT.
La plupart se distinguent par une vi-
goureuse réponse cellulaire avec des
lymphocytes CD4+ spécifiques du
virus et des CD8 cytotoxiques anti-VIH
très actifs. La prolifération de ces lym-
phocytes et le bon état fonctionnel
des cytotoxiques nécessitent de l’IL2
(interleukine 2) qui est secrétée par
les CD4. Les CD8 en forme secrètent à
leur tour des chimiokines5qui neutra-
lisent les corécepteurs nécessaires au
virus pour infecter ses cellules préfé-
rées, les lymphocytes CD4 et les ma-
crophages. Ces cellules sont donc rela-
tivement protégées. Il subsiste une
légère réplication virale. Elle stimule
les CD4+ qui activent les CD8 cyto-
toxiques, lesquels vont éliminer les cel-
lules productrices de virus. On ne sait
pas combien de temps ça peut durer,
mais des ALT vivent en paix avec leur
virus depuis 15 ou 20 ans ! (sur le rôle
des CD8, lire les propos de Kendall
Smith, chapitre "CD8 et IL2", page 10).
Les progresseurs.
Le statut d’ALT est l’exception. La pro-
gression vers le déficit immunitaire,
avec effondrement des CD4 et même
des CD8 aux stades tardifs, est la
règle. Sous thérapie antivirale dura-
blement efficace, les CD4 remontent
(même s’il n’y en avait plus). Des
tests immunologiques montrent que
les lymphocytes récupérés après une
période probatoire d’environ trois à
quatre mois sont capables de réagir
en présence des germes classiques :
virus CMV, streptoccoques et myco-
bactéries par exemple. C’est pourquoi
les personnes qui étaient malades
voient leur santé s’améliorer : les CD4
spécifiques des divers agents infec-
tieux sont régénérés et dirigent une
réponse immunitaire efficace contre
ces micro-organismes6.
Cette régénération de lymphocytes
CD4 tout neufs (dit naïfs7) est une
grande découverte : l’organisme est ca-
pable de les produire à partir d’un or-
gane qu’on pensait atrophié et non
fonctionnel chez l’adulte : le thymus.
Mais il y a un hic : on ne retrouve pas de
lymphocytes CD4+ spécifiques du
VIH même après des années de charge
virale indétectable. Les CD8 spéci-
fiques du VIH sont orphelins de CD4.
Ils ne reçoivent pas leur engrais à l’in-
terleukine 2, sont en mauvais état et ne
savent pas se débrouiller seuls. Leur
activité anti-VIH est très déficitaire et
lorsqu’on arrête le traitement, ils sont
incapables d’enrayer le rebond de la
multiplication virale (sauf cas parti-
culiers, v o i rc i - d e s s o u s ) .
A la re c h e r che du CD4
p e rd u
Ces fameux CD4 spécifiques du VIH,
véritable arlésienne du séropo, sont en
fait perdus très vite après la primo-in-
fection (sauf chez les ALT). Encore
récemment, on pensait que cette
perte était définitive. Mais si le thymus
est capable de régénérer toutes les
autres catégories de CD4+, il n’y a pas
de raison qu’il ne puisse pas fabriquer
des CD4 anti-VIH. Les données ci-
dessous et leur interprétation théo-
rique montrent que cela semble bien se
produire dans certaines situations.
Des indices préalables.
D’abord à la suite d’arrêts thérapeu -
tiques aux conséquences inattendues
Les résultats originaux d’une étude
avaient été présentés, il y a un an, au
congrès de Chicago sur les rétrovirus.
Des patients stables sous trithérapie
depuis de nombreux mois, avec des
CD4 satisfaisants et une charge virale
indétectable, avaient arrêté à trois re-
prises leur traitement. Comme prévu,
la charge virale rebondissait et les pa-
tients reprenaient leur traitement dès
qu’elle atteignait 10 000 copies. Mais
à chaque fois, le temps nécessaire pour
que la charge virale redevienne détec-
table s’est accru par rapport à l’arrêt
précédent, comme si l’organisme com-
mençait à développer un début de
contrôle de l’infection. Plus étonnant
encore, des observations font part de
rares cas de personnes ayant arrêté
plusieurs semaines, voire plusieurs
mois, leurs antiviraux et qui ont vu la
charge virale remonter très forte-
ment, parfois de plusieurs centaines
milliers de copies, atteindre un plateau
puis décroître pour se stabiliser à une
valeur faible de façon durable.
Puis à la suite d’arrêts thérapeutiques
sous IL2 :Les résultats très intéressants
de l’étude de Kendall Smith sont lar-
gement présentés dans ce numéro
(pages 8 à 11). Neuf patients stabili-
sés sous trithérapie plus IL2 par voie
sous-cutanée ont interrompu leur
traitement antiviral tout en continuant
les injections d’IL2. Résultat : un re-
bond de charge virale jusqu’à
340.000 copies mais ensuite une ré-
duction à environ 20.000 qui se main-
tient durant plusieurs mois !
Une hypothèse.
Selon cette hypothèse, le système im-
munitaire de ces personnes était suffi-
samment restauré pour répondre à une
stimulation antigénique (voir les pro-
pos de Robert Gallo page 12), en l’oc-
“Ces fameux CD4 spécifiques du VIH, véri -
table arlésienne du séropo, sont en fait per -
dus très vite après la primo-infection, sauf
chez les ALT
g l o s s a i re2
va c c i n o t h é ra p i e
3. Lymphocytes cyto-
t o x i q u e s .La cytotoxicité est
le fait d’être toxique pour la
cellule. Les lymphocytes T
cytotoxiques sont du type
CD8+ et on les appelle aussi
lymphocytes tueurs
puisqu’ils tuent les cellules
infectées par des virus. Leur
activité est très spécifiq u e ,
en effet ils sont équipés de
récepteurs qui reconnaissent
un antigène viral et seule-
ment celui-là. Par consé-
quent ils ne détruiront que
les cellules porteuses de l’an-
tigène qu’ils reconnaissent
et resteront parfaitement in-
différents à une cellule por-
teuse d’un autre virus. En
théorie, il existe autant de
types de lymphocytes CD8
cytotoxiques que de types
d’antigènes, c’est à dire que
de types de virus avec leurs
divers antigènes. Une caté-
gorie très particulière de
lymphocytes tueurs est le
lymphocyte tueur naturel ou
NK (Natural Killer). Ces lym-
phocytes sont capables de
tuer toute cellule infectée par
un virus quel qu’il soit d’où
le terme de naturel. Leur rôle
semble mineur à côté de
celui des CD8.
4. Primo-infection.C ’ e s t
l’ensemble des phénomènes
qui se produisent lorsqu’un
micro-organisme infectieux
à réussi à pénétrer dans l’or-
ganisme et à s’y multiplier
en provoquant plus ou
moins de dégâts, très va-
riables et souvent silencieux.
S’il y a des signes, dits signes
cliniques, ils sont plus ou
moins intenses et souvent
peu spécifiques, c’est à dire
peu caractéristiques de
l’agent infectieux impliqué.
La plupart du temps, l’orga-
nisme parvient à contrôler
l’infection puis à éliminer le
germe ou à le maintenir dor-
mant. Dans le cas du VIH,
cette phase dormante n’est
qu’apparente : le virus conti-
nue à être actif mais il s’éta-
blit un équilibre temporaire
avec le système immuni-
t a i r e .
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