rapport de MISSIoN Quelles voies vers la transition? Recherche comparative France-Québec

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Recherche comparative France-Québec
rapport de MISSION
Quelles voies vers la transition?
Gilles L. Bourque et Ernesto Molina
AOÛT 2013
Chaire de recherche en développement des
collectivités (CRDC-UQO) de l’Université du
Québec en Outaouais
Institut de recherche en économie contemporaine
(IRÉC)
Institut de recherche en économie contemporaine
www.irec.net / [email protected]
Table des matières
Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Une mission exploratoire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
a) Les partenaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
b) Les organisations rencontrées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
Les constats préliminaires. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
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Introduction
Pour plusieurs raisons, la transition écologique de l’économie va devenir le thème majeur de la
première moitié du 21e siècle. Les scientifiques sont clairs : nous devons diminuer de 75 à 90 % nos
émissions de CO2 si nous voulons éviter une catastrophe climatique. Si on les compare à l’Amérique du Nord, les pays membres de l’Union européenne se sont donné des objectifs ambitieux
de lutte contre les changements climatiques, qui ont débouché sur une feuille de route pour 2050
vers une économie à faible intensité carbone. Avec l’arrivée du gouvernement Hollande, la France
s’est explicitement engagée dans un chantier de réflexion et d’action sur cette transition, en programmant par exemple un « Débat national sur la transition énergétique », ouvrant ainsi un vaste
chantier d’expérimentations dont nous pensons que le Québec pourrait profiter avec des transferts
de connaissances.
Les gouvernements Hollande en France et Marois au Québec partagent plusieurs points en
commun : tous les deux ont formulé, lorsqu’ils étaient en campagne électorale, des promesses audacieuses sur les enjeux de la lutte au réchauffement; les deux pays ont réussi à imposer un moratoire
sur l’exploration et l’exploitation des gaz de schistes, malgré les puissants lobbys qui s’y opposaient.
Au Québec, le gouvernement Marois a en outre décidé de tourner le dos à l’énergie nucléaire. C’est
évidemment plus facile lorsque le seul réacteur nucléaire québécois ne représente que 1 % de l’offre.
Mais les enjeux de la transition ne sont pas les seuls où les deux gouvernements font converger
leurs intérêts. Le 15 mars dernier, les deux gouvernements ont signé une entente en matière d’économie sociale et solidaire (ÉSS) visant à renforcer leur coopération et à approfondir leurs échanges
sur ces questions. À l’article 5 de l’entente, on mentionne que les parties feront « …une promotion
des appels à projets et des opportunités de financement dans le cadre de la coopération francoquébécoise. » Il faut signaler que le signataire français de cette entente, Benoît Hamon, ministre
délégué chargé de l’Économie sociale et solidaire et de la Consommation, avait été sensibilisé à ces
enjeux une première fois à l’occasion du Colloque international sur le renouvellement de la socialdémocratie, qui a eu lieu les 26 et 27 novembre 2010 à l’UQAM à Montréal sous les auspices de
l’IRÉC.
C’est donc dans ce cadre, alliant la nécessité d’une transition écologique de l’économie et la
promotion de l’ÉSS, que la Chaire de recherche en développement des collectivités (CRDC-UQO)
et l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) se sont associées pour financer un
projet de mission à Grenoble et à Paris. L’idée de départ était de proposer à des partenaires français
un programme de recherche France-Québec de long terme sur le thème spécifique de « l’apport des
entreprises d’économie sociale à la transition énergétique au Québec et en France ».
La CRDC s’intéresse à ces enjeux depuis quelques années, avec en particulier son chantier de
solidarité internationale en matière d’énergies renouvelables, d’agriculture écologiquement intensive et d’aménagement durable des forêts, avec des communautés du Québec et du Sud. Ces exemples ont inspiré la production de l’ouvrage La transition écologique de l’économie. Contribution
des coopératives et de l’économie solidaire (Favreau et Hébert, 2012, publié aux Presses de l’Université du Québec). Aussi, à la suite de la Conférence internationale « Quel projet de société pour
demain? » (2010) à laquelle était associée la CRDC, un ouvrage Économie et société. Pistes de
sortie de crise répondant à la question du comment réinventer l’économie et l’orienter vers un type
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de société qui entend respecter les équilibres écologiques et en même temps être porteuse de justice
économique et sociale a été produit (Favreau et Molina, 2011, publié aux Presses de l’Université du
Québec).
De son côté, depuis trois ans l’IRÉC a développé un axe de recherche sur la reconversion
écologique de l’économie québécoise qui est devenu un axe stratégique prioritaire de l’Institut.
Plusieurs documents de recherche et événements y ont été dédiés dont un colloque qui a eu lieu
en mai dernier sur le thème « Restructuration industrielle et reconversion écologique » et un
vaste programme de recherche sur le thème « Financer la transition écologique » qui a été lancé à
l’automne 2012 dont les premiers résultats devraient paraître à l’automne 2013. Enfin, ce qui n’est
pas à négliger, plusieurs partenaires de l’IRÉC sont particulièrement impliqués dans l’apport des
entreprises d’ÉS à la dynamique de transition écologique.
Cette mission conjointe IRÉC-CRDC vise donc à amorcer un changement d’échelle dans
la poursuite de nos recherches sur la transition écologique de l’économie grâce à des échanges de
long terme avec de nouveaux partenaires. En développant des liens avec des partenaires français
de la région Rhône-Alpes ainsi que de Paris, qui déboucheraient sur un programme conjoint de
recherche comparative des expériences en émergence dans nos régions respectives, nous pensons
pouvoir instaurer ce changement.
Le présent rapport préliminaire fait le bilan de notre mission.
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Une mission exploratoire
Notre mission en France a été menée du 22 juin au 2 juillet 2013. Dans un premier temps,
nous avons rencontré des chercheurs basés à Grenoble, en particulier l’équipe de l’ESEAC
(Socio-Economie Associative et Coopérative). Ces derniers avaient par ailleurs programmé un
ensemble de visites d’entreprises d’ÉSS actives dans des pratiques de transition écologique. La
première semaine de notre mission était donc assez remplie. Dans un deuxième temps, nous avons
passé par Paris pour rencontrer des chercheurs associés à la Revue internationale de l’économie
sociale (Recma) qui souhaitaient se joindre à notre démarche.
Dans ce chapitre nous allons présenter les partenaires de recherche français que nous avons
rencontrés et donner un aperçu de la diversité des expériences françaises d’ÉSS dans le domaine de
la transition écologique de l’économie.
a) Les partenaires
Nous aurions pu choisir la région de la Bretagne, qui est très en pointe sur les énergies renouvelables, comme dans sa structuration de l’ÉSS, le Centre-Limousin-Auvergne ou le Sud Ouest
(Aquitaine, Midi-Pyrénées). Si nous sommes allés à Grenoble pour cette mission exploratoire, c’est
que la CRDC a développé, de longue date, des échanges avec Danièle Demoustier, reconnue pour
ses recherches dans le domaine de l’ÉSS1. L’objectif était donc de faire de l’équipe de l’ESEAC,
de l’Institut d’études politiques de Grenoble, notre principal partenaire français. L’occasion était
belle pour rencontrer par la même occasion la nouvelle responsable de l’équipe, Amélie Artis, puisque Danièle prenait officiellement sa retraite de ses diverses charges universitaires pendant notre
visite. Spécialisée dans l’étude des organisations associatives, mutualistes et coopératives, l’ESEAC
consacre ses activités de recherche et d’expertise à l’analyse des mutations dans ces organisations,
en mobilisant des approches économiques, politiques et sociologiques. Bien qu’elle soit au plus
près des expériences émergentes du département de l’Isère et de la région Rhône-Alpes, l’ESEAC
a des partenariats avec les mouvements nationaux de l’économie sociale et est impliquée dans les
réflexions menées par les grands acteurs de l’économie sociale (centres sociaux, banques coopératives, mutuelles d’assurances, etc.) sur les grands enjeux socioéconomiques actuels. Pour l’occasion
l’ESEAC avait invité Vincent Plauche, maître de conférences à la Faculté d’économie de Grenoble,
qui s’intéresse à l’agriculture non seulement biologique, mais aussi écologique et sociale, à partager
nos discussions.
Nous avons par ailleurs rencontré à Grenoble un autre partenaire français pressenti par notre
mission exploratoire. Stéphane Labranche, chercheur associé à Pacte UMR CNRS, une unité
mixte de recherche du CNRS et de l’Université de Grenoble (iepg-ujf-upmf), est coordonnateur de
la Chaire Planète, Énergie, Climat de l’IEP de Grenoble et membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIÉC) de l’ONU. D’origine québécoise, l’intérêt à l’associer
à notre démarche est double : du fait de sa formation en sciences politiques, il apporte une compréhension plus axée sur les politiques publiques dans les domaines liés à la transition, ainsi que sur les
obstacles, les freins et les réticences aux changements vers une société post carbone dans différents
domaines : déplacements, entreprises, énergies renouvelables, habitat. Il aborde le développement
1. Danièle Demoustier est membre du comité scientifique de la CRDC.
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durable et participatif (DDP) comme une contrainte qui structure notre façon de concevoir le
développement et la gouvernance. Pour Stéphane Labranche, la notion de gouvernance fait le pari
à la fois théorique et pratique que la meilleure façon d’atteindre la durabilité environnementale est
d’inclure les citoyens dans le processus de prise de décision. Par ailleurs, sa capacité à bien décoder
les particularités des partenaires français et québécois ne peut qu’ajouter un aspect positif à sa participation à ce projet de partenariat de recherche.
Enfin, comme mentionné en introduction, le troisième groupe de partenaires rencontré lors
de notre mission était la Recma. Jean-François Draperi, rédacteur en chef et membre du Centre
d’économie sociale et solidaire (CESTES) du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
et Jordane Legleye, rédacteur en chef adjoint, nous ont reçus à Paris dans les locaux de la revue.
Non seulement souhaitent-ils contribuer à la diffusion des éventuels résultats de nos recherches
comparatives France-Québec, mais également y participer comme chercheurs. Depuis quelques
années Jean-François a rassemblé autour d’Acteurs, Chercheurs, Territoires d’économie sociale
(ACTE 1), réseau qu’il anime, une équipe informelle de chercheurs et d’acteurs terrains pour faire
avancer la recherche sur l’ÉSS en développant des partenariats, en construisant des réponses en
réseau et en s’organisant pour construire des filières en réponse à des besoins locaux. En octobre
2009, ACTE 1 réunissait une cinquantaine de membres individuels venant de toute la France. Une
vingtaine d’entre eux représentaient une dizaine d’organisations de l’économie sociale, solidaire ou
alternative et autant d’universités. Présentement, ce réseau est moins actif, mais notre projet pourrait s’inscrire dans la dynamique de relance qu’ils sont en train de développer. Notons que le but
de l’association ACTE 1 est d’organiser des rencontres entre acteurs innovants et chercheurs engagés dans le double objet de produire des innovations et des connaissances originales en économie
sociale et solidaire comme réponse aux nouvelles attentes de la société. Parmi ses thématiques de
travail, nous trouvons « les réseaux et environnements » ainsi que « l’économie sociale et solidaire
comme mouvement ». Dans la mesure où ils travaillent déjà sur des expériences de transition écologique impliquant les acteurs nationaux français de l’économie sociale, leur participation à notre
démarche était donc tout indiquée.
b) Les organisations rencontrées
Comme nous le disions plus haut, l’ESEAC nous avait préparé une série de rencontres avec
des représentants d’organisations représentatives de ce qui est en train d’émerger dans la région
Rhône-Alpes dans le domaine des expériences d’ÉSS vers une transition écologique. Même si, dans
le secteur de la production et de la distribution de l’énergie, il a été impossible de faire coïncider nos
agendas, nous avons été agréablement impressionnés par l’originalité et la diversité des expériences
dont nous avons pu prendre connaissance.
Le premier intervenant que nous avons rencontré est Julien Raynier, de la coopérative des
savoirs paysans ADABio autoconstruction. Créé à l’automne 2011 par un groupe de maraîchers
biologiques et de techniciens de l’ADABio (association des producteurs biologiques du Nord-Est
de Rhône-Alpes), ADABio Autoconstruction se donne pour mission de développer et diffuser
la pratique de l’autoconstruction de matériel agricole issu des adaptations des paysans. Ils partent du constat qu’un certain nombre de bonnes trouvailles qui émergent constamment du bricolage des agriculteurs se doivent d’être répertoriées et diffusées largement par le biais de formations à l’autoconstruction. Cette activité de diffusion de « technologies appropriées » s’effectue
avec l’aide du « Guide de l’autoconstruction : outils pour le maraichage biologique » et par le
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Forum de leur site web qui est un des éléments qui leur permet de constituer un réseau d’échange
de savoirs et savoir-faire autour du machinisme agricole.
Présentement, l’association ADABio Autoconstruction prévoit se constituer prochainement
en « Coopérative des savoirs paysans », dont la forme juridique sera très certainement celle d’une
société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Un atelier permanent est en cours de préparation,
constituant une sorte de « Farmlab paysan ». Convaincus de l’importance du recyclage et du réemploi, ils veulent que ce « Farmlab », cet atelier permanent, participe à récupérer l’importante masse
de ferraille abandonnée aux ronciers chez les agriculteurs, qui, une fois remise à niveau, pourrait
servir à de nouveaux outils bricolés. Ce futur atelier ouvert mettra à disposition des machines-outils
qui permettront à quiconque de fabriquer des outils adaptés à la pratique agrobiologique. Lieu de
fabrication et d’ingénierie collaborative, le « Farmlab » permettra de traduire physiquement les
échanges et les trouvailles générés par le Forum de ce site Internet.
Au troisième jour de notre mission à Grenoble, nous avions prévu rencontrer deux organisations dont les bureaux sont tous les deux situés dans ce qu’ils appellent un « hôtel d’activités »,
c’est-à-dire un édifice regroupant une dizaine d’organisations de l’ÉSS, avec des loyers modérés,
une mutualisation des services, une mise en réseau des entrepreneurs et une implication des organisations dans la gestion du site. L’une de ces deux organisations est active dans le secteur de la
distribution de l’énergie (Énercoop), alors que l’autre l’est dans celui de l’agriculture/alimentation
(Alliance PEC). Commençons par cette dernière puisque finalement des problèmes d’emploi du
temps ne nous ont pas permis de rencontrer le représentant d’Enercoop. C’est avec Chantal Gehin,
membre du CA d’Alliance PEC Isère que nous nous sommes entretenus. L’Alliance PEC (Paysans
Ecologistes Consom’acteurs) de l’Isère est une association qui défend l’agriculture durable, et particulièrement l’agriculture biologique. Créée dans les années 1980 autour d’une lutte contre les
cultures OGM, l’Alliance est un collectif d’associations, de membres d’individuels et, depuis janvier 2007, de représentants des Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP).
Ses statuts favorisent la rencontre entre ses trois composantes :
n des paysans qui veulent vivre de leur métier en préservant l’environnement et s’engager dans
des productions saines;
des écologistes qui s’investissent dans la défense de l’environnement, soutiennent une agriculture respectant les équilibres naturels, et le bien-être des animaux;
n
des consommateurs qui, dans un esprit citoyen, recherchent une alimentation de qualité
accessible à tous, pour une meilleure santé.
n
L’Alliance encourage donc une agriculture paysanne respectueuse de l’environnement et économe en énergie. À ce titre, l’Alliance PEC (de l’Isère et d’ailleurs en France) met en place et coordonne les AMAP et participe à des actions de sensibilisation du grand public (stand, projections
débat, conférences). Une AMAP fait en France ce qu’Équiterre fait au Québec : il sert d’intermédiaire direct entre des agriculteurs et des consommateurs pour l’achat et la distribution de paniers
de produits agricoles. Pour le seul département de l’Isère, on trouve plus de 80 AMAP regroupant
180 agriculteurs et 2 500 ménages2. Les AMAP sont fondées sur une charte (formulée en 2002)
qui garantit l’éthique de la démarche. Ce document de référence a été établi par l’Alliance PEC
2. À titre de comparaison, la campagne des fermiers de famille du réseau d’Agriculture soutenue par la communauté
(ASC) d’Équiterre, regroupe une centaine d’agriculteurs, 500 points de chute et une dizaine de milliers de familles
pour l’ensemble du Québec.
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Rhône-Alpes, en accord avec l’Alliance PEC Provence - dépositaire du sigle du concept AMAP.
Enfin, on trouve un regroupement national, le Mouvement interrégional des AMAP (Miramap),
qui travaille à l’heure actuelle sur une reformulation de la Charte des AMAP.
Nous avons aussi rencontré Severine François de la Confédération nationale du logement de
l’Isère (CNL 38) créée en 1939. Première fédération de locataires sur le Département de l’Isère, elle
compte 10 administrateurs, élus des locataires, siégeant au conseil d’administration des bailleurs
sociaux. En 2008, elle a rassemblé 1011 adhérents sur le Département. Elle est constituée de 73
amicales (associations de locataires) dont 43 sont situées dans l’agglomération grenobloise. Bien que
le dossier de défense des locataires et la promotion du logement social sont des dossiers centraux, la
CNL 38 s’occupe aussi des aspects énergétiques du logement, autrement dit la consommation de
l’énergie et les politiques publiques. Par exemple, l’un de ses dossiers : les gestes du quotidien pour
les économies d’énergies dans le logement qui se penche autant sur les pratiques du locataire que du
propriétaire. Un autre dossier se penche sur les aides aux travaux économie d’énergie qui implique
autant le crédit d’impôt développement durable que l’éco prêt taux zéro.
Une autre organisation particulièrement intéressante que nous avons rencontrée est
l’Agence Locale de l’Énergie et du Climat de l’agglomération grenobloise (ALEC). Il s’agit d’un
outil de proximité, d’aide à la décision, d’un lieu d’échanges et de conseil en matière d’énergie,
pour tous les consommateurs de l’agglomération grenobloise, mais d’abord et avant tout au service
des communes et de l’agglomération grenobloise qui lui a donné naissance. Elle est en effet née
d’une volonté des collectivités locales de s’engager dans une démarche de maîtrise de l’énergie.
L’ALEC travaille à faire évoluer les habitudes et les mentalités en matière d’habitat, de déplacement, de mode de vie et de consommation d’énergie. Elle travaille aussi auprès des bailleurs sociaux
(gestionnaires de logements sociaux), des syndicats de copropriétés et de grandes institutions (dont
les universités).
La gouvernance de l’ALEC est composée de quatre collèges : les collectivités publiques, les
entreprises, les organisations ou associations œuvrant dans le domaine de la maîtrise de l’énergie,
ainsi que les membres associés (des acteurs associatifs par exemple les associations de consommateurs). L’ALEC fait partie d’un réseau d’environ 250 agences en Europe. Pour la France, il existe
29 agences locales de maîtrise de l’énergie et du climat, regroupées au sein d’une association, la
Fédération pour les agences locales de maîtrise de l’énergie et du climat (FLAME), qui agissent
sur le plan local en matière d’efficacité énergétique et de lutte à la pollution atmosphérique. Le
conseil personnalisé auprès des particuliers est une de ses missions principalement sur les questions touchant au bâti, mais son rôle est avant tout d’accompagner les collectivités, les bailleurs
sociaux et plus globalement les professionnels dans leurs démarches de maîtrise de l’énergie et de
développement des énergies renouvelables. D’ailleurs, depuis deux ans, les agglomérations doivent
obligatoirement se donner un Plan Climat, et ce sont souvent les ALE qui ont hérité du mandat
de les formuler, de les réaliser et de mesurer leur évolution (l’ALEC grenobloise réalise ce mandat
d’Observatoire). Il n’y a vraiment rien d’équivalent au Québec. Dans ce cas précis, il y aurait donc
un intérêt certain à initier une recherche comparative France-Québec permettant de mieux faire
connaître au Québec ce type d’expérience associative.
On pourrait d’ailleurs dire la même chose de la dernière organisation que nous avons visitée : Solidarité énergie insertion (SOLENI). C’est Jean-Jérome Calvier, directeur général adjoint,
qui nous a reçus. SOLENI est une entreprise d’insertion qui offre la réalisation de diagnostics
énergie sociotechniques à domicile. En plus d’accompagner les ménages dans la maîtrise de leur
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consommation, elle installe des matériels économes et effectue des travaux de confort thermique.
En même temps qu’elle insère des personnes en difficulté professionnelle dans un travail qualifiant,
elle constitue une réponse concrète aux besoins sociaux de lutte contre l’exclusion et de lutte contre
des personnes en situation de précarité énergétique. Elle travaille en collaboration avec les fournisseurs d’utilité publique (électricité, gaz et eau) qui font appel à ses services pour intervenir auprès
de leurs clientèles en difficulté. L’association est encore toute récente (n’offrant que trois postes d’insertion), mais l’ambition est d’essaimer dans toutes les régions de France puisque la précarité énergétique toucherait une proportion appréciable de la population (3-4 millions de personnes selon
notre interlocuteur) dans le contexte actuel de chômage et du prix de l’énergie en augmentation.
SOLENI est un service du Groupe ULISSE (un Groupe économique Solidaire) qui rassemble
sous un même toit plusieurs autres services spécialisés (ateliers de recyclage et de peinture, services à domicile, dans le bâtiment, etc.). Au total c’est 420 emplois aidés en 2010 (125 ETP), 2 500
clients et 3 millions $ de revenus. Comme nous le disions précédemment pour un autre groupe, à
part l’expérience d’Équiterre (auprès des personnes seulement) il n’y a rien d’équivalent au Québec.
Comme indiqué précédemment, nous avions prévu une rencontre avec Enercoop qui, malheureusement, n’a pas pu se matérialiser. On peut néanmoins en dire quelques mots. D’abord, il
faut comprendre qu’avec l’imposition par l’Union européenne d’une démarche de déréglementation et de privatisation des sociétés d’État dans les services d’utilité publique, l’ouverture du marché de l’électricité en 2004 a ouvert la voie à la libéralisation de la production et de la distribution
d’électricité dans les pays membres de l’Union. En ce sens, Enercoop propose une troisième voie
sur le marché de l’électricité, entre le privé à but lucratif et le public : de forme privée, mais d’intérêt
public. En 2005, la société Enercoop voit le jour sous la forme d’une SCIC (Société coopérative
d’intérêt collectif). Le statut SCIC permet un sociétariat hétérogène en réunissant autour du même
projet des acteurs pouvant avoir des intérêts divergents (producteurs, consommateurs, associations,
collectivités locales et salariés de la SCIC), avec un fonctionnement démocratique et transparent
selon la règle « 1 personne = 1 voix ».
Enercoop est un fournisseur d’électricité qui s’approvisionne directement auprès de producteurs d’énergie renouvelable (par nature exploitable localement : solaire, éolien, hydraulique et biogaz) et dont les bénéfices sont réinvestis dans les énergies renouvelables. Reconnu d’Utilité sociale
et d’Intérêt collectif, Enercoop est également agréé par l’État français comme Entreprise Solidaire.
Enercoop fournit de l’électricité à des entreprises et à des particuliers, depuis 2007. Aujourd’hui,
Enercoop a dépassé les 13 000 consommateurs et les 8 000 sociétaires. Elle s’approvisionne auprès
de 78 producteurs d’énergie.
Du côté des producteurs, il y a aussi des initiatives innovantes dans la région Rhône-Alpes.
Par exemple, pendant notre mission à Grenoble, il n’a pas été possible de rencontrer des représentants de l’organisation Énergie partagée, qui soutient des projets citoyens d’énergie renouvelable et
d’efficacité énergétique.
La Charte Énergie partagée définit quatre critères essentiels pour établir le caractère citoyen
d’un projet de production d’énergie renouvelable ou d’efficacité énergétique :
1. Ancrage local : la société qui exploite le projet est contrôlée par des collectivités territoriales, des particuliers (et leurs groupements) ou Énergie Partagée Investissement. Elle vise la création
de circuits courts entre producteurs et consommateurs pour une prise de conscience du lien entre
les besoins et les moyens de production.
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2. Finalité non spéculative : les investissements sont réalisés pour être directement exploités,
la rémunération du capital est limitée. On vise une éthique de l’économie sociale et solidaire, permettant un accès à l’énergie à un prix juste et transparent.
3. Gouvernance : le fonctionnement de la société d’exploitation du projet est démocratique,
de type coopératif, transparent et clair, avec des garanties sur le maintien dans la durée de la finalité
du projet.
4. Écologie : la société d’exploitation est engagée durablement et volontairement dans le respect de l’environnement, du niveau planétaire jusqu’au niveau le plus local, et dans une démarche
de réduction des consommations énergétiques.
Pour favoriser le développement de ces projets, Énergie partagée a créé le fonds Énergie partagée investissement, dont le directeur général est Joël Lebossé, anciennement directeur général de
Filaction créé par Fondaction CSN. Ce fonds citoyen d’investissement collecte en toute transparence l’argent des particuliers et des organisations pour accompagner et financer les projets locaux
de production d’énergie renouvelable et de maîtrise de l’énergie. L’organisation Énergie partagée
s’est par ailleurs associée à quinze autres organisations citoyennes pour adopter une position commune sur le Débat national sur la transition énergétique, dont nous avons parlé en introduction.
« Pour répondre à l’ensemble des défis et sortir le système énergétique français de l’impasse dans
laquelle il se trouve, disent-elles dans leur plateforme commune, la transition énergétique est plus
que jamais nécessaire et urgente. Elle est aussi la seule stratégie crédible de sortie par le haut de la
crise sociale et économique majeure à laquelle nous sommes confrontés. »
Les constats préliminaires
En plus de ces visites, très instructives, sur les dynamiques à l’œuvre en France, nous avons
mené avec nos partenaires des échanges et des discussions qui nous ont permis de présenter nos
recherches respectives dans les domaines reliés aux thèmes de notre mission (l’apport des entreprises d’ÉSS, la transition écologique et le financement des projets) et d’identifier les premières
pistes de collaboration. Bien que les problématiques soient différentes en France et au Québec,
pour une multitude de raisons, les enjeux fondamentaux sont les mêmes : trouver des alternatives
à un modèle de développement insoutenable. En ce domaine, nous avons pu constater en France,
comme au Québec par ailleurs, une « biodiversité entrepreneuriale » riche d’avenir.
Les réponses apportées, de part et d’autre, par les acteurs collectifs, sont très diversifiées. Bien
que dans les deux pays nous voyons émerger une profusion d’expériences originales, dans certains
secteurs comme la forêt, on trouve au Québec des innovations organisationnelles et institutionnelles particulièrement prometteuses, alors qu’en d’autres comme l’énergie, la France signale des
avancées extrêmement intéressantes qui pourraient nous inspirer au Québec dans la promotion de
scénarios crédibles pour une véritable transition écologique de l’économie. Autrement dit, cette
mission nous a fait voir un potentiel très intéressant de collaboration de recherche puisque les différences que nous avons perçues sont, d’une certaine manière, plus complémentaires que divergentes.
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Conclusion
La mission effectuée à Grenoble et à Paris nous montre que l’idée d’une recherche comparative France-Québec sur la transition écologique de l’économie est un champ fécond d’expériences
innovantes autant des organisations émergentes que des organisations historiques de l’économie
sociale et solidaire. Mais aussi nous pouvons affirmer que, bien que timides en comparaison aux
dimensions de la crise, les politiques publiques concernant cette transition sont présentes dans les
deux sociétés et leurs conditions actuelles permettent de penser à la possibilité de les faire avancer
dans le sens souhaitable.
Il faut souligner l’intérêt que l’idée de faire avancer ce projet a suscité chez les potentiels
partenaires français. Les points d’intérêt commun sont relativement faciles à déceler autant dans
une perspective régionale que nationale. Des défis, des obstacles et des réussites se ressemblent,
mais aussi les différences qui ressortent facilement, augmentent la pertinence de la perspective
comparative.
D’autre part, la mission permet aussi de penser que le partenariat entre l’IRÉC et la CRDC
peut enrichir les dynamiques propres à chacune de ces structures de recherche dans le champ d’intérêt qu’est la transition écologique de l’économie.
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