"La galaxie qui défie le Big Bang"2
La quête de la cosmologie moderne est de sans cesse reculer les limites, voir
plus loin, plus profond dans l'Univers. Ce sondage profond, qui
s'accompagne inévitablement d'une remontée dans le temps en raison de la
vitesse finie de la lumière, aura longtemps été limité aux quelques objets les
plus lumineux et aussi les plus particuliers du cosmos. Ce furent d'abord
dans les années soixante, les quasars, probablement des noyaux de galaxies à
la monstrueuse énergie, puis, ces dernières années, les galaxies ultra
lumineuses en infrarouge, siège de fortes flambées de formation d'étoiles
provoquées sans doute par des collisions. Le voyage dans le passé de
l'Univers ressemblait donc à celui d'un bateau qui, longeant les côtes,
n'aperçoit que les phares les plus puissants sans parvenir à distinguer les
villes et leurs myriades de lumières. Aujourd'hui cette situation a radicalement
changé. La spectaculaire photographie du ciel profond obtenue par le
télescope Hubble en orbite est venu révélé l'existence à de très grandes
distances de milliers de galaxies qui n'ont plus rien de "monstres" et sont au
contraire malgré des formes parfois un peu torturées singulièrement similaires
aux galaxies proches (voir C&E d'avril 1996). Tout un champ d'investigation
s'ouvre donc dans cette nouvelle tranche d'Univers qui peut nous faire
remonter jusqu'à moins d'un milliard d'années après le très controversé Big
Bang. Le télescope Hubble ne permet qu'un premier coup d'oeil en images,
et seuls les plus grands télescopes au sol, actuellement le Keck et bientôt le
VLT européen au Chili, avec une surface vingt-cinq fois plus grande
qu'Hubble, permettent l'analyse détaillée de ces galaxies du fond de
l'Univers.
James Dunlop et ses collaborateurs ont adopté une stratégie particulière pour
étudier les plus calmes de ces galaxies lointaines. A partir de catalogues de
radiogalaxies, ils ont sélectionné celles qui avaient une faible émission radio,
donc très probablement un noyau très peu actif, et qui apparaissaient comme
très rougies par l'absorption de la lumière sur les très grandes distances
intergalactiques. Sur un échantillon initial de 77 galaxies, 15 furent
sélectionnées parmi lesquelles 53W091 était définitivement la plus rouge. La
prouesse a consisté ensuite à obtenir le spectre, la répartition de la lumière en
fonction de la longueur d'onde, de ces galaxies dont la plupart atteint la
magnitude 26. Plus de cinq heures d'observations ont été nécessaires pour
révéler le spectre de 53W091, véritable carte d'identité de la galaxie. Première
constatation on y distingue très clairement les raies d'absorption produites par
les étoiles et, pour la première fois pour une galaxie aussi faible, c'est donc
grâce aux étoiles que l'on peut déterminer le fameux décalage vers le rouge