Cinéma et idéologie : Représentation et fonction du terrorisme

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Cinéma et idéologie :
Représentation et fonction du terrorisme dans
le film d’action hollywoodien
François DUBUISSON
François Dubuisson
Professeur Assistant à la Faculté de Droit de l’ULB
Centre de droit international
Paru in Olivier Corten et Barbara Delcourt (coord.), Les Guerres
antiterroristes, Contradictions, n° 105, Bruxelles, 2004, pp. 53-79.
1
Cinéma et idéologie :
Représentation et fonction du terrorisme dans
le film d’action hollywoodien+
François DUBUISSON∗
« C’est le cinéma qui nous montre de quoi
nous avons l’air et à quoi ressemble le son de
notre voix, mais aussi – et c’est primordial –
ce que nous éprouvons. »
Ronald Reagan, Président des Etats-Unis.
« Quand un pays entier vit dans la peur, il en
arrive forcément à craindre l’autre. C’est
aussi une question de cinéma. »
John Carpenter, réalisateur.
À la suite des attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center et le Pentagone,
nombre de commentateurs ont porté leur analyse sur les liens que pouvait entretenir
l’événement avec le cinéma, et en particulier avec le cinéma d’action hollywoodien1. Certains
ont discuté les ressemblances que ces attentats étaient susceptibles de présenter avec les
images de films catastrophe ou d’action2, comme Independence Day3, ou l’influence que ces
films auraient pu exercer sur l’imagination des terroristes4. D’autres se sont évertués à trouver
+
Paru in Olivier Corten et Barbara Delcourt (coord.), Les Guerres antiterroristes, Contradictions, n° 105,
Bruxelles, 2004, pp. 53-79.
∗
Professeur Assistant, Centre de droit international et Centre de droit de l’information et de la communication de
l’ULB. L’auteur remercie la Cinémathèque Royale de Belgique pour la consultation de certaines sources
bibliographiques.
1
Nous utilisons, par commodité, le terme « film d’action » dans un sens générique, comme recouvrant des
genres comme le film de guerre, le film de science-fiction, le film catastrophe, ou le film à suspense.
2
Voy. not. Charles Tesson, « Retour à l’envoyeur », Les Cahiers du Cinéma, octobre 2001, pp. 42-44 ; JeanMarc Vernier, « L’“image absolue“ du 11 septembre 2001 : une image télévisuelle pas comme les autres »,
Quaderni, automne 2002, n° 48, http://www.lexception.org ; Paul Warren, « Images de réalité/images de
cinéma », http://www.ulaval.ca/scom ; Thomas Caldwell, « Cinema and Reality », November 2001,
http://www.senseofcinema.com.
3
Independence Day (Roland Emmerich, 1996) montre la destruction de la Maison blanche par des soucoupes
volantes extraterrestres.
4
Neal Gabler, « The authors of 9/11. Is the future in the past ? », Written by, september 2002,
http://www.wga.org/WrittenBy/0902/authors.html, p. 2.
2
dans le cinéma hollywoodien une dimension prémonitoire, en évoquant des films tels que
Piège de cristal5, Ultime décision6, ou encore Couvre-feu7, qui auraient prédit les événements
du 11 septembre et leurs conséquences8. Ce dernier type d’approche se révèle en définitive
assez vain, en termes d’analyse9. Le genre du film d’action repose précisément sur le postulat
que les péripéties qui y sont relatées, bien qu’elles s’inspirent d’éléments tirés de la réalité
pour pouvoir fonctionner, sont dans l’impossibilité de se produire dans la vie réelle10. C’est ce
contrat tacite qui rend ce type de film admissible pour le spectateur, qui n’y prend
véritablement plaisir que parce qu’il a la certitude que ce qu’il y voit ne dépassera pas le stade
de la fiction11. C’est donc en tant que fiction, c’est-à-dire en tant que construction et
représentation du monde, qu’il paraît le plus intéressant d’analyser le film d’action
hollywoodien. À cet égard, il convient de ne pas limiter notre analyse au seul contenu
thématique des films, mais également de prendre pleinement en considération les options de
mise en scène et de montage qui, tout autant que le contenu, sont de nature à refléter des choix
politiques et idéologiques et constituent des éléments essentiels déterminant le sens donné par
le spectateur à ce qui est représenté à l’écran.
Depuis ses origines, le cinéma hollywoodien constitue un miroir de l’idéologie et de la culture
américaines12 13. Il a largement contribué à écrire une histoire mythique des États-Unis14, de
Naissance d’une nation (D.W. Griffith, 1915) à Pearl Harbor (Michael Bay, 2001), en
passant par le « western » traditionnel15. Hollywood16 a par ailleurs toujours entretenu des
5
Piège de cristal (Die Hard, John Mc Tiernan, 1988) relate une prise d’otage réalisée par un groupe de (faux)
terroristes dans un gratte-ciel de Los Angeles.
6
Ultime décision (Stuary Baird, 1996) présente un groupe de terroristes musulmans détournant un avion afin de
le faire s’écraser sur Washington et déclencher une explosion chimique.
7
Couvre-feu (Edward Zwick, 1998) suit les conséquences d’une vague d’attentats islamistes à New-York, et
l’instauration de la loi martiale.
8
Voy. par exemple, Pierre Le Blavec, « Le terrorisme anticipé par Hollywood ? », France-Amérique, 11
septembre 2002, http://france-amérique.com/infos/dossiers/Septembre11/anniversary7.html.
9
Voy. Thierry Jousse, « New York, 11 septembre, l’envers du spectacle », Cahiers du Cinéma, octobre 2001,
p. 10.
10
Les invraisemblances qui émaillent l’intrigue des films d’action sont à ce propos une caractéristique
consubstantielle du genre.
11
Voy. Charles Tesson, op. cit., p. 43.
12
Voy. Anne-Marie Bidaud, Hollywood et le Rêve américain. Cinéma et idéologie, Paris, Masson, 1994 ; Bruno
Cornellier, « Sur l’hégémonie hollywoodienne (II) : Cinéma hollywoodien et idéologie »,
http://www.cadrage.net ; Patrick Mougenet, « Cinéma et propagande », novembre 2002, http://www.acgrenoble.fr/cinehig.
13
Dans cet article, nous utiliserons les termes « Amérique » et « américain » non pour viser les États-Unis en tant
qu’État, mais comme référents généralement utilisés pour renvoyer à un ensemble d’idées, de valeurs et de
symboles caractérisant la société des États-Unis. Voy. not. l’analyse de ces termes dans Richard P. Horwitz,
« America Studies: Approaches and Concepts », http://twist.lib.uiowa.edu/rhorwitz/asconcepts.htm.
14
Voy. Jacques Portes, Histoire et cinéma aux États-Unis, La Documentation photographique, août 2002, not.
pp. 20-23.
15
Voy. not. Christopher Frayling, « The American Western and American Society », in Philip Davies and Brian
Neve, Cinema, Politics and Society in America, Manchester, Manchester University Press, 1981, pp. 136 et s.
3
liens étroits avec le pouvoir politique, bien que complexes et ambigus17. Ces liens se
resserrent tout particulièrement en périodes de guerre, qui sont généralement productrices
d’un sentiment d’union nationale et d’un regain de patriotisme18. Durant la seconde guerre
mondiale, les réalisateurs répondent à l’appel du Président Roosevelt et produisent des films
de propagande19, tandis que les stars s’engagent dans l’armée (James Stewart, Clark Gable…),
ou partent en tournée remonter le moral des troupes (Marlène Dietrich, Rita Hayworth…)20.
Lors du déclenchement du conflit de Corée, la MPAA (Motion Picture Association of
America), le puissant syndicat des producteurs d’Hollywood créé en 192121, félicite le
Président Truman pour son soutien à la Corée du Sud, et se met au service du gouvernement
et des Nations Unies22. Et dernièrement, après les attentats du 11 septembre, une réunion
rassemble les principaux responsables d’Hollywood et Carl Rove, un proche conseiller de
George W. Bush, afin de définir les différentes manières de servir la cause de l’Amérique
(bandes-annonces, divertissement des troupes stationnées à l’Étranger,…)23.
Pour comprendre ces liens avec le pouvoir, il faut garder à l’esprit qu’Hollywood est une
industrie et, dans la perspective de plaire au plus grand monde et de générer un profit24, a un
penchant naturellement conformiste, tendant à refléter ce qui représente l’idéologie
16
Par « Hollywood », nous visons les principaux studios américains, souvent désignés par le mot Majors, qui
produisent la grande majorité des films fabriqués aux États-Unis et exportés à l’Étranger : Universal, Métro
Goldwyn Mayer, Columbia (Sony Pictures), Paramount, Disney, Dreamworks, Warner Bros, Fox et Orion. Voy.
Jacques Portes, op. cit., pp. 6-10, et pour une approche historique, Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier,
Cinquante ans de cinéma américain, Nathan, édition revue et mise à jour, 1993, pp. XXIII-XLIX.
17
Voy. Jacques Portes, op. cit., p. 11 ; Anne-Marie Bidaud, op. cit., pp. 93-118 ; Alain Masson, « Du
conservatisme à la propagande antinazie », in Alain Masson (dir.), Hollywood 1927-1941. La propagande par
les rêves ou le triomphe du modèle américain, Éditions Autrement, Paris, 1991, p. 241.
18
La guerre du Vietnam constitue à cet égard une notable parenthèse. Comme le souligne Ignacio Ramonet,
« avec le conflit vietnamien, quelque chose change enfin à Hollywood, et l’exception remarquable de Bérets
verts, film chauvin, militariste et raciste, réalisé par John Wayne et Ray Kellog en 1968, ne doit point masquer
une évidence centrale : contrairement à son attitude durant les deux autres guerres d’Asie, cette fois il n’y a pas
eu de films pour soutenir l’engagement américain en Indochine tant qu’il dura. On peut même affirmer que,
durant la période la plus dure de la guerre du Vietnam (1968-1972), les films antimilitaristes et antibellicistes
furent étonnamment nombreux » (Ignacio Ramonet, Propagandes silencieuses. Masses, télévision, cinéma,
Éditions Galilée, 2000, p. 123). Voy également Michael Ryan and Douglas Kellner, Camera Politica. The
Politics and Ideology of Contemporary Hollywood Film, Bloomington, Indianapolis, Indiana University Press,
1988, pp. 197-206 ; Jean-Michel Valantin, op. cit., pp. 33-37.
19
Par exemple, Frank Capra tourne une série de documentaires intitulés Pourquoi nous combattons.
20
Voy. Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, op. cit., pp. 41-43 ; Ralph Willett, « Nation in Crisis :
Hollywood’s Response to the 1940s », in Philip Davies and Brian Neve, op. cit., p. 60 ; Philippe Lombard,
« Tarzan contre les Nazis », http://www.objectif-cinema.com/horschamps/035.php.
21
Il faut remarquer que les trois présidents successifs de la MPAA, William Hays, Eric Johnston et Jack Valenti,
ont tous été par ailleurs membres des administrations républicaine ou démocrate. Voy. Anne-Marie Bidaud, op.
cit., pp. 94-96.
22
Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, op. cit., p. 58. Pour une analyse de la production
cinématographique américaine réalisée pendant la guerre de Corée, voy. Ignacio Ramonet, op. cit., pp. 122-123.
23
Sur les liens entre Hollywood et Washington après le 11 septembre 2001, voy. Samuel Blumenfeld, « Le
Pentagone et la CIA enrôlent Hollywood », Le Monde, 24 juillet 2002.
24
Voy. Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, op. cit., p. 164.
4
dominante25. Ce constat se vérifie tout particulièrement dans les productions abordant des
thématiques touchant, directement ou indirectement, la politique étrangère des États-Unis et
les questions de sécurité nationale. Dans le cadre de cet article, il s’agira essentiellement de
dégager les tendances qui caractérisent le discours sur le terrorisme développé dans les films
d’action américains, films destinés au public le plus large souvent désignés par le terme
blockbusters26. Nous nous concentrerons principalement sur les films produits après l’ère
Reagan, dans lesquels le thème du terrorisme apparaît de manière récurrente27.
Comme l’énonce Jean-Michel Valantin, « la construction de l’identité nationale américaine
s’opère par la définition d’une altérité menaçante, d’un Autre générique28. » Pendant la guerre
froide29, c’est le communisme qui remplit, dans la fiction cinématographique, la fonction de
danger absolu menaçant les États-Unis30. Ce danger a été représenté au cinéma soit par des
films explicitement anti-communistes31, soit par des films de science-fiction symbolisant le
péril soviétique sous le trait d’invasions extraterrestres32. Dans le film de guerre froide, même
lorsque le communiste est présenté comme étant américain, il se révèle toujours au service de
25
Voy. Anne-Marie Bidaud, op. cit., p. 5 et p. 176.
Ce terme désigne les films hollywoodiens bénéficiant d’un budget très important et distribués sur le territoire
américain dans un minimum de 3000 salles. Sur le plan du contenu, ils se caractérisent par la présence de scènes
d’action spectaculaires.
27
Paul Davies fait remonter l’évocation du terrorisme au cinéma au film Sabotage d’Alfred Hitchcock, réalisé en
1936 (Paul Davies, « Terrorism in Film », Perspective on Evil and Human Wickedness, 2003, vol. 1, n° 2, p. 209,
http://wickedness.net).
28
Jean-Michel Valantin, Hollywood, le Pentagone et Washington. Les trois acteurs d’une stratégie globale,
Éditions Autrement, Paris, 2003, p. 16.
29
Il faut rappeler que dans les films produits durant la seconde guerre mondiale, l’Union soviétique était montrée
sous un jour plutôt favorable. Voy. Thomas Frot, « Hollywood et le communisme ou l’évolution du rapport à une
idéologie dans le film hollywoodien classique », http://www.objectif-cinema.com/horschamps/059.php, p. 5 ;
Anne-Marie Bidaud, op. cit., p. 106.
30
Voy. Bienvenido Concepcion, Emily Guerin, Chris Murrell, Zach Stewart, Alex Young, « Fear Manifests :
Hollywood’sTreatment of Terrorism in the Shadow of the Cold War », Comm. 451.1, Pennsylvanian State
University, november 2000, http://www.personal.psu.edu/users/b/b/bbc107/intro.htm.
31
Par exemple, I Was a Communist for the FBI (Gordon Douglas, 1951), qui décrit l’infiltration de réseaux
communistes à Pittsburgh par un agent du FBI ; My Son John (Leo McCarey, 1952), qui suit le désarroi d’une
mère découvrant que son fils est devenu communiste ; Red Planet Mars (Harry Horner, 1952), montrant deux
savants, l’un américain, l’autre ancien nazi récupéré par les communistes, tentant de contacter les martiens ;
Never Let me go (Delmer Daves, 1953) dans lequel un journaliste américain s’infiltre en URSS pour ramener son
épouse russe, empêchée de partir par les communistes ; The Girl in the Kremlin (Russel Birdwell, 1957),
présentant Staline, le visage refait, se cachant dans un monastère grec avec la moitié du trésor soviétique. Sur
certains de ces films, voy. Michael Rogin, « Kiss me deadly. Communisme, maternité et cinéma de la guerre
froide », Trafic, Automne 2000, n° 35, pp. 107 et s. ; Victor Navasky, op. cit., pp. 43 et s. ; Roland Lacourbe, La
guerre froide dans le cinéma d’espionnage, Éditions Henri Veyrier, 1985, pp. 29 et s.
32
Voy. Daniel J. Leab, « Hollywood and the Cold War », in Robert Trent Toplin (ed.), Hollywood as Mirror.
Changing Views of “Outsiders“ and “Ennemies“ in American Movies, Westport, London, Greenwood Press,
1993, p. 128 ; Roland Lacourbe, op. cit., p. 21 ; Jean-Michel Valantin, op. cit., pp. 26-30 ; Thomas Frot, op. cit.,
p. 7 ; Anne-Marie Bidaud, op. cit., pp. 131-132. Citons, notamment, La chose d’un autre monde (Christian
Nyby, 1951), La guerre des mondes (Byron Haskin, 1953) et Les soucoupes volantes attaquent (Fred Sears,
1956).
26
5
l’Etranger33. Face au spectre communiste, l’Amérique doit dès lors s’unir, et expulser de son
sein toute personne qui lui manifesterait une quelconque sympathie34. Le film de guerre froide
connaît son âge d’or au cours des années 50, en pleine chasse aux sorcières35. Il réapparaît, de
manière isolée, en 1962, avec The Manchurian Candidate (John Frankenheimer)36, qui, sous
l’impulsion du Président Kennedy, visait à remobiliser une nation apathique contre la menace
communiste37. Enfin, il reprend une vigueur inespérée dans les années 80, au moment où le
président Ronald Reagan en revient à une politique plus offensive vis-à-vis de l’URSS38, avec
des films comme L’Aube rouge (John Milius, 1984), Invasion USA39 (Joseph Zito, 1985),
Rambo II (Georges Pan Cosmatos,1985) et Rambo III40 (Peter Mc Donald, 1988). Cette
période marque l’avènement du film d’action comme genre modèle à Hollywood41 et amène à
un glissement dans la représentation thématique des formes de menace. Ronald Reagan lance
le concept d’ « empire du mal », qui désigne un vaste complot visant l’Amérique, réunissant
l’Union soviétique et les agents du terrorisme international (Arafat, Kadhafi, les Brigades
rouges…)42 et l’on voit apparaître, dans les films d’action, l’association du terrorisme au péril
communiste43. Par exemple, dans Invasion USA (Joseph Zito, 1985), un commando
communiste s’infiltre aux États-Unis pour y commettre des attentats sanglants, ou dans Delta
Force (Menahem Golan, 1986), un groupe de terroristes socialo-islamistes (!), dénommé le
33
Ce pouvoir occulte est soit l’Union soviétique, soit une Puissance extraterrestre dans les films de sciencefiction présentant l’invasion ennemie opérant par une infiltration des humains plutôt que par une attaque frontale.
Ce dernier courant est illustré par Les envahisseurs de la planète rouge (William Cameron Menzies, 1953), ou
plus tard par la célèbre série TV Les envahisseurs (The Invaders, 1967-1968), dans lesquels les aliens s’insinuent
dans la société américaine en prenant l’apparence humaine. Il faut également mentionner L’invasion des
profanateurs de sépulture (Don Siegel, 1956), tout en lui donnant une place à part. Dans ce film, où les
extraterrestres se substituent aux Terriens en annihilant leurs émotions, « les enveloppes humaines sans âme sont
des métaphores du conformisme social communiste, mais aussi de son pendant capitaliste durant cette période
tourmentée où la peur des “Rouges“ nous a transformés en faux jumeaux de l’ennemi stalinien, et l’ambiguïté du
film est tout simplement la suite logique du choc des paranoïas » (Bill Krohn, « Tornades, martiens et
ordinateurs », Cahiers du Cinéma, 1996, n° 505, p. 60 ; voy également Michael Rogin, « Kiss me deadly… »,
op. cit., pp. 127-128).
34
C’est ainsi que, dans le contexte du maccarthysme, plusieurs films proposent une apologie de la délation :
Storm Warning (Stuart Heisler, 1951) ; My Son John (Leo McCarey, 1952) ; Sur les quais (Elia Kazan, 1954).
Voy. Michael Rogin, « Kiss me deadly… », op. cit., pp. 121-123 ; Victor Navasky, Les délateurs. Le cinéma
américain et la chasse aux sorcières, Éditions Balland, 1982, pp. 233-234 ; Thomas Frot, op. cit., pp. 9-10.
35
Voy. Roland Lacourbe, op. cit., pp. 29 et s. ; Victor Navasky, op. cit., pp. 348 et s.
36
Un soldat américain est fait prisonnier avec son bataillon lors de la guerre de Corée et est emmené de l’autre
côte de la frontière chinoise pour être conditionné à commettre des assassinats politiques. Pour l’analyse de ce
film, voy. Michael Rogin, « Kiss me deadly… », op. cit., pp. 113-115 ; Roland Lacourbe, op. cit., pp. 148-151.
37
Voy. Michael Rogin, op. cit., « Kiss me deadly… », p. 113 ; Roland Lacourbe, op. cit., p. 151.
38
Voy. Yannick Dahan, « Le cinéma américain sous Reagan », Cahiers d’histoire immédiate, 1996, n° 10,
pp. 25-52 ; Michael Ryan and Douglas Kellner, op. cit., pp. 210-216 ; Robert Brent Toplin, « Introduction », in
Robert Brent Toplin (ed.), op. cit., p. xviii ; Jean-Michel Valantin, op. cit., pp. 43-47.
39
L’Aube rouge et Invasion USA décrivent l’invasion du territoire des États-Unis par les forces soviétiques et
cubaines.
40
Rambo II et III relatent les périples guerriers de Rambo au Vietnam et en Afghanistan.
41
Yannick Dahan, « Le film d’action : Idéologie “ramboesque“ et violence chorégraphiée », in « Le film
d’action hollywoodien », dossier réuni par Michel Cieutat et Christian Viviana, Positif, 1998, n° 443, pp. 72-73
42
Jean-Michel Valantin, op. cit., pp. 44-45.
43
Michael Ryan and Douglas Kellner, op. cit., p. 214.
6
« Mouvement révolutionnaire du nouveau monde », détourne un avion afin de lutter « contre
l’impérialisme américain, le sionisme, le terrorisme et les autres atrocités anti-socialistes. »
Avec la chute du mur de Berlin et la fin de l’Union soviétique, les États-Unis perdent leurs
ennemis traditionnels, et la fiction cinématographique doit s’adapter à ce changement
géopolitique44. À partir des années 90, le terroriste devient dès lors la figure emblématique du
« bad guy », auquel est confronté le héros américain (le « good guy »)45. Dans les films
d’action, le terrorisme succède ainsi au communisme comme altérité menaçant l’Amérique46,
conçue comme le mal absolu (I). La représentation de cette menace a pour fonction de
disqualifier tout discours anticonformiste (II) et de légitimer le rôle hégémonique des ÉtatsUnis (III).
I.
Le terrorisme comme altérité de l’Amérique
Dans le film d’action hollywoodien, l’archétype du terroriste constitue l’incarnation du Mal
absolu. Le terroriste est ainsi toujours montré comme un psychopathe sadique, tuant ou
torturant par pur plaisir47, voire comme un nazi48. Il agit le plus souvent davantage par
vengeance que par idéal politique49. Le terrorisme est ainsi représenté à Hollywood comme
étant fondamentalement non-américain, comme l’était le communisme au temps de l’action
de la Commission sur les activités anti-américaines (un-american activities) de la Chambre50.
Dans la grande majorité des films récents, il est le plus souvent Arabe51, ou Serbe52, et parfois
Russe53, Colombien54, Allemand55 ou encore Irlandais56.
44
Voy. Ian Scott, American Politics in Hollywood Films, Edinburgh University Press, 2000, p. 125.
Voy. Jean-Michel Valantin, op. cit., pp. 73-78 ; Ricardo Domizio, « Hard Die »,
http://www.londonconsortium.com/researchdomizio0102.doc, p. 10.
46
Certains films contemporains peuvent néanmoins les combiner, comme Air Force One (Wolfgang Petersen,
1997), dans lequel Gary Oldman incarne un terroriste nostalgique de la Russie communiste.
47
Un exemple parmi d’autres : dans Dommage collatéral (Andrew Davis, 2002), El Lobo (Cliff Curtis), chef de
l’Armée de libération de la Colombie, exécute l’un de ses hommes en lui faisant avaler un serpent venimeux.
Voy. Patrick Mougenet, « La CIA, le Pentagone et la “Bush Production“ contre l’Axe du Mal. Guerre des
réprésentations et représentations de la guerre », février 2003, http://www.infocrise.org.
48
Voy par ex. Delta Force (Menahem Golan, 1986), qui multiplie les parallèles entre les terroristes arabes et les
nazis.
49
Dans de nombreux films, le recours à la violence et au terrorisme est présenté comme une réaction à la perte
d’un être cher. Voy not. Patriot Games (Philip Noyce, 1992) ; The Peacemaker (Mimi Leder, 1997) ; Dommage
collatéral (Andrew Davis, 2002).
50
Voy. Marie-France Toinet, La Chasse aux sorcières. Le Maccarthysme, Complexe, 1984, pp. 52 et s.
51
Frantic (Roman Polanski, 1988) ; True Lies (James Cameron, 1994) ; Under Siege II : Dark territory, (Geoff
Murphy, 1995) ; Ultime décision (Executive decision, Stuart Baird, 1996) ; Couvre-feu (Edward Zwick, 1998) ;
L’enfer du devoir (William Friedkin, 2000). De nombreuses séries TV ou de téléfilms reprennent également la
figure du « terroriste musulman » (voy. Jack G. Shaheen, « Hollywood Widens Sluir Targets to Arabs and
Muslims
Americans
since
September
11 »,
Pacific
News
Service,
Feb.
27,
2002,
http://www.news.pacificnews.org.
52
The Peacemaker (Mimi Leder, 1997) ; Diplomatic Siege (Gustavo Graef-Marino, 1999) ; Bad Company (Joel
Schumacher, 2001) ; En territoire ennemi (John Moore, 2001) ; Sniper II (Craig Baxley, 2002). On peut y
45
7
Le terroriste, c’est l’Autre, l’Étranger57 (l’alien, et l’on rejoint là les films d’extraterrestres de
la guerre froide), c’est-à-dire celui qui est demeuré imperméable aux valeurs américaines. Ce
constat se dégage particulièrement de l’étude des films d’action exploitant l’image des Arabes
ou des Musulmans comme représentation du terrorisme58, ce qui constitue un phénomène
récurrent à Hollywood59. Cette situation est parfaitement résumée par Salam Al-Maratya,
directeur du Muslim Public Affairs Council, invité à un séminaire organisé par le syndicat des
scénaristes (Writers Guild of America) et consacré à l’impact d’Hollywood sur le monde60 :
« Ma critique d’Hollywood est que, dès qu’il s’agit de Musulmans, ils ne sont présents que pour jouer le rôle
de terroristes. S’il vous faut un terroriste, vous trouverez un Musulman. Si vous cherchez un docteur, un
avocat ou juste une personne ordinaire, vous ne trouverez pas ce type de Musulman ordinaire à Hollywood.
[…] Et parfois dans des films comme Ultime décision [Stuart Baird, 1996] ou True Lies [James Cameron,
1994], si les producteurs sont suffisamment généreux, ils le contrebalanceront avec un Musulman du FBI qui
ira cogner le terroriste musulman » (traduction de l’auteur).
Deux œuvres, Couvre feu (The Siege, Edward Zwick, 1998) et L’enfer du devoir (Rules of
engagement, William Friedkin, 2000), méritent à ce sujet une analyse particulière61. Elles sont
d’autant plus significatives qu’elles se situent aux opposés de l’échiquier politique américain,
la première étant une fiction d’inspiration libérale et anti-militariste62, la seconde, de droite et
profondément militariste.
ajouter la série TV 24 heures chrono (saison 1) (24, créé par Robert Cochran et Joel Surnow, 2001), relatant la
tentative d’assassinat d’un candidat à la présidence par des miliciens serbes du Kosovo.
53
Air Force One (Wolfgang Petersen, 1997) ; The Peacemaker (Mimi Leder, 1997).
54
Dommage collatéral (Andrew Davis, 2002).
55
Piège de cristal (Die Hard, John Mc Tiernan, 1988) ; Une journée en enfer (Die Hard III, John Mc Tiernan,
1995).
56
Patriot Games (Philip Noyce, 1992).
57
Seuls quelques rares films font exception à la règle en présentant des terroristes américains blancs, à la suite de
l’attentat d’Oklahoma City d’avril 1995 (The Rock, Michael Bay, 1996 ; Arlington Road, Mark Pellington,
1999 ; Fight Club, David Fincher, 1999). Il faut également mentionner le très ambigu Opération Espadon
(Dominic Sena, 2001), qui présente un personnage de terroriste américain « cool » (John Travolta), dont la
mission consiste à « terroriser les terroristes. »
58
Voy. Carlos E. Cortés, « Them and Us : Immigration as Societal Barometer and Social Educator in American
Film », in Robert Brent Toplin (ed.), op. cit., p. 69 ; « Tell me Who I am. Race Representation at the Movies »,
Report by the Grand Rapid Institut for Information Democracy, www.griid.org/pdfs/race_in_films.pdf, p. 5.
L’une des manifestations les plus récentes en est La chute du faucon noir (Ridley Scott, 2002), qui associe les
combattants somaliens, qui s’en prennent aux GI’s, à l’islam (musique arabisante, scènes de muezzin ou de
prières précédant le début des combats).
59
Voy. la liste exhaustive des films représentant les arabes comme les « méchants » dans Jack G. Shaheen, Reel
Bad Arabs. How Hollywood Vilifies a People, New York, Northampton, Olive Branch Press, 2001.
60
Writers Guild of America, Public Affairs Committee, « We Hate You (But Please Keep Sending Us
Baywatch) : The Impact of America’s Entertainment on the World », 5 décembre 2002,
http://www.wga.org/craft/wehateyou/wehateyou.html.
61
Voy. également Etienne Augé, « Hollywood Movies : Terrorism 101 », Cercles, 2002, n° 5,
http://www.cercles.com, pp. 159-161.
62
Voy. Richard Strayton, « They Saw It Coming : American Screenwriters Under Siege », Written By, september
2002, http://www.wga.org/WrittenBy/0902/siege.html.
8
Couvre Feu relate les effets d’une vague d’attentats sanglants commis à New York par des
fondamentalistes musulmans, en réaction à l’enlèvement de leur guide spirituel, le Cheikh
Ahmed Bin Talal, par des militaires américains63. Le film présente deux personnages d’arabes
installés aux États-Unis, symbolisant deux modèles antinomiques. Le premier, Frank Haddad
(Tony Shaloub), est un chiite libanais qui s’est parfaitement inséré dans le melting-pot
américain. Il est devenu agent du FBI, et à ce titre lutte contre le terrorisme islamiste, tout en
demeurant un bon musulman (une brève séquence le montre à la mosquée avec sa famille). Il
a changé son prénom de « Farouk » en « Frank ». Il représente la figure de l’arabe loyal,
parfaitement acculturé, qui a pleinement adhéré aux valeurs américaines. Le second, Samir
Nazhde (Sami Bouajila), est un réfugié palestinien, professeur en études arabes, qui joue les
informateurs pour Sharon Bridger (Annette Benning), un agent de la CIA avec laquelle il
entretient une liaison. Jouant l’effet de suspens, le film ne révèle qu’en toute fin que Nazhde
est en réalité le planificateur des attentats commis à New York, et qu’il s’apprête à perpétrer
une attaque suicide contre des manifestants pacifistes. Seuls le sacrifice de Sharon Bridger et
l’intervention des agents du FBI (Denzel Washington et Tony Shaloub) l’en empêcheront.
Le film exploite l’archétype du « palestinien terroriste »64, qui s’est installé à Hollywood
depuis les années 7065, avec des œuvres comme Rosebud (Otto Preminger, 1975), The Human
Factor (1975, Edward Dmytryk), Victoire à Entebbe (Marvin Chomsky, 1976) ou encore
Black Sunday (John Frankenheimer, 1977)66. Le premier attentat est perpétré par un groupe de
palestiniens de Ramallah, et l’on apprend que le frère de Samir Nazhde s’est fait sauter dans
un cinéma de Tel Aviv. Dans une scène située au début du film, Frank Haddad, l’agent du
FBI d’origine libanaise, procède à l’interrogatoire de Samir Nazhde, et, réagissant à une
remarque ironique, le frappe au visage. Son collègue (Denzel Washington) le réprimande, ce à
quoi Frank répond : « Si tu savais ce que ces gens ont fait à mon village en 75. » Le collègue
conclut : « Tu n’as pas besoin de me convaincre. Ne le refais jamais. » Le dénouement final,
qui révèle le personnage de Samir Nazhde comme un terroriste fanatique, vient encore
renforcer l’idée que tous les Palestiniens sont nécessairement coupables, « même les gentils
63
Les attentats entraînent l’instauration de la loi martiale à New York et l’internement dans des camps de tous
les individus mâles d’origine arabe. Le FBI finit par démanteler les cellules terroristes, et le Général américain
(Bruce Willis) menant les opérations à New York est arrêté pour avoir enfreint les libertés et torturé un suspect
d’origine arabe.
64
Voy. Jack G. Shaheen, op. cit., p. 432.
65
Jack Shaheen a relevé 45 films américains présentant les Palestiniens sous un jour défavorable, la plupart du
temps comme des terroristes (Jack G. Shaheen, op. cit., pp. 26-27).
66
Dans les films postérieurs, citons Delta Force (Menahem Golan, 1986) (les passagers d’un avion sont pris en
otages par un commando palestino-libanais), Navy Seals (Lewis Teague, 1990) (Des pilotes américains sont
capturés par des terroristes palestiniens), Patriot Games (1992) (une branche dissidente de l’IRA part s’entraîner
dans des camps en Libye, juste à côte d’autres groupes « terroristes », dont l’OLP), Ultime décision (1996) (un
commando palestinien détourne un avion avec pour objectif de le transformer en bombe chimique et de le faire
s’écraser sur Washington).
9
qu’on a aimés pendant le film67. » Au personnage de Frank Haddad, le « bon Arabe »
américanisé, Couvre Feu oppose donc celui du palestinien terroriste, fondamentalement
réfractaire aux valeurs des États-Unis68 (l’attentat qu’il projette vise une manifestation
réunissant des personnes d’origines juive et arabe, brandissant le drapeau américain et
revendiquant le strict respect des libertés publiques dans la lutte contre le terrorisme).
Ce schéma est encore approfondi dans L’enfer du devoir, réalisé en 2000 par William
Friedkin (French Connection, L’Exorciste, …). En 1996, l’ambassade des États-Unis au
Yémen est assiégée par des manifestants, protestant contre la présence américaine dans le
Golfe. Le Colonel Childers (Samuel Jackson) et ses marines sont envoyés sur place pour
sécuriser l’ambassade et évacuer les diplomates, si nécessaire. Ayant pris position sur le toit
du bâtiment, les marines essuient des coups de feux tirés par des snipers placés sur une
maison située en face de l’ambassade, à l’écart de la manifestation. Alors que plusieurs de ses
soldats sont touchés lors des affrontements, le Colonel Childers donne l’ordre de tirer sur la
foule des manifestants. « Balaye-moi cette pourriture » crie-t-il à l’un de ses hommes qui se
montre hésitant. Le bilan est de 83 morts et d’une centaine de blessés parmi les manifestants,
hommes, femmes et enfants. Aucune arme n’a été retrouvée parmi les victimes. L’événement
cause un scandale dans la presse internationale et le Colonel est traduit en cour martiale pour
meurtres. Pour sa défense, Childers affirme n’avoir fait que protéger ses hommes et avoir
répondu à des tirs provenant directement des manifestants. Le conseiller américain à la
sécurité nationale décide de faire porter la responsabilité individuellement sur Childers, afin
de préserver l’honneur des États-Unis et ne pas déclencher une crise mondiale. Il supprime du
dossier l’enregistrement pris par les caméras de surveillance de l’ambassade, qui montre que
la foule était armée et qu’il s’agissait en fait d’un complot terroriste. Grâce à la force de
persuasion de son avocat et ami, Hays Hodges (Tommy Lee Jones), Childers est finalement
acquitté des charges les plus graves, seule l’infraction de trouble à l’ordre public étant
finalement retenue.
Le film multiplie les procédés destinés à dessiner l’image d’Arabes (en l’occurrence, les
Yéménites) collectivement coupables de terrorisme anti-américain, et à justifier l’action de
l’armée américaine qui, en apparence mais en apparence seulement, avait commis un
massacre de civils69. La scène clé de la fusillade à l’ambassade nous est présentée à différents
moments du film. La première fois, la scène est montrée « en direct », et les manifestants
67
Positif, février 1999, n° 456, p. 42.
Ce thème rejoint celui dégagé par Marc Ferro à propos des films anti-japonais des années 40 : « Il n’y a
d’autres valeurs que celles défendues par la démocratie américaine. L’ennemi n’a une chance de salut que pour
autant qu’il les partage ; et dès lors qu’il les partage, il n’est plus un ennemi » (Marc Ferro, Cinéma et Histoire,
Paris, Éditions Denoël/Gonthier, 1977, p. 39).
69
Voy. l’analyse de Jack G. Shaheen, op. cit., pp. 404-405.
68
10
n’apparaissent pas armés, si ce n’est de pierres et de cocktails Molotov. L’événement est
dévoilé une seconde fois lorsque le conseiller à la sécurité visionne l’enregistrement des
caméras de surveillance. On aperçoit sur les images plusieurs manifestants, armés de
mitrailleuses, faisant feu en direction de l’ambassade. Enfin, la scène est montrée une dernière
fois à travers la remémoration qu’en a Terry Childers. On voit alors l’ensemble des
manifestants, y compris les femmes et les enfants, prendre des armes cachées sous leurs
vêtements et tirer en direction de l’ambassade et des soldats américains. Un tel choix de mise
en scène, procédant par dévoilements successifs, vise indéniablement à inverser
progressivement la perception du spectateur, qui, du sentiment que Terry Childers s’est rendu
coupable d’une bavure impardonnable, passe à la conviction que ce dernier n’a fait que
défendre ses hommes et que les manifestants musulmans, loin d’être des civils innocents, sont
en réalité des terroristes fanatiques70. Plusieurs scènes viennent renforcer ce glissement de
perception. L’avocat Hodges se rend au Yémen pour procéder à son enquête. Dans la rue, il
est violemment pris à partie par une foule, qui profère des injures anti-américaines.
Poursuivant ses investigations, il rencontre une petite fille, d’environ 8 ans, qui a perdu une
jambe à la suite de la fusillade. Il se rend également au dispensaire où ont été soignés les
manifestants blessés, et un médecin lui confirme qu’aucune arme n’a été trouvée parmi eux.
Ces deux personnages, qui symbolisent en principe la pureté (l’enfant) et la respectabilité (le
médecin), vont s’avérer être également des terroristes ou leur complice. Le procès va révéler
que des cassettes du Jihad islamique, appelant les musulmans à tuer les Américains, ont été
trouvées au dispensaire, et que le médecin a menti. Et la troisième vision de la scène de la
fusillade à l’ambassade nous montre un gros plan de la petite fille, parmi les manifestants,
tirant au revolver. Elle passe ainsi du statut de victime suscitant la compassion à celui de
terroriste précoce. Il s’agit ainsi d’une culpabilité collective, incluant même les femmes et les
enfants. Un autre plan du film montre encore un sniper arabe tirant sur l’ambassade des ÉtatsUnis, couché sur un toit, sa femme (voilée de la tête au pied) portant un bébé, debout à ses
côtés. À cette image répond immédiatement celle de la femme de l’ambassadeur, protégeant
maternellement son jeune fils lors de l’évacuation des locaux diplomatiques. Là encore, est
mise en scène une opposition manichéenne entre le modèle américain de la famille, qui
préserve la vie de ses enfants, et un modèle « islamo-terroriste », qui ne lui accorde aucune
valeur.
70
Dans le film, la posture du spectateur est symbolisée par la famille de l’avocat militaire, qui tente d’abord de le
dissuader de défendre ce que la presse lui a présenté comme un criminel qui a déshonoré l’armée, pour ensuite, à
l’issue du procès, lui exprimer sa fierté pour le combat courageux qu’il a mené.
11
L’exemple de ces deux films71, puisé parmi d’autres, témoigne de l’incapacité chronique des
films hollywoodiens à appréhender les autres cultures72, et sa propension à représenter, par
des stéréotypes, l’Autre comme constituant un danger menaçant, qui, depuis le milieu des
années 80, prend la forme du terroriste international. Nombre de ce type de films a été réalisé
avec l’aide et le soutien d’institutions comme le Pentagone, le FBI, la CIA, ou l’armée (Navy,
Air Force, Army)73.
On pourrait être tenté d’expliquer ce mode de représentation du terrorisme par une posture
morale de la part d’Hollywood, qui rejetterait de manière fondamentale toute humanisation de
la violence criminelle. Cette interprétation ne résisterait toutefois pas à l’analyse, si l’on se
réfère à la longue liste de films de gangsters qui, de Scarface (Howard Hawks, 1931) à Pulp
Fiction (Quentin Tarantino, 1994), en passant par Le Parrain (Francis Ford Coppola, 1972,
1975, 1990) ou Il était une fois en Amérique (Sergio Leone, 1984), évoquent les activités
d’organisations criminelles comme la mafia en se plaçant du point de vue de celles-ci, et
dressent un tableau très humain des personnages de truands, en dépit de la violence extrême
qu’ils utilisent.
Si l’on procède à une brève comparaison avec la manière dont le cinéma européen aborde le
thème du terrorisme dans certains films récents comme La seconda volta (Mimo Calopresti,
1994), Les trois vies de Rita Vogt (Volker Schlöndorff, 2001) ou Cavale (Lucas Belvaux,
2002), on remarque une approche radicalement différente. Le terrorisme est appréhendé de
l’intérieur, dans une perspective psychologique et humanisante. Les films d’action
hollywoodiens doivent donc être rapprochés de ce que Michael Rogin nomme la « tradition
contre-subversive » des États-Unis, qui vise « la caractéristique persistante de la politique
américaine consistant à diaboliser ses ennemis politiques que ce soit en les caricaturant, en les
stigmatisant, ou encore en les déshumanisant74. »
71
Couvre feu et L’enfer du devoir ont donné lieu à de vives polémiques aux États-Unis, en particulier avec les
associations arabo-musulmanes. Voy. Brian Whitaker, « The “Towel-Heads“ Take on Hollywood », 11 août
2000, http://www.al-bab.com/media/cinema/rules.htm ; Jack G. Shaheen, op. cit., pp. 430-431.
72
Voyez l’intervention de Diane Watson, représentante à la Chambre des députés, lors du séminaire du syndicat
des scénaristes évoqué plus haut : « Ce que nous avons manqué de faire – et j’ai découvert cela dans l’exercice
de mes fonctions d’ambassadeur – c’est reconnaître et comprendre les autres cultures et traditions » (traduction
de l’auteur) (Writers Guild of America, Public Affairs Committee, « We Hate You (But Please Keep Sending Us
Baywatch) », op. cit.).
73
Voy. Patrick Mougenet, op. cit., p. 4 ; Jean-Michel Valantin, op. cit., pp. 18 et s. ; Anne-Marie Bidaud, op. cit.,
pp. 99-100.
74
Michael Rogin, Ronald Reagan, the Movie and Other Episodes in Political Demonology, University of
California Press, 1987, p. xiii, Les démons de l’Amérique. Essais d’histoire politique des États-Unis, Paris,
Éditions du Seuil, 1998, p. 17, pour la traduction française.
12
Dans sa traduction au cinéma, cette tradition est parfaitement analysée par le réalisateur John
Carpenter (Halloween, Escape from L.A., Ghost of Mars…), dans une interview accordée aux
Cahiers du Cinéma en octobre 200175 :
« Quand un pays entier vit dans la peur, il en arrive forcément à craindre l’autre. C’est aussi une question de
cinéma, où il n’existe que deux types de récits d’horreur. Imaginez que nous sommes tous les trois membres
de la même tribu, et que nous parlons autour du feu. Notre chef va nous dire où se trouve le diable, il va nous
protéger de cette manière, en pointant du doigt la zone obscure au-delà de la lumière des flammes. « Là bas,
dans le noir ce sont nos ennemis, ils ne nous ressemblent pas. » C’est le premier genre de récit d’horreur.
Pour le second, dans la même situation, le chef dira que l’ennemi est ici, parmi nous, autour du feu… « Nous
sommes tous capables de ce genre de choses. Nous devons choisir de ne pas les faire, et notre humanité nous
sauve. » Cette deuxième option est la plus difficile en Amérique, car les gens vont toujours directement vers
l’autre, « eux », ceux qui n’ont pas la même couleur de peau, qui ont de drôles de chapeaux sur la tête, qui
parlent une langue bizarre. Nous sommes comme ça. »
L’analyse de John Carpenter trouve confirmation dans un film comme La Recrue (Roger
Donaldson, 2003), ressortissant au premier genre de récit, dans lequel Walter Burke (Al
Pacino), instructeur à la CIA, tient le discours suivant aux jeunes recrues :
« Nous sommes tous ici, parce que nous avons la foi. Nous croyons au Bien et au Mal, et nous choisissons le
Bien. Nous croyons au bon et au mauvais, et nous choisissons le bon. Notre cause est juste. Nos ennemis sont
partout, ils nous entourent. C’est un monde qui fait peur 76. »
II.
Le terrorisme comme neutralisation de toute critique de la politique des ÉtatsUnis
La représentation manichéenne du terrorisme dans les films d’action hollywoodiens a
également pour fonction de dessiner les contours d’une idéologie conformiste, patriotique, qui
encourage au rejet de tout discours critique de la politique ou des valeurs traditionnelles des
États-Unis. Pendant la guerre froide, les films anticommunistes présentaient toute idée
« libérale » comme nécessairement suspecte77. « S’élever contre l’injustice sociale, les
préjugés, le racisme ne [pouvait] être que le fait de “rouges“, camouflés en bons
démocrates78 », complotant en réalité pour le compte de Moscou79. L’on se souvient
75
Cahiers du Cinéma, novembre 2001, p. 60.
Le message du film s’avère quelque peu ambigu, dans la mesure où la fin de l’intrigue révèle que Walter
Burke a trahi la CIA, pour vendre un logiciel ultra secret au plus offrant. Ce dénouement ne remet toutefois en
rien en cause l’apologie de la CIA véhiculée par le film, qui décrit le recrutement élitiste et la formation des
futurs agents, Burke apparaissant simplement comme le ver dans le fruit sain. Tout doute sur la portée du film
s’évanouit à la vision du « making of », véritable outil de propagande (École d’espionnage, le programme de
formation de la CIA), qui en accompagne l’édition DVD. Commentant la scène dont nous reproduisons le
dialogue, Jeff Apple, l’un des producteurs du film, déclare : « Nous vivons dans un monde compliqué, bien plus
compliqué qu’il y a cinq ans. Il n’y a plus un seul méchant. Il y a des milliers de serpents cachés dans l’ombre.
C’est pour ça que les agents de surveillance sont très importants. »
77
Voy. Michael Rogin, « Kiss me deadly… », op. cit., p. 123.
78
Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, op. cit., p. 678, à propos de My Son John de Leo McCarey.
76
13
également que le maccarthysme, qui a tout particulièrement visé Hollywood80, percevait toute
activité progressiste, telle l’action syndicale ou l’engagement pour l’égalité des droits
civiques, comme un signe d’appartenance à la subversion soviétique81. Ce même type de
schéma se retrouve dans les films d’action contemporains : toute mise en cause de la politique
étrangère américaine y est associée au terrorisme. Les critiques qu’il serait permis de formuler
à l’encontre de la diplomatie des États-Unis sont ainsi toujours exprimées dans les films
hollywoodiens par des personnages de terroristes, dans le cadre de leurs revendications ou de
la justification de leurs actions. Ces critiques perdent de cette façon toute crédibilité, toute
pertinence, et elles s’évaporent en même temps que le terroriste reçoit son juste châtiment à la
fin du film. Il n’existe donc, dans les films d’action hollywoodiens, aucun espace pour la
représentation d’une pensée critique vis-à-vis de la politique américaine qui serait véhiculée
autrement que par des actions terroristes. Une série d’exemples tirés de films récents permet
d’illustrer le propos.
Dans Bad Company (Joel Scumacher, 2001), un terroriste serbe s’apprête à faire sauter une
bombe chimique dans une gare. Sa revendication constitue une remarquable synthèse –
formulée de manière il est vrai très caricaturale - des diverses critiques traditionnelles
adressée à la politique des États-Unis (interventionnisme, égoïsme, hégémonie politique,
culturelle et économique…) :
« Votre pays engraisse quand d’autres meurent de faim. Vous regardez notre sang couler à la télévision…. La
guerre comme un jeu vidéo. Vous arbitrez des conflits qui vous dépassent. Vous imposez partout votre mode
de vie. Puisque vous aimez tant jouer à Dieu, vous allez pouvoir le rencontrer. »
La dénonciation de l’interventionnisme américain constitue un thème récurrent des discours
terroristes dans les films hollywoodiens. Dans The Peacemaker, le terroriste, serbe lui aussi,
qui projette de faire sauter une bombe nucléaire lors de la signature d’un traité de paix à New
York, a laissé une cassette vidéo où le message suivant est enregistré :
« Pendant des années, on a essayé de vivre ensemble jusqu’à ce qu’une guerre s’abatte sur nous. Sur nous
tous. Une guerre déclenchée par nos propres chefs. Qui a fourni les bombes antipersonnel serbes, les tanks
croates, les obus musulmans qui ont tué nos fils et nos filles ? Les gouvernements de l’Ouest ont tracé les
frontières de notre pays. Parfois à l’encre, parfois dans le sang, le sang de notre peuple. À présent ce sont vos
“médiateurs de paix“ qui écrivent une fois de plus notre destin. On n’acceptera jamais cette paix qui nous
79
Le discrédit des idéologies révolutionnaires par le cinéma hollywoodien s’est également marqué à travers la
représentation de la révolution mexicaine : Viva Villa, (Jack Conway et Howard Hawks, 1934), Viva Zapata !
(Elia Kazan, 1951). Voy. Daniel J. Leab, op. cit., p. 128 ; Anne-Marie Bidaud, op. cit., pp. 129-130.
80
Voy. Thom Andersen, « Red Hollywood », in Thom Andersen et Noël Burch, Les communistes de Hollywood.
Autre chose que des martyrs, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, 1994, pp. 7 et s. ; Brian Neve, Film and
Politics in America. A Social Tradition, London, New York, Routledge, 1992, pp. 171 et s. ; Charles Tatum Jr,
« Mc Carthy et les sorcières d’Hollywood », in Film-totem, film tabou. La censure au cinéma, Liège, Éditions
Cinéma Le Parc, 1989, pp. 32-35 ; Victor Navasky, op. cit. ; Anne-Marie Bidaud, op. cit., pp. 108 et s.
81
Voy. Marie-France Toinet, op. cit., pp. 24-25 et p. 55 ; Anne-Marie Bidaud, op. cit., p. 114.
14
laisse sans rien d’autre que la souffrance. La souffrance, les “pacificateurs“ doivent aussi la connaître. Leurs
femmes, leurs enfants, leurs maisons et leurs églises. […] Laissez nous trouver notre propre destin. »
Et dans Dommage collatéral (Andrew Davis, 2002), l’Armée de libération de la Colombie,
qui commet un attentat contre un bâtiment de la CIA, exige des États-Unis qu’ils cessent toute
intervention militaire en Colombie.
Le thème de la domination économique est quant à lui décliné dans Une journée en enfer (Die
Hard III, John Mc Tiernan, 1995), où le (pseudo) terroriste allemand, incarné par Jeremy
Irons, déclare :
« Depuis trop longtemps l’Occident pille le monde, condamnant le reste de l’humanité à la famine.
Aujourd’hui on repart à zéro. Le stock de la Réserve fédérale, l’or essentiel à vos économies, sera dispersé
par une bombe au large de Long Island. »
Lorsque la critique des États-Unis n’est pas formulée directement par des terroristes, elle
émane de personnages qui leur sont étroitement associés. Dans Spygame (Tony Scott, 2001),
une femme médecin, dirigeant un centre sanitaire dans un camp de réfugiés palestiniens à
Beyrouth, met en cause la politique américaine dans la guerre du Liban. Dans les minutes qui
suivent, le film nous apprend qu’elle traite avec le Hezbollah pour financer son dispensaire, et
qu’elle a fait partie d’un « groupe de défense des droits de l’homme » qui a posé une bombe à
l’ambassade de Chine à Londres. Dans Couvre-feu, l’agent de la CIA, Sharon Bridger
(Annette Benning), met en cause le soutien que les États-Unis ont apporté à des groupes de
fondamentalistes musulmans opposés à Saddam Hussein, pour ensuite se retourner contre eux.
Mais elle apparaît s’être laissée séduire par Samir Nazhde, au point que, tout en entretenant
une liaison amoureuse avec lui, elle ne s’est pas aperçue qu’il était le cerveau des attaques
terroristes frappant New York. Lorsqu’il dévoile son vrai visage à Sharon Bridger, Samir
justifie son action par des propos qui rejoignent ceux de sa maîtresse :
« D’abord tu me laisses tomber en Irak comme une merde ! Puis vous prenez notre leader, un saint. Vous le
mettez en prison parce qu’il prêche la parole de Dieu. Maintenant vous allez regretter d’avoir essayé de
contrôler le monde. »
La suspicion véhiculée par les films d’action à l’égard de tout discours anticonformiste se
marque encore dans la manière dont sont présentées les actions collectives émanant de la
« société civile », qui sont montrées sous un jour soit ridicule soit subversif82. Dans
Independence Day (Roland Emmerich, 1996), un groupe de « pacifistes », qui pensent que les
extraterrestres ne constituent pas une menace, se rassemblent sur le toit d’un gratte-ciel pour
82
Seul Couvre feu présente une image positive de manifestants revendiquant le respect des libertés civiles dans
la lutte contre le terrorisme.
15
accueillir chaleureusement l’arrivée des soucoupes volantes : ils seront les premiers à être
anéantis83. Dans Armaggedon, Bruce Willis, qui incarne le patron d’une société de forage
pétrolier amené à se sacrifier héroïquement pour sauver la planète d’une météorite, s’amuse,
au début du film, à frapper depuis une plate-forme maritime des balles de golf sur des
activistes de Greenpeace. Et rappelons que dans L’Enfer du devoir, les manifestants
yéménites protestant contre la présence américaine dans le Golfe s’avéreront être tous des
terroristes fanatiques.
Cet élément peut être rapproché plus généralement de la manière dont les populations sont
présentées dans les films hollywoodiens. Elles apparaissent le plus souvent comme des
victimes passives, déresponsabilisées, entièrement soumises à l’action du héros/individu ou
des autorités. Le corps social est ainsi montré comme étant composé de ce que Laurent Guido
appelle des « citoyens-spectateurs », et non de « citoyens-actifs »84.
Le film d’action contemporain s’inscrit ainsi dans la continuité des films de guerre froide,
jouant, comme l’a décrit Michael Rogin, un rôle de régulation contre-subversive,
marginalisant tout discours anticonformiste en l’associant au terrorisme85. Il vise également à
valider la nécessité de l’exercice par les États-Unis d’une hégémonie mondiale, comme nous
le verrons dans le point suivant.
III.
L’indispensable rôle hégémonique des États-Unis
Après la fin de la guerre froide, les États-Unis doivent définir une nouvelle menace afin de
légitimer leur rôle hégémonique dans le monde, fondé sur leur suprématie militaire et
technologique. Les films hollywoodiens vont accompagner la promotion de ce rôle
hégémonique, en présentant les États-Unis comme les seuls capables de préserver le monde
des nouveaux périls qui le menacent86. Ceux-ci peuvent apparaître symboliquement sous
l’aspect d’extraterrestres ou de catastrophes naturelles, ou prendre la forme du terrorisme
international.
Le film qui incarne le plus parfaitement l’affirmation du leadership mondial que doit exercer
les États-Unis est sans conteste Independence Day (Roland Emmerich, 1996). Le film relate
l’invasion de la Terre par une armada de soucoupes volantes, qui détruisent les principales
83
Voy. Laurent Guido, « “Regardez-nous sauver le monde !“ Représentations sociales dans quelques films
catastrophe hollywoodiens contemporains », http://massecritique.com/SF_Representations_Texte.html, p. 4.
84
Laurent Guido, op. cit., p. 2, à propos d’Independence Day, d’Armaggedon et de Deep Impact.
85
Michael Rogin, « Kiss me deadly… », op. cit., p. 123.
86
Voy. Sylvestre Meininger, « Cinéma à l’américaine », Le Monde Diplomatique, septembre 2002, p. 12 ;
Franck Bousquet, « Blockbusters & Bush : Quelques correspondances d’idéologies », http://www.cadrage.net.
16
villes du monde, à commencer par Washington. Les États-Unis prennent la tête d’une
coalition mondiale qui parviendra à défaire les extraterrestres, grâce à l’action héroïque d’un
scientifique et d’un pilote de chasse, et au courage du Président qui mène en personne
l’escadre qui anéantit la flotte adverse. Cette œuvre renoue avec le film d’extraterrestres des
années 50, tout en lui donnant une dimension nouvelle. En pleine guerre froide, l’ « alien »
symbolisait le péril communiste. Dans les années 90, à l’heure où les États-Unis semblent ne
plus avoir d’ennemi à leur mesure, le recours au spectre d’une invasion extraterrestre vise à
persuader le public américain du risque de menaces globales nouvelles, et donc de la nécessité
de développer une capacité militaire adéquate. À cet égard, il constitue une régression au sein
du genre de la science-fiction. Avec Rencontres du troisième type (1977) et E.T. (1982) de
Steven Spielberg, les extraterrestres ne venaient plus sur Terre avec des ambitions de
conquête, mais pour communiquer ou s’instruire, et ce sont les humains qui s’avéraient
menaçants87.
Comme un écho au « nouvel ordre mondial » proclamé par George Bush Senior dans l’élan de
la guerre du Golfe, Independence Day constitue un appel au monde à accepter, dans son
propre intérêt, l’hégémonie des États-Unis88. L’unification universelle derrière les États-Unis
est ainsi symbolisée par le discours final du Président, proclamant que la date de la victoire
sur les extraterrestres, qui coïncide avec la fête nationale américaine (4 juillet), sera désormais
célébrée dans le monde entier comme le jour de l’Indépendance89. Comme l’analyse Bill
Krohn, dans Independence Day, « l’Amérique est le monde90 ».
Le message d’Independence Day trouve son prolongement direct dans Armaggedon (Michael
Bay) et Deep Impact (Mimi Leder), réalisés en 199891. Les deux films développent le même
argument : la Terre est menacée de destruction par un astéroïde sur le point de s’y écraser, et
87
Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, op. cit., v°« Steven Spielberg », pp. 889-890. La vision de
Spielberg s’inspire elle-même de films des années 50, dont l’idéologie était à l’opposé de la guerre froide,
présentant une image positive des extraterrestres : Le jour où la terre s’arrêta (Robert Wise, 1951) et It Came
From Outer Space (Jack Arnold, 1953) (Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, op. cit., p. 281 et p. 1005 ;
Robin Wood, Hollywood from Vietnam to Reagan, New York, Columbia University Press, 1986, pp. 178-180). Il
ne faut toutefois pas exagérer l’audace d’un film comme E.T. Ainsi que l’analyse Robin Wood, si le message du
film est bien l’acceptation de l’Autre, E.T. s’avère être un Autre particulièrement rassurant et aseptisé, qui
s’adapte sans mal au mode de vie américain : « Une nation fondée sur le déni de l’Autre, désormais – après le
féminisme radical, après la libération homosexuelle, après le militantisme noir – produit de manière
condescendante un film dans lequel l’Altérité devient quelque chose que nous pouvons tous chérir et câliner et
dont nous pouvons nous émouvoir, sans trop remettre en cause la famille nucléaire et l’ “American way of life.“
E.T. est l’un d’entre nous ; il a juste l’air un peu comique » (traduction de l’auteur) (Robin Wood, op. cit.,
p. 180 ; voy. également Michael Ryan and Douglas Kellner, op. cit., pp. 260-263). Dans ses manifestations
actuelles, le courant des films d’extraterrestres « amicaux » est illustré par Contact (Robert Zemeckis, 1997) ou
encore Le géant de fer (Brad Bird, 1999).
88
Bill Krohn, op. cit., p. 61 ; Jean-Michel Valentin, op. cit., p. 103.
89
Voy. Ignacio Ramonet, op. cit., p. 93 ; Laurent Guido, op. cit., p. 2.
90
Bill Krohn, op. cit., p. 60.
91
Voy. Laurent Guido, op. cit., p. 2.
17
une mission spatiale américaine (avec une collaboration russe symbolique) est envoyée afin
de l’anéantir, en y implantant des ogives nucléaires. Au terme de nombreuses péripéties, les
deux expéditions se soldent par la destruction du météore, au prix du sacrifice des membres
de la mission (Deep Impact) ou de l’un de ceux-ci (Stamper/Bruce Willis dans Armaggedon).
Une nouvelle fois, la Planète est sauvée par la grâce de l’action américaine. Dans
Armaggedon, à la veille du départ de la mission, le Président des États-Unis prononce un
discours diffusé et écouté sur la terre entière (des scènes montrent les auditeurs en Chine,
Inde, Turquie, France, au Moyen-Orient,…), dont le contenu résume le message du film,
apologie de la soumission du monde à la suprématie technologique américaine :
« Pour la première fois dans l’histoire de la planète, notre espèce possède la technologie pour empêcher son
extinction. Vous qui priez avec nous devez savoir que tout a été mis en œuvre pour éviter ce désastre. Notre
soif d’excellence – et de connaissances – tous les progrès de la science, toutes les avancées de la conquête
spatiale, toute notre technologie moderne et notre imagination, même nos guerres nous ont donné les armes
pour mener cette terrible bataille. (…) Puissions-nous, citoyens du monde, surpasser ces épreuves. Que Dieu
vous garde. »
Cet éloge de la technologie s’accompagne d’une ode à la conservation de l’arsenal nucléaire
américain, puisque, tant dans Independence Day que dans Deep Impact ou Armaggedon, c’est
grâce à lui que le péril qui menace la Terre est anéanti.
Les États-Unis doivent également prévenir le monde du danger provenant de la dissémination
d’armes de destruction massive. Dans The Peacemaker (Mimi Leder, 1997), la Russie s’avère
incapable de surveiller son propre arsenal nucléaire (dix ogives nucléaires sont dérobées par
un Général russe corrompu avec une facilité déconcertante, les soldats russes étant présentés
comme maffieux, vénaux ou incapables). Une fois localisé, le camion transportant les ogives
volées ne peut être intercepté par les forces russes, qui soit arrivent trop tard, soit le laissent
échapper. Les forces américaines se trouvent donc dans l’obligation de pénétrer en territoire
russe en en violant l’espace aérien, et de neutraliser elles-mêmes le camion. À nouveau, les
États-Unis sont présentés comme seuls garants de la paix internationale, et leurs actions à
cette fin ne peuvent se limiter au territoire américain, mais doivent être mondiales.
L’interventionnisme est également encouragé dans Air Force One (Wolfgang Petersen, 1997),
afin de lutter contre la dictature et les violations des droits de l’homme. Il se dégage du film
un plaidoyer pour une hégémonie accrue des États-Unis, pourvu qu’elle se place dans une
perspective éthique, à l’opposé de la « realpolitik ». Alors qu’une opération commando russoaméricaine a permis l’arrestation de Radek, le chef d’État sanguinaire du Kazakhstan, le
Président des États-Unis (Harrison Ford) annonce, dans un discours fait à Moscou, un
changement drastique de la diplomatie américaine :
« La vérité, c’est que nous avons agi trop tard. Lorsque notre sécurité nationale s’est trouvée compromise. Le
régime de Radek a fait massacrer 200 000 personnes. On a regardé ça à la télé. Nous avons laissé faire. Le
carnage a duré plus d’un an. Nous nous sommes réfugiés derrière les embargos et la diplomatie. Comment
18
avons-nous osé ? Les morts se souviennent. La paix, ce n’est pas seulement l’absence de conflit – mais le
règne de la justice. Ce soir, je m’engage à changer la politique américaine. Jamais plus je ne laisserai l’intérêt
politique nous détourner de notre devoir moral. Les atrocités et la terreur ne sont pas des arguments. A ceux
qui les utilisent…votre règne est fini. Nous ne négocierons pas. Nous ne vous tolérerons plus. Nous ne
tremblerons plus. C’est à vous de trembler. »
Le débat relatif à l’interventionnisme américain, et aux interrogations qu’il peut susciter, est
encore parfaitement illustré par En territoire ennemi (John Moore, 2001). Le lieutenant Chris
Burnett (Owen Wilson) est un pilote américain participant à une mission de l’OTAN en
Bosnie. Tête brûlée, il trouve sa tâche inutile et ennuyeuse, devant se cantonner dans des
opérations de surveillance et de reconnaissance. Il ne comprend pas ce que les troupes étatsuniennes viennent faire dans ces contrées lointaines, dont les citoyens américains ne
connaissent rien :
- Burnett : « Vukovar ? Comment c’est, ce coin qu’on a survolé ? Schwebe, Sch… »
- Son co-pilote : « Srebrenica ! »
- Burnett : « Bonne chance pour leur expliquer, chez toi ! Aujourd’hui, mardi, on aide ces personnes. Non. Ça
vient de changer, maintenant on aide... On dirait une blague. Tous croient qu’on va cogner sur des nazis,
comme en Normandie. Mais c’est fini, cette époque est révolue. »
Démotivé, il choisit de présenter sa démission pour s’engager dans l’aviation commerciale. Il
est désigné pour une dernière mission, au cours de laquelle, après avoir photographié un
charnier, son avion est abattu par les forces serbes de Bosnie. Au terme de nombreuses
péripéties, il parvient à ramener les photographies, ce qui permet de poursuivre pour crimes
de guerre les militaires serbes responsables. Burnett déchire alors sa lettre de démission.
Malgré les doutes ou les critiques qui peuvent s’exprimer, les interventions américaines
s’avèrent en dernière instance toujours bénéfiques, et les découragements ne sauraient qu’être
passagers.
Conclusions :
La représentation de la menace dans les films d’actions hollywoodien, qui prend depuis la fin
des années 80 essentiellement la forme du terrorisme, a, comme nous l’avons montré, pour
fonction essentielle de réaffirmer le rôle central des États-Unis dans le monde, et de construire
une identité américaine consensuelle, affirmée autour de certaines valeurs traditionnelles.
Parmi celles-ci figure au premier rang la famille, qui constitue une figure omniprésente des
films d’action92. Le terrorisme est présenté comme s’attaquant aux valeurs familiales, conçues
comme le noyau du mode de vie américain. La famille apparaît ainsi comme le symbole de
92
Voy. not. Air Force One, Independence Day, L’Enfer du devoir, Dommage Collatéral, Nous étions soldats
(Randall Wallace, 2002).
19
l’Amérique, dont seule l’unité permet de faire face au péril extérieur qui la menace93. La
construction d’une altérité menaçante vise dès lors à produire un effet de consensus national,
qui dépasse les divergences idéologiques et les différences ethniques.
Si le film d’action hollywoodien valide les grands axes de la politique étrangère des ÉtatsUnis, il serait toutefois réducteur de le voir comme un véritable instrument de propagande,
reflétant purement et simplement les vues du gouvernement américain. D’une part, la
situation est de ce point de vue aujourd’hui radicalement différente de ce qu’elle était en
1941. C’est la télévision qui a remplacé le cinéma comme média le plus influent, et la
propagande en temps réel est avant tout assurée par CNN ou Fox News94. D’autre part, il faut
conserver à l’esprit qu’il existe à Hollywood une tradition populiste de méfiance envers les
institutions95, qui s’est traduite dans de nombreux films96, souvent les mêmes d’ailleurs que
ceux qui exaltent les valeurs du patriotisme. Ces films se positionnent ainsi dans le débat
interne américain sur les rivalités qui existent entre les différentes composantes du pouvoir
américain (gouvernement fédéral, armée, CIA, FBI…). Pour exemple, certains films
idéalisent le rôle de l’armée, confrontée à des autorités politiques bureaucratiques ne
comprenant rien aux réalités du terrain et pratiquant une realpolitik dévoyant les valeurs
américaines (The Rock, L’Enfer du devoir, En territoire ennemi…), alors que d’autres en
soulignent le risque de dérives attentatoires aux libertés civiles ou à la sécurité nationale
(Couvre feu, Alerte (Wolfgang Petersen, 1994)). Les films d’action ne s’attachent ainsi pas
tellement à l’activité des institutions, mais exaltent essentiellement le héros individualiste97,
symbolisant les vertus de l’Amérique, et conçu, ainsi que l’analyse Yannick Dahan, comme
une alternative au système98.
93
Independence Day constitue à cet égard un exemple remarquable : la menace extraterrestre produit à la fois
l’union familiale et le consensus transcendant les clivages idéologiques ou ethniques. L’attaque permettant la
destruction des extraterrestres est menée par un pilote noir (Will Smith), un juif libéral écologiste (incarné par
Jeff Goldblum) et un président que l’on peut supposer républicain (Bill Pullman), et est directement précédée par
la célébration d’unions matrimoniales. Voy. Michael Rogin, Independence Day, or How I Learned to Stop
Worying and Love the Enola Gay, British Film Institute Publishing, 1998, pp. 41-53 ; Bill Krohn, op. cit., p. 61 ;
Laurent Guido, op. cit., p. 3.
94
Voy. Charles Tesson, op. cit., p. 44.
95
Voy. Yannick Dahan, « Le cinéma américain sous Reagan », op. cit., pp. 35 et s. ; Laurent Guido, op. cit., p. 4.
96
Ce courant est particulièrement illustré par ce que l’on appelle le « thriller paranoïaque » ou le « conspiracy
film », qui est apparu dans les années 60 pour connaître son essor dans les années 70, dans le contexte de
l’assassinat de John F. Kennedy, de la guerre du Vietnam, du Watergate, et des enquêtes du Congrès concernant
la CIA. Voy not. The Parallax View (Alan J. Pakula, 1974) ; Conversation secrète (Francis Coppola, 1974), Les
trois jours du Condor (Sidney Pollack, 1975), Les Hommes du Président (Alan J. Pakula, 1976), Network
(Sidney Lumet, 1976) ; Dead Zone (David Cronenberg, 1983), JFK (Oliver Stone, 1991) ; Wag the Dog (Barry
Levinson, 1998),… Voy. Jean-Baptiste Thoret, 26 secondes : L’Amérique éclaboussée. L’assassinat de JFK et le
cinéma américain, Pertuis, Rouge Profond, 2003 ; Michael Ryan and Douglas Kellner, op. cit., pp. 95-105 ; Ian
Scott, op. cit., pp. 102-137.
97
Voy. Anne-Marie Bidaud, op. cit., p. 137 ; Bruno Cornellier, op. cit., pp. 1-2.
98
« Le héros n’est pas l’incarnation d’une Amérique mythique à travers le temps et l’histoire. Il est, dans un
contexte donné, ce que l’Amérique n’est pas mais ce qu’elle devrait être. Il est l’incarnation de l’alternative au
système. Le héros, seul contre le système, fait preuve d’un courage que, dans la réalité, un État protéiforme
20
Il faut encore souligner qu’il existe au sein d’Hollywood ou à sa marge, un courant
iconoclaste, certes très minoritaire, qui produit des films qui vont à contre-courant de
l’idéologie véhiculée par le courant dominant étudié plus haut99. Sans faire l’analyse de leurs
œuvres, citons notamment Tim Robbins (Bob Roberts, 1995, qui décrit l’ascension vers la
présidence d’un chanteur folk réactionnaire, sur fond de dénonciation de l’Iran-contra gate),
Joe Dante (Second Civil War, 1998), Michael Moore (Roger and me, 1989 ; Canadian Bacon,
1995, dans lequel les États-Unis envahissent le Canada ; The Big One, 1997 ; Bowling for
Columbine, 2002 ; et bientôt Fahrenheit 11/9, sur les suites du 11 septembre), Tray Parker et
Matt Stone (South Park: Bigger Longer & Uncut, 1999), ou encore John Carpenter (Escape
from L.A., 1997, film nihiliste renvoyant dos à dos l’utopie révolutionnaire tiers-mondiste et
la politique réactionnaire américaine ; Ghost of Mars, 2002, qui montre les problèmes
auxquels s’exposent les États-Unis lorsqu’ils entendent dominer et coloniser la planète
Mars100). De nombreux acteurs et réalisateurs ont joué un rôle moteur dans la coalition contre
la guerre en Irak, au sein de l’association Not in Our Name101, même si la tendance majoritaire
à Hollywood a été de conserver un silence consensuel102. Dans ce contexte, la surprise est
venue de la télévision, où la deuxième saison de la série 24 heures chrono103, tournée en
pleins préparatifs de guerre en Irak et diffusée sur la pourtant très conservatrice Fox TV, s’est
révélée être une attaque en règle contre la stratégie belliciste de l’administration Bush.
Surtout, la série dépeint de manière très sombre, à rebours du style des fictions dominantes,
une Amérique post 11 septembre malade, déboussolée, en proie à la paranoïa et aux dérives
de racisme anti-arabe104, et souligne que l’exercice de la violence la plus crue n’est pas
l’apanage des groupes terroristes, à travers la figure récurrente de la torture105. 24 heures se
étouffe. Il s’agit là clairement d’un discours populiste » (Yannick Dahan, « Le cinéma américain sous Reagan »,
op. cit., p. 37). La résurgence du héros mâle à partir de la fin des années 70 marque le retour à la promotion de
valeurs conservatrices (voy. Michael Ryan and Douglas Kellner, op. cit., pp. 217-243).
99
Voy. également Michael Ryan and Douglas Kellner, op. cit., pp. 266-287.
100
La chef de police Mélanie Ballard (Natasha Henstridge) déclare ainsi : « J’ai eu un aperçu des Martiens. De
leurs pensées, de ce qu’ils veulent. Ils pulvériseront toute invasion, quelle qu’elle soit. Pour eux, c’est nous les
envahisseurs. » Et le Dr. Arlene Whitlock (Joanna Cassidy) s’exclame, à propos des Martiens : « Quelles
créatures parfaites. Ils se vengent de quiconque s’approprie leur planète. »
101
Voy. not. Hollywood Anti-War Letter To President Bush, http://www.bluestarbase.org/notinourname.htm.
102
Cette position a été illustrée lors de la cérémonie de remise des Oscars 2003, où consigne avait été donnée aux
lauréats de s’abstenir, dans leurs discours, de tout propos critiquant la guerre. Cet avertissement n’a pas empêché
Michael Moore de se lancer dans une attaque virulente contre George Bush, en recevant l’oscar du meilleur
documentaire pour Bowling for Columbine.
103
24, saison 2, créé par Robert Cochran et Joel Surnow, 2003. La série a été diffusée aux États-Unis (Fox) et au
Royaume-Uni (BBC) de février à juillet 2003. En France et en Belgique, elle a été diffusée sur Canal plus, de
septembre à novembre 2003.
104
A cet égard, il faut souligner que, s’il n’ignore pas le thème du terrorisme islamiste, 24 heures dresse un
tableau des arabo-musulmans bien plus complexe que les films analysés plus haut.
105
Voy. Jérôme Larcher, « Une saison 2 noire et politique », in Dossier « L’âge d’or des séries américaines »,
Cahiers du Cinéma, Juillet/Août 2003, p. 17 ; « “24 heures“ prend le pouvoir », Libération, 20-21 septembre
2003.
21
plaît également à inverser une série de représentations classiques, et brouille totalement
l’image de « l’altérité menaçante » : c’est de l’intérieur même des États-Unis que provient le
plus grand danger. Quant au modèle de la famille américaine, il n’en reste que des lambeaux.
À la suite des attentats du 11 septembre 2001, Hollywood a réagi dans un premier temps en
s’interrogeant sur la représentation de la violence à l’écran, et sur la possibilité de continuer à
produire le même type de films d’action qu’auparavant. Mais il s’est avéré rapidement que le
public ne boudait en rien ce genre de films, au contraire. Dans les semaines qui suivirent les
attentats, les films les plus loués en vidéo étaient des œuvres comme Rambo, Die Hard ou
Couvre-feu106. Et le grand succès de l’été 2002 s’est révélé être La somme de toutes les peurs,
qui montre une attaque terroriste nucléaire contre le Super Bowl à Baltimore107. Sans doute,
les événements du 11 septembre 2001 et leurs représentations médiatiques clôturent-ils un
cycle dans le cinéma hollywoodien108. Il restera à analyser la manière dont l’image et le
souvenir de ces événements seront absorbés par la création cinématographique américaine. Le
moment de stupeur passé, Hollywood poursuivra-t-il la production de films d’action mettant
en scène les périls menaçant les États-Unis109 ? Ou plutôt, ainsi que le suggère Charles
Tesson110, cette absorption prendra-t-elle la forme du « docudrame », qui a une dimension
rétrospective en ce qu’il permet d’assimiler et de faire le deuil des traumatismes passés,
davantage que celle du film d’action, qui a lui une fonction essentiellement anticipative et
spéculative, visant à figurer la peur de catastrophes virtuelles (guerre nucléaire, invasions
soviétique ou extraterrestre, cataclysme planétaire, actions terroristes spectaculaires sur le sol
états-unien,…) dans la « volonté d’inventer les pires événements à venir afin de les
déminer111 » ?
106
Patrick Mougenet, op. cit., p. 6.
Neal Gabler, op. cit., p. 1.
108
Voy. Jean-Baptiste Thoret, op. cit., pp. 182-183.
109
Voy. Etienne Augé, op. cit., p. 163. On prévoit par exemple la sortie prochaine d’un remake du film
anticommuniste Manchurian Candidate, réalisé par Jonathan Demme, transposant l’action de la guerre de Corée
à celle du Golfe (http://www.imdb.com/title/tt0368008), ainsi que la production de Die Hard IV, où Bruce Willis
sera une nouvelle fois opposé à de dangereux terroristes (http://www.imdb.com/title/tt0337978).
110
Charles Tesson, op. cit., p. 44.
111
Jean-Baptiste Thoret, op. cit., p. 185.
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22
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