Cinéma et idéologie : Représentation et fonction du terrorisme

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Cinéma et idéologie :
Représentation et fonction du terrorisme dans
le film d’action hollywoodien
François DUBUISSON
François Dubuisson
Professeur Assistant à la Faculté de Droit de l’ULB
Centre de droit international
Paru in Olivier Corten et Barbara Delcourt (coord.), Les Guerres
antiterroristes, Contradictions, n° 105, Bruxelles, 2004, pp. 53-79.
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Cinéma et idéologie :
Représentation et fonction du terrorisme dans
le film d’action hollywoodien+
François DUBUISSON
« C’est le cinéma qui nous montre de quoi
nous avons l’air et à quoi ressemble le son de
notre voix, mais aussi et c’est primordial
ce que nous éprouvons. »
Ronald Reagan, Président des Etats-Unis.
« Quand un pays entier vit dans la peur, il en
arrive forcément à craindre l’autre. C’est
aussi une question de cinéma. »
John Carpenter, réalisateur.
À la suite des attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center et le Pentagone,
nombre de commentateurs ont porté leur analyse sur les liens que pouvait entretenir
l’événement avec le cinéma, et en particulier avec le cinéma d’action hollywoodien1. Certains
ont discuté les ressemblances que ces attentats étaient susceptibles de présenter avec les
images de films catastrophe ou d’action2, comme Independence Day3, ou l’influence que ces
films auraient pu exercer sur l’imagination des terroristes4. D’autres se sont évertués à trouver
+ Paru in Olivier Corten et Barbara Delcourt (coord.), Les Guerres antiterroristes, Contradictions, n° 105,
Bruxelles, 2004, pp. 53-79.
Professeur Assistant, Centre de droit international et Centre de droit de l’information et de la communication de
l’ULB. L’auteur remercie la Cinémathèque Royale de Belgique pour la consultation de certaines sources
bibliographiques.
1 Nous utilisons, par commodité, le terme « film d’action » dans un sens générique, comme recouvrant des
genres comme le film de guerre, le film de science-fiction, le film catastrophe, ou le film à suspense.
2 Voy. not. Charles Tesson, « Retour à l’envoyeur », Les Cahiers du Cinéma, octobre 2001, pp. 42-44 ; Jean-
Marc Vernier, « L’“image absolue“ du 11 septembre 2001 : une image télévisuelle pas comme les autres »,
Quaderni, automne 2002, 48, http://www.lexception.org ; Paul Warren, « Images de réalité/images de
cinéma », http://www.ulaval.ca/scom ; Thomas Caldwell, « Cinema and Reality », November 2001,
http://www.senseofcinema.com.
3 Independence Day (Roland Emmerich, 1996) montre la destruction de la Maison blanche par des soucoupes
volantes extraterrestres.
4 Neal Gabler, « The authors of 9/11. Is the future in the past ? », Written by, september 2002,
http://www.wga.org/WrittenBy/0902/authors.html, p. 2.
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dans le cinéma hollywoodien une dimension prémonitoire, en évoquant des films tels que
Piège de cristal5, Ultime décision6, ou encore Couvre-feu7, qui auraient prédit les événements
du 11 septembre et leurs conséquences8. Ce dernier type d’approche se révèle en définitive
assez vain, en termes d’analyse9. Le genre du film d’action repose précisément sur le postulat
que les péripéties qui y sont relatées, bien qu’elles s’inspirent d’éléments tirés de la réalité
pour pouvoir fonctionner, sont dans l’impossibilité de se produire dans la vie réelle10. C’est ce
contrat tacite qui rend ce type de film admissible pour le spectateur, qui n’y prend
véritablement plaisir que parce qu’il a la certitude que ce qu’il y voit ne dépassera pas le stade
de la fiction11. C’est donc en tant que fiction, c’est-à-dire en tant que construction et
représentation du monde, qu’il paraît le plus intéressant d’analyser le film d’action
hollywoodien. À cet égard, il convient de ne pas limiter notre analyse au seul contenu
thématique des films, mais également de prendre pleinement en considération les options de
mise en scène et de montage qui, tout autant que le contenu, sont de nature à refléter des choix
politiques et idéologiques et constituent des éléments essentiels déterminant le sens donné par
le spectateur à ce qui est représenté à l’écran.
Depuis ses origines, le cinéma hollywoodien constitue un miroir de l’idéologie et de la culture
américaines12 13. Il a largement contribué à écrire une histoire mythique des États-Unis14, de
Naissance d’une nation (D.W. Griffith, 1915) à Pearl Harbor (Michael Bay, 2001), en
passant par le « western » traditionnel15. Hollywood16 a par ailleurs toujours entretenu des
5 Piège de cristal (Die Hard, John Mc Tiernan, 1988) relate une prise d’otage réalisée par un groupe de (faux)
terroristes dans un gratte-ciel de Los Angeles.
6 Ultime décision (Stuary Baird, 1996) présente un groupe de terroristes musulmans détournant un avion afin de
le faire s’écraser sur Washington et déclencher une explosion chimique.
7 Couvre-feu (Edward Zwick, 1998) suit les conséquences d’une vague d’attentats islamistes à New-York, et
l’instauration de la loi martiale.
8 Voy. par exemple, Pierre Le Blavec, « Le terrorisme anticipé par Hollywood ? », France-Amérique, 11
septembre 2002, http://france-amérique.com/infos/dossiers/Septembre11/anniversary7.html.
9 Voy. Thierry Jousse, « New York, 11 septembre, l’envers du spectacle », Cahiers du Cinéma, octobre 2001,
p. 10.
10 Les invraisemblances qui émaillent l’intrigue des films d’action sont à ce propos une caractéristique
consubstantielle du genre.
11 Voy. Charles Tesson, op. cit., p. 43.
12 Voy. Anne-Marie Bidaud, Hollywood et le Rêve américain. Cinéma et idéologie, Paris, Masson, 1994 ; Bruno
Cornellier, « Sur l’hégémonie hollywoodienne (II) : Cinéma hollywoodien et idéologie »,
http://www.cadrage.net ; Patrick Mougenet, « Cinéma et propagande », novembre 2002, http://www.ac-
grenoble.fr/cinehig.
13 Dans cet article, nous utiliserons les termes « Amérique » et « américain » non pour viser les États-Unis en tant
qu’État, mais comme référents généralement utilisés pour renvoyer à un ensemble d’idées, de valeurs et de
symboles caractérisant la société des États-Unis. Voy. not. l’analyse de ces termes dans Richard P. Horwitz,
« America Studies: Approaches and Concepts », http://twist.lib.uiowa.edu/rhorwitz/asconcepts.htm.
14 Voy. Jacques Portes, Histoire et cinéma aux États-Unis, La Documentation photographique, août 2002, not.
pp. 20-23.
15 Voy. not. Christopher Frayling, « The American Western and American Society », in Philip Davies and Brian
Neve, Cinema, Politics and Society in America, Manchester, Manchester University Press, 1981, pp. 136 et s.
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liens étroits avec le pouvoir politique, bien que complexes et ambigus17. Ces liens se
resserrent tout particulièrement en périodes de guerre, qui sont généralement productrices
d’un sentiment d’union nationale et d’un regain de patriotisme18. Durant la seconde guerre
mondiale, les réalisateurs répondent à l’appel du Président Roosevelt et produisent des films
de propagande19, tandis que les stars s’engagent dans l’armée (James Stewart, Clark Gable…),
ou partent en tournée remonter le moral des troupes (Marlène Dietrich, Rita Hayworth…)20.
Lors du déclenchement du conflit de Corée, la MPAA (Motion Picture Association of
America), le puissant syndicat des producteurs d’Hollywood créé en 192121, félicite le
Président Truman pour son soutien à la Corée du Sud, et se met au service du gouvernement
et des Nations Unies22. Et dernièrement, après les attentats du 11 septembre, une réunion
rassemble les principaux responsables d’Hollywood et Carl Rove, un proche conseiller de
George W. Bush, afin de définir les différentes manières de servir la cause de l’Amérique
(bandes-annonces, divertissement des troupes stationnées à l’Étranger,…)23.
Pour comprendre ces liens avec le pouvoir, il faut garder à l’esprit qu’Hollywood est une
industrie et, dans la perspective de plaire au plus grand monde et de générer un profit24, a un
penchant naturellement conformiste, tendant à refléter ce qui représente l’idéologie
16 Par « Hollywood », nous visons les principaux studios américains, souvent désignés par le mot Majors, qui
produisent la grande majori des films fabriqués aux États-Unis et exportés à l’Étranger : Universal, Métro
Goldwyn Mayer, Columbia (Sony Pictures), Paramount, Disney, Dreamworks, Warner Bros, Fox et Orion. Voy.
Jacques Portes, op. cit., pp. 6-10, et pour une approche historique, Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier,
Cinquante ans de cinéma américain, Nathan, édition revue et mise à jour, 1993, pp. XXIII-XLIX.
17 Voy. Jacques Portes, op. cit., p. 11 ; Anne-Marie Bidaud, op. cit., pp. 93-118 ; Alain Masson, « Du
conservatisme à la propagande antinazie », in Alain Masson (dir.), Hollywood 1927-1941. La propagande par
les rêves ou le triomphe du modèle américain, Éditions Autrement, Paris, 1991, p. 241.
18 La guerre du Vietnam constitue à cet égard une notable parenthèse. Comme le souligne Ignacio Ramonet,
« avec le conflit vietnamien, quelque chose change enfin à Hollywood, et l’exception remarquable de rets
verts, film chauvin, militariste et raciste, alisé par John Wayne et Ray Kellog en 1968, ne doit point masquer
une évidence centrale : contrairement à son attitude durant les deux autres guerres d’Asie, cette fois il n’y a pas
eu de films pour soutenir l’engagement américain en Indochine tant qu’il dura. On peut me affirmer que,
durant la période la plus dure de la guerre du Vietnam (1968-1972), les films antimilitaristes et antibellicistes
furent étonnamment nombreux » (Ignacio Ramonet, Propagandes silencieuses. Masses, télévision, cinéma,
Éditions Galilée, 2000, p. 123). Voy également Michael Ryan and Douglas Kellner, Camera Politica. The
Politics and Ideology of Contemporary Hollywood Film, Bloomington, Indianapolis, Indiana University Press,
1988, pp. 197-206 ; Jean-Michel Valantin, op. cit., pp. 33-37.
19 Par exemple, Frank Capra tourne une série de documentaires intitulés Pourquoi nous combattons.
20 Voy. Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, op. cit., pp. 41-43 ; Ralph Willett, « Nation in Crisis :
Hollywood’s Response to the 1940s », in Philip Davies and Brian Neve, op. cit., p. 60 ; Philippe Lombard,
« Tarzan contre les Nazis », http://www.objectif-cinema.com/horschamps/035.php.
21 Il faut remarquer que les trois présidents successifs de la MPAA, William Hays, Eric Johnston et Jack Valenti,
ont tous été par ailleurs membres des administrations républicaine ou démocrate. Voy. Anne-Marie Bidaud, op.
cit., pp. 94-96.
22 Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, op. cit., p. 58. Pour une analyse de la production
cinématographique américaine réalisée pendant la guerre de Corée, voy. Ignacio Ramonet, op. cit., pp. 122-123.
23 Sur les liens entre Hollywood et Washington après le 11 septembre 2001, voy. Samuel Blumenfeld, « Le
Pentagone et la CIA enrôlent Hollywood », Le Monde, 24 juillet 2002.
24 Voy. Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, op. cit., p. 164.
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dominante25. Ce constat se vérifie tout particulièrement dans les productions abordant des
thématiques touchant, directement ou indirectement, la politique étrangère des États-Unis et
les questions de sécurité nationale. Dans le cadre de cet article, il s’agira essentiellement de
dégager les tendances qui caractérisent le discours sur le terrorisme développé dans les films
d’action américains, films destinés au public le plus large souvent signés par le terme
blockbusters26. Nous nous concentrerons principalement sur les films produits après l’ère
Reagan, dans lesquels le thème du terrorisme apparaît de manière récurrente27.
Comme l’énonce Jean-Michel Valantin, « la construction de l’identité nationale américaine
s’opère par la définition d’une altérité menaçante, d’un Autre générique28. » Pendant la guerre
froide29, c’est le communisme qui remplit, dans la fiction cinématographique, la fonction de
danger absolu menaçant les États-Unis30. Ce danger a été représenté au cinéma soit par des
films explicitement anti-communistes31, soit par des films de science-fiction symbolisant le
péril soviétique sous le trait d’invasions extraterrestres32. Dans le film de guerre froide, même
lorsque le communiste est présenté comme étant américain, il se révèle toujours au service de
25 Voy. Anne-Marie Bidaud, op. cit., p. 5 et p. 176.
26 Ce terme désigne les films hollywoodiens bénéficiant d’un budget très important et distribués sur le territoire
américain dans un minimum de 3000 salles. Sur le plan du contenu, ils se caractérisent par la présence de scènes
d’action spectaculaires.
27 Paul Davies fait remonter l’évocation du terrorisme au cinéma au film Sabotage d’Alfred Hitchcock, réalisé en
1936 (Paul Davies, « Terrorism in Film », Perspective on Evil and Human Wickedness, 2003, vol. 1, n° 2, p. 209,
http://wickedness.net).
28 Jean-Michel Valantin, Hollywood, le Pentagone et Washington. Les trois acteurs d’une stratégie globale,
Éditions Autrement, Paris, 2003, p. 16.
29 Il faut rappeler que dans les films produits durant la seconde guerre mondiale, l’Union soviétique était montrée
sous un jour plutôt favorable. Voy. Thomas Frot, « Hollywood et le communisme ou l’évolution du rapport à une
idéologie dans le film hollywoodien classique », http://www.objectif-cinema.com/horschamps/059.php, p. 5 ;
Anne-Marie Bidaud, op. cit., p. 106.
30 Voy. Bienvenido Concepcion, Emily Guerin, Chris Murrell, Zach Stewart, Alex Young, « Fear Manifests :
Hollywood’sTreatment of Terrorism in the Shadow of the Cold War », Comm. 451.1, Pennsylvanian State
University, november 2000, http://www.personal.psu.edu/users/b/b/bbc107/intro.htm.
31 Par exemple, I Was a Communist for the FBI (Gordon Douglas, 1951), qui décrit l’infiltration de réseaux
communistes à Pittsburgh par un agent du FBI ; My Son John (Leo McCarey, 1952), qui suit le désarroi d’une
mère découvrant que son fils est devenu communiste ; Red Planet Mars (Harry Horner, 1952), montrant deux
savants, l’un américain, l’autre ancien nazi récupéré par les communistes, tentant de contacter les martiens ;
Never Let me go (Delmer Daves, 1953) dans lequel un journaliste américain s’infiltre en URSS pour ramener son
épouse russe, empêchée de partir par les communistes ; The Girl in the Kremlin (Russel Birdwell, 1957),
présentant Staline, le visage refait, se cachant dans un monastère grec avec la moitié du trésor soviétique. Sur
certains de ces films, voy. Michael Rogin, « Kiss me deadly. Communisme, maternité et cinéma de la guerre
froide », Trafic, Automne 2000, n° 35, pp. 107 et s. ; Victor Navasky, op. cit., pp. 43 et s. ; Roland Lacourbe, La
guerre froide dans le cinéma d’espionnage, Éditions Henri Veyrier, 1985, pp. 29 et s.
32 Voy. Daniel J. Leab, « Hollywood and the Cold War », in Robert Trent Toplin (ed.), Hollywood as Mirror.
Changing Views of “Outsiders“ and “Ennemies“ in American Movies, Westport, London, Greenwood Press,
1993, p. 128 ; Roland Lacourbe, op. cit., p. 21 ; Jean-Michel Valantin, op. cit., pp. 26-30 ; Thomas Frot, op. cit.,
p. 7 ; Anne-Marie Bidaud, op. cit., pp. 131-132. Citons, notamment, La chose d’un autre monde (Christian
Nyby, 1951), La guerre des mondes (Byron Haskin, 1953) et Les soucoupes volantes attaquent (Fred Sears,
1956).
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