Université Paris-4
Sorbonne
Ecole Doctorale V : Concepts et Langages
Spécialité : Linguistique
La fonction syntaxique ‘sujet’ en néerlandais et en
français contemporains.
Thèse pour obtenir le grade de docteur de l’Université Paris 4 - Sorbonne
présentée et soutenue par
Catherine FLEURY-MALLET
le 9 novembre 2011, rédigée sous la direction de
M. Jan PEKELDER, professeur à l’Université Paris 4 -Sorbonne
Jury :
M. Karl E. GADELII, université Paris 4 – Sorbonne
M. Pierre GODIN, université catholique de Louvain (U.C.L.)
M. Armand HEROGUEL, université Lille 3
M. Ludo MELIS, katholieke universiteit Leuven (K.U.L.)
M. Jan PEKELDER, université Paris 4 – Sorbonne, directeur de recherche
Mme Hélène WLODARCZYK, université Paris 4 – Sorbonne, présidente.
Position de thèse
Ce travail s’est donné comme objectif un examen en contraste de la fonction
syntaxique ‘sujet’ en français et en néerlandais contemporains, dans le cadre
théorique fourni par le structuralisme fonctionnaliste de Martinet, c’est-à-
dire en considérant la fonction comme un signe linguistique pourvu d’une
forme, son ‘signifiant’, et d’un contenu, son ‘signifié’.
Dans la logique de cette approche, nous avons examiné d’abord le
‘signifiant’ de la fonction ‘sujet’ dans les deux langues, en d’autres termes,
son ‘marquage’ par l’ensemble des indices qui permettent au récepteur d’un
message d’identifier le syntagme porteur de la fonction.
Nous avons constaté que la reconnaissance de la fonction reposait en grande
partie sur les mêmes fondamentaux dans les deux langues. La situation de
communication la plus fréquente est en effet l’absence de choix. Dans les
trois-quarts environ des phrases, en néerlandais comme en français, on
constate qu’un seul élément est en situation de jouer le rôle de sujet, soit en
raison de la disqualification d’un grand nombre de syntagmes par la
catégorie à laquelle ils appartiennent ou le marqueur de fonction qui les
introduit, soit grâce à un autre phénomène commun aux deux langues : le
maintien de cas marquant les fonctions grammaticales pour les pronoms
personnels.
Lorsque le sujet doit être distingué d’un autre syntagme, les locuteurs des
deux langues disposent des mêmes marques pour asseoir leur stratégie : le
marquage morphosyntaxique (ou ‘accord’ du verbe avec le sujet), qui n’est
pas toujours distinctif mais peut l’être, les phénomènes de position et
d’ordre, l’entourage sémantico-lexical du verbe, et le recours aux repères
contextuels ou situationnels en l’absence d’autres marques.
On a constaté cependant que les stratégies mises en œuvre à partir de
certaines de ces marques –les phénomènes de position et d’ordre– étaient
suffisamment différentes pour qu’on puisse considérer que le ‘signifiant’ de
la fonction ‘sujet’, s’il est en grande partie commun aux deux langues n’est
toutefois pas le même, et en déduire que le ‘signifié’ devait être lui-même
différent, conformément à la théorie des signes linguistiques.
Pour explorer le ‘signifié’ de la fonction, nous avons utilisé les pistes de
recherche ouvertes par certains linguistes généralistes et comparatistes.
Lazard (1994, 2003) notamment a proposé la double hypothèse d’une
« configuration subjectale » propre à chacune des langues pour lesquelles la
notion de sujet fait sens, et d’une bipartition des qualités appartenant au
sujet entre celles qui le caractérisent comme ‘sujet de prédication’ et celles
qui relèvent de sa ‘permanence référentielle’. Ces notions, introduites en
vue d’un classement typologique de l’ensemble des langues, nous ont paru
utilisables dans la présente étude contrastive dans la mesure elles
comportent l’idée qu’il n’y a pas seulement une répartition entre langues
‘subjectales’ et langues ‘non subjectales’ (Hagège), mais que les langues
peuvent être plus ou moins ‘subjectales’ selon que la fonction sujet y est
plus ou moins ‘consistante’, c’est-à-dire dotée de plus ou moins de
caractéristiques la distinguant des autres fonctions.
S’agissant du ‘sujet de prédication’, on n’a pas mis en évidence de qualités
qui seraient propres au sujet français dans ce rôle et dont le sujet néerlandais
serait dépourvu, ni inversement d’ailleurs. Dans les deux langues, le sujet
est en principe nécessaire à la conjugaison des verbes, il disparaît lorsque le
verbe est à l’infinitif, et il lui impose ses marques de nombre et de personne.
Le premier point sur lequel il apparaît une différence incontestable est
cependant la possibilité, caractéristique des langues germaniques puisque le
néerlandais la partage notamment avec l’allemand, de phrases prédicatives
sans sujet. On a vu qu’il s’agissait de phrases passives auxquelles un sujet,
qui ne pourrait être qu’impersonnel, n’apporterait pas de contenu
sémantique. Ces prédications sans sujet, qui peuvent aussi se construire
autour de certains verbes, du type de blijken(‘s’avérer’) sont courantes
sinon fréquentes en néerlandais, comme le montrent les exemples trouvés
dans la presse et dans notre corpus bilingue.
Le deuxième phénomène qui affecte le sujet néerlandais en tant que sujet de
prédication est le développement des formes verbales passives, beaucoup
plus important en néerlandais qu’en français. Le sujet du verbe à la voix
passive se distingue en effet moins d’un objet que ne le fait le sujet d’un
verbe actif, à la fois dans son rôle sémantique et (en néerlandais) dans sa
position dans la syntagmatique de la phrase, en fin de zone médiane.
Un troisième phénomène, enfin, connaît un développement quantitativement
considérable en néerlandais alors qu’il est étranger au français. Il s’agit du
large recours à l’infinitif des verbes, et, notamment, de la substantification
des infinitifs verbaux, qui élimine par finition tout sujet pour
accompagner les verbes ainsi transformés –qui n’en conservent pas moins
leur contenu sémantique.
Mais c’est en tant que sujet de référence’ que le sujet français nous est
apparu se distinguer le plus du sujet néerlandais, par sa plus grande
permanence. Il est vrai que, encore, la base commune est importante : le
sujet possède, en néerlandais comme en français, une permanence
référentielle suffisante pour lui permettre de contrôler un infinitif
subordonné au verbe qu’il régit, par exemple. Le français utilise cependant
plus systématiquement ce pouvoir de référence du sujet pour construire des
enchaînements de propositions que ne le fait le néerlandais, comme on l’a
vu dans les fragments qui constituent notre corpus bilingue de référence.
Les grammaires nous indiquent, au demeurant, que sont effaçables, en
néerlandais, tous les éléments communs à deux propositions, sans qu’un sort
particulier soit réservé au sujet à cet égard.
Le français dispose, de plus, de tournures qui reposent entièrement sur une
permanence référentielle propre au seul sujet. Ainsi du gérondif,
extrêmement courant en français comme on l’a vu, auquel le néerlandais fait
systématiquement correspondre une rédaction introduisant un nouveau
verbe conjugué accompagné d’un nouveau sujet syntaxique –ayant
éventuellement la même référence dans le monde extérieur que le premier–
qu’il s’agisse d’une nouvelle proposition indépendante ou d’une
subordonnée introduite par ‘terwijl’ (‘tandis que’).
De la même façon, le français dispose du ‘contrôle syntaxique’ (Pollock)
par le sujet de l’infinitif introduit par avant de, le néerlandais doit
construire une subordonnée introduite par voordat (‘avant que’)
comprenant un nouveau verbe conjugué accompagné d’un nouveau sujet. Il
est vrai que la différence peut être considérée comme formelle lorsque le
sujet de la subordonnée est susceptible, sans qu’il s’introduise d’ambiguïté,
d’être un pronom anaphorique comme dans l’exemple : « si Kléber pouvait
…avant de revenir sur Maëstricht », phrase traduite par : « hoewel het
Kléber lukte voordat hij doordrong tot Maastricht ». Mais dans une
phrase à deux actants comme celle que propose Creissels : « le chien a
mordu le chat avant de s’enfuir », la difficulté de trouver une traduction en
néerlandais qui ne comporte pas d’ambiguïté met bien en lumière le
privilège syntaxique dont dispose le sujet français.
Ces constats nous amènent à la question de savoir si une de nos deux
langues peut être considérée comme plus ‘subjectale’ que l’autre.
Il faudrait pour répondre à cette question pouvoir évaluer exactement la
‘consistance’ de la fonction dans chacune des langues, comme on l’a vu en
introduction au présent chapitre. L’exercice est délicat. Aucun des points
que nous venons de rappeler ne constitue à lui seul une preuve que le sujet
est plus ‘consistant’ dans une des langues que dans l’autre. Nous observons
cependant que tous les indices recueillis vont dans le sens d’une distinction
plus marquée en français qu’en néerlandais de la fonction ‘sujet’ des autres
fonctions de la phrase.
Nous avançons donc l’hypothèse que le français serait plus ‘subjectal’ que
le néerlandais, c’est-à-dire que la communication y reposerait davantage sur
la ‘prééminence’ du sujet par rapport aux fonctions concurrentes,
notamment l’objet, que ce n’est le cas en néerlandais, qui dispose d’autres
repères comme on l’a constaté en élargissant notre analyse contrastive au
cadre dans lequel s’inscrit la fonction, à savoir la structure de la phrase (voir
ci-après).
L’exploration de cette hypothèse pourrait être poursuivie dans le cadre
d’une véritable ‘linguistique de corpus’, liée au recours à un traitement
informatisé et travaillant sur un échantillon de langue beaucoup plus étendu.
En effet, si un tel ‘corpus’ n’était pas utilisable pour la présente étude, qui
portait sur l’analyse d’une fonction, phénomène linguistique non
directement observable, il le devient pour la prolonger à partir des
phénomènes observables qu’elle a permis de dégager.
Une autre direction pourrait consister à tester les hypothèses de la présente
étude sur un autre type de texte, représentant un niveau de langue différent
de celui du corpus utiliici. Ce pourrait être, par exemple, des articles de
journaux.
L’analyse de la structure des phrases nous a amené à trois nouvelles
hypothèses :
(1) Un contraste entre la symétrie des phrases néerlandaises et
l’asymétrie des phrases françaises.
L’hypothèse d’une plus grande symétrie en erlandais qu’en français de la
situation du sujet et de l’objet par rapport au verbe nous conduit à considérer
que le néerlandais serait mieux représenté par le ‘stemma’ à trois nœuds de
Tesnière, le français par un schéma binaire distinguant un syntagme
nominal, le sujet, et un syntagme verbal, comprenant le verbe et ses
compléments. Il semble bien qu’en néerlandais, le sujet soit, du point de vue
structural, « un complément du verbe comme un autre », selon les termes
de Tesnière, alors qu’en fraais il se distingue des autres, et notamment de
l’objet, par une priorité référentielle.
Cette première hypothèse est en accord avec le développement beaucoup
plus important en néerlandais qu’en français du recours à la voix passive.
Un des intérêts du ‘stemma’ est en effet de prendre en compte le phénomène
‘d’inversion des rôles’ que manifeste le passage de l’actif au passif.
(2) Une structure topologique différente :
On a montré que les éléments de la phrase française pouvaient être répartis
en 3 zones (préverbale, verbale et postverbale) , mais qu’il ne faisait pas
sens d’essayer de découper la phrase française, comme son homologue
néerlandaise, en 5 parties (2 pôles et 3 zones).
La question qui se pose à ce stade est de savoir s’il faut renoncer pour le
français à toute notion de pôle. Telle qu’elle a été définie en linguistique
germanique, cette notion implique qu’il s’agisse de points fixes par rapport
auxquels se répartissent les autres éléments de la phrase.
La ‘zone verbale’ du français comprend les éléments verbaux qui occupent
les deux pôles d’une proposition principale néerlandaise, et quelques autres
éléments (clitiques, certains adverbes, gation…), mais en aucun cas
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