---------------Langue
au
creuset-
Langue au creuset et méditation
Le
défi,
je
m'en
méfie
...
par Isabelle OLEKHNOVITCH
U
ne
langue
vivante
évolue,
intègre à
son
vocabulaire
des
mots
étrangers,
fait
glis-
ser
le
sens
de
certaines
termes.
C'est
nor-
mal.
Il
n'y a
aucune
raison
de
se
crisper
sur
un
état
de
la
langue à
une
époque
ou
à
une
autre.
Ne
soyons
pas
les
Amish
de
notre
langue
...
!
Il
est
cependant
justifié
de
réfléchir
sur
les
mots
et
les
tournures
que
nous
utilisons,
de
peser
ce
qu'ils véhiculent pour
en
faire
un
meilleur
usage.
Nous
n'avons
pas
non
plus
à
nous
faire
les
perroquets
de
notre
génération
et
à
nous
précipiter
sur
les
derniers
mots
à
la
mode
...
Apropos, pesons
le
mot «défi
",
terme
«
incontournable
"
des
«battants"
...
Qu'en dit le Petit Robert ?
(dernière édition, 1993)
(1)
Action
de
défier
en
combat
singulier,
à
une
compétition:
Lancer;
jeter
un
défi.
(2)
Déclaration
provocatrice
par
laquelle
on
signifie
àquelqu'un qu'on
le
tient
pour
inca-
pable
de
faire
quelque chose :Mettre
quelqu'un
au
défi
de
faire
quelque
chose.
(3)
Refus
de
s'incliner
devant
quelqu'un
ou
quelque
chose,
refus
de
se
soumettre:
Je
considère cet acte comme
un
défi à
mon
autorité;
un
défi
au
danger;
un
défi
au
bon
sens.
(4)
Anglicisme,
1965
=
challenge.
Obstacle
extérieur
ou
intérieur qu'une
civilisation
doit
surmonter dans
son
évolution. «
Oans
les
sociétés
comme
pour
les
hommes,
il
n
'y
a
pas
de
croissance
sans
défi»
(J.-J.
Servan-Schrei-
ber).
On
remarque
d'abord
que
les
définitions
(1),
(2)
et
(3)
suggèrent
une
action
plutôt
négative.
L'auteur
du
défi,
sûr
de
lui,
cherche
à
humilier
son
adversaire.
C'est
un
provocateur,
mépri-
sant,
agressif,
genre
grenouille
qui
veut
se
faire
plus
grosse
que
le
bœuf
...
Ainsi
Goliath,
lan-
çant
un
défi
à
Israël
(1
S
17.10)
;
ainsi
Satan
lui-même.
Le
chapitre
1
du
livre
de
Job
nous
le
montre
mettant
Dieu
au
défi
de
prouver
que
Job
l'aime
de
façon
désintéressée.
La
scène
de
la
tentation
de
Jésus
dans
les
évangiles
synoptiques
ressemble
aussi
à
une
scène
de
défi
:
Satan
lance
à
Jésus
le
défi
de
se
révéler
Fils
de
Dieu: «
Si
tu
es
Fils
de
Dieu
...
" ;
mais
Jésus
ne
relève
pas
le
défi:
il
veut
résister
à
la
tentation
sans
recourir
aux
moyens
extraordi-
naires
de
sa
divinité.
Le
chrétien
doit
-il
lancer
des
défis
àSatan?
L'Ecriture nous enseigne à
lui
résister
(Ep
6.13),
non
à
le
provoquer,
ce
qui
serait
présumer
de
nos
forces.
Le
chrétien doit-il
relever
les
défis?
Celui
qui
relève
les
défis
réagit
aussi
par
orgueil: «T'es
pas
cap!
"
disent
les
enfants
...
Il
est
vrai
que
le
prophète
Elie
semble
bien
lancer
un
défi
aux
quatre
cent
cinquante
pro-
Fac-Réflexioll
nO
38
27--
-Langue
au
creuset---------------
phètes
de
Baal
(1
R
18.20-40).
Mais
trouve-t-
on
dans
le
NT
un
équivalent
de
cette
scène?
Bien
imprudent
qui
tenterait
ce
type
d'expé-
rience
... !
Le
sens
(4)
est
un
anglicisme,
une
tentative
pour
traduire
le
terme
anglais
challenge,
ce
que signale
la
dernière édition
du
Robert.
Challenge
a
d'ailleurs
intégré
les
dictionnaires
français: «
entreprise
difficile
dans
laquelle
on
se
lance
pour
gagner,
comme
par
défi.
Cf.
exploit,
gageure,
performance.
»
On
constate
que
le
Français
moyen
utilise
souvent
le
terme
défi
comme
synonyme
de
"
difficulté
»,
"
obstacle
àsurmonter»
et
qu'il
va
largement au-delà
de
la
définition
du
Robert
qui
le
réserve
aux
civilisations,
même
si
la
citation
de
JJSS
fait
un
parallèle
avec
les
situations
individuelles.
Trois
exemples sortis
de la
presse:
"
Aujourd'hui
les
défis
qualitatifs
dominent,
avec
d'autres
soucis:
l'environnement,
l'occu-
pation
de
l'espace »dit Philippe
Vasseur,
Ministre
de
l'Agriculture,
dans
L'Express
du
2
au
8
janvier
1997.
"
Le
défi
du
mois: concevoir
une
cuisine
ouverte
sur
le
séjour»
dans
Le
Journal
de
la
maison,
décembre
1992.
«
Comment
réagir
face
à
un
DEFI
que
Dieu
place
devant
nous? »
dans
Obéir,
bulletin
de
la
mission
du
Tchad,
de
janvier
1997.
L'usage
du
mot
par
Ph,
Vasseur
colle
tout
à
fait
à
la
définition
du
Robert.
On
ne
peut
pas
en
dire
autant
de
l'emploi
qui
en
est
fait
par
la
revue
de
décoration
il
est
plus
ou
moins
synonyme
de
projet
avec
une
légère
nuance
de
difficulté.
Quant
au
titre
de
l'article
du
bul-
letin
missionnaire,
il
est
significatif
d'une
atti-
tude chrétienne très volontariste
face
à
un
projet
d'une
grande
difficulté.
La
question
de
savoir
si
c'est
vraiment
Dieu
qui
place
ce
défi
devant
les
missionnaires
se
pose
d'ailleurs
à
la
lecture
de
l'article:
les
obstacles sont
énormes
et
aucune
décision
n'a
encore
été
prise.
Il
se
pourrait
que
ce
soit
une
fausse
piste!
Alors
fallait-il
attribuer
si
massivement
à
Dieu
la
paternité
de
ce
défi
?
Sans
doute
la
compétition
sportive
est
-elle
en
grande
partie
responsable
du
développe-
ment
considérable
du
terme
dans
la
langue
d'aujourd'hui.
On
pense
à
ces
alpinistes,
cou-
reurs
automobiles
et
autres
navigateurs
soli-
taires,
qui,
sous
prétexte
de
défi
sportif,
met-
tent leur
vie
en
péril
et
celle
de
leurs
sauveteurs.
On
pense
aussi
à
ces
hommes
et
à
ces
femmes,
mis
en
position
de
relever
des
défis
sportifs
toujours
plus
élevés,
que
l'obli-
gation
de
la
victoire
a
conduits
au
dopage
ou
à
la
corruption.
Sans
parler
de
ceux
dont
la
seule
ambition
dans
ce
monde
est
de
figurer
au
livre
des
records
...
Le
terme
défi
a
trouvé
un
champ
d'appli-
cation
privilégié
dans
le
domaine
de
la
vie
pro-
fessionnelle.
C'est
d'ailleurs
souvent
ou
le
défi
permanent
ou
la
porte.
Défi
de
réaliser
le
meilleur
produit,
au
prix
le
plus
bas
et
dans
les
délais
les
plus
brefs.
Défi
de
la
concurrence
qui
pressure
le
monde
du
travail d'une
manière
finalement
inhumaine,
Si
certains
y
trouvent
égoïstement
une
stimulation
ou
un
stress
propices
à
leur
créativité,
qu'en
pensent
leur
conjoint,
leurs
enfants
et
leur
médecin?
Beaucoup
mettent
en
danger,
leur
équilibre,
leur
santé,
leur
vie
de
famille
..
,
Si
l'on
tente
de
chercher
dans
la
Bible
un
terme
ou
des
situations équivalents,
on
constate
que
la
notion
est
étrangère
à
la
pers-
pective
biblique.
--28
Foc-Réflexion
38
---------------Langue
au
creuset-
Deux contre-exemples:
Le
général
syrien
Naaman
vient
demander
à
Elisée
la
guérison
de
sa
lèpre.
Le
prophète
lui
demande
de
se
plonger
sept
fois
dans
le
Jourdain.
Naaman
est
furieux :blessure
d'amour-propre!
Ses
serviteurs
le
compren-
nent
bien: «
Si
le
prophète
t'avait
demandé
quelque
chose
de
difficile,
ne
l'aurais-tu
pas
fait? »
(2
R
1.3).
Il
ya
un
lien
évident
entre
le
défi
que
l'on
relève
ou
qu'on
se
lance
à
soi-
même,
et
la
haute
opinion
qu'on a
de
soi!
La
situation
de
l'Eglise
chrétienne,
au
début
du
livre
des Actes, n'est-elle pas
la
situation
typique,
l'on pourrait s'attendre àvoir
apparaître cette notion? Pourtant
le
texte
nous
montre
clairement
que
ce
n'est
pas
du
tout
la
problématique
des
apôtres.
La
puis-
sance
du
Saint-Esprit
qu'ils
reçoivent
à
la
Pen-
tecôte
transcende
toute
notion
de
difficulté
ou
de
facilité
de
leur
tâche.
Il
est
clair
que
si
nous
réécrivions
le
livre
des
Actes,
avec
notre
voca-
bulaire
et
nos
concepts
d'aujourd'hui,
le
terme
défi risquerait d'apparaître
au
détour
de
chaque
phrase.
Et
pourtant,
nous
passerions
à
côté
de
l'Esprit
(Saint)
du
texte
...
La
grande
différence
entre
les
trois
premiers
sens
et
le
sens
(4),
c'est
que
dans
les
sens
(1),
(2),
(3),
on
lance
un
défi
àquelqu'un
ou
l'on
relève
le
défi
de
quelqu'un.
Il
y a donc
dans
l'affaire
un
gagnant
et
un
perdant,
un
victo-
rieux
et
un
humilié.
Dans
le
sens
(4),
on
relève
le
défi
qui
nous
est
lancé,
non
plus
directe-
ment par quelqu'un
mais
par
une
situation
nouvelle,
un
état
de
fait,
un
fléau.
On
parle
du
défi
du
sida,
du
défi
de
la
modernité,
du
défi
de
la
concurrence,
c'est
donc
une
autre
façon
de
parler
des
difficultés
soulevées
par
le
sida,
la
concurrence,
la
modernité.
Mais
un
terme,
largement
péjoratif
encore
hier,
perd-il
si
vite
ses
connotations négatives?
La
réponse
à
cette
question
sera
sûrement
subjective,
sui-
vant
notre degré d'imprégnation
du
jargon
des
media.
Dans
l'Eglise,
on
parle
défi
de
l'évangélisa-
tion.
Mais
le
terme
est-il
approprié?
Evangé-
liser,
un
défi?
Non,
c'est
un
ordre
de
Jésus,
sans
obligation
de
rendement
:
le
résultat
ne
dépend
pas
de
nos
propres
forces,
c'est
le
Saint-Esprit
qui
convainc.
Insister
ainsi
sur
l'idée
de
difficulté
laisse
entendre,
en
tout
cas,
qu'on
obtiendra
la
vic-
toire
à
force
de
génie
ou
de
suée.
En
fin
de
compte,
le
défi
ne
pourrait-il
pas
être,
dans
certains
cas,
le
dernier
avatar
du
salut
par
les
œuvres?
La
perspective
biblique
préfère
la
réflexion
à
la
présomption ;
elle
préfère
la
sagesse
à
l'excès
de
hardiesse.
Jésus
lui-même
déve-
loppe,
en
Luc
14.28-32,
l'image
de
l'homme
qui
s'assied
et
calcule
la
dépense
avant
une
entreprise
qui
pourrait
s'avérer
hasardeuse.
Faudrait-il bannir
de
notre
vie
chrétienne
toute difficulté?
Est-il
païen
d'utiliser
le
mot
défi?
Sûrement
pas!
Mais
il
faudrait
peut-être
redécouvrir
les
vastes
horizons
libérateurs
de
la
théologie
chrétienne
du
repos
en
Christ,
de
l'humilité
et
de
l'œuvre
du
Saint-Esprit.
Il
fau-
drait
aussi
veiller
à
ne
pas
mettre,
sous
pré-
texte
de
défi,
de
fardeau
trop lourd
sur
les
épaules
des
membres
de
nos
Eglises,
de
nos
familles,
et
même
sur
nos
propres
épaules;
il
faudrait
s'asseoir
plus
souvent
et
calculer
la
dépense.
Il
faudrait
aussi
tout
simplement
introduire
un
peu
de
variété
dans
notre
vocabulaire .
Est-ce
un
déf... pardon, est-ce
un
chal
,
excusez-moi,
est-ce
une
gageure
(prononcer
«
ure
»)?
1.0.
Fac-Réj7exioll
nO
38
29--
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !