l`article

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NL—Het leven en de
werken van Leopold II in
Centre Culturel Congolais
Le Zoo
Bios
Papy Maurice Mbwiti : directeur artistique du CC Les Béjarts et Mbila Kréation
à Kinshasa, acteur, auteur et metteur en
scène
Jovial Mbenga : acteur des Béjarts et
Mbila Kréation
Roch Bodo Bokabela : acteur de Superkilima et directeur artistique d’Afrik'Arts
Création
Starlette Mathata : actrice free-lance, a
travaillé e.a. à l’Écurie Maloba, aux Béjarts, à Suka, Waato Bala Bala et Uniproc
Des vieux
Flamands
barbus
— Paul Kerstens,
coordinateur du trajet Afrique du KVS
Il y a cinq ans, en septembre 2005, une équipe du KVS débarquait pour la première fois à l’aéroport de Ndjili, Kinshasa. Avec
six acteurs de Green Light – à l’époque un groupe d’artistes
bruxello-africains du KVS – ils ont joué Martino d’Arne Sierens
en plusieurs endroits de la capitale. Et le metteur en scène Raven Ruëll y a aussi animé un premier atelier de théâtre avec des
artistes locaux. Au cours des années suivantes, d’autres spectacles sont partis au Congo, comme Gembloux, Spiegel, La
vie et les œuvres de Léopold II et pitié !, et d’autres workshops
et collaborations artistiques y ont vu le jour. Un de ces ateliers,
dirigé par Johan Dehollander et Geert Opsomer, a donné lieu à
à l’attente du Livre d'Or, un spectacle avec Papy Mbwiti, Jovial
Mbenga, Roch Bodo Bokabela et Starlette Mathatan, quatre
acteurs congolais qui ont parcouru bon nombre des étapes
du trajet-Congo du KVS. Ils s’entretiennent avec Paul Kerstens,
coordinateur du trajet Afrique du KVS, à propos de ces cinq
années passées dans le cadre du trajet KVS<>Congo.
Paul : Comment s’est passé le premier
contact avec le KVS ?
Papy : Les premières personnes que j’ai vues étaient Jan Goossens et David Van Reybrouck, ils étaient venus aux Béjarts pour
voir un spectacle. Quand on nous a dit que les gens du Théâtre
Royal Flamand venaient nous voir, je ne savais pas à quoi ça
rassemblait, un Flamand. Je me disais : est-ce qu’ils comprennent le français, ben oui, ce sont des Flamands non ?
À ce moment là, je ne savais même pas que Jan était le directeur du théâtre, ni qui était David Van Reybrouck, en tout cas,
son nom sonnait très flamand.
FR—La vie et les œuvres
de Léopold II au Centre
Culturel Congolais Le Zoo
ENG—Het leven en de
werken van Leopold II at
Centre Culturel Congolais
Le Zoo © Michiel Van
Cauwelaert
Roch : Mon premier contact, c’était un
coup de fil de noko (oncle, nvdr) Polo
– oui, c’est comme ça qu’on aime bien
t’appeler – qui m’a demandé si je pourrais
participer à un atelier avec le KVS. Je ne
pouvais qu’accepter parce que j’avais
commencé par faire du théâtre classique puis je m’étais lancé dans le théâtre
pour la télé, alors j’étais un peu critiqué
par d’autres «collègues», qui disaient
qu’on ne faisait pas assez de scène. En
plus, il faut savoir que chez nous, pour se
retrouver dans des histoires pareilles, il
fallait vraiment être dans le circuit. Je me
suis dit, ça y est, c’est l’occasion pour
que je fasse un come back au bercail, et
puis voilà, et on s’est retrouvé au casting
pour l’atelier au Centre Wallonie-Bruxelles
(CWB), la représentation de la Communauté Française au Congo, et c’était parti.
Je me sentais libéré de pouvoir franchir
les barrières et de me retrouver dans le
théâtre scénique.
Starlette : Moi je suis revenue au théâtre
en 2005. J’avais joué à l'écurie Maloba
quand Mutombo Buitshi y était directeur,
et là j’étais en train de chercher comment
retrouver mes repères. Un dimanche,
quand je suis revenue de l’église, j’ai été
au casting pour l’atelier du KVS, et je me
rappelle d’une question qui m’a été posée
juste avant que je sorte : si tu n’es pas retenue pour le casting, quelle est l’impression
que tu as eue ? Et j’ai répondu simplement ;
le fait d’avoir été en face des Flamands –
j’avais tellement entendu parler d’eux, et
de la Belgique – pour moi, c’est déjà beaucoup. C’est le contact qui m’a beaucoup
plu et ça suffisait comme ça. (>p.20)
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Suite FR> Jovial : A cette époque-là, on
n’avait pas vraiment d’idée derrière la tête.
Chez nous, on dit : ‘lona na tongo, lona
na pokua, oyebi te oyo ekobota liboso’,
'sème le matin, sème la nuit, on ne sait
pas quel fruit germera le premier’. Donc
on venait juste de présenter le spectacle
aux Béjarts, celui dans lequel je jouais,
et le KVS l’a vu et tout ce dont on avait
besoin, c’était de ce regard. Et puis,
après, ça a conduit au casting. Enfin, je
me trouvais dans l’équipe. Au départ, on
était 21, et finalement, c’est avec nous
quatre que le spectacle s’est fait, avec
Johan et Geert.
Paul : On a commencé “le
parcours”, avec Martino et
l’atelier de Raven. Depuis
ce temps-là, vous avez
suivi pas mal de choses.
Comment est-ce que vous
avez vécu ça ?
Jovial : Martino nous a fort enrichis. Ça
faisait quelque temps qu’on n’avait plus
vraiment de spectacles de qualité. En
plus, ça nous a permis de travailler avec
un metteur en scène avec une autre philosophie, une autre façon de travailler. En
tant qu’acteur, on pouvait aussi proposer
des choses, et il y avait des échanges
avec d’autres comédiens et artistes.
C’était remarquable de se retrouver sur
la même ligne, à égalité : des comédiens
de différentes générations, de différentes écoles, le mélange des metteurs en
scène avec des comédiens, et des comédiens qui étaient aussi metteurs en scène.
Cela a vraiment suscité un élan dans la
création et dans l’interprétation.
Roch : Avec les ateliers pour Martino, on avait l’impression
qu’on était dans une fête, en pleine création ! Le metteur en
scène n’était là que pour canaliser la création et l’imagination
des artistes. Moi je suis habitué – comme je suis aussi un ancien
de l’INA, l'Institut National des Arts, l'école supérieure des arts
de Kinshasa, et puis de l’école classique – à la création classique avec un metteur en scène qui joue un peu le rôle d’un préfet
de discipline, qui vous impose des histoires.
Starlette : Il faut savoir aussi qu’il est très difficile de vivre de la
culture à Kinshasa, il n’y a pas beaucoup d’opportunités. Nous
avions le CWB, le Centre Culturel Français (CCF) et l’écurie
Maloba, les Béjarts et les Intrigants (trois des centres culturels
locaux les plus importants), mais sans financement pour créer
des spectacles. Le KVS est venu briser le cercle fermé, le circuit
fermé. Du coup, il y avait une opportunité en plus pour les artistes.
Papy : L’arrivée du KVS a été un vent nouveau, c’était la troisième voie. Nous étions bloqués, on avait le choix entre deux
portes : le CWB ou le CCF. Mais voilà qu’arrivait le KVS avec
cette nouvelle manière de travailler.
Bien sûr, Martino ça a été la grosse fête, pour tous les artistes.
C’était un beau spectacle, et d’avoir un metteur en scène blanc,
qui met en scène des comédiens noirs qui vivent en Europe, ça a
brisé le mythe que quand on est en Europe le talent meurt.
En plus chez nous, on avait des comédiens spécifiques pour des
groupes spécifiques, soit tu es le comédien des Béjarts, soit de
l’écurie Maloba, soit d’Afrik’art… Mais ici on a vu que des comédiens pouvaient travaillaient dans plusieurs projets.
Ça m’a fait réfléchir : c’est donc possible de briser les barrières.
Un autre exemple: la présence de Carole Karemera, qui est une
merveilleuse artiste, dans le spectacle. C’est une Rwandaise. On
était dans une époque où entre les Congolais et les Rwandais
c’était plutôt tendu. Ah, voir une Rwandaise jouer chez nous avec
des Congolais ! Donc là, en plus, ça ouvrait un autre espace de
rencontre. Et puis il y avait des techniciens du KVS, et tous les
techniciens des espaces de Kinshasa, et tout ce petit monde
travaillait ensemble. C’était une ambiance vraiment magnifique.
C’était un peu comme disait ma mère : le KVS mangeait du riz et
non le fufu. Qu’est-ce que ça veut dire ? Quand quelqu’un mange
du riz, des graines tombent et même les oiseaux peuvent venir
manger. Mais quand quelqu’un mange le
fufu, tout disparaît ! Le KVS avait amené
du riz, tout le monde se retrouvait, les
techniciens, les comédiens, les metteurs
en scène, c’était vraiment ça.
Starlette : Martino a vraiment laissé des
traces. Là, j’ai vu pour la première fois
qu’il y avait des comédiens sur scène
pendant tout le spectacle. Il y avait une
liberté d’expression pour créer des
personnages et pour investir la scène.
On n’était plus dans les coulisses, c’était
comme si on avait reçu une permission.
Même chose pour La vie et les œuvres
de Léopold II. Et j’ai revu ça après dans
d’autres spectacles à Kinshasa. Ça
prouve comment l’arrivée du KVS est en
train de révolutionner les choses. Même
dans la danse avec Spiegel de Ultima Vez.
La manière dont ils utilisent leurs corps.
Après avoir vu cela, les gens ici se disent
que c’est permis et qu’on peut le faire. Il
y a des traces qui sont vraiment gravées.
Et on est en train de suivre.
Paul : Papy, par rapport
à Martino, tu as dit que
ça t’avait frappé que le
Théâtre Royal Flamand
arrive avec toute une
équipe de Noirs, mais
aussi que le spectacle soit
tellement contemporain.
Papy : Quand on pensait à un spectacle
du Théâtre Royal Flamand, et qu’on avait
entendu les noms de Jan Goossens et
de David Van Reybrouck qui sonnaient
vraiment flamand, on se disait : on va
voir des vieux Flamands barbus. Mais
on voyait des jeunes, et il y avait une si
grande vivacité, et en plus c’étaient des
Noirs qui jouaient !
Ça m’étonnait quoi, que dans le théâtre
du roi, il y avait des Noirs ! Et le spectacle
était contemporain, pas dans le sens péjoratif comme quelque chose d’illisible ou
d’incompréhensible, mais dans le sens
que ça parlait de nous, de nos amis, de
tout ce qu’on vivait.
Et surtout, on avait tropicalisé Martino !
Il ne faut pas oublier que chez nous, au
Congo, «Flamand» a deux sens. Quand
quelqu’un ne partage pas, on dit que
c’est un Flamand.
Starlette : Quelqu’un qui n’est pas
généreux.
Roch : Et puis c’est quelqu’un de rigoureux. Un caractère fort.
Papy : Quand on disait : attention, moi je
travaille avec les Flamands…
Jovial : …ça voulait dire : moi je suis
rigoureux.
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NL—Bouwen aan het decor van Martino in écurie
Maloba, Bandalungwa
FR—Construction du décor de Martino à l'écurie
Maloba, Bandalungwa
ENG—Building the set for
Martino at écurie Maloba,
Bandalungwa © Michiel
Van Cauwelaert
Papy : Ce cliché sautait un peu quoi, pas
dans le sens de rigoureux, mais dans le
sens qu’ils ne partagent pas, qu’ils sont
enfermés entre eux. (>p.21)
NL, FR, ENG—pitié!
© Kiripi Katembo
Suite FR> C’était une autre façon de voir le Flamand, comme
quelqu’un qui est venu vers nous. Cette ouverture d’esprit me
faisait réfléchir. Ça nourrissait le rêve, ça nourrissait le possible,
on continuait à croire en nous-mêmes et en le choix qu’on a fait.
Parce que comme a dit Starlette, c’est pas toujours évident à
Kinshasa de faire du théâtre. C’est pas toujours évident de faire
le choix d’être artiste. Nourrir un rêve comme ça, c’est la plus
belle chose qu’on puisse offrir à un artiste, et c’est une chose
qu’on ne peut pas quantifier par l’argent.
Paul : On a présenté plusieurs
spectacles, Gembloux, Spiegel. Des
fois, on nous disait mais pourquoi
vous voulez présenter ce spectacle
à Kinshasa, ils ne comprennent pas
les codes. Même chose pour La vie et
les œuvres de Léopold II, on a dit que
ce n’était pas une bonne idée de le
présenter à Kinshasa.
Jovial : Mais voilà on est victime de ce système ! Quels codes ?
Papy : Si on ne nous montre pas de spectacles, comment peuton en connaître les codes ! Et peut-être qu’on n’a pas les mêmes
codes. Et alors ?
Moi j’étais très honoré quand on a présenté La vie et les œuvres
de Léopold II aux Béjarts. Après toutes ces années, amener un
spectacle pareil, avec un titre pareil, c’est une belle position qui
n’était pas hypocrite. Que des Belges arrivent avec un tel spectacle, qui critique même Léopold II, et qui montre l’autre face, la
face humaine de ce roi qu’on connaît comme un roi conquérant !
Au Congo, on ne parle pas assez de Léopold II ; c’est comme
pendant le travail pour À l’attente du Livre d'Or avec Johan : on
a vu un film sur Lumumba qu’on n’a jamais vu à Kinshasa. On a
vu la femme de Lumumba qui montrait sa poitrine aux autorités
belges pour revendiquer l’arrestation de son mari. C’est une
image forte qu’on n’a jamais vue à Kinshasa et qui nous renforce
et qui renforce l’idée de ce qu’était Lumumba. Et c’est un peu ça
avec Léopold II.
Et puis, présenter ce spectacle chez nous, dans un théâtre en
pleine cité, une parcelle, mais cette soirée-là, les Bejarts avaient
sorti leur beau costume. Comme c’était décoré, il y avait des
lumières, des rideaux : ah ! On se disait : chez nous, ça peut
devenir beau comme ça ! Le scénographe Michiel Van Cauwelaert avait travaillé à la scénographie avec des artistes locaux
pendant toute une semaine. Il y avait un grand spectacle qui
venait jouer chez nous, on était fiers !
Tu sais ce qui nous tue parfois, au Congo, c’est la pensée unique.
Je le dis ici mais c’est valable aussi pour la Belgique : arrêtez de
penser à notre place. Si vous ne nous proposez rien, on ne saura
jamais ce qui se fait. Proposons et voyons ce que ça va faire.
Comme Jovial l’a dit : est-ce que les Congolais n’ont pas droit à
des spectacles de renommée internationale ? Si ! Le petit enfant
qui habite aux Béjarts, dont la maman prépare le fufu, il y a droit
aussi ! De voir un grand spectacle monté dans des bonnes conditions. Ça peut le faire rêver, ça peut lui faire voir que, voilà sous
d’autres cieux, des gens font ce genre de choses. Et Léopold II,
c’était briser les tabous. Le Congolais a droit à ça, cette histoire,
on la partage avec la Belgique. Cette histoire, elle est universelle.
C’est l’humanité qui s’expose sur une scène de théâtre.
Jovial : Je pense que cet embargo – oui, je ne vois pas d’autre
mot – doit être levé. Ici au KVS, on voit des spectacles surtitrés.
Et on peut suivre le spectacle, même si c’est en flamand. Une
telle accessibilité est une chose qui manque chez nous.
Paul : Le spectacle pitié !,
et surtout la manière
d’aborder le corps, a
provoqué beaucoup de
remous. Est-ce qu’avec
pitié ! on a touché les
limites de ce qu’on peut
présenter ?
Starlette : Quand j’ai vu pitié !, j’ai pensé
au moment où j’ai vu Martino. J’ai vu
pour la première fois sur scène une fille
noire en slip et en soutien-gorge. Moi
en tant qu’artiste, je ne veux pas le faire,
mais j’essaie de comprendre pourquoi
la personne fait ça, dans quel contexte.
Ce n’est pas la même situation dans la
vie quotidienne. Le non-artiste a droit à
réfléchir à sa façon pour voir s’il accepte
ce spectacle ou non.
Papy : Je ne suis pas d’accord sur les limites, et je ne pense pas que pitié ! a touché
les limites de ce qu’on peut présenter. Au
contraire, je pense que pitié ! est venu
faire tomber encore d’autres murs dans
la création artistique, notamment par son
caractère pluridisciplinaire. Ça fait bouger
des choses, parce que l’art contemporain
congolais doit exister, et évoluer.
La première fois que j’ai vu de la danse
contemporaine, c’était dans un spectacle
de Faustin Linyekula, Spectaculary Empty,
avec Djodjo Kazadi. J’y suis allé avec
l’idée : on va danser le ndombolo, on va
danser grave, et puis j’ai vu une autre façon de bouger le corps, et je me suis posé
des questions, et je me suis dit, l’art est là
aussi pour faire réfléchir. Pas forcément
pour donner des réponses.
Kinshasa a droit à plusieurs spectacles
qui des fois laissent perplexes, et où les
réponses peuvent venir après, dans la rue.
C’est là aussi l’intérêt des artistes, avec
tout le respect qu’on a pour le public : que
veut-on dire avec ce qu’on apporte. Même
le public, on doit le former. Le public, s’il
est habitué à ne consommer qu’une seule
chose, il pensera que c’est la seule chose
qui existe et que c’est la seule forme de la
lui proposer.
Et les uns peuvent sortir et claquer les
portes, les autres peuvent vous acclamer
pendant sept minutes. C’est ça aussi la démocratie. Tout le monde a sa propre voix.
Roch : La RDC traverse une crise, et les
gens sont un peu fatigués de voir des choses qui ne sont pas compréhensibles dans
les 5 premières minutes. Ça a toujours été
comme ça chez nous. Il y a la dimension
politique : on danse pour glorifier Mobutu.
Et puis il y a nos ballets : des ballets avec
des chorégraphies qui sont connues
d’avance, des choses qu’on avait déjà
vues, déjà entendues. La danse contemporaine, les arts contemporains, c’est un
nouveau langage qui doit être vulgarisé par
nous les artistes, ça va aussi aider le public
à diversifier un peu ses goûts artistiques.
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