Mise en page 2 - Histoire de l`Inserm

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Prix Recherche
LAURENCE ZITVOGEL
Clinique
et thérapeutique
Lauréate du Prix Recherche Inserm 2007 en recherche clinique et thérapeutique, Laurence Zitvogel est directrice de l’unité Inserm 805
« Immunologie des tumeurs et immunothérapie », professeur en immunologie biologique à l’université Paris-XI et responsable du
centre d’investigation clinique « Biothérapies en oncologie » (Institut Gustave-Roussy/Institut Curie/Inserm). À l’origine de découvertes majeures en immunologie, Laurence Zitvogel s’efforce de construire des ponts entre recherche fondamentale et application clinique.
L’unité Inserm 805 « Immunologie des tumeurs et immunothérapie » vit au rythme effréné de ses étudiants. Médecins, pharmaciens,
vétérinaires, biologistes s’affairent ici, au 12e étage de l’Institut Gustave-Roussy à Villejuif. Institut de recherche et de soins, l’IGR est
aussi le premier centre européen de lutte contre le cancer. Laurence Zitvogel n’est pas vraiment là par hasard. La recherche ? C’est sa vie.
La médecine ? Sa raison de vivre. Elle travaille pour « restaurer le bonheur des patients ». Partir d’une idée, apporter la preuve de
concept et finalement proposer un nouveau traitement au patient, voilà le fil rouge qui guide chacun de ses pas.
« À 7 ans, je rêvais déjà de
découvrir de nouveaux vaccins »
« Depuis l’âge de 7 ans, je veux être médecin. Je ne sais pas d’où ça vient, mais je me souviens très bien que je rêvais déjà de découvrir
de nouveaux vaccins », explique-t-elle. Sa vocation, Laurence Zitvogel l’a donc presque depuis toujours. Elle se souvient être tombée en
admiration, au collège, pour la vie de Marie Curie. « L’histoire de cette femme, Maria Sklodowska, immigrée polonaise en France, était
aussi celle de ma grand-mère maternelle hongroise. Mais, malgré ses évidentes capacités intellectuelles, elle n’a pas eu la chance de Marie
Curie, ni la vie dont elle rêvait. La fascination que j’ai ressentie à cette époque pour le parcours scientifique et pour la réussite de Marie
Curie puise certainement ses origines dans les regrets de ma grand-mère. Ça n’est pas étranger à mon histoire. J’ai certainement réalisé
ce qu’elle n’avait pas pu faire. »
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l 1992 : doctorat en
médecine, hôpital SaintLouis, Paris
l 1992 : lauréate de la
fondation Marcel BleusteinBlanchet pour la vocation
l 1992-1995 : thèse en
sciences, université de
Pittsburgh, États-Unis
l 1995 : doctorat en
sciences, faculté de
médecine Paris-Sud
l 1995 : chef de clinique,
département
d’immunothérapie, Institut
Gustave-Roussy (IGR)
l 2002 : directrice de
l’unité Inserm 805
« Immunologie des tumeurs
et immunothérapie »
l 2003 : professeur en
immunologie biologique,
université Paris-XI
l 2005 : directrice du
centre d’investigation clinique
« Biothérapies en oncologie »
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C’est à la Pitié-Salpêtrière que Laurence réalise ses études de médecine. Pendant son internat, elle rencontre l’oncologie médicale. C’est
un électrochoc. « Cette année-là, le mur de Berlin s’est écroulé en même temps que mes illusions. Je me suis rendu compte du désert
scientifique dans ce domaine. On se sentait parfois totalement démuni face à certains patients. Nos connaissances étaient beaucoup trop
rudimentaires. » Laurence part alors aux États-Unis pour faire une thèse en sciences dans le laboratoire de Michael Lotze à Pittsburgh.
Elle se jette à corps perdu dans la recherche, dans l’espoir d’en apprendre davantage sur l’immunité antitumorale. « Je ne faisais que ça.
Je ne vivais que pour ça. J’y ai consacré ma vie. » Elle est l’une des premières à démontrer que les cellules dendritiques peuvent être utilisées comme vaccin contre le cancer.
« La médecine et la science étaient
deux mondes vraiment cloisonnés »
De retour en France, on lui propose un poste de chef de clinique à l’IGR où elle peut se consacrer entièrement à la recherche.
« C’était une première ! À cette époque, il n’y avait pas beaucoup de passerelles entre la médecine et la science. C’étaient
deux mondes vraiment cloisonnés. » À Venise, à l’occasion d’un séminaire sur les cellules dendritiques, elle retrouve un
ancien doctorant de son laboratoire de DEA. « Dix ans s’étaient écoulés. Sur les fauteuils rouges de l’hôtel, nous avons
échangé des idées. Sebastian Amigorena, alors jeune immunologiste, avait des questions plein la tête. Moi, j’avais les
connaissances techniques pour y répondre. Je suis rentrée en France, j’ai fait les expériences. Nous avons publié un papier
dans la revue Nature Medicine ». Ensemble, ils prouvent que les exosomes, petites vésicules de 60 à 90 nanomètres de diamètre contenues dans le cytoplasme des cellules dendritiques sont aussi immunogènes que les cellules entières et démontrent leurs vertus vaccinales contre les tumeurs de souris. Un développement clinique est conduit par une société de biotechnologie aux États-Unis et en France : dans cet essai de phase I, des exosomes sont injectés à 12 patients atteints de méla-
nome ainsi qu’à 12 autres patients atteints de cancer du poumon. Et des réponses cliniques objectives sont observées pour
certains d’entre eux. « Je regrette la situation actuelle de la recherche en France qui ne permet malheureusement pas suffisamment de passer du concept à l’application clinique. Les équipes qui publient doivent se battre pour trouver de quoi
financer les premières étapes des essais cliniques, étapes indispensables afin d’apporter la preuve de concept. Or sans cette
preuve, on ne peut pas espérer intéresser les industriels, seuls capables de développer les traitements. »
« Je convertis la douleur et le désespoir
des malades en énergie »
Laurence enchaîne les découvertes. Elle montre que les cellules dendritiques sont capables de moduler l’activité des cellules de l’immunité innée. Elle découvre également que le Glivec®, un médicament anticancéreux capable de contrer les protéines tyrosine kinases (protéines impliquées dans la multiplication des cellules) est également un puissant activateur du
système immunitaire. Cette molécule agit en attaquant directement les cellules tumorales mais aussi en stimulant le système immunitaire. « Le cancer n’est pas seulement une maladie d’organe, c’est aussi une maladie de l’hôte », précise
Laurence. « On s’est rendu compte que la chimiothérapie et la radiothérapie induisaient leurs effets via le système immunitaire. » Et un des gènes déterminant la réponse à ces traitements est aujourd’hui identifié ! « Cette découverte va permettre de reconnaître les personnes qui ne sont pas génétiquement réceptives aux traitements et d’adapter ainsi la thérapie. »
Elle va plus loin et combine le Glivec® avec de l’interleukine 2, un activateur physiologique du système immunitaire. « Avec
ce cocktail, on a réussi à endiguer, chez la souris, les tumeurs les plus récalcitrantes. » À l’origine de ces résultats spectaculaires ? Une cellule encore inconnue. Cette petite cellule, baptisée IKDC (interferon producing killer dendritic cell), est une
sorte d’hybride moitié cellule dendritique, moitié cellule natural killer. Elle est capable de détruire une cellule tumorale cinq
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fois plus grosse qu’elle. « On a réalisé un film en microscopie. Quand on a vu apparaître la cellule devant la caméra, c’était
un moment très, très fort. » Les IKDC sont capables non seulement de tuer les tumeurs mais aussi de présenter leurs antigènes pour activer les autres acteurs de l’immunité. « Je ne peux pas encore dire si la découverte des IKDC est la rencontre
scientifique de ma vie. Aujourd’hui, on essaie d’apporter la preuve que cette cellule existe aussi chez l’homme. Si nous y
arrivons, nous tenons certainement une option thérapeutique extraordinaire. » Face à la difficulté de trouver des fonds académiques pour mener les investigations chez l’homme, Laurence s’est tournée vers les donations privées. Avec l’aide précieuse de ses proches et de ses collaborateurs, elle a passé plus d’un an à se battre pour récupérer les fonds nécessaires.
« C’est vrai que j’ai des moments de découragement. Mais quand je reçois des appels de personnes malades complètement
désespérées, je convertis leur douleur en énergie pour continuer. » Grâce à cette énergie et grâce aussi à la générosité d’un
donateur, emporté depuis par le cancer, l’aventure continue aujourd’hui pour les IKDC.
« La recherche est un merveilleux outil
pour faire de la meilleure médecine »
Laurence a une détermination à toute épreuve. Ses collègues américains disent d’elle qu’elle est comme « programmée »
pour la recherche. « Laurence est une vraie passionnée. Elle fonctionne d’ailleurs beaucoup au coup de cœur. Lorsqu’elle
croit en quelque chose, son excitation lui donne une énergie hors du commun », explique Cédric Ménard, étudiant en thèse.
« Laurence se battra jusqu’au bout pour que ses recherches profitent un jour aux patients. C’est, chez elle, une envie très
forte, presque une mission. Et elle nous la transmet », ajoute Nathalie Chaput, chercheur en immunothérapie des cancers.
Laurence Zitvogel est chercheur mais aussi, et surtout, médecin. Sensible, sincère, elle parle de ses patients, de leur combat,
de ceux qui sont partis. Elle contient un instant son émotion puis repart de plus belle, « La recherche est un fabuleux outil
pour faire de la meilleure médecine. »
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