INFORMATION JUIVE Juin 2009 5
Au cours de la prière
du Chabbat, nous
prononçons une
phrase emblématique.
“Tu es Unique, ton
nom est unique, et
qui, sur la terre, est unique comme ton
peuple, Israël”. Cette formule, en
établissant un emphatique
parallélisme entre Dieu et Israël,
confère au peuple juif bien plus
qu’une place : une aura
exceptionnelle. Elle l’adoube expres-
sément comme le vicaire de Dieu,
voire son miroir…
Que l’histoire trimillénaire d’Israël
soit singulière, que sa survie en dépit
de quasi-permanentes tentatives
d’annihilation soit unique, c’est une
évidence que reconnaissent tous les
hommes de bonne foi : une sorte de
prime à l’ancienneté, un quartier de
noblesse dont se réclament
légitimement tous les Juifs attachés
à leurs racines.
Il s’agit là de la face historique,
sociologique et psychologique de
l’identité juive. Historien moi-même,
je ne saurais en sous-estimer
l’importance. Cependant, si l’on passe
du général – la vision historique et
collective du destin juif – au
particulier – comment un juif croyant
Etre juif ou
le troisième cercle PAR JOSY EISENBERG
la vit au quotidien – la singularité
juive prend une tout autre dimension.
Je vais donc être amené à parler de
ma propre expérience. Il ne s’agit pas
là de subjectivité, mais d’une
évidence : ce que je vis, c’est ce que
des générations de Juifs ont vécu et
vivent encore.
Le prisme juif
Lorsqu’un Juif est élevé dans la
tradition, ou lorsqu’il y
retourne, il hérite d’un
prodigieux patrimoine littéraire et
religieux : la Bible, le Talmud,
Maïmonide, la Cabbale, le
hassidisme et les milliers de
commentaires qui ont prolongé ces
œuvres maîtresses. La terminologie,
d’une part ; les valeurs, de l’autre :
la condensation de ces deux
dimensions crée un phénomène
mental et existentiel des plus
singuliers. Une forme de génétique
mémorielle, imagée et verbale qui
enveloppe le croyant d’une sorte de
tunique de Nessus. Tout comme je
vis grâce à la circulation sanguine,
je suis traversé par un autre flux, non
moins important : la culture juive et
le regard qu’elle secrète. J’appellerai
cela le troisième cercle.
Dans l’acquisition de la
connaissance et du savoir, tout
homme est traversé par deux cercles,
conformément à la dialectique
classique de la nature et de la
culture. Le premier cercle, c’est ce
qu’il découvre par soi-même, à
travers ses sens et ses impressions.
Le second, c’est ce que l’éducation
et le milieu où il vit lui enseignent et
lui transmettent. Cela est commun
aux Juifs et aux autres. Ce qui
singularise le Juif croyant, c’est la
superstructure de sa mémoire
particulière. Elle l’amène, ou le
contraint, à regarder le monde à
travers le prisme de son patrimoine.
En fait, il s’agit d’une sorte de délire
plutôt sympathique, et dont les
personnages de Cholem Aleikhem,
notamment Tevié le laitier, sont tout
à fait représentatifs.
Dans l’univers mental qui était le
leur et que je partage, la vie n’était
rien d’autre que la projection
quotidienne des grands textes et des
idées reçues. L’histoire biblique était
sans cesse vécue et revécue au
quotidien. Un antisémite, c’était
Hamane ou Pharaon ; un homme
humble, le clone de Moïse. Pour dire
“passe-moi le beurre”, on utilisait
une formule talmudique. Et, dans
toutes les situations, les références à
la Torah étaient au premier plan.
Pour illustrer mon propos, une
anecdote personnelle. Il est écrit
dans la Torah, à propos du divorce et
du remariage : “cette femme sortira
(de son premier foyer) et sera à un
autre homme”.
Mon père allait tous les vendredis
aux bains municipaux. En sortant,
il avait l’habitude de dire, en
Face à n'importe quelle situation, je sais ce qu'en
disaient rabbi Akiba et Schopenhauer. Je peux les
associer ou les dissocier, voire même choisir ce que
je pense être la vérité : je ne suis pas esclave de la
pensée unique.
EDITO