La prospérité pour tous

publicité
LA PROSPÉRITÉ
POUR TOUS
r
t
i
b
u
n
45
LA
,
PROSPERITE
,
e
1
•
1
b r e
LUDWIG ERHARD
POUR TOUS
Traduit de l'allemand par
FRANCIS BRIÈRE
Préface de JACQUES RUEFF
Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays, y compris l'U.R.S.S.
Pour recevoir gracieusement et sans engagement de votre part le LISEZ PLON, bulletin
illustré d'informations sur nos collections, nouveautés et réimpressions, faites-noua OOnnalitf:'
votre adresse.
tribune libre·:
Au
JOU RD'H Ul, quand un
homme ouvre son journal, il n'y
trouve qu'un chaos d'événements :
les idées n'ont plus le temps de
s'exprimer, de s'affirmer,
de
s'amender. A mesure que l'Information pure conquiert une place
toujours plus grande, la place
faite aux idées et aux opinions
s'amenuise. L'accélération de l'histoire et l'obsession de la dernière
nouvelle rendent impossible au
lecteur la réflexion et le libre
choix qu'il devrait dégager des
situations politiques de plus en
plus complexes.
Le livre, plus prompt qu'il
n'était jadis, est capable maintenant de répercuter assez vite des
événements brûlants. Il peut donc
offrir au public cette réflexion
appliquée à dominer la confusion
de l'actualité, que le journal n'est
plus en mesure d'assurer. C'est
pourquoi PLON a créé la collection
TRIBU NE LIBRE
Dès le début, TRIBUNE LIBRE
devait permettre à des hommes
venus de tous les horizons poli·
tiques, de prendre position sur les
grandes questions de l'heure et
d'apporter le témoignage qui leur
tenait à cœur. Un an et demi après
sa création, la collection dépassait
son trois cent millième exem·
plaire, ce qui lui assure aujourd'hui plus de seize mille lecteurs
chaque mois. Par les extraits, les
comptes rendus et les commen·
taires de presse, par les polé·
miques qui s'en sont dégagées,
nous constatons aujourd'hui que
TRIBU NE LIBRE répond plus que
jamais à un besoin du public.
Déjà, dans la mesure même où
le rôle d'information et de discussion de TRIBU NE LIBRE se
précisait, nous étions amenés à
élargir notre formule : la col·
lection publiait alors de grands
textes d'actualité, comme le
« Rapport d'Imre Nagy au parti
communiste hongrois », le livre
interdit de Milovan Djilas « La
Nouvelle classe dirigeante » et
l'appel de Karl jaspers « La Bombe
atomique et l'avenir de l'homme».
Puis nous devions bientôt créer
une collection parallèle,
LES DOCUMENTS
DE TRIBU NE LIBRE
Le premier ouvrage de cette
série rassemblait des textes d'un
intérêt saisissant sur « La Révolution hongroise ». Le dernier
paru est consacré à « La Révolution algérienne ». C'est aussi
dans « Les documents de TRIBU NE LIBRE » qu'a été publié,
avec une préface d'Albert Camus,
et sous le titre de« La Vérité sur
l'affaire Nagy », le dossier complet des faits, des documents et
des témoignages internationaux
relatifs à l'action, au procès et à
la condamnation de l'ancien président du Conseil hongrois.
LES D~BATS
DE TRIBU NE LIBRE
enfin, se proposent de recueillir,
grâce au magnétophone, les dis-
eussions et les oppositions qui se
font jour sur certains problèmes
de notre époque.
TRIBUNE LIBRE donne
jourd'hui la parole à
au-
LUDWIG ERHARD
Ludwig Erhard est né en 1897
à Fürth, près de Nuremberg. Il
était le fils d'un paysan devenu
marchand de toiles en gros. Blessé à vingt ans par un obus, à
Ypres, il revint de la guerre trop
affaibli pour travailler dans le
commerce de son père. Il se dirigea alors d'instinct vers l'éco·
nomie spéculative et passa son
doctorat à l'Université de Franc·
fort, ce qui devait lui permettre
d'entrer en 1927 comme professeur à l'Institut d'Observation
économique des Produits finis.
Après le début de la seconde
guerre mondiale, les nazis pressèrent Erhard de se joindre au
front des doctrinaires d'Hitler.~ll
fut avisé en 1942 qu'il était préfé·
rable pour lui de quitter discrète·
ment une chaire dans laquelle il
n'apportait pas le genre d'enthousiasme que le régime exigeait.
Persuadé
après
Stalingrad
qu'H itlerlallait perdrelia_, guerre,
Erhard élabora des projets pour
l'économie de son pays après la
défaite. Un de ses rapports tomba
entre les mains de Karl Gœrdeler,
le bourgmestre de Leipzig qui devait prendre la tête du Gouvernement, dans le cas où le complot
de juillet 44 contre Hitler aurait
réussi. Gœrdeler paya de sa
vie l'échec de son entreprise.
Mais il eut le temps, avant de
mourir, d'attirer l'attention de
ceux qui l'entouraient sur Ludwig
Erhard : « Cet homme a l'envergure d'un futur ministre. Il
faudra s'en souvenir le moment
venu •.• »
Les Américains s'en souvinrent :
après la capitulation, ils firent de
Ludwig Erhard le ministre de
l'~conomie de la Bavière. Il ne
pouvait se borner longtemps à ce
rôle de conseiller économique des
forces occupantes : il était élu
en 1949 député démocrate·chrétien
et acceptait le ministère de l'~co­
nomie dans le premier cabinet
Adenauer. Il prenait alors définitivement en mains les destinées
économiques de l'Allemagne de
l'Ouest : le résultat de sa politique, c'est ce que le monde entier
appelle aujourd'hui « le miracle
allemand ».
***
Dans ses prochains numéros,
TRIBUNE LIBRE publiera :
Un ouvrage de Michel Déon qui
constitue un reportage documenté
sur l'armée d'Algérie en même
temps qu'un examen des tâches
totalement nouvelles qui s'impo·
sent à elle pour riposter efficacement à la guerre révolutionnaire.
Un livre de Paul Combe, « Le
Drame français », qui s'efforce de
définir la décadence économique
de la France depuis le dix-neuvième siècle et d'en rechercher
les remèdes à travers l'étude des
grandes options qui se posent au
pays dans l'après-guerre.
Préface
Ce lic;re est important. Si j'en recommande la lecture
aux Français, c'est parce qu'ils y trouc;eront les mobiles
d'une politique qu1: a profondément affecté le destin de
l'Allemagne.
« La prospérité pour tous » n'est en aucune façon un
ouc;rage de théorie économique. C'est bien plutôt un
journal de bord, chargé, au jour le jour, de l'expérience,
des réflexions et des pensées du ministre qui a inspiré
et animé le prodigieux redressement de son pays.
Qui suic;ra, ac;ec Ludwig Erhard, l'ascension de
l'économie allemande, depuis la réforme monétaire de
juin 1948, constatera que l'assainissement économique
et financier n'a jamais été pour son auteur une fin en
soi, mais seulement un moyen en c;ue des résultats qu'il
dec;ait procurer et qu'il a effectic;ement procurés.
La restauration de leur monnaie a c;alu aux Allemands
de l'Ouest, malgré les conditions difficiles que créait
l'afflux de plusieurs millions de réfugiés, une augmentation sans précédent de nic;eau de c;ie. Les salaires
réels ont augmenté de 20,5 °/0 pendant l'année 1949.
L'indice de la production industrielle est passé entre 1949
et 1956 de 80 à 192. Ces résultats ont permis à Ludwig
II
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
Erhard, le 6 septembre 1953, de résumer son action dans
les termes sui9ants : « Notre politique économique sert
d'abord le consommateur; c'est lui qui est la mesure et
le juge de toute acti9ité économique. Cette politique de
l'économie de marché a uni9ersellement prou9é que les
principes de la libre concurrence, de la consommation
et du dé9eloppement de la personnalité remportent des
succès économiques et sociaux de beaucoup supérieurs
à ceux que connaissent les différentes économies planifiées. »
Le moteur de l'assainissement a été, pour lui, dans
tous les domaines, la concurrence qui seule « assure la
socialisation des progrès et profits... en maintenant
toujours en é9eil l'effort de production )). « Le bienêtre pour tous et le bien-être par la concurrence sont
synonymes, et c'est là notre postulat fondamental ».
Pour cette politique, deux instruments :
- la stabilité monétaire, que Ludwig Erhard 9oudrait
inscrire au rang « des droits fondamentaux du citoyen »,
parce qu' « il est impossible d'instaurer une politique
économique saine en période d'instabilité monétaire »;
- la loi contre les cartels, sans quoi l'économie libérale serait pri9ée de ses 9ertus sociales, parce que seule
elle peut assurer « le fonctionnement du mécanisme de
la concurrence» et parce que «personne ne peut s'arroger
le droit d'opprimer la liberté indi9iduelle ou de la limiter
au nom d'une liberté frelatée », parce que, surtout,
les cartels permettent « de garantir une rente au plus
mau9ais des patrons ».
Pour Ludwig Erhard « le premier et le principal objet
de l'économie sociale de marché » est l'amélioration du
bien-être. « Le désir d'efficience économique n'est pas
PRÉFACE
III
un but en soi. Les bienfaits de l' écon01nie de marché ne
sont effectifs que lorsque la baisse des prix accompagne la
hausse de la productivité, procurant ainsi un réajustement
des salaires réels... Soutenir l'économie concurrentielle
est un devoir social : si nous regardons derrière le rideau
de fer, nous sommes contraints d'admettre que l'économie
planifiée se transforme rapidement en une économie de
contrainte et que la part des salaires dans le produit
national est toujours plus basse que dans l'économie
de marché ... Personne ne peut soutenir que le rendement de l'économie planifiée soit, sous l'angle du bienêtre social, supérieur à ce qu'obtient l'économie libérale ... L'opposition de principe des patrons aux hausses
de salaires... ne saurait exister dans l'économie de
marché».
Les adversaires du « laisser faire » vont se récrier.
Ils ne veulent pas livrer aux forces aveugles du marché
le soin de dessiner les structures sociales. Notre auteur
tient à les rassurer : « Il existe une différence essentielle
entre l'économie de marché, telle qu'elle est pratiquée
en Allemagne en 1948, et l'économie libérale de l'ancien
régime. Dans ma conception, la liberté n'est pas la
faculté pour les patrons de créer des cartels ... La concurrence et la productivité qui lui est liée, doivent être assurées
par des interventions de l'État et protégées contre toutes
les influences qui pourraient les troubler. En particulier il
importe que la liberté des prix ne soit pas entravée dans sa
fonction régulatrice de la vie économique ».
Aux lecteurs de ce livre, la pensée qui a inspiré
le redressement économique et financier de l'Allemagne
IV
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
apparaîtra en pleine lumière. Ils ne pourront pas douter
de son inspiration profondément sociale. Les hommes
qui combattent, aujourd'hui, pour la liberté et contre le
désordre financier sont mus par le désir de donner
à leurs semblables, et notamment aux plus démunis
d'entre eux, le maximum de bien-être, d'empêcher qu'une
part indue de ce bien-être soit soustraite, par des structures
monopolistiques, à ceux qui y ont droit parce que leur
effort, à concurrence de sa çaleur, a contribué à le produire.
L'expérience allemande a confirmé, au-delà de toute
attente, que l'ordre financier, et particulièrement l'exclusion de l'inflation, procuraient de larges augmentations
de bien-être.
Je demande aux Français de se pencher sur l'exemple
allemand et d'en rapprocher les enseignements de ceux
que leur ont apportés les politiques pratiquées en France,
presque constamment, depuis 1945. Sous des inspirations très difJerses, elles ont eu un trait commun : l'inflation. Les salariés, les pensionnés, les rentiers peuçentils douter que l'inflation soit un procédé de prélèçement,
qui concentre sur eux tous ses séçices, épargnant ou
façorisant scandaleusement les détenteurs de biens réels.
Pensez à tous les 1nénages dont l'inflation a rongé les
économies, à tous les fJieux qu'elle a conduits à l'hospice.
Est-ce çraiment une politique sociale que de donner,
à ceux que l'on fJeut protéger, des prestations inférieures
au montant des prélèfJements qu'on leur inflige, clandestinement, par l'inflation?
Pour les salariés, les périodes de hausses de prix ont
presque toujours été des périodes de dépression des
salaires réels. Quant à la manipulation des prix par
v
PHÉFACE
(Joie de sub(Jention, si largement employée en France
au cours d'une récente période, mais souYent limitée
à la région parisienne, elle n'a été qu'un artifice tendant à faire obstacle, au détriment des traYailleurs, aux
hausses de salaires que l'indexation deYait proyoquer.
Que l'on songe ici à toutes les souffrances que la crise
du logement, produit direct de l'inflation, a infligées aux
Français. Peut-on Yraiment (JOir une politique sociale
dans une législation qui les fait (JiYre dans de misérables taudis, qui transforme, pour les fanûlles, tout
déplacement d'emploi en une catastrophe irrémédiable.
Sur le plan international, l'inflation nous a conduits
au bord de la faillite. Le Jer juin 1958, il restait au
fonds d'égalisation des changes 204 millions de dollars,
alors que pendant le seul mois de mai nous en ayions
dépensé 127. Si un changement n'était interYenu, nous
aurions dû, ayant le Jer juillet, que nous le Youlions
ou non, contingenter nos importations, limiter l' actiYité
des usines employant des matières premières étrangères,
accepter le chômage qui en eût été la conséquence et, finalement, rétablir le rationnement caractéristique de l' économie de guerre.
Ainsi le diptyque apparaît, dans sa cruelle simplicité:
·l'ordre financier a donné aux populations allemandes
bien-être et sécurité; l'inflation a infligé aux Français
pri(Jations et souffrances, et menacé l'existence même
de leur pays.
'
Assurément la sortie du processus de dégradation, où
nous étions enfermés depuis près d'un demi-siècle, exigeait
un effort rigoureux. Elle ne pouYait s'accomplir sans la
modification d'habitudes in(Jétérées et de situations qui,
bien que précaires, 1semblaient définitiYement acquises.
2
VI
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
L' ou~rage de Ludwig Erhard fournit aux Français
l'occasion de réfléchir à l'a~enir qu'ils souhaitent, pour
eux et pour leur pays : la prospérité pour tous, dans
la ~érité de l'ordre financier, ou la misère des plus pau~res
et l'insécurité de la nation, dans le mensonge de l'inflation.
Puisse l'expérience allemande les con~aincre que le
choix de leur politique financière fixera· pour longtemps
leur destin.
Jacques RuEFF.
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
Chapitre 1
Le fil conducteur
Longtemps avant de prendre la direction de
l'Économie dans le premier gouvernement de l'Allemagne occidentale, j'eus l'occasion d'exposer mes
idées au cours d'un Congrès de la C.D. U. Il ne
fallait pas ressusciter l'ancienne conception du
Salaire. Pas d'ambiguïté : je voulais réaliser un
système économique qui permît à toutes les classes
de notre peuple d'accéder au bien-être. Je terminai
en souhaitant triompher de l'ancienne structure
sociale par l'accroissement général du pouvoir
d'achat.
Dans cette nouvelle conception de l'Économie,
il fallait créer les conditions nécessaires pour que
pût disparaître le ressentiment du pauyre à l'égard
du riche. Je n'ai aucune raison de renier les principes matériels et moraux qui demeurent aujourd'hui comme jadis les fondements de ma pensée
et de mes actes.
C'est la concurrence qui reste le moyen d'atteindre
2
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
à un tel bien-être économique. Elle est seule capable du progrès économique et de réunir tous les
avantages auxquels l'homme ne pourrait sans cela
prétendre.
La concurrence mène, au plein sens du terme, à
une socialisation des progrès et des profits; c'est
elle qui maintient toujours en éveil l'effort de
production. Mais augmenter le bien-être par cette
méthode exige plusieurs conditions fondamentales.
L'accroissement de la consommation dans tel ou
tel pays va de pair avec l'accroissement de sa
productivité. C'était là le point capital de cette
politique; et ce qu'il fallait avant tout, c'était
donner au nombre toujours croissant de la maind'œuvre la possibilité du plein emploi.
Nécessité de ~aincre les cycles de la conjoncture.
Ces nécessités impérieuses réclament aussi la
possibilité de résoudre et de dépasser le problème
posé par l'ancienne loi des cycles économiques.
On croyait communément que l'économie se développait selon une succession de prospérités et de
dépressions. Pendant les années au cours desquelles
nous eûmes la responsabilité de l'économie allemande nous réussîmes à faire cesser les règles de
ce rythme et à imposer un développement écono-
LE FIL CONDUCTEUR
3
mique continu et harmonieux. Nous avions le ferme
espoir que la politique économique et la théorie
parviendraient à une solution systématique de ces
problèmes. Nous n'y arriverions qu'avec le jeu
de la libre concurrence sans les entraves des procédés artificiels ou des décrets administratifs arbitraires.
Pour sauvegarder la liberté d'un État, il importe
absolument d'assurer le libre fonctionnement du
mécanisme de la concurrence. Je n'exagère pas en
affirmant que la loi contre les cartels doit être
considérée comme une arme indispensable à l' économie libérale et à son sens social. Personne ne
peut s'arroger le droit d'opprimer la liberté individuelle ou de la limiter au nom d'une « liberté >>
frelatée. Le « bien-être pour tous >> et le « bienêtre par la concurrence >> sont synonymes, et c'est
là notre postulat fondamental. Ceux qui prônent
les cartels sous le prétexte vague de la nécessité
économique, ne sont que des intellectuels héritiers
des planificateurs socialisants.
Nous ne voulons pas dire que la répartition
actuelle du produit national doive être considérée
comme juste et intangible. Prenons un exemple :
entre 1949 (année à partir de laquelle le gouvernement fédéral adopta la politique de l'économie
concurrentielle) et l'année 1955, le produit national
brut est passé de 47 milliards de D.M. à 85,8 mil-
4
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
liards (référence : les prix de 1936). Pour l'année
1956, l'augmentation réelle a été de 7,1 %.
Produit national brut 1936-1955
(référence : prix de 1936)
en milliards de D.M.
1936
1949
1950
1951
1952
1953
1954
1955
1956
47,9
47,1
54,8
62,7
66,7
71,6
77,5
85,8
91,9
(Source : Statistiques fédérales).
La concurrence en guerre contre l'égoïsme.
On a pu me reprocher de n'avoir montré aucune
compréhension pour les pensées stériles des planificateurs. Le succès m'a donné raison. L'économie
allemande a prouvé que le bénéfice croît sans cesse
d'année en année. La consommation privée, par
exemple, a augmenté entre 1950 et 1955 de 29
à 51 milliards de D.M. (référence 1.936). C'est un
succès sans précédent dans le monde. D'après les
statistiques de l'O.E.C.E., en Allemagne occidentale l'indice de la consommation par habitant est
passé de 77 en 1949 à 126 en 1955 (1952 = 100).
Pendant cette même· période, l'indice aux U.S.A.
passait de 96 à 107, en Grande-Bretagne de 100
à 110, en Suède de 96 à 110, et en France de 88 à 113.
Jamais la consommation privée n'a connu une
LE
FIL CONDUCTEUR
5
ascension aussi extraordinaire. Si cette conception
de la répartition du produit national a été tant
discutée, c'est que l'on a assimilé cette course aux
bénéfices à une compétition hargneuse au détriment des autres nations. C'est au contraire une
des grandes vertus de la concurrence que de lutter
contre l'égoïsme. Comme dans une saine économie
concurrentielle, l'individu ne peut prétendre à des
avantages particuliers, ainsi ce style d'enrichissement est-il interdit aux groupements économiques.
Notre seul but a été de garantir un standing de vie
décent à ceux que l'âge, les maladies, ou les
infirmités consécutives à deux guerres mondiales
empêchaient de prendre part à l'effort commun
de production.
Au cours des dernières années, la législation
sociale a confirmé ce dessein. Les dépenses de
caractère social dans la République fédérale sont
passés de 9,6 milliards de D.M. en 1949 à 24,4 milliards en 1956. Seule l'expansion économique a
permis aux économiquement faibles de prendre
quelque part à l'accroissement du bien-être.
Comment faire baisser les impôts.
D'autres facteurs commandent cette politique
d'expansion. L'État moderne doit résoudre aujour-
6
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
d'hui de gigantesques problèmes. Bien que tout
ait été mis en œuvre pour limiter l'emprise étatique, il faut bien constater qu'au :rp.ilieu du
x xe siècle, il est peu vraisemblable que l'on arrive
à un résultat satisfaisant dans cet ordre d'idée.
D'autre part, le désir de tous les citoyens de voir
diminuer les charges fiscales paraît fort légitime.
Pour ce faire, il importe de ne pas étendre les
responsabilités de l'État, qui sont déjà suffisantes.
L'augmentation du revenu national nous permettait de libérer d'une façon estimable le citoyen, et
l'économie, de leurs charges fiscales. Il est certain
que d'ici dix ans les impôts seront beaucoup moins
lourds si nous parvenons alors à un revenu national
de plus de 250 milliards de D.M., contre 90 en 1949
ct 192 en 1956.
Personne ne peut affirmer que le poids de la
fiscalité ait augmenté depuis 1949; cependant les
recettes publiques (communes et districts) sont
passées de 23,7 milliards de D.M. en 1949 à 54,45
pour l'exercice 1955-56. L'augmentation est le
résultat exclusif de l'accroissement de notre revenu
national.
Cette contribution au bien-être est aussi une
contribution importante à la démocratisation de
l'Allemagne. Si depuis tant d'années tous nos
efforts tendent à augmenter le bien-être de chacun
et si le seul moyen d'y parvenir est d'adopter
LE FIL CONDUCTEUR
7
l'économie de marché, alors cette politique économique constituera aussi un élargissement de l'éventail des traditionnelles libertés fondamentales de
l'individu.
Les droits élémentaires de l'économie.
Le citoyen a le droit de consommer ce qui lui
plaît et d'organiser comme il l'entend sa vie dans
le cadre de ses possibilités matérielles. Ce droit
doit trouver son complément logique dans la liberté
du producteur de vendre ou d'acheter selon ses
possibilités dans la conjoncture économique. La
liberté de consommation et la liberté de production
sont dans l'esprit de tout citoyen, des droits fondamentaux intangibles. Pour réaliser cette idée de
l'accroissement du bien-être, il faut renoncer à
toute politique déloyale qui substitue aux progrès
réels des succès apparents ; il est impossible d'instaurer une politique économique saine en période
d'instabilité monétaire.
Des essais malheureux ont été tentés au cours des
dernières années. Citons par exemple celui des
socialistes qui ont déséquilibré les salaires par
rapport à l'offre globale, et qui sont ainsi à l'origine
d'une grande instabilité monétaire. Nous ferons le
même reproche aux chefs d'entreprise qui ont cru
8
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
pouvoir trouver une solution lucrative dans la
hausse des prix. Cette faute pourrait tourner à la
catastrophe si l'on voulait payer ses crédits par
un développement volontaire de l'inflation.
Les syndicats devraient se demander si leur politique de salaires ne fait pas en réalité le jeu des
spéculateurs; dans cette évolution sociale fallacieuse il n'y a pas seulement des dangers économiques, mais aussi des dangers sociaux et politiques.
C'est pour cette raison que nous aimerions inscrire
la stabilité de la monnaie au rang des droits fondamentaux du citoyen.
Victoire à la Pyrrhus.
Il faut s'en tenir à ces principes si l'on désire
triompher des intérêts particuliers. La démocratie
est toujours menacée par la complexité et l'interférence des forces extra-politiques. La réglementation des monopoles n'est pas souvent faite à la
satisfaction générale. Et c'est dans ce cas qu'on
peut parler de victoire à la Pyrrhus. Ce serait
une grande honte que d'atteindre à ces succès
éphémères en se servant des classes sociales les
plus démunies qui ne sont pas en mesure de faire
triompher leur point de vue. Et c'est une idée
dont il faut se persuader, que notre jeune État
LE FIL CONDUCTEUR
9
démocratique exige des vertus civiques. La politique économique et la politique sociale ne sont
qu'une seule et même chose. Au xxe siècle, la
jouissance et la prospérité économique sont liées
au sort de l'État en une parfaite interdépendance.
L'économie libérale pratiquée dans la République
fédérale a la juste prétention de se faire reconnaître comme l'un des facteurs déterminants de la
construction de notre État démocratique ; cette
politique économique a permis d'opérer un redressement exceptionnel. Nous n'avons pas seulement
réussi à donner du travail et du pain à une population en accroissement constant mais aussi à
atteindre un standing de vie supérieur à celui
d'avant guerre. Cette économie libérale sociale est
le chemin pénible, mais sûr, qui mène à la reconstruction ; elle nous a en même temps redonné la
confiance du monde.
Chapitre Il
La na-,ssance de l'économie de marché
Le 2 mars 1948, je pris la tête de l'Économie
nationale. Quelles étaient alors les décisions qu'il
convenait de prendre?
J'ai défini la conjoncture économique de cette
période dans un discours que je fis à Anvers le
31 mai 1954. « C'était l'époque étrange où un
Allemand devait garder son assiette cinq ans, sa
paire de chaussures douze ans, et où il pouvait
s'offrir tous les quinze ans le luxe d'un complet
Les tenants de l'économie dirigée n'avaient pas la
moindre idée du dynamisme qui pourrait reprendre
au moment où un peuple se rendrait compte de la
valeur de la liberté et de sa dignité. »
On lasserait la patience du lecteur en voulant
reconstituer avec soin chaque étape de la réforme
monétaire. Nous en marquerons simplement les
grandes lignes.
Le premier plan d'industrialisation qui avait été
mis sur pied le 2 août 1945 voulait élever la capacité industrielle allemande à un niveau de 50 à 55%
10
LA NAISSANCE
DE
L'ÉCONOl\IIE DE :MARCHÉ
11
par rapport à celui de 1938. Il fallait compter avec
l'accroissement de la population dû à l'affiux important de réfugiés. De plus l'unité économique de
l'Allemagne était devenue impossible.
Dans le second plan élaboré en 194 7 pour les
zones anglo-américaines, la soi-disant « Bi-Zone »
avait retrouvé la capacité de 1936 ; il y avait
encore bien des restrictions et l'on était loin de 1936.
La paralysie de l'économie et l'inflation.
La production totale des deux zones économiques
n'était encore qu'à 39 o/0 du niveau de 1936. La
situation pouvait se résumer ainsi
(Base 100 en 1936)
Ensemble de l'industrie ......... .
Charbon ....................... .
~'er et acier ..................... .
Non ferreux .................... .
Chirrtie ......................... .
Construction .................... .
Navires ........................ .
Électrotechnique ................ .
Mécanique de précision et optique.
Textiles ........................ .
Cuirs .......................... .
Caoutchouc ..................... .
Cellulose et papier .............. .
1946
1947
33
51
21
18
43
31
17
36
30
20
26
34
20
36
65
25
24
43
33
19
65
30
28
27
40
21
12
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
Était vouée à l'échec la tentative. qui consiste à
museler l'inflation après chaque guerre par le blocage des prix et les mesures administratives. Nous
vivions le phénomène de l'inflation des prix bloqués.
L'abondance des signes d'ordre monétaire rendait
toute mesure administrative absolument inefficace ;
les transactions commerciales ne s'effectuaient plus.
De plus en plus, les marchandises restaient stockées ;
nous étions presque sur le point d'en revenir à
l'économie de troc. En 1948, le professeur Ropke
pouvait bien écrire que l'Allemagne, au moins pour
les premiers mois, se débattait dans le pire chaos
.
.
.
qui se puisse voir.
Une grande discussion s'engagea sur les méthodes
qu'il convenait d'appliquer pour remédier à cette
situation. C'est alors que se déclencha la lutte
entre les partisans de l'économie dirigée et ceux de
l'économie libérale, lutte qui ne se poursuivit pas
seulement dans les hautes sphères allemands mais
aussi chez les Alliés. On verra plus loin la nature
de cet antagonisme. Les planificateurs inclinaient à
adopter les idées des autorités britanniques; l'expérience planificatrice du Labour Party était en
pleine réalisation. Les Libéraux pour leur part
inclinaient vers les idées des autorités américaines.
LA NAISSANCE
DE
L'ÉCONOMIE
DE
MARCHÉ
13
La chance de l'Allemagne.
C'est alors que s'offrit en 1948 la grande chance
de l'Allemagne : la réforme monétaire, qui devait
s'accompagner d'une réforme économique. Cette
réforme devait être radicale. On se rend mal compte
aujourd'hui de ce qu'il en a coûté. Les Français
Jacques Rueff et André Piettre jugèrent ainsi cette
unification des réformes économique et monétaire :
« Le marché noir cessa tout à coup. Les boutiques
se mirent à regorger de marchandises, les fabriques
fumèrent et les camions circulèrent dans les rues.
Là où il n'y avait que ruines, on revit la construction ... Du jour au lendemain, les magasins se remplirent, les fabriques travaillèrent. Les Allemands
qui erraient sans but à travers les villes n'eurent
bientôt plus qu'une idée : « produire. » Quelques
lois et de la fermeté venaient de rétablir l'économie
libérale en Allemagne! La loi du 24 juin 1948
conférait au directeur de l'administration économique le droit de jeter à la corbeille des centaines
de décrets. Dans le cadre de cette loi, j'eus les pouvoirs de « prendre toutes les mesures convenables
dans le domaine économique )) ce qui signifiait
pour moi la nécessité d'écarter aussi vite que possible
14
LA PROSP~RITf POUR TOUS
tous décrets et instructions relatifs aux prix et à
l'organisation du marché.
Une nouvelle législation entra en vigueur. Nous
prîmes alors la seule voie possible : nous décidâmes
de supprimer l'influence bureaucratique sur l'économie. Le 28 août 1948, nous nous adressions ainsi
à un congrès de la C.D.U. :
« Ce que nous devons faire actuellement, c'est
relâcher toutes les entraves. Nous devons nous
préparer à donner à notre peuple des principes
moraux, et à opérer une réforme de notre économie
sociale.
« En passant de l'économie de la contrainte à
l'économie libérale nous avons fait plus que prendre
une simple mesure économique. Nous avons voulu
partir sur des bases nouvelles. Il s'agissait d'abjurer
l'intolérance qui finit par mener à la tyrannie et
au totalitarisme. Nous devons créer une société
fondée sur l'ordre et la conscience de la responsabilité. » ·
Le grand public a toujours ignoré cette transition
vers l'économie de marché. Les autorités angloaméricaines avaient exigé de leur côté d'être tenues
au courant des modifications qui pouvaient être
apportées à la réglementation des prix, mais elles
n'avaient pas pensé qu'on pouvait non pas modifier
cette réglementation, mais purement et simplement
la supprimer. Jamais on n'aurait pu penser que si
LA 1\"AISSANCE DE L'ÉCONOMIE DE l\IAHCHÉ
15
peu de temps après la guerre on puisse faire preuve
d'une telle témérité.
J'eus la chance de recevoir l'approbation du général Clay, la personnalité la plus marquante de la
Haute Commission. Les prix des biens de consommation et des produits alimentaires de base échappaient ainsi au contrôle allié. Ce premier succès
ne signifiait pas la renonciation complète des
alliés à surveiller la reconstruction allemande et
à l'adapter à leurs idées. D'ailleurs les discussions
se succédèrent ; elles concernaient surtout le démontage des usines, la fiscalité, la liberté des
entreprises.
En rapportant ici ces événements, je ne voudrais
pas Ininimiser le sentiment de reconnaissance que
le gouvernement fédéral et le peuple allen1and
eurent vis-à-vis des U.S.A. au moment du Plan
Marshall. Entre 1948 et 1954, 1 milliard et demi
de dollars nous furent versés au titre de ce plan.
Grèc;e générale contre l' écononûe libérale.
Dans l'histoire économique allemande, la seconde
moitié de 1948 fut particulièrement dramatique.
C'est à ce moment que l'économie libérale dut
triompher de l'économie planifiée. L'atmosphère et
les circonstances ne se prêtaient guère à cet établis3
16
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
sement de l'économie de marché. L'indice des prix
n'avait cessé de monter après la réforme monétaire.
Il ne servait à rien de rappeler que les prix relativement bas de juin 1948 ne permettaient pas
d'acheter quoi que ce fût et que les prix en D.M.
étaient de beaucoup inférieurs à ceux qui étaient
exprimés en marks noirs avant la réforme monétaire.
Il s'agissait avant tout de ne pas se laisser impressionner par l'agitation sociale, non plus que par
la grève générale du 12 novembre 1948 destinée
à mettre fin aux conditions draconiennes qu'imposait l'économie de marché. Au Conseil Économique, le baromètre était à la tempête. Et dans
tous les tiroirs de l'Administration, on trouvait
des projets qui remettaient en honneur le système
économique auquel nous voulions renoncer.
Après la réforme, l'économie se trouva en face
d'un pouvoir d'absorption presque illimité des
consommateurs. Dans le secteur de la construction,
par exemple, les destructions de la guerre et la
nécessité de loger 8 millions de réfugiés créaient
des besoins presque infinis. Si dans les premiers
jours qui suivirent la réforme l'offre et la demande
s'équilibrèrent à peu près, cet équilibre se rompit
par la suite ; pour répondre aux consommateurs,
on fut obligé de produire de plus en plus, et de
liquider les stocks.
LA NAISSANCE DE L'ÉcONOMIE DE MARCHÉ
17
La guerre des nerfs.
C'est alors qu'éclata l'indignation contre l' évidence du stockage et de la thésaurisation. Il fallait
quelque courage pour déclarer que ce mouvement
était économiquement raisonnable.
« Vous savez qu'on a dit de moi que j'étais le
protecteur des cc stockeurs )). Ces calomnies ne
m'atteignent pas. Autant je réprouve le stockage
individuel, autant je crois de mon devoir de vous
rappeler que l'épuisement systématique de nos
stocks eût inévitablement abouti à annuler le
pouvoir d'achat créé par la réforme monétaire ...
Il faut dire que le stockage est un phénomène
inhérent à la réforme monétaire. Il serait illogique
de ne pas vouloir admettre que si nous n'avions pas
eu ce cc tampon » à notre disposition, la réforme
monétaire eût probablement échoué. ))
L'origine de ces difficultés est claire. La totalité
des disponibilités monétaires se retrouvait dans le
circuit.
Au 31 décembre 1948, la circulation monétaire
atteignait le chiffre de 6,641 milliards de marks
(y compris Berlin). La demande croissait donc plus
vite que l'offre, surtout qu'il y avait une pénurie
18
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
dans les importations. On stockait d'autant plus
que les liquidités inflationistes augmentaient.
Les prix montèrent au cours de l'automne 1948,
malgré le succès considérable de l' éc~nomie de
marché qui réussit à augmenter la production
de 50 <JI0 environ, de juin à décembre 1948.
La hausse des prix s'exprime dans le tableau
suivant :
Indice
des prix indust.
1948
Juin.
Sept ..
Déc ..
1949 =
91
101
104
100
Niveau de vie (1938
=
100)
Nourr. Habil. Entret. Chauf. Éclair.
142
147
168
201
244
271
189
202
211
105
115
219
Mais comme il arrive souvent en économie, les
mesures impopulaires et socialement indésirables
eurent leur bon effet. Cette augmentation des prix
ne se justifiait pas entièrement, et provoqua des
bénéfices substantiels pour les entreprises, qui mécontentèrent l'opinion publique. Mais ces bénéfices
ne constituaient qu'une fraction de la consommation
privée de ces entreprises ; ils permirent une épargne
qui ne se trouva pas mobilisable, au moment où
l'ancienne épargne disparut avec la réforme monétaire. Cette formation du capital servit de base
pour reconstituer des disponibilités perdues.
LA NAISSANCE
DE L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ
19
La fiscalité et ses positions.
Le caractère inévitable de cette évolution permit
tout de même dans la première phase qui suivit
la réforme monétaire de produire davantage et de
satisfaire une demande croissante de biens de
consommation. Toutefois, la fiscalité était une
gêne pour l'investissement. L'ordonnance militaire
n° 64 du 20 juin 1948 prévoyait un amortissement
important, et toute une foule de faveurs, qui remplaçaient un abaissement réel des impôts.
On continua dans cette voie, même lorsque
l'Allemagne reprit sa souveraineté. On créa de
nouveaux stimulants pour les investissements ; et
l'augmentation du potentiel de travail s'assortit
d'une détaxation des heures supplémentaires. Les
statistiques relatives au rendement de l'ouvrier
montrent les effets de ce mouvement. L'enthousiasme pour le travail permit un certain allongement
des heures productives et c'est seulement maintenant que cette tendance commence à s'atténuer.
La productivité qui a augmenté de 60 % par rapport à 1949 justifie une diminution de ces heures,
qui apparaît d'ailleurs comme un souhait social.
Toutefois, ce mouvement exige une certaine lenteur
20
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
pour ne pas compromettre la stabilité économique
et monétaire.
Les semaines de tra<;ail, en heures (mines exclues).
Années
Hommes
Femmes
1947
1948
1.949
1950
1951
1952
1954
1956
39,8
40
47,3
49,1
49
48,5
49,5
49
36,1.
40
43,8
45,5
45,2
44,7
45,9
45,5
Ensemble des industries
39,1.
42,4
46,5
48,2
48
47,5
48,6
48
Toutefois, la fiscalité n'atteignit pas toujours les
buts économiques qu'on lui avait assignés, et
souvent les impôts servirent les besoins de l'État
tout en ayant une influence pernicieuse. La monnaie
restait menacée par d'autres dangers. Les liquidités
se trouvaient encore alimentées par la création
continuelle de signes monétaires. Le 8 août 1948,
les comptes courants furent débloqués et le crédit
à court terme retrouva une signification.
Cette situation ne pouvait prêter à la critique,
car elle était une impérieuse nécessité économique.
Le volume des crédits augmenta de 1,4 milliard
de D.M. à 3,8 milliards entre juillet 1948 et octobre
de la même année, et il atteignait fin décembre
4, 7 milliards de D.M. L'année suivante, ces crédits
LA NAISSANCE
DE
L'ÉCONOMIE DE
MARCHÉ
21
furent portés à 5,1 milliards de D.M. Cette augmentation du crédit s'assortissait de l'augmentation
des stocks, opérations particulièrement bénéfiques
pour l'économie privée au moment précis où les
prix étaient en train de monter. Telle était à
l'automne 1948 une situation difficile.
La baisse des pnx.
Mon optimisme qui semblait risible finit par
devenir un réalisme parfaitement clairvoyant ; dans
la première moitié de l'année 1950, le niveau des
prix de détail était descendu de 10,6 % par rapport
à 1949. L'Allemagne occidentale était sortie d'une
succession de mesures dangereuses qui semblaient
se complaire dans la politique de hausse des prix.
La comparaison avec d'autres nations montre que
cette « politique d'austérité » pouvait se poursuivre
encore, malgré la crise de Corée et le haut niveau
de la conjoncture.
Indice du coût de la çie ( 1950
All.
1952
1956
Juin 1957
Korvège
Suède France
=
100)
Angle. Italie U.S.A. Suisse Pays-Bas
110 126 1"- 131 119 114 110 108
113 141 138 133 137 129 113 110
115 146 144 134 142 131 117 112
~o
101
108
120
22
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
C'était là un grand changement dans l'orientation de la politique économique, et l'on en trouve
encore des traces aujourd'hui; cette évolution
d'ailleurs n'a pas été sans influencer le solde créditeur de la balance des paiements. Comment
put se faire cette évolution qui parut si sensationnelle à d'aucuns?
La politique des salaires qui ne calquait pas
la hausse des prix au moment où existait encore
un chômage important, devait être considérée
comme un élément essentiel de la stabilité. Le blocage des salaires qui était encore en vigueur n'était
pas compatible avec le système de l'économie de
marché. Il était donc raisonnable, le 3 novembre 1948, de supprimer cette loi. Du même coup,
les syndicats retrouvaient ainsi leur mobilité et
leurs possibilités d'action; et ce progrès eût été
impossible si l'on n'avait pas renoncé à l'économie
planifiée.
L'échec de la grève générale de novembre 1948
est un assez bon exemple de la modération relative
de la politique des salaires. L'opinion publique fit
comprendre aux syndicats qu'en combattant l'économie libérale ils faisaient fausse route.
LA NAISSANCE
DE
L'ÉCONOl\1IE
DE
MARCHÉ
23
La maLn passe.
Les syndicats n'étaient pas les seuls à formuler
des critiques acerbes. La simple lecture des journaux de cette époque suffit à vous en persuader. Le
pessimisme était à son comble. Voici quelques
manchettes : « Les prix galopent ))' « Erhard perd
son latin ))' « Chaos dans les prix », etc ...
Ce qui était plus grave encore, c'était cette
atmosphère de discorde économique. Chacun cherchait dans son partenaire un bouc émissaire : l'industrie accusait le commerce, le commerce l'industrie, les citadins les ruraux, etc... Il n'y avait
qu'une chose à faire : continuer dans la voie que
nous nous étions tracée. Aucun gouvernement,
aucun Parlement n'aurait eu plus tard les nerfs
assez solides pour maintenir ce système d'économie
libérale.
Les salaires horaires bruts des travailleurs étaient
passés de 0,99 D.M. en juin 1948 à 1,13 D.M. en
déce1nbre de la même année. C'était là une augmentation substantielle qui s'inscrivait dans le cadre
de l'augmentation de la productivité.
L'augmentation de la productivité par heure de
travail témoigne de l'effet bienfaisant de ces réformes.
24
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
Augmentation de la producti(Jité par la réforme monétaire
et économique par heure de tra(Jail
1936 =
100
1948 (1)
Juin= 62,8
Septembre = 72,4
Décembre = 72,8 ,
1949
Mars= 78,5
Juin= 80,6
Septembre= 82,1
Décembre= 82,7
1950 =
100
1949 = 90,3
1950 = 100
1951 = 108,2
1952 = 112,3
1953 = 119,2
1954 = 126,0
1955 = 133,8
1956 = 139,1
Taux d'aug.
annuel
+
+
+
+
+
+
+
10,7 °/o
8,2 o/0
3,8 o/0
6,1%
5,7 o/0
6,2 o/0
4,0 o/0
1950
Mars= 87,7
Juin= 90,0
Septembre = 98,0
Décembre = 93,6
1951.
Mars= 100:2
A la fin de l'automne 1948 la Banque des Pays
Allemands réussit la première à reprendre des
mesures monétaires traditionnelles. Elle porta d'un
seul coup ses réserves minimum de 10 à 15 %, et
limita le réescompte des effets au seul cas de finan(1) Zone anglo-amhica ine seulement.
LA NAISSANCE
DE
L'ÉCONOl\:IIE
DE l\IARCHÉ
25
cement du commerce extérieur, d'achats de matières premières, ou de politique alimentaire. A la
suite de ces mesures les organismes de crédit
furent invités à partir du 1er décembre 1948 à
ramener leur volume de crédits au niveau de fin
octobre 1948.
D'autres mesures restrictives furent également
prises : quota monétaire de fin septembre 1948,
fin de la conversion des crédits R.M. Il en résulta
un phénomène nouveau qui nous intéresse encore :
le budget de l'État fut pour la première fois excédentaire au dernier trimestre 1948, et ce fut le
début des effets anti-inflationistes.
L'esprit libéral qui a trouvé son expression dans
la suppression de l'économie dirigée, favorisa aussi
l'effort de limitation des dépenses budgétaires.
Le 28 juin 1948 paraissait le décret sur la monnaie
et les Finances publiques. On limita l'expansion
tentaculaire de l'administration, on réduisit le
nombre des hauts fonctionnaires, et les voyages
officiels furent limités au minimum. Cette mesure,
même circonscrite à la simple administration économique, reflétait une bonne volonté certaine.
Lorsque je pris la tête de l'économie, il y avait
2 500 fonctionnaires en activité. En 1949, ils
n'étaient plus que 1647.
26
LA PROSPÉRITÉ
Le
n~~eau
POUR TOUS
des pnx et le programme commun.
Les essais de stabilisation des prix tentés par
l'administration finirent par aboutir à la publication d'un tableau du niveau des prix qui devait
montrer quel devait être théoriquement le prix
de chaque article. Le premier tableau des prix du
11 septembre 1948 donnait le prix de 24,5 à 30 marks
pour une paire de chaussures d'homme. C'est à la
même époque qu'on élabora le programme commun,
dans le cadre duquel on devait en août 1948, par
exemple, produire 700 000 paires de chaussures à
des prix très strictement calculés.
C'est alors que fut publiée la loi du 7 octobre 1948,
qui portait sur l'augmentation désordonnée des
prix et qui donna lieu à des controverses parlementaires très vives. Mais pour comprendre cette loi,
il faut se souvenir qu'elle fut une des causes du
revirement des prix qui est intervenu par la suite.
On ne saurait trop estimer l'efficacité du Plan
Marshall qui permit d'améliorer la situation des
matières premières. Au cours de la période fin 1948
début 1949, on vit s'accroître la production de
matières premières et de machines. Pendant la
première moitié de 1948, les importations commerciales ou autres avaient atteint la valeur de 1,2 mil-
LA NAISSANCE DE L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ
27
liards de D.M. ; pendant la même période de 1949,
elles furent portées à 3 milliards. Ainsi la première
phase de la reconstruction économique de l'Allemagne se caractérisait-elle par la grande instabilité
des prix, mais aussi par une augmentation substantielle du pouvoir d'achat des salariés, et par
une grande élévation de la production.
Voici le tableau de l'accroissement de la production, après la réforme monétaire
1936 =
100
Total des industries
(construction exclue) ..
Biens de production ... .
Investissements ...... .
Biens de consommation.
Incl. alimentaires .....
ze trim. 1948
4e trim. 1948
52,1
46,4
46,6
43,4
55,0
75,4
68,3
75,7
66,6
78~8
C'est alors qu'on se rendit compte de plus en
plus nettement que le « fossé )) entre les prix et le
pouvoir d'achat commençait à se combler, et
en faveur du consommateur. En quelques semaines
le tableau changea. Le manque d'argent finit par
faire annuler les commandes. On lut ainsi des propos
tels que « Signal d'alarme dans le secteur des biens
de consommation )), Le pessimisme changeait de
camp.
28
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
La seconde phase.
Après la réforme monétaire, beaucoup inclinaient à penser que la hausse des prix pouvait
être dur able ; on se mit bientôt à craindre leur
effondrement et l'on fut rempli d'inquiétude sur
les possibilités d'amortissements des coûts. Cette
baisse des prix qui se prolongea jusqu'au début de
la guerre de Corée prouva aux consommateurs
les immenses avantages de l'économie de marché,
et cette confiance se fit plus grande encore lorsque
l'homme de la rue put se livrer à des comparaisons
avec les autres nations.
Coûts de la
~w
Allemagne fédérale.
France ...........
Australie ..........
Pays-Bas .........
Grande-Bretagne ...
Canada ...........
U.S.A .............
Italie .............
Suède ............
(1950
-
100)
1949
1950
107
90
91
92
97
97
99
101
101
100
100
100
100
100
100
100
100
100
Jusqu'au milieu de 1950, la plupart des indices
représentatifs retombèrent à leur niveau de 1948.
LA NAISSANCE DE L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ
29
L'indice du coût de la vie d'une famille de quatre
personnes (1936 = 100) était de 166 le quatrième
trimestre 1948, de 160 pour l'année 1949, et de
149 pour l'année 1950.
Au cours de la seconde moitié de 1948, le mouvement de hausse des _salaires s'était amorcé;
mais il s'intensifia en 1949. Au contraire de ce
qui s'était passé les années précédentes, les salaires
s'élevèrent pendant que les prix baissaient, et l'on
assista à une amélioration substantielle des salaires
réels. C'est la grande caractéristique de cette seconde phase après la réforme de 1948.
Le salaire horaire brut de l'ouvrier industriel
passa de 1,22 D.M. en décembre 1948 à 1,33 en
décembre de l'année suivante. En juin 1950, il
s'élevait à 1,36 D.M. Au cours de la même période,
l'indice du prix de la vie (1938 = 100) passait
de 168 en janvier 1949 à 151 en juin 1950. Le
pouvoir d'achat des travailleurs industriels, c'est-àdire le rapport entre le salaire hebdomadaire brut et
l'indice du prix de la vie, s'éleva en 1949 de 20,5 %.
C'était là l'effet essentiel de l'économie de marché.
Le but de l'économie de marché, comme je l'expliquais le plus souvent possible, était de combiner
la hausse des salaires avec la baisse des prix. Mais
cela non plus n'alla pas sans mal.
Voici en bref quels ont été les facteurs de cette
évolution : alignement du niveau des prix sur le
30
I~A
PROSPÉRITÉ POUR TOUS
pouvoir d'achat des consommateurs par l'accroisseinent de la productivité, correction de la conjoncture par les surplus budgétaires, (et ce faisant,
freinage des effets de la récession aux États-Unis),
mais nécessité d'adapter les marchés, puisque depuis 1948 on avait libéré les échanges. Pour la
première fois depuis quinze ans nous retrouvâmes
la concurrence internationale sur le marché intérieur. L'industrie, après la réforme de 1948, fut
contrainte pour la première fois, de reviser ses
programmes de production qui portaient par trop
l'empreinte d'une autarcie idéologique, et d' augmenter à vue d'œil ses possibilités exportatrices.
La mystique de la clientèle.
La baisse des prix fit des clients des rois, et les
premiers essais dans ce pays neuf furent encore
maladroits et difficiles. Désormais l'idée de productivité passait au second plan, elle était remplacée par l'idée de marché : c'était le nouvel
aspect de l'esprit d'entreprise.
Les statistiques de la productivité prouvent que
de décembre 1948 à juin 1950 le niveau passa de
70,3 à 89,0% de celui de 1936. La rationalisation fut
particulièrement forte dans tous les domaines où
la concurrence se fit sentir. Si par exemple on évoque
LA NAISSANCE
DE
L'ÉcO~Ol\UE DE .MARCHÉ
31
la productivite du premier et du second semestres
de 1949, on s'aperçoit que l'industrie des tissus
pendant ce court laps de temps est passée de
l'indice 82,2 à 95,7, que l'industrie des chaussures
est passée de 69 à 75,8, que les véhicules sont passés
de 49,1 à 65,7, cependant que, fait capital, les
mines de charbon qui se trouvaient précisément
hors du cycle de l'économie de marché, n' amélioraient que faiblement leur productivité, puisqu'elles passaient de 61,3 à 61,5 seulement (1936 =
100). Il est inutile de souligner que ce sont les
succès de cette rationalisation qui ont rendu possible la hausse des salaires, sans compromettre
pour autant la stabilité des prix.
L'illusion du plein emploi.
Il est évident que le chômage restait cependant
un des problèmes essentiels. Ses conséquences auraient pu être fatales à la nouvelle politique économique. Le nombre des chômeurs passa à 760 000
entre la réforme monétaire et la fin de 1948. Pendant toute l'année 1949, le chômage persista; et
de mois en mois le nombre des chômeurs augmenta,
pour passer à 1 560 000 à la fin de l'année. Une
fois de plus, il fut question de l'échec complet de
ma politique économique.
4
32
LA
PROSPÉRITÉ POUR TOUS
La masse des chômeurs était alourdie encore du
flot des réfugiés. Les critiques qui m'étaient adressées passaient sous silence l'erreur de ceux qui
avaient prédit que la réforme monétaire entraînerait 4 à 5 millions de chômeurs. Le chômage
résultait de l'accroissement de la demande de
travail. C'est ce que prouve la statistique des
travailleurs en activité qui, de fin 1948 à 1949
diminue seulement de 150 000, alors que la pointe
extrême du chômage se situe en février 1950,
époque à laquelle il y eut 1 200 000 chômeurs de
plus qu'à la fin de 1948. Les spécialistes penseront
que ces chiffres témoignent en faveur de l'économie
de marché ; ils prouvent en particulier le nombre
de ceux qui dans l'économie de l'Allemagne occidentale considéraient le travail rémunérateur et
nécessaire.
A la même époque se produisit un phénomène
extrêmement important : la politique du commerce
extérieur changea complètement. Sur le plan international, l'économie allemande devint compétitive.
Pour être complet, on n'oubliera pas de mentionner
la dévaluation du D.M. qui eut lieu le 19 septembre 1949, dont l'ampleur atteignit 20 %, et qui
fit passer la parité par rapport au dollar de 3,33
de D.M. à 4,20. Cette dévaluation fut rendue
inutile par le développement du commerce extérieur.
LA NAISSANCE DE L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ
33
Commerce extérieur et dévaluation du D.M.
Moyenne par mois
1949 1er 3e trim.
1949 4e trim.
1950 1er trim.
28 trim.
3e trim.
48 trim.
Exportations
D.M. Dollars
326,4
399,3
502,3
596,3
727,3
963,5
93,2
94,6
118,8
140,6
171,3
229,4
1mportations
D.M.
Dollars
579,8
875,8
832,3
737,8
939,7
1 280,5
177,9
211,7
197,9
175,5
223,3
304,4
Il est intéressant de signaler que la République
Fédérale Allemande eut le courage, alors que
presque toutes les monnaies européennes s'alignaient sur la dévaluation de la Livre, de rester
en dessous des taux de la Grande-Bretagne et de la
France. Comme la situation avait changé en quinze
mois ! Entre octobre 1949 et décembre 1950, les
exportations avaient été multipliées par trois. La
libération du commerce extérieur avait entraîné
un tel élan des importations que notre solde extérieur était débiteur malgré l'augmentation des
exportations. Les importations ne servaient pas
seulement à l'augmentation de la consommation ;
il s'agissait aussi de matières premières de base
pour les industries exportatrices. Ainsi s'ajoutaient
aux soucis du chômage les ennuis que nous créait
le solde débiteur de notre commerce extérieur dont
le passif était de 158 millions de dollars en 1949,
34
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
de 243 millions de dollars en 1950 ; la totalité du
commerce extérieur de 1949 s'élevant au passif
de 1114 000 000 de dollars et en 1950 à 723 millions de dollars.
La politique du crédit est-elle une panacée P
Le ministère de l'Économie ne pouvait rester
insensible à une telle situation. Il pensait que
l'économie interne était grippée et que les forces
productives n'étaient pas employées au mieux.
L'indice de la productio'n industrielle était bien
passé de 75,2 en décembre 1948 à 96,1 en décembre 1949 (1936 = 100). Dans le cas du chômage, on
pouvait penser que la situation intérieure exigeait
une importante politique de crédit secondée par
d'autres mesures d'expansion. En fait, on critiqua
à l'époque ma politique soi-disant déflationniste
et on exigea une extension du crédit, ce qui montrait
clairement que ceux qui me critiquaient faisaient
fi de la stabilité monétaire.
Les disciples de la thèse anglaise du plein emploi,
de « l'argent à bon marché » et de « l' austerity »
épousèrent contre toute attente la thèse des hauts
fonctionnaires américains qui, alarmés par le niveau des importations, ne voyaient pas sans appréhension la fin de l'aide Marshall. C'est ainsi que
LA NAISSANCE DE
L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ
35
toutes les forces. se liguèrent contre l'économie
libérale que je m'évertuais à défendre.
Je m'élevai personnellement avec beaucoup de
violence contre une expansion forcée et artificielle.
Pour moi, il n'y avait aucun doute que la politique
d'expansion facile aurait compromis la stabilité
de la monnaie et l'équilibre de notre b~lance des
paiements.
Les discours que je fis quelque .temps avant le
conflit coréen montrent ma volonté d'exporter à
tout prix. Le 20 septembre 1950, je déclarai :
« La politique des exportations que nous avons
menée, quelles que soient les critiques qui nous
ont été adressées, procède de la certitude que nous
avons d'être condamnés à l'asphyxie si nous ne
prenons pas cette voie ...
« Il ne faut pas nous contenter d'un succès apparent qui nous amènerait à faire fondre notre
monnaie dans une nouvelle inflation et qui une
fois encore pressurerait le petit épargnant. Ce
serait là des méthodes condamnables auxquelles
nous ne saurions penser. >>
L'activité économique de l'Allemagne fédérale
était soigneusement combinée pour pallier aux
inconvénients du chômage massif d'une part, d'autre
part, ne pas entraver le progrès et la stabilité monétaire qui allaient permettre à l'Allemagne de retrouver sa place internationale.
36
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
Les mesures
pr~ses
contre la récession.
Je m'efforçai ainsi d'éviter à la fois la déflation
et l'inflation. L'ensemble des mesures prises par le
ministère de l'Économie et par la Banque d'émission, montre que l'économie de marché moderne
est en mesure de lutter contre une récession, sans
pour autant compromettre l'équilibre monétaire.
Les mesures prises alors témoignent d'un grand
souci d'équilibre. A la fin de mars, la Banque des
Pays Allemands commença à desserrer le crédit.
Le 1er juin 1949, on baissait le plancher des réserves
de 15 à 12 % puis de 10 à 9 %. Le 27 mai, puis le
14 juillet 1949, le taux de l'escompte était baissé
d'un demi-point ; il passait ainsi de 5 à 4%. A la fin
de 1949, l'institut monétaire était en mesure d'accorder des crédits pour les investissements à long
terme, à concurrence de 300 millions de D.M.
La pression du chômage obligea à prendre des
mesures d'expansion. Il s'agissait d'une aide financière destinée à trouver du travail et des subventions destinées à la reconstruction. On y investit
en tout 3,4 milliards de D.M. Les crédits à court
terme qui s'étaient élevés en 1948 à 4,7 milliards
de D.M. atteignaient l'année suivante 5,1 milliards
et augmentaient encore de 2,3 milliards au cours
LA NAISSANCE DE L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ
37
du premier semestre 1950. Le volume des crédits
à moyen et à long terme, atteignait à la fin de 1949
2,6 milliards ; au cours du premier semestre 1950,
il s'élevait de 2 milliards.
En avril1950 on put procéder à des abattements
fiscaux, de façon à alléger le poids sur l'ensemble
de l'économie. Les Alliés refusèrent tout d'abord
cette réforme de la fiscalité. On peut rappeler ici
l'énergie qui était nécessaire pour discuter avec les
Alliés cependant qu'on luttait à propos des quotas
d'acier, des démontages et de la déconcentration, les
méthodes qui convenaient pour combler le déficit
en dollars, et la reconstitution de l'économie. Cette
période me fut très opportune, pour jet er par-dessus
bord ce qui pouvait rester des contrôles et de la
réglementation des prix.
Il n'y afJait pas besoin de la Guerre de Corée.
On trahirait la vérité historique si l'on attribuait
au boom coréen la fin de nos difficultés économiques.
Notre politique de la monnaie stable portait enfin
ses fruits. L'indice de production passait de 90,9
en janvier 1950 à 107,6 en juin de la même année,
c'est-à-dire une augmentation de près de 20 % par
rapport à l'année précédente.
La pression intérieure sur les prix et l'élargis-
38
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
sement ·du marché intéressèrent le commerce extérieur. Les exportations passèrent de 485,5 milliards
de D.M. en décembre 1949 à 651 milliards en
juin 1950. Au cours de ces six mois, les importations diminuèrent de 532,7 milliards à 138,6 entre
janvier et juin 1950. Pendant la même année le
chômage diminua de 360 000 personnes. Nous pouvons penser qu'il n'y avait pas besoin du conflit
coréen pour que se poursuive l'expansion économique allemande ; et même, il est possible de dire
que ce conflit créa plus de difficultés qu'il n'apporta
d'avantages. Rappelo.ns seulement que la période
qui prenait fin était favorable aux consommateurs;
l'indice du prix de la vie était effectivement tombé
de 168 (1936 = 100) à 148 entre janvier 1949 et
septembre 1950; pendant le même temps, les
salaires avaient connu une évolution croissante.
Lorsque le monde connut avec le conflit coréen sa
plus grande frayeur depuis 1939, les conditions
économiques de l'expansion étaient déjà posées. Un
développement naturel et sain allait être très profondément troublé.
Chapitre Ill
La cnse de Corée et les remèdes
L'incertitude et le trouble apportés par la guerre
de Corée posèrent de nombreux problèmes. On se
trompait en croyant que les réactions du consommateur seraient calmes. Toutefois, on pouvait penser qu'il y avait un grand avantage à ce qu'on ait
beaucoup investi depuis la réforme monétaire, même
si une grande partie de ces investissements avaient
coûté très cher.
Il faut bien dire que dans les cinq premiers mois
de la guerre de Corée l'élévation de la demande
s'était traduite par une hausse de l'indice de production, passé de 116,6 en juin à 133,3 en novembre.
Mais en même temps l'indice des prix des matières
premières industrielles (1938 = 100) passait de 218
à 265, tandis que les prix de production passaient
de 178 à 195. Malgré cette violente tendance à la
hausse, la montée des prix, grâce à l'étonnante
élasticité de la production, resta plus faible que dans
l' ensen1ble du rnonde occidental. Malheureusement,
39
40
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
cette hausse fut sensible au consommateur. L'indice
du coût de la vie passa de 148 en septembre 1950
à 151 à la fin de l'année pour atteindre 170 fin 1951.
(1938 = 100). Les hausses des prix sur le marché
mondial, la nervosité des consommateurs et des
marchands, se reflètent parfaitement dans ces
hausses d'indices. Nous étions bien peu à penser
que la liberté de la consommation, pour moi une
des libertés fondamentales de l'homme, puisse
jamais survivre à cette crise.
Le 6 février 1952, à propos de ces événements,
je déclarai : « Il était compréhensible qu'un événement comme la guerre de Corée eut des effets particulièrement sensibles sur le peuple allemand, très
coutumiers de l'inflation. La confusion était à son
comble. Les uns désiraient se procurer des matières
premières à tout prix, ce qui était parfaitement
légitime dans un pays çomme le nôtre. Mais il nous
fallait compter aussi avec des consommateurs, qui,
rendus prudents à la suite d'événements tragiques,
se montraient soucieux du lendemain et se demandaient si nous n'allions pas retomber dans un système d'économie planifiée ou de rationnement.
Ainsi le consommateur était-il prêt à acheter de
mauvaises marchandises à des prix trop élevés ... »
LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES
41
La température monte à Bonn.
En fait, la température montait dans tout le
pays. La situation rappelait à beaucoup d'égards
celle de fin 1946. Une fois de plus, nous avions contre
nous les ennemis de l'économie libérale et l' opposition de la S.P.D.
L'année 1951 offrit le spectacle de désaccord au
sein même du gouvernement et d'une notoire
incapacité à prendre les mesures qui s'imposaient.
Seul le dynamisme de l'économie de marché put
arriver à sauver la liberté économique qui s'était
instaurée. Que de problèmes pour le ministre de
l'Économie! On envisagea toutes les solutions:
le ministère des Finances souhaitait copier le
système de la Purchase Tax britannique, on proposa
d'établir un Commissariat aux Devises, on imagina
également de créer un Cabinet économique, sous la
direction du Dr Ernst, et à la fin de 1951 on eut
même l'idée de créer un super-ministère qui aurait
eu pour résultat de paralyser complètement l'activité du ministère de l'Économie fédérale.
Il devenait très difficile de s'y reconnaître dans
cet imbroglio. Beaucoup de mes plans échouèrent,
aussi bien ceux qui concernaient les prix que celui
42
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
de donner à l'industrie lourde des moyens d'investissement sous forme d'une « épargne à la cons-.
truction ». A toutes ces difficultés s'ajoutèrent les
attaques et les interventions américaines qui raccourcirent la durée du Plan Marshall, s'opposèrent
par la fondation de l'U.E.P. à la montée en flèche
de l'Allemagne et qui différèrent le déblocage des
fonds de la contre-valeur de l'aide américaine.
La pénurie de charbon déclencha de grandes discussions avec les autorités internationales de la
Ruhr. De graves débats nous opposèrent aux
Syndicats qui décidèrent de suspendre toute collaboration avec l'organisation économique.
Cette énumération pourrait continuer longtemps.
Il apparut bientôt qu'il était nécessaire de poursuivre
la voie de l'économie libérale. A la fin de 1951,
l'Allemagne n'avait plus rien à craindre de l'U.E.P.
où elle était créditrice. A la même époque, le mouvement des prix se calma.
Ce court aperçu montre qu'il était nécessaire
d'avoir les nerfs solides. Nous avons parlé de cette
psychose d'achat qui avait abouti au début de 1951
à des « chiffres d'affaires ahurissants >>. L'industrie
de la chaussure par exemple avait vu ses affaires
augmenter de 90%. Le chiffre d'affaire du commerce
de détail augmenta également, ainsi qu'en témoigne
cette statistique concernant lingerie et confection :
LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES
{1949
=
43
100)
1er semestre 1949
1er semestre 1950
1er semestre 1951
8()
109
136
2e semestre 1949 114
2e semestre 1950 152
2e semestre 1951 157
Toute une série de facteurs favorisèrent cette
psychose politique. L'effondrement des prix qui
avait précédé le conflit coréen provoqua chez
l'industriel comme chez l'utilisateur une prudente
politique de stockage. Puis ce fut la hausse des
prix que l'on peut évaluer statistiquement en
comparant les périodes qui précédèrent et suivirent
le conflit coréen.
Hausse des prix sur le marché mondial
Mercure (marché de New-York).
71 à 210,15 dollars
Caoutchouc (marché de N.-Y.). 17,60 à 60,64 cents par Lb.
Laine (New-York)
130,8 à 220,8 cents par I.b.
Plomb (Londres)
97 à 162 L ; lgto
Fer (New-York)
49,9 à 57 dollars lgto
U.K. Commodity Index (Reuter) 465,3 à 605,9 (1931 = 100)
Indice général de l'économie mondiale (1936 = 100) 225 à 312,9
Les limites de capacité économique étaient atteintes. La loi du 23 avril 1950 sur l'impôt sur le
revenu établit un dégrèvement fiscal. Le courant
d'achats fut alimenté par cet apport de liquidités,
et de plus, la part des revenus qui servait avant à la
construction, se vit détournée de ses buts et incluse
44
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
dans la consommation courante. Pendant quelques
mois, l'accroissement des dépôts d'épargne fut nul.
Le goulot d'étranglement et le bilan du commerce.
Les chiffres de la production reflètent cette
évolution chaotique. L'indice général (1936 = 100)
était de 107,6 en 1950; il passa à 130,9 et à 147,8
à la fin de 1951. Ce sont les biens d'investissements
qui profitèrent le plus de ce boom de Corée ; leur
indice passa de 108,4 à 164,1. Quant au secteur de
biens de consommation, il connaissait encore une
certaine stagnation. Puis il remonta brusquement :
de juin 1950 à novembre 1951, son indice passa
de 101,9 à 148,4.
Ce développement étrange devait finir par créer
un goulot d'étranglement. L'indice d'ensemble de
l'industrie avait atteint après la réforme monétaire
51% du niveau de 1936; mais la production charbonnière atteignait 76,4 o/0 • En juin 1950, le charbon
était resté à la traîne du développement général.
Même si, à la fin de l'année, il marquait une hausse
de 15 %, l'écart ne cessait cependant de s'accroître.
La situation était la même pour le fer et pour
l'acier.
Était-ce imputable à l'économie de marché?
Naturellement non.
LA CRISE
DE CORÉE ET LES REMÈDES
45
Il ne fallait toutefois pas rester inactif. On a
déjà fait allusion à l'assainissement des prix. Il
faut garder en mémoire les grandes difficultés de la
loi d'aide aux investissements du 7 janvier 1952.
Cette loi avait été très critiquée par la suite ; en
réalité elle représentait un essai intéressant pour
laisser l'économie résoudre elle-même les difficultés
surgies. Le goulot d'étranglement des matières
premières reçut un apport substantiel d'un milliard
de D.M. dont :
296 millions de D.M. allèrent à l'industrie de l'acier et du fer;
228 millions au charbon;
242 millions à l'électricité ;
77 millions à l'hydraulique ;
50 millions aux chemins de fer.
Les tendances à la hausse des prix sur le marché
mondial, et l'accroissement constant de la demande,
conduisirent à l'augmentation des importations,
d'autant que le 1er septembre 1950 la libération
des échanges entre les pays de l'O.E.C.E. s'étendait
à 60 %- Le commerce extérieur se détériora immédiatement et au cours du second semestre 1950 le
passif s'éleva à 535 millions de D.M. Quatre mois
après la mise en route de l'U.E.P. les crédits de
l'Allemagne avaient épuisé 320 millions de dollars.
Cette augmentation des importations était parfaitement conforme à l'économie de marché, car
46
LA PROSP~RIT~ POUR TOUS
dans la situation actuelle il s'agissait surtout de
développer autant que possible la demande. Mon
ministère prit toute une série de mesures : les
licences d'importation furent réglementées, on créa
un dépôt de liquidités à concurrence de 50 % de
la contre-valeur en D.M. des devises utilisées pour
les importations. Les banques centrales furent
seules habilitées à délivrer les licences d'importation. Le 21 février 1951 on dut même suspendre
la libération des échanges, après que l'aggravation
du conflit coréen eut entraîné une nouvelle vague
de demandes. Des mesures monétaires furent également prises, tel le relèvement des réserves du
1er octobre 1950. Le plancher minimum était de
50 %- Le réescompte bancaire fut également limité. Toutefois la situation des devises restait
critique. Cent vingt millions de dollars accordés
par l'U.E.P. à titre exceptionnel ne suffisaient pas
à rétablir la situation. La Banque des pays allemands
et le ministère de l'Économie étaient tout à fait
d'accord pour limiter les importations. Au début
de 1951 on renforça encore la rigueur des conditions
de crédit. Le 28 février 1951 on donna l'ordre de
ramener le volume des crédits à court terme à
1 milliard de D.M.
LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES
47
Peut-on réarmer sans entraîner l'inflation?
La guerre de Corée est une date importante
parce qu'elle fit émettre l'idée du réarmement
allemand. Ma préoccupation essentielle était d'éviter l'inflation. Je m'opposais à l'idée selon laquelle
l'armement est synonyme d'inflation.
On a lu dans les pages précédentes le déficit
du commerce extérieur. La moyenne mensuelle de
l'année 1950 se soldait par un passif d'environ
250 millions de D.M. et le 1er trimestre 1951 n'amena
pas la moindre amélioration à la situation de la
balance extérieure. Mais au cours du second trirnestre, elle se transforrna et on aboutit à un solde
actif de près de 350 millions de D.M. C'était le
début du redressement du commerce extérieur. Au
cours de l'année 1951, on s'aperçut que les difficultés étaient peu à peu surmontées, et toutefois les
critiques sur l'économie de marché et sur le ministère de l'Économie allèrent bon train en 1951.
Cette année connut cependant l'expansion et la
récession consécutives au boom coréen ; et elle
répondit pour la première fois aux deux brûlantes
questions que voici : l'alternance de la prospérité
et de la dépression était-elle inévitable? L'économie
de marché était-elle capable de dominer les cycles
5
48
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
économiques? Petit à petit les prix revinrent à la
normale : d'abord les matières premières; ensuite
les prix de détail, qui se détendirent peu à peu :
dans l'industrie du vêtement par exemple, l'indice
passa de 212 à 205 entre mai et décembre 1951
(1938 = 100). Ce changement se manifesta éga·
lement dans le secteur de la production. La plupart
des indices commencèrent à baisser, sans qu'on
puisse toutefois parler de crise, à moins que l'on ne
veuille considérer comme normale l'espèce de hausse
hystérique due à la guerre de Corée.
Un nouvel essor de notre économie allait commencer. On poussa de la même façon la production
des biens d'investissement et de consommation.
Une certaine disparité se produisit par la suite.
On maintint la capacité d'investissement et l'indice de ce secteur passa de 141,3 à 164,1 de
novembre 1950 à novembre 1951 et il ne cessa de
s'accroître. Le résultat de cette évolution fut que la
production dépassa de 30 points l'industrie des
biens de consommation.
Cet état de choses se poursuivit l'année suivante.
A voir les chiffres de production, il n'y avait pas
le moindre danger de crise :
Indice de la production industrielle
1950
1950
1951
fer semestre
2e semestre
1er semestre
97:7
121,7
127,7
1951 2e semestre
1952 1er semestre
1952 2t> semestre
\43,3
133,4
145,3
LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES
49
Les goulots d'étranglement dans les secteurs du
charbon et de l'acier continuèrent à se manifester dans
la mesure où le boom coréen faisait encore sentir ses
effets. On peut considérer comme une date historique le moment où l'on fut obligé d'importer du
charbon des U.S.A. Les importations de charbon de
toutes qualités passèrent de 5,3 millions de tonnes
en 1950 à 10,4 millions de tonnes l'année suivante.
Pendant ce temps le solde des exportations passa
de 20,1 millions de tonnes à + 14,4.
Commerce
Export.
lm port.
Solde
e1~tàieur
du charbon (mil. de tonnes)
1949
1950
1951
1952
1953
1954
1955
1956
22,4
5,4
17,0
25,4
5,3
20,1
24,8
10,4
14,4
24,5
12)8
11,7
24,5
10,4
14,1
28,2
9,5
18,7
25,8
17,4
8,4
25,2
20,6
4,6
Quant au nombre des travailleurs embauchés,
il passa de 13,83 millions en 1950 à 14,56 millions
en 1951 et à 15 millions en 1952. Cette augmentation dans un délai si court reflète parfaitement
notre dynamisme économique. Dans les années qui
suivirent ce développement de la conjoncture, on
vit combien mon désir d'expansion fut aidé par ce
secours substantiel de l'embauche. Au cours des
mêmes années, le nombre des chômeurs passa de
1,58 million en 1950 à 1,38 en 1952.
50
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
Retour au libéralisme.
Malgré le retour au calme de la conjoncture, les
mesures restrictives qui frappaient la monnaie et
le crédit furent maintenues. On prit un certain
nombre de mesures de politique économique dont
voici la ligne directrice :
1° En matière de finances, l'impôt sur les sociétés
et la taxe sur le chiffre d'affaires furent réévalués ; on
supprima certains privilèges de l'impôt sur le revenu.
2° En matière de politique monétaire, on procéda à une diminution des plafonds de crédit. Les
50 o/0 de dépôt en liquide qui furent réduits à 25 %
fin décembre 1950, perdirent encore de leur signification et finirent ~par être complètement supprimés.
3° Un des actes les plus lourds de signification
fut la libération des importations des pays de
l'O.E.C.E. La première liste s'étendait à 50 % des
importations ; le 1er avril 1952, elle atteignait 57 %.
(référence : 1949).
4° Les réserves minimum des banques furent
abaissées_ de 1 o/0 , le 29 rnai 1952 ; cette baisse
s'accentua par la stiite. Pendant ce temps, la Banque
des pays allemands perfectionna son système de
crédit. Les quotas de réescompte furent modifiés
et l'on traça les grandes lignes d'une politique
LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES
51
destinée à permettre à l'automne 1951les opérations
d'open-market.
On notera que cette période fut marquée par une
forte élévation des salaires et des traitements. Le
salaire horaire brut augmenta de 14,8% et le salaire
hebdomadaire de 13,3 % dans l'industrie. Mais à
l'inverse de 1949, une partie de la hausse des salaires fut compensée par la hausse des prix, de sorte
que le salaire réel de 1951 n'augmenta que de 5,4 %,
alors que l'accroissement de 1949 avait été de 20,5%Ces deux chiffres prouvent la justesse de la thèse
qui soutient que la hausse de salaires supérieure au
progrès de la productivité est absurde et dangereuse
et que les consommateurs doivent s'attacher à la
stabilité des prix.
L'unisson idéal.
A la fin de l'année 1951-52, la hausse consécutive
à la guerre de Corée s'atténua complètement. On
en était arrivé à la fin de la troisième phase de notre
système d'économie libérale ; il s'agissait de confirmer et de garder ce système.
Quelle fut donc la caractéristique de cette quatrième phase?
On arriva à har1noniser trois facteurs : grâce à
la stabilité et même à la baisse des prix, l'augmentation du bien-être alla de pair avec la production
52
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
et la productivité, et avec l'élévation des salaires.
Le 6 septembre 1953, je disais :
« Notre politique économique sert· d'abord le
consommateur ; c'est lui qui est la mesure et le
juge de toute activité économique. Cette politique
de l'économie de marché a universellement prouvé
que les principes de la libre concurrence, de la consommation et du développement de la personnalité remportaient des succès économiques et sociaux
de beaucoup supérieurs à ceux que connaissent les
différentes économies planifiées... »
La production industrielle de 1952 et 1953 fut
en augmentation constante. De 128,6 o/0 en 1952
(base 1936) on se retrouva en novembre à 160,8.
La production de novembre 1953 atteignit 175,6.
En novembre 1954 enfin, on arriva à doubler la
production par rapport à 1936. C'est là la meilleure
preuve de la puissance de travail de toutes les classes
de la société.
Comparaison des productions industrielles ( 1950
=
100)
1938 1949 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956
Allemagne ......
France ..........
Norvège ........
Canada .........
U.S.A ...........
Royaume- Uni ...
Danemark ......
107
81
65
48
43
75
80
99
88
94
87
93
89
100
100
100
100
100
100
100
119
113
107
107
107
104
102
126
118
108
110
111
101
98
139
115
114
117
120
107
102
155
125
125
116
112
114
108
178
137
129
126
124
121
113
192
159
140
134
12R
120
113
LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES
53
Derrière ce développement d'ensemble, il se cache
un déplacement de l'énergie économique en faveur
de l'industrie des biens de consommation ; vraiment 1953 mérita son nom de « l'année des consommateurs >>.
On a vu quelle différence il y eut dans le développement des biens de production et des biens de
consommation, dans les années qui précédaient.
La baisse de l'industrie des biens de consommation
en juillet 1952 inquiéta au même titre les consommateurs et les économistes. Mais une vigoureuse
reprise dans le sec~eur des biens de consommation
fit remonter leur indice à 164,5 en novembre 1952
et à 180,4 en novembre 1954. On avait ainsi réussi
à rattraper le niveau atteint par les biens de production.
La hausse des re5Jenus.
La hausse de la production d'environ 60 %
s'accompagna d'une augmentation des revenus. Les
hausses de salaires et de traitements des employés
comme des fonctionnaires s'accompagnaient d'une
augmentation générale des revenus et rentes provenant des Assurances Sociales, ainsi que de versements pour la péréquation des charges. Les effets
de la petite réforme fiscale du 24 juin 1953 qui
54
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
procéda à un abattement moyen de 15% se firent
également sentir.
Au moment de la baisse des prix, le marché
montrait une grande capacité d'absorption. La
capacité de consommation se voyait non seulement
aux achats de biens de consommation traditionnels,
mais aussi aux demandes de biens de consommation
durables. Le désir d'un haut standing de vie trouvait
de plus en plus une base solide.
Quel fut le bilan de cette période après la crise
de Corée? Entre la fin de 1951 et le milieu de 1954,
environ deux millions de perso~nes trouvèrent une
activité assurée. En même temps, le nombre des
chômeurs passa de 1 214 000 à 820 900 en 1954.
Pendant ce temps, le salaire hebdomadaire brut
des travailleurs passait de 68,52 D.M. en juillet 1951,
à 741'année suivante et à 80,99 en 1954; et certains
indices de biens de consommation accusèrent une
baisse sensible.
Le désir de rationalisation qui avait remplacé
l'idéal de la capacité de la production fut une des
grandes raisons du ralentissement des investissements. L'esprit d'entreprise fut indiscutablement
gêné par la situation politique instable, l'incertitude relative au pool charbon-acier et le sort de
la Communauté européenne. L'industrie des biens
d'investissement n'avait qu'à se louer de l'expansion ;
de même les possibilités d'auto-financement des
LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES
55
industries de production avaient été considérablement améliorées par les hausses des prix. Les
prix du charbon entre 1950 et 1953 augmentèrent
de 32,92 D.M. à 52,08, cependant que J'acier
passait de 227,35 à 400,62 la tonne. La reconstruction des logements bénéficia de cette expansion
générale. Le nombre des habitations construites
entre 1952 et 1953 passa de 443 000 à 510 000 unités.
Le secteur du bâtiment s'était trouvé dans l' obligation d'abriter des millions de réfugiés et de
sinistrés de la guerre. Déjà le nombre des logements
achevés était passé de 215 000 en 1949 à 441 000
en 1951. Dans les trois dernières années, c'est plus
de 540 000 habitations qui ont été construites par
an. On pourra comparer ce chiffre avec celui
de 1929 où 197 000 logements seulement furent
construits. Le financement annuel oscillait depuis
1954 entre 9 et 11 milliards de D.M. Les finances
publiques assuraient 30 üj0 des dépenses, cependant
que le marché des capitaux en assurait 50 %.
Cette économie en plein essor se reflète également
dans la situation du marché extérieur. Alors que
le bilan de 1949 et de 1950 affichait un passif presque
« désespéré » de 3 milliards de D.M. le solde passif
de 1951 avait été réduit à 149 millions de D.M. et
en 1952 le bilan du commerce affichait un surplus
de 705,9 millions de D.M.
On inaugurait ainsi la phase d'une activité à
56
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
long terme qui avait donné lieu à des discussions
acharnées durant de longs mois. L'excédent atteignait en 1953 2,5 milliards de D.M. Or ce solde
créditeur n'était pas dû à une diminution des importations.
Les importations s'élevèrent de 11,37 milliards
de D.M. en 1950 à 14,7 milliards de D.M. en 1951
et à 16,2 milliards de D.M. en 1952. En 1953, le
niveau des importations resta étale. En 1954, elles
passèrent à 19,3 milliards de D.M. et en 1955 à
24,47 milliards. En 1956, elles étaient à 27,96 milliards.
Cette situation créait un problème de plus en plus
préoccupant : les excédents favorisaient la liquidité.
Or, on ne se rendait pas compte de l'importance de
cette question parce qu'on voyait surtout l'effet neutralisant de la thésaurisation grâce aux excédents
des finances publiques qui n'avaient jamais connu
dans le passé une situation d'une telle ampleur et
d'une telle durée.
L'erreur des planificateurs.
Le plan Marshall qui avait pendant quatre ans
apporté une aide globale de 106 millions de dollars
cessa le 30 juin 1952.
Cette cessation nous ramena à cette planification initiale qui avait été un échec dans le
LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES
57
Plan à long terme ». Depuis 1949 ce plan avait
joué un grand rôle dans la vie économique ; il
concernait les principes économiques et financiers
qui devaient être appliqués jusqu'en 1952. Les
objectifs étaient impossibles, prétendaient les experts allemands. Mais les exemples qui suivent
vont montrer que la réalité eut raison de ce pesSimisme.
1° On avait prévu une production industrielle
de 110 % de 1936 pour 1952 et 1953. On atteignit
en réalité 145 %.
2° On évalua le standing de vie pour les années
1952 et 53 à 20 % au-dessous des chiffres de 1936.
En fait, la consommation privée qui était de
768 marks par individu en 1936 passa à 827 marks
en 1952-53 (base : prix de 1936).
3° On supposait qu'à la fin du Plan Marshall
nos possibilités d'exportation seraient de 2,818 milliards de dollars. En réalité, ces exportations s' élevèrent en 1952 à 4,04 milliards de dollars, et en 1953
à 4,42 milliards de dollars.
4° Il convient de noter enfin que l'on considérait indispensable d'extraire quotidiennement
425 000 tonnes de charbon en 1952-53 pour les besoins
allemands. Quoique les prévisions du plan aient été
largement dépassées, on peut constater que les
mines avec leur production de 408 000 tonnes ne
furent pas tellement inférieures aux estimations.
c<
58
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
La situation économique ainsi rétablie permit
de supprimer un certain nombre des restrictions
qui avaient dû être imposées pendant la crise de
Corée. Après qu'au 29 mai 1952 le taux d'escompte
de 6 % eut subi une diminution de 1 % quatre
autres réductions se succédèrent pour aboutir au
20 mai 1954 au niveau très bas de 3 %.
Evolution du taux d'escompte et des avances sur titres.
Valable à partir de
Taux
d'escompte
Avances
sur titres
1948 1er juillet
1er septembre
15 décembre
1949 27 mai
14 juillet
1950 27 octobre
1952 29 mai
21 août
1953 8 janvier
11 juin
1954 20 mai
1er juillet
1955 4 août
1956 8 mars
19 mai
5 o/o
6 o/o
4,5 °/o
4 o/o
6 o/o
5 o/o
4~5 o/0
4 o/o
3,5 o/0
3 ~/o
5,5 o/0
5 o/o
7 %
6 o/o
5,5 °/0
5 Of<)
4,5%
4 o/o
3,5%
4,5<%
5,5<%
5 01
/0
4,5 °/0
4 o/o
4,5%
5,5 ~~
6,5%
6 o/o
5,5 o/0
5 o/o
6 septembre
1957 11 janvier
19 septembre
LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES
La marche en
59
a~ant.
C'est pendant ces mêmes années que con1mença
à se manifester un véritable « élan en avant ».
Citons à ce sujet un discours prononcé à l'occasion
de la foire technique à Hanovre, fin avril 1953 :
« J'ai pu me convaincre au cours de ce dernier
trimestre que nous devions nous efforcer de sortir
de tout le côté élémentaire de la consommation
matérielle, et que nous devions nous soucier de
trouver dans les foyers allemands et en particulier
chez les travailleurs des biens de consommation
durable, tels que les frigidaires, les machines à
laver et les aspirateurs. On m'a répondu en me
montrant combien gagnait un rentier de l'Assurance
sociale, et en me disant que les gens n'étaient pas
prêts de penser à de tels achats. Il est évident que
le rentier de l'Assurance sociale ne peut pas commencer par avoir un niveau de consommation
élevé. En Amérique ce ne sont pas les plus pauvres
qui commencent par avoir une auto ! Mais nous
pensons que le luxe d'aujourd'hui s'étendra davantage demain, et que dans l'avenir, le bien de consommation sera l'apanage de tous.
Si nous n'avons pas le courage d'étouffer le ressentiment de classe, si nous ne pouvons pas
60
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
supporter que, dans le développement de la technique, certaines classes de consommateurs soient
en avance sur d'autres, nous allons être obligés
de nous confiner dans une pauvreté artificielle ... »
Voici d'ailleurs une statistique.
Production de frigidaires
Nombre
1949(
1950 .·
1951 \
1952
pas de
statistiques
214 000
Valeur
(millions de D.M.)
28
40
75
108
Nombre
1953
1954
1955
1956
363 600
521 500
588 700
800 000
Valeur
158
323
241
373
Au second Salon international du cycle, à Francfort-sur-le Main, j'eus l'occasion le 17 octobre 1953
de m'élever contre l'argument de l'époque de vouloir remédier à l'encombrement de la circulation
par une diminution des engins motorisés :
« Je suis convaincu qu'il n'est pas du ressort de
l'État de vérifier l'emploi que les particuliers font
de leurs revenus ; . . . et même je suis sûr que le
problème de la circulation ne peut se résoudre
que par l'expansion car on se trouvera ainsi obligé
de construire des voies de circulation. >>
Lorsque je tenais ces propos, la production des
cycles, motos et autres <c deux roues », était passée
LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES
61
de 143 800 en 1949, à 290 800 en 1951, et à 524 400
en 1953.
Cette expansion pourrait s'appliquer plus justement encore à la production des automobiles. La
voiture était mise à la portée des salariés et des
travailleurs. La production crût de façon marquante puisque le nombre des automobiles passa
de 104 055 en 1949 à 850 000 à l'heure actuelle.
Les pessimistes à l' œu~re.
Lorsqu'on crut en 1953-54 avoir passé le cap
des « années grasses ))' lorsqu'on s'imagina que la
force d'expansion de l'économie et ses capacités
commençaient à baisser, je me vis dans l'obligation de réagir.
« Par les progrès qu'elle a accomplis, l'économie
allemande n'a rien à envier aux autres économies
européennes. Son mouvement ne doit pas s'arrêter
et il convient en conséquence de raviver l'élan de
la conjoncture, c'est-à-dire les investissements, la
rationalisation et la tendance à la consommation.
Il n'existe aucune raison logique à une dépression
économique, car le standing de vie moyen de notre
peuple se trouve à un niveau qui fait mentir les
prévisions les plus pessimistes sur notre retard et
62
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
sur un soi-disant excès de la consommation. »
« Et lorsque je regardais cette année 1954, je
disais : « Si l'on ne peut pas prévoir les rapports
exacts qui peuvent exister entre l'épargne, les
nécessités d'investissement et la consommation, je
considère qu'il vaut mieux maintenir le niveau de
la consommation fût-ce au détriment de l'accumulation de capital, que de ramener l'épargne à un
niveau satisfaisant en diminuant la consommation,
mais en créant par cela même certains problèmes
de mévente. »
Chapitre IV
Le maintien de la prospérité
En période de prospérité, il faut toujours se
méfier du danger de l'inflation. Il était si difficile
de parer au danger de l'inflation que beaucoup
inclinaient à croire que c'était là le seul problème
et à oublier par conséquent les immenses progrès
qui avaient été faits dans le domaine économique
et social. Nous allons expliquer comment nous
avons éliminé certaines légères tendances à l'inflation. Le tableau ci-joint montre le passage à la
prospérité qui s'accomplit en 1954.
Production (indice 1936
1953
Semestre
]er
Total des indust.
Biens d'invest.
Biens de product.
Biens de consom.
145,6
167,6
132,3
142,2
63
= 100)
1954
1955
Jer
161,5
178,4
141,2
161,5
162,1
193,6
147,6
157,6
1956
]er
181,2
215,1
164,5
173,3
187,9
242,2
174,3
174,2
206,9
261,1
186,9
193,8
6
206
274,2
188,8
191,5
64
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
Ces chiffres montrent bien que les années 1954
et 1955 peuvent être considérées comme des années
fastes pour les investissements. Il est évident que
la répartition des investissements se fit de façon
très différente, mais personne ne pouvait se défendre
d'avoir l'impression d'une activité et d'une expansion extrêmement vigoureuse.
Au milieu de 1954 il n'y avait guère de doute que
nous allions vers une période de prospérité. Cette
opinion se fondait sur le développement des commandes. Au cours du premier semestre 1954, cette
augmentation fut de 23,6 % supérieure à celle
qu'avait connue le premier semestre de 1953 ;
pour les matières premières cette augmentation
était de 33,3% ; elle était de 27,8% pour l'industrie
des biens d'investissements ; pour l'industrie des
biens de consommation elle n'était toutefois que
de 6,6 %.
Au cours du second semestre de 1954, nous nous
rapprochâmes du plein emploi dont les politiciens
et les économistes avaient fait un but suprême
depuis la crise des années 1930. Pendant cinq mois,
de juin à novembre 1954, pour la première fois on
tomba en dessous du million de chômeurs, et un
an plus tard, le 30 septembre 1955, le nombre des
chômeurs était tombé à moins de 500 000. Dans
certaines régions ou dans certaines branches d'industrie, le plein emploi était atteint.
65
LE MAINTIEN DE LA PROSPÉRITÉ
Statistique
de
l'emploi
{en
milll:ers)
Périodes
TrMailleurs
Chômeurs
Ensemble
30-6-48
30-9-48
30-9-49
30-9-50
30-9-51
30-9-52
30-9-53
30-9-54
30-9-55
30-9-56
30-9-57
13 468
13 463
13 604
14 296
14 885
15 456
16 044
1.6 831
17 807
18 610
19 003
451
784
1314
1272
1235
1051
941
823
495
411
367
13 919
14 247
14 918
15 568
16120
16 507
16 985
17 654
18 302
19 021
19 370
On peut voir que ce mouvement n'a fait que progresser. En l'espace d'un an, 800 000 personnes
avaient trouvé du travail, 10 % environ provenant
des chômeurs. On peut estimer que dans l'ensemble,
au cours des sept dernières années, 900 000 chômeurs ont pu être reclassés, cependant que le nombre
de travailleurs augmentait de 5 millions. A l'automne 1956, le nombre des chômeurs était de 2,2 %
de l'ensemble de la main-d'œuvre (Hommes: 1,4 o/0 ;
femmes : 3,6 %) .
ÉléYation des salaires et des reYenus.
Le développement des revenus est l'expression
même de cette bonne conjoncture, et cet accrois-
66
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
sement a touché toutes les classes de la société.
Le salaire horaire brut des travailleurs s'éleva
en 1955 de 6,8 o/0 • Cette évolution s'est poursuivie
encore et de façon plus nette en 1956 et elle a atteint
au cours des trois premiers trimestres de l'année
8,5 %, 8,9 o/0 et 8,4 %, bien que l'accroissement de
la productivité n'ait pas suivi ce mouvement.
D'après les statistiques de la Banque des Pays
Allemands, les salaires et revenus nets sont passés
de 54,1 milliards de D.M. en 1954 à 60,9 milliards
en 1955. En 1956, d'après les calculs de cette
même banque, l'accroissement a été de 12 o/0 et
peut se chiffrer à 67,9 milliards. En même temps
les pensions et les rentes se sont accrues de 17,7 milliards (1954) à 19,6 milliards l'année suivante.
En 1956, le niveau atteint était de 22 milliards.
Le revenu global s'est accru de 71,8 milliards
en 1954 à 80,6 en 1955. Toujours d'après les calculs
de la Banque des Pays Allemands, nous arrivions
en 1956 à 89,9 milliards.
Cette augmentation générale du bien-être est
particulièrement visible lorsqu'on se réfère au revenu global exprimé en prix de 1936, par tête
d'habitant.
en R.M.fD.M.
1936
1949
= 100
=
100
1936
1949
1950
1952
1954
1955
992
100
836
84
100
939
95
112
1 086
109
130
1 230
124
147
1350
136
161
LE MAINTIEN DE LA PROSPÉRITÉ
67
ViYe réaction de l'épargnant.
Parmi les facteurs économiques qui ont joué
un grand rôle dans le haut niveau de la conjoncture,
mais qui à l'inverse ont été également influencés
par cette conjoncture, on trouve surtout l'épargne.
Les débuts de l'expansion économique coïncident
avec une épargne très intensive. 1954 a été non
seulement une année d'investissement, mais aussi
une année d'épargne. Cette identité qui se poursuit
également en 1955 s'est dissociée en 1956. Les
dépôts d'épargne se sont accrus en 1954 et 1955
de 11,24 à 16,72 milliards de D.M. et jusqu'au
début de 1956, ils avaient encore crû de 4 milliards.
Ce haut niveau de l'épargne apparaît comme un
très grand facteur de stabilité, cependant l'épargne
effective était pour nous un grand souci. Entre
janvier et novembre 1956, les dépôts d'épargne
n'augmentèrent que de 1,8 milliard de D.M. C'était
là un accroissement bien faible. Jusqu'à la fin de
l'année on a pu arriver seulement à 23,37 milliards.
Ce développement de l'épargne libre depuis la
réforme monétaire prouve la confiance que la
population avait dans la stabilité de la monnaie.
D'autres facteurs ont joué dans cette expansion de
68
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
la conjoncture. Avec l'abolition de la prétendue
loi sur l'encouragement du marché des capitaux,
on prenait le chemin qui allait redonner à ce marché
2J~~~iiii=~~~~~::7:===~=~~~~~
11iillii&B
21
19
17
15
9
7
1948
1949
1950
1951
1952
1953
1954
1955
1956
Fig. 1. - Mal gré les résistances psychologiques consécutiPes
aux deux déPaluations, la fin de l'année 1956 Poyait une
épargne totale égale à enPiron 35 milliards de DM. La croissance de l'épargne des quatre dernières années est remarquablement importante.
une valeur économique. A partir de ce moment
(31 décembre 1954) les taux d'intérêt et les rentes
retrouvèrent leur signification. La combinaison des
différents comptes d'épargne qui affinaient sur le
marché des capitaux permettait de satisfaire la
LE MAINTIEN DE LA PROSPÉRITÉ
69
demande d'investissement lorsqu'on s'adressait à
ce marché.
On assistait ainsi à une renaissance du marché
des actions.
L'expansion économique se reflète surtout dans
notre commerce extérieur. L'année 1954 comme
l'année 1955 furent caractérisées par une grande
expansion de notre commerce extérieur, et notre
balance commerciale avec l'étranger se traduisit
par un solde actif important. L'exportation fut
d'ailleurs favorisée par une certaine détente dans
le domaine des biens d'investissement et par la
libération des échanges. Sans aucun doute, cette
augmentation aurait été beaucoup plus grande si
le ministère de l'économie fédérale n'avait pas
poursuivi à cette époque une politique judicieuse
pour favoriser les importations. La position de
l'Allemagne sur le marché mondial s'était singulièrement raffermie. Son commerce extérieur en
faisait le troisième puissance mondiale après les
U.S.A. et la Grande-Bretagne.
Si la stabilité des prix avait pu être complètement
sauvegardée, ces paliers caractéristiques d'une économie en plein succès auraient fait l'objet d'une
unanimité sans réserve. Même si cet état idéal
n'est presque jamais atteint il faut cependant
constater que cet essor inattendu des exportations
et de la demande effective ne s'accompagna que
1950
1951
1952
1953
~5
1954
1955
1956
- lmp !al/on
• • • Exp or/afton
Fig. 2. -
Le graphique ci-dessus montre le déPeloppement du
commerce extérieur. Dans le bilan du commerce extérieur, le
solde passif de l'année 1950 s' élePait à 3 milliards de DM;
en 1956 il s'était transformé en un solde actif.
'70
LE MAINTIEN DE LA PROSPÉRITÉ
71
d'augmentations de prix relativement minimes : il
n'y avait donc pas lieu de dramatiser les choses.
On aurait d'autant plus redouté une hausse brusque
des prix, qu'au cours de cette période de prospérité la demande dépassa de beaucoup l'offre
effective. C'est encore aujourd'hui le cas pour
l'exportation.
Il y eut une légère tendance à la hausse des prix.
Les prix de production industrielle (1950 = 100)
avaient légèrement baissé au cours des deux dernières années ; ils étaient tombés de 121 à 116 et
ce dernier niveau pu être maintenu jusqu'en septembre 1954. A partir de cette date, l'augmentation
fut lente, mais constante. En février 56, on retrouva le niveau de 52. En 1956, la hausse devint
plus sensible. (Augmentation de 2,9% par rapport à novembre 1955 et de 5,1 % par rapport
à 1954.)
Depuis quelque temps déjà, la hausse des prix
agricoles s'était produite. En 1953,-54 l'indice était
de 112 o/0 de 1950; en 1955-56 il était de 123 %.
A côté de cela, l'indice du coût de la vie restait
relativement stable. En 1954, il fut sensiblement
égal à 1953 (108 o/0 de 1950); puis il s'éleva à 110%
et depuis 1956 oscille entre 121 et 114 o/0 •
Sur le plan international, la République fédérale
tient un rang honorable, a1ns1 qu'on peut le
VOir.
72
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
Coût de la Pte (1949-51
Allemagne fédérale ..
Belgique ............
U.S.A ..............
France .............
Danemark (1) .......
Suède ..............
Grande-Bretagne ....
Norvège (1) ........
-
100)
1953
1954
1955
3e trim. 56
103
106
109
126
115
120
120
129
103
108
109
126
116
122
122
135
105
107
109
127
121
125
128
136
108
110
111
129
128
132
132
142
La stabilité des prix est la première des règles.
La diminution du pouvoir d'achat est l'envers
de la médaille des périodes de haute conjoncture.
J'ai toujours attiré l'attention sur le fait qu'à long
terme, il n'y a pas de progrès économique qui soit
assez grand pour justifier un affaiblissement de la
monnaie, si faible soit-il. D'autre part, j'ai toujours
protesté avec force contre l'idée qui veut une
expansion accompagnée nécessairement d'une
hausse des prix. Dans l'intérêt même des épargnants et de tous les revenus, il faut toujours
harmoniser le bien-être économique et la stabilité
des prix. J'ai d'ailleurs développé cette idée dans
(t) 1950
= 100.
LE MAINTIEN DE LA PROSPÉRITÉ
73
de nombreux discours. Ce qui ne m'empêchait pas
de refuser que la stabilité de la monnaie soit acquise
au prix d'un ralentissement de la conjoncture.
Vérités impopulaires.
Je me suis efforcé durant des mois de faire
admettre des vérités impopulaires et de montrer
que les salaires et les prix sont intimement liés
malgré toutes les manœuvres tactiques et toutes
les dénégations qu'on pouvait y opposer. Au cours
de ces mois agités, je fus obligé de lutter contre
toute hausse de prix non justifiée, qu'il s'agisse de
prix industriels ou de prix agricoles. Il fallait à
mon point de vue que l'augmentation des salaires
corresponde à l'augmentation de la productivité.
Sinon, elle était inutile et nocive. Au cours de
l'année 1955, les hausses de salaire et les progrès
de la productivité étaient encore en équilibre. Mais
dès 1956, la rupture s'est manifestée. Les salaires
bruts montèrent de 7 % en 1956. Le revenu brut
des ouvriers monta de 11,9 % cependant que la
productivité par heure de travàil dans l'industrie
ne montait que de 4 %, et que de 1,4 % dans les
autres emplois. Personne ne pourra prétendre ignorer les effets de ces hausses, puisque j'ai sans cesse
parcouru l'Allemagne pour les expliquer.
74
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
Ha us ses, et mesures de lutte.
Pour enrayer les tendances à la hausse, on décida
conjointement, une politique de restriction des
finances publiques, et la suppression de l'aide de
l'État à la construction.
L'accord fut complet entre le ministère de l'Économie et la Banque des Pays Allemands. Pour la
première fois depuis le 20 mai 1954 le taux de
l'escompte fut porté le 4 août 1955 à 3 1/2 %.
Nouvelle hausse le 8 mars 1956 (1 o/0 ) ; finalement
le taux se retrouva à 5 1/2 %. Le 1er septembre 1955,
on releva le plancher des réserves, et les possibilités
de réescompte furent également modifiées.
La combinaison de ces diverses mesures fut à
l'origine du succès. Au milieu de 1956, le rythme
de l'expansion s'adaptait à la croissance de l'économie. L'accroissement de la production tomba
à 8 % (et même moins) mais resta cependant à
un niveau qui interdisait de parler de crise ou de
stagnation.
Les baisses du taux de l'escompte en septembre 1956 et en janvier 1957 furent la manifestation
tangible de cette consolidation interne. Nous touchions au succès.
LE MAINTIEN
DE
LA
PROSPÉRITÉ
75
L'épargne.
C'est un instrument nécessaire pour soutenir
l'expansion. Au cours du troisième trimestre 1956,
l'accroissement de l'épargne n'était que de 90,7 millions de D.M. Mais les récentes mesures prises
par le gouvernement avaient quelque peu fait
revivre l'enthousiasme ; la perte de la stabilité
monétaire n'était pas une crainte. Le premier
problè1ne de l'économie politique consiste à éviter
toute tendance inflationiste. La stabilité monétaire est vraiment la condition sine qua non du
progrès économique et social ; et c'est ce but qui
sera toujours visé par la politique économique de
l'Allemagne fédérale. C'est de la bonne volonté
générale que dépendent les mesures de restriction
qui s'imposent parfois ; il ne faut pas chercher à
compromettre un ensemble économique pour quelques avantages passagers.
Chapitre V
Économie et intérêts privés
J'ai sous les yeux des coupures de journaux qui
datent des premières années de mon activité, alors
que j'étais directeur de l'administration économique
à Francfort et ministre de l'Économie fédérale à
Bonn. J'étais alors, d'après les titres des journaux :
« Le ministre de l'Économie : l'ennemi des consommateurs » ; « Erhard, ministre de l'Industrie lourde» ;
« Le protecteur des stockeurs et des spéculateurs »,
et autres gentillesses. Ces reproches se sont éteints
au fur et à mesure de mes efforts, et mes ennemis
eux-mêmes se sont rendu compte du mal-fondé
de ces accusations. Comme ces propos me semblent
étranges, lorsque je songe qu'au moment où je
pensais à ce livre, je luttais contre les hausses des
prix qui menaçaient certains secteurs économiques.
J'ai toujours considéré que la mesure et le juge
du bien ou du mal en politique économique ne sont
pas les dogmes ou les intérêts des groupes, mais
essentiellement l'individu, le consommateur, le
76
ÉCONOMIE ET INTÉRETS PRIVÉS
77
peuple. Une politique économique n'est bonne que
dans la n1esure où elle est utile et bénéfique au
citoyen.
Quiconque adopte ces principes doit admettre
avec moi qu'il existe bien dans toute économie des
intérêts de groupe, mais que ce ne sont pas là les
élén1ents de la politique économique et qu'il ne
peut rien sortir de bon de l'opposition continuelle
des intérêts privés. Une dispersion de l'économie
populaire en une suite d'intérêts de groupe n'est
pas souhaitable. Nous ne devons pas suivre la voie
de cette décomposition et nous éloigner de l'ordre
réel de la société économique qui est seul capable
de créer l'harmonie du corps social. Tout notre
désir fut d'éviter ce danger.
Les patrons doiYent être conscients de leurs responsabilités.
Je n'ai jamais eu d'hésitations sur la route que je
devais suivre. Je m'expliquai ainsi à un congrès
C.D.U. du 29 août 1948 : « Je ne me définis pas
comme le soutien des classes possédantes et je ne
suis pas le suppôt de l'industrie et du commerce.
Etre responsable en économie politique signifie être
responsable envers le peuple. J'ai l'intime conviction que nous ne pouvons résoudre nos problèmes
78
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
difficiles en favorisant dans l'économie de marché
quelques classes ; il faut au contraire assurer à
toute la masse de notre peuple un standing de vie
honorable, et l'améliorer perpétuellement. » ... ».
Si je me répète, c'est uniquement pour rappeler
que ceux qui croyaient pouvoir protéger leurs
intérêts, et qui furent déçus dans cette attente, ne
pouvaient se référer à mes principes moraux pour
justifier leurs actes. J'ai toujours affirmé que les
intérêts particuliers ne pouvaient se justifier que
dans la mesure où ils servaient l'intérêt général.
Aucun groupe économique ne peut prétendre à
des privilèges. Cela n'exclut pas que l'économie
soit tout de même un ensemble d'intérêts particuliers. Il s'agit d'équilibrer ces intérêts pour qu'en
fin de compte ils profitent à tous.
J'ai rappelé un jour que le rôle de l'État était
tout simplement celui d'un arbitre. Je voudrais
prendre ici l'image d'une partie de football : je
pense que, de même que l'arbitre ne prend pas
part au jeu, l'État se trouve exclu de l'arène.
Dans un bon match de football, il y a quelque chose
de caractéristique : ce sont les règles précises qui
ont présidé à ce jeu. Ce que vise ma politique
libérale, c'est justement de créer les règles du jeu~
79
ÉCONOMIE ET INTÉRETS PRIVÉS
La liberté est le but suprême.
Dans une grande partie de football, il n'est pas
bon que les onze joueurs soient autour des buts.
S'ils agissaient ainsi, nous aurions quelque droit,
spectateurs, de sifller, parce que nous sentirions que
cette attitude est contre les règles. Nous demandons
aux avants d'attaquer. Si ceux-ci pensent qu'ils
doivent faire le « mur » et se masser dans les buts,
nous savons qu'il y a là une anomalie difficile à
accepter. Le fonctionnement de l'économie présente
beaucoup d'analogies avec cette attitude. Je pense
que nous devons nos succès au type d'organisation
économique que j'ai préconisé. Ce système a sa
valeur, même si nous sommes un jour forcés à
l'abandonner.
Les spectateurs d'un match seraient mécontents
s'ils savaient que les équipes en présence ont décidé
du nombre de buts qui seraient marqués et si elles
n'offraient pas un spectacle fair-play. Je prétends
qu'il en est ainsi de toute économie libérale, et qu'il
faut laisser la liberté à la concurrence. Aucune
force ne doit opprimer la liberté. Au contraire,
cette liberté doit être le but suprême et la plus
haute valeur de la communauté.
Je suis persuadé que nous n'aurons une économie
7
80
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
d'entreprise libre que dans la mesure où la liberté
existera à l'intérieur même de l'État.
Il existe un ordre pour le social comme pour
l'économique. Les responsabilités sont nettement
délimitées. Le patron a la responsabilité de son
entreprise, il a le droit d'exiger que l'État ne s'occupe pas de ses affaires et qu'il puisse jouir d'une
parfaite liberté de mouvement à l'intérieur de son
entreprise. Je suis d'ailleurs le premier à admettre
ce point de vue. Mais l'État est le seul à porter la
responsabilité de la politique économique. Nous
savons ce qu'il en coûte de mélanger deux fonctions
hétérogènes.
On voit que je fais nettement la part qui revient
à l'individu et à l'État.
-Je me dois d'expliquer l'importance que je
confère à ces questions ; l'économie politique n'est
pas une panacée : de même que chaque homme
doit prendre soin de sa personne physique pour
permettre le développement de son esprit et de
son âme, ainsi en est-il de la vie d'un peuple.
L'économie en est l'élément essentiel, donc indispensable. C'est seulement sur les bases d'une économie saine que la société peut trouver ses buts
suprêmes.
Donner à l'économie un rôle spirituel et matériel
est finalement affaire de politique et de société. Je
suis persuadé qu'à l'exception du génie l'homme ne
ÉCONOMIE ET INTÉRETS PRIVÉS
81
peut être conscient de sa personnalité qu'au moment où le souci matériel ne joue plus le trublion
puisqu'on a réussi à le satisfaire.
Répartition du tra9ail entre l'Etat et l' E'conomie.
Ainsi que je l'ai déjà dit, il n'est pas du ressort
direct de l'État de s'occuper d'économie ; du moins
aussi longtemps qu'elle ne le demande pas. L' économie n'est plus libre si c'est l'État qui est le patron.
Cette position a naturellement des conséquences
dans l'industrie aussi longtemps que l'économie peut
se passer de la défense de l'État. Mais on ne peut
pas d'un côté dire à l'État qu'il n'a pas à se soucier
d'elle, et d'autre part, l'appeler dès qu'on a besoin
d'aide. Il existe une sorte de partage de compétence
entre l'économie d'entreprise et la politique économique. L'idée de responsabilité, au sens de la
politique économique, engage l'État dans le cadre
de ses droits et de ses compétences démocratiques
et parlementaires. L'intérêt que manifestent les
patrons devant la politique économique est certes
légitime, mais ils n'ont pas à en faire eux-mêmes,
ni à utiliser leurs organismes dans ce but.
Dans la République fédérale, l'économie libérale
du passé et l'économie dictatoriale de l'État sont
dépassées. La nouveauté résida dans ce que l'État
82
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
ne veut pas intéresser seulement quelques groupes
de producteurs et que le ministre de l'Économie n'a
plus à donner d'ordre aux patrons; il s'est aussi
libéré des concessions, des timbrages, des licences
et des ratifications. Il est simplement nécessaire
que le patron et le travailleur, comme tout citoyen,
puissent avoir leur liberté d'action personnelle.
Cela n'implique pas l'anarchie. A la place de
l'ordre donné par l'État, la politique économique
est faite pour donner de l'essor aux énergies nouvelles, et pour leur offrir toutes les chances possibles, mais aussi pour interdire les chemins infructueux ; en un mot, elle est faite pour assurer
l'expansion avec des moyens judicieux.
Une importante collection de fautes.
Mais la route qui conduit à cette réalisation est
semée d'erreurs. J'ai parlé d'une « importante collection de fautes »; elle s'applique aux souhaits
et aux exigences de l'économie, com1ne d'ailleurs
à ses erreurs.
J'aurai l'occasion de parler de la lutte contre les
cartels. Il faut aussi mentionner l'ensemble des
« Ententes ». Tous les efforts qui se firent pour
trouver un abri derrière les lois sont à inscrire dans
cette collection de fautes et entre autres l'assurance
ÉCONOMIE ET INTÉRETS PRIVÉS
83
obligatoire. Tous ces exemples et les querelles
douanières montrent bien toutes les scories qui
alourdissent encore l'économie de marché.
Nous ne sommes pas favorables, comme on vient
de le voir, aux régimes préférentiels à l'intérieur
de l'État. Les différents essais que tentèrent des
groupes pour acquérir de l'influence sur le Parlement ou le gouvernement peuvent être passés sous
silence. Ils ne sont pas particuliers à notre pays.
Il est grand temps de voir qu'il s'agit d'une véritable
maladie, d'une crise de notre temps.
La lutte se déroule entre des groupes d'intérêts
privés, et l'État. Les ultimes décisions dépendent
naturellement des organismes publics. Les liaisons
entre ces ordres sont si étroites qu'on peut à juste
titre parler d'un ordre économico-social refermé sur
lui-même, c'est-à-dire d'un ordre politique.
Quant à moi, je pense qu'au moment de la reconstruction, nous avons le devoir de tout mettre
en commun, et de négliger la protection et la
faveur des groupes particuliers. Nous devons nous
sentir solidaires, c'est-à-dire oublier l'égoïsme. Penser d'intérêts particuliers est une faute lourde,
c'est un état d'esprit contre lequel je lutterai
toujours.
84
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
Les intérêts particuliers sont dangereux.
La lutte que j'ai entreprise se fonde sur la conviction que l'État n'a pas à donner sous quelque
forme que ce soit une faveur quelconque. S'il en
était ainsi, l'État et par contre-coup le ministère de
l'économie, se trouveraient acculés à une position
intenable. Quelles seraient les normes susceptibles
de décéler les besoins d'un groupe et de le favoriser au détriment des autres?
Il faut au contraire résoudre l'ensemble des problèmes économiques, avec une solution bénéfique
pour tous. Si vraiment l'économie populaire est un
tout, une fonction de notre vie sociale, tous les
groupes et toutes les branches doivent y participer
pour en profiter.
Je ne dis pas que, au cours des dernières années,
au moment où j'étais responsable du destin de
l'Économie nationale, je n'ai jamais réfléchi à ce
que je devais faire en faveur de telle ou telle branche
de cette économie. Dans certains cas, et dans des
conjonctures très particulières, la chose est acceptable; mais j'ai toujours eu devant les yeux
l'intérêt commun.
Les intérêts particuliers et le soutien de groupes
bien définis doivent être proscrits ne serait-ce qu'à
ÉCONOl\HE ET INTÉRETS PRIVÉS
85
cause de l'interdépendance de tous les phénomènes
économiques. Toute mesure spéciale a des répercussions dans des domaines qui pouvaient paraître
tout à fait dissemblables, où l'on n'aurait jamais pu
penser que de telles incidences puissent se produire.
Si à certains moments j'ai pu approuver des
législations commerciales particulières, je me suis
toujo'urs élevé avec la dernière énergie, quelque
temps plus tard, contre ceux qui préconisaient le
maintien de cette réglementation de faveur à une
époque où les conditions matérielles et sociologiques avaient complètement changé. C'est ainsi
que nous avons reconquis notre dynamisme et notre
volonté d'expansion.
Les légendes de la bonne législation.
Partout, l'on trouve devant soi des réactions
humaines. Ce qui convient à l'un est lamentable
à l'autre. Le complexe de jalousie joue un rôle
prépondérant. L'avantage que peut obtenir un
homme ne laisse plus une seconde de sommeil à
son voisin. On peut voir ainsi quel rôle significatif
les fonctionnaires peuvent jouer dans l'économie.
Le succès d'un groupe détermine les membres d'un
autre groupe à solliciter des avantages analogues.
Je reste extrêmement sceptique devant le bien-
86
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
fondé des « réglementations >>, car si on y regarde
d'un peu près, on ne trouve rien de plus que la
volonté des participants d'échapper aux dures
conditions de la concurrence.
Personne n'est prêt à reconnaître volontiers
qu'un rendement plus faible amène un bénéfice
plus faible. On pense au contraire que le bénéfice
découlera de cette légendaire « législation ». On
peut parfois beaucoup en attendre, mais certainement pas espérer qu'il puisse se produire quelque
chose de bon en mauvaise période.
Lorsqu'on me demande mon opinion sur les rapports qui peuvent exister entre l'État et les branches
particulières de l'économie, je réponds en reprenant
les termes d'un discours du 12 mai 1954 sur les
classes moyennes.
« Je ne peux me représenter les classes moyennes
que comme cette catégorie d'hommes prête à
assurer son existence grâce à sa propre puissance
de travail. Les qualités de cette classe résident
dans le sens qu'elle peut avoir des responsabilités ;
la conscience de son existence, le courage dans son
travail, et sa volonté d'une société libre dans un
monde libre ... »«Tout ce qui la détournera de cette
liberté, de ce courage et de cet individualisme ne
pourra que lui nuire. Il n'en resterait plus rien qu'une
couche sociale cherchant protection. Toute sa valeur
ethique serait perdue. »
ÉCONOMIE ET INTÉRETS PRIVÉS
87
Législation commerciale.
Nous allons faire ici un bref rappel historique.
La loi de 1933 qui protégeait le commerce et était
en vigueur au moment de l'arrivée au pouvoir
d'Hitler prévoyait d'abord une limitation très
stricte du commerce de détail. Quand- on s'aperçut
que cette législation était inapplicable, la loi fut
assouplie. Après la seconde guerre mondiale, le
commerce connut un sort très différent selon les
zones d'occupation ou les régions de l'Allemagne
occidentale. Dans la zone américaine, la directive
du 29 mars 1949 établissait la complète liberté des
professions, tandis que dans les zones britannique
et française on remettait en vigueur les codifications de la loi de 1933 ; on en faisait une des bases
de la législation nouvelle. Cette différence de régime devait évidemment amener le souhait d'une
unification des présentes réglementations. Mais estce un malheur si la législation qui préside à l' ouverture d'un magasin est différente à Flensbourg et
à Munich? Devant la pression du Commerce de
détail j'ai pu répondre, jusqu'à la fin de la première
législature, qu'un assouplissement particulier de la
législation n'était pas compatible avec l'esprit d' économie libérale et que les lois fondamentales de la
88
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
République fédérale étaient contraires à son acceptation. Le 22 octobre 1952, je déclarai :
« J'approuve la création d'une organisation professionnelle pour le commerce, mais cette liberté
ne saurait être liée à des conditions qui limiteraient
la liberté même des activités. Elle doit avoir pour
but d'améliorer le rendement du commerce. Une
organisation professionnelle ne doit pas conduire
à une sclérose du commerce, mais au contraire
renforcer sa fluidité et son élasticité. »
Restait à savoir si l'élaboration d'une telle loi
était possible. Un essai fait dans ce sens se solda
par un échec. Je dus prendre en main la situation
et promettre d'établir une législation cohérente.
J'avais l'impression qu'il était possible de détourner
le commerce de détail des voies sur lesquelles il
s'était engagé et de lui faire admettre une législation qui puisse favoriser SOJ:t dynamisme, qui
établisse la notion de « marchand . spécialisé » et
qui crée en même temps des conditions favorables
à la formation d'apprentis. Le 22 octobre 1955 on
en revint malheureusement à une formule qui se
rapprochait de l'ancienne législation et sur laquelle
nous observâmes la plus grande prudence en souhaitant qu'elle ne s'étende pas à la totalité du commerce ; nous désirions surtout que le commerce
de gros et le commerce extérieur en soient exclus.
ÉCONOMIE ET INTÉRETS PRIVÉS
Moins de
tra~ail,
89
plus de profit?
Le commerce est là pour satisfaire le consommateur. Pour moi, je ne pense pas que le consommateur tienne à une après-midi de samedi où tout
achat est possible, si précisément il ne dispose pas
de sa liberté ce jour-là. Il serait anormal que le
travailleur ne puisse pas aller faire ses achats avec
sa femme et ses enfants. Il ne viendrait à l'idée
de personne de supprimer le samedi après-midi
les trains ou les postes, ou encore les auberges. Il
est de l'intérêt bien compris d'une économie que
certains métiers s'astreignent à certaines obligations. Il est tout à fait sûr que tout le monde doit
avoir son après-midi de liberté, cela ne souffre
aucune discussion. Cinquante millions de consommateurs y sont intéressés et veulent pouvoir acheter
ce qu'ils veulent pendant qu'ils sont libres. On peut
penser que le consommateur allemand ne va pas
passer son samedi après-midi à dormir. Il dépensera
son argent dans d'autres endroits et pour d'autres
buts. Pour cette raison, je suis intervenu en faveur
d'un roulement des samedis. J'ai eu l'occasion aux
États-Unis de m'entretenir de ce sujet avec des
commerçants. Ceux-ci avaient déjà entendu parler
de cette question du samedi après-midi. Ils m'ont
90
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
tous répondu que notre commerce de détail devait
bien marcher puisqu'il était question de renoncer
à vendre le samedi après-midi. L'Allemagne est
presque le seul pays où les heures d'ouverture des
magasins soient exactement celles de l'activité des
travailleurs, et on ne voit pas du tout pourquoi
il doit en être ainsi.
Certes, il est normal que les commerçants prétendent avoir une demi-journée libre. Je ne nie
naturellement pas que cela pose des problèmes
difficiles à résoudre, mais d'autres branches de
l'économie ont bien trouvé des solutions satisfaisantes. Pourquoi pas le commerce du détail?
Y a-t-il un miracle allemand?
J'ai eu bien souvent l'occasion en discutant avec
des représentants des classes moyennes de me rendre
compte que notre industrie avait parfois sourdement
lutté contre nous. On a pu se persuader au cours des
dernières années que l'économie libérale était une
sorte de fardeau auquel notre industrie voulait
échapper. Mais l'industrie devait reconnaître sans
réserve le bien-fondé de l'économie libérale.
Là où l'économie libérale est gênée dans son
fonctionnement il fallait insister autant que possible sur les conditions de la liberté. L'industrie peut
ÉCONOMIE ET INTÉRETS PRIVÉS
91
exiger que l'État ne limite pas artificiellement la
libre activité de l'entreprise et que la politique
fiscale lui laisse suffisamment de capitaux pour
pouvoir satisfaire à ses besoins. Lorsque l'industrie
lutte en ce sens, elle est sur la bonne voie.
Je ne veux pas admettre la notion de « miracle
allemand » parce que je ramène tous les succès
économiques de ces dix dernières années au seul
comportement des individus et non à la magie
de ma politique. Ce que l'Allemagne vient de vivre
n'a rien d'un miracle. Ce n'est jamais que la conséquence de l'effort de tout un peuple qui a voulu
de nouveau obéir au principe de liberté, à l'initiative humaine et à l'énergie personnelle. Si l'exemple
allemand doit passer les frontières, que cela ne soit
que pour montrer au monde la valeur de la liberté
humaine et économique.
Chapitre
VI~
Les cartels
ennem~s
du consommateur
L'idée d'économie de marché a conquis partout
une place de choix, et pas seulement en Allemagne.
Les adversaires même de la politique acceptent
cette formule. Une politique économique ne peut
être qualifiée de sociale que lorsqu'elle s'efforce
de réaliser des progrès économiques, des rendements
plus élevés et de maintenir la productivité en faveur
du consommateur. La concurrence reste le moyen
d'obtenir ces résultats. L'économie libérale oblige
à lutter contre les cartels et contre tout ce qui de
près ou de loin pourrait entraver cette libre concurrence.
Étant donné l'importance et l'urgence de ce
problème, j'ai dû me soucier, dès que j'ai pris
l'économie en main, de promulguer une loi sur les
cartels. La première date du 24 juin 1948 qui
déclarait en particulier au paragraphe 3 :
« Aussi longtemps que l'État ne réglera pas la
production et les échanges, on appliquera le prin92
LES CARTELS ENNEMIS DU CONSOMMATEUR
93
cipe de la concurrence. S'il se forme des monopoles
économiques, il faut les éliminer. >>
Il convient de se rappeler que le premier Parlement d'après-guerre adopta cette formule à une
forte majorité. Quelque temps avant, les gouvernements américain et anglais avaient promulgué
le 12 février 1948 l'interdiction de la concentration
des entreprises allemandes et s'étaient prononcé pour
la décartellisation. D'après les explications des Alliés
ces ordonnances militaires ne représentaient que
des dispositions transitoires auxquelles devait se
substituer une législation allemande. De plus, l'Office de contrôle bipartite avait demandé le
19 mars 1949 que soit déposé le projet d'une loi
qui reprenne les termes de la Charte de La Havane
limitant les cartels et toute autre espèce de concentration des entreprises. C'est de cette situation
que naquit le premier essai allemand de législation
cohérente dans ce domaine. A ma demande, une
commission d'experts qui comprenait des spécialistes de ces questions (Dr. Walter Bauer, Prof.
F. Bohm, Dr. Paul Josten, Dr. Wilhelm Koppel,
Prof. W. Kromphardt, Prof. Pfister) déposa un
premier projet de loi tendant à assurer le mécanisme
de la concurrence, et un autre projet sur les monopoles.
94
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
Refus anticipé.
Je n'avais laissé aucune équivoque sur le sens
de mon action : j'étais opposé aux cartels, et je
m'en expliquais ainsi le 16 décembre 1949 :
« Je vois dans le développement de la concurrence la meilleure garantie d'une amélioration des
rendements et d'un partage équitable du revenu
national. Je ne saurais renoncer à ce point de vue qui
me semble le moteur même d'un développement
sain de l'économie. Toute direction économique me
semble nocive, au même titre que l'organisation
planifiée de l'économie d'entreprise. Tous ces essais
rne semblent être, au sens propre, un péché contre la
vie, qui est vraiment par excellence le mouvement et
l'épanouissement, et qui ne saurait accepter la stabilisation lourde et pesante de l'économie planifiée. »
Le 27 décembre 1949, je parlais à la radio ba. varo1se :
« La liberté ne triomphe que là où il n'y a point
d'oppression; là où dans le cadre juridique d'un
peuple, elle devient la valeur essentielle de la société ». Je repris d'ailleurs ces thèmes au cours
d'un meeting de la C.D. U. en octobre 1950, et je démontrais que la loi sur les cartels était vraiment
le germe de l'économie libérale, puisque l'économie
LES CAHTELS E~NE1IIS
DU
COXS01BIA.TEUR
!);)
privée était débarrassée du carcan juridique et
des ordonnances en faveur de la libre concurrence ;
dans cette législation anticartels, on devait retrouver les meilleurs principes de notre politique d' économie libérale. La loi serait vraiment une des
pierres angulaires de la reconstruction économique
de l'Allemagne.
Pas d'ordres atnéricains.
Si j'ai rappelé ces quelques faits, c'est pour
montrer que tout citoyen qui a choisi en 1949
et en 1953 de voter pour l'économie libérale, se
sentait par là même solidaire de la lutte contre
les cartels. Si l'on entend encore ce reproche erroné
relatif à la subordination de la loi allemande sur
les cartels à une inspiration américaine, qu'on me
permette de faire ici quelques brèves remarques :
je ne me suis pas plié aux ordres des Américains.
Certes, le style de pensée qui a permis les étonnants succès de l'économie américaine est comparable au nôtre. Mais pour la vérité historique, on
ne saurait passer sous silence que le premier gouvernement fédéral au début de son activité était
tenu d'élaborer le projet de législation sur les
cartels avec la Haute-Commission alliée. Cette
Commission fit savoir que les discussions des experts
sur cette vaste question devaient commencer le
8
96
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
11 décembre 1951. Les procès-verbaux des négociations qui durèrent plusieurs semaines pourraient remplir d'énormes volumes. Les discussions
se sont concentrées sur les points capitaux : la
forme spécifique de la concentration des entreprises,
les procédures de délivrance des brevets et l' obligation d'établir la libre concurrence. Le projet
élaboré par le gouvernement fédéral était en contradiction avec les principes de la législation américaine. La possibilité d'exceptions administratives
reconnue par la législation allemande est parfaitement étrangère au droit américain. En 1952, le
Cabinet fédéral adopta mon propre projet. Il fut
soumis au Bundesrat le 2 mai 1952. Celui-ci en
ratifia le paragraphe 1, particulièrement discuté.
C'était là la victoire de mes conceptions, d'autant
plus que quelques mois auparavânt une souscommission du Bundesrat spécialement chargée
d'étudier la loi avait proposé de supprimer les
ententes et autres organisations de marché seulement dans les cas où cette cartellisation conduirait à des abus.
Le principe d'interdiction de nouf.Jeau confirmé.
iAprès des discussions orageuses, le Bundesrat
admit le 21 mai 1954 le principe de la législation
LES CARTELS ENNEMIS DU CONSOMMATEUR
97
que j'avais élaborée. Mais il se passa plusieurs
mois encore avant que le gouvernement fédéral
se décide à faire passer ce projet devant le Bundestag. Ce n'est que le 24 mars 1955 que le Bundestag procéda à la première lecture du projet. Le
Parlement avait encore droit à deux ans de consultation avant de se prononcer définitivement.
On peut finalement se demander pourquoi je
suis un adversaire si déclaré de la cartellisation.
Je redirai ici que l'économie concurrentielle me
paraît la forme la plus rationnelle et en même temps
la plus démocratique qu'il soit et que l'État ne
doit intervenir que pour rétablir ces mécanismes
concurrentiels. Personne ne saurait nier que l'époque
de l'économie libérale a été un des grands moments
de l'évolution de la civilisation. Le principe du
« laisser faire » a toujours permis au producteur
de déterminer ce qu'il voulait faire, comment il le
voulait ; où il voulait produire, combien ille voulait.
C'est ainsi que tous les producteurs se trouvèrent
avoir la même chance au départ et q~e la concurrence développa peu à peu cette chance. Dans les
dernières années du x1xe siècle, on vit apparaître
des formes économiques qui vinrent à scléroser
l'économie de marché et à créer des tensions sociales.
Il est certain que les développements de la technique
moderne ont favorisé les tendances monopolistiques, qui sont un danger pour le consommateur
98
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
et qui finissent par bloquer le progrès économique.
Tout le monde doit prendre part au succès.
Je suis convaincu personnellement que la libre
concurrence permet d'aboutir non seulement à des
salaires et à des rentes plus élevés, mais également
à un mieux-être de tous les consommateurs euxInêmes. C'est là le sens de l'économie de marché ;
elle doit faire servir toute amélioration à la satisfaction du consommateur. Il dérive de ces principes
que les prix doivent être libres ; quiconque renonce
à cette fonction des prix supprime en même temps
la concurrence et bloque tout mouvement économique.
Pour moi, la liberté est un tout indivisible. La
liberté politique, économique et humaine se présente comme une unité complexe et il n'est pas
possible de toucher à une de ces parties sans détruire
l'harmonie générale.
Il n'en est pas moins vrai qu'il existe une différence essentielle entre l'économie de marché telle
qu'elle est pratiquée en Allemagne en 1948 et
l'économie libérale de l'ancien régime. Dans ma
conception, la liberté n'implique pas que les patrons
puissent créer des cartels; il s'agit au contraire
LES CARTELS ENNEMIS DU CONSOMMATEUR
99
par une productivité accrue, et dans le cadre de la
concurrence, de satisfaire les consommateurs. Dans
cette perspective la liberté est vraiment un droit
public qui ne dépend d'aucune force extérieure.
Est fausse la liberté que défendent les tenants
des cartels. L'empreinte de la puissance économique
est vraiment à l'antipode de la liberté. La concurrence et la productivité qui lui est liée doivent être
assurées par les mesures de l'État et protégées
contre tous les éléments qui pourraient les troubler.
En particulier il importe que la liberté des prix
ne soit pas entravée dans sa fonction régulatrice
de la vie économique.
Les
pnnc~pes
de la
pu~ssance
économique.
La puissance économique repose essentiellement
sur trois principes :
1° Sur un certain lien de droit unissant plusieurs
entreprises autonomes qui décident, par la limitation de leur propre autonomie, et par la réglementation des différents facteurs du marché, de
limiter la concurrence ;
2° Sur un principe capitaliste, affirmant que la
volonté d'une entreprise peut se trouver influencée
par une autre, de sorte que sa productivité sur le
marché ne soit pas parfaite ;
100
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
3° Sur la naissance de très grandes entreprises
qui, en raison de leur énormité, exercent sur le
marché une influence totale.
Les prix du marché peuvent se trouver complètement changés par cette puissance économique, et
les cours peuvent être artificiellement modifiés en
faveur des groupes influents. Dans le cas des
monopoles, les prix ne sont plus une « donnée »,
à laquelle les individus doivent s'adapter, mais
ils deviennent un objet de manipulations. C'est
alors que le consommateur risque d'être exploité ;
il peut se produire aussi des investissements néfastes, et l'on arrive à porter préjudice au progrès
technique et économique.
Le législateur se trouve dans l'obligation de
supprimer ces facteurs de trouble, et
a) de rétablir autant que possible la concurrence ;
b) d'empêcher les effets d'un monopole sur les
marchés où la concurrence n'est pas absolue ;
c) de créer si le besoin s'en fait sentir, un organisme d'État qui puisse influencer le marché.
Cette question des cartels est vraiment le centre,
le problème majeur de notre politique.
Qu'il me soit permis également d'éclairer quelque
peu le côté social de ce problème. Je suis l'adversaire
résolu de cette forme économique parce qu'une
économie libérale de caractère social ne peut se
réaliser que si elle est dominée par le souci constant
LES CARTELS ENNEMIS DU CONSOMMATEUR
101
de la quantité, de la qualité et des prix. Je n'accorde
aux cartels rien de positif. Ils reviennent trop à
garantir une rente au plus mauvais des patrons.
On m'a souvent répété au cours des dernières
années que s'il n'était plus possible de convenir
des prix qui seraient pratiqués, ce serait la catastrophe. Du matin jusqu'au soir mon bureau s'emplissait de catastrophes. Et cependant, l'économie
allemande s'est parfaitement développée.
Les exceptions possibles et nécessaires.
J'ai souvent fait comprendre sans ambiguïté
qu'il n'existe pas de modèle de concurrence pure.
Je ne suis pas assez aveugle pour ne pas me rendre
compte que le schéma théorique de la libre concurrence se mélange toujours à d'autres éléments.
Je ne suis pas assez dogmatique pour ne pas me
rendre compte qu'il peut y avoir des situations où
l'interdiction générale et absolue des cartels doit
être modifiée ; il peut se faire qu'on soit amené à
assouplir les interdits.
D'ailleurs, le projet juridique ne présentait aucun
caractère dogmatique. Il ne procédait pas de l'idée
extrêmement critiquée de la concurrence intégrale; il reconnaissait la justification possible, voire
la nécessité d'une intervention. Il prévoyait ainsi
102
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
des cartels conditionnels, des cartels d'exportation,
et même des cartels de rationalisation. Personne
ne pouvait contester le libéralisme d'un projet qui
fait certaines discriminations dans les cercles économiques.
Les discussions de principe manquent leur but.
Ces considérations seraient insuffisantes si on ne
rappelait pas que pendant des années les tenants
d'une législation d'interdiction et ceux d'une limitation des abus ne cessèrent de discuter. Ces spéculations sur le côté « moral » de mon action passèrent
tout à fait à côté du problème. En ce qui concerne
les prix, je pense qu'un nivellement par le bas est
aussi regrettable qu'une hausse. Il ne faut pas
quitter le domaine du prix « économiquement
exact ». Dans une économie libre, le prix a une
sorte de fonction compensatoire. Toutes les autres
idées sur le phénomène des prix ne sont que des
déformations.
La législation d'interdiction est, à ce qui me
semble, logique sous tous les rapports, car elle
laisse subsister les exceptions qui peuvent être
indispensables à l'économie. Ce sont les cartels
les plus au point, qui sont les plus dangereux.
C'est justement la raison pour laquelle la loi sur
LES CARTELS ENNEMIS DU CONSOMMATEUR
103
les cartels ne peut être modifiée, ou alors, la législation elle-même deviendrait une farce et la politique du gouverneme·nt fédéral paraîtrait vraiment
risible au public. Pour ma part, je crois que cette
loi est utile, même si elle n'est pas le meilleur moyen
de réduire au silence les critiques qui visent l'économie d'entreprise.
Le patron est inattaquable lorsque la concurrence
est la fonction indispensable de toute entreprise
libre et lorsque grâce à la concurrence, et au progrès
qui lui est inhérent, on arrive à un prix le plus
favorable pour le consommateur. Les cartels qui
demandaient .une législation sur les abus sont au
fond beaucoup plus dogmatiques que les tenants
de l'interdiction pure et simple, car ils échappent à
toutes les objections. Ils se tirent d'affaire, même
lorsqu'on leur prouve que la législation sur les abus
passe complètement à côté de la question. Je
n'accuse pas les cartels d'abus au sens criminel ou
amoral du terme. L'abus s'exprime dans la sclérose
des prix, c'est-à-dire dans la suppression de la
fonction du prix libre. C'est la raison pour laquelle
j'ai refusé une législation sur les abus. On ne m'a
jamais rien répondu à cette objection. Je reconnais
que du point de vue des cartels on ne pouvait me
donner aucune réponse.
104
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
Un irremplaçable baromètre.
C'est une illusion, et même une simple impossibilité que de vouloir créer un prix économiquement
exact avec un cartel. Cependant, il faut bien réfuter ma position de principe : dans un marché
libre où des patrons produisent d'après leurs libres
décisions, il ne peut y avoir aucun prix qui dépende
d'un cartel parce que l'équilibre qualitatif et quantitatif de l'offre des producteurs avec la demande
multiple des millions de consommateurs est logiquement impossible. L'économie deviendrait aveugle
et le patron ne pourrait pas prendre de dispositions conformes au marché s'il n'avait plus en
face de lui cette sensibilité des prix. L'équilibre
de l'offre et de la demande est rompu si l'économie
est dominée par les cartels.
Dans une économie de marché, le prix peut être
et doit être assez haut pour garder l'équilibre
nécessaire entre l'offre et la demande, ce qui n'est
pas le cas pour la politique des cartels. Mais d'autre
part, il risque aussi dans certaines conditions de
marché d'être au-dessous des coûts d'exploitation.
Je dois aussi repousser l'opinion selon laquelle les
cartels s'appuient sur les conditions de l'entreprise
et de son exploitation. Personnellement, je n'ai
LES CARTELS ENNEMIS DU CONSOMMATEUR
105
rien contre le calcul des coûts, je souhaite même
que chaque entreprise puisse arriver à établir des
calculs exacts. Seulement le calcul des coûts d'exploitation n'a de sens que pour signifier les conditions et la mesure dans lesquelles l'entreprise peut
prendre place parmi les concurrents. Mais il est
fort incongru de vouloir partir de ces calculs pour
s'orienter vers des exigences politiques et rétablir
les cartels.
Le patron ne peut justifier son existence que
dans la mesure où il est prêt à remplir la fonction
de la libre entreprise, avec toutes ses chances,
mais aussi avec tous ses risques. Il n'est intouchable
et inattaquable qu'aussi longtemps qu'il fait ses
preuves sur le marché lipre et dans la libre concurrence. Mais dès qu'il cherche à se protéger dans une
union collective, on ne peut plus éluder l'hypothèse
de la cartellisation.
La cartellisation retire au patron ses fonctions
essentielles. Il se fonctionnarise. Dès que sa responsabilité disparaît et que l'entreprise dépend de
décisions collectives, la position du public à son
égard doit se modifier radicalement. Dans le climat
social du milieu du xxe siècle, on ne s'étonne plus
que dans ces circonstances la co-gestion soit nécessaire.
106
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
Les cartels é(Jitent- ils la récession?
L'argument-massue des cartels est que l'union
économique est indispensable pour résoudre ou
atténuer les conséquences des crises ou même les
crises de structure ou de conjoncture. Je suis loin
de partager cet avis ; à mon sens, c'est une absurdité.
Je suis persuadé que la tentative d'éviter la crise
par la cartellisation est absolument vouée à l'échec.
Étant donné que l'offre de biens de consommation correspond toujours à une capacité d'achat
déterminée, on ne peut imaginer une augmentation
simultanée du pouvoir d'achat au profit de chaque
patron. Ce serait vraiment de la sorcellerie. Le
premier danger de la cartellisation est que les
branches de l'économie qui doivent satisfaire une
demande sans souplesse peuvent effectivement absorber un pouvoir d'achat supérieur à celui qu'elles
auraient si le marché était libre. Mais cet avantage
finit par causer un grave préjudice à toutes les
autres branches dont les produits ne disposent plus
que d'un volume d'achat réduit. Ce que je viens
de dire est également vrai dans le cas de toute
position de force. Les cartels insistent toujours sur
la nécessité d'éviter les faillites et ils croient avoir
trouvé une panacée dans les prix « cartellisés ».
LES CARTELS ENNEMIS DU CONSOMMATEUR
107
Mais c'est justement ainsi qu'on empêche le
dénouement de la crise. Si effectiven1ent un produit déterminé, à un prix déterminé, n'est écoulable qu'en quantité insuffisante, ou si la demande
décline, la fixation des prix est absurde. Si un
prix qui s'effondre attire de nouveaux acheteurs
et fait augmenter la consomrnation, l'élévation des
prix décourage le consommateur, et un cartel qui
prétendrait s'opposer à la chute des prix pour
couvrir ses frais n'arriverait qu'à comprimer artificiellement le volume de la production ; mais les
coûts continueraient à s'élever. Le calcul est donc
faux et la crise continue à s'aggraver.
Par contre, il est plus difficile d'avoir une crise
dans les marchés libres, parce que le prix reste
très sensible et que, par la concurrence, on voit
se manifester des forces qui s'équilibrent rapidement : la plasticité de l'économie d'entreprise est
extrêmement grande. C'est ainsi que notre politique peut prétendre de plein droit au titre d' économie libérale sociale. Rien n'est plus dangereux
pour le patron que de troquer sa responsabilité
personnelle pour une responsabilité collective.
Il est aussi faux aux points de vue social et
politique de dire que les cartels, en protégeant
l'entreprise, protègent le marché du travail. Ce
que les cartels arrivent au mieux à protéger, ce
sont les entreprises non rentables. C'est ainsi que
108
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
l'ensemble de l'économie risque un recul du progrès.
Une telle politique n'a rien de social : il n'y a
jamais eu autant de chômeurs qu'au moment où
les cartels fleurissaient dans l'économie allemande.
Les cartels comptent toujours sur un niveau de
vie très bas.
La lége'!'de de la protection des classes moyennes.
On a beaucoup entendu dire que les cartels
servent aux classes moyennes. C'est le type même
du conte, qui n'a pas la moindre parcelle de vérité.
Nous savons que toutes les branches de notre
économie ne peuvent pas être cartellisées au même
point, et que certaines sont incapables de l'être.
Dans le cas de l'industrie lourde, et dans l'industrie
des biens de production durable, la tendance à la
cartellisation, ne serait-ce que pour des raisons
techniques, est beaucoup plus forte. Plus nous nous
rapprochons du stade de l'élaboration et de la différenciation, et plus la cartellisation devient inefficace et sans portée.
On en viendra à souhaiter un cartel lorsqu'on
croira pouvoir y trouver plus de sûreté, un bénéfice
meilleur ou des coûts d'exploitation moins élevés.
Mais cela signifie que ceux qui veulent les cartels
et qui peuvent les dominer se trouvent dans une
LES CARTELS ENNEMIS
DU CONSOMMATEUR
109
position meilleure sur le marché. Leur but est
d'attirer à eux une part de pouvoir d'achat plus
grande que celle qu'ils pourraient obtenir si le
marché était libre. Ainsi l'accroissement du pouvoir
d'achat de certains groupes peut-il faire défaut
dans d'autres branches de l'économie. Et cet accroissement fait défaut là où précisément se situent
les milliers de petites et moyennes entreprises. C'est
elles qui pâtissent de cette diminution du pouvoir
d'achat lorsque les cartels se trouvent sur leurs
domaines.
Il est évident que les classes capables d'une cartellisation ne sont pas les classes moyennes. Les
entreprises des classes moyennes travaillent dans
les produits très bien ouvrés, dans l'industrie de
transformation. Nous les trouvons dans le domaine
des biens de consommation, dans le commerce et
dans l'artisanat. Qu'on n'oublie pas que la politique des cartels n'a jamais augmenté d'un seul
pfennig le pouvoir d'achat. Ainsi, dans une industrie cartellisée, le pouvoir d'achat ne suffit pas
pour absorber la totalité de l'offre, si ce n'est au
détriment des entreprises non cartellisées et des
classes moyennes. Si toutefois les classes moyennes
veulent chercher leur salut dans la protection des
cartels, on peut leur démontrer qu'il n'est pas
possible d'allier les contraires et que les difficultés
techniques n'entraînent qu'à des solutions tout à
110
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
fait problématiques. En supposant même qu'il
existe des accords possibles, on arrivera à sauver
les prix, mais jamais à maintenir les débouchés.
Cela d'ailleurs reste parfaitement dans les règles.
A supposer qu'une économie cartellisée puisse se
permettre d'élever le niveau des prix de 10 <jl0 , le
pouvoir d'achat réel du consommateur s'abaissera
de 10 %- Dans une économie de marché libre le
phénomène de la surproduction entraîne une baisse
des prix et un nouvel équilibre, mais là où les cartels
dominent on ne peut pas résoudre les crises.
Pas de nou()eau dirigisme.
Par la suite on m'a fait un nouveau reproche de
créer un 'véritable dirigisme d'État. J'ai peine à
croire que ce reproche vienne d'experts en économie. C'est la confusion des langages. D'une part,
on s'efforce de prouver que les cartels ne sont pas
si faciles à former et qu'ainsi on ne risque pas de
soumettre l'économie allemande à la concentration.
D'autre part, on craint que les revendications des
cartels soient si fortes qu'elles en arrivent à déborder
l'autorité.
Lorsque les adversaires des propositions gouvernementales craignent de voir naître un gigantesque
appareil administratif, ils expriment la conviction
LES CARTELS ENNEMIS DU CONSOMMATEUR
111
que l'économie allemande pourrait en bloc se cartelliser. Je partage, hélas, ce point de vue, et c'est
la raison pour laquelle je tiens pour insuffisants
les projets de loi que j'ai déposés.
Il est extrêmement facile de réfuter l'argumentation qui fait de moi un « dirigiste ». Les reproches
formulés ne mentionnent pas le danger de la bureaucratie privée des cartels, bien que ce dirigisme
soit autrement dangereux qu'une simple autorité
avec pour but d'empêcher la prééminence injustifiée des cartels et par là même de rétablir la concurrence et de ne pas laisser le marché se bloquer.
Un mot aux entrepreneurs.
Je n'ai pas été compris du patronat allemand
au cours des discussions sur la loi contre les cartels.
C'est la raison pour laquelle, en finissant, je voudrais
m'adresser à eux : l'entreprise libre constitue la
pierre angulaire de mon système de l'économie de
marché. Si le patron ne veut plus remplir le devoir
économique de se plier à la concurrence libre, si
l'on établit un ordre qui ne tienne plus compte
de la force, de l'imagination, du courage et des
autres qualités individuelles, si les grandes vertus
ne priment pas les petites, c' en sera bientôt fait
de l'économie d'entreprise.
9
112
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
Je sais que les attaques des collectivistes de
toutes sortes ont pour but de saper la fonction
d'entreprise de l'économie de marché. C'est pour
cette raison que si le patron se trouve pris d'un
désir de collectivisme, il ne fera que précipiter le
moment où on mettra en doute le droit même de
la propriété privée.
Lorsqu'on prend mon irréductible opposition
contre les cartels pour une attitude hostile à l'égard
des patrons, je me refuse à croire au sérieux de cette
accusation. Je suis en Allemagne le plus grand
champion de l'économie privée. Cela fait huit ans
que je combats pour elle, huit années au cours
desquelles j'ai porté la responsabilité de la politique
économique, et j'ai toujours défendu la libre entreprise. L'Histoire montrera que la loi sur les cartels
a été beaucoup plus bénéfique que n'auraient
pu l'être des propositions inconsidérées qui voulaient faire des cartels le bouclier des patrons.
Chapitre VIl.
Les salaires dans l'économie libérale
Lorsque je lutte pour assurer une libre concurrence j'essaye de ne pas entraver les forces bénéfiques qui doivent fournir à l'Allemagne un niveau
substantiel de productivité. Là où il n'y a pas de
concurrence, il arrive nécessairement un moment où
la machine se grippe.
Mais ce désir d'efficience économique n'est pas
un but en soi. Les effets de l'économie de marché
ne sont effectifs que lorsque la baisse . des prix
accompagne la hausse de la productivité, et qu'on
arrive ainsi à obtenir un réajustement des salaires
réels. C'est ainsi que je n'ai pu qu'applaudir en
octobre 1950 les entreprises V olks,vagen qui sont
arrivées à combiner une baisse de prix de 10 o/0
et un~ hausse de salaires de 10 %. C'est le but
même cherché par l'économie de marché.
Soutenir l'économie concurrentielle est un devoir
social : si nous regardons derrière le rideau de fer
nous sommes contraints d'admettre que l'économie
planifiée se transforme rapidement en une économie
de contrainte, et que la part des salaires dans le
113
114
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
produit national est toujours plus basse que dans
l'économie du marché. Il serait d'ailleurs étrange
qu'il n'en soit pas ainsi; non seulement l'appareil
bureaucratique tentaculaire absorbe une part importante du produit national, mais la composition
du produit national montre qu'il ne peut pas satisfaire les besoins des citoyens. Personne ne peut
soutenir que le rendement de l'économie planifiée,
soit, sous l'angle du bien-être social, supérieur à
ce qu'obtient l'économie libérale.
La loi de l'action chez le patron.
Le ministère de l'économie est toujours obligé
de discuter publiquement de l'évolution des salaires,
lorsqu'elle menace de dépasser les possibilités de
l'économie, et qu'elle présente le danger de déborder
les frontières du simple développement de la productivité. J'ai eu à faire face par deux fois à cette
situation, il y a très peu de temps et au moment
de la guerre de Corée. Autrement, je n'ai jamais
élevé d'objections contre l'évolution des salaires.
Je dois redire ici que l'opposition de principe
des patrons aux hausses de salaires non seulement
possibles mais nécessaires à l'équilibre économique,
ne saurait exister dans l'économie de marché. Une
opposition de cet ordre fausse le problème, et elle
me semble un contre-sens. Cependant, dans les
LES SALAIRES DANS L'ÉCONOMIE LIBÉRALE
115
pério-des d'expansion économique les patrons doivent agir socialement et psychologiquement s'ils sont
prêts de leur propre initiative à ajuster les salaires.
Mais il faut se souvenir que les hausses de salaires qui ne trouvent pas de contre-partie dans
l'accroissement de la productivité finissent par
aboutir à la hausse des prix. On admettra aisément
que les travailleurs et les patrons puissent s'entendre
assez bien en période d'abondance, mais toute union
qui ne repose pas sur des raisons économiques finit
par porter préjudice à l'ensemble du corps social
dont les revenus sont moins élastiques ; c'est alors le
tragique de la hausse des prix qui touche avant
tout les biens de consommation les plus essentiels.
Pour juger d'une politique qui ne fait qùe peu
de place à la stabilité du pouvoir d'achat, il faut
prendre garde aux effets économiques d'ensemble
comme aux conséquences antisociales. En Allemagne nous ne pouvons et nous ne devons pas
élever inconsidérément les salaires et les traitements
si nous ne voulons pas porter préjudice à nos
exportations au lieu d'utiliser la bonne conjoncture.
A une époque où nous sentons que nos excédents
d'exportations sont presque une véritable plaie, il
ne faut pas perdre de vue que le monde n'achète
pas nos produits pour nos beaux yeux, mais seulement et aussi longtemps que nous arriverons à
maintenir notre capacité de production. Maintenant
116
LA PROSPÉHITÉ POUR TOUS
que nous sommes incorporés au mouvement de
l'économie mondiale, nous devons comprendre la
politique des salaires en fonction de la politique
générale. Cela signifie que nous ne devons pas
oublier combien nos succès extérieurs dépendent
de la stabilité de notre monnaie et de la confiance
que l'on peut avoir dans sa valeur. Si nous acceptons l'idée d'une tendance inflationniste sans y
opposer de résistance, nous arriverons vite à la
dévaluation et à la hausse des prix qui feront fondre
nos excédents d'exportations comme neige au soleil.
Autant je soutiens que les travailleurs et les
employés doivent prendre part à l'accroissement de
la productivité, autant je m'obstine à penser que
les syndicats, dans leurs revendications de salaires,
doivent faire preuve d'une modération raisonnable qui ne compromette pas notre monnaie, non
plus que le développement de notre économie.
Autonomie et responsabilité.
L'ensemble du gouvernement est décidé à laisser
aux partenaires du dialogue social la liberté de
fixation des salaires et des conditions de travail.
Toutefois cette liberté est forcément liée à une
responsabilité, c'est-à-dire qu'on ne saurait se résoudre. à une politique qui conduirait à la hausse
des prix, à miner le pouvoir d'achat, et à diminuer
LES SALAIRES DANS L'ÉCONOMIE LIBÉRALE
117
les capacités concurrentielles de notre économie. Les
événements qui se déroulent depuis le début de 1955
nous incitent à nous demander cependant si la
croyance que nous avons dans la raison humaine
est encore aujourd'hui absolument justifiée. Les
différences entre les hausses de salaire et le développement de la productivité viennent malheureusement renforcer ces doutes. La productivité en 1956
est montée de 4 % par heure de travail, tàndis que
le salaire horaire brut dans les industries est monté
de 9 o/0 •
Il faut que le gâteau soit plus grand.
Ceux qui consacrent leur attention au problème
de la répartition, sont toujours tentés de vouloir
distribuer plus que la production ne l'autorise. Cela
ne signifie pas que les quota de répartition qui se
pratiquent à l'heure actuelle soient idéals ou « équitables ». Ils sont susceptibles de changement, mais
à long terme. Ces modifications, si elles arrivaient
à court terme, seraient génératrices de discussions
sans fin, de luttes salariales et sans doute de grèves.
Les énergies qu'elles nécessiteraient seraient considérables. Il me paraît beaucoup plus intelligent
d'utiliser ces énergies à augmenter la productivité
pour donner à l'économie un niveau plus élevé. Ce
que je viens de dire est parfaitement illustré par
i18
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
l'évolution du produit national. De 1949 à 1955, le
produit national brut exprimé en prix de 1938 est
passé de 47,1 milliard de D.M. à 85,8. Au cours
du premier semestre 1956 il a atteint globalement
44 milliards de D.M., ce qui est presque aussi haut
que celui de l'ensemble de l'année 1936 qui était
de 47 ,9. Le revenu brut du travail a atteint respectivement 34,5 milliards de D.M. en 1950, 61,36
en 1955 et près de 32 au cours du premier semestre
1956, (et on notera que le premier semestre est
généralement inférieur au second).
A cet égard les taux d'accroissement de la consommation privée sont particulièrement significatifs,
avec une hausse de 5,20 milliards de D.M. entre
le premier semestre 1955 et le premier semestre 1956.
Voici quel serait le niveau de la consommation
privée exprimée en prix de 1936, pour ces dernières
années :
Jer semestre
1952
1953
1954
1955
1956
par
par
par
par
par
rapport
rapport
rapport
rapport
rapport
à 1951
à 1952
à 1953
à 1954
à 1955
+
+
1~037 milliard
1,684 milliard
1 761 milliard
2,182 milliards
2,372 milliards
de
de
de
de
de
D.M.
D.M.
D.M.
D.M.
D.M.
+ 1,844 milliard de
+ 2,040 milliards_ de
D.M.
D.M.
+
+
+·
6,1 %
9,3 %
8,9 %
10,1 %
10 <j'0
2e semestre
1952 par rapport à 1951
1953 par rapport à 1952
9,8
9,9
%
%
LES SALAIRES DANS L'ÉCONOMIE LIBÉRALE
1954 par rapport à 1953
1955 par rapport à 1954
+
119
%
+
1,625 milliard de D.M. 7,1
2,955 milliards de D.M. 12,1
+
21,934 milliards de D.M. 75,5
%
%
Ensemble de l'année :
1955 par rapport à 1949
La grande responsabilité de toute politique sociale
et économique est visible à chaque moment du
développement économique. A l'époque de l'automation, au début d'une époque qu'on peut considérer comme une seconde révolution industrielle,
nous avons en Allemagne comme dans les autres
pays grandement besoin de capitaux. Il n'y a théoriquement que trois moyens d'en avoir. Ou hien
l'on s'adresse au marché libre des capitaux, auquel
n'importe qui peut s'intéresser suivant ses possibilités. C'est l'appel classique à l'épargne. Mais il
y a d'autres possibilités. On peut opérer un financement en agissant sur les prix. Je ne veux pas
croire que les lecteurs puissent penser que ce serait
là une méthode à suivre. Ce serait le commencement
du déclin de notre organisation démocratique. Nous
aboutirions rapidement à une catastrophe.
On peut enfin envisager de faire appel à l'État.
La plupart du temps on ne se demande pas d'où
l'État tire ses moyens d'investissements. Aucun
État ne peut augmenter le capital sans danger
pour la monnaie et pour la stabilité des prix, sans
agir sur les impôts. Chaque citoyen devient par ce
120
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
biais de plus en plus tributaire de l'État. La libre
concurrence tend à disparaître.
Si, du côté des socialistes, la politique active des
salaires et la nécessité des investissements se trouvent être des dogmes, et qu'en même temps l' économie privée ne peut pas résoudre les problèmes
d'automation, il fallut quelqu'imagination pour
admettre qu'ils avaient trouvé là la pierre d' achoppement d'une révolution sociale, et qu'ils pourraient
marier l'économie dirigée et les nécessités d'une
nouvelle évolution technique. Je me borne seulement
à dire : « j'attendais du nouveau! ».
Si nous voulons suivre le chemin que j'ai tracé, nous
devons créer les conditions d'un accroissement capitaliste. Nous n'atteindrons ce but que si le peuple
allemand continue à avoir confiance dans la stabilité
de l'ordre politique, social et économique. C'est le
prix qui est, pour l'homme de la rue, le symbole de la
stabilité. Il est possible que des hausses de salaires paraissent indispensables aux travailleurs, mais si elles
entraînent la hausse des prix, elles sont néfastes
et finissent par se retourner contre les intéressés.
Les hommes sont sur le point de domestiquer
l'atome, mais ils ne pourront jamais transgresser
cette loi fondamentale et éternelle de l'économie qu'il
nous est impossible de consommer plus que nous ne
produisons, ou que nous ne voulons produire.
Chapitre VIII.
Vers le matérialisme ?
Depuis quelque temps on a reproché à la politique libérale de conduire les hommes à un matérialisme corrupteur. Cette thèse exige quelques mises
au point. Nous n'avons pas pour but de construire
dans l'abstrait, nous avons toujours cherché l'enrichissement de l'être humain dans la liberté. En
économie politique, on ne peut créer aucun revenu
sans produire et on ne peut pas davantage produire
sans volonté de consommer ; cette position me
conduit à n'admettre aucun privilège dérivé de la
puissance sociale ou économique. Quiconque essaie
d'utiliser des positions de force doit se rendre
compte qu'il porte tort à quantité d'autres groupes
de la population. Dans cette perspective, je tiens
pour un des devoirs essentiels de la politique
économique moderne d'arriver à dominer les cycles
mécaniques de la conjoncture et d'éviter ses hausses
et ses baisses prolongées. Si on pouvait atteindre
ce but, on arriverait tout près du bien-être absolu,
tout au moins donnerait-on à ceux qui travaillent
les meilleures chances de succès.
121
122
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
Le but suprême de toute économie est certainement de libérer les hommes des nécessités matérielles. Et c'est la raison pour laquelle je pense
qu'il faut accroître le bien-être pour empêcher les
hommes de se noyer dans les difficultés matérielles.
L'accroissement du bien-être crée les conditions
nécessaires pour arracher les hommes à un mode
de pensée primitif et matérialiste.
Tant que l'expansion vise et un meilleur niveau
de vie et une productivité plus grande, l'harmonie
est complète. Mais si la volonté d'expansion implique le danger de voir les hommes exiger de
cette expansion plus qu'elle ne peut produire, c'est
alors, je crois, que les fondements moraux euxmêmes sont mis en cause.
Il n'y a pas en Allemagne de politique d' « austerity ».
L'expansion au sens propre signifie l'augmentation du revenu national brut de la société. Et c'est
ainsi que tous ont la possibilité de participer au
mouvement.
Dans la bourgeoisie on est accoutumé de dire :
« Un vagabond donne plus qu'il n'a! » Ce n'est
pas le cas en économie politique. Dans les époques
de haute conjoncture, il faut justement s'attacher
à délimiter au plus juste la consommation de chaque
VERS LE MATÉRIALISME
?
123
individu. J'espère que personne ne va insinuer que
j'ai pratiqué en Allemagne une politique d'austérité. Après tous mes efforts des dernières années,
on ne devra pas dire que j'ai fait de la politique
restrictive mes visées suprêmes, ou que j'ai eu
pour but de ralentir la conjoncture. Le succès de
notre politique économique réside essentiellement
en ce que nous avons toujours cherché les solutions
des problèmes dans l'expansion la plus dynamique.
A l'avenir nous ne dérogerons pas à cette loi.
Un peuple affamé, réduit aux dernières extrémités
et qui a dû être privé de toute liberté individuelle
par la puissance sans entrailles du dirigisme d'État,
a retrouvé dans un temps record la vie et la liberté.
Quoi de plus humain que de vouloir jouir de cette
liberté retrouvée?
En outre, les nouvelles évolutions sociales ont
élevé l'employé au-dessus de son niveau matériel.
Au cours de cette transformation il était bien
normal, et même inévitable, qu'augmente le nombre
de ceux qui pouvaient parvenir à un standing de
vie plus élevé. Je me suis toujours efforcé de développer cet état de choses, et je suis heureux du succès.
J'inscris à notre actif l'élévation matérielle du
travailleur allemand et des autres couches sociales
de notre peuple. C'est un succès politique, social
et économique. Le poste de radio, l'aspirateur et le
frigidaire sont-ils mieux à leur place chez le riche
124
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
que dans le logement du travailleur? Peut-on dire
qu'il s'agit chez le riche d'un signe de culture et
chez le pauvre d'un signe de matérialisme? Le
bruit mis à part, je ne vois pas la différence de
signe de culture qui sépare un scooter d'une auto.
Contre la fausse intolérance.
Rien ne sert de mépriser certaines expressions
courantes parce qu'elles nous semblent trop primitives. Il est incontestable que la libre consommation
fait partie des libertés inaliénables. Rien n' empêchera de penser que la pauvreté est le moyen le
plus sûr de laisser l'homme s'étioler au milieu des
difficultés quotidiennes.
C'est donc avec confiance que nous pouvons
laisser évoluer le processus de l'expansion économique car ce qui peut ·nous paraître aujourd'hui
un abus porte en soi le germe du salut. Nous ne
serons pas assez cruels pour dire que la vertu ne
pousse que dans la misère ; nous préférons penser
que nous nous montrerons dignes du bonheur qui
résulte d'un travail paisible.
Loin de moi l'idée de surestimer « la fonction
économique » ; je suis persuadé que tant pour
l'individu que pour le peuple, il est indispensable
d'avoir une économie bien rodée pour atteindre
VERS LE MATÉRIALISME
?
125
un niveau supérieur et la satisfaction des aspirations
spirituelles et intellectuelles. L'homme a besoin
d'être dégagé des soucis matériels pour pouvoir
se consacrer aux intérêts plus relevés.
Il est certain que dans la vie courante le matériel
et le spirituel n'ont pas de frontières bien définies.
Le progrès technique favorise et développe la puissance intellectuelle. Il est certain aussi que lorsque
nous parlons d'un mieux à atteindre, nous n'envisageons pas seulement un accroissement de la consommation des côtelettes et des beafsteaks, mais
c'est une considération contre laquelle, nous autres
économistes, nous ne pouvons pas grand-chose.
Le cas spécial de l'Allernagne.
Il nous appartient de favoriser les tendances
qui incitent les individus et les groupes à vivre
autrement que d'une vie mécanique. Mais ce n'est
pas une tâche facile.
Le peuple allemand est peut être enclin à perdre
assez vite le sens des réalités de la vie. C'est une
faiblesse de caractère qui tout dernièrement encore
nous a été fatale. Cette faiblesse s'est révélé au
cours de notre résurrection et même pendant la
haute conjoncture. Il s'agit pour nous de la dompter
afin que notre peuple, qui déploie en période de
126
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
misère de si admirables vertus, soit à la hauteur de
sa prospérité.
Ce serait bien là la conséquence la plus insensée
que la politique économique freine le développement
de la conj on ct ure sous prétexte que celle-ci rend
le peuple amorphe.
L'appétit vient en mangeant, et il est normal que
de nouveaux besoins soient nés de la prospérité.
Ces mêmes individus qui sont mécontents de leur
sort en 1956 n'auraient certainement jamais espéré
en 1947 et 1948 atteindre la position qu'ils occupent
aujourd'hui. Cela ne les empêche pas de se plaindre.
L'Allemand apparemment supporte mal que son
voisin ou son ami aient une situation meilleure que
la sienne. Et c'est là un des grands dangers qui nous
menacent.
Les buts ultimes.
On m'a souvent posé la question relative aux
buts suprêmes de ma politique. On a toujours
laissé paraître une certaine crainte : c'est que le
progrès finisse par aboutir à une sorte de décadence individuelle.
Ma réponse est simple : je ne crois pas que nous
soyons en présence d'une loi éternelle. La question
est de savoir s'il est toujours utile d'avoir plus de
biens de consommation, plus de confort, ou s'il
VERS LE MATÉRIALISME
?
127
n'est pas plus raisonnable de renoncer à ces choses,
pour gagner plus de liberté et plus de grandeur. Mais
ces questions, qui sont du ressort du théologien, ne
sont plus du domaine du ministre de l'économie.
Ces problèmes sont complexes, et posent de graves
questions, dont celle-ci : les hommes d'aujourd'hui
sont-ils suffisamment évolués et prêts à jouir de
leurs loisirs? Mais on peut toujours penser que 'plus
de liberté implique plus de vie. On ne peut pas tout
prévoir, construire et organiser; les choses doivent
se faire naturellement, par une sorte de nécessité
organ~que.
Mais ceux qui pensent qu'il faut moins travailler
pour pouvoir consommer davantage sont dans l'erreur. Si le processus de développement finit par
amener le peuple à penser que l'enrichissement
spirituel est indispensable, nous serons amenés dans
l'avenir à modifier notre politique. Nul ne peut
être assez dogmatique pour vouloir distinguer le
salut dans la seule expansion matérielle.
Mais nous n'avons pas pour l'instant à nous
préoccuper de ces questions. Lorsque nous faisons
le parallèle entre les États- Unis et l'Allemagne,
il nous est possible de mesurer combien nous avons
encore à accroître le bien- être, la libération
des hommes de tous soucis matériels. Je pense
pour ma part qu'il faut libérer les millions d'hommes
du souci matériel qui les accable.
10
Chapitre IX.
Psychologie du mark et du pfennig
« Il arrive qu'on puisse modifier par des moyens
psychologiques le comportement économique de la
population, mais ces effets psychologiques deviennent une réalité économique, et remplissent le
même but que les autres mesures de la conjoncture
économique. »
Je prononçais ces paroles le 19 octobre 1955 au
Bundestag ; on y retrouve cette idée qui m'est
chère, qu'il faut travailler avec toute une gamme
d'effets psychologiques, pour disposer d'un moyen
d'action, adapté aux mesures classiques de la politique économique.
Sous l'angle purement théorique, cette sorte
d'essai d'influence indirecte n'est pas inclus dans le
système de l'économie de marché. Je ne vois cependant pas pourquoi on serait esclave des dogmes.
On m'a souvent reproché d'être esclave des
systèmes. On ne devrait cependant pas m'en vouloir
si, ministre de l'économie, je m'écarte quelque peu
128
PSYCHOLOGIE DU MARK ET DU
PFENNIG
129
des dogmes. Ce n'est pas un recul devant l'ordre
de l'économie de marché. Simplement, les lois et
les événements économiques ne sont pas intangibles, et la politique économique n'a rien d'automatique ; elle est au contraire le produit de spéculations tout humaines.
Je m'élève seulement contre ceux qui prétendent
que l'on ne saurait concilier l'utilisation de la psychologie et les conditions de l'économie de marché
de style classique. Je ne prétends pas qu'il faille
accepter comme argent comptant, comme intangibles les règles du jeu d'une économie libérale
purement orthodoxe d'après laquelle seule l'offre
et la demande déterminent le niveau des prix. Ma
position est même fondamentalement opposée. Un
État moderne et responsable ne peut pas se contenter d'un simple rôle de veilleur de nuit. Cette
liberté mal comprise serait génératrice de désastres.
On comprendrait d'autant moins cette attitude, qu'il
est impossible de fixer réellement des prix susceptibles d'être acceptés par tous hors des frontières
à cause de l'inconvertibilité de la monnaie, et qu'on
ne peut pas arriver à une harmonisation de la
concurrence. La Banque des Pays allemands comme
le gouvernement fédéral ont la responsabilité de la
stabilité monétaire. Il me serait possible d'atteindre
aux mêmes buts que la Banque avec ses moyens
financiers, le crédit et la politique monétaire. Ces
130
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
moyens s'efforcent de maintenir dans la bonne
direction le cours des événements. Si, grâce à des
effets psychologiques, je puis modifier l'état d'esprit
des gens, je peux modifier les données économiques
et la conjoncture en les engageant dans une voie
que je connais. Peu importent au fond les moyens.
Ceux qui comme moi considèrent la raison humaine
comme le facteur essentiel, peuvent bien être sûrs
qu'on fera à l'influence psychologique une place
importante dans l'arsenal des moyens libéraux.
Lorsque commença la période de haute conjoncture, je m'aperçus, avec la Banque des Pays allemands, que ce n'était pas le nifJeau effectif des prix
qui se détériorait, mais leur climat. Nous avions
affaire à un simple phénomène psychologique. Le
danger ne venait pas de la conj on ct ure mais des
fausses appréciations qu'on pouvait faire des possibilités et des chances d'un enrichissement matériel.
Ce n'était pas les choses mais les hommes qui
étaient en cause. Entre temps, cette situation ne
s'est pas essentiellement modifiée.
La conscience des prix contre le danger de l'inflation.
Je n'ai pas seulement présenté cette raison économique en la prêchant dans les meetings, mais
PSYCHOLOGIE
DU MARK
ET
DU
PFENNIG
131
j'ai cherché surtout à mobiliser des forces contre
le mouvement des prix.
Mon but a toujours été le même; je voulais
constituer en Allemagne une opinion publique qui
fasse de chacun un acheteur intelligent capable de
savoir si l'objet qu'il désire acquérir est vraiment
à son prix réel, à sa vraie valeur. Il est possible
qu'on doute du résultat. Mais on devra reconnaître
qu'il a dû être suffisamment atteint pour permettre
aux prix allemands d'être au niveau actuel c'est-à-dire bien inférieurs à ceux de nombreux
autres pays. On peut s'en persuader d'ailleurs
en jetant les yeux sur l'évolution effective du coût
de la vie.
Indice du prix de la Pie ( 1950
Juin 1950
Décembre 1950
Juin 1951
Décembre 1951
Juin 1952
Décembre 1952
99
101
108
112
109
110
=
100)
Juin 1954
Décembre 1954
Juin 1955
Décembre 1955
Juin 1956
Décembre 1956
108
110
109
112
113
114
Dois-je ici répéter ce que j'ai si souvent dit au
cours des dernières années? La stabilité monétaire
restera assurée. De même que le médecin donne
un bacille inoffensif comme antitoxine, je désire
avec mes constantes déclarations sur les prix
132
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
empêcher le déclenchement d'une maladie économique. Il faut s'immuniser contre l'inflation. Il ne
s'agit pas d'une prière pour homme malade; je
rappelle simplement que c'est l'attitude et la
réaction des gens qui restent le phénomène essentiel.
Chapitre X.
L'État-providence. L'illusion moderne
Les impératifs que nous avons toujours suivis
sont la liberté économique et la stabilité de la
monnaie. Une politique sociale qui ne tiendrait
pas compte de ces deux impératifs, serait le pire des
dangers et compromettrait l'économie libérale.
Je suis resté souvent affligé en voyant combien
ces derniers temps les appels à la sécurité collective
devenaient pressants. Comment assurer le succès
si nous prenons de plus en plus le chemin d'une vie
collective où plus personne n'est responsable et
où tout le monde désire trouver sa sécurité au
moyen de la collectivité?
J'ai déjà condamné cette sorte de fuite devant la
responsabilité personnelle lorsque j'ai dit que nous
risquions alors de glisser dans un ordre où chacun
aurait la main dans la poche de son voisin.
L'aveuglement et la nonchalance intellectuelle
avec lesquels nous nous habituons à l'État-Providence, ne peuvent mener qu'à notre perte.
133
134
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
On finirait par voir disparaître une grande partie
des vertus humaines, la responsabilité, l'altruisme,
et l'on serait conduit petit à petit à un État qui
serait peut-être sans classes, mais qui serait à coup
sûr sans âme : une mécanique.
Certes, ce processus paraît impensable ; il nous
semble sur le moment, absurde, parce que dans la
mesure où le bien-être s'accroît, et où augmente
la sécurité économique, le fait de vouloir assurer
ces acquis contre l'avenir nous voile toute autre
espèce de considération. C'est là vraiment qu'on
trouve une erreur tragique ; car on ne veut pas
reconnaître que le progrès économique et le bienêtre sont incompatibles avec l'économie collectiviste.
L'illusion du besoin de sécurité.
En dernière analyse, de telles pensées aboutissent
à des résultats complètement antisociaux. En ce
qui me concerne, je m'obstine à tenir pour moralement mauvaise une politique qui, de quelque
façon que ce soit, donne à l'État la propriété du
capital.
Celui qui ne craint pas de pousser loin l'analyse,
reconnaîtra l'illusion du besoin de sécurité. Le
citoyen ne peut pas atteindre à une sécurité véritable plus grande que celle que nous acquérons
L'ÉTAT-PROVIDENCE. L'ILLUSION MODERNE
135
nous-mêmes par la production. Cette vérité fondamentale ne résultera pas d'un procédé collectiviste.
L'effort nécessaire pour libérer le peuple de trop
d'influence étatique et de trop de dépendance serait réduit à rien ; la liaison avec la collectivité serait
toujours plus forte. La fausse sécurité qui attache
l'individu à l'État ou à d'autres collectivités serait
vraiment payée trop cher. C'est également une
erreur de croire que le chemin qui mène à l'ÉtatProvidence sera parcouru si la sécurité collective
procédait complètement ou partiellement de l'État
au moyen de différentes techniques fiscales. On
demande la sécurité obligée, et on finance les productions par les contributions.
On peut aussi poser une simple question : est-ce
que l'ingérence de l'État et des collectivités dans
la vie de l'individu a vraiment contribué à accroître
sa sécurité, à enrichir sa vie, à diminuer son angoisse? On peut répondre par la négative.
Les limites de la Sécurité sociale.
On peut voir, à l'importance prise par la sécurité
sociale, combien au cours des années passées les
principes et les formes économiques ont évolué, et
à quel point les structures de politique économique
se sont modifiées. Les conditions de vie du travail-
136
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
leur allemand se sont infiniment améliorées depuis
l'époque bismarckienne. Cependant, la protection
obligatoire de l'État s'arrête au moment où le citoyen et sa famille sont capables de faire face individuellement à leurs problèmes. Ceci est le cas pour
toutes catégories d'employés qui possèdent un revenu suffisant et qui par là même sont capables
d'acquérir dans l'économie ou l'administra ti on des
positions de responsables. Il est certain que la guerre
et la réforme monétaire ont donné naissance à un
désir de sécurité collective. Mais il serait faux de
croire que cette assurance artificielle est valable
pour la totalité des risques de la vie.
Il résulte de ce qui précède qu'on souhaite limiter
l'importance de la sécurité collective, c'est-à-dire
la réduire à des proportions plus modestes. Pour
éviter tout malentendu, je confirmerai ici que je
considère comme un devoir essentiel de la société de
subvenir aux besoins de ceux qui, accablés par la
vieillesse, se trouvent sans le secours de leur épargne
à la suite d'inflations. Il ne faut pas faire dans ce
cas de différence sociale : les vieux travailleurs
comme les employés doivent être traités sur le même
pied, de même que les professions libérales. Mais le
problème particulier né du sort même de l'Allemagne ne doit pas nous amener à nous substituer à
la famille par le truchement de la sécurité sociale. On
finirait à la limite par la dévaluation et _l'inflation.
L'ÉTAT-PROVIDENCE. L'ILLUSION MODERNE
137
Refus de solutions anachroniques.
Au cours de ces dernières années nous avons
péniblement vécu dans l'éparpillement de la puissance économique et dans une situation caractérisée
par l'esprit de caste, un esprit de vase clos. Il en
est résulté un égotisme corrupteur et anachronique,
d'autant plus qu'au même moment nous cherchions
enfin à nous libérer du carcan du protectionnisme
et de l'égoïsme nationaliste, pour retrouver les
formes d'une vie humaine et sociale.
Toutefois, ces politiques posent un autre problème. L'essai est voué à l'échec qui consiste à
utiliser la sécurité sociale de la classe des employés et des ouvriers pour alimenter le fonds
vieillesse des professions libérales. Quoi qu'il en soit,
toutes ces considérations ne sont pas sans rapport
avec la réforme des rentes si discutée, qu'il s'agisse
d'une rente indexée, d'une rente proportionnelle au
salaire, ou de toute autre combinaison. Ce qui est
important c'est que la rente suive les fluctuations
économiques. Cette rente mobile dépend de l'idée
de productivité accrue contenue à notre sens dans
l'économie libérale. Elle est née de l'expérience
générale qui veut que l'accroissement de la produc
tivité s'exprime moins dans la baisse des prix que
138
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
dans la hausse des salaires nominaux. Une rente
ainSI indexée reste valable tant que rien ne vient
troubler la stabilité de la conjoncture et de la
rnonnaie.
La bonne politique sociale exige la stabilité monétaire.
On s'est souvent fondé sur un adage erroné :
« La stabilité de la monnaie n'a pas besoin de s'occuper de la politique sociale. » Il me semble impossible et même criminel de vouloir instaurer un
ordre nouveau, tel que la réforme des rentes, en
spéculant sur des catastrophes inflationnistes possibles. C'est une immense erreur de croire qu'un
peuple ou un État puisse enclencher un mécanisme
inflationniste et se protéger en même temps de ses
conséquences. Il faut au contraire tout faire pour
éviter l'inflation ; celle-ci ne nous menace pas
comme une malédiction ou un tragique destin : elle
vient simplement d'une politique mal conduite.
Si on étendait au domaine des rentes une politique des salaires qui aurait pour conséquence une
hausse permanente des prix, on arriverait à compromettre la stabilité monétaire et à précipiter le
désastre.
Au cours du paragraphe sur les rentes indexées,
j'ai clairement fait comprendre qu'il serait illusoire
L'ÉTAT-PROVIDENCE.
L'ILLUSION ::\IODERNE
139
de vouloir écarter l'idée d'une rente mobile. Il est
évident que le minimum vital dépend essentiellement des fluctuations économiques ; c'est ainsi
que se trouve justifiée l'idée de la rente mobile.
Concluons en disant que la sécurité sociale est
bonne et même hautement souhaitable. Mais elle
doit naître de son propre chef et des résultats
même de l'économie. Elle n'est pas comparable à
l'assurance sociale pour tous. On doit trouver au
départ une responsabilité personnelle et là où elle
n'existe pas, c'est l'État ou la société qui doivent
intervenir.
Mais nous serions peut-être mieux à même de
secourir mainte misère si, au lieu de nous orienter
délibérément vers un colJectivisme social, nous
adoptions une attitude résolument sociale. Puisse
cet avertissement être entendu.
Chapitre Xl.
L'Économie libérale et le 'réarmement
.Le réarmement doit se faire sans que notre écoM
nomie puisse en souffrir. Depuis qu'il a été question
de réarmer l'Allemagne, je n'ai cessé de répéter
ce point de vue. Il ne s'agissait pas là de dogme,
mais du souci de protection de notre sécurité économique et sociale. Le sens de toute contribution
à la défense reste de maintenir et même de renforcer la liberté de l'Occident. Il serait vraiment
absurde de supprimer cette liberté en contribuant
à la défendre.
Ce postulat qui veut concilier l'économie libérale
et la défense est bien autre chose qu'une simple
théorie. Il conduit à des réalisations concrètes.
Nous n'avons que trop souffert de l'inflation, et
il ne nous semble pas utile de la faire subir une fois
encore à notre peuple. Il faut s'opposer absolument
à ce que le coût d'un réarmement puisse affecter
la valeur de notre monnaie. Le financement du
réarmement se fera en influant sur le pouvoir
140
L'ÉCONOMIE LIBÉRALE ET LE RÉARMEMENT
141
d'achat c'est-à-dire avec des impôts, et non en
maniant la planche à billets.
La stabilité monétaire n'est pas menacée.
Depuis des années, notre économie supporte des
frais d'occupation qui s'élèvent à environ 7 milliards de marks, sans que la stabilité monétaire
ou économique en ait été affectée. L'effort de défense
s'élèvera à environ 9 milliards de marks par an. Personne ne pourra prétendre, malgré toutes les critiques
qui ont été adressées jusqu'ici, que ce compte ait
été outrepassé. Cette charge de 2 milliards de marks
chaque année est à couvrir par un accroissement annuel du produit national, accroissement qui fut ces
dernières années, de 10 à 20 milliards de D.M.
(1953 : 143,8 milliards ; 1954 : 153,9 milliards ;
1955 : 175,6 milliards; 1956 : 192,5 milliards).
Cette augmentation de 2 milliards ne doit pas
pour autant être sous-estimée ; cependant on peut
l'envisager avec confiance car elle n'est pas une
menace pour la stabilité monétaire. Nous avons
réussi à payer les frais d'occupation sans que pour
autant la reconstruction allemande se trouve entravée ou soit devenue impossible, nous réussirons aussi à payer notre réarmement.
Si nous avons fait le rapprochement entre l' éco-
142
;
;
LA PROSPERITE POUR TOUS
no mie libérale et l'économie de réarmement, il faut
ajouter qu'on peut également faire un parallèle avec
la production des biens d'armement; c'est-à-dire
qu'ils doivent être soumis à la règle du jeu de
l'économie libérale. Dans quelque domaine que ce
soit, il faut faire place à la fonction du marché
libre. C'est la raison pour laquelle je suis d'avis
d'adopter le principe de l'adjudication publique.
Elle présente la même sécurité que dans le secteur
civil en ce sens que chaque intéressé peut faire
so~ offre et que celui qui emporte l'adjudication
est en mesure de livrer la marchandise au meilleur
prix. Ce procédé peut s'étendre à tous les domaines
économiques. Toutefois, dans le cas très spécial des
biens d'armement on peut ne pas suivre cette voie.
Mais la mise en adjudication publique constitue le
principe d'achat le plus important de l'économie
libérale. C'est pour cette raison que je refuse
d'admettre que cette méthode puisse être tenue
pour responsable des retards de livraison : il faut
les imputer au bureaucratisme paralysant.
Il est évident que dans le cas de petites quantités on n'aura pas recours à l'adjudication, mais
au magasin. On peut toujours arriver à saboter
un principe exact. Toute adjudication postule une
certaine quantité d'offres, elle ne se justifie donc
plus là où il n'y a pas de marché, comme c'est le
cas pour les chars. Mais alors là on devrait procéder
~-.
L'ÉCONOMIE LIBÉRALE ET LE RÉARMEMENT
143
au choix des fabricants suivant les principes de
l'économie de marché.
Clearing européen d'armement.
La création d'une industrie d'armement nationale
pose de très graves problèmes, aussi bien du point
de vue de l'épargne que du point de vue des investissements. Ce qu'on investit dans cette industrie
y reste bloqué~ C'est là une idée qui semble élémentaire, mais c'est une immobilisation bien lourde
pour un pays dont le marché des capitaux s'est
reconstitué si péniblement. C'est la raison pour
laquelle j'ai proposé une sorte de clearing des
armements en Europe. Malheureusement, les premiers essais de travail en commun n'ont donné
jusqu'ici aucun résultat concret. Les points de
vue sont trop contradictoires : les uns pensent que
l'Allemagne se réarme trop, d'autres qu'elle ne
fait aucun effort en ce sens.
Maintenant que nous avons enfin une idée des
besoins en matériel des forces armées allemandes,
on ne peut que réitérer l'appel à un partage systématique de la production occidentale. Ce souhait
d'entente européenne qui prévaudrait sur une autarcie nationale est né aussi d'autres conditions
économiques. Il serait possible de faire une pro11
144
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
duction rationnelle et de créer les conditions d'une
production en série avec des coûts d'exploitation
moindres. Ces mesures présenteraient l'avantage de
diminuer les excédents de notre balance commerciale et de notre balance des paiements.
Agir au lieu de parler.
Les cas sont rares, jusqu'à ce jour, où l'on voit des
produits réalisés en coopération européenne ; même
pour le choix de prototypes on a à peine dépassé le
stade des évaluations. Mais cette situation regrettable peut encore évoluer. Je suis persuadé que dans
ce domaine justement nous avons une occasion
unique d'arriver à réaliser une coopération féconde
sans qu'il soit besoin pour cela d'avoir recours
pendant des années à des conférences d'experts
en vue de l'élaboration de contrats compliqués :
nous disposons déjà d'un cadre d'organisation et de
technique. Cela ne signifie pas que des commandes
concernant la recherche et le développement de la
technique ne soient pas données à l'Allemagne ; ces
travaux de recherches sont d'un prix inestimable
pour toute économie moderne. Lorsque ces commandes sont passées à l'économie privée il convient
d'éviter qu'on aboutisse à des monopoles; un tel
résultat serait tout à fait contraire à l'économie
L'ÉCONOMIE LIBÉRALE ET LE RÉARMEMENT
145
de marché et à l'esprit de coopération européenne.
Les interférences des nécessités du réarmement
et des principes de l'économie de marché vont
permettre de répondre aux questions qui se posent
dans des centaines de cas. Par exemple : l'entrée
de l'Allemagne occidentale dans l'O.T.A.N. implique
l'existence de certains stocks. Charger l'État de
constituer ces stocks reviendrait à l'obliger à construire des entrepôts énormes, ce qui serait contraire
au principe même de la libre initiative. Exercer une
pression quelconque sur l'industrie privée pour
l'obliger à constituer elle-même ces stocks serait
également contraire à l'économie libérale. Il faut
donc s'efforcer d'offrir à l'économie des exonérations
fiscales pour obtenir une décentralisation des entrepôts telle que la souhaitent les experts militaires.
L'impulsion de la conjoncture n'est pas utilisable.
Le désir d'intégrer harmonieusement le secteur
du réarmement à l'ensemble de l'économie a aussi
ses conséquences sur le plan administratif. C'est
pour cette raison que j'ai favorisé la formation
du « Comité des Six >> au sein duquel le n1inistère de
l'Économie et le ministère de la Défense nationale
ont toute facilité pour discuter des questions intéressant ces deux secteurs.
146
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
Le peuple allemand ne devrait jamais oublier
qu'au cours des décisions qu'elle a prises, la République fédérale ne s'est jamais laissée aller à lier
le réarmement à des considérations de conjoncture.
Ce ne sont pas des raisons économiques mais
exclusivement de graves considérations politiques
qui nous ont guidés.
Nos efforts nous confirment dans le sentiment
que nous appartenons au monde libre et dans la
certitude que nous pouvons sauvegarder la paix.
Chapitre Xli.
Station Europe
Le 2 septembre 1956, je déclarai à l'ouverture
de la Foire internationale de Francfort que l'intégration de l'Europe était une chose nécessaire. Mais,
la meilleure intégration de l'Europe ne repose pas
sur la création de nouveaux fonctionnaires et de
nouvelles administrations ; elle dépend au premier
chef du rétablissement d'un ordre international libre
et surtout de la libre convertibilité des monnaies.
Si difficiles que soient les problèmes et si obligés
que nous soyons de trouver des solutions, il ne faut
pas oublier que le premier succès et la première
solution valable du problème posé par le pool
charbon-acier réside dans l'obligation de pratiquer
une intégration totale. Avant tout nous devons
poser les principes d'une véritable intégration. A
mon point de vue, ils résident surtout dans la politique monétaire. Il s'agit de créer des rapports
matériels et humains qui ne puissent pas être
séparés pour être ensuite arbitrairement renoués. A
H7
148
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
ce propos, une autre idée mérite aussi d'être signalée:
il semble qu'on assiste aujourd'hui à un mouvement
de recul devant la concurrence, lié à la création d'un
marché commun. On s'imagine que les conditions
d'une libre concurrence sont incompatibles avec
une telle intégration. On devrait donc d'abord
aplanir toutes les différences avant que de laisser
fonctionner la libre concurrence. C'est du moins
ce que pensent certains économistes.
De tels essais pourraient peut-être, dans des
limites très étroites, conduire à un certain succès.
Mais il est absolument illusoire de vouloir créer les
mêmes conditions de départ dans un monde soumis
à la libre concurrence. Vouloir s'efforcer d'atteindre
ce but, reviendrait à créer soit du dirigisme, soit
une sorte de dilettantisme qui seraient l'un et.
l'autre nécessairement stériles.
La Sicile n'est pas la Ruhr.
Si l'on voulait essayer d'harmoniser tous les
coûts entre les pays et s'entendre pour que la concurrence ne produise aucune espèce de trouble, on
n'aboutirait pas à l'intégration, mais au contraire
à une désintégration catastrophique.
Il est indéniable que tout point faible sur le
plan national finit par avoir des répercussions sur
STATION EUROPE
149
les rapports avec les autres États. Mais cette idée
ne doit pas conduire à donner à n'importe quel
pays le droit d'inviter ou de contraindre son partenaire du marché commun à adopter rapidement les
principes douteux qui sont en vigueur chez lui.
Ce terme d'harmonisation signifie qu'à la fin de
la période transitoire on atteindra, dans les États
membres, le même niveau de salaires et une équivalence des coûts du travail. Inutile de s'arrêter à
cette proposition, parce qu'il n'est pas possible de
trouver entre la Sicile et la Ruhr la même productivité et par là les mêmes coûts de travail. On
arriverait à un véritable suicide économique. Les
coûts des salaires sont le résultat d'une productivité
et non la condition d'une même capacité de production.
Personne ne peut croire qu'il soit possible d'atteindre, dans tous les pays, le même standing de
productivité. Toute exigence de ce genre traduirait
vraiment une méconnaissance illuminée des lois
économiques, mais elle traduit en même temps une
atmosphère intellectuelle qui ne doit pas se faire
jour dans une Europe intégrée, à moins d'étouffer
l'initiative humaine et la puissance créatrice. Il
serait tout à fait illusoire de croire qu'on peut, avec
des moyens artificiels, corriger les conditions structurelles de pays à pays et par là même arriver à la
même richesse avec les mêmes coûts.
150
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
A l'encontre de toutes ces théories, je ne puis
que redire ici que ce romantisme social est excessivement dangereux.
Contre une organisation bureaucratique de l'Europe.
Une Europe qui ne croirait plus à la valeur
humaine, ni à la liberté, serait désormais sans
valeur dans le monde. Une organisation bureaucratique de l'Europe avec tout ce que cela comporte
de malentendus et de matérialisme serait beaucoup
plus dangereuse qu'utile. Devant ces dangers
politiques liés à une fallacieuse harmonisation sociale, la conception économique n'est pas discutable. L'harmonisation sociale ne se trouve pas au
début, mais à la fin de l'intégration. Elle procède
d'un synchronisme des formes de vie dans le
rythme d'une intégration toujours en progrès. Bien
que j'approuve l'idée d'un marché commun, je pense
que dans une Europe intégrée les conditions de vie
et de production n'auraient pas intérêt à être
standardisées : le marché commun n'est pas un
marché uniforme.
Du point de vue économique, il s'agit de ne pas
considérer l'Europe comme une institution mais
comme une fonction. Mais alors que pouvons-nous
faire pour permettre à l'Europe de développer ses
STATION EUROPE
i51
libres fonctions? Il est triste de devoir constater
que nous sommes incapables de concevoir l'ordre
en dehors de la notion d'organisation. Cela ne
signifie pas que je sois ennemi des alliances européennes, je les considère au contraire comme nécessaires si l'on veut éviter que l'intégration aboutisse
à un dirigisme supra-national.
L'Europe est avant tout un complexe économique
et politique. Il semble peu réaliste de prévoir que
certains domaines de la souveraineté nationale
puissent être placés sous le contrôle d'une autorité
supra-nationale, et qu'à partir d'un moment donné
cette influence supra-nationale se substitue automatiquement aux compétences des gouvernements
nationaux. La fonction économique ne peut être
répartie sur des compétences diverses; le résultat
de cet essai serait probablement une grande confusion dans le domaine économique.
L'extension des compétences supra-nationales a
peut-être une signification politique, mais elle n'est
guère propre à résoudre les problèmes économiques.
A cet égard, il conviendrait peut-être de dire un
mot des espérances de certains économistes planificateurs qui, n'ayant pu imposer leurs idées et
leurs idéologies sur le plan national, risquent de les
voir se réaliser sur le plan européen. D'après les
expériences faites sur le plan national, les principes
de cette économie sont également inadaptés à
152
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
l'échelle européenne. Ma conception du bon Européen est que cette communauté d'action et d'attitude doit être une obligation pour tous les intéressés.
Les succès de l'Union Européenne des Paiements.
Le centralisme, et la conception qu'il implique,
doivent nécessairement conduire à un examen des
institutions européennes. On a parlé du Pool Charbon-Acier dans la mesure où sa signification politique est celle d'une ouverture à une intégration
européenne rapide. Les thèmes et les motifs sonnent
bien dans sa partition. Ce n'est pas la faute du
Pool si cette attente n'a pas été comblée, et il est
laissé à l'appréciation individuelle le soin de savoir
s'il a contribué à créer l'Europe. Indépendamment de ce facteur politique, le Pool a rempli dans
son domaine un travail indiscutablement très utile.
Pour ne pas encourir le reproche que la forêt
nous empêche de voir les arbres, nous parlerons des
grands succès de l'U.E.P. Ce système multilatéral
a permis aux états de se libérer de la contrainte des
échanges bilatéraux et de faire faire un pas décisif
aux forces économiques de l'Europe. Les statistiques d'ailleurs vont le prouver. Les exportations
de la République fédérale dans le cadre de l'U.E.P.
153
STATION EUROPE
sont passées de 6,32 milliards de D.M. en 1950
à 21,96 milliards en 1956.
Commerce extérieur dans le cadre de l'U.E.P.
1950
lm port.
Export.
1951
1952
1953
1954
7,87
8,87 10,15 10,62 12,3
6,32 10,63 12,19 13,24 15,78
1955
1956
15,49 16,82
18,53 21,96
Le commerce entre les pays membres de l'O.E.
C.E. est passé de 17,5 milliards de dollars à 30 milliards en 1954, et à 34,76 en 1955, et à 18,06 milliards
de dollars dans le seul premier semestre de 1956.
Mais, où est donc le défaut de l'Union Européenne
des Paiements? Il réside en ce que les économies
particulières rattachées à l'U.E.P. ne peuvent être
contraintes à l'ordre économique et financier au
sens de la stabilité intérieure de l'économie et de
la monnaie. A l'U.E.P. les susceptibilités nationales
continuent à jouer. Aucun État européen n'est
prêt à se soumettre à une ligne directrice. L'U.E.P.
peut bien faire des suggestions, en fait elle ne peut
pas passer aux actes dans le cadre national.
Cette critique adressée à l'Union Européenne des
Paiements ne devrait cependant pas faire oublier
la reconnaissance que nous devons avoir envers
cet organisme. Ce fut le grand succès de l'U.E.P.
que de transformer les rapports bilatéraux en
échanges multilatéraux. C'est en cela que l'U.E.P.
nous a sortis de l'impasse.
154
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
Le bilatéralisme est un non-sens.
On ne saurait contester que le bilatéralisme ne
peut aboutir à des résultats satisfaisants. On ne
peut concevoir que les besoins ~t les souhaits de
deux pays soient, du point de vue de la politique
d'exportation, si harmonisés et organisés qu'il puisse
y avoir un équilibre qui contente les partenaires.
Il y a toujours des mécontents, car le volume total
des échanges bilatéraux s'aligne sur les possibilités du partenaire le plus faible. C'est ainsi qu'il
est impossible d'atteindre à une coopération optimum entre les économies. L'activité de l'U .E.P.
et de l'O.E.C.E. doit être jugée à la politique des
frontières qui a dirigé les desseins de ces deux
institutions. Dans la mesure où nous avons progressé
dans notre libéralisme, nous avons pu constater
que tant qu'il y aura des prescriptions sur la législation des devises, lew but visé ne sera pas atteint.
Mes lecteurs peuvent se demander quelle idée je
me fais de l'Europe naissante. Au début d'une
tentative qui essaie de développer les points de vue
les plus concrets, on devrait inscrire la phrase
suivante : « Tous les efforts d'intégration politique
et économique sont voués à l'échec si en fin de
compte les participants ne trouvent ni le courage,
STATION EUROPE
155
ni la force d'adopter une libération progressive des
marchandises, des services et des capitaux, une
destruction complète des frontières et de tous les
systèmes protectionnistes. »
Qu'on me laisse maintenant aborder une question
fondamentale qui est souvent discutée dans les
cercles privés et également en public : l'aisance
d'un pays dans un monde libre n'est-il pas pour le
voisin une source de souci? Cette hypothèse est
naturellement tout à fait critiquable. C'est un
truisme économique que de dire que les partenaires
ne se portent bien que dans la mesure où ceux avec
lesquels ils vivent sont en pleine prospérité économique. On ne saurait faire de commerce avec des
mendiants. Il est d'autre part intolérable de penser
que dans un pays européen il pourrait y avoir encore
des millions de chômeurs, alors que d'autres États
ne savent pas comment se procurer de la maind' œuvre pour exploiter toutes leurs richesses.
Le libéralisme est la meilleure des médecines.
Tous les efforts que nous devons faire pour
l'intégration de l'Europe doivent être placés sous
le signe de la liberté. Qu'on me laisse donner un
exemple : les ·effets du libéralisme sur notre commerce extérieur sont si convaincants qu'ils ne per ..
f56
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
dent rien de leur signification lorsqu'on se réfère
au fait que l'Allemagne en 1950-1951 a traversé
une des crises les plus graves, et peut-être même
la plus grave de l'après-guerre. Lorsqu'en 1948 je
pris mon poste dans la bizone, les exportations
mensuelles s'élevaient en moyenne à 200 millions
de D .M. et se composaient essentiellement d' exportations forcées de charbon, de bois et de toute
autre matière première indispensable à l'Allemagne.
Aujourd'hui, les exportations mensuelles atteignent
entre 2,4 et 3 milliards de D.M. Ces résultats ont
été atteints grâce à notre politique libérale. Jetons
encore un coup d'œil sur la structure de nos exportations ; l'exportation des produits finis s'élève main
tenant à 80 %. Voici du reste un tableau de nos
exportations en millions de D.M. (moyennes mensuelles).
Moyenne
mensuelle
Exportation
totale
Matières
premières
Demiproduits
Produits
finis
1950
1951
1952
1953
1954
1955
1956
697
1215
1409
1 544
1836
2143
2 572
97
110
107
124
141
131
143
131
176
212
227
240
272
318
. 452
888
1058
1153
1412
1683
2 034
J'ajouterai que la convertibilité des monnaies
est la meilleure des solutions aux problèmes de
STATION EUROPE
157
l'Europe et qu'en conséquence l'effet de cette
organisation devrait se faire sentir dans tous les
domaines de la vie sociale. La politique économique
y gagnerait considérablement en clarté. Je ne crains
pas de dire que celui qui arrivera à supprimer le
contrôle des devises aura beaucoup plus fait pour
l'Europe que tous les politiciens, hommes d'État,
parlementaires, hommes d'affaires et fonctionnaires
réunis.
Je répondrai ainsi à la question suivante : Qu'estce qu'un bon Européen? :Je ne suis pas disposé
pour ma part à me laisser entraîner dans un sophisme pour savoir s'il n'existe vraÏinent qu'un
seul chemin ou qu'une seule méthode pour faire
l'Europe. Je ne suis pas disposé à considérer l'Europe comme la fin en soi d'un ordre économique.
L'économiste se différencie ici du diplomate. Pour
moi, l'intégration européenne n'est qu'un premier
stade dans l'élimination de toutes les barrières
douanières du commerce international. Je m'efforce en toutes circonstances de suivre le chemin
de la liberté avec tous les pays du bloc occidental, et
en particulier avec les partenaires européens. Dans
cette mesure l'Europe est une forme d'intégration
économique et politique. Mais nous visons encore
plus loin; nous devons éviter que le monde occidental se fragmente en petits groupes économiques.
Chapitre Xlii.
Le phénix renaît de ses cendres
Lorsque n~us nous sommes trouvés en 1948
devant la tâche de reconstituer la liberté économique intérieure de l'Allemagne, j'étais presque
dans l'obligation morale de prendre le plus tôt
possible la direction d'une politique de libéralisation du commerce extérieur. Malgré des conditions
défavorables et toutes les difficultés auxquelles
nous fûmes soumis, la libération des échanges à
la fin de 1949 avait atteint 58,2 % des importations
privées dans le cadre de l'O.E.C.E. et en octobre 1950
63,7 %. C'était simplement la nécessité qui nous
avait contraints à soumettre notre goût de la
liberté à des expériences monétaires aussi pénibles.
L'économie allemande en déclin ne pouvait offrir
aucune base d'existence au peuple allemand, si
elle n'arrivait pas dans les plus brefs délais au
niveau des états industriels en expansion dans le
monde.
Si nous avions suffisamment de forces et d'énergie
pour tenter notre reconquête avec la concurrence,
lii8
LE
PHÉNIX RENAIT
DE
SES
CENDRES
159
la route de la reconstruction allemande était libre.
C'était en même temps offrir une chance aux
1nillions de réfugiés et à donner au peuple allemand
un standing de vie qui corresponde à la civilisation
occidentale. C'est dans cette conjoncture que, nous
l'avons déjà dit, le Plan Marshall nous fut d'un
très grand secours.
La libération des échanges et le multilatéralisme
de l'O.E.C.E. ont ouvert la voie d'un échange de
Inarchandises raisonnable. Lorsque le commerce
extérieur est libéré des entraves, alors les biens
peuvent être échangés avec l'effet économique le
plus bénéfique. C'est la raison pour laquelle les
principes libéraux doivent être le fondement du
commerce extérieur. C'est pourquoi je me suis
efforcé d'éliminer toutes les subventions à l' exportation : les subventions de ce style sont à proscrire, quelle que soit leur forme, parce qu'elles
finissent par susciter la discorde et la méfiance.
La limitation des devises est pour moi le symbole
de la mauvaise mesure ; elle respire la préparation
à la guerre et elle est génératrice de désordre.
Le développement favorable du commerce extérieur a mis l'Allemagne en troisième position dans
le monde. Si la différence avec les U.S.A. est extrêmement sensible, celle avec la Grande-Bretagne
s'est passablement réduite au cours de ces dernières
années. Il y a quelques années encore la part d'ex12
160
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
portations allemandes était dépassée par celle de
la France et du Canada.
%
1950
1955
1956
des exportations mondiales
U.S.A.
GrandeBretagne
Allemagne
France
Canada
18,3
18,6
30,7
11,0
9,8
9,8
3,6
7,4
8,1
5,5
5,8
5,1
5,3
5,3
5,4
Les particularités de l'évolution du commerce
de l'Allemagne occidentale dans le monde se trouvent groupées dans le tableau suivant :
o/0 des exports mond.
%des imports mond.
12,9
6,5
5,7
4,6
4,4
4,8
4,9
5,8
6,6
6,9
1913
1929
1937
1950
1951
1952
1953
1954
1955
1956
13,1
7,5
7,1
3,6
4,6
5,5
6,0
6,9
7,4
8,1
Dernières considérations.
La liberté coûte des sacrifices. C'est le premier
et le plus grand souci que je manifeste pour le
LE
PHÉNIX RENAIT DE SES CENDRES
161
sort de l'Allemagne. N'oublions pas que nous ne
sommes pas les seuls à vivre dans le monde et que
notre aisance dépend d'une organisation harmonieuse de notre pays dans un monde libre, et de la
confiance entre les peuples. Il me semble que de
l'extérieur on ne nous comprend déjà plus, et que
nous faisons peut-être l'impression d'un peuple
égoïste qui est en train de perdre le sentiment de
sa responsabilité commune et de sa solidarité avec
le monde libre. Nous ne sommes pas coupables et
cette appréciation a toutes chances d'être fausse.
Mais les voix malignes et calomnieuses ne peuvent
être complètement étouffées. D'autres peuples aussi,
pour l'amour de leur liberté, portent des charges
matérielles qu'ils auraient bien volontiers consacrées à leur bien-être social s'il n'y avait pas eu
de menaces extérieures. D'aucuns prétendent que le
gouvernement a péché contre le bien-être du peuple
allemand parce que, pour sauvegarder sa liberté,
il s'est lié à la défense du monde libre : pour ceuxlà, il suffit de s'en référer aux événements de
Pologne et de Hongrie et leur dénier toute compétence pour guider le destin de l'Allemagne.
Et voilà mon second souci.
162
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
La Communauté européenne est indispensable.
iLes considérations qui précèdent ont montré que
nous ne sommes pas un peuple à vivre recroquevillé
sur lui-même. Mais ici je ne pourrai pas voir l'aspect
politique des questions, bien qu'il soit absolu1nent
primordial. Les peuples libres d'Europe ne peuvent
maintenir leur position dans le monde et le rôle
qu'ils ont à y jouer qu'en s'appuyant sur les ÉtatsUnis et en arrivant à la conscience d'une communauté politique indissoluble.
C'est parce que je regarde vers le futur que je
peux m'épargner les souvenirs du Pool CharbonAcier, de l'O.E.C.E., de l'U.E.P., du G.A.T.T. et
du Fonds monétaire international, et que je peux
me référer au plan qui a pour objet de créer _une
union douanière et un n1arché commun entre les six
pays du Pool. Je ne pense pas du tout que le marché
commun dégénère en un dirigisme européen, au contraire il y puisera la force d'assurer à la Communauté
des hommes et des peuples ~la sécurité d'un avenir
politique, social et économique également heureux.
Si le marché commun ne s'efforce pas d'être l'application d'une politique libérale, nous somme
menacés de retomber dans les erreurs d'un passé
malheureux et de retrouver cette idée « de grand
LE PHÉNIX RENAIT DE SES CENDRES
163
espace vital » qui est la manifestation même de
l'esprit économique égoïste. Au cours des trente
ou quarante dernières années, rien ne s'est davantage manifesté que cet esprit d'égoïsme national et
de protectionnisme.
Mon troisième souci est relatif à la forme qu'adoptera la communauté européenne.
Mais comme l'utilité et l'intérêt des monnaies
librement convertibles augmente en proportion de
l'espace, économique et du nombre des peuples participants, il ne faut pas aborder ce problème seulement
sur le plan du marché commun, mais il faut élargir
l'espace économique aux États- Unis, à la GrandeBretagne et aux autres pays d'Europe. Mais il faut
bien constater que l'opposition vient toujours de
l'économie égoïste des nations sans que se manifeste
la moindre intuition de ce que pourrait donner un
changement du système monétaire. Mon quatrième
souci se fonde sur l'idée que l'ordre le meilleur et la
meilleure discipline nationale ne sont pas suffisants
pour assurer la stabilité intérieure.
La seconde réfJolution industrielle est-elle en train de
s'accomplir?
Nous assistons pour l'instant à un renforcement
toujours plus grand de l'automation. Sans évoquer
i64
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
par là les imaginations d'un Jules Verne, il ne me
semble pas que nous assistions à une seconde révolution industrielle, car il ne s'agit pas ici d'une
action, mais simplement d'un processus inachevé ;
d'autre part, la situation sociale qui favorise cette
évolution est caractérisée par un manque de travailleurs qui ne peut que s'aggraver. Dans certains
cas on peut parler d'une révolution technique, mais
il n'est pas question d'une révolution industrielle
qui réédite les difficultés sociales inhérentes à
l'entrée en scène de la machine.
On ne saurait passer sous silence que les peuples
moins développés arrivent à sauter certains stades
de leur évolution industrielle, et désirent utiliser
les techniques modernes. Mais les pays de civilisation occidentale ont la chance de pouvoir non
seulement se servir d'automates, mais de les inventer et c'est ce qui nous fait espérer qu'à l'avenir
ce ne seront pas des cerveaux électroniques, mais
des têtes humaines qui guideront· les destins de
l'humanité. Si l'automation favorise l'intégration
progressive des économies, elle peut vraiment être
un grand bienfait pour le monde.
La question capitale est de savoir quelle utilisation il sera fait de cette évolution. Les socialistes
qui parlent de technique atomique, d'automation,
pensent que les fondements d'économie privée de
notre organisation ne sont pas ceux qui conviennent
LE PHÉNIX RENAIT DE SES CENDRES
165
et qu'ils sont dépassés, qu'ils ne sont pas capables de
résoudre les nouveaux problèmes aussi bien techniques, que financiers. Il est incontestable que l'automation exige d'énormes capitaux; mais cette considération:pèsera bien peu lorsqu'il s'agira d'évaluer à
sa juste mesure le taux de consommation et d'investissement au cours des discussions politiques. Toutefois, on ne saurait écarter complètement la nécessité
d'une intervention de l'État ou même d'une Régie,
car si les revenus de l'entreprise privée ou si l'épargne
sont insuffisants pour financer les investissements
nécessaires, c'est la seule solution qui reste à l'État,
à moins qu'il ne finance par une inflation de crédit
ou qu'il procède à une aggravation de la fiscalité.
Pour moi, je reste persuadé que l'initiative privée
est de beaucoup préférable au dirigisme étatique.
Je pense que la liberté est vraiment la force
humaine par excellence et la plus grande valeur
qui se puisse trouver. Peut-être nous faudra-t-il
courir le danger de la perdre pour éveiller les forces
nécessaires à son salut. Celui qui se rendra compte
des dangers qui nous menacent, se trouvera renforcé, je le souhaite, dans l'idée de l'éminence de
sa liberté. Il sera alors capable de lutter s'ille faut
pour défendre cette liberté et cet ordre économique
retrouvés en 1948 contre tout ce qui pourrait les
menacer. C'est alors seulement que ce livre aurait
atteint son but.
166
LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS
E(,Jolution des troz:s indices du coût de la
Epoque
Juillet 48
Janvier 49
Juillet 49
Janvier 50
Juillet 50
Janvier 51
Juillet 51
Janvier 52
Juillet 52
Janvier 53
Juillet 53
Janvier 54
Juillet 54
Janvier 55
Juillet 55
Janvier 56
Juillet 56
Janvier 57
Juillet 57
(,}te
Coût de la
vie ponr les
classes moyennes
Coût des
prod. ind.
Coût des
prod. agric.
(1950 = 100)
102
110
106
102
99
102
108
112
109
110
108
107
108
110
111
113
113
114
116
(1950 = 100)
103
106
102
100
98
111
118
123
121
120
118
116
116
118
119
120
120
124
124
(1950-51 = 100)
104
121
118
107
101
103
113
120
118
114
114
115
124
120
122
124
127
127
138
167
LE PHÉNIX RENAIT DE SES CENDRES
Indice de la production industrielle ( 1936
Mat. prem. et
biens de prod. Biens
Ensemble
1_948 1_er
2e
1949 1_er
2e
1950 1er
sem.
sem.
sem.
sem.
sem.
2~ sem.
1_95t 1er sem.
2e sem.
t952 1_er sem.
2e sem~
t953 ter sem.
2e sem.
t954 ter
2e
3e
4e
1955 ter
2e
3e
4~
t956 ter
2e
3e
4e
1957 ter
2e
trim.
tri m.
tri m.
trim.
trim.
tri m.
trim.
trim.
trim.
tri m.
tri m.
tri m.
trim.
tri m.
d'in~Jest.
=
100)
Consomm.
50,2
69,1_
82,9
94,0
99,7
t2t,7
t27,7
t34,3
t33,4
t45,3
t45,6
t61,5
43,8
64,1
78,5
83,7
93,1
tt3,5
t20,9
t22,3
t22,8
t29,9
t32,3
t4t,2
45,0
67,2
84,2
87,4
98,8
1_26,5
1_44,6
t49,9
t6t,5
t67,2
t67,6
t78,4
42,4
60,8
78,2
92,6
103,4
t23,1
1_29,t
t28,3
t20,3
t39,9
t42,2
t6t,5
153,3
t71,2
17t,4
t91,0
178,5
t97,8
t97,t
2t6,6
192,7
217,1
2t2,t
226,1
212,9
230,3
137,1
t58,2
162,5
t66,6
t63,7
t85,t
185,7
188,0
t76,1
202,0
199,3
t96,7
195,2
21t,1
t82,3
205,6
200,5
230,1_
230,0
255,0
248,1
274,6
263,2
285,7
266,4
280,9
275,1
298,0
1_54,5
t6t,3
162,8
t83,9
t70,6
t77,7
180,3
207,4
187,5
t95,6
195,2
2t9,2
206,1
209,5
Table des illustrations
Fig. 1. -
-
Malgré les résistances psychologiques consécutives
aux deux dévaluations, la fin de l'année 1956 voyait
une épargne totale égale à environ 35 milliards
de DM. La, croissance de l'épargne des quatre
dernières années est remarquablement importante....................................
68
2. -Le graphique ci-dessus montre le développement
du commerce extérieur. Dans le bilan du commerce extérieur, le solde passif de l'année 1950
s'élevait à 3 milliards de DM; en 1956 il s'était
transformé en un solde actif égal. . . . . . . . . . .
70
169
Table des matières
Pages.
1
Ier.- Le fi] conducteur ................. .
CHAP.
IL
III.
IV.
V.
VI.
VII.
VIII.
IX.
x.
XI.
XII.
XIII.
La naissance de l'économie de marché.
La crise de Corée et les remèdes ... .
Le maintien de la prospérité ........ .
Économie et intérêts privés ........ .
Les cartels ennemis Ju consommateur.
Les salaires dans l'économie libérale ..
Vers le matérialisme? . . . . . . . . . . . . . . . .
Psychologie du mark ct du pfennig. . .
L'État-providence. L'illusion moderne.
L'Économie libérale et Je réarmement.
Station Europe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le phénix renaît de ses cendres . . . . . .
ILLUSTRATIONS DANS LE TEXTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
10
39
63
76
92
113
121
128
133
140
147
158
169
Dépôt Il-gal : 2• trimestre Hl:i9.
;\hse en vente : Avril 1959.
Numéro de publication : :l341.
Numéro d'impression : 7962.
PARIS. -
TYPOGRAPHIE PLON,
8,
RUE GARANCIÈRE. -
i959. 68262.
Ont déjà été publiés dans
TRIBUNE LIBRE
1 - Le Socialisme trahi,
par André PHILIP.
l - La Tragédie algérienne, par Raymond
ARON.
3 - Faut-il supprimer les
impôts? par E. SCHUELLER- A. COSTE-FLORET G. TESSmR - C.-J. GI·
GNOUX - R. SÉDILLOT C. BRISSAT - E. BOUR·
GEOIS. Introduction par
Daniel-Rops, de l'Académie française.
4 - Malaventure en Algérie, avec le général Paris
de Bollardière, par Roger
BA.RBEROT.
5 - La Paix du dollar, par
André KOSTOLANY. Pré·
face de Robert Schuman.
6 - Le Drame algérien et
la décadence française,
réponse à Raymond
ARON, par Jacques SousTELLE.
7 - Ces princes qui nous
gouvernent ... , par Michel DEBRÉ.
8 - Libre méditation sur
un messagedePieXII,
(Noël 1956), par Gaston
FESSARD, S. J.
9- Un Communisme qut
n'oublie pas l'Homme,
par Imre NAGY, précédé
de Portrait d'Imre Nagy,
par François FEJTo et
suivi de Imre Nagy devam la révolution, par
Tibor MBRA y. Traduit du
hongrois par Imre Lanlo.
10 - La Nouvelle classe dirigeante, par Milovan
DJILAS. Texte français
d'André Prudhommeauz.
Il - Le Vrai malaise des in·
tellectuels de gauche,
par Maurice SCHUMANN.
ll - La Tunisie de Bourguiba, par Roger STEPHANE.
2J - La prochaine République sera-t-elle républicaine? par Maxime
BLOCQ·MASCART. Préface
de Michel Debré.
Il - Présence française et
abandon, par François
MITTERRAND.
14- A.B.C. de l'inflation,
par René SlllDILLOT.
13- Contrelaguerrecivile,
par Edmond MICHELET.
15 - La Paix révolution·
noire, par Charles MON·
14 - Entretiens fa mi 1i ers
avec L.-F. Céline, par
Robert POULET, suivis
d'un chapitre inédit de
Casse-Pipe, par L.-F.
16- L'Afrique noire devant
l'indépendance, par
AFRICANUB.
CÉLINB.
15 - La Bombe atomique
et l'avenir de l'homme,
par Karl JASPERS. Tra·
duit de l'allemand par
Ré SoupauU, précédé de
Le Philosophe devant la
politique, par Jeanne
HERS CH.
16 - Le Malaise de l'armée,
par Jean PLANCHAIS.
17- La Révolution du
XX• siècle, par Thierry
MAULNIER.
18 - Bilan et perspectives
socialistes, par Guy
MOLLET.
19 - Demain en Algérie,
par Alfred FABRE-LUCE.
10 - Où va la droite? par
Paul S:RANT. Préface de
Marcel Aymé.
li - Les Atouts français,
par Emmanuel HAMEL.
TIRIAN.
27 - Sur quelques maladies
de l'État, par René
MASSIGLI, ambassadeur
de France.
28 - E 1 q u isse s pour une
politique chrétienne,
par Giorgio LA PrRA.
Précédé d'un Portrait de
Giorgio La Pira, par
Robert JUJ'Fl!:. Traduit de
l'italien par Robert JuOé.
29 - Écrits pour une renaissance, par LE GROUPE DB
LA NATION FRANÇAISE.
30 - L'Europe en question.
Textes du Maréchal JUIN,
de l'Académie française,
et de Henri MABSIS.
31 - L'itinéraire des partis
africains depuis Bamako, par André BLANCHET.
31 - Pour le salut public.
Lu I ndépendant3 devant
lu grandi problèma nationauz, par Roger DuCHET.
33- L'Algérie et la Répu·
plique, par Raymond
ARON,
34 - La Politique de Car·
thage, par Simone GRoS,
suivi d'une lettre-postface de Pierre Mli:ND:BsFRA.NCE.
35- Refaire une démo•
cratie, un État, un pouvoir, par Michel DEBRlll.
36 - L'Ère des fédérations,
par Robert ARON -J. BARETH - H. BRUG.IIIANS G. de CARMOY- J. DAUJAT - J.-M. MARTIN J. MAZE - B. MOTTEL. PlllRILLIER - M. RICHARD - P.-H. TEITGEN
- J. TESSIER- G. VEDEL
- A. VOISIN-B.VOYBNNE
- Daniel HAL:IllVY, de
l'Institut- André MAuROIS, de l' .Académie française.
40 - L'Ère des métamor•
phoses,parÉmile RoCHE
41 -
37 - De Gaulle dans la Ré·
publique, par Léo HAMON. PrA/ace de RenA
Oapitant.
38- La France retrouvée.
De l'impuissanee à l'efficacité, par Bernard LAFAY,
39 - Un changement d'espé·
rance • ..4 la rencontre du
rAarmement moral. Des
témoignages, des faits,
réunis sous la direction
de Gabriel MARCEL, de
l'1 nstitut.
Notre a venir nucléaire, par E. TELLER et
A. L. LATTER. Traduit de
l'anglais par Jean Fizeau.
41 - L'Europe au défi, par
J. HERSCH- H. FRENAY
- H. RIEBEN- F. BONDY
- Gal P.- M. GALLOIS A, PHILIP,
43 - La crise de la zone
de libre-échange, par
l<JuROPEUS. Un Document de l'E.P.I.
44- L'Angoisse au pouvoir,
par Michel MASSE:l<ET.
Les documents de
TRIBUNE LIBRE
La Révolution hongroise. Histoire du soulèvement d'octobre, précédée de : Une Révolution antitotalitaire, par Raymond ARON.
l - La Stratégie des fusées, par Jacques BLOCH-MORHANGE, avec une postface de Paul
GÉRARDOT, ancien chef d'État-Major de l'armée de l'Air.
3 - La Vérité sur l'affaire Nagy. Les faits, les documents, les témoignages internationaux
Préface d'Albert CAMUS. Postface de François FEJTo.
4 - Demain l'Europe sans frontières l par Maurice BY1ll - A. DoucY - H. GŒRSCH J. KYMMEL - Cb. MAGAUD - G. PARENTI- P. POULEUR - L. SERMON - 1. SVENNILSONE. TUCHTFELDT - J. WEMELSFELDER. Recherches d'un groupe d'étude dirigé par Raymond RACINE, au Centre Européen de la CUlture.
5 - La Révolution algérienne, par Charles-Henri FAVROD,
6 - L'Institution concentrationnaire en Russie, par Paul BARTON, précédé de: Le Sens de
notre combat, par David ROUSSET,
1-
Les
débats
de
TRIBUNE LIBRE
Ceux d'Algérie, LeUres de rappelAs, 1966-1967, précédées d'un débat entre Jean-Yves
ALQUIER - Roger BARBEROT - Jean-Claude KERSPERN - Michel MASSENET Jacques MERLIN - René PERDRIAU - Thierry MAULNIER.
Téléchargement