LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS r t i b u n 45 LA , PROSPERITE , e 1 • 1 b r e LUDWIG ERHARD POUR TOUS Traduit de l'allemand par FRANCIS BRIÈRE Préface de JACQUES RUEFF Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays, y compris l'U.R.S.S. Pour recevoir gracieusement et sans engagement de votre part le LISEZ PLON, bulletin illustré d'informations sur nos collections, nouveautés et réimpressions, faites-noua OOnnalitf:' votre adresse. tribune libre·: Au JOU RD'H Ul, quand un homme ouvre son journal, il n'y trouve qu'un chaos d'événements : les idées n'ont plus le temps de s'exprimer, de s'affirmer, de s'amender. A mesure que l'Information pure conquiert une place toujours plus grande, la place faite aux idées et aux opinions s'amenuise. L'accélération de l'histoire et l'obsession de la dernière nouvelle rendent impossible au lecteur la réflexion et le libre choix qu'il devrait dégager des situations politiques de plus en plus complexes. Le livre, plus prompt qu'il n'était jadis, est capable maintenant de répercuter assez vite des événements brûlants. Il peut donc offrir au public cette réflexion appliquée à dominer la confusion de l'actualité, que le journal n'est plus en mesure d'assurer. C'est pourquoi PLON a créé la collection TRIBU NE LIBRE Dès le début, TRIBUNE LIBRE devait permettre à des hommes venus de tous les horizons poli· tiques, de prendre position sur les grandes questions de l'heure et d'apporter le témoignage qui leur tenait à cœur. Un an et demi après sa création, la collection dépassait son trois cent millième exem· plaire, ce qui lui assure aujourd'hui plus de seize mille lecteurs chaque mois. Par les extraits, les comptes rendus et les commen· taires de presse, par les polé· miques qui s'en sont dégagées, nous constatons aujourd'hui que TRIBU NE LIBRE répond plus que jamais à un besoin du public. Déjà, dans la mesure même où le rôle d'information et de discussion de TRIBU NE LIBRE se précisait, nous étions amenés à élargir notre formule : la col· lection publiait alors de grands textes d'actualité, comme le « Rapport d'Imre Nagy au parti communiste hongrois », le livre interdit de Milovan Djilas « La Nouvelle classe dirigeante » et l'appel de Karl jaspers « La Bombe atomique et l'avenir de l'homme». Puis nous devions bientôt créer une collection parallèle, LES DOCUMENTS DE TRIBU NE LIBRE Le premier ouvrage de cette série rassemblait des textes d'un intérêt saisissant sur « La Révolution hongroise ». Le dernier paru est consacré à « La Révolution algérienne ». C'est aussi dans « Les documents de TRIBU NE LIBRE » qu'a été publié, avec une préface d'Albert Camus, et sous le titre de« La Vérité sur l'affaire Nagy », le dossier complet des faits, des documents et des témoignages internationaux relatifs à l'action, au procès et à la condamnation de l'ancien président du Conseil hongrois. LES D~BATS DE TRIBU NE LIBRE enfin, se proposent de recueillir, grâce au magnétophone, les dis- eussions et les oppositions qui se font jour sur certains problèmes de notre époque. TRIBUNE LIBRE donne jourd'hui la parole à au- LUDWIG ERHARD Ludwig Erhard est né en 1897 à Fürth, près de Nuremberg. Il était le fils d'un paysan devenu marchand de toiles en gros. Blessé à vingt ans par un obus, à Ypres, il revint de la guerre trop affaibli pour travailler dans le commerce de son père. Il se dirigea alors d'instinct vers l'éco· nomie spéculative et passa son doctorat à l'Université de Franc· fort, ce qui devait lui permettre d'entrer en 1927 comme professeur à l'Institut d'Observation économique des Produits finis. Après le début de la seconde guerre mondiale, les nazis pressèrent Erhard de se joindre au front des doctrinaires d'Hitler.~ll fut avisé en 1942 qu'il était préfé· rable pour lui de quitter discrète· ment une chaire dans laquelle il n'apportait pas le genre d'enthousiasme que le régime exigeait. Persuadé après Stalingrad qu'H itlerlallait perdrelia_, guerre, Erhard élabora des projets pour l'économie de son pays après la défaite. Un de ses rapports tomba entre les mains de Karl Gœrdeler, le bourgmestre de Leipzig qui devait prendre la tête du Gouvernement, dans le cas où le complot de juillet 44 contre Hitler aurait réussi. Gœrdeler paya de sa vie l'échec de son entreprise. Mais il eut le temps, avant de mourir, d'attirer l'attention de ceux qui l'entouraient sur Ludwig Erhard : « Cet homme a l'envergure d'un futur ministre. Il faudra s'en souvenir le moment venu •.• » Les Américains s'en souvinrent : après la capitulation, ils firent de Ludwig Erhard le ministre de l'~conomie de la Bavière. Il ne pouvait se borner longtemps à ce rôle de conseiller économique des forces occupantes : il était élu en 1949 député démocrate·chrétien et acceptait le ministère de l'~co­ nomie dans le premier cabinet Adenauer. Il prenait alors définitivement en mains les destinées économiques de l'Allemagne de l'Ouest : le résultat de sa politique, c'est ce que le monde entier appelle aujourd'hui « le miracle allemand ». *** Dans ses prochains numéros, TRIBUNE LIBRE publiera : Un ouvrage de Michel Déon qui constitue un reportage documenté sur l'armée d'Algérie en même temps qu'un examen des tâches totalement nouvelles qui s'impo· sent à elle pour riposter efficacement à la guerre révolutionnaire. Un livre de Paul Combe, « Le Drame français », qui s'efforce de définir la décadence économique de la France depuis le dix-neuvième siècle et d'en rechercher les remèdes à travers l'étude des grandes options qui se posent au pays dans l'après-guerre. Préface Ce lic;re est important. Si j'en recommande la lecture aux Français, c'est parce qu'ils y trouc;eront les mobiles d'une politique qu1: a profondément affecté le destin de l'Allemagne. « La prospérité pour tous » n'est en aucune façon un ouc;rage de théorie économique. C'est bien plutôt un journal de bord, chargé, au jour le jour, de l'expérience, des réflexions et des pensées du ministre qui a inspiré et animé le prodigieux redressement de son pays. Qui suic;ra, ac;ec Ludwig Erhard, l'ascension de l'économie allemande, depuis la réforme monétaire de juin 1948, constatera que l'assainissement économique et financier n'a jamais été pour son auteur une fin en soi, mais seulement un moyen en c;ue des résultats qu'il dec;ait procurer et qu'il a effectic;ement procurés. La restauration de leur monnaie a c;alu aux Allemands de l'Ouest, malgré les conditions difficiles que créait l'afflux de plusieurs millions de réfugiés, une augmentation sans précédent de nic;eau de c;ie. Les salaires réels ont augmenté de 20,5 °/0 pendant l'année 1949. L'indice de la production industrielle est passé entre 1949 et 1956 de 80 à 192. Ces résultats ont permis à Ludwig II LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS Erhard, le 6 septembre 1953, de résumer son action dans les termes sui9ants : « Notre politique économique sert d'abord le consommateur; c'est lui qui est la mesure et le juge de toute acti9ité économique. Cette politique de l'économie de marché a uni9ersellement prou9é que les principes de la libre concurrence, de la consommation et du dé9eloppement de la personnalité remportent des succès économiques et sociaux de beaucoup supérieurs à ceux que connaissent les différentes économies planifiées. » Le moteur de l'assainissement a été, pour lui, dans tous les domaines, la concurrence qui seule « assure la socialisation des progrès et profits... en maintenant toujours en é9eil l'effort de production )). « Le bienêtre pour tous et le bien-être par la concurrence sont synonymes, et c'est là notre postulat fondamental ». Pour cette politique, deux instruments : - la stabilité monétaire, que Ludwig Erhard 9oudrait inscrire au rang « des droits fondamentaux du citoyen », parce qu' « il est impossible d'instaurer une politique économique saine en période d'instabilité monétaire »; - la loi contre les cartels, sans quoi l'économie libérale serait pri9ée de ses 9ertus sociales, parce que seule elle peut assurer « le fonctionnement du mécanisme de la concurrence» et parce que «personne ne peut s'arroger le droit d'opprimer la liberté indi9iduelle ou de la limiter au nom d'une liberté frelatée », parce que, surtout, les cartels permettent « de garantir une rente au plus mau9ais des patrons ». Pour Ludwig Erhard « le premier et le principal objet de l'économie sociale de marché » est l'amélioration du bien-être. « Le désir d'efficience économique n'est pas PRÉFACE III un but en soi. Les bienfaits de l' écon01nie de marché ne sont effectifs que lorsque la baisse des prix accompagne la hausse de la productivité, procurant ainsi un réajustement des salaires réels... Soutenir l'économie concurrentielle est un devoir social : si nous regardons derrière le rideau de fer, nous sommes contraints d'admettre que l'économie planifiée se transforme rapidement en une économie de contrainte et que la part des salaires dans le produit national est toujours plus basse que dans l'économie de marché ... Personne ne peut soutenir que le rendement de l'économie planifiée soit, sous l'angle du bienêtre social, supérieur à ce qu'obtient l'économie libérale ... L'opposition de principe des patrons aux hausses de salaires... ne saurait exister dans l'économie de marché». Les adversaires du « laisser faire » vont se récrier. Ils ne veulent pas livrer aux forces aveugles du marché le soin de dessiner les structures sociales. Notre auteur tient à les rassurer : « Il existe une différence essentielle entre l'économie de marché, telle qu'elle est pratiquée en Allemagne en 1948, et l'économie libérale de l'ancien régime. Dans ma conception, la liberté n'est pas la faculté pour les patrons de créer des cartels ... La concurrence et la productivité qui lui est liée, doivent être assurées par des interventions de l'État et protégées contre toutes les influences qui pourraient les troubler. En particulier il importe que la liberté des prix ne soit pas entravée dans sa fonction régulatrice de la vie économique ». Aux lecteurs de ce livre, la pensée qui a inspiré le redressement économique et financier de l'Allemagne IV LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS apparaîtra en pleine lumière. Ils ne pourront pas douter de son inspiration profondément sociale. Les hommes qui combattent, aujourd'hui, pour la liberté et contre le désordre financier sont mus par le désir de donner à leurs semblables, et notamment aux plus démunis d'entre eux, le maximum de bien-être, d'empêcher qu'une part indue de ce bien-être soit soustraite, par des structures monopolistiques, à ceux qui y ont droit parce que leur effort, à concurrence de sa çaleur, a contribué à le produire. L'expérience allemande a confirmé, au-delà de toute attente, que l'ordre financier, et particulièrement l'exclusion de l'inflation, procuraient de larges augmentations de bien-être. Je demande aux Français de se pencher sur l'exemple allemand et d'en rapprocher les enseignements de ceux que leur ont apportés les politiques pratiquées en France, presque constamment, depuis 1945. Sous des inspirations très difJerses, elles ont eu un trait commun : l'inflation. Les salariés, les pensionnés, les rentiers peuçentils douter que l'inflation soit un procédé de prélèçement, qui concentre sur eux tous ses séçices, épargnant ou façorisant scandaleusement les détenteurs de biens réels. Pensez à tous les 1nénages dont l'inflation a rongé les économies, à tous les fJieux qu'elle a conduits à l'hospice. Est-ce çraiment une politique sociale que de donner, à ceux que l'on fJeut protéger, des prestations inférieures au montant des prélèfJements qu'on leur inflige, clandestinement, par l'inflation? Pour les salariés, les périodes de hausses de prix ont presque toujours été des périodes de dépression des salaires réels. Quant à la manipulation des prix par v PHÉFACE (Joie de sub(Jention, si largement employée en France au cours d'une récente période, mais souYent limitée à la région parisienne, elle n'a été qu'un artifice tendant à faire obstacle, au détriment des traYailleurs, aux hausses de salaires que l'indexation deYait proyoquer. Que l'on songe ici à toutes les souffrances que la crise du logement, produit direct de l'inflation, a infligées aux Français. Peut-on Yraiment (JOir une politique sociale dans une législation qui les fait (JiYre dans de misérables taudis, qui transforme, pour les fanûlles, tout déplacement d'emploi en une catastrophe irrémédiable. Sur le plan international, l'inflation nous a conduits au bord de la faillite. Le Jer juin 1958, il restait au fonds d'égalisation des changes 204 millions de dollars, alors que pendant le seul mois de mai nous en ayions dépensé 127. Si un changement n'était interYenu, nous aurions dû, ayant le Jer juillet, que nous le Youlions ou non, contingenter nos importations, limiter l' actiYité des usines employant des matières premières étrangères, accepter le chômage qui en eût été la conséquence et, finalement, rétablir le rationnement caractéristique de l' économie de guerre. Ainsi le diptyque apparaît, dans sa cruelle simplicité: ·l'ordre financier a donné aux populations allemandes bien-être et sécurité; l'inflation a infligé aux Français pri(Jations et souffrances, et menacé l'existence même de leur pays. ' Assurément la sortie du processus de dégradation, où nous étions enfermés depuis près d'un demi-siècle, exigeait un effort rigoureux. Elle ne pouYait s'accomplir sans la modification d'habitudes in(Jétérées et de situations qui, bien que précaires, 1semblaient définitiYement acquises. 2 VI LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS L' ou~rage de Ludwig Erhard fournit aux Français l'occasion de réfléchir à l'a~enir qu'ils souhaitent, pour eux et pour leur pays : la prospérité pour tous, dans la ~érité de l'ordre financier, ou la misère des plus pau~res et l'insécurité de la nation, dans le mensonge de l'inflation. Puisse l'expérience allemande les con~aincre que le choix de leur politique financière fixera· pour longtemps leur destin. Jacques RuEFF. LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS Chapitre 1 Le fil conducteur Longtemps avant de prendre la direction de l'Économie dans le premier gouvernement de l'Allemagne occidentale, j'eus l'occasion d'exposer mes idées au cours d'un Congrès de la C.D. U. Il ne fallait pas ressusciter l'ancienne conception du Salaire. Pas d'ambiguïté : je voulais réaliser un système économique qui permît à toutes les classes de notre peuple d'accéder au bien-être. Je terminai en souhaitant triompher de l'ancienne structure sociale par l'accroissement général du pouvoir d'achat. Dans cette nouvelle conception de l'Économie, il fallait créer les conditions nécessaires pour que pût disparaître le ressentiment du pauyre à l'égard du riche. Je n'ai aucune raison de renier les principes matériels et moraux qui demeurent aujourd'hui comme jadis les fondements de ma pensée et de mes actes. C'est la concurrence qui reste le moyen d'atteindre 2 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS à un tel bien-être économique. Elle est seule capable du progrès économique et de réunir tous les avantages auxquels l'homme ne pourrait sans cela prétendre. La concurrence mène, au plein sens du terme, à une socialisation des progrès et des profits; c'est elle qui maintient toujours en éveil l'effort de production. Mais augmenter le bien-être par cette méthode exige plusieurs conditions fondamentales. L'accroissement de la consommation dans tel ou tel pays va de pair avec l'accroissement de sa productivité. C'était là le point capital de cette politique; et ce qu'il fallait avant tout, c'était donner au nombre toujours croissant de la maind'œuvre la possibilité du plein emploi. Nécessité de ~aincre les cycles de la conjoncture. Ces nécessités impérieuses réclament aussi la possibilité de résoudre et de dépasser le problème posé par l'ancienne loi des cycles économiques. On croyait communément que l'économie se développait selon une succession de prospérités et de dépressions. Pendant les années au cours desquelles nous eûmes la responsabilité de l'économie allemande nous réussîmes à faire cesser les règles de ce rythme et à imposer un développement écono- LE FIL CONDUCTEUR 3 mique continu et harmonieux. Nous avions le ferme espoir que la politique économique et la théorie parviendraient à une solution systématique de ces problèmes. Nous n'y arriverions qu'avec le jeu de la libre concurrence sans les entraves des procédés artificiels ou des décrets administratifs arbitraires. Pour sauvegarder la liberté d'un État, il importe absolument d'assurer le libre fonctionnement du mécanisme de la concurrence. Je n'exagère pas en affirmant que la loi contre les cartels doit être considérée comme une arme indispensable à l' économie libérale et à son sens social. Personne ne peut s'arroger le droit d'opprimer la liberté individuelle ou de la limiter au nom d'une « liberté >> frelatée. Le « bien-être pour tous >> et le « bienêtre par la concurrence >> sont synonymes, et c'est là notre postulat fondamental. Ceux qui prônent les cartels sous le prétexte vague de la nécessité économique, ne sont que des intellectuels héritiers des planificateurs socialisants. Nous ne voulons pas dire que la répartition actuelle du produit national doive être considérée comme juste et intangible. Prenons un exemple : entre 1949 (année à partir de laquelle le gouvernement fédéral adopta la politique de l'économie concurrentielle) et l'année 1955, le produit national brut est passé de 47 milliards de D.M. à 85,8 mil- 4 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS liards (référence : les prix de 1936). Pour l'année 1956, l'augmentation réelle a été de 7,1 %. Produit national brut 1936-1955 (référence : prix de 1936) en milliards de D.M. 1936 1949 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 47,9 47,1 54,8 62,7 66,7 71,6 77,5 85,8 91,9 (Source : Statistiques fédérales). La concurrence en guerre contre l'égoïsme. On a pu me reprocher de n'avoir montré aucune compréhension pour les pensées stériles des planificateurs. Le succès m'a donné raison. L'économie allemande a prouvé que le bénéfice croît sans cesse d'année en année. La consommation privée, par exemple, a augmenté entre 1950 et 1955 de 29 à 51 milliards de D.M. (référence 1.936). C'est un succès sans précédent dans le monde. D'après les statistiques de l'O.E.C.E., en Allemagne occidentale l'indice de la consommation par habitant est passé de 77 en 1949 à 126 en 1955 (1952 = 100). Pendant cette même· période, l'indice aux U.S.A. passait de 96 à 107, en Grande-Bretagne de 100 à 110, en Suède de 96 à 110, et en France de 88 à 113. Jamais la consommation privée n'a connu une LE FIL CONDUCTEUR 5 ascension aussi extraordinaire. Si cette conception de la répartition du produit national a été tant discutée, c'est que l'on a assimilé cette course aux bénéfices à une compétition hargneuse au détriment des autres nations. C'est au contraire une des grandes vertus de la concurrence que de lutter contre l'égoïsme. Comme dans une saine économie concurrentielle, l'individu ne peut prétendre à des avantages particuliers, ainsi ce style d'enrichissement est-il interdit aux groupements économiques. Notre seul but a été de garantir un standing de vie décent à ceux que l'âge, les maladies, ou les infirmités consécutives à deux guerres mondiales empêchaient de prendre part à l'effort commun de production. Au cours des dernières années, la législation sociale a confirmé ce dessein. Les dépenses de caractère social dans la République fédérale sont passés de 9,6 milliards de D.M. en 1949 à 24,4 milliards en 1956. Seule l'expansion économique a permis aux économiquement faibles de prendre quelque part à l'accroissement du bien-être. Comment faire baisser les impôts. D'autres facteurs commandent cette politique d'expansion. L'État moderne doit résoudre aujour- 6 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS d'hui de gigantesques problèmes. Bien que tout ait été mis en œuvre pour limiter l'emprise étatique, il faut bien constater qu'au :rp.ilieu du x xe siècle, il est peu vraisemblable que l'on arrive à un résultat satisfaisant dans cet ordre d'idée. D'autre part, le désir de tous les citoyens de voir diminuer les charges fiscales paraît fort légitime. Pour ce faire, il importe de ne pas étendre les responsabilités de l'État, qui sont déjà suffisantes. L'augmentation du revenu national nous permettait de libérer d'une façon estimable le citoyen, et l'économie, de leurs charges fiscales. Il est certain que d'ici dix ans les impôts seront beaucoup moins lourds si nous parvenons alors à un revenu national de plus de 250 milliards de D.M., contre 90 en 1949 ct 192 en 1956. Personne ne peut affirmer que le poids de la fiscalité ait augmenté depuis 1949; cependant les recettes publiques (communes et districts) sont passées de 23,7 milliards de D.M. en 1949 à 54,45 pour l'exercice 1955-56. L'augmentation est le résultat exclusif de l'accroissement de notre revenu national. Cette contribution au bien-être est aussi une contribution importante à la démocratisation de l'Allemagne. Si depuis tant d'années tous nos efforts tendent à augmenter le bien-être de chacun et si le seul moyen d'y parvenir est d'adopter LE FIL CONDUCTEUR 7 l'économie de marché, alors cette politique économique constituera aussi un élargissement de l'éventail des traditionnelles libertés fondamentales de l'individu. Les droits élémentaires de l'économie. Le citoyen a le droit de consommer ce qui lui plaît et d'organiser comme il l'entend sa vie dans le cadre de ses possibilités matérielles. Ce droit doit trouver son complément logique dans la liberté du producteur de vendre ou d'acheter selon ses possibilités dans la conjoncture économique. La liberté de consommation et la liberté de production sont dans l'esprit de tout citoyen, des droits fondamentaux intangibles. Pour réaliser cette idée de l'accroissement du bien-être, il faut renoncer à toute politique déloyale qui substitue aux progrès réels des succès apparents ; il est impossible d'instaurer une politique économique saine en période d'instabilité monétaire. Des essais malheureux ont été tentés au cours des dernières années. Citons par exemple celui des socialistes qui ont déséquilibré les salaires par rapport à l'offre globale, et qui sont ainsi à l'origine d'une grande instabilité monétaire. Nous ferons le même reproche aux chefs d'entreprise qui ont cru 8 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS pouvoir trouver une solution lucrative dans la hausse des prix. Cette faute pourrait tourner à la catastrophe si l'on voulait payer ses crédits par un développement volontaire de l'inflation. Les syndicats devraient se demander si leur politique de salaires ne fait pas en réalité le jeu des spéculateurs; dans cette évolution sociale fallacieuse il n'y a pas seulement des dangers économiques, mais aussi des dangers sociaux et politiques. C'est pour cette raison que nous aimerions inscrire la stabilité de la monnaie au rang des droits fondamentaux du citoyen. Victoire à la Pyrrhus. Il faut s'en tenir à ces principes si l'on désire triompher des intérêts particuliers. La démocratie est toujours menacée par la complexité et l'interférence des forces extra-politiques. La réglementation des monopoles n'est pas souvent faite à la satisfaction générale. Et c'est dans ce cas qu'on peut parler de victoire à la Pyrrhus. Ce serait une grande honte que d'atteindre à ces succès éphémères en se servant des classes sociales les plus démunies qui ne sont pas en mesure de faire triompher leur point de vue. Et c'est une idée dont il faut se persuader, que notre jeune État LE FIL CONDUCTEUR 9 démocratique exige des vertus civiques. La politique économique et la politique sociale ne sont qu'une seule et même chose. Au xxe siècle, la jouissance et la prospérité économique sont liées au sort de l'État en une parfaite interdépendance. L'économie libérale pratiquée dans la République fédérale a la juste prétention de se faire reconnaître comme l'un des facteurs déterminants de la construction de notre État démocratique ; cette politique économique a permis d'opérer un redressement exceptionnel. Nous n'avons pas seulement réussi à donner du travail et du pain à une population en accroissement constant mais aussi à atteindre un standing de vie supérieur à celui d'avant guerre. Cette économie libérale sociale est le chemin pénible, mais sûr, qui mène à la reconstruction ; elle nous a en même temps redonné la confiance du monde. Chapitre Il La na-,ssance de l'économie de marché Le 2 mars 1948, je pris la tête de l'Économie nationale. Quelles étaient alors les décisions qu'il convenait de prendre? J'ai défini la conjoncture économique de cette période dans un discours que je fis à Anvers le 31 mai 1954. « C'était l'époque étrange où un Allemand devait garder son assiette cinq ans, sa paire de chaussures douze ans, et où il pouvait s'offrir tous les quinze ans le luxe d'un complet Les tenants de l'économie dirigée n'avaient pas la moindre idée du dynamisme qui pourrait reprendre au moment où un peuple se rendrait compte de la valeur de la liberté et de sa dignité. » On lasserait la patience du lecteur en voulant reconstituer avec soin chaque étape de la réforme monétaire. Nous en marquerons simplement les grandes lignes. Le premier plan d'industrialisation qui avait été mis sur pied le 2 août 1945 voulait élever la capacité industrielle allemande à un niveau de 50 à 55% 10 LA NAISSANCE DE L'ÉCONOl\IIE DE :MARCHÉ 11 par rapport à celui de 1938. Il fallait compter avec l'accroissement de la population dû à l'affiux important de réfugiés. De plus l'unité économique de l'Allemagne était devenue impossible. Dans le second plan élaboré en 194 7 pour les zones anglo-américaines, la soi-disant « Bi-Zone » avait retrouvé la capacité de 1936 ; il y avait encore bien des restrictions et l'on était loin de 1936. La paralysie de l'économie et l'inflation. La production totale des deux zones économiques n'était encore qu'à 39 o/0 du niveau de 1936. La situation pouvait se résumer ainsi (Base 100 en 1936) Ensemble de l'industrie ......... . Charbon ....................... . ~'er et acier ..................... . Non ferreux .................... . Chirrtie ......................... . Construction .................... . Navires ........................ . Électrotechnique ................ . Mécanique de précision et optique. Textiles ........................ . Cuirs .......................... . Caoutchouc ..................... . Cellulose et papier .............. . 1946 1947 33 51 21 18 43 31 17 36 30 20 26 34 20 36 65 25 24 43 33 19 65 30 28 27 40 21 12 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS Était vouée à l'échec la tentative. qui consiste à museler l'inflation après chaque guerre par le blocage des prix et les mesures administratives. Nous vivions le phénomène de l'inflation des prix bloqués. L'abondance des signes d'ordre monétaire rendait toute mesure administrative absolument inefficace ; les transactions commerciales ne s'effectuaient plus. De plus en plus, les marchandises restaient stockées ; nous étions presque sur le point d'en revenir à l'économie de troc. En 1948, le professeur Ropke pouvait bien écrire que l'Allemagne, au moins pour les premiers mois, se débattait dans le pire chaos . . . qui se puisse voir. Une grande discussion s'engagea sur les méthodes qu'il convenait d'appliquer pour remédier à cette situation. C'est alors que se déclencha la lutte entre les partisans de l'économie dirigée et ceux de l'économie libérale, lutte qui ne se poursuivit pas seulement dans les hautes sphères allemands mais aussi chez les Alliés. On verra plus loin la nature de cet antagonisme. Les planificateurs inclinaient à adopter les idées des autorités britanniques; l'expérience planificatrice du Labour Party était en pleine réalisation. Les Libéraux pour leur part inclinaient vers les idées des autorités américaines. LA NAISSANCE DE L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ 13 La chance de l'Allemagne. C'est alors que s'offrit en 1948 la grande chance de l'Allemagne : la réforme monétaire, qui devait s'accompagner d'une réforme économique. Cette réforme devait être radicale. On se rend mal compte aujourd'hui de ce qu'il en a coûté. Les Français Jacques Rueff et André Piettre jugèrent ainsi cette unification des réformes économique et monétaire : « Le marché noir cessa tout à coup. Les boutiques se mirent à regorger de marchandises, les fabriques fumèrent et les camions circulèrent dans les rues. Là où il n'y avait que ruines, on revit la construction ... Du jour au lendemain, les magasins se remplirent, les fabriques travaillèrent. Les Allemands qui erraient sans but à travers les villes n'eurent bientôt plus qu'une idée : « produire. » Quelques lois et de la fermeté venaient de rétablir l'économie libérale en Allemagne! La loi du 24 juin 1948 conférait au directeur de l'administration économique le droit de jeter à la corbeille des centaines de décrets. Dans le cadre de cette loi, j'eus les pouvoirs de « prendre toutes les mesures convenables dans le domaine économique )) ce qui signifiait pour moi la nécessité d'écarter aussi vite que possible 14 LA PROSP~RITf POUR TOUS tous décrets et instructions relatifs aux prix et à l'organisation du marché. Une nouvelle législation entra en vigueur. Nous prîmes alors la seule voie possible : nous décidâmes de supprimer l'influence bureaucratique sur l'économie. Le 28 août 1948, nous nous adressions ainsi à un congrès de la C.D.U. : « Ce que nous devons faire actuellement, c'est relâcher toutes les entraves. Nous devons nous préparer à donner à notre peuple des principes moraux, et à opérer une réforme de notre économie sociale. « En passant de l'économie de la contrainte à l'économie libérale nous avons fait plus que prendre une simple mesure économique. Nous avons voulu partir sur des bases nouvelles. Il s'agissait d'abjurer l'intolérance qui finit par mener à la tyrannie et au totalitarisme. Nous devons créer une société fondée sur l'ordre et la conscience de la responsabilité. » · Le grand public a toujours ignoré cette transition vers l'économie de marché. Les autorités angloaméricaines avaient exigé de leur côté d'être tenues au courant des modifications qui pouvaient être apportées à la réglementation des prix, mais elles n'avaient pas pensé qu'on pouvait non pas modifier cette réglementation, mais purement et simplement la supprimer. Jamais on n'aurait pu penser que si LA 1\"AISSANCE DE L'ÉCONOMIE DE l\IAHCHÉ 15 peu de temps après la guerre on puisse faire preuve d'une telle témérité. J'eus la chance de recevoir l'approbation du général Clay, la personnalité la plus marquante de la Haute Commission. Les prix des biens de consommation et des produits alimentaires de base échappaient ainsi au contrôle allié. Ce premier succès ne signifiait pas la renonciation complète des alliés à surveiller la reconstruction allemande et à l'adapter à leurs idées. D'ailleurs les discussions se succédèrent ; elles concernaient surtout le démontage des usines, la fiscalité, la liberté des entreprises. En rapportant ici ces événements, je ne voudrais pas Ininimiser le sentiment de reconnaissance que le gouvernement fédéral et le peuple allen1and eurent vis-à-vis des U.S.A. au moment du Plan Marshall. Entre 1948 et 1954, 1 milliard et demi de dollars nous furent versés au titre de ce plan. Grèc;e générale contre l' écononûe libérale. Dans l'histoire économique allemande, la seconde moitié de 1948 fut particulièrement dramatique. C'est à ce moment que l'économie libérale dut triompher de l'économie planifiée. L'atmosphère et les circonstances ne se prêtaient guère à cet établis3 16 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS sement de l'économie de marché. L'indice des prix n'avait cessé de monter après la réforme monétaire. Il ne servait à rien de rappeler que les prix relativement bas de juin 1948 ne permettaient pas d'acheter quoi que ce fût et que les prix en D.M. étaient de beaucoup inférieurs à ceux qui étaient exprimés en marks noirs avant la réforme monétaire. Il s'agissait avant tout de ne pas se laisser impressionner par l'agitation sociale, non plus que par la grève générale du 12 novembre 1948 destinée à mettre fin aux conditions draconiennes qu'imposait l'économie de marché. Au Conseil Économique, le baromètre était à la tempête. Et dans tous les tiroirs de l'Administration, on trouvait des projets qui remettaient en honneur le système économique auquel nous voulions renoncer. Après la réforme, l'économie se trouva en face d'un pouvoir d'absorption presque illimité des consommateurs. Dans le secteur de la construction, par exemple, les destructions de la guerre et la nécessité de loger 8 millions de réfugiés créaient des besoins presque infinis. Si dans les premiers jours qui suivirent la réforme l'offre et la demande s'équilibrèrent à peu près, cet équilibre se rompit par la suite ; pour répondre aux consommateurs, on fut obligé de produire de plus en plus, et de liquider les stocks. LA NAISSANCE DE L'ÉcONOMIE DE MARCHÉ 17 La guerre des nerfs. C'est alors qu'éclata l'indignation contre l' évidence du stockage et de la thésaurisation. Il fallait quelque courage pour déclarer que ce mouvement était économiquement raisonnable. « Vous savez qu'on a dit de moi que j'étais le protecteur des cc stockeurs )). Ces calomnies ne m'atteignent pas. Autant je réprouve le stockage individuel, autant je crois de mon devoir de vous rappeler que l'épuisement systématique de nos stocks eût inévitablement abouti à annuler le pouvoir d'achat créé par la réforme monétaire ... Il faut dire que le stockage est un phénomène inhérent à la réforme monétaire. Il serait illogique de ne pas vouloir admettre que si nous n'avions pas eu ce cc tampon » à notre disposition, la réforme monétaire eût probablement échoué. )) L'origine de ces difficultés est claire. La totalité des disponibilités monétaires se retrouvait dans le circuit. Au 31 décembre 1948, la circulation monétaire atteignait le chiffre de 6,641 milliards de marks (y compris Berlin). La demande croissait donc plus vite que l'offre, surtout qu'il y avait une pénurie 18 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS dans les importations. On stockait d'autant plus que les liquidités inflationistes augmentaient. Les prix montèrent au cours de l'automne 1948, malgré le succès considérable de l' éc~nomie de marché qui réussit à augmenter la production de 50 <JI0 environ, de juin à décembre 1948. La hausse des prix s'exprime dans le tableau suivant : Indice des prix indust. 1948 Juin. Sept .. Déc .. 1949 = 91 101 104 100 Niveau de vie (1938 = 100) Nourr. Habil. Entret. Chauf. Éclair. 142 147 168 201 244 271 189 202 211 105 115 219 Mais comme il arrive souvent en économie, les mesures impopulaires et socialement indésirables eurent leur bon effet. Cette augmentation des prix ne se justifiait pas entièrement, et provoqua des bénéfices substantiels pour les entreprises, qui mécontentèrent l'opinion publique. Mais ces bénéfices ne constituaient qu'une fraction de la consommation privée de ces entreprises ; ils permirent une épargne qui ne se trouva pas mobilisable, au moment où l'ancienne épargne disparut avec la réforme monétaire. Cette formation du capital servit de base pour reconstituer des disponibilités perdues. LA NAISSANCE DE L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ 19 La fiscalité et ses positions. Le caractère inévitable de cette évolution permit tout de même dans la première phase qui suivit la réforme monétaire de produire davantage et de satisfaire une demande croissante de biens de consommation. Toutefois, la fiscalité était une gêne pour l'investissement. L'ordonnance militaire n° 64 du 20 juin 1948 prévoyait un amortissement important, et toute une foule de faveurs, qui remplaçaient un abaissement réel des impôts. On continua dans cette voie, même lorsque l'Allemagne reprit sa souveraineté. On créa de nouveaux stimulants pour les investissements ; et l'augmentation du potentiel de travail s'assortit d'une détaxation des heures supplémentaires. Les statistiques relatives au rendement de l'ouvrier montrent les effets de ce mouvement. L'enthousiasme pour le travail permit un certain allongement des heures productives et c'est seulement maintenant que cette tendance commence à s'atténuer. La productivité qui a augmenté de 60 % par rapport à 1949 justifie une diminution de ces heures, qui apparaît d'ailleurs comme un souhait social. Toutefois, ce mouvement exige une certaine lenteur 20 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS pour ne pas compromettre la stabilité économique et monétaire. Les semaines de tra<;ail, en heures (mines exclues). Années Hommes Femmes 1947 1948 1.949 1950 1951 1952 1954 1956 39,8 40 47,3 49,1 49 48,5 49,5 49 36,1. 40 43,8 45,5 45,2 44,7 45,9 45,5 Ensemble des industries 39,1. 42,4 46,5 48,2 48 47,5 48,6 48 Toutefois, la fiscalité n'atteignit pas toujours les buts économiques qu'on lui avait assignés, et souvent les impôts servirent les besoins de l'État tout en ayant une influence pernicieuse. La monnaie restait menacée par d'autres dangers. Les liquidités se trouvaient encore alimentées par la création continuelle de signes monétaires. Le 8 août 1948, les comptes courants furent débloqués et le crédit à court terme retrouva une signification. Cette situation ne pouvait prêter à la critique, car elle était une impérieuse nécessité économique. Le volume des crédits augmenta de 1,4 milliard de D.M. à 3,8 milliards entre juillet 1948 et octobre de la même année, et il atteignait fin décembre 4, 7 milliards de D.M. L'année suivante, ces crédits LA NAISSANCE DE L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ 21 furent portés à 5,1 milliards de D.M. Cette augmentation du crédit s'assortissait de l'augmentation des stocks, opérations particulièrement bénéfiques pour l'économie privée au moment précis où les prix étaient en train de monter. Telle était à l'automne 1948 une situation difficile. La baisse des pnx. Mon optimisme qui semblait risible finit par devenir un réalisme parfaitement clairvoyant ; dans la première moitié de l'année 1950, le niveau des prix de détail était descendu de 10,6 % par rapport à 1949. L'Allemagne occidentale était sortie d'une succession de mesures dangereuses qui semblaient se complaire dans la politique de hausse des prix. La comparaison avec d'autres nations montre que cette « politique d'austérité » pouvait se poursuivre encore, malgré la crise de Corée et le haut niveau de la conjoncture. Indice du coût de la çie ( 1950 All. 1952 1956 Juin 1957 Korvège Suède France = 100) Angle. Italie U.S.A. Suisse Pays-Bas 110 126 1"- 131 119 114 110 108 113 141 138 133 137 129 113 110 115 146 144 134 142 131 117 112 ~o 101 108 120 22 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS C'était là un grand changement dans l'orientation de la politique économique, et l'on en trouve encore des traces aujourd'hui; cette évolution d'ailleurs n'a pas été sans influencer le solde créditeur de la balance des paiements. Comment put se faire cette évolution qui parut si sensationnelle à d'aucuns? La politique des salaires qui ne calquait pas la hausse des prix au moment où existait encore un chômage important, devait être considérée comme un élément essentiel de la stabilité. Le blocage des salaires qui était encore en vigueur n'était pas compatible avec le système de l'économie de marché. Il était donc raisonnable, le 3 novembre 1948, de supprimer cette loi. Du même coup, les syndicats retrouvaient ainsi leur mobilité et leurs possibilités d'action; et ce progrès eût été impossible si l'on n'avait pas renoncé à l'économie planifiée. L'échec de la grève générale de novembre 1948 est un assez bon exemple de la modération relative de la politique des salaires. L'opinion publique fit comprendre aux syndicats qu'en combattant l'économie libérale ils faisaient fausse route. LA NAISSANCE DE L'ÉCONOl\1IE DE MARCHÉ 23 La maLn passe. Les syndicats n'étaient pas les seuls à formuler des critiques acerbes. La simple lecture des journaux de cette époque suffit à vous en persuader. Le pessimisme était à son comble. Voici quelques manchettes : « Les prix galopent ))' « Erhard perd son latin ))' « Chaos dans les prix », etc ... Ce qui était plus grave encore, c'était cette atmosphère de discorde économique. Chacun cherchait dans son partenaire un bouc émissaire : l'industrie accusait le commerce, le commerce l'industrie, les citadins les ruraux, etc... Il n'y avait qu'une chose à faire : continuer dans la voie que nous nous étions tracée. Aucun gouvernement, aucun Parlement n'aurait eu plus tard les nerfs assez solides pour maintenir ce système d'économie libérale. Les salaires horaires bruts des travailleurs étaient passés de 0,99 D.M. en juin 1948 à 1,13 D.M. en déce1nbre de la même année. C'était là une augmentation substantielle qui s'inscrivait dans le cadre de l'augmentation de la productivité. L'augmentation de la productivité par heure de travail témoigne de l'effet bienfaisant de ces réformes. 24 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS Augmentation de la producti(Jité par la réforme monétaire et économique par heure de tra(Jail 1936 = 100 1948 (1) Juin= 62,8 Septembre = 72,4 Décembre = 72,8 , 1949 Mars= 78,5 Juin= 80,6 Septembre= 82,1 Décembre= 82,7 1950 = 100 1949 = 90,3 1950 = 100 1951 = 108,2 1952 = 112,3 1953 = 119,2 1954 = 126,0 1955 = 133,8 1956 = 139,1 Taux d'aug. annuel + + + + + + + 10,7 °/o 8,2 o/0 3,8 o/0 6,1% 5,7 o/0 6,2 o/0 4,0 o/0 1950 Mars= 87,7 Juin= 90,0 Septembre = 98,0 Décembre = 93,6 1951. Mars= 100:2 A la fin de l'automne 1948 la Banque des Pays Allemands réussit la première à reprendre des mesures monétaires traditionnelles. Elle porta d'un seul coup ses réserves minimum de 10 à 15 %, et limita le réescompte des effets au seul cas de finan(1) Zone anglo-amhica ine seulement. LA NAISSANCE DE L'ÉCONOl\:IIE DE l\IARCHÉ 25 cement du commerce extérieur, d'achats de matières premières, ou de politique alimentaire. A la suite de ces mesures les organismes de crédit furent invités à partir du 1er décembre 1948 à ramener leur volume de crédits au niveau de fin octobre 1948. D'autres mesures restrictives furent également prises : quota monétaire de fin septembre 1948, fin de la conversion des crédits R.M. Il en résulta un phénomène nouveau qui nous intéresse encore : le budget de l'État fut pour la première fois excédentaire au dernier trimestre 1948, et ce fut le début des effets anti-inflationistes. L'esprit libéral qui a trouvé son expression dans la suppression de l'économie dirigée, favorisa aussi l'effort de limitation des dépenses budgétaires. Le 28 juin 1948 paraissait le décret sur la monnaie et les Finances publiques. On limita l'expansion tentaculaire de l'administration, on réduisit le nombre des hauts fonctionnaires, et les voyages officiels furent limités au minimum. Cette mesure, même circonscrite à la simple administration économique, reflétait une bonne volonté certaine. Lorsque je pris la tête de l'économie, il y avait 2 500 fonctionnaires en activité. En 1949, ils n'étaient plus que 1647. 26 LA PROSPÉRITÉ Le n~~eau POUR TOUS des pnx et le programme commun. Les essais de stabilisation des prix tentés par l'administration finirent par aboutir à la publication d'un tableau du niveau des prix qui devait montrer quel devait être théoriquement le prix de chaque article. Le premier tableau des prix du 11 septembre 1948 donnait le prix de 24,5 à 30 marks pour une paire de chaussures d'homme. C'est à la même époque qu'on élabora le programme commun, dans le cadre duquel on devait en août 1948, par exemple, produire 700 000 paires de chaussures à des prix très strictement calculés. C'est alors que fut publiée la loi du 7 octobre 1948, qui portait sur l'augmentation désordonnée des prix et qui donna lieu à des controverses parlementaires très vives. Mais pour comprendre cette loi, il faut se souvenir qu'elle fut une des causes du revirement des prix qui est intervenu par la suite. On ne saurait trop estimer l'efficacité du Plan Marshall qui permit d'améliorer la situation des matières premières. Au cours de la période fin 1948 début 1949, on vit s'accroître la production de matières premières et de machines. Pendant la première moitié de 1948, les importations commerciales ou autres avaient atteint la valeur de 1,2 mil- LA NAISSANCE DE L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ 27 liards de D.M. ; pendant la même période de 1949, elles furent portées à 3 milliards. Ainsi la première phase de la reconstruction économique de l'Allemagne se caractérisait-elle par la grande instabilité des prix, mais aussi par une augmentation substantielle du pouvoir d'achat des salariés, et par une grande élévation de la production. Voici le tableau de l'accroissement de la production, après la réforme monétaire 1936 = 100 Total des industries (construction exclue) .. Biens de production ... . Investissements ...... . Biens de consommation. Incl. alimentaires ..... ze trim. 1948 4e trim. 1948 52,1 46,4 46,6 43,4 55,0 75,4 68,3 75,7 66,6 78~8 C'est alors qu'on se rendit compte de plus en plus nettement que le « fossé )) entre les prix et le pouvoir d'achat commençait à se combler, et en faveur du consommateur. En quelques semaines le tableau changea. Le manque d'argent finit par faire annuler les commandes. On lut ainsi des propos tels que « Signal d'alarme dans le secteur des biens de consommation )), Le pessimisme changeait de camp. 28 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS La seconde phase. Après la réforme monétaire, beaucoup inclinaient à penser que la hausse des prix pouvait être dur able ; on se mit bientôt à craindre leur effondrement et l'on fut rempli d'inquiétude sur les possibilités d'amortissements des coûts. Cette baisse des prix qui se prolongea jusqu'au début de la guerre de Corée prouva aux consommateurs les immenses avantages de l'économie de marché, et cette confiance se fit plus grande encore lorsque l'homme de la rue put se livrer à des comparaisons avec les autres nations. Coûts de la ~w Allemagne fédérale. France ........... Australie .......... Pays-Bas ......... Grande-Bretagne ... Canada ........... U.S.A ............. Italie ............. Suède ............ (1950 - 100) 1949 1950 107 90 91 92 97 97 99 101 101 100 100 100 100 100 100 100 100 100 Jusqu'au milieu de 1950, la plupart des indices représentatifs retombèrent à leur niveau de 1948. LA NAISSANCE DE L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ 29 L'indice du coût de la vie d'une famille de quatre personnes (1936 = 100) était de 166 le quatrième trimestre 1948, de 160 pour l'année 1949, et de 149 pour l'année 1950. Au cours de la seconde moitié de 1948, le mouvement de hausse des _salaires s'était amorcé; mais il s'intensifia en 1949. Au contraire de ce qui s'était passé les années précédentes, les salaires s'élevèrent pendant que les prix baissaient, et l'on assista à une amélioration substantielle des salaires réels. C'est la grande caractéristique de cette seconde phase après la réforme de 1948. Le salaire horaire brut de l'ouvrier industriel passa de 1,22 D.M. en décembre 1948 à 1,33 en décembre de l'année suivante. En juin 1950, il s'élevait à 1,36 D.M. Au cours de la même période, l'indice du prix de la vie (1938 = 100) passait de 168 en janvier 1949 à 151 en juin 1950. Le pouvoir d'achat des travailleurs industriels, c'est-àdire le rapport entre le salaire hebdomadaire brut et l'indice du prix de la vie, s'éleva en 1949 de 20,5 %. C'était là l'effet essentiel de l'économie de marché. Le but de l'économie de marché, comme je l'expliquais le plus souvent possible, était de combiner la hausse des salaires avec la baisse des prix. Mais cela non plus n'alla pas sans mal. Voici en bref quels ont été les facteurs de cette évolution : alignement du niveau des prix sur le 30 I~A PROSPÉRITÉ POUR TOUS pouvoir d'achat des consommateurs par l'accroisseinent de la productivité, correction de la conjoncture par les surplus budgétaires, (et ce faisant, freinage des effets de la récession aux États-Unis), mais nécessité d'adapter les marchés, puisque depuis 1948 on avait libéré les échanges. Pour la première fois depuis quinze ans nous retrouvâmes la concurrence internationale sur le marché intérieur. L'industrie, après la réforme de 1948, fut contrainte pour la première fois, de reviser ses programmes de production qui portaient par trop l'empreinte d'une autarcie idéologique, et d' augmenter à vue d'œil ses possibilités exportatrices. La mystique de la clientèle. La baisse des prix fit des clients des rois, et les premiers essais dans ce pays neuf furent encore maladroits et difficiles. Désormais l'idée de productivité passait au second plan, elle était remplacée par l'idée de marché : c'était le nouvel aspect de l'esprit d'entreprise. Les statistiques de la productivité prouvent que de décembre 1948 à juin 1950 le niveau passa de 70,3 à 89,0% de celui de 1936. La rationalisation fut particulièrement forte dans tous les domaines où la concurrence se fit sentir. Si par exemple on évoque LA NAISSANCE DE L'ÉcO~Ol\UE DE .MARCHÉ 31 la productivite du premier et du second semestres de 1949, on s'aperçoit que l'industrie des tissus pendant ce court laps de temps est passée de l'indice 82,2 à 95,7, que l'industrie des chaussures est passée de 69 à 75,8, que les véhicules sont passés de 49,1 à 65,7, cependant que, fait capital, les mines de charbon qui se trouvaient précisément hors du cycle de l'économie de marché, n' amélioraient que faiblement leur productivité, puisqu'elles passaient de 61,3 à 61,5 seulement (1936 = 100). Il est inutile de souligner que ce sont les succès de cette rationalisation qui ont rendu possible la hausse des salaires, sans compromettre pour autant la stabilité des prix. L'illusion du plein emploi. Il est évident que le chômage restait cependant un des problèmes essentiels. Ses conséquences auraient pu être fatales à la nouvelle politique économique. Le nombre des chômeurs passa à 760 000 entre la réforme monétaire et la fin de 1948. Pendant toute l'année 1949, le chômage persista; et de mois en mois le nombre des chômeurs augmenta, pour passer à 1 560 000 à la fin de l'année. Une fois de plus, il fut question de l'échec complet de ma politique économique. 4 32 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS La masse des chômeurs était alourdie encore du flot des réfugiés. Les critiques qui m'étaient adressées passaient sous silence l'erreur de ceux qui avaient prédit que la réforme monétaire entraînerait 4 à 5 millions de chômeurs. Le chômage résultait de l'accroissement de la demande de travail. C'est ce que prouve la statistique des travailleurs en activité qui, de fin 1948 à 1949 diminue seulement de 150 000, alors que la pointe extrême du chômage se situe en février 1950, époque à laquelle il y eut 1 200 000 chômeurs de plus qu'à la fin de 1948. Les spécialistes penseront que ces chiffres témoignent en faveur de l'économie de marché ; ils prouvent en particulier le nombre de ceux qui dans l'économie de l'Allemagne occidentale considéraient le travail rémunérateur et nécessaire. A la même époque se produisit un phénomène extrêmement important : la politique du commerce extérieur changea complètement. Sur le plan international, l'économie allemande devint compétitive. Pour être complet, on n'oubliera pas de mentionner la dévaluation du D.M. qui eut lieu le 19 septembre 1949, dont l'ampleur atteignit 20 %, et qui fit passer la parité par rapport au dollar de 3,33 de D.M. à 4,20. Cette dévaluation fut rendue inutile par le développement du commerce extérieur. LA NAISSANCE DE L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ 33 Commerce extérieur et dévaluation du D.M. Moyenne par mois 1949 1er 3e trim. 1949 4e trim. 1950 1er trim. 28 trim. 3e trim. 48 trim. Exportations D.M. Dollars 326,4 399,3 502,3 596,3 727,3 963,5 93,2 94,6 118,8 140,6 171,3 229,4 1mportations D.M. Dollars 579,8 875,8 832,3 737,8 939,7 1 280,5 177,9 211,7 197,9 175,5 223,3 304,4 Il est intéressant de signaler que la République Fédérale Allemande eut le courage, alors que presque toutes les monnaies européennes s'alignaient sur la dévaluation de la Livre, de rester en dessous des taux de la Grande-Bretagne et de la France. Comme la situation avait changé en quinze mois ! Entre octobre 1949 et décembre 1950, les exportations avaient été multipliées par trois. La libération du commerce extérieur avait entraîné un tel élan des importations que notre solde extérieur était débiteur malgré l'augmentation des exportations. Les importations ne servaient pas seulement à l'augmentation de la consommation ; il s'agissait aussi de matières premières de base pour les industries exportatrices. Ainsi s'ajoutaient aux soucis du chômage les ennuis que nous créait le solde débiteur de notre commerce extérieur dont le passif était de 158 millions de dollars en 1949, 34 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS de 243 millions de dollars en 1950 ; la totalité du commerce extérieur de 1949 s'élevant au passif de 1114 000 000 de dollars et en 1950 à 723 millions de dollars. La politique du crédit est-elle une panacée P Le ministère de l'Économie ne pouvait rester insensible à une telle situation. Il pensait que l'économie interne était grippée et que les forces productives n'étaient pas employées au mieux. L'indice de la productio'n industrielle était bien passé de 75,2 en décembre 1948 à 96,1 en décembre 1949 (1936 = 100). Dans le cas du chômage, on pouvait penser que la situation intérieure exigeait une importante politique de crédit secondée par d'autres mesures d'expansion. En fait, on critiqua à l'époque ma politique soi-disant déflationniste et on exigea une extension du crédit, ce qui montrait clairement que ceux qui me critiquaient faisaient fi de la stabilité monétaire. Les disciples de la thèse anglaise du plein emploi, de « l'argent à bon marché » et de « l' austerity » épousèrent contre toute attente la thèse des hauts fonctionnaires américains qui, alarmés par le niveau des importations, ne voyaient pas sans appréhension la fin de l'aide Marshall. C'est ainsi que LA NAISSANCE DE L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ 35 toutes les forces. se liguèrent contre l'économie libérale que je m'évertuais à défendre. Je m'élevai personnellement avec beaucoup de violence contre une expansion forcée et artificielle. Pour moi, il n'y avait aucun doute que la politique d'expansion facile aurait compromis la stabilité de la monnaie et l'équilibre de notre b~lance des paiements. Les discours que je fis quelque .temps avant le conflit coréen montrent ma volonté d'exporter à tout prix. Le 20 septembre 1950, je déclarai : « La politique des exportations que nous avons menée, quelles que soient les critiques qui nous ont été adressées, procède de la certitude que nous avons d'être condamnés à l'asphyxie si nous ne prenons pas cette voie ... « Il ne faut pas nous contenter d'un succès apparent qui nous amènerait à faire fondre notre monnaie dans une nouvelle inflation et qui une fois encore pressurerait le petit épargnant. Ce serait là des méthodes condamnables auxquelles nous ne saurions penser. >> L'activité économique de l'Allemagne fédérale était soigneusement combinée pour pallier aux inconvénients du chômage massif d'une part, d'autre part, ne pas entraver le progrès et la stabilité monétaire qui allaient permettre à l'Allemagne de retrouver sa place internationale. 36 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS Les mesures pr~ses contre la récession. Je m'efforçai ainsi d'éviter à la fois la déflation et l'inflation. L'ensemble des mesures prises par le ministère de l'Économie et par la Banque d'émission, montre que l'économie de marché moderne est en mesure de lutter contre une récession, sans pour autant compromettre l'équilibre monétaire. Les mesures prises alors témoignent d'un grand souci d'équilibre. A la fin de mars, la Banque des Pays Allemands commença à desserrer le crédit. Le 1er juin 1949, on baissait le plancher des réserves de 15 à 12 % puis de 10 à 9 %. Le 27 mai, puis le 14 juillet 1949, le taux de l'escompte était baissé d'un demi-point ; il passait ainsi de 5 à 4%. A la fin de 1949, l'institut monétaire était en mesure d'accorder des crédits pour les investissements à long terme, à concurrence de 300 millions de D.M. La pression du chômage obligea à prendre des mesures d'expansion. Il s'agissait d'une aide financière destinée à trouver du travail et des subventions destinées à la reconstruction. On y investit en tout 3,4 milliards de D.M. Les crédits à court terme qui s'étaient élevés en 1948 à 4,7 milliards de D.M. atteignaient l'année suivante 5,1 milliards et augmentaient encore de 2,3 milliards au cours LA NAISSANCE DE L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ 37 du premier semestre 1950. Le volume des crédits à moyen et à long terme, atteignait à la fin de 1949 2,6 milliards ; au cours du premier semestre 1950, il s'élevait de 2 milliards. En avril1950 on put procéder à des abattements fiscaux, de façon à alléger le poids sur l'ensemble de l'économie. Les Alliés refusèrent tout d'abord cette réforme de la fiscalité. On peut rappeler ici l'énergie qui était nécessaire pour discuter avec les Alliés cependant qu'on luttait à propos des quotas d'acier, des démontages et de la déconcentration, les méthodes qui convenaient pour combler le déficit en dollars, et la reconstitution de l'économie. Cette période me fut très opportune, pour jet er par-dessus bord ce qui pouvait rester des contrôles et de la réglementation des prix. Il n'y afJait pas besoin de la Guerre de Corée. On trahirait la vérité historique si l'on attribuait au boom coréen la fin de nos difficultés économiques. Notre politique de la monnaie stable portait enfin ses fruits. L'indice de production passait de 90,9 en janvier 1950 à 107,6 en juin de la même année, c'est-à-dire une augmentation de près de 20 % par rapport à l'année précédente. La pression intérieure sur les prix et l'élargis- 38 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS sement ·du marché intéressèrent le commerce extérieur. Les exportations passèrent de 485,5 milliards de D.M. en décembre 1949 à 651 milliards en juin 1950. Au cours de ces six mois, les importations diminuèrent de 532,7 milliards à 138,6 entre janvier et juin 1950. Pendant la même année le chômage diminua de 360 000 personnes. Nous pouvons penser qu'il n'y avait pas besoin du conflit coréen pour que se poursuive l'expansion économique allemande ; et même, il est possible de dire que ce conflit créa plus de difficultés qu'il n'apporta d'avantages. Rappelo.ns seulement que la période qui prenait fin était favorable aux consommateurs; l'indice du prix de la vie était effectivement tombé de 168 (1936 = 100) à 148 entre janvier 1949 et septembre 1950; pendant le même temps, les salaires avaient connu une évolution croissante. Lorsque le monde connut avec le conflit coréen sa plus grande frayeur depuis 1939, les conditions économiques de l'expansion étaient déjà posées. Un développement naturel et sain allait être très profondément troublé. Chapitre Ill La cnse de Corée et les remèdes L'incertitude et le trouble apportés par la guerre de Corée posèrent de nombreux problèmes. On se trompait en croyant que les réactions du consommateur seraient calmes. Toutefois, on pouvait penser qu'il y avait un grand avantage à ce qu'on ait beaucoup investi depuis la réforme monétaire, même si une grande partie de ces investissements avaient coûté très cher. Il faut bien dire que dans les cinq premiers mois de la guerre de Corée l'élévation de la demande s'était traduite par une hausse de l'indice de production, passé de 116,6 en juin à 133,3 en novembre. Mais en même temps l'indice des prix des matières premières industrielles (1938 = 100) passait de 218 à 265, tandis que les prix de production passaient de 178 à 195. Malgré cette violente tendance à la hausse, la montée des prix, grâce à l'étonnante élasticité de la production, resta plus faible que dans l' ensen1ble du rnonde occidental. Malheureusement, 39 40 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS cette hausse fut sensible au consommateur. L'indice du coût de la vie passa de 148 en septembre 1950 à 151 à la fin de l'année pour atteindre 170 fin 1951. (1938 = 100). Les hausses des prix sur le marché mondial, la nervosité des consommateurs et des marchands, se reflètent parfaitement dans ces hausses d'indices. Nous étions bien peu à penser que la liberté de la consommation, pour moi une des libertés fondamentales de l'homme, puisse jamais survivre à cette crise. Le 6 février 1952, à propos de ces événements, je déclarai : « Il était compréhensible qu'un événement comme la guerre de Corée eut des effets particulièrement sensibles sur le peuple allemand, très coutumiers de l'inflation. La confusion était à son comble. Les uns désiraient se procurer des matières premières à tout prix, ce qui était parfaitement légitime dans un pays çomme le nôtre. Mais il nous fallait compter aussi avec des consommateurs, qui, rendus prudents à la suite d'événements tragiques, se montraient soucieux du lendemain et se demandaient si nous n'allions pas retomber dans un système d'économie planifiée ou de rationnement. Ainsi le consommateur était-il prêt à acheter de mauvaises marchandises à des prix trop élevés ... » LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES 41 La température monte à Bonn. En fait, la température montait dans tout le pays. La situation rappelait à beaucoup d'égards celle de fin 1946. Une fois de plus, nous avions contre nous les ennemis de l'économie libérale et l' opposition de la S.P.D. L'année 1951 offrit le spectacle de désaccord au sein même du gouvernement et d'une notoire incapacité à prendre les mesures qui s'imposaient. Seul le dynamisme de l'économie de marché put arriver à sauver la liberté économique qui s'était instaurée. Que de problèmes pour le ministre de l'Économie! On envisagea toutes les solutions: le ministère des Finances souhaitait copier le système de la Purchase Tax britannique, on proposa d'établir un Commissariat aux Devises, on imagina également de créer un Cabinet économique, sous la direction du Dr Ernst, et à la fin de 1951 on eut même l'idée de créer un super-ministère qui aurait eu pour résultat de paralyser complètement l'activité du ministère de l'Économie fédérale. Il devenait très difficile de s'y reconnaître dans cet imbroglio. Beaucoup de mes plans échouèrent, aussi bien ceux qui concernaient les prix que celui 42 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS de donner à l'industrie lourde des moyens d'investissement sous forme d'une « épargne à la cons-. truction ». A toutes ces difficultés s'ajoutèrent les attaques et les interventions américaines qui raccourcirent la durée du Plan Marshall, s'opposèrent par la fondation de l'U.E.P. à la montée en flèche de l'Allemagne et qui différèrent le déblocage des fonds de la contre-valeur de l'aide américaine. La pénurie de charbon déclencha de grandes discussions avec les autorités internationales de la Ruhr. De graves débats nous opposèrent aux Syndicats qui décidèrent de suspendre toute collaboration avec l'organisation économique. Cette énumération pourrait continuer longtemps. Il apparut bientôt qu'il était nécessaire de poursuivre la voie de l'économie libérale. A la fin de 1951, l'Allemagne n'avait plus rien à craindre de l'U.E.P. où elle était créditrice. A la même époque, le mouvement des prix se calma. Ce court aperçu montre qu'il était nécessaire d'avoir les nerfs solides. Nous avons parlé de cette psychose d'achat qui avait abouti au début de 1951 à des « chiffres d'affaires ahurissants >>. L'industrie de la chaussure par exemple avait vu ses affaires augmenter de 90%. Le chiffre d'affaire du commerce de détail augmenta également, ainsi qu'en témoigne cette statistique concernant lingerie et confection : LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES {1949 = 43 100) 1er semestre 1949 1er semestre 1950 1er semestre 1951 8() 109 136 2e semestre 1949 114 2e semestre 1950 152 2e semestre 1951 157 Toute une série de facteurs favorisèrent cette psychose politique. L'effondrement des prix qui avait précédé le conflit coréen provoqua chez l'industriel comme chez l'utilisateur une prudente politique de stockage. Puis ce fut la hausse des prix que l'on peut évaluer statistiquement en comparant les périodes qui précédèrent et suivirent le conflit coréen. Hausse des prix sur le marché mondial Mercure (marché de New-York). 71 à 210,15 dollars Caoutchouc (marché de N.-Y.). 17,60 à 60,64 cents par Lb. Laine (New-York) 130,8 à 220,8 cents par I.b. Plomb (Londres) 97 à 162 L ; lgto Fer (New-York) 49,9 à 57 dollars lgto U.K. Commodity Index (Reuter) 465,3 à 605,9 (1931 = 100) Indice général de l'économie mondiale (1936 = 100) 225 à 312,9 Les limites de capacité économique étaient atteintes. La loi du 23 avril 1950 sur l'impôt sur le revenu établit un dégrèvement fiscal. Le courant d'achats fut alimenté par cet apport de liquidités, et de plus, la part des revenus qui servait avant à la construction, se vit détournée de ses buts et incluse 44 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS dans la consommation courante. Pendant quelques mois, l'accroissement des dépôts d'épargne fut nul. Le goulot d'étranglement et le bilan du commerce. Les chiffres de la production reflètent cette évolution chaotique. L'indice général (1936 = 100) était de 107,6 en 1950; il passa à 130,9 et à 147,8 à la fin de 1951. Ce sont les biens d'investissements qui profitèrent le plus de ce boom de Corée ; leur indice passa de 108,4 à 164,1. Quant au secteur de biens de consommation, il connaissait encore une certaine stagnation. Puis il remonta brusquement : de juin 1950 à novembre 1951, son indice passa de 101,9 à 148,4. Ce développement étrange devait finir par créer un goulot d'étranglement. L'indice d'ensemble de l'industrie avait atteint après la réforme monétaire 51% du niveau de 1936; mais la production charbonnière atteignait 76,4 o/0 • En juin 1950, le charbon était resté à la traîne du développement général. Même si, à la fin de l'année, il marquait une hausse de 15 %, l'écart ne cessait cependant de s'accroître. La situation était la même pour le fer et pour l'acier. Était-ce imputable à l'économie de marché? Naturellement non. LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES 45 Il ne fallait toutefois pas rester inactif. On a déjà fait allusion à l'assainissement des prix. Il faut garder en mémoire les grandes difficultés de la loi d'aide aux investissements du 7 janvier 1952. Cette loi avait été très critiquée par la suite ; en réalité elle représentait un essai intéressant pour laisser l'économie résoudre elle-même les difficultés surgies. Le goulot d'étranglement des matières premières reçut un apport substantiel d'un milliard de D.M. dont : 296 millions de D.M. allèrent à l'industrie de l'acier et du fer; 228 millions au charbon; 242 millions à l'électricité ; 77 millions à l'hydraulique ; 50 millions aux chemins de fer. Les tendances à la hausse des prix sur le marché mondial, et l'accroissement constant de la demande, conduisirent à l'augmentation des importations, d'autant que le 1er septembre 1950 la libération des échanges entre les pays de l'O.E.C.E. s'étendait à 60 %- Le commerce extérieur se détériora immédiatement et au cours du second semestre 1950 le passif s'éleva à 535 millions de D.M. Quatre mois après la mise en route de l'U.E.P. les crédits de l'Allemagne avaient épuisé 320 millions de dollars. Cette augmentation des importations était parfaitement conforme à l'économie de marché, car 46 LA PROSP~RIT~ POUR TOUS dans la situation actuelle il s'agissait surtout de développer autant que possible la demande. Mon ministère prit toute une série de mesures : les licences d'importation furent réglementées, on créa un dépôt de liquidités à concurrence de 50 % de la contre-valeur en D.M. des devises utilisées pour les importations. Les banques centrales furent seules habilitées à délivrer les licences d'importation. Le 21 février 1951 on dut même suspendre la libération des échanges, après que l'aggravation du conflit coréen eut entraîné une nouvelle vague de demandes. Des mesures monétaires furent également prises, tel le relèvement des réserves du 1er octobre 1950. Le plancher minimum était de 50 %- Le réescompte bancaire fut également limité. Toutefois la situation des devises restait critique. Cent vingt millions de dollars accordés par l'U.E.P. à titre exceptionnel ne suffisaient pas à rétablir la situation. La Banque des pays allemands et le ministère de l'Économie étaient tout à fait d'accord pour limiter les importations. Au début de 1951 on renforça encore la rigueur des conditions de crédit. Le 28 février 1951 on donna l'ordre de ramener le volume des crédits à court terme à 1 milliard de D.M. LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES 47 Peut-on réarmer sans entraîner l'inflation? La guerre de Corée est une date importante parce qu'elle fit émettre l'idée du réarmement allemand. Ma préoccupation essentielle était d'éviter l'inflation. Je m'opposais à l'idée selon laquelle l'armement est synonyme d'inflation. On a lu dans les pages précédentes le déficit du commerce extérieur. La moyenne mensuelle de l'année 1950 se soldait par un passif d'environ 250 millions de D.M. et le 1er trimestre 1951 n'amena pas la moindre amélioration à la situation de la balance extérieure. Mais au cours du second trirnestre, elle se transforrna et on aboutit à un solde actif de près de 350 millions de D.M. C'était le début du redressement du commerce extérieur. Au cours de l'année 1951, on s'aperçut que les difficultés étaient peu à peu surmontées, et toutefois les critiques sur l'économie de marché et sur le ministère de l'Économie allèrent bon train en 1951. Cette année connut cependant l'expansion et la récession consécutives au boom coréen ; et elle répondit pour la première fois aux deux brûlantes questions que voici : l'alternance de la prospérité et de la dépression était-elle inévitable? L'économie de marché était-elle capable de dominer les cycles 5 48 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS économiques? Petit à petit les prix revinrent à la normale : d'abord les matières premières; ensuite les prix de détail, qui se détendirent peu à peu : dans l'industrie du vêtement par exemple, l'indice passa de 212 à 205 entre mai et décembre 1951 (1938 = 100). Ce changement se manifesta éga· lement dans le secteur de la production. La plupart des indices commencèrent à baisser, sans qu'on puisse toutefois parler de crise, à moins que l'on ne veuille considérer comme normale l'espèce de hausse hystérique due à la guerre de Corée. Un nouvel essor de notre économie allait commencer. On poussa de la même façon la production des biens d'investissement et de consommation. Une certaine disparité se produisit par la suite. On maintint la capacité d'investissement et l'indice de ce secteur passa de 141,3 à 164,1 de novembre 1950 à novembre 1951 et il ne cessa de s'accroître. Le résultat de cette évolution fut que la production dépassa de 30 points l'industrie des biens de consommation. Cet état de choses se poursuivit l'année suivante. A voir les chiffres de production, il n'y avait pas le moindre danger de crise : Indice de la production industrielle 1950 1950 1951 fer semestre 2e semestre 1er semestre 97:7 121,7 127,7 1951 2e semestre 1952 1er semestre 1952 2t> semestre \43,3 133,4 145,3 LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES 49 Les goulots d'étranglement dans les secteurs du charbon et de l'acier continuèrent à se manifester dans la mesure où le boom coréen faisait encore sentir ses effets. On peut considérer comme une date historique le moment où l'on fut obligé d'importer du charbon des U.S.A. Les importations de charbon de toutes qualités passèrent de 5,3 millions de tonnes en 1950 à 10,4 millions de tonnes l'année suivante. Pendant ce temps le solde des exportations passa de 20,1 millions de tonnes à + 14,4. Commerce Export. lm port. Solde e1~tàieur du charbon (mil. de tonnes) 1949 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 22,4 5,4 17,0 25,4 5,3 20,1 24,8 10,4 14,4 24,5 12)8 11,7 24,5 10,4 14,1 28,2 9,5 18,7 25,8 17,4 8,4 25,2 20,6 4,6 Quant au nombre des travailleurs embauchés, il passa de 13,83 millions en 1950 à 14,56 millions en 1951 et à 15 millions en 1952. Cette augmentation dans un délai si court reflète parfaitement notre dynamisme économique. Dans les années qui suivirent ce développement de la conjoncture, on vit combien mon désir d'expansion fut aidé par ce secours substantiel de l'embauche. Au cours des mêmes années, le nombre des chômeurs passa de 1,58 million en 1950 à 1,38 en 1952. 50 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS Retour au libéralisme. Malgré le retour au calme de la conjoncture, les mesures restrictives qui frappaient la monnaie et le crédit furent maintenues. On prit un certain nombre de mesures de politique économique dont voici la ligne directrice : 1° En matière de finances, l'impôt sur les sociétés et la taxe sur le chiffre d'affaires furent réévalués ; on supprima certains privilèges de l'impôt sur le revenu. 2° En matière de politique monétaire, on procéda à une diminution des plafonds de crédit. Les 50 o/0 de dépôt en liquide qui furent réduits à 25 % fin décembre 1950, perdirent encore de leur signification et finirent ~par être complètement supprimés. 3° Un des actes les plus lourds de signification fut la libération des importations des pays de l'O.E.C.E. La première liste s'étendait à 50 % des importations ; le 1er avril 1952, elle atteignait 57 %. (référence : 1949). 4° Les réserves minimum des banques furent abaissées_ de 1 o/0 , le 29 rnai 1952 ; cette baisse s'accentua par la stiite. Pendant ce temps, la Banque des pays allemands perfectionna son système de crédit. Les quotas de réescompte furent modifiés et l'on traça les grandes lignes d'une politique LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES 51 destinée à permettre à l'automne 1951les opérations d'open-market. On notera que cette période fut marquée par une forte élévation des salaires et des traitements. Le salaire horaire brut augmenta de 14,8% et le salaire hebdomadaire de 13,3 % dans l'industrie. Mais à l'inverse de 1949, une partie de la hausse des salaires fut compensée par la hausse des prix, de sorte que le salaire réel de 1951 n'augmenta que de 5,4 %, alors que l'accroissement de 1949 avait été de 20,5%Ces deux chiffres prouvent la justesse de la thèse qui soutient que la hausse de salaires supérieure au progrès de la productivité est absurde et dangereuse et que les consommateurs doivent s'attacher à la stabilité des prix. L'unisson idéal. A la fin de l'année 1951-52, la hausse consécutive à la guerre de Corée s'atténua complètement. On en était arrivé à la fin de la troisième phase de notre système d'économie libérale ; il s'agissait de confirmer et de garder ce système. Quelle fut donc la caractéristique de cette quatrième phase? On arriva à har1noniser trois facteurs : grâce à la stabilité et même à la baisse des prix, l'augmentation du bien-être alla de pair avec la production 52 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS et la productivité, et avec l'élévation des salaires. Le 6 septembre 1953, je disais : « Notre politique économique sert· d'abord le consommateur ; c'est lui qui est la mesure et le juge de toute activité économique. Cette politique de l'économie de marché a universellement prouvé que les principes de la libre concurrence, de la consommation et du développement de la personnalité remportaient des succès économiques et sociaux de beaucoup supérieurs à ceux que connaissent les différentes économies planifiées... » La production industrielle de 1952 et 1953 fut en augmentation constante. De 128,6 o/0 en 1952 (base 1936) on se retrouva en novembre à 160,8. La production de novembre 1953 atteignit 175,6. En novembre 1954 enfin, on arriva à doubler la production par rapport à 1936. C'est là la meilleure preuve de la puissance de travail de toutes les classes de la société. Comparaison des productions industrielles ( 1950 = 100) 1938 1949 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 Allemagne ...... France .......... Norvège ........ Canada ......... U.S.A ........... Royaume- Uni ... Danemark ...... 107 81 65 48 43 75 80 99 88 94 87 93 89 100 100 100 100 100 100 100 119 113 107 107 107 104 102 126 118 108 110 111 101 98 139 115 114 117 120 107 102 155 125 125 116 112 114 108 178 137 129 126 124 121 113 192 159 140 134 12R 120 113 LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES 53 Derrière ce développement d'ensemble, il se cache un déplacement de l'énergie économique en faveur de l'industrie des biens de consommation ; vraiment 1953 mérita son nom de « l'année des consommateurs >>. On a vu quelle différence il y eut dans le développement des biens de production et des biens de consommation, dans les années qui précédaient. La baisse de l'industrie des biens de consommation en juillet 1952 inquiéta au même titre les consommateurs et les économistes. Mais une vigoureuse reprise dans le sec~eur des biens de consommation fit remonter leur indice à 164,5 en novembre 1952 et à 180,4 en novembre 1954. On avait ainsi réussi à rattraper le niveau atteint par les biens de production. La hausse des re5Jenus. La hausse de la production d'environ 60 % s'accompagna d'une augmentation des revenus. Les hausses de salaires et de traitements des employés comme des fonctionnaires s'accompagnaient d'une augmentation générale des revenus et rentes provenant des Assurances Sociales, ainsi que de versements pour la péréquation des charges. Les effets de la petite réforme fiscale du 24 juin 1953 qui 54 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS procéda à un abattement moyen de 15% se firent également sentir. Au moment de la baisse des prix, le marché montrait une grande capacité d'absorption. La capacité de consommation se voyait non seulement aux achats de biens de consommation traditionnels, mais aussi aux demandes de biens de consommation durables. Le désir d'un haut standing de vie trouvait de plus en plus une base solide. Quel fut le bilan de cette période après la crise de Corée? Entre la fin de 1951 et le milieu de 1954, environ deux millions de perso~nes trouvèrent une activité assurée. En même temps, le nombre des chômeurs passa de 1 214 000 à 820 900 en 1954. Pendant ce temps, le salaire hebdomadaire brut des travailleurs passait de 68,52 D.M. en juillet 1951, à 741'année suivante et à 80,99 en 1954; et certains indices de biens de consommation accusèrent une baisse sensible. Le désir de rationalisation qui avait remplacé l'idéal de la capacité de la production fut une des grandes raisons du ralentissement des investissements. L'esprit d'entreprise fut indiscutablement gêné par la situation politique instable, l'incertitude relative au pool charbon-acier et le sort de la Communauté européenne. L'industrie des biens d'investissement n'avait qu'à se louer de l'expansion ; de même les possibilités d'auto-financement des LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES 55 industries de production avaient été considérablement améliorées par les hausses des prix. Les prix du charbon entre 1950 et 1953 augmentèrent de 32,92 D.M. à 52,08, cependant que J'acier passait de 227,35 à 400,62 la tonne. La reconstruction des logements bénéficia de cette expansion générale. Le nombre des habitations construites entre 1952 et 1953 passa de 443 000 à 510 000 unités. Le secteur du bâtiment s'était trouvé dans l' obligation d'abriter des millions de réfugiés et de sinistrés de la guerre. Déjà le nombre des logements achevés était passé de 215 000 en 1949 à 441 000 en 1951. Dans les trois dernières années, c'est plus de 540 000 habitations qui ont été construites par an. On pourra comparer ce chiffre avec celui de 1929 où 197 000 logements seulement furent construits. Le financement annuel oscillait depuis 1954 entre 9 et 11 milliards de D.M. Les finances publiques assuraient 30 üj0 des dépenses, cependant que le marché des capitaux en assurait 50 %. Cette économie en plein essor se reflète également dans la situation du marché extérieur. Alors que le bilan de 1949 et de 1950 affichait un passif presque « désespéré » de 3 milliards de D.M. le solde passif de 1951 avait été réduit à 149 millions de D.M. et en 1952 le bilan du commerce affichait un surplus de 705,9 millions de D.M. On inaugurait ainsi la phase d'une activité à 56 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS long terme qui avait donné lieu à des discussions acharnées durant de longs mois. L'excédent atteignait en 1953 2,5 milliards de D.M. Or ce solde créditeur n'était pas dû à une diminution des importations. Les importations s'élevèrent de 11,37 milliards de D.M. en 1950 à 14,7 milliards de D.M. en 1951 et à 16,2 milliards de D.M. en 1952. En 1953, le niveau des importations resta étale. En 1954, elles passèrent à 19,3 milliards de D.M. et en 1955 à 24,47 milliards. En 1956, elles étaient à 27,96 milliards. Cette situation créait un problème de plus en plus préoccupant : les excédents favorisaient la liquidité. Or, on ne se rendait pas compte de l'importance de cette question parce qu'on voyait surtout l'effet neutralisant de la thésaurisation grâce aux excédents des finances publiques qui n'avaient jamais connu dans le passé une situation d'une telle ampleur et d'une telle durée. L'erreur des planificateurs. Le plan Marshall qui avait pendant quatre ans apporté une aide globale de 106 millions de dollars cessa le 30 juin 1952. Cette cessation nous ramena à cette planification initiale qui avait été un échec dans le LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES 57 Plan à long terme ». Depuis 1949 ce plan avait joué un grand rôle dans la vie économique ; il concernait les principes économiques et financiers qui devaient être appliqués jusqu'en 1952. Les objectifs étaient impossibles, prétendaient les experts allemands. Mais les exemples qui suivent vont montrer que la réalité eut raison de ce pesSimisme. 1° On avait prévu une production industrielle de 110 % de 1936 pour 1952 et 1953. On atteignit en réalité 145 %. 2° On évalua le standing de vie pour les années 1952 et 53 à 20 % au-dessous des chiffres de 1936. En fait, la consommation privée qui était de 768 marks par individu en 1936 passa à 827 marks en 1952-53 (base : prix de 1936). 3° On supposait qu'à la fin du Plan Marshall nos possibilités d'exportation seraient de 2,818 milliards de dollars. En réalité, ces exportations s' élevèrent en 1952 à 4,04 milliards de dollars, et en 1953 à 4,42 milliards de dollars. 4° Il convient de noter enfin que l'on considérait indispensable d'extraire quotidiennement 425 000 tonnes de charbon en 1952-53 pour les besoins allemands. Quoique les prévisions du plan aient été largement dépassées, on peut constater que les mines avec leur production de 408 000 tonnes ne furent pas tellement inférieures aux estimations. c< 58 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS La situation économique ainsi rétablie permit de supprimer un certain nombre des restrictions qui avaient dû être imposées pendant la crise de Corée. Après qu'au 29 mai 1952 le taux d'escompte de 6 % eut subi une diminution de 1 % quatre autres réductions se succédèrent pour aboutir au 20 mai 1954 au niveau très bas de 3 %. Evolution du taux d'escompte et des avances sur titres. Valable à partir de Taux d'escompte Avances sur titres 1948 1er juillet 1er septembre 15 décembre 1949 27 mai 14 juillet 1950 27 octobre 1952 29 mai 21 août 1953 8 janvier 11 juin 1954 20 mai 1er juillet 1955 4 août 1956 8 mars 19 mai 5 o/o 6 o/o 4,5 °/o 4 o/o 6 o/o 5 o/o 4~5 o/0 4 o/o 3,5 o/0 3 ~/o 5,5 o/0 5 o/o 7 % 6 o/o 5,5 °/0 5 Of<) 4,5% 4 o/o 3,5% 4,5<% 5,5<% 5 01 /0 4,5 °/0 4 o/o 4,5% 5,5 ~~ 6,5% 6 o/o 5,5 o/0 5 o/o 6 septembre 1957 11 janvier 19 septembre LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES La marche en 59 a~ant. C'est pendant ces mêmes années que con1mença à se manifester un véritable « élan en avant ». Citons à ce sujet un discours prononcé à l'occasion de la foire technique à Hanovre, fin avril 1953 : « J'ai pu me convaincre au cours de ce dernier trimestre que nous devions nous efforcer de sortir de tout le côté élémentaire de la consommation matérielle, et que nous devions nous soucier de trouver dans les foyers allemands et en particulier chez les travailleurs des biens de consommation durable, tels que les frigidaires, les machines à laver et les aspirateurs. On m'a répondu en me montrant combien gagnait un rentier de l'Assurance sociale, et en me disant que les gens n'étaient pas prêts de penser à de tels achats. Il est évident que le rentier de l'Assurance sociale ne peut pas commencer par avoir un niveau de consommation élevé. En Amérique ce ne sont pas les plus pauvres qui commencent par avoir une auto ! Mais nous pensons que le luxe d'aujourd'hui s'étendra davantage demain, et que dans l'avenir, le bien de consommation sera l'apanage de tous. Si nous n'avons pas le courage d'étouffer le ressentiment de classe, si nous ne pouvons pas 60 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS supporter que, dans le développement de la technique, certaines classes de consommateurs soient en avance sur d'autres, nous allons être obligés de nous confiner dans une pauvreté artificielle ... » Voici d'ailleurs une statistique. Production de frigidaires Nombre 1949( 1950 .· 1951 \ 1952 pas de statistiques 214 000 Valeur (millions de D.M.) 28 40 75 108 Nombre 1953 1954 1955 1956 363 600 521 500 588 700 800 000 Valeur 158 323 241 373 Au second Salon international du cycle, à Francfort-sur-le Main, j'eus l'occasion le 17 octobre 1953 de m'élever contre l'argument de l'époque de vouloir remédier à l'encombrement de la circulation par une diminution des engins motorisés : « Je suis convaincu qu'il n'est pas du ressort de l'État de vérifier l'emploi que les particuliers font de leurs revenus ; . . . et même je suis sûr que le problème de la circulation ne peut se résoudre que par l'expansion car on se trouvera ainsi obligé de construire des voies de circulation. >> Lorsque je tenais ces propos, la production des cycles, motos et autres <c deux roues », était passée LA CRISE DE CORÉE ET LES REMÈDES 61 de 143 800 en 1949, à 290 800 en 1951, et à 524 400 en 1953. Cette expansion pourrait s'appliquer plus justement encore à la production des automobiles. La voiture était mise à la portée des salariés et des travailleurs. La production crût de façon marquante puisque le nombre des automobiles passa de 104 055 en 1949 à 850 000 à l'heure actuelle. Les pessimistes à l' œu~re. Lorsqu'on crut en 1953-54 avoir passé le cap des « années grasses ))' lorsqu'on s'imagina que la force d'expansion de l'économie et ses capacités commençaient à baisser, je me vis dans l'obligation de réagir. « Par les progrès qu'elle a accomplis, l'économie allemande n'a rien à envier aux autres économies européennes. Son mouvement ne doit pas s'arrêter et il convient en conséquence de raviver l'élan de la conjoncture, c'est-à-dire les investissements, la rationalisation et la tendance à la consommation. Il n'existe aucune raison logique à une dépression économique, car le standing de vie moyen de notre peuple se trouve à un niveau qui fait mentir les prévisions les plus pessimistes sur notre retard et 62 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS sur un soi-disant excès de la consommation. » « Et lorsque je regardais cette année 1954, je disais : « Si l'on ne peut pas prévoir les rapports exacts qui peuvent exister entre l'épargne, les nécessités d'investissement et la consommation, je considère qu'il vaut mieux maintenir le niveau de la consommation fût-ce au détriment de l'accumulation de capital, que de ramener l'épargne à un niveau satisfaisant en diminuant la consommation, mais en créant par cela même certains problèmes de mévente. » Chapitre IV Le maintien de la prospérité En période de prospérité, il faut toujours se méfier du danger de l'inflation. Il était si difficile de parer au danger de l'inflation que beaucoup inclinaient à croire que c'était là le seul problème et à oublier par conséquent les immenses progrès qui avaient été faits dans le domaine économique et social. Nous allons expliquer comment nous avons éliminé certaines légères tendances à l'inflation. Le tableau ci-joint montre le passage à la prospérité qui s'accomplit en 1954. Production (indice 1936 1953 Semestre ]er Total des indust. Biens d'invest. Biens de product. Biens de consom. 145,6 167,6 132,3 142,2 63 = 100) 1954 1955 Jer 161,5 178,4 141,2 161,5 162,1 193,6 147,6 157,6 1956 ]er 181,2 215,1 164,5 173,3 187,9 242,2 174,3 174,2 206,9 261,1 186,9 193,8 6 206 274,2 188,8 191,5 64 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS Ces chiffres montrent bien que les années 1954 et 1955 peuvent être considérées comme des années fastes pour les investissements. Il est évident que la répartition des investissements se fit de façon très différente, mais personne ne pouvait se défendre d'avoir l'impression d'une activité et d'une expansion extrêmement vigoureuse. Au milieu de 1954 il n'y avait guère de doute que nous allions vers une période de prospérité. Cette opinion se fondait sur le développement des commandes. Au cours du premier semestre 1954, cette augmentation fut de 23,6 % supérieure à celle qu'avait connue le premier semestre de 1953 ; pour les matières premières cette augmentation était de 33,3% ; elle était de 27,8% pour l'industrie des biens d'investissements ; pour l'industrie des biens de consommation elle n'était toutefois que de 6,6 %. Au cours du second semestre de 1954, nous nous rapprochâmes du plein emploi dont les politiciens et les économistes avaient fait un but suprême depuis la crise des années 1930. Pendant cinq mois, de juin à novembre 1954, pour la première fois on tomba en dessous du million de chômeurs, et un an plus tard, le 30 septembre 1955, le nombre des chômeurs était tombé à moins de 500 000. Dans certaines régions ou dans certaines branches d'industrie, le plein emploi était atteint. 65 LE MAINTIEN DE LA PROSPÉRITÉ Statistique de l'emploi {en milll:ers) Périodes TrMailleurs Chômeurs Ensemble 30-6-48 30-9-48 30-9-49 30-9-50 30-9-51 30-9-52 30-9-53 30-9-54 30-9-55 30-9-56 30-9-57 13 468 13 463 13 604 14 296 14 885 15 456 16 044 1.6 831 17 807 18 610 19 003 451 784 1314 1272 1235 1051 941 823 495 411 367 13 919 14 247 14 918 15 568 16120 16 507 16 985 17 654 18 302 19 021 19 370 On peut voir que ce mouvement n'a fait que progresser. En l'espace d'un an, 800 000 personnes avaient trouvé du travail, 10 % environ provenant des chômeurs. On peut estimer que dans l'ensemble, au cours des sept dernières années, 900 000 chômeurs ont pu être reclassés, cependant que le nombre de travailleurs augmentait de 5 millions. A l'automne 1956, le nombre des chômeurs était de 2,2 % de l'ensemble de la main-d'œuvre (Hommes: 1,4 o/0 ; femmes : 3,6 %) . ÉléYation des salaires et des reYenus. Le développement des revenus est l'expression même de cette bonne conjoncture, et cet accrois- 66 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS sement a touché toutes les classes de la société. Le salaire horaire brut des travailleurs s'éleva en 1955 de 6,8 o/0 • Cette évolution s'est poursuivie encore et de façon plus nette en 1956 et elle a atteint au cours des trois premiers trimestres de l'année 8,5 %, 8,9 o/0 et 8,4 %, bien que l'accroissement de la productivité n'ait pas suivi ce mouvement. D'après les statistiques de la Banque des Pays Allemands, les salaires et revenus nets sont passés de 54,1 milliards de D.M. en 1954 à 60,9 milliards en 1955. En 1956, d'après les calculs de cette même banque, l'accroissement a été de 12 o/0 et peut se chiffrer à 67,9 milliards. En même temps les pensions et les rentes se sont accrues de 17,7 milliards (1954) à 19,6 milliards l'année suivante. En 1956, le niveau atteint était de 22 milliards. Le revenu global s'est accru de 71,8 milliards en 1954 à 80,6 en 1955. Toujours d'après les calculs de la Banque des Pays Allemands, nous arrivions en 1956 à 89,9 milliards. Cette augmentation générale du bien-être est particulièrement visible lorsqu'on se réfère au revenu global exprimé en prix de 1936, par tête d'habitant. en R.M.fD.M. 1936 1949 = 100 = 100 1936 1949 1950 1952 1954 1955 992 100 836 84 100 939 95 112 1 086 109 130 1 230 124 147 1350 136 161 LE MAINTIEN DE LA PROSPÉRITÉ 67 ViYe réaction de l'épargnant. Parmi les facteurs économiques qui ont joué un grand rôle dans le haut niveau de la conjoncture, mais qui à l'inverse ont été également influencés par cette conjoncture, on trouve surtout l'épargne. Les débuts de l'expansion économique coïncident avec une épargne très intensive. 1954 a été non seulement une année d'investissement, mais aussi une année d'épargne. Cette identité qui se poursuit également en 1955 s'est dissociée en 1956. Les dépôts d'épargne se sont accrus en 1954 et 1955 de 11,24 à 16,72 milliards de D.M. et jusqu'au début de 1956, ils avaient encore crû de 4 milliards. Ce haut niveau de l'épargne apparaît comme un très grand facteur de stabilité, cependant l'épargne effective était pour nous un grand souci. Entre janvier et novembre 1956, les dépôts d'épargne n'augmentèrent que de 1,8 milliard de D.M. C'était là un accroissement bien faible. Jusqu'à la fin de l'année on a pu arriver seulement à 23,37 milliards. Ce développement de l'épargne libre depuis la réforme monétaire prouve la confiance que la population avait dans la stabilité de la monnaie. D'autres facteurs ont joué dans cette expansion de 68 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS la conjoncture. Avec l'abolition de la prétendue loi sur l'encouragement du marché des capitaux, on prenait le chemin qui allait redonner à ce marché 2J~~~iiii=~~~~~::7:===~=~~~~~ 11iillii&B 21 19 17 15 9 7 1948 1949 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 Fig. 1. - Mal gré les résistances psychologiques consécutiPes aux deux déPaluations, la fin de l'année 1956 Poyait une épargne totale égale à enPiron 35 milliards de DM. La croissance de l'épargne des quatre dernières années est remarquablement importante. une valeur économique. A partir de ce moment (31 décembre 1954) les taux d'intérêt et les rentes retrouvèrent leur signification. La combinaison des différents comptes d'épargne qui affinaient sur le marché des capitaux permettait de satisfaire la LE MAINTIEN DE LA PROSPÉRITÉ 69 demande d'investissement lorsqu'on s'adressait à ce marché. On assistait ainsi à une renaissance du marché des actions. L'expansion économique se reflète surtout dans notre commerce extérieur. L'année 1954 comme l'année 1955 furent caractérisées par une grande expansion de notre commerce extérieur, et notre balance commerciale avec l'étranger se traduisit par un solde actif important. L'exportation fut d'ailleurs favorisée par une certaine détente dans le domaine des biens d'investissement et par la libération des échanges. Sans aucun doute, cette augmentation aurait été beaucoup plus grande si le ministère de l'économie fédérale n'avait pas poursuivi à cette époque une politique judicieuse pour favoriser les importations. La position de l'Allemagne sur le marché mondial s'était singulièrement raffermie. Son commerce extérieur en faisait le troisième puissance mondiale après les U.S.A. et la Grande-Bretagne. Si la stabilité des prix avait pu être complètement sauvegardée, ces paliers caractéristiques d'une économie en plein succès auraient fait l'objet d'une unanimité sans réserve. Même si cet état idéal n'est presque jamais atteint il faut cependant constater que cet essor inattendu des exportations et de la demande effective ne s'accompagna que 1950 1951 1952 1953 ~5 1954 1955 1956 - lmp !al/on • • • Exp or/afton Fig. 2. - Le graphique ci-dessus montre le déPeloppement du commerce extérieur. Dans le bilan du commerce extérieur, le solde passif de l'année 1950 s' élePait à 3 milliards de DM; en 1956 il s'était transformé en un solde actif. '70 LE MAINTIEN DE LA PROSPÉRITÉ 71 d'augmentations de prix relativement minimes : il n'y avait donc pas lieu de dramatiser les choses. On aurait d'autant plus redouté une hausse brusque des prix, qu'au cours de cette période de prospérité la demande dépassa de beaucoup l'offre effective. C'est encore aujourd'hui le cas pour l'exportation. Il y eut une légère tendance à la hausse des prix. Les prix de production industrielle (1950 = 100) avaient légèrement baissé au cours des deux dernières années ; ils étaient tombés de 121 à 116 et ce dernier niveau pu être maintenu jusqu'en septembre 1954. A partir de cette date, l'augmentation fut lente, mais constante. En février 56, on retrouva le niveau de 52. En 1956, la hausse devint plus sensible. (Augmentation de 2,9% par rapport à novembre 1955 et de 5,1 % par rapport à 1954.) Depuis quelque temps déjà, la hausse des prix agricoles s'était produite. En 1953,-54 l'indice était de 112 o/0 de 1950; en 1955-56 il était de 123 %. A côté de cela, l'indice du coût de la vie restait relativement stable. En 1954, il fut sensiblement égal à 1953 (108 o/0 de 1950); puis il s'éleva à 110% et depuis 1956 oscille entre 121 et 114 o/0 • Sur le plan international, la République fédérale tient un rang honorable, a1ns1 qu'on peut le VOir. 72 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS Coût de la Pte (1949-51 Allemagne fédérale .. Belgique ............ U.S.A .............. France ............. Danemark (1) ....... Suède .............. Grande-Bretagne .... Norvège (1) ........ - 100) 1953 1954 1955 3e trim. 56 103 106 109 126 115 120 120 129 103 108 109 126 116 122 122 135 105 107 109 127 121 125 128 136 108 110 111 129 128 132 132 142 La stabilité des prix est la première des règles. La diminution du pouvoir d'achat est l'envers de la médaille des périodes de haute conjoncture. J'ai toujours attiré l'attention sur le fait qu'à long terme, il n'y a pas de progrès économique qui soit assez grand pour justifier un affaiblissement de la monnaie, si faible soit-il. D'autre part, j'ai toujours protesté avec force contre l'idée qui veut une expansion accompagnée nécessairement d'une hausse des prix. Dans l'intérêt même des épargnants et de tous les revenus, il faut toujours harmoniser le bien-être économique et la stabilité des prix. J'ai d'ailleurs développé cette idée dans (t) 1950 = 100. LE MAINTIEN DE LA PROSPÉRITÉ 73 de nombreux discours. Ce qui ne m'empêchait pas de refuser que la stabilité de la monnaie soit acquise au prix d'un ralentissement de la conjoncture. Vérités impopulaires. Je me suis efforcé durant des mois de faire admettre des vérités impopulaires et de montrer que les salaires et les prix sont intimement liés malgré toutes les manœuvres tactiques et toutes les dénégations qu'on pouvait y opposer. Au cours de ces mois agités, je fus obligé de lutter contre toute hausse de prix non justifiée, qu'il s'agisse de prix industriels ou de prix agricoles. Il fallait à mon point de vue que l'augmentation des salaires corresponde à l'augmentation de la productivité. Sinon, elle était inutile et nocive. Au cours de l'année 1955, les hausses de salaire et les progrès de la productivité étaient encore en équilibre. Mais dès 1956, la rupture s'est manifestée. Les salaires bruts montèrent de 7 % en 1956. Le revenu brut des ouvriers monta de 11,9 % cependant que la productivité par heure de travàil dans l'industrie ne montait que de 4 %, et que de 1,4 % dans les autres emplois. Personne ne pourra prétendre ignorer les effets de ces hausses, puisque j'ai sans cesse parcouru l'Allemagne pour les expliquer. 74 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS Ha us ses, et mesures de lutte. Pour enrayer les tendances à la hausse, on décida conjointement, une politique de restriction des finances publiques, et la suppression de l'aide de l'État à la construction. L'accord fut complet entre le ministère de l'Économie et la Banque des Pays Allemands. Pour la première fois depuis le 20 mai 1954 le taux de l'escompte fut porté le 4 août 1955 à 3 1/2 %. Nouvelle hausse le 8 mars 1956 (1 o/0 ) ; finalement le taux se retrouva à 5 1/2 %. Le 1er septembre 1955, on releva le plancher des réserves, et les possibilités de réescompte furent également modifiées. La combinaison de ces diverses mesures fut à l'origine du succès. Au milieu de 1956, le rythme de l'expansion s'adaptait à la croissance de l'économie. L'accroissement de la production tomba à 8 % (et même moins) mais resta cependant à un niveau qui interdisait de parler de crise ou de stagnation. Les baisses du taux de l'escompte en septembre 1956 et en janvier 1957 furent la manifestation tangible de cette consolidation interne. Nous touchions au succès. LE MAINTIEN DE LA PROSPÉRITÉ 75 L'épargne. C'est un instrument nécessaire pour soutenir l'expansion. Au cours du troisième trimestre 1956, l'accroissement de l'épargne n'était que de 90,7 millions de D.M. Mais les récentes mesures prises par le gouvernement avaient quelque peu fait revivre l'enthousiasme ; la perte de la stabilité monétaire n'était pas une crainte. Le premier problè1ne de l'économie politique consiste à éviter toute tendance inflationiste. La stabilité monétaire est vraiment la condition sine qua non du progrès économique et social ; et c'est ce but qui sera toujours visé par la politique économique de l'Allemagne fédérale. C'est de la bonne volonté générale que dépendent les mesures de restriction qui s'imposent parfois ; il ne faut pas chercher à compromettre un ensemble économique pour quelques avantages passagers. Chapitre V Économie et intérêts privés J'ai sous les yeux des coupures de journaux qui datent des premières années de mon activité, alors que j'étais directeur de l'administration économique à Francfort et ministre de l'Économie fédérale à Bonn. J'étais alors, d'après les titres des journaux : « Le ministre de l'Économie : l'ennemi des consommateurs » ; « Erhard, ministre de l'Industrie lourde» ; « Le protecteur des stockeurs et des spéculateurs », et autres gentillesses. Ces reproches se sont éteints au fur et à mesure de mes efforts, et mes ennemis eux-mêmes se sont rendu compte du mal-fondé de ces accusations. Comme ces propos me semblent étranges, lorsque je songe qu'au moment où je pensais à ce livre, je luttais contre les hausses des prix qui menaçaient certains secteurs économiques. J'ai toujours considéré que la mesure et le juge du bien ou du mal en politique économique ne sont pas les dogmes ou les intérêts des groupes, mais essentiellement l'individu, le consommateur, le 76 ÉCONOMIE ET INTÉRETS PRIVÉS 77 peuple. Une politique économique n'est bonne que dans la n1esure où elle est utile et bénéfique au citoyen. Quiconque adopte ces principes doit admettre avec moi qu'il existe bien dans toute économie des intérêts de groupe, mais que ce ne sont pas là les élén1ents de la politique économique et qu'il ne peut rien sortir de bon de l'opposition continuelle des intérêts privés. Une dispersion de l'économie populaire en une suite d'intérêts de groupe n'est pas souhaitable. Nous ne devons pas suivre la voie de cette décomposition et nous éloigner de l'ordre réel de la société économique qui est seul capable de créer l'harmonie du corps social. Tout notre désir fut d'éviter ce danger. Les patrons doiYent être conscients de leurs responsabilités. Je n'ai jamais eu d'hésitations sur la route que je devais suivre. Je m'expliquai ainsi à un congrès C.D.U. du 29 août 1948 : « Je ne me définis pas comme le soutien des classes possédantes et je ne suis pas le suppôt de l'industrie et du commerce. Etre responsable en économie politique signifie être responsable envers le peuple. J'ai l'intime conviction que nous ne pouvons résoudre nos problèmes 78 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS difficiles en favorisant dans l'économie de marché quelques classes ; il faut au contraire assurer à toute la masse de notre peuple un standing de vie honorable, et l'améliorer perpétuellement. » ... ». Si je me répète, c'est uniquement pour rappeler que ceux qui croyaient pouvoir protéger leurs intérêts, et qui furent déçus dans cette attente, ne pouvaient se référer à mes principes moraux pour justifier leurs actes. J'ai toujours affirmé que les intérêts particuliers ne pouvaient se justifier que dans la mesure où ils servaient l'intérêt général. Aucun groupe économique ne peut prétendre à des privilèges. Cela n'exclut pas que l'économie soit tout de même un ensemble d'intérêts particuliers. Il s'agit d'équilibrer ces intérêts pour qu'en fin de compte ils profitent à tous. J'ai rappelé un jour que le rôle de l'État était tout simplement celui d'un arbitre. Je voudrais prendre ici l'image d'une partie de football : je pense que, de même que l'arbitre ne prend pas part au jeu, l'État se trouve exclu de l'arène. Dans un bon match de football, il y a quelque chose de caractéristique : ce sont les règles précises qui ont présidé à ce jeu. Ce que vise ma politique libérale, c'est justement de créer les règles du jeu~ 79 ÉCONOMIE ET INTÉRETS PRIVÉS La liberté est le but suprême. Dans une grande partie de football, il n'est pas bon que les onze joueurs soient autour des buts. S'ils agissaient ainsi, nous aurions quelque droit, spectateurs, de sifller, parce que nous sentirions que cette attitude est contre les règles. Nous demandons aux avants d'attaquer. Si ceux-ci pensent qu'ils doivent faire le « mur » et se masser dans les buts, nous savons qu'il y a là une anomalie difficile à accepter. Le fonctionnement de l'économie présente beaucoup d'analogies avec cette attitude. Je pense que nous devons nos succès au type d'organisation économique que j'ai préconisé. Ce système a sa valeur, même si nous sommes un jour forcés à l'abandonner. Les spectateurs d'un match seraient mécontents s'ils savaient que les équipes en présence ont décidé du nombre de buts qui seraient marqués et si elles n'offraient pas un spectacle fair-play. Je prétends qu'il en est ainsi de toute économie libérale, et qu'il faut laisser la liberté à la concurrence. Aucune force ne doit opprimer la liberté. Au contraire, cette liberté doit être le but suprême et la plus haute valeur de la communauté. Je suis persuadé que nous n'aurons une économie 7 80 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS d'entreprise libre que dans la mesure où la liberté existera à l'intérieur même de l'État. Il existe un ordre pour le social comme pour l'économique. Les responsabilités sont nettement délimitées. Le patron a la responsabilité de son entreprise, il a le droit d'exiger que l'État ne s'occupe pas de ses affaires et qu'il puisse jouir d'une parfaite liberté de mouvement à l'intérieur de son entreprise. Je suis d'ailleurs le premier à admettre ce point de vue. Mais l'État est le seul à porter la responsabilité de la politique économique. Nous savons ce qu'il en coûte de mélanger deux fonctions hétérogènes. On voit que je fais nettement la part qui revient à l'individu et à l'État. -Je me dois d'expliquer l'importance que je confère à ces questions ; l'économie politique n'est pas une panacée : de même que chaque homme doit prendre soin de sa personne physique pour permettre le développement de son esprit et de son âme, ainsi en est-il de la vie d'un peuple. L'économie en est l'élément essentiel, donc indispensable. C'est seulement sur les bases d'une économie saine que la société peut trouver ses buts suprêmes. Donner à l'économie un rôle spirituel et matériel est finalement affaire de politique et de société. Je suis persuadé qu'à l'exception du génie l'homme ne ÉCONOMIE ET INTÉRETS PRIVÉS 81 peut être conscient de sa personnalité qu'au moment où le souci matériel ne joue plus le trublion puisqu'on a réussi à le satisfaire. Répartition du tra9ail entre l'Etat et l' E'conomie. Ainsi que je l'ai déjà dit, il n'est pas du ressort direct de l'État de s'occuper d'économie ; du moins aussi longtemps qu'elle ne le demande pas. L' économie n'est plus libre si c'est l'État qui est le patron. Cette position a naturellement des conséquences dans l'industrie aussi longtemps que l'économie peut se passer de la défense de l'État. Mais on ne peut pas d'un côté dire à l'État qu'il n'a pas à se soucier d'elle, et d'autre part, l'appeler dès qu'on a besoin d'aide. Il existe une sorte de partage de compétence entre l'économie d'entreprise et la politique économique. L'idée de responsabilité, au sens de la politique économique, engage l'État dans le cadre de ses droits et de ses compétences démocratiques et parlementaires. L'intérêt que manifestent les patrons devant la politique économique est certes légitime, mais ils n'ont pas à en faire eux-mêmes, ni à utiliser leurs organismes dans ce but. Dans la République fédérale, l'économie libérale du passé et l'économie dictatoriale de l'État sont dépassées. La nouveauté résida dans ce que l'État 82 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS ne veut pas intéresser seulement quelques groupes de producteurs et que le ministre de l'Économie n'a plus à donner d'ordre aux patrons; il s'est aussi libéré des concessions, des timbrages, des licences et des ratifications. Il est simplement nécessaire que le patron et le travailleur, comme tout citoyen, puissent avoir leur liberté d'action personnelle. Cela n'implique pas l'anarchie. A la place de l'ordre donné par l'État, la politique économique est faite pour donner de l'essor aux énergies nouvelles, et pour leur offrir toutes les chances possibles, mais aussi pour interdire les chemins infructueux ; en un mot, elle est faite pour assurer l'expansion avec des moyens judicieux. Une importante collection de fautes. Mais la route qui conduit à cette réalisation est semée d'erreurs. J'ai parlé d'une « importante collection de fautes »; elle s'applique aux souhaits et aux exigences de l'économie, com1ne d'ailleurs à ses erreurs. J'aurai l'occasion de parler de la lutte contre les cartels. Il faut aussi mentionner l'ensemble des « Ententes ». Tous les efforts qui se firent pour trouver un abri derrière les lois sont à inscrire dans cette collection de fautes et entre autres l'assurance ÉCONOMIE ET INTÉRETS PRIVÉS 83 obligatoire. Tous ces exemples et les querelles douanières montrent bien toutes les scories qui alourdissent encore l'économie de marché. Nous ne sommes pas favorables, comme on vient de le voir, aux régimes préférentiels à l'intérieur de l'État. Les différents essais que tentèrent des groupes pour acquérir de l'influence sur le Parlement ou le gouvernement peuvent être passés sous silence. Ils ne sont pas particuliers à notre pays. Il est grand temps de voir qu'il s'agit d'une véritable maladie, d'une crise de notre temps. La lutte se déroule entre des groupes d'intérêts privés, et l'État. Les ultimes décisions dépendent naturellement des organismes publics. Les liaisons entre ces ordres sont si étroites qu'on peut à juste titre parler d'un ordre économico-social refermé sur lui-même, c'est-à-dire d'un ordre politique. Quant à moi, je pense qu'au moment de la reconstruction, nous avons le devoir de tout mettre en commun, et de négliger la protection et la faveur des groupes particuliers. Nous devons nous sentir solidaires, c'est-à-dire oublier l'égoïsme. Penser d'intérêts particuliers est une faute lourde, c'est un état d'esprit contre lequel je lutterai toujours. 84 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS Les intérêts particuliers sont dangereux. La lutte que j'ai entreprise se fonde sur la conviction que l'État n'a pas à donner sous quelque forme que ce soit une faveur quelconque. S'il en était ainsi, l'État et par contre-coup le ministère de l'économie, se trouveraient acculés à une position intenable. Quelles seraient les normes susceptibles de décéler les besoins d'un groupe et de le favoriser au détriment des autres? Il faut au contraire résoudre l'ensemble des problèmes économiques, avec une solution bénéfique pour tous. Si vraiment l'économie populaire est un tout, une fonction de notre vie sociale, tous les groupes et toutes les branches doivent y participer pour en profiter. Je ne dis pas que, au cours des dernières années, au moment où j'étais responsable du destin de l'Économie nationale, je n'ai jamais réfléchi à ce que je devais faire en faveur de telle ou telle branche de cette économie. Dans certains cas, et dans des conjonctures très particulières, la chose est acceptable; mais j'ai toujours eu devant les yeux l'intérêt commun. Les intérêts particuliers et le soutien de groupes bien définis doivent être proscrits ne serait-ce qu'à ÉCONOl\HE ET INTÉRETS PRIVÉS 85 cause de l'interdépendance de tous les phénomènes économiques. Toute mesure spéciale a des répercussions dans des domaines qui pouvaient paraître tout à fait dissemblables, où l'on n'aurait jamais pu penser que de telles incidences puissent se produire. Si à certains moments j'ai pu approuver des législations commerciales particulières, je me suis toujo'urs élevé avec la dernière énergie, quelque temps plus tard, contre ceux qui préconisaient le maintien de cette réglementation de faveur à une époque où les conditions matérielles et sociologiques avaient complètement changé. C'est ainsi que nous avons reconquis notre dynamisme et notre volonté d'expansion. Les légendes de la bonne législation. Partout, l'on trouve devant soi des réactions humaines. Ce qui convient à l'un est lamentable à l'autre. Le complexe de jalousie joue un rôle prépondérant. L'avantage que peut obtenir un homme ne laisse plus une seconde de sommeil à son voisin. On peut voir ainsi quel rôle significatif les fonctionnaires peuvent jouer dans l'économie. Le succès d'un groupe détermine les membres d'un autre groupe à solliciter des avantages analogues. Je reste extrêmement sceptique devant le bien- 86 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS fondé des « réglementations >>, car si on y regarde d'un peu près, on ne trouve rien de plus que la volonté des participants d'échapper aux dures conditions de la concurrence. Personne n'est prêt à reconnaître volontiers qu'un rendement plus faible amène un bénéfice plus faible. On pense au contraire que le bénéfice découlera de cette légendaire « législation ». On peut parfois beaucoup en attendre, mais certainement pas espérer qu'il puisse se produire quelque chose de bon en mauvaise période. Lorsqu'on me demande mon opinion sur les rapports qui peuvent exister entre l'État et les branches particulières de l'économie, je réponds en reprenant les termes d'un discours du 12 mai 1954 sur les classes moyennes. « Je ne peux me représenter les classes moyennes que comme cette catégorie d'hommes prête à assurer son existence grâce à sa propre puissance de travail. Les qualités de cette classe résident dans le sens qu'elle peut avoir des responsabilités ; la conscience de son existence, le courage dans son travail, et sa volonté d'une société libre dans un monde libre ... »«Tout ce qui la détournera de cette liberté, de ce courage et de cet individualisme ne pourra que lui nuire. Il n'en resterait plus rien qu'une couche sociale cherchant protection. Toute sa valeur ethique serait perdue. » ÉCONOMIE ET INTÉRETS PRIVÉS 87 Législation commerciale. Nous allons faire ici un bref rappel historique. La loi de 1933 qui protégeait le commerce et était en vigueur au moment de l'arrivée au pouvoir d'Hitler prévoyait d'abord une limitation très stricte du commerce de détail. Quand- on s'aperçut que cette législation était inapplicable, la loi fut assouplie. Après la seconde guerre mondiale, le commerce connut un sort très différent selon les zones d'occupation ou les régions de l'Allemagne occidentale. Dans la zone américaine, la directive du 29 mars 1949 établissait la complète liberté des professions, tandis que dans les zones britannique et française on remettait en vigueur les codifications de la loi de 1933 ; on en faisait une des bases de la législation nouvelle. Cette différence de régime devait évidemment amener le souhait d'une unification des présentes réglementations. Mais estce un malheur si la législation qui préside à l' ouverture d'un magasin est différente à Flensbourg et à Munich? Devant la pression du Commerce de détail j'ai pu répondre, jusqu'à la fin de la première législature, qu'un assouplissement particulier de la législation n'était pas compatible avec l'esprit d' économie libérale et que les lois fondamentales de la 88 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS République fédérale étaient contraires à son acceptation. Le 22 octobre 1952, je déclarai : « J'approuve la création d'une organisation professionnelle pour le commerce, mais cette liberté ne saurait être liée à des conditions qui limiteraient la liberté même des activités. Elle doit avoir pour but d'améliorer le rendement du commerce. Une organisation professionnelle ne doit pas conduire à une sclérose du commerce, mais au contraire renforcer sa fluidité et son élasticité. » Restait à savoir si l'élaboration d'une telle loi était possible. Un essai fait dans ce sens se solda par un échec. Je dus prendre en main la situation et promettre d'établir une législation cohérente. J'avais l'impression qu'il était possible de détourner le commerce de détail des voies sur lesquelles il s'était engagé et de lui faire admettre une législation qui puisse favoriser SOJ:t dynamisme, qui établisse la notion de « marchand . spécialisé » et qui crée en même temps des conditions favorables à la formation d'apprentis. Le 22 octobre 1955 on en revint malheureusement à une formule qui se rapprochait de l'ancienne législation et sur laquelle nous observâmes la plus grande prudence en souhaitant qu'elle ne s'étende pas à la totalité du commerce ; nous désirions surtout que le commerce de gros et le commerce extérieur en soient exclus. ÉCONOMIE ET INTÉRETS PRIVÉS Moins de tra~ail, 89 plus de profit? Le commerce est là pour satisfaire le consommateur. Pour moi, je ne pense pas que le consommateur tienne à une après-midi de samedi où tout achat est possible, si précisément il ne dispose pas de sa liberté ce jour-là. Il serait anormal que le travailleur ne puisse pas aller faire ses achats avec sa femme et ses enfants. Il ne viendrait à l'idée de personne de supprimer le samedi après-midi les trains ou les postes, ou encore les auberges. Il est de l'intérêt bien compris d'une économie que certains métiers s'astreignent à certaines obligations. Il est tout à fait sûr que tout le monde doit avoir son après-midi de liberté, cela ne souffre aucune discussion. Cinquante millions de consommateurs y sont intéressés et veulent pouvoir acheter ce qu'ils veulent pendant qu'ils sont libres. On peut penser que le consommateur allemand ne va pas passer son samedi après-midi à dormir. Il dépensera son argent dans d'autres endroits et pour d'autres buts. Pour cette raison, je suis intervenu en faveur d'un roulement des samedis. J'ai eu l'occasion aux États-Unis de m'entretenir de ce sujet avec des commerçants. Ceux-ci avaient déjà entendu parler de cette question du samedi après-midi. Ils m'ont 90 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS tous répondu que notre commerce de détail devait bien marcher puisqu'il était question de renoncer à vendre le samedi après-midi. L'Allemagne est presque le seul pays où les heures d'ouverture des magasins soient exactement celles de l'activité des travailleurs, et on ne voit pas du tout pourquoi il doit en être ainsi. Certes, il est normal que les commerçants prétendent avoir une demi-journée libre. Je ne nie naturellement pas que cela pose des problèmes difficiles à résoudre, mais d'autres branches de l'économie ont bien trouvé des solutions satisfaisantes. Pourquoi pas le commerce du détail? Y a-t-il un miracle allemand? J'ai eu bien souvent l'occasion en discutant avec des représentants des classes moyennes de me rendre compte que notre industrie avait parfois sourdement lutté contre nous. On a pu se persuader au cours des dernières années que l'économie libérale était une sorte de fardeau auquel notre industrie voulait échapper. Mais l'industrie devait reconnaître sans réserve le bien-fondé de l'économie libérale. Là où l'économie libérale est gênée dans son fonctionnement il fallait insister autant que possible sur les conditions de la liberté. L'industrie peut ÉCONOMIE ET INTÉRETS PRIVÉS 91 exiger que l'État ne limite pas artificiellement la libre activité de l'entreprise et que la politique fiscale lui laisse suffisamment de capitaux pour pouvoir satisfaire à ses besoins. Lorsque l'industrie lutte en ce sens, elle est sur la bonne voie. Je ne veux pas admettre la notion de « miracle allemand » parce que je ramène tous les succès économiques de ces dix dernières années au seul comportement des individus et non à la magie de ma politique. Ce que l'Allemagne vient de vivre n'a rien d'un miracle. Ce n'est jamais que la conséquence de l'effort de tout un peuple qui a voulu de nouveau obéir au principe de liberté, à l'initiative humaine et à l'énergie personnelle. Si l'exemple allemand doit passer les frontières, que cela ne soit que pour montrer au monde la valeur de la liberté humaine et économique. Chapitre VI~ Les cartels ennem~s du consommateur L'idée d'économie de marché a conquis partout une place de choix, et pas seulement en Allemagne. Les adversaires même de la politique acceptent cette formule. Une politique économique ne peut être qualifiée de sociale que lorsqu'elle s'efforce de réaliser des progrès économiques, des rendements plus élevés et de maintenir la productivité en faveur du consommateur. La concurrence reste le moyen d'obtenir ces résultats. L'économie libérale oblige à lutter contre les cartels et contre tout ce qui de près ou de loin pourrait entraver cette libre concurrence. Étant donné l'importance et l'urgence de ce problème, j'ai dû me soucier, dès que j'ai pris l'économie en main, de promulguer une loi sur les cartels. La première date du 24 juin 1948 qui déclarait en particulier au paragraphe 3 : « Aussi longtemps que l'État ne réglera pas la production et les échanges, on appliquera le prin92 LES CARTELS ENNEMIS DU CONSOMMATEUR 93 cipe de la concurrence. S'il se forme des monopoles économiques, il faut les éliminer. >> Il convient de se rappeler que le premier Parlement d'après-guerre adopta cette formule à une forte majorité. Quelque temps avant, les gouvernements américain et anglais avaient promulgué le 12 février 1948 l'interdiction de la concentration des entreprises allemandes et s'étaient prononcé pour la décartellisation. D'après les explications des Alliés ces ordonnances militaires ne représentaient que des dispositions transitoires auxquelles devait se substituer une législation allemande. De plus, l'Office de contrôle bipartite avait demandé le 19 mars 1949 que soit déposé le projet d'une loi qui reprenne les termes de la Charte de La Havane limitant les cartels et toute autre espèce de concentration des entreprises. C'est de cette situation que naquit le premier essai allemand de législation cohérente dans ce domaine. A ma demande, une commission d'experts qui comprenait des spécialistes de ces questions (Dr. Walter Bauer, Prof. F. Bohm, Dr. Paul Josten, Dr. Wilhelm Koppel, Prof. W. Kromphardt, Prof. Pfister) déposa un premier projet de loi tendant à assurer le mécanisme de la concurrence, et un autre projet sur les monopoles. 94 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS Refus anticipé. Je n'avais laissé aucune équivoque sur le sens de mon action : j'étais opposé aux cartels, et je m'en expliquais ainsi le 16 décembre 1949 : « Je vois dans le développement de la concurrence la meilleure garantie d'une amélioration des rendements et d'un partage équitable du revenu national. Je ne saurais renoncer à ce point de vue qui me semble le moteur même d'un développement sain de l'économie. Toute direction économique me semble nocive, au même titre que l'organisation planifiée de l'économie d'entreprise. Tous ces essais rne semblent être, au sens propre, un péché contre la vie, qui est vraiment par excellence le mouvement et l'épanouissement, et qui ne saurait accepter la stabilisation lourde et pesante de l'économie planifiée. » Le 27 décembre 1949, je parlais à la radio ba. varo1se : « La liberté ne triomphe que là où il n'y a point d'oppression; là où dans le cadre juridique d'un peuple, elle devient la valeur essentielle de la société ». Je repris d'ailleurs ces thèmes au cours d'un meeting de la C.D. U. en octobre 1950, et je démontrais que la loi sur les cartels était vraiment le germe de l'économie libérale, puisque l'économie LES CAHTELS E~NE1IIS DU COXS01BIA.TEUR !);) privée était débarrassée du carcan juridique et des ordonnances en faveur de la libre concurrence ; dans cette législation anticartels, on devait retrouver les meilleurs principes de notre politique d' économie libérale. La loi serait vraiment une des pierres angulaires de la reconstruction économique de l'Allemagne. Pas d'ordres atnéricains. Si j'ai rappelé ces quelques faits, c'est pour montrer que tout citoyen qui a choisi en 1949 et en 1953 de voter pour l'économie libérale, se sentait par là même solidaire de la lutte contre les cartels. Si l'on entend encore ce reproche erroné relatif à la subordination de la loi allemande sur les cartels à une inspiration américaine, qu'on me permette de faire ici quelques brèves remarques : je ne me suis pas plié aux ordres des Américains. Certes, le style de pensée qui a permis les étonnants succès de l'économie américaine est comparable au nôtre. Mais pour la vérité historique, on ne saurait passer sous silence que le premier gouvernement fédéral au début de son activité était tenu d'élaborer le projet de législation sur les cartels avec la Haute-Commission alliée. Cette Commission fit savoir que les discussions des experts sur cette vaste question devaient commencer le 8 96 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS 11 décembre 1951. Les procès-verbaux des négociations qui durèrent plusieurs semaines pourraient remplir d'énormes volumes. Les discussions se sont concentrées sur les points capitaux : la forme spécifique de la concentration des entreprises, les procédures de délivrance des brevets et l' obligation d'établir la libre concurrence. Le projet élaboré par le gouvernement fédéral était en contradiction avec les principes de la législation américaine. La possibilité d'exceptions administratives reconnue par la législation allemande est parfaitement étrangère au droit américain. En 1952, le Cabinet fédéral adopta mon propre projet. Il fut soumis au Bundesrat le 2 mai 1952. Celui-ci en ratifia le paragraphe 1, particulièrement discuté. C'était là la victoire de mes conceptions, d'autant plus que quelques mois auparavânt une souscommission du Bundesrat spécialement chargée d'étudier la loi avait proposé de supprimer les ententes et autres organisations de marché seulement dans les cas où cette cartellisation conduirait à des abus. Le principe d'interdiction de nouf.Jeau confirmé. iAprès des discussions orageuses, le Bundesrat admit le 21 mai 1954 le principe de la législation LES CARTELS ENNEMIS DU CONSOMMATEUR 97 que j'avais élaborée. Mais il se passa plusieurs mois encore avant que le gouvernement fédéral se décide à faire passer ce projet devant le Bundestag. Ce n'est que le 24 mars 1955 que le Bundestag procéda à la première lecture du projet. Le Parlement avait encore droit à deux ans de consultation avant de se prononcer définitivement. On peut finalement se demander pourquoi je suis un adversaire si déclaré de la cartellisation. Je redirai ici que l'économie concurrentielle me paraît la forme la plus rationnelle et en même temps la plus démocratique qu'il soit et que l'État ne doit intervenir que pour rétablir ces mécanismes concurrentiels. Personne ne saurait nier que l'époque de l'économie libérale a été un des grands moments de l'évolution de la civilisation. Le principe du « laisser faire » a toujours permis au producteur de déterminer ce qu'il voulait faire, comment il le voulait ; où il voulait produire, combien ille voulait. C'est ainsi que tous les producteurs se trouvèrent avoir la même chance au départ et q~e la concurrence développa peu à peu cette chance. Dans les dernières années du x1xe siècle, on vit apparaître des formes économiques qui vinrent à scléroser l'économie de marché et à créer des tensions sociales. Il est certain que les développements de la technique moderne ont favorisé les tendances monopolistiques, qui sont un danger pour le consommateur 98 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS et qui finissent par bloquer le progrès économique. Tout le monde doit prendre part au succès. Je suis convaincu personnellement que la libre concurrence permet d'aboutir non seulement à des salaires et à des rentes plus élevés, mais également à un mieux-être de tous les consommateurs euxInêmes. C'est là le sens de l'économie de marché ; elle doit faire servir toute amélioration à la satisfaction du consommateur. Il dérive de ces principes que les prix doivent être libres ; quiconque renonce à cette fonction des prix supprime en même temps la concurrence et bloque tout mouvement économique. Pour moi, la liberté est un tout indivisible. La liberté politique, économique et humaine se présente comme une unité complexe et il n'est pas possible de toucher à une de ces parties sans détruire l'harmonie générale. Il n'en est pas moins vrai qu'il existe une différence essentielle entre l'économie de marché telle qu'elle est pratiquée en Allemagne en 1948 et l'économie libérale de l'ancien régime. Dans ma conception, la liberté n'implique pas que les patrons puissent créer des cartels; il s'agit au contraire LES CARTELS ENNEMIS DU CONSOMMATEUR 99 par une productivité accrue, et dans le cadre de la concurrence, de satisfaire les consommateurs. Dans cette perspective la liberté est vraiment un droit public qui ne dépend d'aucune force extérieure. Est fausse la liberté que défendent les tenants des cartels. L'empreinte de la puissance économique est vraiment à l'antipode de la liberté. La concurrence et la productivité qui lui est liée doivent être assurées par les mesures de l'État et protégées contre tous les éléments qui pourraient les troubler. En particulier il importe que la liberté des prix ne soit pas entravée dans sa fonction régulatrice de la vie économique. Les pnnc~pes de la pu~ssance économique. La puissance économique repose essentiellement sur trois principes : 1° Sur un certain lien de droit unissant plusieurs entreprises autonomes qui décident, par la limitation de leur propre autonomie, et par la réglementation des différents facteurs du marché, de limiter la concurrence ; 2° Sur un principe capitaliste, affirmant que la volonté d'une entreprise peut se trouver influencée par une autre, de sorte que sa productivité sur le marché ne soit pas parfaite ; 100 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS 3° Sur la naissance de très grandes entreprises qui, en raison de leur énormité, exercent sur le marché une influence totale. Les prix du marché peuvent se trouver complètement changés par cette puissance économique, et les cours peuvent être artificiellement modifiés en faveur des groupes influents. Dans le cas des monopoles, les prix ne sont plus une « donnée », à laquelle les individus doivent s'adapter, mais ils deviennent un objet de manipulations. C'est alors que le consommateur risque d'être exploité ; il peut se produire aussi des investissements néfastes, et l'on arrive à porter préjudice au progrès technique et économique. Le législateur se trouve dans l'obligation de supprimer ces facteurs de trouble, et a) de rétablir autant que possible la concurrence ; b) d'empêcher les effets d'un monopole sur les marchés où la concurrence n'est pas absolue ; c) de créer si le besoin s'en fait sentir, un organisme d'État qui puisse influencer le marché. Cette question des cartels est vraiment le centre, le problème majeur de notre politique. Qu'il me soit permis également d'éclairer quelque peu le côté social de ce problème. Je suis l'adversaire résolu de cette forme économique parce qu'une économie libérale de caractère social ne peut se réaliser que si elle est dominée par le souci constant LES CARTELS ENNEMIS DU CONSOMMATEUR 101 de la quantité, de la qualité et des prix. Je n'accorde aux cartels rien de positif. Ils reviennent trop à garantir une rente au plus mauvais des patrons. On m'a souvent répété au cours des dernières années que s'il n'était plus possible de convenir des prix qui seraient pratiqués, ce serait la catastrophe. Du matin jusqu'au soir mon bureau s'emplissait de catastrophes. Et cependant, l'économie allemande s'est parfaitement développée. Les exceptions possibles et nécessaires. J'ai souvent fait comprendre sans ambiguïté qu'il n'existe pas de modèle de concurrence pure. Je ne suis pas assez aveugle pour ne pas me rendre compte que le schéma théorique de la libre concurrence se mélange toujours à d'autres éléments. Je ne suis pas assez dogmatique pour ne pas me rendre compte qu'il peut y avoir des situations où l'interdiction générale et absolue des cartels doit être modifiée ; il peut se faire qu'on soit amené à assouplir les interdits. D'ailleurs, le projet juridique ne présentait aucun caractère dogmatique. Il ne procédait pas de l'idée extrêmement critiquée de la concurrence intégrale; il reconnaissait la justification possible, voire la nécessité d'une intervention. Il prévoyait ainsi 102 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS des cartels conditionnels, des cartels d'exportation, et même des cartels de rationalisation. Personne ne pouvait contester le libéralisme d'un projet qui fait certaines discriminations dans les cercles économiques. Les discussions de principe manquent leur but. Ces considérations seraient insuffisantes si on ne rappelait pas que pendant des années les tenants d'une législation d'interdiction et ceux d'une limitation des abus ne cessèrent de discuter. Ces spéculations sur le côté « moral » de mon action passèrent tout à fait à côté du problème. En ce qui concerne les prix, je pense qu'un nivellement par le bas est aussi regrettable qu'une hausse. Il ne faut pas quitter le domaine du prix « économiquement exact ». Dans une économie libre, le prix a une sorte de fonction compensatoire. Toutes les autres idées sur le phénomène des prix ne sont que des déformations. La législation d'interdiction est, à ce qui me semble, logique sous tous les rapports, car elle laisse subsister les exceptions qui peuvent être indispensables à l'économie. Ce sont les cartels les plus au point, qui sont les plus dangereux. C'est justement la raison pour laquelle la loi sur LES CARTELS ENNEMIS DU CONSOMMATEUR 103 les cartels ne peut être modifiée, ou alors, la législation elle-même deviendrait une farce et la politique du gouverneme·nt fédéral paraîtrait vraiment risible au public. Pour ma part, je crois que cette loi est utile, même si elle n'est pas le meilleur moyen de réduire au silence les critiques qui visent l'économie d'entreprise. Le patron est inattaquable lorsque la concurrence est la fonction indispensable de toute entreprise libre et lorsque grâce à la concurrence, et au progrès qui lui est inhérent, on arrive à un prix le plus favorable pour le consommateur. Les cartels qui demandaient .une législation sur les abus sont au fond beaucoup plus dogmatiques que les tenants de l'interdiction pure et simple, car ils échappent à toutes les objections. Ils se tirent d'affaire, même lorsqu'on leur prouve que la législation sur les abus passe complètement à côté de la question. Je n'accuse pas les cartels d'abus au sens criminel ou amoral du terme. L'abus s'exprime dans la sclérose des prix, c'est-à-dire dans la suppression de la fonction du prix libre. C'est la raison pour laquelle j'ai refusé une législation sur les abus. On ne m'a jamais rien répondu à cette objection. Je reconnais que du point de vue des cartels on ne pouvait me donner aucune réponse. 104 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS Un irremplaçable baromètre. C'est une illusion, et même une simple impossibilité que de vouloir créer un prix économiquement exact avec un cartel. Cependant, il faut bien réfuter ma position de principe : dans un marché libre où des patrons produisent d'après leurs libres décisions, il ne peut y avoir aucun prix qui dépende d'un cartel parce que l'équilibre qualitatif et quantitatif de l'offre des producteurs avec la demande multiple des millions de consommateurs est logiquement impossible. L'économie deviendrait aveugle et le patron ne pourrait pas prendre de dispositions conformes au marché s'il n'avait plus en face de lui cette sensibilité des prix. L'équilibre de l'offre et de la demande est rompu si l'économie est dominée par les cartels. Dans une économie de marché, le prix peut être et doit être assez haut pour garder l'équilibre nécessaire entre l'offre et la demande, ce qui n'est pas le cas pour la politique des cartels. Mais d'autre part, il risque aussi dans certaines conditions de marché d'être au-dessous des coûts d'exploitation. Je dois aussi repousser l'opinion selon laquelle les cartels s'appuient sur les conditions de l'entreprise et de son exploitation. Personnellement, je n'ai LES CARTELS ENNEMIS DU CONSOMMATEUR 105 rien contre le calcul des coûts, je souhaite même que chaque entreprise puisse arriver à établir des calculs exacts. Seulement le calcul des coûts d'exploitation n'a de sens que pour signifier les conditions et la mesure dans lesquelles l'entreprise peut prendre place parmi les concurrents. Mais il est fort incongru de vouloir partir de ces calculs pour s'orienter vers des exigences politiques et rétablir les cartels. Le patron ne peut justifier son existence que dans la mesure où il est prêt à remplir la fonction de la libre entreprise, avec toutes ses chances, mais aussi avec tous ses risques. Il n'est intouchable et inattaquable qu'aussi longtemps qu'il fait ses preuves sur le marché lipre et dans la libre concurrence. Mais dès qu'il cherche à se protéger dans une union collective, on ne peut plus éluder l'hypothèse de la cartellisation. La cartellisation retire au patron ses fonctions essentielles. Il se fonctionnarise. Dès que sa responsabilité disparaît et que l'entreprise dépend de décisions collectives, la position du public à son égard doit se modifier radicalement. Dans le climat social du milieu du xxe siècle, on ne s'étonne plus que dans ces circonstances la co-gestion soit nécessaire. 106 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS Les cartels é(Jitent- ils la récession? L'argument-massue des cartels est que l'union économique est indispensable pour résoudre ou atténuer les conséquences des crises ou même les crises de structure ou de conjoncture. Je suis loin de partager cet avis ; à mon sens, c'est une absurdité. Je suis persuadé que la tentative d'éviter la crise par la cartellisation est absolument vouée à l'échec. Étant donné que l'offre de biens de consommation correspond toujours à une capacité d'achat déterminée, on ne peut imaginer une augmentation simultanée du pouvoir d'achat au profit de chaque patron. Ce serait vraiment de la sorcellerie. Le premier danger de la cartellisation est que les branches de l'économie qui doivent satisfaire une demande sans souplesse peuvent effectivement absorber un pouvoir d'achat supérieur à celui qu'elles auraient si le marché était libre. Mais cet avantage finit par causer un grave préjudice à toutes les autres branches dont les produits ne disposent plus que d'un volume d'achat réduit. Ce que je viens de dire est également vrai dans le cas de toute position de force. Les cartels insistent toujours sur la nécessité d'éviter les faillites et ils croient avoir trouvé une panacée dans les prix « cartellisés ». LES CARTELS ENNEMIS DU CONSOMMATEUR 107 Mais c'est justement ainsi qu'on empêche le dénouement de la crise. Si effectiven1ent un produit déterminé, à un prix déterminé, n'est écoulable qu'en quantité insuffisante, ou si la demande décline, la fixation des prix est absurde. Si un prix qui s'effondre attire de nouveaux acheteurs et fait augmenter la consomrnation, l'élévation des prix décourage le consommateur, et un cartel qui prétendrait s'opposer à la chute des prix pour couvrir ses frais n'arriverait qu'à comprimer artificiellement le volume de la production ; mais les coûts continueraient à s'élever. Le calcul est donc faux et la crise continue à s'aggraver. Par contre, il est plus difficile d'avoir une crise dans les marchés libres, parce que le prix reste très sensible et que, par la concurrence, on voit se manifester des forces qui s'équilibrent rapidement : la plasticité de l'économie d'entreprise est extrêmement grande. C'est ainsi que notre politique peut prétendre de plein droit au titre d' économie libérale sociale. Rien n'est plus dangereux pour le patron que de troquer sa responsabilité personnelle pour une responsabilité collective. Il est aussi faux aux points de vue social et politique de dire que les cartels, en protégeant l'entreprise, protègent le marché du travail. Ce que les cartels arrivent au mieux à protéger, ce sont les entreprises non rentables. C'est ainsi que 108 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS l'ensemble de l'économie risque un recul du progrès. Une telle politique n'a rien de social : il n'y a jamais eu autant de chômeurs qu'au moment où les cartels fleurissaient dans l'économie allemande. Les cartels comptent toujours sur un niveau de vie très bas. La lége'!'de de la protection des classes moyennes. On a beaucoup entendu dire que les cartels servent aux classes moyennes. C'est le type même du conte, qui n'a pas la moindre parcelle de vérité. Nous savons que toutes les branches de notre économie ne peuvent pas être cartellisées au même point, et que certaines sont incapables de l'être. Dans le cas de l'industrie lourde, et dans l'industrie des biens de production durable, la tendance à la cartellisation, ne serait-ce que pour des raisons techniques, est beaucoup plus forte. Plus nous nous rapprochons du stade de l'élaboration et de la différenciation, et plus la cartellisation devient inefficace et sans portée. On en viendra à souhaiter un cartel lorsqu'on croira pouvoir y trouver plus de sûreté, un bénéfice meilleur ou des coûts d'exploitation moins élevés. Mais cela signifie que ceux qui veulent les cartels et qui peuvent les dominer se trouvent dans une LES CARTELS ENNEMIS DU CONSOMMATEUR 109 position meilleure sur le marché. Leur but est d'attirer à eux une part de pouvoir d'achat plus grande que celle qu'ils pourraient obtenir si le marché était libre. Ainsi l'accroissement du pouvoir d'achat de certains groupes peut-il faire défaut dans d'autres branches de l'économie. Et cet accroissement fait défaut là où précisément se situent les milliers de petites et moyennes entreprises. C'est elles qui pâtissent de cette diminution du pouvoir d'achat lorsque les cartels se trouvent sur leurs domaines. Il est évident que les classes capables d'une cartellisation ne sont pas les classes moyennes. Les entreprises des classes moyennes travaillent dans les produits très bien ouvrés, dans l'industrie de transformation. Nous les trouvons dans le domaine des biens de consommation, dans le commerce et dans l'artisanat. Qu'on n'oublie pas que la politique des cartels n'a jamais augmenté d'un seul pfennig le pouvoir d'achat. Ainsi, dans une industrie cartellisée, le pouvoir d'achat ne suffit pas pour absorber la totalité de l'offre, si ce n'est au détriment des entreprises non cartellisées et des classes moyennes. Si toutefois les classes moyennes veulent chercher leur salut dans la protection des cartels, on peut leur démontrer qu'il n'est pas possible d'allier les contraires et que les difficultés techniques n'entraînent qu'à des solutions tout à 110 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS fait problématiques. En supposant même qu'il existe des accords possibles, on arrivera à sauver les prix, mais jamais à maintenir les débouchés. Cela d'ailleurs reste parfaitement dans les règles. A supposer qu'une économie cartellisée puisse se permettre d'élever le niveau des prix de 10 <jl0 , le pouvoir d'achat réel du consommateur s'abaissera de 10 %- Dans une économie de marché libre le phénomène de la surproduction entraîne une baisse des prix et un nouvel équilibre, mais là où les cartels dominent on ne peut pas résoudre les crises. Pas de nou()eau dirigisme. Par la suite on m'a fait un nouveau reproche de créer un 'véritable dirigisme d'État. J'ai peine à croire que ce reproche vienne d'experts en économie. C'est la confusion des langages. D'une part, on s'efforce de prouver que les cartels ne sont pas si faciles à former et qu'ainsi on ne risque pas de soumettre l'économie allemande à la concentration. D'autre part, on craint que les revendications des cartels soient si fortes qu'elles en arrivent à déborder l'autorité. Lorsque les adversaires des propositions gouvernementales craignent de voir naître un gigantesque appareil administratif, ils expriment la conviction LES CARTELS ENNEMIS DU CONSOMMATEUR 111 que l'économie allemande pourrait en bloc se cartelliser. Je partage, hélas, ce point de vue, et c'est la raison pour laquelle je tiens pour insuffisants les projets de loi que j'ai déposés. Il est extrêmement facile de réfuter l'argumentation qui fait de moi un « dirigiste ». Les reproches formulés ne mentionnent pas le danger de la bureaucratie privée des cartels, bien que ce dirigisme soit autrement dangereux qu'une simple autorité avec pour but d'empêcher la prééminence injustifiée des cartels et par là même de rétablir la concurrence et de ne pas laisser le marché se bloquer. Un mot aux entrepreneurs. Je n'ai pas été compris du patronat allemand au cours des discussions sur la loi contre les cartels. C'est la raison pour laquelle, en finissant, je voudrais m'adresser à eux : l'entreprise libre constitue la pierre angulaire de mon système de l'économie de marché. Si le patron ne veut plus remplir le devoir économique de se plier à la concurrence libre, si l'on établit un ordre qui ne tienne plus compte de la force, de l'imagination, du courage et des autres qualités individuelles, si les grandes vertus ne priment pas les petites, c' en sera bientôt fait de l'économie d'entreprise. 9 112 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS Je sais que les attaques des collectivistes de toutes sortes ont pour but de saper la fonction d'entreprise de l'économie de marché. C'est pour cette raison que si le patron se trouve pris d'un désir de collectivisme, il ne fera que précipiter le moment où on mettra en doute le droit même de la propriété privée. Lorsqu'on prend mon irréductible opposition contre les cartels pour une attitude hostile à l'égard des patrons, je me refuse à croire au sérieux de cette accusation. Je suis en Allemagne le plus grand champion de l'économie privée. Cela fait huit ans que je combats pour elle, huit années au cours desquelles j'ai porté la responsabilité de la politique économique, et j'ai toujours défendu la libre entreprise. L'Histoire montrera que la loi sur les cartels a été beaucoup plus bénéfique que n'auraient pu l'être des propositions inconsidérées qui voulaient faire des cartels le bouclier des patrons. Chapitre VIl. Les salaires dans l'économie libérale Lorsque je lutte pour assurer une libre concurrence j'essaye de ne pas entraver les forces bénéfiques qui doivent fournir à l'Allemagne un niveau substantiel de productivité. Là où il n'y a pas de concurrence, il arrive nécessairement un moment où la machine se grippe. Mais ce désir d'efficience économique n'est pas un but en soi. Les effets de l'économie de marché ne sont effectifs que lorsque la baisse . des prix accompagne la hausse de la productivité, et qu'on arrive ainsi à obtenir un réajustement des salaires réels. C'est ainsi que je n'ai pu qu'applaudir en octobre 1950 les entreprises V olks,vagen qui sont arrivées à combiner une baisse de prix de 10 o/0 et un~ hausse de salaires de 10 %. C'est le but même cherché par l'économie de marché. Soutenir l'économie concurrentielle est un devoir social : si nous regardons derrière le rideau de fer nous sommes contraints d'admettre que l'économie planifiée se transforme rapidement en une économie de contrainte, et que la part des salaires dans le 113 114 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS produit national est toujours plus basse que dans l'économie du marché. Il serait d'ailleurs étrange qu'il n'en soit pas ainsi; non seulement l'appareil bureaucratique tentaculaire absorbe une part importante du produit national, mais la composition du produit national montre qu'il ne peut pas satisfaire les besoins des citoyens. Personne ne peut soutenir que le rendement de l'économie planifiée, soit, sous l'angle du bien-être social, supérieur à ce qu'obtient l'économie libérale. La loi de l'action chez le patron. Le ministère de l'économie est toujours obligé de discuter publiquement de l'évolution des salaires, lorsqu'elle menace de dépasser les possibilités de l'économie, et qu'elle présente le danger de déborder les frontières du simple développement de la productivité. J'ai eu à faire face par deux fois à cette situation, il y a très peu de temps et au moment de la guerre de Corée. Autrement, je n'ai jamais élevé d'objections contre l'évolution des salaires. Je dois redire ici que l'opposition de principe des patrons aux hausses de salaires non seulement possibles mais nécessaires à l'équilibre économique, ne saurait exister dans l'économie de marché. Une opposition de cet ordre fausse le problème, et elle me semble un contre-sens. Cependant, dans les LES SALAIRES DANS L'ÉCONOMIE LIBÉRALE 115 pério-des d'expansion économique les patrons doivent agir socialement et psychologiquement s'ils sont prêts de leur propre initiative à ajuster les salaires. Mais il faut se souvenir que les hausses de salaires qui ne trouvent pas de contre-partie dans l'accroissement de la productivité finissent par aboutir à la hausse des prix. On admettra aisément que les travailleurs et les patrons puissent s'entendre assez bien en période d'abondance, mais toute union qui ne repose pas sur des raisons économiques finit par porter préjudice à l'ensemble du corps social dont les revenus sont moins élastiques ; c'est alors le tragique de la hausse des prix qui touche avant tout les biens de consommation les plus essentiels. Pour juger d'une politique qui ne fait qùe peu de place à la stabilité du pouvoir d'achat, il faut prendre garde aux effets économiques d'ensemble comme aux conséquences antisociales. En Allemagne nous ne pouvons et nous ne devons pas élever inconsidérément les salaires et les traitements si nous ne voulons pas porter préjudice à nos exportations au lieu d'utiliser la bonne conjoncture. A une époque où nous sentons que nos excédents d'exportations sont presque une véritable plaie, il ne faut pas perdre de vue que le monde n'achète pas nos produits pour nos beaux yeux, mais seulement et aussi longtemps que nous arriverons à maintenir notre capacité de production. Maintenant 116 LA PROSPÉHITÉ POUR TOUS que nous sommes incorporés au mouvement de l'économie mondiale, nous devons comprendre la politique des salaires en fonction de la politique générale. Cela signifie que nous ne devons pas oublier combien nos succès extérieurs dépendent de la stabilité de notre monnaie et de la confiance que l'on peut avoir dans sa valeur. Si nous acceptons l'idée d'une tendance inflationniste sans y opposer de résistance, nous arriverons vite à la dévaluation et à la hausse des prix qui feront fondre nos excédents d'exportations comme neige au soleil. Autant je soutiens que les travailleurs et les employés doivent prendre part à l'accroissement de la productivité, autant je m'obstine à penser que les syndicats, dans leurs revendications de salaires, doivent faire preuve d'une modération raisonnable qui ne compromette pas notre monnaie, non plus que le développement de notre économie. Autonomie et responsabilité. L'ensemble du gouvernement est décidé à laisser aux partenaires du dialogue social la liberté de fixation des salaires et des conditions de travail. Toutefois cette liberté est forcément liée à une responsabilité, c'est-à-dire qu'on ne saurait se résoudre. à une politique qui conduirait à la hausse des prix, à miner le pouvoir d'achat, et à diminuer LES SALAIRES DANS L'ÉCONOMIE LIBÉRALE 117 les capacités concurrentielles de notre économie. Les événements qui se déroulent depuis le début de 1955 nous incitent à nous demander cependant si la croyance que nous avons dans la raison humaine est encore aujourd'hui absolument justifiée. Les différences entre les hausses de salaire et le développement de la productivité viennent malheureusement renforcer ces doutes. La productivité en 1956 est montée de 4 % par heure de travail, tàndis que le salaire horaire brut dans les industries est monté de 9 o/0 • Il faut que le gâteau soit plus grand. Ceux qui consacrent leur attention au problème de la répartition, sont toujours tentés de vouloir distribuer plus que la production ne l'autorise. Cela ne signifie pas que les quota de répartition qui se pratiquent à l'heure actuelle soient idéals ou « équitables ». Ils sont susceptibles de changement, mais à long terme. Ces modifications, si elles arrivaient à court terme, seraient génératrices de discussions sans fin, de luttes salariales et sans doute de grèves. Les énergies qu'elles nécessiteraient seraient considérables. Il me paraît beaucoup plus intelligent d'utiliser ces énergies à augmenter la productivité pour donner à l'économie un niveau plus élevé. Ce que je viens de dire est parfaitement illustré par i18 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS l'évolution du produit national. De 1949 à 1955, le produit national brut exprimé en prix de 1938 est passé de 47,1 milliard de D.M. à 85,8. Au cours du premier semestre 1956 il a atteint globalement 44 milliards de D.M., ce qui est presque aussi haut que celui de l'ensemble de l'année 1936 qui était de 47 ,9. Le revenu brut du travail a atteint respectivement 34,5 milliards de D.M. en 1950, 61,36 en 1955 et près de 32 au cours du premier semestre 1956, (et on notera que le premier semestre est généralement inférieur au second). A cet égard les taux d'accroissement de la consommation privée sont particulièrement significatifs, avec une hausse de 5,20 milliards de D.M. entre le premier semestre 1955 et le premier semestre 1956. Voici quel serait le niveau de la consommation privée exprimée en prix de 1936, pour ces dernières années : Jer semestre 1952 1953 1954 1955 1956 par par par par par rapport rapport rapport rapport rapport à 1951 à 1952 à 1953 à 1954 à 1955 + + 1~037 milliard 1,684 milliard 1 761 milliard 2,182 milliards 2,372 milliards de de de de de D.M. D.M. D.M. D.M. D.M. + 1,844 milliard de + 2,040 milliards_ de D.M. D.M. + + +· 6,1 % 9,3 % 8,9 % 10,1 % 10 <j'0 2e semestre 1952 par rapport à 1951 1953 par rapport à 1952 9,8 9,9 % % LES SALAIRES DANS L'ÉCONOMIE LIBÉRALE 1954 par rapport à 1953 1955 par rapport à 1954 + 119 % + 1,625 milliard de D.M. 7,1 2,955 milliards de D.M. 12,1 + 21,934 milliards de D.M. 75,5 % % Ensemble de l'année : 1955 par rapport à 1949 La grande responsabilité de toute politique sociale et économique est visible à chaque moment du développement économique. A l'époque de l'automation, au début d'une époque qu'on peut considérer comme une seconde révolution industrielle, nous avons en Allemagne comme dans les autres pays grandement besoin de capitaux. Il n'y a théoriquement que trois moyens d'en avoir. Ou hien l'on s'adresse au marché libre des capitaux, auquel n'importe qui peut s'intéresser suivant ses possibilités. C'est l'appel classique à l'épargne. Mais il y a d'autres possibilités. On peut opérer un financement en agissant sur les prix. Je ne veux pas croire que les lecteurs puissent penser que ce serait là une méthode à suivre. Ce serait le commencement du déclin de notre organisation démocratique. Nous aboutirions rapidement à une catastrophe. On peut enfin envisager de faire appel à l'État. La plupart du temps on ne se demande pas d'où l'État tire ses moyens d'investissements. Aucun État ne peut augmenter le capital sans danger pour la monnaie et pour la stabilité des prix, sans agir sur les impôts. Chaque citoyen devient par ce 120 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS biais de plus en plus tributaire de l'État. La libre concurrence tend à disparaître. Si, du côté des socialistes, la politique active des salaires et la nécessité des investissements se trouvent être des dogmes, et qu'en même temps l' économie privée ne peut pas résoudre les problèmes d'automation, il fallut quelqu'imagination pour admettre qu'ils avaient trouvé là la pierre d' achoppement d'une révolution sociale, et qu'ils pourraient marier l'économie dirigée et les nécessités d'une nouvelle évolution technique. Je me borne seulement à dire : « j'attendais du nouveau! ». Si nous voulons suivre le chemin que j'ai tracé, nous devons créer les conditions d'un accroissement capitaliste. Nous n'atteindrons ce but que si le peuple allemand continue à avoir confiance dans la stabilité de l'ordre politique, social et économique. C'est le prix qui est, pour l'homme de la rue, le symbole de la stabilité. Il est possible que des hausses de salaires paraissent indispensables aux travailleurs, mais si elles entraînent la hausse des prix, elles sont néfastes et finissent par se retourner contre les intéressés. Les hommes sont sur le point de domestiquer l'atome, mais ils ne pourront jamais transgresser cette loi fondamentale et éternelle de l'économie qu'il nous est impossible de consommer plus que nous ne produisons, ou que nous ne voulons produire. Chapitre VIII. Vers le matérialisme ? Depuis quelque temps on a reproché à la politique libérale de conduire les hommes à un matérialisme corrupteur. Cette thèse exige quelques mises au point. Nous n'avons pas pour but de construire dans l'abstrait, nous avons toujours cherché l'enrichissement de l'être humain dans la liberté. En économie politique, on ne peut créer aucun revenu sans produire et on ne peut pas davantage produire sans volonté de consommer ; cette position me conduit à n'admettre aucun privilège dérivé de la puissance sociale ou économique. Quiconque essaie d'utiliser des positions de force doit se rendre compte qu'il porte tort à quantité d'autres groupes de la population. Dans cette perspective, je tiens pour un des devoirs essentiels de la politique économique moderne d'arriver à dominer les cycles mécaniques de la conjoncture et d'éviter ses hausses et ses baisses prolongées. Si on pouvait atteindre ce but, on arriverait tout près du bien-être absolu, tout au moins donnerait-on à ceux qui travaillent les meilleures chances de succès. 121 122 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS Le but suprême de toute économie est certainement de libérer les hommes des nécessités matérielles. Et c'est la raison pour laquelle je pense qu'il faut accroître le bien-être pour empêcher les hommes de se noyer dans les difficultés matérielles. L'accroissement du bien-être crée les conditions nécessaires pour arracher les hommes à un mode de pensée primitif et matérialiste. Tant que l'expansion vise et un meilleur niveau de vie et une productivité plus grande, l'harmonie est complète. Mais si la volonté d'expansion implique le danger de voir les hommes exiger de cette expansion plus qu'elle ne peut produire, c'est alors, je crois, que les fondements moraux euxmêmes sont mis en cause. Il n'y a pas en Allemagne de politique d' « austerity ». L'expansion au sens propre signifie l'augmentation du revenu national brut de la société. Et c'est ainsi que tous ont la possibilité de participer au mouvement. Dans la bourgeoisie on est accoutumé de dire : « Un vagabond donne plus qu'il n'a! » Ce n'est pas le cas en économie politique. Dans les époques de haute conjoncture, il faut justement s'attacher à délimiter au plus juste la consommation de chaque VERS LE MATÉRIALISME ? 123 individu. J'espère que personne ne va insinuer que j'ai pratiqué en Allemagne une politique d'austérité. Après tous mes efforts des dernières années, on ne devra pas dire que j'ai fait de la politique restrictive mes visées suprêmes, ou que j'ai eu pour but de ralentir la conjoncture. Le succès de notre politique économique réside essentiellement en ce que nous avons toujours cherché les solutions des problèmes dans l'expansion la plus dynamique. A l'avenir nous ne dérogerons pas à cette loi. Un peuple affamé, réduit aux dernières extrémités et qui a dû être privé de toute liberté individuelle par la puissance sans entrailles du dirigisme d'État, a retrouvé dans un temps record la vie et la liberté. Quoi de plus humain que de vouloir jouir de cette liberté retrouvée? En outre, les nouvelles évolutions sociales ont élevé l'employé au-dessus de son niveau matériel. Au cours de cette transformation il était bien normal, et même inévitable, qu'augmente le nombre de ceux qui pouvaient parvenir à un standing de vie plus élevé. Je me suis toujours efforcé de développer cet état de choses, et je suis heureux du succès. J'inscris à notre actif l'élévation matérielle du travailleur allemand et des autres couches sociales de notre peuple. C'est un succès politique, social et économique. Le poste de radio, l'aspirateur et le frigidaire sont-ils mieux à leur place chez le riche 124 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS que dans le logement du travailleur? Peut-on dire qu'il s'agit chez le riche d'un signe de culture et chez le pauvre d'un signe de matérialisme? Le bruit mis à part, je ne vois pas la différence de signe de culture qui sépare un scooter d'une auto. Contre la fausse intolérance. Rien ne sert de mépriser certaines expressions courantes parce qu'elles nous semblent trop primitives. Il est incontestable que la libre consommation fait partie des libertés inaliénables. Rien n' empêchera de penser que la pauvreté est le moyen le plus sûr de laisser l'homme s'étioler au milieu des difficultés quotidiennes. C'est donc avec confiance que nous pouvons laisser évoluer le processus de l'expansion économique car ce qui peut ·nous paraître aujourd'hui un abus porte en soi le germe du salut. Nous ne serons pas assez cruels pour dire que la vertu ne pousse que dans la misère ; nous préférons penser que nous nous montrerons dignes du bonheur qui résulte d'un travail paisible. Loin de moi l'idée de surestimer « la fonction économique » ; je suis persuadé que tant pour l'individu que pour le peuple, il est indispensable d'avoir une économie bien rodée pour atteindre VERS LE MATÉRIALISME ? 125 un niveau supérieur et la satisfaction des aspirations spirituelles et intellectuelles. L'homme a besoin d'être dégagé des soucis matériels pour pouvoir se consacrer aux intérêts plus relevés. Il est certain que dans la vie courante le matériel et le spirituel n'ont pas de frontières bien définies. Le progrès technique favorise et développe la puissance intellectuelle. Il est certain aussi que lorsque nous parlons d'un mieux à atteindre, nous n'envisageons pas seulement un accroissement de la consommation des côtelettes et des beafsteaks, mais c'est une considération contre laquelle, nous autres économistes, nous ne pouvons pas grand-chose. Le cas spécial de l'Allernagne. Il nous appartient de favoriser les tendances qui incitent les individus et les groupes à vivre autrement que d'une vie mécanique. Mais ce n'est pas une tâche facile. Le peuple allemand est peut être enclin à perdre assez vite le sens des réalités de la vie. C'est une faiblesse de caractère qui tout dernièrement encore nous a été fatale. Cette faiblesse s'est révélé au cours de notre résurrection et même pendant la haute conjoncture. Il s'agit pour nous de la dompter afin que notre peuple, qui déploie en période de 126 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS misère de si admirables vertus, soit à la hauteur de sa prospérité. Ce serait bien là la conséquence la plus insensée que la politique économique freine le développement de la conj on ct ure sous prétexte que celle-ci rend le peuple amorphe. L'appétit vient en mangeant, et il est normal que de nouveaux besoins soient nés de la prospérité. Ces mêmes individus qui sont mécontents de leur sort en 1956 n'auraient certainement jamais espéré en 1947 et 1948 atteindre la position qu'ils occupent aujourd'hui. Cela ne les empêche pas de se plaindre. L'Allemand apparemment supporte mal que son voisin ou son ami aient une situation meilleure que la sienne. Et c'est là un des grands dangers qui nous menacent. Les buts ultimes. On m'a souvent posé la question relative aux buts suprêmes de ma politique. On a toujours laissé paraître une certaine crainte : c'est que le progrès finisse par aboutir à une sorte de décadence individuelle. Ma réponse est simple : je ne crois pas que nous soyons en présence d'une loi éternelle. La question est de savoir s'il est toujours utile d'avoir plus de biens de consommation, plus de confort, ou s'il VERS LE MATÉRIALISME ? 127 n'est pas plus raisonnable de renoncer à ces choses, pour gagner plus de liberté et plus de grandeur. Mais ces questions, qui sont du ressort du théologien, ne sont plus du domaine du ministre de l'économie. Ces problèmes sont complexes, et posent de graves questions, dont celle-ci : les hommes d'aujourd'hui sont-ils suffisamment évolués et prêts à jouir de leurs loisirs? Mais on peut toujours penser que 'plus de liberté implique plus de vie. On ne peut pas tout prévoir, construire et organiser; les choses doivent se faire naturellement, par une sorte de nécessité organ~que. Mais ceux qui pensent qu'il faut moins travailler pour pouvoir consommer davantage sont dans l'erreur. Si le processus de développement finit par amener le peuple à penser que l'enrichissement spirituel est indispensable, nous serons amenés dans l'avenir à modifier notre politique. Nul ne peut être assez dogmatique pour vouloir distinguer le salut dans la seule expansion matérielle. Mais nous n'avons pas pour l'instant à nous préoccuper de ces questions. Lorsque nous faisons le parallèle entre les États- Unis et l'Allemagne, il nous est possible de mesurer combien nous avons encore à accroître le bien- être, la libération des hommes de tous soucis matériels. Je pense pour ma part qu'il faut libérer les millions d'hommes du souci matériel qui les accable. 10 Chapitre IX. Psychologie du mark et du pfennig « Il arrive qu'on puisse modifier par des moyens psychologiques le comportement économique de la population, mais ces effets psychologiques deviennent une réalité économique, et remplissent le même but que les autres mesures de la conjoncture économique. » Je prononçais ces paroles le 19 octobre 1955 au Bundestag ; on y retrouve cette idée qui m'est chère, qu'il faut travailler avec toute une gamme d'effets psychologiques, pour disposer d'un moyen d'action, adapté aux mesures classiques de la politique économique. Sous l'angle purement théorique, cette sorte d'essai d'influence indirecte n'est pas inclus dans le système de l'économie de marché. Je ne vois cependant pas pourquoi on serait esclave des dogmes. On m'a souvent reproché d'être esclave des systèmes. On ne devrait cependant pas m'en vouloir si, ministre de l'économie, je m'écarte quelque peu 128 PSYCHOLOGIE DU MARK ET DU PFENNIG 129 des dogmes. Ce n'est pas un recul devant l'ordre de l'économie de marché. Simplement, les lois et les événements économiques ne sont pas intangibles, et la politique économique n'a rien d'automatique ; elle est au contraire le produit de spéculations tout humaines. Je m'élève seulement contre ceux qui prétendent que l'on ne saurait concilier l'utilisation de la psychologie et les conditions de l'économie de marché de style classique. Je ne prétends pas qu'il faille accepter comme argent comptant, comme intangibles les règles du jeu d'une économie libérale purement orthodoxe d'après laquelle seule l'offre et la demande déterminent le niveau des prix. Ma position est même fondamentalement opposée. Un État moderne et responsable ne peut pas se contenter d'un simple rôle de veilleur de nuit. Cette liberté mal comprise serait génératrice de désastres. On comprendrait d'autant moins cette attitude, qu'il est impossible de fixer réellement des prix susceptibles d'être acceptés par tous hors des frontières à cause de l'inconvertibilité de la monnaie, et qu'on ne peut pas arriver à une harmonisation de la concurrence. La Banque des Pays allemands comme le gouvernement fédéral ont la responsabilité de la stabilité monétaire. Il me serait possible d'atteindre aux mêmes buts que la Banque avec ses moyens financiers, le crédit et la politique monétaire. Ces 130 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS moyens s'efforcent de maintenir dans la bonne direction le cours des événements. Si, grâce à des effets psychologiques, je puis modifier l'état d'esprit des gens, je peux modifier les données économiques et la conjoncture en les engageant dans une voie que je connais. Peu importent au fond les moyens. Ceux qui comme moi considèrent la raison humaine comme le facteur essentiel, peuvent bien être sûrs qu'on fera à l'influence psychologique une place importante dans l'arsenal des moyens libéraux. Lorsque commença la période de haute conjoncture, je m'aperçus, avec la Banque des Pays allemands, que ce n'était pas le nifJeau effectif des prix qui se détériorait, mais leur climat. Nous avions affaire à un simple phénomène psychologique. Le danger ne venait pas de la conj on ct ure mais des fausses appréciations qu'on pouvait faire des possibilités et des chances d'un enrichissement matériel. Ce n'était pas les choses mais les hommes qui étaient en cause. Entre temps, cette situation ne s'est pas essentiellement modifiée. La conscience des prix contre le danger de l'inflation. Je n'ai pas seulement présenté cette raison économique en la prêchant dans les meetings, mais PSYCHOLOGIE DU MARK ET DU PFENNIG 131 j'ai cherché surtout à mobiliser des forces contre le mouvement des prix. Mon but a toujours été le même; je voulais constituer en Allemagne une opinion publique qui fasse de chacun un acheteur intelligent capable de savoir si l'objet qu'il désire acquérir est vraiment à son prix réel, à sa vraie valeur. Il est possible qu'on doute du résultat. Mais on devra reconnaître qu'il a dû être suffisamment atteint pour permettre aux prix allemands d'être au niveau actuel c'est-à-dire bien inférieurs à ceux de nombreux autres pays. On peut s'en persuader d'ailleurs en jetant les yeux sur l'évolution effective du coût de la vie. Indice du prix de la Pie ( 1950 Juin 1950 Décembre 1950 Juin 1951 Décembre 1951 Juin 1952 Décembre 1952 99 101 108 112 109 110 = 100) Juin 1954 Décembre 1954 Juin 1955 Décembre 1955 Juin 1956 Décembre 1956 108 110 109 112 113 114 Dois-je ici répéter ce que j'ai si souvent dit au cours des dernières années? La stabilité monétaire restera assurée. De même que le médecin donne un bacille inoffensif comme antitoxine, je désire avec mes constantes déclarations sur les prix 132 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS empêcher le déclenchement d'une maladie économique. Il faut s'immuniser contre l'inflation. Il ne s'agit pas d'une prière pour homme malade; je rappelle simplement que c'est l'attitude et la réaction des gens qui restent le phénomène essentiel. Chapitre X. L'État-providence. L'illusion moderne Les impératifs que nous avons toujours suivis sont la liberté économique et la stabilité de la monnaie. Une politique sociale qui ne tiendrait pas compte de ces deux impératifs, serait le pire des dangers et compromettrait l'économie libérale. Je suis resté souvent affligé en voyant combien ces derniers temps les appels à la sécurité collective devenaient pressants. Comment assurer le succès si nous prenons de plus en plus le chemin d'une vie collective où plus personne n'est responsable et où tout le monde désire trouver sa sécurité au moyen de la collectivité? J'ai déjà condamné cette sorte de fuite devant la responsabilité personnelle lorsque j'ai dit que nous risquions alors de glisser dans un ordre où chacun aurait la main dans la poche de son voisin. L'aveuglement et la nonchalance intellectuelle avec lesquels nous nous habituons à l'État-Providence, ne peuvent mener qu'à notre perte. 133 134 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS On finirait par voir disparaître une grande partie des vertus humaines, la responsabilité, l'altruisme, et l'on serait conduit petit à petit à un État qui serait peut-être sans classes, mais qui serait à coup sûr sans âme : une mécanique. Certes, ce processus paraît impensable ; il nous semble sur le moment, absurde, parce que dans la mesure où le bien-être s'accroît, et où augmente la sécurité économique, le fait de vouloir assurer ces acquis contre l'avenir nous voile toute autre espèce de considération. C'est là vraiment qu'on trouve une erreur tragique ; car on ne veut pas reconnaître que le progrès économique et le bienêtre sont incompatibles avec l'économie collectiviste. L'illusion du besoin de sécurité. En dernière analyse, de telles pensées aboutissent à des résultats complètement antisociaux. En ce qui me concerne, je m'obstine à tenir pour moralement mauvaise une politique qui, de quelque façon que ce soit, donne à l'État la propriété du capital. Celui qui ne craint pas de pousser loin l'analyse, reconnaîtra l'illusion du besoin de sécurité. Le citoyen ne peut pas atteindre à une sécurité véritable plus grande que celle que nous acquérons L'ÉTAT-PROVIDENCE. L'ILLUSION MODERNE 135 nous-mêmes par la production. Cette vérité fondamentale ne résultera pas d'un procédé collectiviste. L'effort nécessaire pour libérer le peuple de trop d'influence étatique et de trop de dépendance serait réduit à rien ; la liaison avec la collectivité serait toujours plus forte. La fausse sécurité qui attache l'individu à l'État ou à d'autres collectivités serait vraiment payée trop cher. C'est également une erreur de croire que le chemin qui mène à l'ÉtatProvidence sera parcouru si la sécurité collective procédait complètement ou partiellement de l'État au moyen de différentes techniques fiscales. On demande la sécurité obligée, et on finance les productions par les contributions. On peut aussi poser une simple question : est-ce que l'ingérence de l'État et des collectivités dans la vie de l'individu a vraiment contribué à accroître sa sécurité, à enrichir sa vie, à diminuer son angoisse? On peut répondre par la négative. Les limites de la Sécurité sociale. On peut voir, à l'importance prise par la sécurité sociale, combien au cours des années passées les principes et les formes économiques ont évolué, et à quel point les structures de politique économique se sont modifiées. Les conditions de vie du travail- 136 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS leur allemand se sont infiniment améliorées depuis l'époque bismarckienne. Cependant, la protection obligatoire de l'État s'arrête au moment où le citoyen et sa famille sont capables de faire face individuellement à leurs problèmes. Ceci est le cas pour toutes catégories d'employés qui possèdent un revenu suffisant et qui par là même sont capables d'acquérir dans l'économie ou l'administra ti on des positions de responsables. Il est certain que la guerre et la réforme monétaire ont donné naissance à un désir de sécurité collective. Mais il serait faux de croire que cette assurance artificielle est valable pour la totalité des risques de la vie. Il résulte de ce qui précède qu'on souhaite limiter l'importance de la sécurité collective, c'est-à-dire la réduire à des proportions plus modestes. Pour éviter tout malentendu, je confirmerai ici que je considère comme un devoir essentiel de la société de subvenir aux besoins de ceux qui, accablés par la vieillesse, se trouvent sans le secours de leur épargne à la suite d'inflations. Il ne faut pas faire dans ce cas de différence sociale : les vieux travailleurs comme les employés doivent être traités sur le même pied, de même que les professions libérales. Mais le problème particulier né du sort même de l'Allemagne ne doit pas nous amener à nous substituer à la famille par le truchement de la sécurité sociale. On finirait à la limite par la dévaluation et _l'inflation. L'ÉTAT-PROVIDENCE. L'ILLUSION MODERNE 137 Refus de solutions anachroniques. Au cours de ces dernières années nous avons péniblement vécu dans l'éparpillement de la puissance économique et dans une situation caractérisée par l'esprit de caste, un esprit de vase clos. Il en est résulté un égotisme corrupteur et anachronique, d'autant plus qu'au même moment nous cherchions enfin à nous libérer du carcan du protectionnisme et de l'égoïsme nationaliste, pour retrouver les formes d'une vie humaine et sociale. Toutefois, ces politiques posent un autre problème. L'essai est voué à l'échec qui consiste à utiliser la sécurité sociale de la classe des employés et des ouvriers pour alimenter le fonds vieillesse des professions libérales. Quoi qu'il en soit, toutes ces considérations ne sont pas sans rapport avec la réforme des rentes si discutée, qu'il s'agisse d'une rente indexée, d'une rente proportionnelle au salaire, ou de toute autre combinaison. Ce qui est important c'est que la rente suive les fluctuations économiques. Cette rente mobile dépend de l'idée de productivité accrue contenue à notre sens dans l'économie libérale. Elle est née de l'expérience générale qui veut que l'accroissement de la produc tivité s'exprime moins dans la baisse des prix que 138 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS dans la hausse des salaires nominaux. Une rente ainSI indexée reste valable tant que rien ne vient troubler la stabilité de la conjoncture et de la rnonnaie. La bonne politique sociale exige la stabilité monétaire. On s'est souvent fondé sur un adage erroné : « La stabilité de la monnaie n'a pas besoin de s'occuper de la politique sociale. » Il me semble impossible et même criminel de vouloir instaurer un ordre nouveau, tel que la réforme des rentes, en spéculant sur des catastrophes inflationnistes possibles. C'est une immense erreur de croire qu'un peuple ou un État puisse enclencher un mécanisme inflationniste et se protéger en même temps de ses conséquences. Il faut au contraire tout faire pour éviter l'inflation ; celle-ci ne nous menace pas comme une malédiction ou un tragique destin : elle vient simplement d'une politique mal conduite. Si on étendait au domaine des rentes une politique des salaires qui aurait pour conséquence une hausse permanente des prix, on arriverait à compromettre la stabilité monétaire et à précipiter le désastre. Au cours du paragraphe sur les rentes indexées, j'ai clairement fait comprendre qu'il serait illusoire L'ÉTAT-PROVIDENCE. L'ILLUSION ::\IODERNE 139 de vouloir écarter l'idée d'une rente mobile. Il est évident que le minimum vital dépend essentiellement des fluctuations économiques ; c'est ainsi que se trouve justifiée l'idée de la rente mobile. Concluons en disant que la sécurité sociale est bonne et même hautement souhaitable. Mais elle doit naître de son propre chef et des résultats même de l'économie. Elle n'est pas comparable à l'assurance sociale pour tous. On doit trouver au départ une responsabilité personnelle et là où elle n'existe pas, c'est l'État ou la société qui doivent intervenir. Mais nous serions peut-être mieux à même de secourir mainte misère si, au lieu de nous orienter délibérément vers un colJectivisme social, nous adoptions une attitude résolument sociale. Puisse cet avertissement être entendu. Chapitre Xl. L'Économie libérale et le 'réarmement .Le réarmement doit se faire sans que notre écoM nomie puisse en souffrir. Depuis qu'il a été question de réarmer l'Allemagne, je n'ai cessé de répéter ce point de vue. Il ne s'agissait pas là de dogme, mais du souci de protection de notre sécurité économique et sociale. Le sens de toute contribution à la défense reste de maintenir et même de renforcer la liberté de l'Occident. Il serait vraiment absurde de supprimer cette liberté en contribuant à la défendre. Ce postulat qui veut concilier l'économie libérale et la défense est bien autre chose qu'une simple théorie. Il conduit à des réalisations concrètes. Nous n'avons que trop souffert de l'inflation, et il ne nous semble pas utile de la faire subir une fois encore à notre peuple. Il faut s'opposer absolument à ce que le coût d'un réarmement puisse affecter la valeur de notre monnaie. Le financement du réarmement se fera en influant sur le pouvoir 140 L'ÉCONOMIE LIBÉRALE ET LE RÉARMEMENT 141 d'achat c'est-à-dire avec des impôts, et non en maniant la planche à billets. La stabilité monétaire n'est pas menacée. Depuis des années, notre économie supporte des frais d'occupation qui s'élèvent à environ 7 milliards de marks, sans que la stabilité monétaire ou économique en ait été affectée. L'effort de défense s'élèvera à environ 9 milliards de marks par an. Personne ne pourra prétendre, malgré toutes les critiques qui ont été adressées jusqu'ici, que ce compte ait été outrepassé. Cette charge de 2 milliards de marks chaque année est à couvrir par un accroissement annuel du produit national, accroissement qui fut ces dernières années, de 10 à 20 milliards de D.M. (1953 : 143,8 milliards ; 1954 : 153,9 milliards ; 1955 : 175,6 milliards; 1956 : 192,5 milliards). Cette augmentation de 2 milliards ne doit pas pour autant être sous-estimée ; cependant on peut l'envisager avec confiance car elle n'est pas une menace pour la stabilité monétaire. Nous avons réussi à payer les frais d'occupation sans que pour autant la reconstruction allemande se trouve entravée ou soit devenue impossible, nous réussirons aussi à payer notre réarmement. Si nous avons fait le rapprochement entre l' éco- 142 ; ; LA PROSPERITE POUR TOUS no mie libérale et l'économie de réarmement, il faut ajouter qu'on peut également faire un parallèle avec la production des biens d'armement; c'est-à-dire qu'ils doivent être soumis à la règle du jeu de l'économie libérale. Dans quelque domaine que ce soit, il faut faire place à la fonction du marché libre. C'est la raison pour laquelle je suis d'avis d'adopter le principe de l'adjudication publique. Elle présente la même sécurité que dans le secteur civil en ce sens que chaque intéressé peut faire so~ offre et que celui qui emporte l'adjudication est en mesure de livrer la marchandise au meilleur prix. Ce procédé peut s'étendre à tous les domaines économiques. Toutefois, dans le cas très spécial des biens d'armement on peut ne pas suivre cette voie. Mais la mise en adjudication publique constitue le principe d'achat le plus important de l'économie libérale. C'est pour cette raison que je refuse d'admettre que cette méthode puisse être tenue pour responsable des retards de livraison : il faut les imputer au bureaucratisme paralysant. Il est évident que dans le cas de petites quantités on n'aura pas recours à l'adjudication, mais au magasin. On peut toujours arriver à saboter un principe exact. Toute adjudication postule une certaine quantité d'offres, elle ne se justifie donc plus là où il n'y a pas de marché, comme c'est le cas pour les chars. Mais alors là on devrait procéder ~-. L'ÉCONOMIE LIBÉRALE ET LE RÉARMEMENT 143 au choix des fabricants suivant les principes de l'économie de marché. Clearing européen d'armement. La création d'une industrie d'armement nationale pose de très graves problèmes, aussi bien du point de vue de l'épargne que du point de vue des investissements. Ce qu'on investit dans cette industrie y reste bloqué~ C'est là une idée qui semble élémentaire, mais c'est une immobilisation bien lourde pour un pays dont le marché des capitaux s'est reconstitué si péniblement. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé une sorte de clearing des armements en Europe. Malheureusement, les premiers essais de travail en commun n'ont donné jusqu'ici aucun résultat concret. Les points de vue sont trop contradictoires : les uns pensent que l'Allemagne se réarme trop, d'autres qu'elle ne fait aucun effort en ce sens. Maintenant que nous avons enfin une idée des besoins en matériel des forces armées allemandes, on ne peut que réitérer l'appel à un partage systématique de la production occidentale. Ce souhait d'entente européenne qui prévaudrait sur une autarcie nationale est né aussi d'autres conditions économiques. Il serait possible de faire une pro11 144 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS duction rationnelle et de créer les conditions d'une production en série avec des coûts d'exploitation moindres. Ces mesures présenteraient l'avantage de diminuer les excédents de notre balance commerciale et de notre balance des paiements. Agir au lieu de parler. Les cas sont rares, jusqu'à ce jour, où l'on voit des produits réalisés en coopération européenne ; même pour le choix de prototypes on a à peine dépassé le stade des évaluations. Mais cette situation regrettable peut encore évoluer. Je suis persuadé que dans ce domaine justement nous avons une occasion unique d'arriver à réaliser une coopération féconde sans qu'il soit besoin pour cela d'avoir recours pendant des années à des conférences d'experts en vue de l'élaboration de contrats compliqués : nous disposons déjà d'un cadre d'organisation et de technique. Cela ne signifie pas que des commandes concernant la recherche et le développement de la technique ne soient pas données à l'Allemagne ; ces travaux de recherches sont d'un prix inestimable pour toute économie moderne. Lorsque ces commandes sont passées à l'économie privée il convient d'éviter qu'on aboutisse à des monopoles; un tel résultat serait tout à fait contraire à l'économie L'ÉCONOMIE LIBÉRALE ET LE RÉARMEMENT 145 de marché et à l'esprit de coopération européenne. Les interférences des nécessités du réarmement et des principes de l'économie de marché vont permettre de répondre aux questions qui se posent dans des centaines de cas. Par exemple : l'entrée de l'Allemagne occidentale dans l'O.T.A.N. implique l'existence de certains stocks. Charger l'État de constituer ces stocks reviendrait à l'obliger à construire des entrepôts énormes, ce qui serait contraire au principe même de la libre initiative. Exercer une pression quelconque sur l'industrie privée pour l'obliger à constituer elle-même ces stocks serait également contraire à l'économie libérale. Il faut donc s'efforcer d'offrir à l'économie des exonérations fiscales pour obtenir une décentralisation des entrepôts telle que la souhaitent les experts militaires. L'impulsion de la conjoncture n'est pas utilisable. Le désir d'intégrer harmonieusement le secteur du réarmement à l'ensemble de l'économie a aussi ses conséquences sur le plan administratif. C'est pour cette raison que j'ai favorisé la formation du « Comité des Six >> au sein duquel le n1inistère de l'Économie et le ministère de la Défense nationale ont toute facilité pour discuter des questions intéressant ces deux secteurs. 146 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS Le peuple allemand ne devrait jamais oublier qu'au cours des décisions qu'elle a prises, la République fédérale ne s'est jamais laissée aller à lier le réarmement à des considérations de conjoncture. Ce ne sont pas des raisons économiques mais exclusivement de graves considérations politiques qui nous ont guidés. Nos efforts nous confirment dans le sentiment que nous appartenons au monde libre et dans la certitude que nous pouvons sauvegarder la paix. Chapitre Xli. Station Europe Le 2 septembre 1956, je déclarai à l'ouverture de la Foire internationale de Francfort que l'intégration de l'Europe était une chose nécessaire. Mais, la meilleure intégration de l'Europe ne repose pas sur la création de nouveaux fonctionnaires et de nouvelles administrations ; elle dépend au premier chef du rétablissement d'un ordre international libre et surtout de la libre convertibilité des monnaies. Si difficiles que soient les problèmes et si obligés que nous soyons de trouver des solutions, il ne faut pas oublier que le premier succès et la première solution valable du problème posé par le pool charbon-acier réside dans l'obligation de pratiquer une intégration totale. Avant tout nous devons poser les principes d'une véritable intégration. A mon point de vue, ils résident surtout dans la politique monétaire. Il s'agit de créer des rapports matériels et humains qui ne puissent pas être séparés pour être ensuite arbitrairement renoués. A H7 148 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS ce propos, une autre idée mérite aussi d'être signalée: il semble qu'on assiste aujourd'hui à un mouvement de recul devant la concurrence, lié à la création d'un marché commun. On s'imagine que les conditions d'une libre concurrence sont incompatibles avec une telle intégration. On devrait donc d'abord aplanir toutes les différences avant que de laisser fonctionner la libre concurrence. C'est du moins ce que pensent certains économistes. De tels essais pourraient peut-être, dans des limites très étroites, conduire à un certain succès. Mais il est absolument illusoire de vouloir créer les mêmes conditions de départ dans un monde soumis à la libre concurrence. Vouloir s'efforcer d'atteindre ce but, reviendrait à créer soit du dirigisme, soit une sorte de dilettantisme qui seraient l'un et. l'autre nécessairement stériles. La Sicile n'est pas la Ruhr. Si l'on voulait essayer d'harmoniser tous les coûts entre les pays et s'entendre pour que la concurrence ne produise aucune espèce de trouble, on n'aboutirait pas à l'intégration, mais au contraire à une désintégration catastrophique. Il est indéniable que tout point faible sur le plan national finit par avoir des répercussions sur STATION EUROPE 149 les rapports avec les autres États. Mais cette idée ne doit pas conduire à donner à n'importe quel pays le droit d'inviter ou de contraindre son partenaire du marché commun à adopter rapidement les principes douteux qui sont en vigueur chez lui. Ce terme d'harmonisation signifie qu'à la fin de la période transitoire on atteindra, dans les États membres, le même niveau de salaires et une équivalence des coûts du travail. Inutile de s'arrêter à cette proposition, parce qu'il n'est pas possible de trouver entre la Sicile et la Ruhr la même productivité et par là les mêmes coûts de travail. On arriverait à un véritable suicide économique. Les coûts des salaires sont le résultat d'une productivité et non la condition d'une même capacité de production. Personne ne peut croire qu'il soit possible d'atteindre, dans tous les pays, le même standing de productivité. Toute exigence de ce genre traduirait vraiment une méconnaissance illuminée des lois économiques, mais elle traduit en même temps une atmosphère intellectuelle qui ne doit pas se faire jour dans une Europe intégrée, à moins d'étouffer l'initiative humaine et la puissance créatrice. Il serait tout à fait illusoire de croire qu'on peut, avec des moyens artificiels, corriger les conditions structurelles de pays à pays et par là même arriver à la même richesse avec les mêmes coûts. 150 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS A l'encontre de toutes ces théories, je ne puis que redire ici que ce romantisme social est excessivement dangereux. Contre une organisation bureaucratique de l'Europe. Une Europe qui ne croirait plus à la valeur humaine, ni à la liberté, serait désormais sans valeur dans le monde. Une organisation bureaucratique de l'Europe avec tout ce que cela comporte de malentendus et de matérialisme serait beaucoup plus dangereuse qu'utile. Devant ces dangers politiques liés à une fallacieuse harmonisation sociale, la conception économique n'est pas discutable. L'harmonisation sociale ne se trouve pas au début, mais à la fin de l'intégration. Elle procède d'un synchronisme des formes de vie dans le rythme d'une intégration toujours en progrès. Bien que j'approuve l'idée d'un marché commun, je pense que dans une Europe intégrée les conditions de vie et de production n'auraient pas intérêt à être standardisées : le marché commun n'est pas un marché uniforme. Du point de vue économique, il s'agit de ne pas considérer l'Europe comme une institution mais comme une fonction. Mais alors que pouvons-nous faire pour permettre à l'Europe de développer ses STATION EUROPE i51 libres fonctions? Il est triste de devoir constater que nous sommes incapables de concevoir l'ordre en dehors de la notion d'organisation. Cela ne signifie pas que je sois ennemi des alliances européennes, je les considère au contraire comme nécessaires si l'on veut éviter que l'intégration aboutisse à un dirigisme supra-national. L'Europe est avant tout un complexe économique et politique. Il semble peu réaliste de prévoir que certains domaines de la souveraineté nationale puissent être placés sous le contrôle d'une autorité supra-nationale, et qu'à partir d'un moment donné cette influence supra-nationale se substitue automatiquement aux compétences des gouvernements nationaux. La fonction économique ne peut être répartie sur des compétences diverses; le résultat de cet essai serait probablement une grande confusion dans le domaine économique. L'extension des compétences supra-nationales a peut-être une signification politique, mais elle n'est guère propre à résoudre les problèmes économiques. A cet égard, il conviendrait peut-être de dire un mot des espérances de certains économistes planificateurs qui, n'ayant pu imposer leurs idées et leurs idéologies sur le plan national, risquent de les voir se réaliser sur le plan européen. D'après les expériences faites sur le plan national, les principes de cette économie sont également inadaptés à 152 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS l'échelle européenne. Ma conception du bon Européen est que cette communauté d'action et d'attitude doit être une obligation pour tous les intéressés. Les succès de l'Union Européenne des Paiements. Le centralisme, et la conception qu'il implique, doivent nécessairement conduire à un examen des institutions européennes. On a parlé du Pool Charbon-Acier dans la mesure où sa signification politique est celle d'une ouverture à une intégration européenne rapide. Les thèmes et les motifs sonnent bien dans sa partition. Ce n'est pas la faute du Pool si cette attente n'a pas été comblée, et il est laissé à l'appréciation individuelle le soin de savoir s'il a contribué à créer l'Europe. Indépendamment de ce facteur politique, le Pool a rempli dans son domaine un travail indiscutablement très utile. Pour ne pas encourir le reproche que la forêt nous empêche de voir les arbres, nous parlerons des grands succès de l'U.E.P. Ce système multilatéral a permis aux états de se libérer de la contrainte des échanges bilatéraux et de faire faire un pas décisif aux forces économiques de l'Europe. Les statistiques d'ailleurs vont le prouver. Les exportations de la République fédérale dans le cadre de l'U.E.P. 153 STATION EUROPE sont passées de 6,32 milliards de D.M. en 1950 à 21,96 milliards en 1956. Commerce extérieur dans le cadre de l'U.E.P. 1950 lm port. Export. 1951 1952 1953 1954 7,87 8,87 10,15 10,62 12,3 6,32 10,63 12,19 13,24 15,78 1955 1956 15,49 16,82 18,53 21,96 Le commerce entre les pays membres de l'O.E. C.E. est passé de 17,5 milliards de dollars à 30 milliards en 1954, et à 34,76 en 1955, et à 18,06 milliards de dollars dans le seul premier semestre de 1956. Mais, où est donc le défaut de l'Union Européenne des Paiements? Il réside en ce que les économies particulières rattachées à l'U.E.P. ne peuvent être contraintes à l'ordre économique et financier au sens de la stabilité intérieure de l'économie et de la monnaie. A l'U.E.P. les susceptibilités nationales continuent à jouer. Aucun État européen n'est prêt à se soumettre à une ligne directrice. L'U.E.P. peut bien faire des suggestions, en fait elle ne peut pas passer aux actes dans le cadre national. Cette critique adressée à l'Union Européenne des Paiements ne devrait cependant pas faire oublier la reconnaissance que nous devons avoir envers cet organisme. Ce fut le grand succès de l'U.E.P. que de transformer les rapports bilatéraux en échanges multilatéraux. C'est en cela que l'U.E.P. nous a sortis de l'impasse. 154 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS Le bilatéralisme est un non-sens. On ne saurait contester que le bilatéralisme ne peut aboutir à des résultats satisfaisants. On ne peut concevoir que les besoins ~t les souhaits de deux pays soient, du point de vue de la politique d'exportation, si harmonisés et organisés qu'il puisse y avoir un équilibre qui contente les partenaires. Il y a toujours des mécontents, car le volume total des échanges bilatéraux s'aligne sur les possibilités du partenaire le plus faible. C'est ainsi qu'il est impossible d'atteindre à une coopération optimum entre les économies. L'activité de l'U .E.P. et de l'O.E.C.E. doit être jugée à la politique des frontières qui a dirigé les desseins de ces deux institutions. Dans la mesure où nous avons progressé dans notre libéralisme, nous avons pu constater que tant qu'il y aura des prescriptions sur la législation des devises, lew but visé ne sera pas atteint. Mes lecteurs peuvent se demander quelle idée je me fais de l'Europe naissante. Au début d'une tentative qui essaie de développer les points de vue les plus concrets, on devrait inscrire la phrase suivante : « Tous les efforts d'intégration politique et économique sont voués à l'échec si en fin de compte les participants ne trouvent ni le courage, STATION EUROPE 155 ni la force d'adopter une libération progressive des marchandises, des services et des capitaux, une destruction complète des frontières et de tous les systèmes protectionnistes. » Qu'on me laisse maintenant aborder une question fondamentale qui est souvent discutée dans les cercles privés et également en public : l'aisance d'un pays dans un monde libre n'est-il pas pour le voisin une source de souci? Cette hypothèse est naturellement tout à fait critiquable. C'est un truisme économique que de dire que les partenaires ne se portent bien que dans la mesure où ceux avec lesquels ils vivent sont en pleine prospérité économique. On ne saurait faire de commerce avec des mendiants. Il est d'autre part intolérable de penser que dans un pays européen il pourrait y avoir encore des millions de chômeurs, alors que d'autres États ne savent pas comment se procurer de la maind' œuvre pour exploiter toutes leurs richesses. Le libéralisme est la meilleure des médecines. Tous les efforts que nous devons faire pour l'intégration de l'Europe doivent être placés sous le signe de la liberté. Qu'on me laisse donner un exemple : les ·effets du libéralisme sur notre commerce extérieur sont si convaincants qu'ils ne per .. f56 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS dent rien de leur signification lorsqu'on se réfère au fait que l'Allemagne en 1950-1951 a traversé une des crises les plus graves, et peut-être même la plus grave de l'après-guerre. Lorsqu'en 1948 je pris mon poste dans la bizone, les exportations mensuelles s'élevaient en moyenne à 200 millions de D .M. et se composaient essentiellement d' exportations forcées de charbon, de bois et de toute autre matière première indispensable à l'Allemagne. Aujourd'hui, les exportations mensuelles atteignent entre 2,4 et 3 milliards de D.M. Ces résultats ont été atteints grâce à notre politique libérale. Jetons encore un coup d'œil sur la structure de nos exportations ; l'exportation des produits finis s'élève main tenant à 80 %. Voici du reste un tableau de nos exportations en millions de D.M. (moyennes mensuelles). Moyenne mensuelle Exportation totale Matières premières Demiproduits Produits finis 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 697 1215 1409 1 544 1836 2143 2 572 97 110 107 124 141 131 143 131 176 212 227 240 272 318 . 452 888 1058 1153 1412 1683 2 034 J'ajouterai que la convertibilité des monnaies est la meilleure des solutions aux problèmes de STATION EUROPE 157 l'Europe et qu'en conséquence l'effet de cette organisation devrait se faire sentir dans tous les domaines de la vie sociale. La politique économique y gagnerait considérablement en clarté. Je ne crains pas de dire que celui qui arrivera à supprimer le contrôle des devises aura beaucoup plus fait pour l'Europe que tous les politiciens, hommes d'État, parlementaires, hommes d'affaires et fonctionnaires réunis. Je répondrai ainsi à la question suivante : Qu'estce qu'un bon Européen? :Je ne suis pas disposé pour ma part à me laisser entraîner dans un sophisme pour savoir s'il n'existe vraÏinent qu'un seul chemin ou qu'une seule méthode pour faire l'Europe. Je ne suis pas disposé à considérer l'Europe comme la fin en soi d'un ordre économique. L'économiste se différencie ici du diplomate. Pour moi, l'intégration européenne n'est qu'un premier stade dans l'élimination de toutes les barrières douanières du commerce international. Je m'efforce en toutes circonstances de suivre le chemin de la liberté avec tous les pays du bloc occidental, et en particulier avec les partenaires européens. Dans cette mesure l'Europe est une forme d'intégration économique et politique. Mais nous visons encore plus loin; nous devons éviter que le monde occidental se fragmente en petits groupes économiques. Chapitre Xlii. Le phénix renaît de ses cendres Lorsque n~us nous sommes trouvés en 1948 devant la tâche de reconstituer la liberté économique intérieure de l'Allemagne, j'étais presque dans l'obligation morale de prendre le plus tôt possible la direction d'une politique de libéralisation du commerce extérieur. Malgré des conditions défavorables et toutes les difficultés auxquelles nous fûmes soumis, la libération des échanges à la fin de 1949 avait atteint 58,2 % des importations privées dans le cadre de l'O.E.C.E. et en octobre 1950 63,7 %. C'était simplement la nécessité qui nous avait contraints à soumettre notre goût de la liberté à des expériences monétaires aussi pénibles. L'économie allemande en déclin ne pouvait offrir aucune base d'existence au peuple allemand, si elle n'arrivait pas dans les plus brefs délais au niveau des états industriels en expansion dans le monde. Si nous avions suffisamment de forces et d'énergie pour tenter notre reconquête avec la concurrence, lii8 LE PHÉNIX RENAIT DE SES CENDRES 159 la route de la reconstruction allemande était libre. C'était en même temps offrir une chance aux 1nillions de réfugiés et à donner au peuple allemand un standing de vie qui corresponde à la civilisation occidentale. C'est dans cette conjoncture que, nous l'avons déjà dit, le Plan Marshall nous fut d'un très grand secours. La libération des échanges et le multilatéralisme de l'O.E.C.E. ont ouvert la voie d'un échange de Inarchandises raisonnable. Lorsque le commerce extérieur est libéré des entraves, alors les biens peuvent être échangés avec l'effet économique le plus bénéfique. C'est la raison pour laquelle les principes libéraux doivent être le fondement du commerce extérieur. C'est pourquoi je me suis efforcé d'éliminer toutes les subventions à l' exportation : les subventions de ce style sont à proscrire, quelle que soit leur forme, parce qu'elles finissent par susciter la discorde et la méfiance. La limitation des devises est pour moi le symbole de la mauvaise mesure ; elle respire la préparation à la guerre et elle est génératrice de désordre. Le développement favorable du commerce extérieur a mis l'Allemagne en troisième position dans le monde. Si la différence avec les U.S.A. est extrêmement sensible, celle avec la Grande-Bretagne s'est passablement réduite au cours de ces dernières années. Il y a quelques années encore la part d'ex12 160 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS portations allemandes était dépassée par celle de la France et du Canada. % 1950 1955 1956 des exportations mondiales U.S.A. GrandeBretagne Allemagne France Canada 18,3 18,6 30,7 11,0 9,8 9,8 3,6 7,4 8,1 5,5 5,8 5,1 5,3 5,3 5,4 Les particularités de l'évolution du commerce de l'Allemagne occidentale dans le monde se trouvent groupées dans le tableau suivant : o/0 des exports mond. %des imports mond. 12,9 6,5 5,7 4,6 4,4 4,8 4,9 5,8 6,6 6,9 1913 1929 1937 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 13,1 7,5 7,1 3,6 4,6 5,5 6,0 6,9 7,4 8,1 Dernières considérations. La liberté coûte des sacrifices. C'est le premier et le plus grand souci que je manifeste pour le LE PHÉNIX RENAIT DE SES CENDRES 161 sort de l'Allemagne. N'oublions pas que nous ne sommes pas les seuls à vivre dans le monde et que notre aisance dépend d'une organisation harmonieuse de notre pays dans un monde libre, et de la confiance entre les peuples. Il me semble que de l'extérieur on ne nous comprend déjà plus, et que nous faisons peut-être l'impression d'un peuple égoïste qui est en train de perdre le sentiment de sa responsabilité commune et de sa solidarité avec le monde libre. Nous ne sommes pas coupables et cette appréciation a toutes chances d'être fausse. Mais les voix malignes et calomnieuses ne peuvent être complètement étouffées. D'autres peuples aussi, pour l'amour de leur liberté, portent des charges matérielles qu'ils auraient bien volontiers consacrées à leur bien-être social s'il n'y avait pas eu de menaces extérieures. D'aucuns prétendent que le gouvernement a péché contre le bien-être du peuple allemand parce que, pour sauvegarder sa liberté, il s'est lié à la défense du monde libre : pour ceuxlà, il suffit de s'en référer aux événements de Pologne et de Hongrie et leur dénier toute compétence pour guider le destin de l'Allemagne. Et voilà mon second souci. 162 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS La Communauté européenne est indispensable. iLes considérations qui précèdent ont montré que nous ne sommes pas un peuple à vivre recroquevillé sur lui-même. Mais ici je ne pourrai pas voir l'aspect politique des questions, bien qu'il soit absolu1nent primordial. Les peuples libres d'Europe ne peuvent maintenir leur position dans le monde et le rôle qu'ils ont à y jouer qu'en s'appuyant sur les ÉtatsUnis et en arrivant à la conscience d'une communauté politique indissoluble. C'est parce que je regarde vers le futur que je peux m'épargner les souvenirs du Pool CharbonAcier, de l'O.E.C.E., de l'U.E.P., du G.A.T.T. et du Fonds monétaire international, et que je peux me référer au plan qui a pour objet de créer _une union douanière et un n1arché commun entre les six pays du Pool. Je ne pense pas du tout que le marché commun dégénère en un dirigisme européen, au contraire il y puisera la force d'assurer à la Communauté des hommes et des peuples ~la sécurité d'un avenir politique, social et économique également heureux. Si le marché commun ne s'efforce pas d'être l'application d'une politique libérale, nous somme menacés de retomber dans les erreurs d'un passé malheureux et de retrouver cette idée « de grand LE PHÉNIX RENAIT DE SES CENDRES 163 espace vital » qui est la manifestation même de l'esprit économique égoïste. Au cours des trente ou quarante dernières années, rien ne s'est davantage manifesté que cet esprit d'égoïsme national et de protectionnisme. Mon troisième souci est relatif à la forme qu'adoptera la communauté européenne. Mais comme l'utilité et l'intérêt des monnaies librement convertibles augmente en proportion de l'espace, économique et du nombre des peuples participants, il ne faut pas aborder ce problème seulement sur le plan du marché commun, mais il faut élargir l'espace économique aux États- Unis, à la GrandeBretagne et aux autres pays d'Europe. Mais il faut bien constater que l'opposition vient toujours de l'économie égoïste des nations sans que se manifeste la moindre intuition de ce que pourrait donner un changement du système monétaire. Mon quatrième souci se fonde sur l'idée que l'ordre le meilleur et la meilleure discipline nationale ne sont pas suffisants pour assurer la stabilité intérieure. La seconde réfJolution industrielle est-elle en train de s'accomplir? Nous assistons pour l'instant à un renforcement toujours plus grand de l'automation. Sans évoquer i64 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS par là les imaginations d'un Jules Verne, il ne me semble pas que nous assistions à une seconde révolution industrielle, car il ne s'agit pas ici d'une action, mais simplement d'un processus inachevé ; d'autre part, la situation sociale qui favorise cette évolution est caractérisée par un manque de travailleurs qui ne peut que s'aggraver. Dans certains cas on peut parler d'une révolution technique, mais il n'est pas question d'une révolution industrielle qui réédite les difficultés sociales inhérentes à l'entrée en scène de la machine. On ne saurait passer sous silence que les peuples moins développés arrivent à sauter certains stades de leur évolution industrielle, et désirent utiliser les techniques modernes. Mais les pays de civilisation occidentale ont la chance de pouvoir non seulement se servir d'automates, mais de les inventer et c'est ce qui nous fait espérer qu'à l'avenir ce ne seront pas des cerveaux électroniques, mais des têtes humaines qui guideront· les destins de l'humanité. Si l'automation favorise l'intégration progressive des économies, elle peut vraiment être un grand bienfait pour le monde. La question capitale est de savoir quelle utilisation il sera fait de cette évolution. Les socialistes qui parlent de technique atomique, d'automation, pensent que les fondements d'économie privée de notre organisation ne sont pas ceux qui conviennent LE PHÉNIX RENAIT DE SES CENDRES 165 et qu'ils sont dépassés, qu'ils ne sont pas capables de résoudre les nouveaux problèmes aussi bien techniques, que financiers. Il est incontestable que l'automation exige d'énormes capitaux; mais cette considération:pèsera bien peu lorsqu'il s'agira d'évaluer à sa juste mesure le taux de consommation et d'investissement au cours des discussions politiques. Toutefois, on ne saurait écarter complètement la nécessité d'une intervention de l'État ou même d'une Régie, car si les revenus de l'entreprise privée ou si l'épargne sont insuffisants pour financer les investissements nécessaires, c'est la seule solution qui reste à l'État, à moins qu'il ne finance par une inflation de crédit ou qu'il procède à une aggravation de la fiscalité. Pour moi, je reste persuadé que l'initiative privée est de beaucoup préférable au dirigisme étatique. Je pense que la liberté est vraiment la force humaine par excellence et la plus grande valeur qui se puisse trouver. Peut-être nous faudra-t-il courir le danger de la perdre pour éveiller les forces nécessaires à son salut. Celui qui se rendra compte des dangers qui nous menacent, se trouvera renforcé, je le souhaite, dans l'idée de l'éminence de sa liberté. Il sera alors capable de lutter s'ille faut pour défendre cette liberté et cet ordre économique retrouvés en 1948 contre tout ce qui pourrait les menacer. C'est alors seulement que ce livre aurait atteint son but. 166 LA PROSPÉRITÉ POUR TOUS E(,Jolution des troz:s indices du coût de la Epoque Juillet 48 Janvier 49 Juillet 49 Janvier 50 Juillet 50 Janvier 51 Juillet 51 Janvier 52 Juillet 52 Janvier 53 Juillet 53 Janvier 54 Juillet 54 Janvier 55 Juillet 55 Janvier 56 Juillet 56 Janvier 57 Juillet 57 (,}te Coût de la vie ponr les classes moyennes Coût des prod. ind. Coût des prod. agric. (1950 = 100) 102 110 106 102 99 102 108 112 109 110 108 107 108 110 111 113 113 114 116 (1950 = 100) 103 106 102 100 98 111 118 123 121 120 118 116 116 118 119 120 120 124 124 (1950-51 = 100) 104 121 118 107 101 103 113 120 118 114 114 115 124 120 122 124 127 127 138 167 LE PHÉNIX RENAIT DE SES CENDRES Indice de la production industrielle ( 1936 Mat. prem. et biens de prod. Biens Ensemble 1_948 1_er 2e 1949 1_er 2e 1950 1er sem. sem. sem. sem. sem. 2~ sem. 1_95t 1er sem. 2e sem. t952 1_er sem. 2e sem~ t953 ter sem. 2e sem. t954 ter 2e 3e 4e 1955 ter 2e 3e 4~ t956 ter 2e 3e 4e 1957 ter 2e trim. tri m. tri m. trim. trim. tri m. trim. trim. trim. tri m. tri m. tri m. trim. tri m. d'in~Jest. = 100) Consomm. 50,2 69,1_ 82,9 94,0 99,7 t2t,7 t27,7 t34,3 t33,4 t45,3 t45,6 t61,5 43,8 64,1 78,5 83,7 93,1 tt3,5 t20,9 t22,3 t22,8 t29,9 t32,3 t4t,2 45,0 67,2 84,2 87,4 98,8 1_26,5 1_44,6 t49,9 t6t,5 t67,2 t67,6 t78,4 42,4 60,8 78,2 92,6 103,4 t23,1 1_29,t t28,3 t20,3 t39,9 t42,2 t6t,5 153,3 t71,2 17t,4 t91,0 178,5 t97,8 t97,t 2t6,6 192,7 217,1 2t2,t 226,1 212,9 230,3 137,1 t58,2 162,5 t66,6 t63,7 t85,t 185,7 188,0 t76,1 202,0 199,3 t96,7 195,2 21t,1 t82,3 205,6 200,5 230,1_ 230,0 255,0 248,1 274,6 263,2 285,7 266,4 280,9 275,1 298,0 1_54,5 t6t,3 162,8 t83,9 t70,6 t77,7 180,3 207,4 187,5 t95,6 195,2 2t9,2 206,1 209,5 Table des illustrations Fig. 1. - - Malgré les résistances psychologiques consécutives aux deux dévaluations, la fin de l'année 1956 voyait une épargne totale égale à environ 35 milliards de DM. La, croissance de l'épargne des quatre dernières années est remarquablement importante.................................... 68 2. -Le graphique ci-dessus montre le développement du commerce extérieur. Dans le bilan du commerce extérieur, le solde passif de l'année 1950 s'élevait à 3 milliards de DM; en 1956 il s'était transformé en un solde actif égal. . . . . . . . . . . 70 169 Table des matières Pages. 1 Ier.- Le fi] conducteur ................. . CHAP. IL III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. x. XI. XII. XIII. La naissance de l'économie de marché. La crise de Corée et les remèdes ... . Le maintien de la prospérité ........ . Économie et intérêts privés ........ . Les cartels ennemis Ju consommateur. Les salaires dans l'économie libérale .. Vers le matérialisme? . . . . . . . . . . . . . . . . Psychologie du mark ct du pfennig. . . L'État-providence. L'illusion moderne. L'Économie libérale et Je réarmement. Station Europe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le phénix renaît de ses cendres . . . . . . ILLUSTRATIONS DANS LE TEXTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 39 63 76 92 113 121 128 133 140 147 158 169 Dépôt Il-gal : 2• trimestre Hl:i9. ;\hse en vente : Avril 1959. Numéro de publication : :l341. Numéro d'impression : 7962. PARIS. - TYPOGRAPHIE PLON, 8, RUE GARANCIÈRE. - i959. 68262. Ont déjà été publiés dans TRIBUNE LIBRE 1 - Le Socialisme trahi, par André PHILIP. l - La Tragédie algérienne, par Raymond ARON. 3 - Faut-il supprimer les impôts? par E. SCHUELLER- A. COSTE-FLORET G. TESSmR - C.-J. GI· GNOUX - R. SÉDILLOT C. BRISSAT - E. BOUR· GEOIS. Introduction par Daniel-Rops, de l'Académie française. 4 - Malaventure en Algérie, avec le général Paris de Bollardière, par Roger BA.RBEROT. 5 - La Paix du dollar, par André KOSTOLANY. Pré· face de Robert Schuman. 6 - Le Drame algérien et la décadence française, réponse à Raymond ARON, par Jacques SousTELLE. 7 - Ces princes qui nous gouvernent ... , par Michel DEBRÉ. 8 - Libre méditation sur un messagedePieXII, (Noël 1956), par Gaston FESSARD, S. J. 9- Un Communisme qut n'oublie pas l'Homme, par Imre NAGY, précédé de Portrait d'Imre Nagy, par François FEJTo et suivi de Imre Nagy devam la révolution, par Tibor MBRA y. Traduit du hongrois par Imre Lanlo. 10 - La Nouvelle classe dirigeante, par Milovan DJILAS. Texte français d'André Prudhommeauz. Il - Le Vrai malaise des in· tellectuels de gauche, par Maurice SCHUMANN. ll - La Tunisie de Bourguiba, par Roger STEPHANE. 2J - La prochaine République sera-t-elle républicaine? par Maxime BLOCQ·MASCART. Préface de Michel Debré. Il - Présence française et abandon, par François MITTERRAND. 14- A.B.C. de l'inflation, par René SlllDILLOT. 13- Contrelaguerrecivile, par Edmond MICHELET. 15 - La Paix révolution· noire, par Charles MON· 14 - Entretiens fa mi 1i ers avec L.-F. Céline, par Robert POULET, suivis d'un chapitre inédit de Casse-Pipe, par L.-F. 16- L'Afrique noire devant l'indépendance, par AFRICANUB. CÉLINB. 15 - La Bombe atomique et l'avenir de l'homme, par Karl JASPERS. Tra· duit de l'allemand par Ré SoupauU, précédé de Le Philosophe devant la politique, par Jeanne HERS CH. 16 - Le Malaise de l'armée, par Jean PLANCHAIS. 17- La Révolution du XX• siècle, par Thierry MAULNIER. 18 - Bilan et perspectives socialistes, par Guy MOLLET. 19 - Demain en Algérie, par Alfred FABRE-LUCE. 10 - Où va la droite? par Paul S:RANT. Préface de Marcel Aymé. li - Les Atouts français, par Emmanuel HAMEL. TIRIAN. 27 - Sur quelques maladies de l'État, par René MASSIGLI, ambassadeur de France. 28 - E 1 q u isse s pour une politique chrétienne, par Giorgio LA PrRA. Précédé d'un Portrait de Giorgio La Pira, par Robert JUJ'Fl!:. Traduit de l'italien par Robert JuOé. 29 - Écrits pour une renaissance, par LE GROUPE DB LA NATION FRANÇAISE. 30 - L'Europe en question. Textes du Maréchal JUIN, de l'Académie française, et de Henri MABSIS. 31 - L'itinéraire des partis africains depuis Bamako, par André BLANCHET. 31 - Pour le salut public. Lu I ndépendant3 devant lu grandi problèma nationauz, par Roger DuCHET. 33- L'Algérie et la Répu· plique, par Raymond ARON, 34 - La Politique de Car· thage, par Simone GRoS, suivi d'une lettre-postface de Pierre Mli:ND:BsFRA.NCE. 35- Refaire une démo• cratie, un État, un pouvoir, par Michel DEBRlll. 36 - L'Ère des fédérations, par Robert ARON -J. BARETH - H. BRUG.IIIANS G. de CARMOY- J. DAUJAT - J.-M. MARTIN J. MAZE - B. MOTTEL. PlllRILLIER - M. RICHARD - P.-H. TEITGEN - J. TESSIER- G. VEDEL - A. VOISIN-B.VOYBNNE - Daniel HAL:IllVY, de l'Institut- André MAuROIS, de l' .Académie française. 40 - L'Ère des métamor• phoses,parÉmile RoCHE 41 - 37 - De Gaulle dans la Ré· publique, par Léo HAMON. PrA/ace de RenA Oapitant. 38- La France retrouvée. De l'impuissanee à l'efficacité, par Bernard LAFAY, 39 - Un changement d'espé· rance • ..4 la rencontre du rAarmement moral. Des témoignages, des faits, réunis sous la direction de Gabriel MARCEL, de l'1 nstitut. Notre a venir nucléaire, par E. TELLER et A. L. LATTER. Traduit de l'anglais par Jean Fizeau. 41 - L'Europe au défi, par J. HERSCH- H. FRENAY - H. RIEBEN- F. BONDY - Gal P.- M. GALLOIS A, PHILIP, 43 - La crise de la zone de libre-échange, par l<JuROPEUS. Un Document de l'E.P.I. 44- L'Angoisse au pouvoir, par Michel MASSE:l<ET. Les documents de TRIBUNE LIBRE La Révolution hongroise. Histoire du soulèvement d'octobre, précédée de : Une Révolution antitotalitaire, par Raymond ARON. l - La Stratégie des fusées, par Jacques BLOCH-MORHANGE, avec une postface de Paul GÉRARDOT, ancien chef d'État-Major de l'armée de l'Air. 3 - La Vérité sur l'affaire Nagy. Les faits, les documents, les témoignages internationaux Préface d'Albert CAMUS. Postface de François FEJTo. 4 - Demain l'Europe sans frontières l par Maurice BY1ll - A. DoucY - H. GŒRSCH J. KYMMEL - Cb. MAGAUD - G. PARENTI- P. POULEUR - L. SERMON - 1. SVENNILSONE. TUCHTFELDT - J. WEMELSFELDER. Recherches d'un groupe d'étude dirigé par Raymond RACINE, au Centre Européen de la CUlture. 5 - La Révolution algérienne, par Charles-Henri FAVROD, 6 - L'Institution concentrationnaire en Russie, par Paul BARTON, précédé de: Le Sens de notre combat, par David ROUSSET, 1- Les débats de TRIBUNE LIBRE Ceux d'Algérie, LeUres de rappelAs, 1966-1967, précédées d'un débat entre Jean-Yves ALQUIER - Roger BARBEROT - Jean-Claude KERSPERN - Michel MASSENET Jacques MERLIN - René PERDRIAU - Thierry MAULNIER.