Monde fini ou nouvelles frontières... Quel futur pour l’aventure humaine ? Nicolas Vanier, voyageur du froid, écrivain, inspirateur de plusieurs films : “Au Nord de l’hiver” 1992 , “Le dernier trappeur” 1994, “L’Odysée sibérienne” 2006. Publications : “L’Odyssée blanche” Pocket 2006, “La Grande Odyssée, profession chien de traineau” Hachette 2006. H iver 2005-2006, je vis cette extraordinaire aventure - l’Odyssée sibérienne - à la découverte de ce territoire à la saisissante beauté, peuplé de gens admirables, mais pour combien de temps encore ? Là-haut, dans cet espace d’une pureté originelle, plus que nulle part ailleurs je constate les effets des multiples dégradations que l’humanité fait subir à notre planète. Il faut agir et vite pour préserver ce que les Indiens appellent “notre mère à tous”, cette si belle Terre. Du voyage au rêve utile Ce voyage, au coeur des pays du froid, ne s’est pas effectué en solitaire. Une équipe me précédait dans tous mes déplacements et collectait des informations. 700 000 enfants dans les écoles ont aussi suivi l’expédition à la télévision et sur internet. L’accueil des populations a été exceptionnel. Les Sibériens, en particulier, ont été touchés par la nature de notre démarche, placée sous le signe du “rêve utile”. En évoquant avec eux les problèmes liés à l’exploitation du gazoduc sur les rives du lac Baïkal, ils ont eu le sentiment d’avoir été entendus. Pour autant, cette Odyssée a mis nos corps à rude épreuve. D’importantes difficultés liées à des anomalies climatiques ont parfois bouleversé notre programme de traversée. Malgré tout, quelques souvenirs demeurent impérissables. Une rencontre avec des nomades éleveurs de rennes dans l’Oural fut un moment magique. 11 10e Université des CCI - vichy - septembre 2006 La planète en danger De ces milliers de kilomètres parcourus, je retiens deux enseignements inquiétants quant au devenir écologique de notre planète : la forêt disparaît et la glace fond. La déforestation est un problème d’une gravité extrême. Elle illustre l’inconscience des hommes qui peuplent la Terre. Les habitants des pays de l’Europe de l’Ouest ont à cet égard une lourde responsabilité : la surexploitation de bois forestiers alimente les plus grandes usines d’Europe qui, par leur production massive, répondent à une demande en papier sans cesse croissante et souvent dispendieuse. Si la consommation et la croissance mondiale continuent à leur rythme actuel, la disparition de la Taïga est programmée à une cinquantaine d’années. Lors de la traversée de la Sibérie, j’ai pu constater à quel point les forêts boréales étaient soit mal exploitées, soit totalement surexploitées. En outre, la coupe à blanc y était pratiquée. Dans l’Oural, les forêts ne repousseront plus car le sol a été érodé par des pluies de plus en plus fréquentes. La fonte de la glace menace la biodiversité. Selon toute vraisemblance, l’ours polaire est condamné à disparaître à l’instar de nombreuses autres espèces. La banquise d’été constitue, pour cet animal, une plateforme de chasse indispensable. Or, elle s’amenuise peu à peu. Une baisse du poids des femelles de l’ordre de 15% et une baisse de la natalité de 20% ont été constatées. Par ailleurs, en Sibérie, au Canada et dans la région de l’Alaska, le permafrost est en train de fondre sur des épaisseurs de plusieurs mètres. Dans le Nord, il constitue un ciment naturel sur lequel des forêts et des villages s’accrochent. Phénomène aggravant, le méthane piégé sous cette couche de glace constitue une véritable bombe à retardement. Le réchauffement climatique accentue le dégel du permafrost. Du méthane est alors libéré dans l’atmosphère, augmentant le volume de gaz à effet de serre, cause principale du réchauffement climatique. Ce cycle néfaste va accélérer le processus de réchauffement. Des spécialistes travaillant sur ce phénomène font part de leur préoccupation. Ils prévoient des bouleversements à l’échelle planétaire dans les cinquante prochaines années et la disparition massive d’espèces animales et végétales. Selon certains, l’homme lui-même serait menacé s’il ne prend pas les mesures appropriées pour ralentir ce bouleversement climatique. 12 Monde fini ou nouvelles frontières... Quel futur pour l’aventure humaine ? L’humanité consomme trop Au niveau mondial, il faut prendre conscience de la nécessité d’un autre développement, moins quantitatif, plus qualitatif. C’est l’humanité dans son ensemble qui consomme trop. Elle pompe dans ses réserves, situation qui ne pourra durer trop longtemps. Chaque jour, l’homme consomme l’équivalent de ce que la Terre a produit en 485 ans. Ce chiffre montre le décalage considérable entre ce que la Terre peut produire et les consommations effectives des hommes. Si chaque individu, à la surface du globe, consommait de manière identique à un Français, il faudrait l’équivalent de deux Terres pour assurer les besoins énergétiques de la population mondiale. Sans céder à un quelconque pessimisme, il est nécessaire de prendre en compte les défis à venir. Or, les modes de production et de consommation actuels aboutissent tous à la même hypothèse, celle de la destruction programmée de l’environnement terrestre. De ce point de vue, des efforts considérables restent encore à fournir pour préserver cet environnement que nous allons léguer aux générations futures. Même si des solutions pratiques incontournables semblent devoir être adoptées, à l’instar du développement de l’énergie nucléaire pour pallier le déficit grandissant de ressources énergétiques fossiles, une véritable révolution philosophique est à engager. Nous avons conjugué le verbe “avoir”, pendant quarante ans. Aujourd’hui, il est temps que nous conjuguions le verbe « être ». 13