Ron - Le blog de Ron
(1) Mais avec plaisir, je vous en prie.
3 ans
Posté par: Ron
Publiée le : 10/9/2007 6:00:00
(20 histoires de patients, d’hôpital, proposées par vous, ici dans les commentaires.)
Cent fois par jour, elle sonne. Cent fois, peut-être plus, qu’est ce qu’on en sait, on a perdu le compte.
Tout le monde y passe, au moins une fois en arrivant, puis selon nos humeurs, notre fatigue, notre
humour, nous nous refilons le bébé, pour ne pas la crucifier dans sa chambre. L’exploser contre le
mur. La massacrer à coup de fauteuil roulant, des bouts de crâne un peu partout, du sang sur les
murs, de la cervelle sur la table de nuit mais enfin le soulagement de ne plus entendre encore une
fois cette même phrase :
-Excusez moi de vous déranger mais…
Cette fois-ci, c’est moi qui suis le plus proche. Je distribue les cachets dans le couloir, par ordre
croissant des chambres, aucun intérêt. Je dois ouvrir le classeur des prescriptions, vérifier qu’il est à
jour (l’interne a signé en bas en arrivant le matin), sortir le casier des médicaments, le renverser sur
mon chariot et, un à un, comparer le nombre de médicaments à l’ordonnance. Deux zanipec, une
médiascorbine, un sachet de fulmigel. Plus le patient est vieux, plus la liste est longue. Plus la liste
est longue, plus les erreurs sont fréquentes. Je suis indulgent, la préparation se fait de nuit et la
veilleuse a beaucoup à faire. Lorsqu’à trois heures du matin il faut préparer les piluliers, en
frissonnant, parfois le regard se perd dans le vide un instant et on oublie tout de la raison de notre
présence. Le temps se liquéfie. On n’entend plus un bruit. Sur la route, à 130, la mort serait au bout
de la bande d’arrêt d’urgence. Mais dans le service, en préparant les piluliers, la faute d’inattention
est moins grave. On croit déposer un petit rouge alors qu’il y est déjà. On saute une ligne, voire
deux. On remet le casier à coté des quarante autres en soupirant, comptant mentalement le nombre
qu’il reste à préparer. Plus que 18. Cinq minutes à chaque fois. Si ça ne sonne pas, dans deux
heures j’ai fini. Allez.
Cet après-midi là, alors que je me concentre pour n’oublier rien, ni personne, la sonnette de la mère
Frugal se déchaîne. Elles y sont toutes allées plusieurs fois. Maintenant, c’est à moi. Mes collègues
passent la tête dans le couloir, attendant de me voir faire un geste désabusé signifiant que j’accepte
la sinécure. J’abandonne mon comptage, je tousse un coup, frappe à la porte et rentre dans la
chambre. La télé est à fond, le son étant si fort que j’ai du mal à rester près du poste. Je souris
mécaniquement :
-Oui ?
-Excusez moi de vous déranger mais je voulais savoir à quelle heure le médecin va passer.
-Madame Frugal, je vous ai déjà expliqué que la sonnette est une facilité réservée aux urgences.
Vous ne devez l’employer que pour des raisons sérieuses.
-Mais c’est sérieux ! Je veux savoir à quelle heure le médecin passe.
Je prends une grande inspiration, tâchant d’agrandir un peu plus mon sourire d’hôtesse d’accueil au
salon de l’agriculture, stand bovin et amibes mononeuronées :
http://ron.infirmier.free.fr 5/6/2017 5:50:45 - 1