INTRODUCTION
Ravier Marie - 2007 5
INTRODUCTION
« Pour faire de grandes choses, Il ne faut pas être un si grand génie, Il ne faut
pas être au-dessus des hommes, Il faut être avec eux. » Montesquieu, Pensées.
Référons-nous de prime abord à un ouvrage de référence sur lequel nos reviendrons
régulièrement afin d’exposer un questionnement sur lequel reposera en filigrane notre
réflexion.
Patrice Pinell a écrit un ouvrage socio-historique sur la lutte contre le cancer en France.
Dans son introduction, il note la spécificité de son étude : toute son analyse repose sur la
volonté d’expliquer par quels processus les premières politiques de lutte contre le cancer
sont apparues en France, alors que l’Etat prenait des mesures pour lutter contre les fléaux
sociaux dans un contexte historique de l’entre-deux-guerres exceptionnel. L’auteur met
particulièrement en lumière l’idée d’une représentation autour du cancer qui évolue de
manière décisive vers une situation sans équivalent historique : « Pour la première fois, des
formations sociales érigent en fléau une maladie qui échappe aux moyens classiques de
l’hygiène sociale. »1. L’idée que cette maladie représente, par son incidence, une menace
pour la société prend peu à peu consistance. L’action étatique au début des années 1920 va
consister en la création d’une Commission nationale du cancer dont la principale action sera
de coordonner la mise en place des premiers centres anticancéreux, tout en débloquant
des fonds pour rendre opérationnelles ces structures spécialisées. Mais aucune politique
gouvernementale forte, assignant des objectifs nationaux et organisant la coordination des
acteurs ainsi que la cohérence des moyens sur l’ensemble du territoire ne voit le jour.
En avril 2007, nous rencontrons un des conseillers du cabinet de Bernard Kouchner
qui a contribué à la mise en place du premier programme national de lutte contre le cancer
en 2000, et voici quelques-uns de ses propos :
« En France, on n’a pas une grande tradition de programme de santé publique, ou
en tout cas on l’avait mais on l’a perdu. Au début des années 1980, il n’y avait pas
de programme organisé, que ce soit dans le cadre du cancer, de n’importe quelle
maladie chronique. […] On a un système français qui est excellent mais qui est
basé essentiellement sur le soin : c’est la réforme Debré, les services hospitalo-
universitaires, des hôpitaux d’excellence. Donc on est très basé sur le soin et pas
tellement sur la personne, sur la population. »
Et d’ajouter à propos du Plan cancer de 2000 :
« C’est un plan d’action qui, à l’époque, avait mobilisé beaucoup le ministère
des Affaires sociales, le ministère d’Etat à la Santé, mais qui n’avait pas réussi à
mobiliser au-delà, donc le premier ministre ni le président de la République. Mais
c’est quand même la première fois qu’il y avait un engagement politique
important au niveau d’un programme de santé publique ».
Ces propos nous invitent d’emblée à nous poser une énigme : comment expliquer le laps
de temps qui s’écoule entre une période d’effervescence bien analysée par Pinell durant
1 Patrice Pinell, Naissance d’un fléau. Histoire de la lutte contre le cancer en France (1890-1940), Paris, Editions Métailié,
1992, p. 11